Les échanges ne sont bien sûr qu’une des
multiples expressions de l’interdépendance
économique, et non la plus importante. On
peut également citer les flux internationaux
des facteurs de production — capitaux, tech-
nologie, entreprises et divers types de main-
d’œuvre — ainsi que les échanges d’actifs,
l’acquisition de droits sanctionnés par la loi et
les flux internationaux d’information et de
savoir. Les flux mondiaux de devises ont
atteint le chiffre faramineux de 2 billions de
dollars par jour, dont 98 % sont de nature
spéculative. La société multinationale est de-
venue un agent important d’innovation tech-
nologique et de transferts de technologie. En
1995, les ventes des sociétés multinationales se
sont élevées à 7 billions de dollars, les ventes à
l’extérieur de leur pays d’origine augmentant
de 20 à 30 % plus vite que le total des exporta-
tions du pays.
Conclusions
Outre l’interdépendance économique (com-
merce, finances et investissement direct), les
courants dans tous les domaines — éducation, technologie,
idéologie, culture, écologie, droit, défense, stratégie et poli-
tique — se diffusent rapidement dans le monde entier.
Argent, biens, images, personnes, sports, religions, fusils,
drogues, maladies et pollution ont tôt fait de franchir les
frontières nationales. La création du système mondial de
communications par satellite a rendu possibles les commu-
nications instantanées entre toutes les parties du monde. Il a
permis non seulement la création d’un marché monétaire
fonctionnant 24 heures sur 24, mais aussi la diffusion dans le
monde entier de photographies d’hommes d’État et de stars
de cinéma dont le visage nous est devenu plus familier que
celui de nos voisins.
S’il est vrai que les États sont soumis à plus de contraintes
que dans le passé — exercées d’en haut par les forces éco-
nomiques mondiales et d’en bas par les peuples (minorités,
tribus, ethnies) revendiquant des droits, la participation ou
l’indépendance —, il est quelque peu prématuré d’annoncer
leur désintégration, comme on le lit dans des ouvrages tels que
ceux de Raymond Vernon, Sovereignty at Bay (la souveraineté
aux abois), de Walter Wriston, The Twilight of Sovereignty (le
crépuscule de la souveraineté), ou de Kenichi Ohmae, The End
of the Nation State (la fin de l’État-nation) et L’entreprise sans
frontière. L’illusion d’une mondialisation galopante procède
d’une courte rétrospective, confinée aux trente ou quarante
dernières années, période au début de laquelle les pays étaient
exceptionnellement fermés en conséquence de la crise des an-
nées 30 et de la deuxième guerre mondiale.
Les points de vue diffèrent sur les avantages et les coûts de
la mobilité à l’échelle mondiale de divers éléments, comme les
biens et services, les finances, la technologie et les idées. Dans
un passage souvent cité, John Maynard Keynes (1933, p. 237)
déclarait que «les idées, le savoir, les arts, l’hospitalité, les
voyages devraient, par nature, être internationaux. Mais lais-
sons aux pays le soin de produire leurs biens dans toute la
mesure où il est raisonnablement et commo-
dément possible de le faire; et il faut avant
tout que la finance soit fondamentalement
nationale.» La tendance de nos jours est plutôt
de dénoncer «l’impérialisme culturel» ou «l’ho-
mogénéisation» des médias et l’invasion mon-
diale de la culture de masse, et de privilégier le
patrimoine culturel local et les produits lo-
caux tout en prônant le libre-échange des
biens et des services.
Les néolibéraux préconisent le libre-échange
et une large part de laissez-faire, mais non pas
la libre circulation des personnes. L’économiste
français du XVIIIesiècle, François Quesnay, a
associé au laissez-faire le concept de laissez-
passer (voyages et migration libres de toute
restriction), mais ce concept est tombé dans
l’oubli. Peut-être la raison en est-elle que les
néolibéraux craignent que cela entraîne une
accélération de la croissance démographique
(ou atténue les pressions visant à la ralentir)
dans les pays à faible revenu qui alimentent les
flux migratoires et ne contribue pas à amé-
liorer leur bien-être, ou compromette les ob-
jectifs économiques (notamment ceux qui concernent le ni-
veau et la distribution du revenu), les valeurs culturelles, la
stabilité et la cohésion sociales ou la sécurité dans les pays qui
accueillent les migrants. Mais toutes ces objections peuvent
aussi s’appliquer à la libre circulation des biens et des services.
Il y a là en tout cas deux poids et deux mesures.
Cet article est une version revue et abrégée du premier chapitre de l’ouvrage
de l’auteur à paraître sous le titre Globalisation: Opportunity or Threat?
(Copenhagen: Handelshøjskelen Forlag).
Bibliographie :
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
(CNUCED), 1996, Rapport sur l’investissement dans le monde 1996
(Genève).
John Maynard Keynes, 1933, “National Self-Sufficiency,” Yale Review,
Vol. 20 (Summer).
Alejandro López-Mejía, 1999, «Flux massifs de capitaux : leurs causes,
leurs conséquences et la manière de les gérer», document de travail du FMI
99/17 (Washington, Fonds monétaire international).
Angus Maddison, 1995, L’économie mondiale (Paris, Organisation de
coopération et de développement économiques).
Deepak Nayyar, 1995, “Globalisation: The Past in Our Present,”
Presidential Address to the Seventy-Eighth Annual Conference of the Indian
Economic Association, Chandigarh, December 28–30.
Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), 1997,
Rapport mondial sur le développement humain 1997 (Paris, Economica).
Dani Rodrik, 1997, Has Globalization Gone Too Far? (Washington:
Institute for International Economics).
Paul Streeten, 1989, “International Cooperation,” in Handbook of
Development Economics, Vol. 2, ed. by Hollis Chenery and T. N. Srinivasan
(Amsterdam: North Holland), p. 1153–86.
Robert Wade, 1996, “Globalization and Its Limits: Reports of the Death
of the National Economy Are Greatly Exaggerated,” in National Diversity
and Global Capitalism, ed. by Suzanne Berger and Ronald Dore (Ithaca,
New York; London: Cornell University Press).
Finances & Développement / Juin 2001 37
Paul Streeten est
professeur émérite de
sciences économiques à
l’université de Boston et
Président et fondateur du
journal World Develop-
ment. Il est notamment
l’auteur de Development
Perspectives, First Things
First et Thinking About
Development.
F&D