L’insuffisance pancréatique externe apparaît en cas de destruction
d’au moins 90 % des glandes exocrines du pancréas. Ses traduc-
tions cliniques sont la stéatorrhée et la créatorrhée. C’est la cause
principale des déperditions énergétiques et protéiques : plus de
7 0 % des graisses et près de 50 % des protéines ingérées sont
retrouvés dans les selles, en l’absence de traitement par extraits pan-
créatiques (EP) (35). La stéatorrhée s’accompagne d’une malab-
sorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K), de certains oligo-
éléments (zinc, fer) et des acides gras essentiels. Les vitamines A
et E sont des antioxydants majeurs, ayant un rôle prépondérant
dans la protection des membranes cellulaires. Le déficit en vita-
mine A est noté chez près de la moitié des malades (7, 36). La
carence biologique en vitamine E est fréquente. Son expression
clinique est plus rare : aréflexie tendineuse, ataxie cérébelleuse,
ophtalmoplégie, diminution de la vitesse de conduction nerveuse,
de la trophicité muqueuse et de l’immunité cellulaire, ce qui
aggrave le risque d’infection pulmonaire. La carence en vitamine K
est latente, sauf en cas de cirrhose décompensée. Elle est plutôt
liée à l’altération de la flore intestinale par les antibiotiques. Elle
favorise les saignements spontanés et l’ostéoporose (carboxy-
lation de l’ostéocalcine par un système vitamine K-dépendant) (8 ).
Le déficit en vitamine D induit une ostéopénie, qui peut conduire
à l’ostéoporose, notamment chez les adolescentes et les femmes.
Le déficit en vitamine B12, rare et peu sévère, est dû à une malab-
sorption liée à l’absence de digestion du facteur R par les enzymes
pancréatiques. Le déficit en zinc est fréquent et peut inhiber la
synthèse protéique et l’immunité. La carence en acides gras essen-
tiels (AGE : acide linoléique, acide docosahexanoïque) altère les
lipides membranaires (érythrocytes, plaquettes) et la perméabilité
des membranes, notamment bronchiques, diminue la synthèse de
surfactant et la fonction immunitaire (8).
La présence d’une IPE est un facteur de mauvais pronostic au cours
de la mucoviscidose (4, 7, 35). Les patients ayant une IPE sont
plus fréquemment dénutris et infectés par Pseudomonas aerugi-
nosa que ceux n’ayant pas d’IPE (3, 35). Il existe une corrélation
entre génotype et IPE : 97 % des homozygotes et 72 % des hétéro-
zygotes pour la mutation Delta F508 du gène CFTR ont une IPE,
versus 36 % des patients n’ayant pas cette mutation.
La diminution de la sécrétion pancréatique en bicarbonates et
l’hypersécrétion gastrique acide favorisent la diminution du pH duo-
déno-jéjunal ( 3 7 ). Cette acidité relative (pH < 6) réduit l’activité de
la lipase pancréatique résiduelle et entrave la libération des enzymes
pancréatiques gastro-protégés dans le duodéno-jéjunum. Elle favo-
rise donc la stéatorrhée. L’activité de la lipase pancréatique est en
effet très réduite en cas de pH inférieur à 4 et nulle pour un pH infé-
rieur à 2. Les sels biliaires précipitent en milieu acide, et leur concen-
tration duodénale sous forme libre peut ainsi devenir inférieure à la
concentration micellaire critique. Cela aggrave la malabsorption
des graisses (7, 35). Cette précipitation favorise la fuite fécale des
sels biliaires, la réduction du cycle entéro-hépatique et donc du pool
total des sels biliaires, ainsi qu’une augmentation du rapport sels
biliaires glycoconjugués/tauroconjugués, qui contribuent également
à la stéatorrhée. Les pertes de sels biliaires sont aggravées par leur
liaison aux protéines ou aux lipides neutres non absorbés.
Une opothérapie pancréatique adéquate est primordiale : Corey
et al. ( 1 ) , comparant des patients de Toronto et de Boston, ont mon-
t r é qu’un régime riche en graisses et une opothérapie pancréatique
substitutive étaient associés à un meilleur statut nutritionnel et à
une meilleure médiane de survie (30 ans à Toronto versus 21 ans
à Boston).
Autres pertes d’origine digestive
L’IPE n’est pas seule responsable des pertes énergétiques fécales :
elle n’en représente que 40 % chez les patients recevant une opo-
thérapie pancréatique. Il faut y ajouter :
–la malabsorption en rapport avec une hépatopathie chronique
et une insuffisance biliaire sévère (35) ;
–les pertes liées aux bactéries coliques (30 % de la perte éner-
gétique fécale) ;
–la malabsorption due au caractère épais et visqueux du mucus
intestinal et aux troubles de la motricité digestive (37) ;
– la pullulation microbienne intestinale (3, 35) ;
– des troubles de l’absorption et de la perméabilité intestinale
(37). Ils résulteraient de l’excès de mucus adhérant aux villosi-
tés intestinales (barrière physico-chimique) ;
– la résection étendue du grêle, après chirurgie néonatale pour iléus
et péritonite méconiaux.
La déperdition énergétique fécale sous extraits pancréatiques peut
représenter jusqu’à 15 à 20 % des apports énergétiques (normale :
5%) (6). La densité calorique des selles serait de 2 kcal/g chez
les patients atteints de mucoviscidose (normale : 0,3 à 0,5 kcal/g).
Ces pertes fécales, notamment protéiques, sont dues aux déficits
en enzymes protéolytiques, à la diminution du temps de transit
colique et aux antibiotiques (qui peuvent réduire l’activité protéo-
lytique des bactéries coliques). L’absorption intestinale des glucides
est normale, le déficit en amylase pancréatique étant compensé
par l’amylase salivaire.
Enfin, chez les enfants atteints de mucoviscidose, la fréquence
de l’intolérance aux protéines de lait de vache, de la maladie
cœliaque et de la maladie de Crohn est supérieure à celle de la
population générale (38, 39).
Les déperditions sont avant tout liées à l’insuffisance p a n-
créatique exocrine. Ces pertes digestives peuvent représen-
ter jusqu’à 50 % (protéines) ou 60 % (lipides) des apports
énergétiques. Elles ne sont pas totalement supprimées par
l’opothérapie pancréatique. Les autres pertes représentent 5 à
10 % des ingesta. Elles sont liées à la malabsorption diges-
tive non pancréatique et à l’expectoration
Pertes d’origine pulmonaire
L’expectoration donne lieu à une augmentation des dépenses
énergétiques difficile à chiffrer. Elles pourraient représenter de
1 à 3 % des dépenses énergétiques totales au cours d’une exacer-
bation de l’inflammation broncho-pulmonaire. Heureusement, une
bonne partie en est déglutie.
Troubles de la glycorégulation
L’augmentation de l’espérance de vie est responsable d’une
augmentation de la fréquence des troubles de la glycorégula-
tion. Ces troubles n’apparaissent que chez les patients porteurs
d’une insuffisance pancréatique exocrine ( 4 0 ). La glycosurie,
MI S E A U P O I N T
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La Lettre du Pneumologue - Volume VII - n
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3 - mai-juin 2004