MI S E A U P O I N T
Mucoviscidose : aspects nutritionnels
Cystic fibrosis: nutritional consequences and management
D. Rigaud*
111
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - n
o
3 - mai-juin 2004
* Service d’endocrinologie et de nutrition, CHU Le Bocage, Dijon.
Points forts
La malnutrition est une des complications majeures de la mucoviscidose.Elle touche les trois quarts des malades. Elle est liée à
d e s canismes qui altèrent tant la fonction d’ingesta (perte dappétit) que les dépenses (oxydation accrue des nutriments) et les
d é p e r ditions énergétiques (par insuffisance pancatique exocrine). Le mécanisme majeur en est l’insuffisance pancréatique exocrine.
Elle aggrave la défaillance respiratoire, altère la qualité de vie et freine la croissance.
Elle diminue de façon impressionnante l’espérance de vie.
Elle peut être combattue efficacement par différents moyens : une meilleure évaluation ; un soin tout particulier apporté à
l’alimentation de ces patients ; une assistance nutritive.
La nutrition entérale discontinue d’appoint est souvent essentielle pour passer un cap difficile.
Des explications claires et répétées doivent être données au malade et à sa famille afin d’augmenter la compliance.
Mots-clés : Malnutrition - Mucoviscidose - Dépense énergétique - Anorexie - Nutrition entéralgie.
Main points
Malnutrition is one of the major complications of cystic fibrosis. It concerns about 70-75% of the patients. It is related to anorexia,
almost more severe for protein-rich foods. Malnutrition is also due to a frequent increase in resting energy expenditure and of course
to the increase in energy wasted in the stools (i.e. the malabsorption secondary to primary pancreatic defect in exocrine secretion).
The malnutrition is responsible to an increased alteration in respiratory function and in pulmonary infectious exacerbations
due to immune deficiency.
The long-term consequence of malnutrition is the increase in mortality.
The nutritional status of the patient should be evaluated, and the malnutrition corrected by supplementary foods, and ente-
ral feeding is needed. Parental nutrition should be rarely prescribed, because of its risks.
The patient and his(her) family should received information concerning the key role to maintain a good nutritional status in
cystic fibrosis. This education is the mean to improve the compliance.
Keywords: Malnutrition - Cystic fibrosis - Energy expenditure - Anorexia - Enteral feeding.
L’atteinte respiratoire occupe une place centrale dans la mucoviscidose, mais sa prise en charge est indissociable de celle des
autres manifestations et conséquences de la maladie, en particulier la dénutrition. En effet, les études épidémiologiques soulignent
la grande prévalence des problèmes nutritionnels dans cette maladie et montrent qu’il est possible de les prévenir et, ainsi,
d’améliorer le pronostic et la qualité de vie de ces patients. Les différents mécanismes physiopathologiques de la dénutrition
sont actuellement mieux identifiés. L’article de Daniel Rigaud fait le point sur les connaissances actuelles.
Cependant, si les relations entre la dénutrition et le pronostic de la maladie sont bien établies, les stratégies thérapeutiques
permettant d’améliorer l’état nutritionnel nécessitent d’être mieux évaluées. L’atteinte respiratoire est l’une des causes reconnues
de la dégradation nutritionnelle par augmentation des dépenses énergétiques (travail respiratoire et inflammation chronique
liée à l’infection broncho-pulmonaire) et diminution des apports (anorexie liée aux surinfections pulmonaires, aux traitements
antibiotiques ou encore à la toux et à l’encombrement des voies aériennes). Les études ayant un niveau de preuve élevé et montrant
l’effet bénéfique de la renutrition sur l’état respiratoire et réciproquement, manquent encore.
Enfin, le succès de la transplantation pulmonaire, dont les indications sont de plus en plus larges au cours de la mucoviscidose,
est étroitement lié au bon état nutritionnel.
Ainsi, le pneumologue se doit de prendre en compte la nutrition du patient atteint de mucoviscidose. Raphaël Chiron
Coordonnateur du CRCM mixte du Languedoc-Roussillon
L
a mucoviscidose est une affection chronique invali-
dante liée à des anomalies génétiques des sécrétions
bronchiques et pancréatiques. Il en sulte une broncho-
pneumopathie aggravée par les surinfections et une atteinte pan-
créatique à la fois exocrine (malabsorption) et endocrine (diabète).
La malnutrition y est d’une extrême fréquence. Elle touche 70 à
85 % des malades au cours de leur maladie. Elle est d’autant plus
fréquente que le patient avance en âge et que la maladie se com-
plique de surinfections bronchopulmonaires à répétition et/ou
d’une insuffisance respiratoire chronique. Les causes en sont mul-
tiples. Les conséquences aussi. Quel que soit l’âge, elle peut accé-
lérer la dégradation de la fonction respiratoire et aggraver le pro-
nostic vital (1-3). Elle favorise le retard statural chez l’enfant et
l’adolescent.
DÉNUTRITION : LES MÉCANISMES
La dénutrition est le seuil à partir duquel la perte de poids entraîne
une altération des fonctions internes (muscles, immunité, etc.)
et/ou externes (vie de relation, asthénie, sexualité, etc.). La mal-
nutrition représente une atteinte du capital et/ou des réserves en
nutriments et des fonctions qu’ils pilotent. Elle peut exister en
l’absence de perte de poids : ainsi, la déminéralisation osseuse
par réduction des apports en calcium et vitamine D et par malab-
sorption digestive chronique n’implique pas une perte de poids.
Il en est de même, en cas de carence en fer, en folates et en vita-
mine B12, ou en vitamine A ou en zinc.
Dans la mucoviscidose, la nutrition est le fruit d’une balance éner-
gétique négative de façon durable et importante. Elle est liée à une
diminution des ingesta, une augmentation des pertes digestives et/ou
une augmentation de la dépense énergétique (figure 1).
Enfin, chez l’enfant et l’adolescent, la croissance a un coût éner-
gétique : environ 4 à 5 kilocalories (kcal) par gramme de tissu
for( 4 - 7 ). L’altération de la balance nutritive chronique aboutit
souvent à une diminution de la croissance pondérale. C’est la pre-
mière touchée. Ce n’est qu’après plusieurs mois de déficit que la
croissance staturale est atteinte (8).
La dénutrition associe perte de poids et altération des fonc-
tions endo- et exogène.
Elle est liée à une balance énergétique et/ou protéique dura-
blement négative.
La croissance s’arrête quand son coût (4 kcal/g) n’est plus
assuré.
MÉCANISMES DE LA DÉNUTRITION
DANS LA MUCOVISCIDOSE
Chacune des composantes précédemment citées peut être touchée
au cours de la mucoviscidose, mais leurs parts respectives dans
l’apparition de la malnutrition est encore mal connue.
De façon schématique, la diminution des entrées et l’accroissement
des pertes s’aggravent au fil de l’évolution, précipitant le malade
vers des complications graves. Bien connaître ces mécanismes est
essentiel pour prévenir et retarder les conséquences de la dénutri-
tion sur la morbidité et l’espérance de vie des malades (tableau).
Dépense énergétique
Dépense énergétique de repos (DER)
Elle subit une augmentation au cours de la mucoviscidose, de
l’ordre de 7 à 35 % (9-20).
Cela pourrait, entre autres, être en rapport avec une anomalie intrin-
sèque liée à un effet direct de la mutation du ne CFTR (cystic fibro-
sis transmembrane receptor) sur le tabolisme énergétique ( 1 6 ).
Mais la controverse persiste ( 2 1 - 2 3 ). Certes, les patients homozy-
gotes pour la mutation Delta F508 du gène CFTR ont une augmen-
tation de la DER de l’ordre de 20 % par rapport aux patients hétéro-
zygotes et à ceux ne possédant pas cette mutation ; pourtant, cette
différence ne paraît que refléter leur moins bonne fonction res-
piratoire (17-18).
En fait, la cause la plus plausible et la plus fréquente est res-
p i r a t o i r e :
hypermétabolisme lié à l’infection respiratoire chronique, en
particulier à Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa,
et au syndrome inflammatoire chronique qu’elle génère ;
augmentation du travail respiratoire et de son coût énergétique
par dégradation de la fonction respiratoire.
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Figure 1. Bilan énergétique au cours de la mucoviscidose (adolescent).
DE : dépense énergétique ; pertes digestives : liées à la malabsorption
Bilan = (ingesta pertes digestives) (DER + DE repas + DE activité
physique)
Tableau. Anomalies de la balance énergétique en fonction du statut
clinique au cours de la mucoviscidose.
État Ingesta DER AP DET Pertes Balance
Bon N N N N Nulle
Surinf   NNégative
Mauvais     Très négative
DER : dépense énergétique de repos ; AP : activité physique ; DET : dépense
énergétique totale ; pertes : pertes énergétiques ; N : normal
Bon : fonction respiratoire normale ; peu de malabsorption digestive.
Surinf. : surinfection bronchique patente.
Mauvais : dégradation de la fonction respiratoire (VEMS < 60 %) et pancréatique
(IPE [insuffisance pancréatique exocrine] > 80 % des lipides ingérés).
L’accroissement de la DER est inversement corrélé (relation cur-
vilinéaire) à la dégradation de la fonction respiratoire. Elle semble
apparaître pour un VEMS inférieur à 85 % de la normale ( f i g u r e 2 )
(21, 24). En cas de dégradation du VEMS, les surinfections s’accom-
pagnent également d’une augmentation de la DER, qui disparaît
après antibiothérapie ( 2 4 - 2 6 ). Cet accroissement a éobservé
par Spicher et al. (27) chez 13 patients âgés de 8 à 24 ans ayant
une atteinte respiratoire modérée (VEMS : 63 % de la norme) et
par McCloskey et al. ( 2 8 ) chez 27 patients adultes souffrant
d’atteinte respiratoire modérée à sévère (VEMS : 52 %). Le syn-
drome inflammatoire y tient un rôle : Nguyen et al. ( 2 9 ) ont mon-
tré que l’augmentation de la DER était corrélée à la concentration
plasmatique de TNF-α(12, 29). Une corrélation a été notée entre
la diminution de la concentration plasmatique de protéines i n f l a m-
matoires (CRP, élastase, TNF-α) et la diminution de la DER a p r è s
traitement antibiotique (12, 24-26). En outre, le traitement inflam-
m a t o i r e par ibuprofène au cours de la mucoviscidose s’accompagne
d’une prise de poids (2).
Dépense énergétique liée à l’activité physique
Les données concernant la dépense énergétique (DE) liée à l’acti-
vité physique sont beaucoup plus discordantes. Grunow et al. ( 1 4 )
n’ont pas trouvé d’augmentation de la DE liée aux activités
p h y siques courantes (stations assise et debout, marche à 30 et
5 0 w a t t s ) chez des adolescentes sans atteinte respiratoire. Richards
et al., au contraire (30), ont observé une augmentation de la DE
au cours de la marche (1,5 km/h pendant 60 minutes), mais pas
au cours de la pratique de la bicyclette (15 watts pendant
60 minutes) chez de jeunes adultes en bon état nutritionnel avec
atteinte respiratoire modérée. La DE est également augmentée
après un effort modéré ( 3 1 ) pendant 30 minutes chez des adultes
ayant une fonction respiratoire plus altérée (VEMS : 50 % d e s
valeurs normales).
C’est probablement l’atteinte de la fonction respiratoire qui est res-
ponsable de cette augmentation : pour un me rendement d’extrac-
tion de l’oxygène, les muscles respiratoires doivent travailler plus
si les alvéoles et les bronchioles sont obstruées.
Dépense énergétique totale (DET)
Peu de travaux y ont été consacrés. Shepherd et al. (32) ont rap-
porté, chez des nourrissons âgés de 0,7 à 2 ans, une augmentation
de 25 % de la DET (méthode de l’eau doublement marquée) chez
les patients homozygotes pour la mutation Delta F508 du gène
CFTR et une augmentation de 10 % chez les patients hétérozygotes
pour cette mutation. Les autres études, en revanche, suggèrent plu-
tôt que les augmentations de la dépense énergétique de repos et de
celle liée à une activité physique sont compensées par une réduc-
tion de l’activité physique globale. La DET resterait donc inchan-
gée. Ainsi, Bines et al. (22) n’ont pas trouvé d’augmentation de
la DET chez de jeunes nourrissons (méthode de l’eau doublement
marquée). Spicher et al. ( 2 7 ) n’ont pas mis en évidence, chez
1 3 patients âgés de 8 à 24 ans ayant une atteinte respiratoire modé-
r é e (VEMS : 63 % de la norme), d’augmentation de la DET (esti-
mation par la mesure de la fréquence cardiaque). Chez 27 a d u l t e s
ayant une atteinte respiratoire nette (VEMS : 52 %), McCloskey
et al. ( 2 8 ) n’ont pas observé d’augmentation de la DET (fréquence
cardiaque, eau doublement marquée). À l’inverse, l’amélioration
pulmonaire obtenue par antibiothérapie, chez 16 a d o l e s c e n t s
infectés par Pseudomonas aeruginosa, ne réduisait pas la DET :
en effet, la DER diminuait, mais l’activité physique augmentait
(questionnaire d’activité, accéléromètre).
La pense énergétique de repos est augmentée dans la
mucoviscidose. Les causes majeures en sont l’atteinte respi-
ratoire et la surinfection.
La dépense énergétique est inversement core à
l’atteinte respiratoire, qui l’accroît à la fois par augmenta-
tion du travail musculaire respiratoire et par le syndrome
inflammatoire lié à l’infection.
L’augmentation du travail respiratoire à leffort
explique en partie la réduction de l’activité physique.
Pertes énergétiques
Insuffisance pancréatique exocrine
L’insuffisance pancréatique exocrine (IPE) est d’une extrême fré-
quence dans la mucoviscidose (85 % des patients). Elle est me
quasi constante chez les patients homozygotes Delta F 508 et
dans les mutations dites sévères de la protéine mutée CFTR (33).
Elle est liée à l’accumulation, au sein des canaux pancréatiques,
d’un matériel éosinophile. Des bouchons muqueux obstruent ensuite
ces canaux. Il en résulte une dilatation des acini et une atrophie des
cellules acineuses. À cause de l’anomalie de la CFTR, la sécré-
tion pancréatique est épaisse, pauvre en eau, en bicarbonates et
en enzymes pancréatiques, même si, au début, leur concentration
reste élevée (34). La destruction des acini par autodigestion fait
place à un tissu fibreux, puis adipeux. L’insuffisance pancréatique
externe apparaît alors. Les îlots de Langerhans sont en revanche
longtemps épargnés : c’est pourquoi le diabète est tardif dans la
mucoviscidose.
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Figure 2. Accroissement de la dépense énergétique de repos (DER, en
% des valeurs attendues) en fonction de la dégradation du VEMS (%
des valeurs théoriques) chez des enfants atteints de mucoviscidose.
VEMS : volume expiratoire maximal par seconde.
L’insuffisance pancréatique externe apparaît en cas de destruction
d’au moins 90 % des glandes exocrines du pancréas. Ses traduc-
tions cliniques sont la stéatorrhée et la créatorrhée. C’est la cause
principale des déperditions énergétiques et protéiques : plus de
7 0 % des graisses et près de 50 % des protéines ingérées sont
retrouvés dans les selles, en l’absence de traitement par extraits pan-
créatiques (EP) (35). La stéatorrhée s’accompagne d’une malab-
sorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K), de certains oligo-
éléments (zinc, fer) et des acides gras essentiels. Les vitamines A
et E sont des antioxydants majeurs, ayant un rôle prépondérant
dans la protection des membranes cellulaires. Le déficit en vita-
mine A est noté chez près de la moitié des malades (7, 36). La
carence biologique en vitamine E est fréquente. Son expression
clinique est plus rare : aréflexie tendineuse, ataxie cérébelleuse,
ophtalmoplégie, diminution de la vitesse de conduction nerveuse,
de la trophicimuqueuse et de l’immunité cellulaire, ce qui
aggrave le risque d’infection pulmonaire. La carence en vitamine K
est latente, sauf en cas de cirrhose décompensée. Elle est plutôt
liée à l’altération de la flore intestinale par les antibiotiques. Elle
favorise les saignements spontanés et l’ostéoporose (carboxy-
lation de l’ostéocalcine par un système vitamine K-dépendant) (8 ).
Le déficit en vitamine D induit une ostéopénie, qui peut conduire
à l’ostéoporose, notamment chez les adolescentes et les femmes.
Le déficit en vitamine B12, rare et peu sévère, est à une malab-
sorption liée à l’absence de digestion du facteur R par les enzymes
pancréatiques. Le déficit en zinc est fréquent et peut inhiber la
synthèse protéique et l’immunité. La carence en acides gras essen-
tiels (AGE : acide linoléique, acide docosahexanoïque) altère les
lipides membranaires (érythrocytes, plaquettes) et la perméabilité
des membranes, notamment bronchiques, diminue la synthèse de
surfactant et la fonction immunitaire (8).
La présence d’une IPE est un facteur de mauvais pronostic au cours
de la mucoviscidose (4, 7, 35). Les patients ayant une IPE sont
plus fréquemment dénutris et infectés par Pseudomonas aerugi-
nosa que ceux n’ayant pas d’IPE (3, 35). Il existe une corrélation
entre génotype et IPE : 97 % des homozygotes et 72 % des téro-
zygotes pour la mutation Delta F508 du gène CFTR ont une IPE,
versus 36 % des patients n’ayant pas cette mutation.
La diminution de la sécrétion pancréatique en bicarbonates et
l’hypersécrétion gastrique acide favorisent la diminution du pH duo-
no-jéjunal ( 3 7 ). Cette acidité relative (pH < 6) réduit l’activi de
la lipase pancréatique siduelle et entrave la libération des enzymes
pancréatiques gastro-protégés dans le duodéno-jéjunum. Elle favo-
rise donc la stéatorrhée. L’activité de la lipase pancréatique est en
effet très réduite en cas de pH inférieur à 4 et nulle pour un pH infé-
rieur à 2. Les sels biliaires précipitent en milieu acide, et leur concen-
tration duodénale sous forme libre peut ainsi devenir inférieure à la
concentration micellaire critique. Cela aggrave la malabsorption
des graisses (7, 35). Cette précipitation favorise la fuite fécale des
sels biliaires, la réduction du cycle enro-hépatique et donc du pool
total des sels biliaires, ainsi qu’une augmentation du rapport sels
biliaires glycoconjugués/tauroconjugués, qui contribuent également
à la stéatorrhée. Les pertes de sels biliaires sont aggravées par leur
liaison aux protéines ou aux lipides neutres non absorbés.
Une opothérapie pancréatique adéquate est primordiale : Corey
et al. ( 1 ) , comparant des patients de Toronto et de Boston, ont mon-
t r é qu’un régime riche en graisses et une opothérapie pancréatique
substitutive étaient associés à un meilleur statut nutritionnel et à
une meilleure médiane de survie (30 ans à Toronto versus 21 ans
à Boston).
Autres pertes d’origine digestive
L’IPE n’est pas seule responsable des pertes énergétiques fécales :
elle n’en représente que 40 % chez les patients recevant une opo-
thérapie pancréatique. Il faut y ajouter :
la malabsorption en rapport avec une hépatopathie chronique
et une insuffisance biliaire sévère (35) ;
les pertes liées aux bactéries coliques (30 % de la perte éner-
gétique fécale) ;
la malabsorption due au caractère épais et visqueux du mucus
intestinal et aux troubles de la motricité digestive (37) ;
la pullulation microbienne intestinale (3, 35) ;
des troubles de l’absorption et de la perméabilité intestinale
(37). Ils résulteraient de l’excès de mucus adhérant aux villosi-
tés intestinales (barrière physico-chimique) ;
la résection étendue du grêle, après chirurgie néonatale pour iléus
et péritonite méconiaux.
La déperdition énergétique fécale sous extraits pancréatiques peut
représenter jusqu’à 15 à 20 % des apports énergétiques (normale :
5%) (6). La densité calorique des selles serait de 2 kcal/g chez
les patients atteints de mucoviscidose (normale : 0,3 à 0,5 kcal/g).
Ces pertes fécales, notamment protéiques, sont dues aux déficits
en enzymes protéolytiques, à la diminution du temps de transit
colique et aux antibiotiques (qui peuvent réduire l’activité protéo-
lytique des bactéries coliques). L’absorption intestinale des glucides
est normale, le déficit en amylase pancréatique étant compensé
par l’amylase salivaire.
Enfin, chez les enfants atteints de mucoviscidose, la fréquence
de l’intolérance aux protéines de lait de vache, de la maladie
cœliaque et de la maladie de Crohn est supérieure à celle de la
population générale (38, 39).
Les déperditions sont avant tout liées à l’insuffisance p a n-
créatique exocrine. Ces pertes digestives peuvent représen-
ter jusqu’à 50 % (protéines) ou 60 % (lipides) des apports
énergétiques. Elles ne sont pas totalement supprimées par
l’opothérapie pancréatique. Les autres pertes représentent 5 à
10 % des ingesta. Elles sont liées à la malabsorption diges-
tive non pancréatique et à l’expectoration
Pertes d’origine pulmonaire
L’expectoration donne lieu à une augmentation des penses
énergétiques difficile à chiffrer. Elles pourraient représenter de
1 à 3 % des dépenses énergétiques totales au cours d’une exacer-
bation de l’inflammation broncho-pulmonaire. Heureusement, une
bonne partie en est déglutie.
Troubles de la glycorégulation
L’augmentation de l’espérance de vie est responsable d’une
augmentation de la fréquence des troubles de la glycorégula-
tion. Ces troubles n’apparaissent que chez les patients porteurs
d’une insuffisance pancréatique exocrine ( 4 0 ). La glycosurie,
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au stade de diabète, contribue à l’aggravation des pertes éner-
gétiques. Le diabète favorise la protéolyse. L’insuline pourrait
la réduire.
Apports énergétiques
Les besoins étant accrus dans la mucoviscidose, les apports éner-
tiques doivent être de 105 à 130 % des apports journaliers
recommandés à la population (5, 7, 35). Les apports devraient
croître avec la sévérité de la maladie. Mais des apports énergé-
tiques élevés (140 %) sont souvent impossibles à atteindre par
les malades à un stade évolué de l’affection.
Chez le nourrisson ou le jeune enfant, en l’absence de surinfection
bronchique ou d’atteinte respiratoire inflammatoire patente, l’aug-
mentation spontanée de l’appétit permet la couverture des besoins.
Mais les ingesta peuvent devenir insuffisants, notamment au-delà
de la phase de croissance, dans bien des circonstances parfois
associées :
la surinfection respiratoire chronique Pseudomonas aeru-
g i n o s a, Staphylococcus aureus ou Aspergillus fumigatus) serait la
cause principale de la réduction des apports, comme de l’accrois-
sement des pertes énergétiques (par sécrétion de cytokines ano-
rexigènes type tumor necrosis factor). La toux et l’expectoration
réduisent aussi les ingesta, par la sensation de dégoût qu’ils pro-
voquent ;
le reflux gastro-œsophagien, voire l’œsophagite, majore par-
f o i s l’anorexie ou la peur de manger ( 4 1 ) . L’incidence du reflux
g a s t r o -œsophagien est nettement supérieure à celle dans la popu-
lation générale. Il est présent chez des enfants ayant une atteinte
respiratoire modérée et doit être recherché systématiquement en
raison de son rôle délétère sur la fonction respiratoire. Un retard
de vidange gastrique y est souvent associé, prédominant sur les
solides (41) ;
les douleurs abdominales, d’origine diverse (lithiase biliaire,
syndrome d’obstruction intestinale distale, mucocèle appendi-
culaire, pancréatite, etc.), induisent une peur de manger et un
inconfort ;
les troubles du comportement alimentaire. Pour une raison
mal connue, quelques malades développent une anorexie dépres-
sive ou anorexie mentale vraie (avec volonté farouche de mai-
grir) ou des crises de boulimie (35).
ÉVALUATION DE LA DÉNUTRITION
Les marqueurs de dénutrition n’ont rien de spécifique dans la
mucoviscidose. Ils sont simples, cliniques et faciles à répertorier.
Ils doivent faire partie de l’évaluation effectuée tous les six mois.
Ils seront systématiquement recherchés en cas d’aggravation
subite.
Chez l’enfant, c’est la courbe de croissance qui est le principal
marqueur de l’état de dénutrition :
croissance en poids. Toute cassure doit déclencher un double
réflexe : rechercher la cause et mettre en place une stratégie pour
la réduire ;
croissance en taille. L’impact est plus tardif et lié à des carences
multiples en énergie, protéines, vitamine D et calcium. Il s’associe
souvent à une ostéoporose ou une ostéomlacie.
L’indice de masse corporelle (chez l’adulte) et la cassure de
son évolution (chez l’enfant) sont de bons repères d’une dénu-
trition débutante.
L’évaluation des ingesta est essentielle : elle a un rôle dia-
gnostique et fait partie de la prise de décision d’une assistance
nutritive.
L ’évaluation du moral et de l’appétit est également utile.
Les signes cliniques doivent être connus. Aucun n’est spéci-
fique. Une peau sèche, desquamante, une altération des phanères
(cheveux secs et ongles cassants), des œdèmes des membres
inférieurs, une hépatomégalie (liée à la stéatose) doivent être
r e c h e r c h é s .
Les signes biologiques sont très classiques :
les marqueurs protéiques : baisse de l’albuminémie, de la pré-
albuminémie (transthyrétine) et, à un moindre degré, de l’hémo-
globine et de la transferrine (multifactorielles), qu’il faut ajuster
à la présence d’une déshydratation fréquemment présente (qui
augmente la concentration plasmatique de 5 à 10 %) ;
les autres carences (fer et ferritine ; calcémie et phosphorémie ;
magnésémie ; zinc plasmatique) doivent être évaluées et corri-
gées régulièrement ;
la créatininurie des 24 heures (mesure sur 3 jours) permet (si
le recueil est parfait) d’apprécier l’évolution de la masse muscu-
laire (60 mg de créatininurie représentent 1 kg de muscle).
L’ASSISTANCE NUTRITIVE
Même si un faisceau d’arguments plaide en faveur de l’intérêt de
l’assistance nutritive dans la mucoviscidose, la preuve de l’effica-
cité de cette méthode dans la prévention des infections broncho-
pulmonaires et de la dégradation de l’état fonctionnel respiratoire
reste à démontrer au cours d’une étude prospective contrôlée por-
tant sur plusieurs années d’évolution.
En pratique, la principale erreur serait d’évaluer l’état nutrition-
nel et de ne rien en faire ! En effet, une prise en charge énergique
de la dénutrition permet au malade atteint de mucoviscidose de
mieux lutter contre sa maladie et ses surinfections pulmonaires.
Elle accroît notablement (de plus de 10 ans) l’espérance de vie
et surtout l’espérance de vie sans complication grave.
Le principe de pragmatisme est ici dominant : le but n’est pas de
supprimer la diarrhée, mais bien de favoriser des ingesta suffisants
avec le moins de diarrhée possible. En dautres termes, il faut sou-
v e n t tendre à accroître les apports et adapter l’opothérapie pan-
créatique à l’accroissement de la stéatorrhée qui en résulte!
Il faut plutôt favoriser l’apport lipidique qu’interdire les matières
grasses. L’opothérapie pancréatique étant cruciale, la compliance
est donc essentielle à obtenir. Il est illusoire d’espérer qu’un malade
qui a depuis plusieurs semaines des apports inférieurs à 50 % d e s
apports énergétiques et protéiques souhaitables du fait de sa mala-
die y arrive par le simple conseil “de devoir manger plus”.
Il est alors également illusoire de ne lui proposer que des sup-
pléments diététiques buvables ou des vitamines.
Une assistance nutritive prescrite comme un complément est alors
indispensable, pour la période la plus courte possible. Ce sera le
plus souvent une nutrition entérale discontinue d’appoint, cyclique
et nocturne de préférence, si le malade n’a pas un reflux gastro-
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