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OUVROIR DE THEÂTRE
Ateliers professionnels
Saison 2010-2011
Le Mesureur, cie de Théâtre est une compagnie de théâtre professionnelle
travaillant en Suisse et en Belgique. Outre les spectacles qui émaillent la vie de la
compagnie, la formation permanente de l'acteur est un axe majeur de
développement. La formation permanente et les spectacles se répondent et se
complètent les uns les autres par le fait que la pratique du métier se base sur la
rencontre entre les actants. Les mises en chantier(s) sont prospectives et
préparent le futur.
Aussi la compagnie propose-t-elle l'Ouvroir de Théâtre.
Des modules de formation de deux à trois semaines dirigés par des professionnels
et destinés aux professionnels permettent de mettre en pratique des savoirs et
incitent aux échanges.
Ainsi Benoît Blampain, Cédric Dorier et Jacques Roman sont-ils les premiers à
diriger ces stages de formation abordant textes et genres avec une réelle exigence.
« L'acteur est un poète qui écrit sur le sable » disait Antoine Vitez. L'acteur est
créateur. Comment sa personnalité (ce pourquoi on l'a engagé) s'épanouit et se
modifie-t-elle au contact des autres acteurs et des divers paramètres de jeu.
Si le corps est libre, la voix (voie) est libre. Au-delà du jeu de mots, l'implication du
corps doit être totale. Il s'agit ici du phénomène de physication : la digestion par le
corps de l'acteur de tous les ingrédients composant la représentation à venir.
Dans la relation triangulaire entre l'acteur, le partenaire et le spectateur, le
protagoniste retrouve les impulsions de jeu, les recrée, avec et au-delà de la forme
donnée, afin d'obtenir une sensualisation de l'émotion. L'unicité du moment
interpelle fortement le spectateur présent.
L'Ouvroir est un lieu de travail. C'est là où les dames ou religieuses se réunissaient
pour exécuter des travaux pour les pauvres ou pour réaliser des ornements
d'église.
Lieu se réunir, le théâtre n'est rien sans l'ensemble des actants qui le font. Des
dames ou des religieuses, c'est-à-dire des personnes du même sexe, (des
personnes du sexe), miroir d'un groupe de personnes de me obédience, qui ont
les mêmes affinités.
Exécuter des travaux pour les pauvres. Cela est amusant de penser que le théâtre
est destiné aux pauvres (en argent ou en connaissances ou en émotions) tandis
que l'aspect rituel de l'ornement d'église répond au rituel du théâtre.
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CHANTIER CORNEILLE RACINE
BENOÎT BLAMPAIN
Metteur en scène
Du 24 janvier au 11 février 2011
PRESENTATION
Ils étaient rivaux.
Deux des plus grands auteurs de théâtre de langue française ont lutté toute leur
vie à coups de tragédies et d'alexandrins.
Les voilà lancés tous deux sur le même sujet. Qui va gagner? Quelques trois cents
ans après ces faits, aucun n'est vraiment vainqueur. Il nous reste deux pièces
étranges et magnifiques.
Bérénice
de Jean Racine, le lustre du théâtre, l'épure de la tragédie puisque sans
sang, une fable de pure tourmente où coulent les vers.
Il nous reste aussi la presqu'oubliée
Tite et rénice
de Pierre Corneille dont la
fable se complique d'une deuxième intrigue amoureuse et dont les vers
chantours sonnent dans leur complexité baroque. Une perle perdue dans l'océan
du théâtre, un archipel à redécouvrir.
À l'aide de la prononciation restituée et des découvertes les plus récentes en la
matière, l'alexandrin se propulse en un langage contemporain étonnant. À l'instar
de la parole proférée, le corps s'émeut dans la sensualité.
Nous nous interrogerons sur la manière dont le vers rend le corps de l'acteur
sensuel. Il s'agit bien d'un phénomène de physication, avec, à la clé, le plaisir de
souffrir dans la dignité propre à la tragédie.
Benoît BLAMPAIN
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BENT BLAMPAIN
BIOGRAPHIE
Comédien et metteur en scène belge, lauréat du
Conservatoire de Bruxelles, Benoît Blampain a
poursuivi sa formation auprès d'Antoine Vitez au
Théâtre National de Chaillot à Paris. Puis sa carrière
l'a mené à brûler les planches des institutions les
plus prestigieuses, du Théâtre National de Belgique
à la Comédie Française, en passant par le Festival
d'Avignon ln et bien d'autres lieux encore.
En Suisse romande aussi il confirme sa présence
tant sur les grandes que sur les petites scènes. Il
collabore avec le Théâtre de Vidy à Lausanne, le
Théâtre Saint-Gervais ou la Comédie de Genève.
Plus récemment, sa mise en scène originale du
Sganarelle
de Molière a rempor un franc succès
tant au Théâtre 2.21 à Lausanne qu'à l'Espace
Guinguette de Vevey.
En 1999, il fonde la compagnie Le Mesureur avec laquelle il a déjà monté plus
d'une vingtaine de spectacles (www.le-mesureur.com). Comme metteur en scène,
on retiendra, entre autre, les réalisations de
Gouttes sur pierres brûlantes
de
Rainer Werner Fassbinder,
Dormez je le veux !...
et
Feu la Mère de Madame
de
Georges Feydeau,
Abel et Bela
de Robert Pinget,
La Ménagerie de verre
de
Tennessee Williams.
En 2004, il écrit, joue et met en scène
L'Amour de Clara
(d'après la correspondance
entre Clara et Robert Schumann) avec cile de France et Mitsuko Shirai. Puis, en
2006, il crée le spectacle
Un Aspic sous des figues,
spectacle mêlant comédie et
opéra.
Il a été le professeur, le metteur en scène et le partenaire de Cécile de France. Et,
sur les écrans, il a toyé des grands noms du cinéma tels que Nathalie Baye,
Michel Aumont, Ludmila Mikaël, Patrick Chesnais, Michèle Morgan, Michel Galabru,
Niels Arestrup ou Raul Bova.
De 2002 à 2008, il est directeur artistique de
Théâtre au vert
, festival d'été dans le
Hainaut, commandité par la Communauté Française Wallonie-Bruxelles.
En 2008-2009, il a mis en scène
Les Voix humaines
avec entre-autres Jacques
Roman à L'Oriental-Vevey, puis le
Klangkabarett
avec Wanda Obertova (ea)
toujours pour L'Oriental-Vevey à L'Espace Guinguette cette fois, joué ensuite au
2.21 à Lausanne. En 2010, outre la reprise du
Klangkabarett
en tournée, il a monté
Le Paradis des côtes de porc
de Chester Himes présenté notamment dans la cave
du Bleu Lézard à Lausanne.
Il prépare actuellement les créations de
Violet
de Jon Fosse à L'Oriental-Vevey et
au 2.21 pour le mois de janvier 2011 et de
Hiver
du même auteur pour le mois de
mars au Petithéâtre de Sion.
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CHANTIER ESCHYLE
JACQUES ROMAN
Comédien Metteur en scène Ecrivain Traducteur
Du 21 mars au 8 avril 2011
PRESENTATION
Les Sept contre Thèbes
: une traduction « pneumatique »
Eschyle est, selon Engels, « le père de la tragédie » un être, à ce titre, quasiment
seul de son espèce.
Lorsqu'Eschyle écrit, la tragédie en fait vient de naître, elle est désormais en
chantier, un chantier dont Eschyle est à la fois l'architecte et le maçon, exposé,
déjà, peut-être, à un accident de travail.
Dans quelle mesure la stature du dramaturge, dont il ne nous est resté que huit
pour cent de l'oeuvre, aurait-elle été grandie, si l'oeuvre complète nous était
parvenue? Elle n'aurait certes pas augmen en proportion du nombre des
tragédies qui nous manquent, nous pouvons l'affirmer. Eschyle est le plus grand
perdant, non seulement de tous les écrivains mais de tout le genre humain. Le
dommage qu'il a subi est à la mesure des Titans comme le trésor qu'il a laissé.
Le fait d'avoir, durant plus d'une année de ma vie, consacmes forces à traduire
Les Sept contre Thèbes
pour les rendre non à la littérature mais bien à l'espace de
la voix et à la voix dans l'espace ne fait pas de moi un
enseignant
délivrant un
savoir sur Eschyle mais bien comme lui-même un architecte et un maçon retourné
sur
le sol de la tragédie
. C'est donc en chef de
chantier
que j'entends travailler en
compagnie des ouvriers qualifiés, loin du péplum (fut-il pades atours du prêt à
porter contemporain, cher aux metteurs en place).
Le nom de
chantier
vient du terme latin tardif de
cantherius
. On peut le
rapprocher du grec
kanthôn
, « baudet », ou de
kanthelios onos
, « âne bâté ».
Cantherius
désigne un cheval, animal de charge. Le sens du mot a glissé vers la
fonction de support d'une charge vers le
tréteau
(pensons à cela), le chevalet.
« Mettre sur le chantier » ou « mettre en chantier » c'est donc placer des pièces
sur un support afin d'attaquer un travail.
Ma passion pour le théâtre me voit aujourd'hui à soixante-deux ans dans
l'obligation de renoncer au mot
théâtre
recouvert qu'il est aujourd'hui par le mot
spectacle
, lequel résonne avec
jeux du cirque
(gladiateurs et non acteurs).
Un chantier Eschyle à ouvrir, un chantier et tout aussi bien une énigme : que s'est-
il passé pour qu'il y ait ces débris, ces traces? Quelle action peut-on
reconstituer? Chantier, mise en examen, analyse méticuleuse en vue de
reconstitution et d'hypothèses. Indices d'une embrouille dans l'acte de traduction,
témoignage d'un plan idéologique, restes involontaires d'une surprise ou d'une
déprise, d'un dérangement du coup monté. Nécessité de suppléer, de combiner, de
calculer, comme ils ont fait, déjà ceux qui ont opéré puis ont déguerpi ou bien
qui sait ont été eux-mêmes chassés par d'autres monteurs de coups ou de
trafics.
Il me faut remonter à l'origine de la tragédie, en amont de sa présence écrite. Il
me faut remonter à l'origine du chant et du chant aller au poème et du poème
entendre la voix. Il me faut marteau-piqueur, détruire la croute dure et retourner
le mouvement dit le magma au coeur de la tragédie. Ce n'est pas la
représentation de la tragédie qui occupe ma pensée, mes recherches, mais bien
la
tragédie de la représentation.
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Devant la tragédie, une question : quel est le lien entre la douleur et la langue?
Comment la parole surgit-elle de l'expérience fondamentale de la souffrance?
Partant de ce que l'on pourrait désigner comme la « scène originaire du deuil »
observons l'homme primitif auprès du cadavre aimé (c'est tout l'enjeu du dernier
acte de la tragédie d'Eschyle :
Les Sept contre Thèbes
).
Observons : celui-ci est abasourdi par ce qu'il découvre douloureusement : l'aimé
n'est plus animé, son souffle s'est arrêté. L'endeuillé primitif est dominé par
l'emprise de l'ambivalence des sentiments (nous sommes encore des primitifs!)
D'un côté, effondré, il souffre de la perte de l'aimé comme de la perte d'une partie
de soi-même ; de l'autre, il hait le mort qui l'abandonne, il le craint, parce que ce
cadavre lui fait découvrir qu'il est lui-même mortel. Il le hait encore parce que,
auprès de lui, il reconnaît la part étrangère et inconnue qui habitait le mort aimé. Il
comprend dans la douleur que l'aimé était
aussi
un étranger. Il couvre en lui
l'inquiétante étrange qui l'habite, celle d'aimer et de haïr, le même objet, la
même personne. Je dis IL, je pourrais dire Etéocle, je pourrais dire Polynice. Avant
même que ne se lève le chant, le personnage tragique est plongé dans cette scène
originaire!
Le mort aimé est le prototype du héros : il a subi l'épreuve la plus difficile, la
traversée vers l'au-dede la vie. Il est ainsi à la base de la formation de l'idéal :
l'idéalisation de l'âme héroïque se confondra avec les figures multiples des dieux
païens, encore « trop humains ».
Nous pouvons prolonger, développer cette scène du deuil originaire, qui est aussi
celle de la naissance de l'âme et de l'activité poétique et métaphorique de la
pensée. Nous pouvons imaginer que c'est auprès du cadavre de l'aimé que le cri, la
lamentation, le gémissement déchirant de l'endeuillé (le choeur des femmes dans
Les Sept contre Thèbes
) se sont transformés en chant. La déploration privée et
solitaire est devenue
rite
et choeur
partagé et collectif
. C'est autour du défunt aimé
par le groupe que s'est consolidé le lien social, le noyau de la future polis, la cité.
Le chant et le poème originaires surgissent entre les morts et les vivants.
Le poète, ce héros de la communauté qui chante la mémoire et le destin d'un
peuple, est souvent le seul à établir un lien, un dialogue entre ceux qui sont restés
et ceux qui sont partis. Il parle aux morts. Les morts s'adressent à lui. Dans le
temps de la détresse, le poète contemporain semble réincarner les fonctions les
plus primitives de la parole poétique.
Dans la tragédie il ne peut y avoir de mystère ni pour l'auteur ni pour le lecteur,
mais seulement pour le personnage. Et il ne faudrait pas oublier que même au
coeur d'une tourmente politique et dans la pire des tragédies historiques tout
drame est un drame
intérieur
.
Il me faut retourner aux
tréteaux
, aux
poutres
(autre nom d'un cheval), il me faut
refaire à l'envers ce chemin qui mène de la caverne à la tragédie célébrée en plein
air, qui mène du deuil au chant. Il me faut arracher le masque du visage pour
retrouver le sens du visage du masque. Il me faut retourner aux mots sonnants
dans l'enceinte de marbre, retourner à l'étude de l'intensité, de l'enjeu avant le jeu
et la mise en scène obsolètes et inconnus en l'utérus de la tragédie. Il me faut, il
nous faut.
Tout le reste est art, de la peur qu'on n'ose pas avouer.
Je le répète, un
chantier
où se perdre avec plaisir dans du plaisir...
Jacques ROMAN
La conversation née des livres de Jean-Luc Nancy et de Edmundo Gômez Mango a nourri
cette adresse.
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