La Place Royale

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CORNEILLE
La Place Royale
•
CHRONOLOGIE
PRÉSENTATION
NOTES
DOSSIER
BIBLIOGRAPHIE
LEXIQUE
par Marc Escola
GF Flammarion
www.centrenationaldulivre.fr
© Flammarion, Paris, 2001, pour cette édition.
ISBN : 978-2-0807-1116-8
SOMMAIRE
CHRONOLOGIE
6
PRÉSENTATION
19
La Place Royale
Examen
Épître dédicatoire
Acte premier
Acte II
Acte III
Acte IV
Acte V
73
79
83
97
114
130
146
DOSSIER
1. La comédie selon Corneille
2. Esthétique du naturel et éthique
du ridicule
3. Inconstants par humeur
et indifférents par raison
4. Le Paris de la place Royale
163
177
185
195
BIBLIOGRAPHIE
199
LEXIQUE
205
Début du ministère de Richelieu.
Parution de Pyrame et Thisbé de Théophile de
Viau (pièce probablement créée deux ans auparavant).
Chapelain publie la Préface de l' Adone de
Marino, dans laquelle il définit les premiers éléments de sa théorie de la fiction.
Parution à Leyde (Hollande) du De tragoedice
constitutione liber de Heinsius, qui jouera un
rôle important dans l'élaboration de la théorie
moderne du théâtre.
Avènement de Louis XIII. Début de la régence de
Marie de Médicis.
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
Corneille est licencié en droit.
Corneille fait ses études au collège des jésuites à
Rouen.
6 juin : naissance à Rouen de Pierre Corneille.
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS 1
0.•
Clitandre ou l'Innocence délivrée, tragi-comédie.
La Veuve ou le Traître trahi, troisième pièce et
deuxième comédie.
Édition de Mélite.
La Galerie du Palais, comédie.
La Suivante et La Place Royale, sans doute
jouées, comme les pièces précédentes, par la
troupe de Mondory au théâtre du Marais.
Parution de l'Excusatio et édition de La Veuve
avec un important Avis au lecteur (Dossier).
1631-1632 Représentation probable des Galanteries du duc
d' Ossone, comédie de Mairet.
1632-1633
1633-1634
Rédaction par Chapelain de la Lettre sur la règle
des vingt-quatre heures (restée manuscrite), qui
pose le fondement rationnel des règles.
Création de Mélite ou les Fausses Lettres, première pièce et première comédie de Corneille, par
la troupe de Mondory. Succès éclatant.
1630-1631
1630
1629-1630 Représentation de La Bague de l'oubli de Rotrou,
et de La Silvanire de Mairet.
1624-1628 Parution du Théâtre d'Alexandre Hardy. La préface du cinquième et dernier volume est à l'origine d'une violente querelle autour des règles du
poème dramatique.
L'Illusion comique (théâtre du Marais).
Guerre avec l'Espagne. Prise de Corbie, panique
à Paris.
1" avril : Scudéry, Observations sur Le Cid.
[Anonyme], Discours à Cliton sur les Observations du « Cid », comportant un important Traité
La première du Cid a lieu le 5 (?) janvier.
Lettres de noblesse accordées au père de Corneille.
Représentation de La Comédie des Tuileries, la première œuvre des «Cinq Auteurs » réunis par Richelieu (Boisrobert, Corneille, Colletet, de l'Estoile et
Rotrou). Corneille écrit le troisième acte de la pièce,
et semble quitter très vite la compagnie.
Création de l'Académie française.
Scudéry, La Mort de César (théâtre du Marais).
Tristan L'Hermite, Marianne (théâtre du Marais).
Médée, la première tragédie de Corneille, est
créée au Marais.
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
Rotrou, Diane, comédie. Du Ryer, Les Vendanges
de Suresnes, comédie. Scudéry, La Comédie des
comédiens.
La représentation de Sophonisbe de Mairet (théâtre du Marais) et de l'Hercule mourant de Rotrou
(Hôtel de Bourgogne) ouvre la voie à ce que l'on
appellera la « tragédie classique ».
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS
co
Parution de La Poétique de La Mesnardière,
ouvrage de transition entre les poétiques de la
Renaissance et les poétiques du classicisme.
Révolte des Va-nu-pieds de Normandie et répression par le chancelier Séguier.
Un Discours de la tragédie ou Remarques sur
« L'Amour tyrannique » de M. de Scudéry, rédigé
par Sarasin et dédié à l'Académie, est publié en
tête de la pièce (1639).
Naissance du Dauphin, futur Louis XIV.
du Poème dramatique et de la prétendue règle
des vingt-quatre heures, probablement rédigé en
1631-1632.
Fin décembre : Les Sentiments de l'Académie sur
« Le Cid », rédigés par Chapelain.
Rotrou, Antigone (Hôtel de Bourgogne).
Du Ryer, Alcionée (théâtre du Marais).
Représentation de L'Amour tyrannique de Scudéry par les troupes réunies de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais.
Après une lecture de la pièce devant un comité de
doctes (parmi lesquels Chapelain et d'Aubignac),
20 février : achevé d'imprimer de La Galerie du
Palais et de La Place Royale.
23 mars : achevé d'imprimer du Cid.
•Ce
171
O
1••••••••••••••
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
La Mort de Pompée et Le Menteur (comédie) sont
créés au théâtre du Marais.
12 août : premier échec de la candidature de Corneille à l'Académie française.
Première édition collective des oeuvres de Corneille.
Le théâtre du Marais brûle le 15 janvier ; il ne
sera reconstruit qu'en octobre.
Polyeucte (théâtre du Marais).
Août ou septembre : création de Cinna au Marais.
Corneille épouse Marie de Lampérière. Édition
d' Horace, avec une dédicace à Richelieu.
une première représentation d' Horace a lieu en
privé au début du mois de mars ; la pièce est jouée
au Marais au début du mois de mai. Près de trois
ans après la Querelle du Cid, Corneille se trouve à
nouveau confronté aux critiques des doctes.
i
La Mort de Sénèque de Tristan L'Hermite est
jouée par les comédiens de l'Illustre-Théâtre.
14 mai : mort de Louis XIII. Début de la régence
d'Anne d'Autriche.
4 décembre : mort de Richelieu.
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS
1645- 1646
1645
22 janvier : Corneille est Clu 1 1'AcadCrnie.
Avril : Floridor quitte le thCBtre du Marais pour
1'HBtel de Bourgogne ; Corneille le suit sans doute.
Mazarin comrnande 1 Corneille une pibce 1
grand spectacle ; ce sera Andromtde, tragCdie i
machines mClCe de rnusique.
Dans la deuxibrne Cdition collective de son The'&tre, Corneille rebaptise Le Cid << tragCdie B et fait
prCcCder le texte d'un Avertissernent qui est sa
prernibre rCponse 1 1'AcadCrnie.
DCbut de la Fronde parlernentaire. Bamcades 1
Pans.
Rotrou, Cosro2s (?).
He'raclius (crCCe au Marais, la pikce figure ensuite
au repertoire de 1'HBtel de Bourgogne).
21 novembre : deuxibrne Cchec de Comeille B
1'AcadCrnie franqaise ; Du Ryer lui est prCfCrC
parce qu'il rCside 1 Paris.
~ c h e cde The'odore, la deuxikme tragCdie de
Corneille sujet chrCtien (thCBtre du Marais).
Orfeo, opCra italien de Rossi et Buti, est represent6 pendant le carnaval.
Rotrou, Le Ve'ritahle saint Genest (HBtel de
Bourgogne).
thCBtre du Marais.
La Suite du Menteur et Rodogune sont jouCes au
La paix de Rueil (11 mars 1649) met fin à la
guerre civile après le siège de Paris par les troupes royales.
Mesures d'épuration.
Arrestation des «Princes », Condé, Conti et Longueville.
Querelle du sonnet d'Uranie par Voiture et du
sonnet de Job par Benserade.
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
Échec de Pertharite. Dans l'Avis au lecteur qui
précède le texte de la pièce (1653), Corneille en
tire les conséquences : «Il vaut mieux que je
prenne congé de moi-même que d'attendre qu'on
me le donne tout à fait. »
Février : création de Nicomède (probablement à
l'Hôtel de Bourgogne).
Janvier : Andromède, tragédie à machines, est
créée au Petit-Bourbon.
Création de Don Sanche d'Aragon (sans doute à
l'Hôtel de Bourgogne), qui inaugure le genre de la
comédie héroïque. La publication de la pièce
(1650) sera précédée d'une lettre (Épître dédicatoire à M. de Zuylichem) dans laquelle Corneille
propose une redéfinition des genres dramatiques.
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS 1
1,)
1659
I LCC
25 janvier : la crCation d'CEdipe B I'HBtel de
Bourgogne marque le retour de Corneille 2I la
sckne.
Octobre : Cdition du Thkcitre de Corneille revu et
corrigk par l'auteur en trois volumes prCcCdCs
Mariage de Louis XIV avec Marie-ThCrkse d'Espagne.
Publication du premier livre de L'lmitation de
Jksus-Christ.
Signature de la paix des PyrCnCes (1'Espagne
ckde a la France 1'Artois et le Roussillon).
Molikre. Les Prkcieuses ridicules.
Publication de La Pratique du thkcitre de I'abbC
d'Aubignac, ouvrage conqu dans les annCes
1640. Constamment cite, le thCBtre de Corneille y
fait l'objet de louanges mais Cgalement de critiques concernant I'invraisemblance de certains
de ses dknouements.
Reprtsentation de Timocrate de Thomas Corneille (thCkre du Marais), considCr6 comme le
plus grand succks thCBtral du sikcle.
CrCation a Lyon de ~ ' ~ t o u r dlai premikre
,
comedie de Molikre.
Soulkvement gtnkral de la Fronde. DCsordres 21
Paris. Les principaux chefs de la Fronde sont
arr&tCs (novembre-dkcembre). L'autoritC royale
n'est rttablie qu'en 1653.
chacun d'un Discours et des Examens des pièces
contenues dans le volume.
Mi-février : première de La Toison d'or au
Marais.
25 février : première de Sertorius au Marais.
Mi-janvier : création de Sophonisbe à l'Hôtel de
Bourgogne.
Janvier : Corneille publie une édition de son
Théâtre en deux volumes in-folio, ce qui achève
d'établir son magistère théâtral.
9 mars : mort de Mazarin.
Début du règne personnel de Louis XIV.
Disgrâce de Fouquet.
Thomas Corneille, Camma.
Boyer, Oropaste ou le Faux Tonaxare.
26 décembre : Molière, L'École des femmes.
La Querelle de L'École des femmes met aux prises défenseurs et contempteurs de Molière, parmi
lesquels les deux frères Corneille.
Procès de Fouquet, où apparaît la somme perçue
par Corneille pour la dédicace d'Œdipe.
Trois ans après la publication des Discours,
l'abbé d'Aubignac répond à Corneille en publiant
trois Dissertations critiques consacrées à CEdipe,
Sertorius et Sophonisbe.
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
Novembre : La Conquête de la Toison d'or est
représentée «par échantillons» au château du
Neubourg.
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS
Publication de Britannicus, précédé d'une préface très critique à l'égard de Corneille.
21 novembre : première de la Bérénice de Racine
à l'Hôtel de Bourgogne.
5 février : après cinq ans de querelle et d'interdictions répétées, Le Tartuffe de Molière est joué
au Palais-Royal.
13 décembre : première de Britannicus de Racine.
28 novembre : première de Tite et Bérénice ;
jouée par la troupe de Molière au Palais-Royal.
4 mars : première d'Attila, pièce jouée par la
troupe de Molière au Palais-Royal.
17 novembre : création d'Andromaque de Racine
à l'Hôtel de Bourgogne.
Saint-Évremond, Dissertation sur Alexandre (premier des parallèles entre Corneille et Racine).
28 février : première d'Agésilas à l'Hôtel de
Bourgogne.
3 août : première d' Othon à Versailles, pièce
jouée ensuite à l'Hôtel de Bourgogne
(5 novembre).
4 juin : Molière, Le Misanthrope.
Quinault, Astrate (Hôtel de Bourgogne).
Décembre : création d'Alexandre le Grand de
Racine.
20 juin : la première tragédie de Racine, La Thébaïde, est jouée par la troupe de Molière au
Palais-Royal.
• • • • • • • • • • • • • • •
1 1 janvier : Alceste, tragédie lyrique de Lully et
Quinault créée au Palais-Royal.
18 août : première d' Iphigénie de Racine à
l'Orangerie de Versailles.
Boileau publie, outre L'Art poétique, une traduction du Traité du sublime du pseudo-Longin.
Rapin, Réflexions sur la poétique de ce temps.
12 janvier : Racine est élu à l'Académie française.
10 février : Molière, Le Malade imaginaire.
17 février : mort de Molière, qui a pour conséquence la fusion de la troupe de Molière avec
celle du Marais.
5 janvier : première de Bajazet de Racine.
Thomas Corneille, Ariane (26 février à l'Hôtel de
Bourgogne).
REPÈRES HISTORIQUES ET CULTURELS
Création de Suréna à l'Hôtel de Bourgogne (fin
novembre ou décembre).
Novembre : Pulchérie est représentée au Marais.
17 janvier : première de Psyché aux Tuileries.
« Tragédie-ballet» à machines, la pièce est le
fruit d'une collaboration entre Corneille, Molière,
Quinault et Lully.
VIE ET ŒUVRES DE CORNEILLE
Création de la Comédie-Française, qui naît de la
fusion des trois troupes parisiennes (de Molière,
du Marais et de l'Hôtel de Bourgogne).
1" janvier : première de Phèdre de Racine.
Mort de Corneille (lr octobre).
Parution de la dernière édition collective revue par
Corneille.
Au mois d'octobre, six tragédies de Corneille
(Horace, Cinna, Pompée, Rodogune, Œdipe et
Sertorius) sont reprises à Versailles.
—
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Présentation
La postérité a fixé Corneille dans un face-à-face avec
Racine qui nous prive d'une bonne part de son oeuvre vive :
sait-on bien que Corneille n'est pas venu au théâtre avec Le
Cid (1637) et que cette pièce n'était pas d'abord une tragédie
mais une tragi-comédie, tout comme Clitandre (1632), la
deuxième pièce du dramaturge? Peut-on imaginer que la
notoriété gagnée au cours de la fameuse Querelle du Cid, où
s'élaborèrent les grandes lois de l'esthétique classique, ne fit
qu'étendre et renouveler une réputation acquise, entre 1629
et 1635, par la création coup sur coup de cinq comédies
(Mélite, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La
Place Royale) et d'une Illusion comique qui s'apparente
encore au genre de la comédie ? Avant de se voir consacré
comme le « Sophocle français », Corneille eut une ambition
qui devait aussi, plus tard, animer Molière : mériter le nom de
« nouveau Térence ». La succession des chefs-d'oeuvre tragiques, à partir d'Horace (1640), qui représente «l'entrée en
tragédie » du dramaturge, ne mit d'ailleurs pas un terme à
cette carrière d'auteur comique : Le Menteur et La Suite du
Menteur (1643-1644) succèdent à Cinna, Polyeucte et La
Mort de Pompée. Ajoutons que Don Sanche d'Aragon (1649)
et Tite et Bérénice (1670) ne sont pas des tragédies mais des
« comédies héroïques ».
La diversité de ces désignations génériques (tragi-comédie,
comédie, comédie héroïque) témoigne d'une refonte complète du système des genres, engagée par le dramaturge dès
ses débuts, et au terme de laquelle la tragédie ne bénéficie pas
d'un véritable privilège théorique. Comment comprendre que
ce qui s'apparente à une manière de révolution poétique ait
été à ce point occulté ? On ne peut imputer son éclipse au seul
triomphe de la tragédie classique ; il faut compter bien sûr
avec le succès des comédies de Molière qui, dès Les Précieuses ridicules en 1659, rompent précisément avec ce qui
20
La Place Royale
faisait l'originalité de la définition cornélienne du genre
comique : la relative indépendance de la comédie à l'égard du
rire et des ridicules.
CORNEILLE AVANT CORNEILLE
Le «coup d'essai » fut un coup de maître : représentée à la
saison théâtrale 1629-1630, Mélite ou les Fausses Lettres
remporta un succès si «surprenant » qu'« il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris », comme vient le rappeler
en 1660, avec un orgueil quelque peu nostalgique, l'Examen
de cette première pièce (Document 2). L'auteur en était à ce
point inconnu que l'affiche ne le nommait même pas. La
jeune troupe de Le Noir et Mondory, qui créa cette pièce désignée simplement comme «pièce comique », se fixa en effet
durablement à Paris et, avant même son installation au théâtre
du Marais, vint menacer le monopole des Comédiens du roi
installés à l'Hôtel de Bourgogne. Le même Examen énonce
avec une égale modestie les raisons de ce succès :
La nouveauté de ce genre de Comédie, dont il n'y a point
d'exemple en aucune Langue, et le style naïf, qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause
de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n'avait
jamais vu jusque-là que la Comédie fit rire sans Personnages ridicules, tels que les Valets bouffons, les Parasites, les Capitans, les
Docteurs, etc.
La «comédie nouvelle» rompt à la fois avec le canon des
comédies antiques et avec le fonds traditionnel des farces
composées sur le modèle italien de la commedia dell'arte qui
avaient fait le succès de l'Hôtel de Bourgogne — Corneille
vise implicitement les trois fameux acteurs comiques de la
troupe rivale (Turlupin, Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume),
spécialisés dans les rôles de personnages ridicules. Nouveaux
personnages, nouvelles intrigues et nouveau langage : Mélite
donnait à voir et à entendre une jeunesse enjouée et élégante,
engagée dans une intrigue galante riche en rebondissements
divertissants aussi bien que pathétiques. Le refus des traditionnels ridicules attachés au genre comique ouvrait la voie à
Présentation 2!
une représentation au naturel de la société contemporaine, et
plus encore à une comédie de moeurs dont la postérité, de
Marivaux à Musset, est assez longue.
Mais la formule éclaire aussi les choix par lesquels Corneille prétendit entrer dans la carrière : pourquoi une « pièce
comique » plutôt qu'une pastorale ou une tragi-comédie — les
deux genres alors à la mode et d'ailleurs mal différenciés, ceux
par lesquels un jeune dramaturge était le mieux à même de se
faire un nom —, ou même une tragédie — le plus élevé des genres
dramatiques depuis sa résurrection à la fin du xvie siècle ?
À l'heure où Corneille s'apprêtait à affronter le public parisien, la scène théâtrale était le lieu d'une première querelle
des Anciens et des Modernes, dont la suite de l'Examen de
Mélite désigne les principaux protagonistes ' : d'un côté, le
«vieil Hardy », adepte d'une tragédie « à l'ancienne », et les
«savants », zélateurs de l'unité de jour édictée par Aristote et
Horace (« l'unique règle que l'on connût en ce temps-là », V,
p. 22) ; de l'autre, une jeune génération de dramaturges, à
l'exemple d'Auvray ou de Du Ryer, partisans de la tragicomédie, présentée comme un genre « moderne », émancipé
de la règle des vingt-quatre heures. Avec Mélite, Corneille se
situait résolument en marge de ce débat, comme l'a souligné
G. Forestier, d'autant que la comédie constituait un genre alors
moribond que le jeune dramaturge pouvait espérer ressusciter :
En choisissant une comédie, genre aussi « ancien » que la tragédie, sans s'assujettir au modèle italien ni chercher la régularité,
Corneille — accueilli par Mondory, quand Bellerose [à l'Hôtel de
Bourgogne] soutenait les jeunes adversaires de Hardy — répondait
aux uns et aux autres. Sans être iconoclaste comme les auteurs de
sa génération, il montrait qu'on pouvait être moderne tout en se
coulant dans le moule d'un genre hérité de l'Antiquité 2.
Cette « nouvelle comédie » empruntait en outre nombre de
ses ressorts dramatiques aux pastorales à la mode : jeunesse
1.Voir Document 2, et l'analyse de G. Forestier, «La naissance de la
comédie cornélienne et le débat théâtral des années 1628-1630. À propos
d'un livre récent », XVII' Siècle, 166, janv.-mars 1990, 1990, p. 106109 ; pour le détail de la querelle : G. Forestier, « De la modernité anticlassique au classicisme moderne. Le modèle théâtral (1628-1634) »,
Littératures classiques, 19, 1983, p. 87-128.
2. «La naissance de la comédie cornélienne... », art. cit., p. 107.
Lexique
Q
QUARTIER : « avoir des amants
par quartier » (v. 39), les
renouveler trimestriellement
(la multiplication des charges
de fonctionnaires royaux avait
conduit à les partager entre
plusieurs titulaires qui exerçaient leurs fonction pendant
un semestre ou un trimestre
ou quartier). La locution
figure dans le Dictionnaire
des précieux de Somaize.
R
(v. 721, 1420) : beauté
délaissée par un premier
amant auquel elle a accordé
des faveurs (sens fréquent
dans la poésie galante), rebut.
RÊVER (v. 300) : sens voisin de
« délirer » (Alidor craint les
fureurs du jaloux) ; « faire des
songes extravagants, et particulièrement quand on est
malade ou en délire. On craint
dans la fièvre le transport au
cerveau quand le malade
commence à rêver » (Furetière).
RÊVERIE (v. 1149) : « imaginations sottes et visions ridicules qu'on se met dans
l'esprit » (Richelet).
RISÉE (v. 310) : moquerie,
raillerie (Richelet).
RESTE
S
(v. 1428) : « sorte
d'excuse que l'on fait à une
personne que l'on a offensée » (Richelet).
SÉDUIRE (v. 1108) : tromper ;
décevoir, abuser : « tromper
une personne dans les choses
qui concernent la Religion, ou
les moeurs » (Richelet). — Inspirer de l'amour (v. 1081).
SOIN (passim): souci.
Souci (passim): tous les dictionnaires donnent le sens défavorable de « soin fâcheux »;
chez Corneille et dans la
langue littéraire : objet d'inquiétude (témoignage de sollicitude amoureuse).
SUCCÉDER (v. 647, 1339) : réussir.
SATISFACTION
T
développer (v. 85) ;
«on dit qu'un homme taille
en plein drap lorsqu'il a beaucoup de sujet, de matière,
qu'il a grande liberté de
s'étendre» (Furetière).
TENIR (EN) (v. 915) : voir AILE.
TIMIDE (v. 1158) : craintif.
TOURNÉ (v. 1496) : changé.
(SE) TOURNER (EN) (v. 988,
1073) : se changer, devenir.
TRAVERSE (À LA) : venir en travers du chemin, faire obstacle
(v. 1040).
TAILLER :
209
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