SICILE SEGESTE Ségeste, capitale des Elymes, n’a jamais été une cité grecque.Convoitée par les habitants de Sélinonte et par les Carthaginois, Ségeste a eu une histoire très mouvementée qui se solde par son abandon au 9e siècle. Le temple et le théâtre, seuls, témoignent de la vie de cette fière cité. UNE CITÉ TRÈS CONVOITÉE Une cité élyme LA RUSE DES SÉGESTINS Ségeste, modeste cité de Sicile, va involontairement jouer un rôle déterminant dans l’histoire du monde grec. En 416 av JC, après avoir en vain fait appel à Agrigente et à Carthage, elle promet alors à Athènes une forte contribution financière si la cité grecque l’aidait dans sa lutte contre Sélinonte. Prudents, les Athéniens envoyèrent une ambassade s’assurer de la richesse de la ville. Les ambassadeurs revinrent enthousiastes : ils avaient été reçus royalement dans une ville où tous les habitants qui les avaient invités mangeaient dans une vaisselle d’or et d’argent et où on édifiait un temple aussi raffiné que le Parthénon. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’on avait rassemblé toute la plus belle vaisselle de la ville et que les familles l’utilisaient à tour de rôle lorsqu’elles invitaient les ambassadeurs d’Athènes durant leur séjour...! Athènes envoie donc une très importante expédition armée qui est écrasée devant Syracuse en 413 av JC. Cette sévère défaite sonne le glas de la suprématie athénienne . Ségeste, Egesta en grec, Segesta en latin, était la capitale des Elymes. Qui étaient ces Elymes ? Un peuple dont l’origine reste encore mystérieuse, certainement formé d’autochtones (peut-être des Sicanes) mêlés à une population venue d’Asie Mineure (peut-être Troyens). Leur riche territoire agricole était très convoité par leurs voisins, les Grecs de Sélinonte et les Carthaginois. Conflits avec Sélinonte En 415 av JC, éclate la première guerre contre Sélinonte, alors soutenue par Syracuse. Ségeste demande de l’aide à Carthage qui refuse, puis se tourne vers Athènes. Les Athéniens, trompés par l’apparente richesse de la cité (voir encadré), se lancent dans l’expédition de Sicile dont l’issue désastreuse marquera la fin de la suprématie d’Athènes sur le monde grec. La défaite d’Athènes rend encore plus difficile la situation de Ségeste face à ses ennemis. En 409, Sélinonte attaque à nouveau Ségeste, qui demande alors du renfort à Carthage. Hannibal intervient et détruit la cité grecque de Sélinonte. Les aléas de l’histoire La vie de la cité est désormais soumise aux événements extérieurs. Au 4e siècle av JC, Ségeste souffre de la lutte acharnée entre Grecs et Carthaginois pour la possession de la Sicile. En 307,Agathoclès, tyran de Syracuse détruit la ville et massacre ses habitants. Attaquée par les Carthaginois lors de la 1ère guerre punique (264 - 241 av JC), elle est délivrée par les Romains et fera partie désormais de l’Empire. Disparition Dévastée par les Vandales de Genséric au 5e siècle ap JC, puis par les Arabes au 9e siècle, elle est alors abandonnée par ses habitants. LE TEMPLE DE SÉGESTE “Il semble maintenant appuyé à la montagne, bien qu’un ravin profond l’en sépare [...]. Et il se détache admirablement, avec ses trente-six colonnes doriques, sur l’immense draperie verte qui sert de fond à l’énorme monument, debout, tout seul, dans cette campagne illimitée. [...] Il semble avoir été posé au pied de cette montagne par un homme de génie qui avait eu la révélation du point unique où il devait être élevé. Il anime, à lui tout seul, l’immensité du paysage...” Guy de Maupassant, La vie errante, 1889 Temple Théâtre CENTRE URBAIN 0 200 400m Murailles antiques Sanctuaire LE SITE Si la cité n’était pas grecque, ce sont pourtant deux monuments grecs qui en subsitent aujourd’hui, témoins du vif goût des habitants pour l’art hellénique. Le temple Construit à la fin du 5e s. av JC par un architecte grec, il se dresse sur une promontoire distant d’environ 500m du Mont Barbaro où était édifiée la ville. Il est périptère, c’est à dire entouré de colonnes, hexastyle (6 colonnes en façade) et de style dorique. Il présente une particularité unique : seuls les colonnades, l’entablement et les frontons sont édifiés. Pourquoi ? La question reste ouverte. Les tenons des pierres du stylobate sont encore visibles. Ce dessin explique com ment ils servaient au transport et à la mise en place des blocs. • Le soubassement légère m e n t renflé sur les côtés, pour corriger les illusions d’optique, comme au Parthénon. • Les blocs de fondation qui portent encore les tenons permettant de les transporter. • Les colonnes, qui ne sont pas cannelées. LE MYSTÈRE DU TEMPLE Si tout le monde s’accorde pour célébrer sa beauté, en revanche diverses hypothèses sont émises en ce qui concerne sa construction et son usage. A. t’Stertensens, grand voyageur des années 1960 et fin connaisseur du monde méditerranéen nous fait part de ses interrogations : “C’est une énigme que ce temple. Intact dans toutes ses parties, [...] il nous présente dans leur stabilité millénaire son stylobate à hauts degrés, ses quatre rangées de colonnes sans cannelures, sa frise sans métopes sculptées et ses deux frontons sans ornements, en tout conforme cependant au plus strict modèle dorique ; mais il n’y pas de noas [...]. On en a déduit que le temple n’avait jamais été terminé, mais il est certain que dans la construction des temples le naos devait être bâti avant la colonnade, pour ne pas avoir à passer les pierres entre les fûts dont l’écart n’a guère plus de deux mètres. Par ailleurs, sans naos, comment les architectes envisageaient-ils de supporter la charpente du toit? [...] Consacré à quel dieu ? Grec, certainement pas. [...] Pour conclure, il ne peut s’agir ni d’un monument inachevé ni d’un temple sans culte traditionnel, et le problème reste entier.” Le théâtre ❖ Le mur de scène a cependant disparu. Situé sur le Mont Barbaro, une colline plus élevée que celle où est construit le temple, le théâtre date de l’époque hellénistique (3e s av JC). Il a été édifié sur l’emplacement d’une grotte, peut-être un ancien lieu de culte. Séparé verticalement en 7 secteurs (kerkidès), il mesure 63 m de diamètre et compte 20 gradins. Ce petit théâtre très bien conservé ❖ offre une vue splendide sur le golfe de Castellamare, qui était autrefois le port de la cité de Ségeste. RESTITUTION DE LA STRUCTURE SCÉNIQUE A l’origine, le mur de scène était richement orné de pilastres, de colonnes et de télamons du dieu Pan. L’orchestra était dotée d’un pas sage souterrain et d’un escalier qui permet taient aux acteurs de surprendre les specta teurs en surgissant dehors à l’improviste. Cet édifice scénique est remanié à l’époque romaine (1er s. av JC) : le proscenium est élargi et une file de minces colonnes est ajou tée à la façade, comme nous le montre le des sin ci-contre. Autres vestiges Des fouilles sont actuellement en cours. On a trouvé autour du théâtre des traces d’habitat archaïque du 7e et 5e siè➵ cles av JC. On a dégagé des murs de fortification entre le temple et le théâtre. ➵ Au Sud-Est du mont Barbaro, se trouve un important sanctuaire extérieur à ➵ la ville daté du 6e siècle av JC. Texte, conception, réalisation : Magali & Claude CHARPENTIER, Michèle GOZARD - Edition 2003