SENEGAL: Crise économique et ajustement structurel © Editions Nouvelles du Sud, 1990 Moustapha Kassé SENEGAL: Crise économique et ajustement structurel Editions Nouvelles du Sud 46. rue Barbès - 94200 IVRY-SUR-SEINE REMERCIEMENTS Je tiens particulièrement à remercier M. Lamine Sakho, consultant et chargé de recherche au C.R.E.A. pour l'important appui qu'il m'a apporté dans la rédaction de cet ouvrage, notamment au plan de la collection de l'information et du traitement de certaines données. Mes remerciements vont également à Mesdames Louise Dioh et Aminata Gueye qui ont assuré avec diligence et compétence la dactylographie du manuscrit. Que tous ceux qui, au C.R.E.A. ou ailleurs, ont eu à contribuer d'une quelconque manière à la rédaction et à la publication du présent ouvrage trouvent ici l'expression de mes plus vifs remerciements. L'auteur 5 INTRODUCTION GENERALE La crise, nous rappelle A. Gunder Frank, ne signifie pas la fin; elle est une période durant laquelle une entité ou système social, économique et politique malade ne peut continuer à vivre comme avant et doit, sous peine de mort, entreprendre des transformations qui lui permettront d'entamer un nouveau cycle de vie (1). De ce point de vue, la crise a une vertu pédagogique en ce qu'elle peut lever les incertitudes du moment et annoncer un avenir meilleur si bien sûr le ciel ne 'tombe sur la tête des acteurs pour obstruer leur vision et les faire marcher à reculons. Elle est alors pleine d'enseignements et offre toujours de grandes opportunités de changement pourvu qu'on lui accorde toute l'attention scientifique indispensable. La crise qui s'est installée au Sénégal, au début des années quatre vingts, provoquant de très amples déséquilibres financiers et l'instauration d'un vaste programme d'ajustement et de restructuration dans les secteurs décisifs de l'activité productive, demeure encore une crise mal connue et d'une maîtrise mal aisée. Les formulations théoriques en ce qui la concerne sont rarissimes et les recherches concrètes simplement inexistantes. On dénombre, bien sûr, çà et là, quelques documents éparpillés ainsi que des statistiques disparates qui ont besoin d'être synthétisées et exploitées pour comprendre ce qui s'est véri1ablement passé dans le système économique et qui a abouti en 1979 à des ruptures de tendance se manifestant par la regression de la croissance, le déficit de la balance des paiements et des finances publiques, l'envolée de l'endettement avec des menaces d'insolvabilité. Bien que les économistes contemporains répugnent à procéder à une analyse affinée des crises, celles-ci sont devenues aujourd'hui le comportement normal de tous les systèmes économiques 7 et sociaux battant ainsi en brèche la vision théorique selon laquelle le fonctionnement sans entraves des mécanismes fondamentaux conduit les économies vers un équilibre automatique sans risque de perturbations durables. Les faits démentent cette vision, et établissent partout l'évidence des déséquilibres et des crises: crise des modes de régulation étatique et de marché, crise des systèmes d'accumulation productive, crise des rapports économiques et monétaires internationaux, crise sociale et du travail ... Ces phénomènes sont trop importants pour continuer d'être incomplètement évalués et sous-étudiés particulièrement pour les pays en voie de développement qui ont besoin d'un référentiel théorique solide leur permettant de comprendre leurs complexes réalités socio-économiques en vue d'agir efficacement sur elles pour amorcer et entretenir une dynamique irréversible de reproduction eot de croissance de l'ensemble des forces productives. Cette analyse n'est en définitive, ni une esquisse théorique, ni une simple monographie d'une économie en situation de déséquilibre, mais se veut une modeste contribution au débat sur la crise et l'ajustement au Sénégal. Elle exhume une série de faits d'orientations et de contradictions structurelles qui constituent une grille de lecture d'une situation qui est finalement propre à la plupart des pays en voie de développement et pour laquelle la seule solution présentement entrevue réside dans la mise en place de politiques d'ajustement structurel pour le rétablissement des grands équilibres macroéconomiques et surtout macrofinanciers. Ce qui est frappant dans toutes les évaluations du processus de développement au Sénégal, ce sont les divergences fondamentales d'appréciation à partir des indicateurs quantitatifs mis en évidence pour caractériser et expliquer la crise. Les bilans diagnostics et les thérapeutiques proposées sont si divers et si contradictoires parfois qu'on est amené à se demander si beaucoup de spécialistes, pOl/rtant compétents, ne se sont pas trompés sur la nature réelle de ladite crise. Pourtant, on peut évoquer trois principales manifestations révélatrices d'une crise économique et financière profonde et qui font au moins l'unanimité parce qu'étant des constats objectifs: d'abord la faible croissance de la production sur une période longue au taux moyen, de 2,3 % avec une stagnation, voire une baisse des revenus réels; ensuite le déficit chronique de la balance des paiements restreignant les capacités vitales d'importation de produits vivriers, de biens de consommation et d'équipement qui comblent les pénuries et les déficits internes; enfin les difficultés permanentes de maîtrise de la gestion des finances publiques. 8 Ces pathologies constatees relèvent d'un excès de consommation intérieure dû il une explosIOn de la demande publique et privée alors même que les possibilités de production restent encore très restreintes. Ce déséquilibre entre les capacités de consommation et les capacités de production révèle que le Sénégal vit largement" au-dessus de ses moyens ", ce qui le contraint à financer son déficit en ressources par un "sur-endettement" extérieur relatif. Cependant, la détérioration des conditions de l'endettement, la hausse des taux d'intérêts réels, la récession mondiale, la restriction des moyens de paiements et des surplus imposent une nécessaire correction des déséquilibres. Sur l'ensemble de ces éléments, un vaste consensus semble se dégager entre tous ceux qui entreprennent de comprendre la situation économique du Sénégal. Cependant, dès que l'on remonte aux causes et que l'on envisage des perspectives de solution, les clivages et divergences d'appréciation réapparaissent. Quels sont les facteurs-clés de la montée des déséquilibres ayant conduit au recours aux crédits conditionnels du F.M.!. en 1979 ? Plusieurs facteurs sont avancés car on admet généralement que des disfonctionnements aLlssi importants ne peuvent avoir de cause unique. Ainsi, en matière de facteurs de crise, certains auteurs avancent que le Sénégal, à l'instar de la plupart des pays sous-développés, n'a pu faire l'économie d'une double extraversion mal gérée dans les politiques économiques mises en place après l'indépendance. - Une double désarticulation: la désarticulation est d'abord sectorielle parce qu'elle se traduit par la faiblesse, voire l'inexistence de liaisons intersectorielles: l'économie sénégalaise est ainsi essentiellement constituée d'enclaves fonctionnant de façon quasi autonomes et isolées les unes des autres. Elle est ensuite sociale (déséquilibre ville-campagne) parce qu'elle génère un développement anarchique et incontrôlable du secteur tertiaire du fait de l'accélération de l'exode rural et de la prolifération subséquente de multiples activités informelles. - Une double extraversion: en premier lieu, elle relève de la structuration d'un système productif fondé sur une spécialisation dans la production de matières premières agricoles et minières (arachides et phosphates notamment) non intégralement valorisées localement, mais plutôt vendues sur les marchés internationaux : c'est l'extraversion des structure productives. En second lieu, et en conséquence de ce qui précède, un modèle de consommation de l'élite urbaine qui s'est progressivement généralisé, imposant le recours à de massives et coûteuses importations de biens et de produits alimentaires destinées à couvrir notamment les besoins vivriers d'une population en crois- 9 sance rapide; c'est le deuxième volet de l'extraversion: celle des structures de consommation. D'autres auteurs insistent sur les fac·teurs d'origine exetrne qui ont défavorablement affecté le processus de croissance et d'expansion; ce sont en l'occurrence la crise énergétique mondiale, le dérèglement du système monétaire international, la récession économique et le regain du protectionnisme dans les pays développés, la chute généralisée des cours des matières premières et l'inflation mondiale. Alors, les relations économiques et financières internationales apparaissent comme des ondes de choc accélérant et amplifiant la crise des structures internes. Les experts internationaux, du F.M.!. et de la Banque Mondiale insistent, quant à eux sur les difficultés économiques et financières actuelles qui proviennent de chocs extérieurs mais aussi de contraintes structurelles et de politiques économiques inappropriées: mauvaise gestion de la demande, distorsions dans la structure des coûts et des prix, expansion trop forte du crédit, taux d'intérêts réels inadéquats, hypertrophie des entreprises publiques ... D'autres facteurs sont souvent évoqués dans le débat comme l'instabilité de l'environnement et les handicaps naturels qui entraÎnent une série de conséquences négatives sur la production agricole et les rendements. Peut-on se contenter de cette analyse factuelle qui a sans doute le mérite de réunir un ensemble varié d'indicateurs et de statistiques susceptibles de nourrir la réflexion? Il ne nous semble pas souhaitable de s'arrêter à ce seul niveau d'observation de manifestations apparentes et de constats quantitatifs. Il serait trop superficiel de définir une crise aussi profonde et aussi complexe simplement par des symptômes qui ne sont en définitive que les effets de surface de pénomènes plus significatifs qu'il faut rechercher dans le modèle de développement et SUrtout dans son système d'accumulation que traduit le processus de création et d'accroissement des surplus monétaires et qui a pour fondement la transformation permanente du système des forces productives, la croissance de la production, la formation et la distribution des revenus et enfin les modifications des modes de consommation et de vie. Or donc, le mode d'accumulation fondé sur le prélèvement et l'utilisation d'une rente d'origine agricole et minière ne permet plus la formation d'une base autonome et moins vulnérable de surplus à même de contribuer à la reconstitution et à l'élargissement du potentiel de production. Ce blocage des mécanismes de 1'3ccumulation intérieure procède d'une déficience des politiques sectorielles appliquées et du système d'allocation improductive des surplus que les politiques ont généré. La question de fond de l'origine de la crise 10 de l'économie sénégalaise est certainement à chercher du côté du modèle de développement et de son système d'accumulation. C'est cela que certains économistes professionnels ont maladroitement baptisé « crise du développement» qui renvoie en fait à la crise des 1héories qui sous-tendent ce développement, théories qui se sont révélées à la fois inaptes à l'explication et à l'action. En vérité, les appareils conceptuels keynésien, néoclassique et marxiste n'ont jamais autorisé ni une connaissance infaillible et sûre, ni des formulations rigoureuses de politiques économiques performantes pour les pays en voie de développement. A l'analyse, la crise de l'économie sénégalaise apparaît comme la manifestation isolée d'une crise plus générale du développement du système périphérique qui se traduit par l'impasse et le blocage des mécanismes d'accumulation. Les politiques économiques qui portent ces mécanismes s'avèrent totalement impuissantes à introduire durablement des transformations économiques, techniques et sociales qui garantissent l'avènement d'un processus irréversible de croissance. Les symptômes dans le cas sénégalais sont : • • • • la non émergence d'une agriculture capable de satisfaire une demande alimentaire explosive et d'enrichir la majorité paysanne; une industrie monopolaire peu compétitive et extrêmement protégée; un sous-emploi massif qui affecte progressivement la majorité les diplômés du système d'enseignement et de formation; l'hypertrophie du secteur public et parapublic caractérisée par les pesanteurs d'une bureaucratie lourde et paralysante ayant une forte propension à élargir ses privilèges, contribuant ainsi à accentuer les déficits chroniques et cumulatifs de la balance de::; paiements et des finances publiques. Ces politiques coûteuses au double plan financier et social ne pouvaient se poursuivre qu'au moyen d'un « sur-endettement» qui a aujourd'hui atteint ses limites du fait du durcissement des concitions d'emprunts extérieurs et qui s'explique du reste par l'insolvabilité croissante de nombreux pays en voie de développement ainsi que par la persistance de la crise dans les pays riches. Si les experts et les techniciens du développement ne sont pas unanimes sur l'appréciation des causes de la crise, qu'en est-il des solutions préconisées? Au début des années quatrevingts s'ouvre une phase critique marquée par la stagnation de la production nationale, la dégradation des équilibres financiers 11 et la flambée de l'endettement extérieur. Il est alors apparu que pour conjurer la montée de tous ces périls, il devenait impératif de mettre en œuvre une stratégie corrective destinée à stabiliser, redresser et ajuster l'économie, accroître les investissements dans les secteurs productifs, augmenter l'épargne interne, libéraliser le commerce et jeter les bases d'un nouveau mode de régulation économique et d'allocation des ressources exclusivement fondé sur l'efficience. Dans ces conditions, )e F.M.!. apparaît comme un interlocuteur incontournable et le gestionnaire de la crise financière, d'abord parce qu'il est un organisme important de prêts directs et ensuite parce qu'il rassure et mobilise les divers créanciers qui considèrent que les programmes d'ajustement sont les seules voies pour restaurer les équilibres, surtout celui de la balance des paiements. Cependant, ces politiques d'ajustement sont très controversées au double niveau de leurs fondements théoriques et de leurs résul'tats pratiques. Le premier point concernant la conception des programmes d'ajustement appelle une série de questions portant sur le modèle macroéconomique de référence, son degré de cohérence et de pertinence dans une économie désarticulée comme celle du Sénégal. Le second point des débats et des controverses s'intéresse à la capacité des politiques d'ajustement à résoudre la crise. En effet, ciblant principalemen't le court terme, elles ont tendance à se résumer le plus souvent à une simple gestion de la demande intérieure dont les effets déflationnistes peuvent être économiquement négatifs (restriction de la croissance, risque de cassure du tissu productif...), et socialement explosifs (révoltes populaires, paupérisation accrue des couches vulnérables...). En définitive, la crise de l'économie sénégalaise ainsi que la politique de stabilisation, de redressement et d'ajustement destinée à la solutionner sont diversement appréciées. Elles suscitent des débats importants qui pourront décider de notre avenir. Nous avons voulu apporter quelques éléments complémentaires d'enrichissement et de clarification pour mieux comprendre certaines évolutions en vue de mieux agir sur elles. La réflexion à laquelle nous allons procéder consistera dans une première partie à évoquer les structures politiques et administratives de gestion du développement mises en place depuis 1960 ; à inventorier et analyser les causes de la montée de l'endettement extérieur ainsi que les fondements de la crise actuelle de paiements qui impose une longue période d'austérité au niveau de l'Etat et dans tout le corps social ainsi que des modifications dans les orientations et les structures productives en vue d'une réallocation des facteurs de production Qui soit désormais favorable au développement et à la croissance économique. Il s'agit alors 12 de clarifier la nature de la crise et d'affiner l'analyse de ses causes en vue de mieux agir sur elles. La seconde partie de cette recherche est consacrée à une évaluation de la politique de sortie de crise et de relance de la croissance par l'ajustement structurel et l'austérité. La question est de savoir si cette politique qui se généralise dans la plupart des pays du Tiers Monde sous l'impulsion des institutions financières internationales (F.M.!. et Banque Mondiale notamment) est performante. La problématique n'est pas sans intérêts car la politique d'ajustement basée principalement sur des politiques budgétaires et monétaires restrictives assorties de dévaluations importantes est largement controversée au double plan de ses fondements 'théoriques fragiles et de ses résultats pratiques amoindris par ailleurs par des coûts sociaux exorbitants. Par conséquent, nous ferons faire au modèle d'ajustement un test de pertinence pour mieux maîtriser ses limites théoriques et sa portée pratique. Cette évaluation critique devrait s'achever sur la formulation d'une stratégie alternative à l'ajustement et qui tienne un meilleur compte des options socialiste et démocratique de notre pays dont il faut restaurer la flexibilité en vue d'élaborer des politiques économiques capables de réaliser un dosage réaliste des différents instruments (fiscalité, budget, monnaie, répartition ... ) dans la recherche permanente de l'efficience économique et de l'idéal de justice sociale. Au demeurant, cette contribution se place dans la ligne des recherches de nouvelles alternatives économiques et sociales en partant d'une expérience concrète de crise dans un pays sousdéveloppé, de su rc roÎt sahél ien et doté de ressou rces natu relies limitées. (1) Frank. Crise de l'idéologie et idéologie de la crise in • La crise. quelle crise? Ed. F. Maspero, 1982, Collection • Textes à "appui. p 110-163. 13 Première partie LA GESTION DU DEVELOPPEMENT DE L'INDEPENDANCE A LA CRISE DES ANNEES 70 Comme pour la plupart des pays africains dès leur accession à la souveraineté internationale, s'est posé au Sénégal l'incontournable problème du développement économique et social. Ce pays nouvellement indépendant, économiquement arriéré, comptabilisait à son passif plus d'un siècle de domination coloniale directe. C'est alors que se fondant sur une certaine "voie africaine du socialisme" (1), les autorités politiques ont officiellement choisi une stratégie de développement qui se voulait une alternative à la fois au capitalisme libéral et au socialisme scientifique. Cependant, les bases de ce communautarisme négro-africain n'ayant pas été clairement définies et identifiées afin de situer le rôle et l'importance des différents agents économiques nationaux et plus fondamentalement le mode d'appropriation des moyens de production, l'on assista à la reconduction pure et simple, voire au renforcement de l'intégration des structures économiques du pays - telles que modelées par l'économie coloniale - au marché mondial. Au plan du développement économique. le socialisme africain met en place un modèle d'accumulation qui se fonde principalement sur la rente agricole et minière; il s'agit de prélèvements opérés sur le secteur agricole et minier en vue de constituer des surplus capables de financer de façon autonome le développement. Or, les ressources mobilisées, bien qu'elles aient été importantes, n'ont nullement permis une élevalion des forces produc- 15 tives matérielles et une allocation de facteurs favorable à la croissance économique. Depuis la décennie 1960, le taux de croissance du P.I.B. est resté très modeste et s'est fixé à environ 2,30 % en moyenne annuelle. Selon la Banque Mondiale, cela constitue le taux le plus faible de tous les Etats africains épargnés par la Guerre (2). Plus grave, le Sénégal n'a pas atteint en matière de croissance, les modestes résultats de ses voisins sahéliens. Cette phase critique du développement économique et social qui se manifeste par les déséquilibres financiers et la crise de liquidité procède, selon le diagnostic largement partagé de la Banque Mondiale, de la conjugaison de quatre facteurs: premièrement les déséquilibres financiers insoutenables dans le secteur public et l'hypertrophie de ce secteur auxquels viennent s'ajouter des faiblesses institutionnelles dans le système de planification et de mise au point des politiques et et rouages d'exécution; deuxièmement l'incapacité à maintenir la croissance des exportations et des produits de substitution aux importations du fait d'incitations inadéquates et d'interventions inefficaces tant dans le secteur agricole que dans Je secteur industriel; troisièmement le taux de rentabilité généralement faible des investissements et par conséquent l'impossibilité de mobiliser l'épargne publique nécessaire à l'amortissement, à la maintenance et à l'exploitation de ces immobilisations; et quatrièmement, résultat des facteurs précédents, la situation déficitaire de la balance des paiements et les graves difficultés du service de la dette auxquelles il n'a pas encore été trouvé de solution durable (3). Dans le secteur industriel, l'option d'une politique d'industrialisation substitutive à l'importation, juxtaposée à la création d' « enclaves industrielles» que constituent les exploitations minières, n'a pas favorisé la mise en place d'un véritable tissu industriel suffisamment intégré au reste de l'économie nationale et capable de mettre en valeur les ressources de base. Quant au secteur tertiaire, son hypertrophie anormale attestait particulièrement de l'incapacité des deux premiers secteurs à absorber efficacement le flux additionnel de main-d'œuvre qu'impliquaient la croissance démographique et l'explosion urbaine. Dans le quaternaire enfin, si d'appréciables efforts ont été réalisés en matière d'éducation, de formation et de santé, d'énormes besoins restent encore à satisfaire et seront de plus en plus limités dans leur réalisation par les contraintes financières draconiennes que le pays subit présentement notamment du fait de la persistance du déficit des finances publiques (4). 16 Toutes les caractéristiques défavorables ci-dessus énumérées et amplifiées par le déréglement économique et monétaire international du début des années 70, précipiteront le Sénégal dans un cycle interrompu des déficits et des déséquilibres de divers ordres dont le caractère éminemment structurel commence à être de mieux en mieux perçu, " s'y ajoute que la permanence de tels déséquilibres économiques et financiers provoque tout au long des années 80 une montée de la dette extérieure dont l'utilisation peu efficiente conjuguée à un durcissement des conditions d'emprunt, posera la double problématique de la crise de paiements et de solvabilité, (1) L.S. Senghor' Liberté 2, Edition Présence Africaine, Sénégal. (2) Banque Mondiale: Mémorandum économique, p. 2, 5 novembre 1984. (3) Mémorandum économiqu/, op. cit., p. 23. (4) Pour ce qui concerne l'Ecole qui faisait dire il René Dumont que. l'enfant qui sort du primaire n'a été préparé qu'au secondaire, et n'a rien appris, ni pour mieux travailler aux champs ou il l'atelier, ni pour mieux vivre au village. Il refuse donc de travailler la terre·, elle doit être profondément repensée pour former des jeunes capables de créer leur propre emploi et en conséquence de se prendre en charge La Commission Nationale de Réforme des Enseignements et de la Formation issue des Etats Généraux de l'Education a la mission de réaliser ces objectifs. 17 Chapitre 1 LES STRUCTURES DE GESTION DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL Section 1: L'ADMINISTRATION ECONOMIQUE ET LE SOCIALISME DEMOCRATIQUE Au lendemain de l'indépendance du Sénégal, "agriculture notamment vivrière était exsangue, le tissu industriel assez faible et les activités tertiaires contrôlées pour l'essentiel par le capital privé étranger. Les cadres nationaux étaient très peu nombreux et les diverses infrastructures nettement insuffisantes. C'est alors que l'immensité des tâches à accomplir, au regard de l'inexistence d'une véritable bourgeoisie nationale, amena les autorités à « constitutionnaliser" la nécessité pour "Etat d'assurer et de promouvoir le développement économique et social. La planification fut adoptée et des plans quadriennaux de développement furent lancés. Mais voyons comment ces questions relatives aux fonctions de l'Etat se posent au Sénégal. L'étatisme est-il dans ce pays une nécessité objective? Ou procède-t-il simplement d'un dérapage que l'on peut corriger par un démantèlement de tous les appareils politico-administratifs et technico-économiques mis en place par l'Etat et qui lui servent de moyens d'action? Le Sénégal est un excellent champ d'analyse: d'abord du fait de son insertion assez forte dans la division internationale du travail par le biais d'une monoproduction arachidière : 19 ensuite à cause de l'option des responsables politiques au moment de l'indépendance pour « une voie africaine du socialisme" considérée comme une alternative à la fois au capitalisme libéral et au socialisme scientifique. Ce cadre de référence fixe à l'Etat des tâches économiques importantes, qui ont amené la constitution d'un vaste secteur public et parapublic. L'Etat, dont la nature sociale n'était pas precisee, devait, comme dans le capitalisme d'Etat, exercer des fonctions économiques qui ne remettraient en question ni l'intégration affective au marché mondial, ni les relations capital-travail. En effet, la stratégie de développement relevée dans les divers plans nationaux visait et vise la réalisation à moyen et long termes: d'une économie nationale diversifiée qui s'appuie sur une agriculture dynamique; d'un tissu industriel pouvant satisfaire les besoins internes mais aussi la demande régionale; d'une amélioration du faible niveau de vie des masses laborieuses; d'une répartition plus équitable du revenu national. Pour les décideurs, comme pour les techniciens du plan, la réalisation de tels objectifs ne pouvait dépendre ni d'un libre jeu de forces internes du marché, ni de décisions individuelles car les bases du capital national sont extrêmement restreintes. L'Etat devait systématiquement intervenir en occupant les « hauteurs dominantes» de l'économie c'est-à-dire les secteurs-clefs. Toutefois, le socialisme africain, dans sa version sénégalaise, est une mixture empirico-théorique qui le rapproche des démarches sociales-démocrates. Il part de l'idée que le capitalisme est absolument inapplicable et incapable de promouvoir 'e développement dans des pays caractérisés par l'inexistence d'importants moyens de production (donc d'une bourgeoisie nationale) et par la prédominance des activitées agricoles. Les formes privatives y sont marginales. Dans le même ordre d'idées, on estime que ni les conditions de la lutte des classes, ni celles d'une socialisation des moyens de production ne sont réunies. Le socialisme scientifique est de fait rejeté comme non conforme aux réalités socio-économiques. Le système à construire se doit alors d'allier l'efficacité de la gestion capitaliste aux objectifs du socialisme qui se résument dans la recherche d'une pIUS grande justice sociale et dans la disparition de toutes les formes d'exploitation de l'homme. Dans la pratique économique, le socialisme africain empruntera à la sociale-démocratie l'organisation de l'économie mixte qui est un système où coexistent un secteur public et un secteur privé et 20 au sein duquel évoluent des éléments traditionnels et modernes. Une telle forme d'organisation économique s'insère parfaitement dans la problématique keynésienne de transformation de l'économie du laisser-faire en économie mixte, où l'Etat fait partie intégrante du jeu économique (1). Donc idéologiquement, les responsables politiques sénégalais étaient entièrement acquis à la création d'un vaste secteur économique public (2). Les premières formulations théoriques des fondements du socialisme sénégalais ont été réalisées par L.S. Senghor qui militait pour une intervention limitée de l'Etat principalement dans le secteur agricole, secteur dans lequel il ne remet pas en cause les intérêts privés nationaux et surtout étrangers plutôt jugés indispensables au développement. Car pour lui, cc il n'est pas question de vivre dans le ghetto de l'autarcie... Les pays communistes, se sont ouverts aux capitaux, voire aux entrepreneurs des pays capitalistes. Sans jamais exclure les étrangers (souligné par les auteurs), il est question que progressivement, en avançant pas à pas, nous sénégalisons une industrie qui est. par définition sénégalaise» (3). Toutefois, cette version qui a fini par s'imposer comme version officielle n'a jamais été partagée par certains secteurs d'opinion dont Mamadou Dia alors deuxième personnalité politique du Pouvoir. Celui-ci observait que si l'Afrique voulait devenir moderne, il lui fallait un Etat fort qui l'engageât dans la voie d'une transformation industrielle (4). Promu au rang de Président du Conseil, il s'attela à mettre en place tout un programme économique où "Etat était le principal acteur. De ce fait, M. Mamadou Dia devenait le précurseur de l'intervention économique de j:Etat au Sénégal. Son éviction du pouvoir en 1962, va se traduire par un recul, pour un certain temps au moins, des entreprises et structures étatiques. Pourtant, tous les responsables politiques sénégalais étaient convaincus que l'intervention de l'Etat était nécessaire pour éliminer le retard économique et édifier une économie nationale diversifée. Le pays avait hérité de la colonisation, une structure économique totalement désarticulée et incapable de réaliser des progrès importants. L'équipe de scientifiques qui a confectionné le premier Plan National estimait que le renforcement du volet économique de l'Etat était nécessaire pour la transformation de la structure coloniale de l'économie ainsi que la refonte du tissu industriel et la pleine utilisation des acquis de la révolution scientifique et technique. Les mesures suivantes avaient alors été préconisées: opérer les transformations structurelles de base de l'économie coloniale; 21 instaurer une nouvelle politique agraire plus conforme aux besoins des populations; refondre le système industriel qui était conçu pour un espace qui a été totalement disloqué par les nouvelles indépendances; mettre en place des infrastructures de base et d'accompagnement pour la promotion de l'économie régionale; prendre en charge certains secteurs non rentables, cependant indispensables pour le développement économique et social. De telles tâches ne pouvaient être réalisées par la simple utilisation de mesures législatives et réglementaires. Il fallait que l'Etat disposât d'un secteur vaste comprenant un ensemble diversifié d'unités économiques capables de servir de levier de commande pour: la définition et la promotion d'une nouvelle politique agraire; la restructuration et la construction d'un nouvel appareil industriel permettant une valorisation effective des matières premières; la découverte et la promotion de nouvelles activités productives pouvant faire l'objet d'une demande extérieure (5). Ces tâches devraient se concrétiser dans des politiques sectorielles appropriées qui fixeraient avec précision les sphères d'intervention respectives de l'Etat et de l'initiative privée. Il importe de faire quelques observations préliminaires relatives au secteur primaire afin de comprendre davantage les politiques proposées. C'est au niveau de ce secteur que les analyses des socialistes africains sont particulièrement pertinentes. En effet, ils partent du constat que dans les pays africains à dominante rurale, le monde paysan a conservé des normes communautaires et collectives d'organisation et de travail qui empêchent l'apparition de formes privatives d'appropriation des instruments de production. Ces modalités d'organisation encore vivaces empêchent toute différenciation sociale prononcée et conflictuelle par suite d'une faible productivité, mais aussi d'une distraction du surplus économique effectif. Dans ces conditions, il est préférable d'étudier et de mettre l'accent sur ces structures agraires communautaires pour bien saisir leur mode de fonctionnement. L'étude des structures de cette communauté rurale avait amené des auteurs à croire que le Sénégal pouvait faire l'économie d'une étape capitaliste (6). Les socialistes africains, les plus radicaux comme J. l\lyerere et Kwamé Nkrumah, avaient alors tenté d'utiliser les formes et traditions communautaires dans le mouvement coopératif pour instaurer un nouvel ordre social non capitaliste. Pour eux, la pratique du 22 socialisme commence dans le monde rural. Dans ce sens, L.S. Senghor observe que «la révolution rurale par la coopération exige d'abord des organismes d'appui, la transformation de leurs propres mentalités (7). En clair, c'est par l'agriculture qu'il convient de lancer les actions transformatrices en vue du développement socialiste. Sur cette base vont alors se constituer des sociétés d'intervention dans le monde rural avec plusieurs missions. Dans la pratique cependant, l'ambiguïté qui caractérisa la définition de la «voie africaine du socialisme sénégalais» ne permit pas un net positionnement du modèle national qui se voulait original par rapport aux deux principaux systèmes socioéconomique qui se partageaient le monde. Un vaste secteur économique public et parapublic fut créé qui comprenait des sociétés nationales et d'économie mixte. L'Etat était le principal architecte de l'édification économique et il devait en conséquence occuper les «hauteurs dominantes» de l'économie avec pour objectif d'élever substantiellement le niveau des forces productives, récupérer le surplus économique jusque-là accaparé par le capital étranger, le réinvestir afin d'élargir la base de production et enclencher ainsi un développement global soutenu et irréversible. La perspective était flatteuse, mais les résultats ne seront pas à la hauteur des ambitions et des objectifs. Quantitativement, le secteur parapublic en 1981-1982 représentait environ 20 % du P.I.B., avec une valeur ajoutée qui se répartissait comme suit: Tableau 1.1 : REPARTITION SECTORIELLE DE LA VALEUR AJOUTEE DES ENTREPRISES PUBLIQUES (1981-1982) 1 i , Secteurs .. Secteur rural .. . , ........... Energie, infrastructure, transports Industries et mines ... . .... . . .. ...... Tourisme, habitat, médias, télécom ... . Commerce et services divers ... . . . . . . . . .. . . Institutions financières Total . . . . . . . . . . .... . ... ..... '" ..1 .... .. • • • • , 1 Valeur ajoutée en millions C.F.A. 1 734 23114 17015 19906 5902 13716 81387 En pourcentage 2,1 28,4 20,9 24,5 7.3 16,8 100 i P.I.B. = 771,3 milliards de francs C.F.A. En termes d'investissement, le secteur parapublic prend une part importante (129,4 milliards en 1981) dans la F.B.C.F. et représente 40 % de celle-ci. Par ailleurs, J'investissement a augmenté de 173 % entre 1977 et 1981 alors que la F.B.C.F. ne progressait dans la même période que de 108 %. Cependant, si les entreprises 23 publiques sénégalaises dégageaient au milieu des années 70 des bénéfices, dans la période 1977-1980 elles connaissaient surtout des pertes. En 1980, selon la S.M., 42 d'entre elles sur un total de 68 étaient déficitaires. De cette manière, le secteur public et parapublic pose des problèmes sérieux d'évaluation et cela malgré son importance et la nature du système social dans lequel il s'insère; de plus il soulève des questions multiples de définition, de composition, d'identification et de délimitation qui sont devenues de plus en plus complexes par suite de l'élargissement permanent des frontières du secteur public et de son corollaire: l'accroissement de son poids dans l'économie nationale. L'extension du secteur public et prara-public du Sénégal s'est constituée principalement dans la période allant de 1971 à 1976 pour des motivations: - idéologiques, pour réaliser la volonté politique d'édification d'une société socialiste et démocratique capable d'instituer une justice sociale; économiques, liées à la nécessité pour l'Etat, en rapport avec l'option idéologique de base, de contrôler les secteurs essentiels en vue d'une parfaite maîtrise de l'économie à travers la principale source d'accumulation constituée notamment par la rente d'origine agricole et minière; sociales pour promouvoir les hommes d'affaires nationaux et accroître l'emploi productif. L'ensemble de ces raisons a alors conduit l'Etat sénégalais à développer un important secteur public composé: - d'établissements publics à caractère administratif (E.P.A.); d'établissements publics à caractère industriel et commercial (E.P.I.C.) ; de Sociétés d'économie mixte (SEM.). Ces trois catégories d'entreprises ont des statuts différents; c'est ce qu'explique le président Senghor devant le Conseil économique et social observant que « la seule raison d'une différence de statut est généralement d'ordre historique, puisque, au cours des années 1960, le cadre le plus couramment utilisé était celui de l'établissement public alors qu'à partir de 1970, on a préféré associer des partenaires privés et recourir à la formule de la société d'économie mixte » (8). La création de sociétés d'économie mixte selon le président Senghor ne doit pas être faite au hasard, mais doit répondre à des objectifs précis. « Ce statut doit correspondre d'une part à une volonté de productivité et de rentabilité mais d'autre part, 24 à des projets d'entreprises motrices ou d'entraînement. Je songe aux phosphates, au fer, au pétrole (9). » Toutefois, on observera que le processus de formation des entreprises publiques s'est déroulé en trois étapes pour répondre chaque fois à la réalisation d'objectifs socio-économiques retenus par la planification nationale. La première période de 1960-1972 voyait la constitution de quatorze établissements et principalement six sociétés d'économie mixte. L'action publique était alors hésitante et concernait principalement la prise en charge des grands services qui ne pouvaient être assumés par l'initiative privée ou lui être abandonnés. Partout dans les orientations de politique économique, les autorités conféraient à l'Etat des fonctions économiques importantes. Ainsi en 1961, le président du Conseil M. Mamadou Dia, insistait dans son discours du 4 avril sur l'urgence d'opérer: des réformes administratives devant aboutir à la mise en place d'une structure démocratisée, à la promotion de cadres jeunes et compétents et au découpage du pays en régions correspondant à des entités économiques bien définies; des réformes économiques qui tourneraient autour de l'institutionnalisation de la coopération rurale, de la création d'une banque sénégalaise de développement, de l'office de commercialisation agricole, des centres régionaux d'assistance pour le développement. Il s'agissait pour le Parti et son gouvernement de donner à l'Etat le contrôle de certaines activités qui étaient jusqu'alors exercées par les grandes maisons commerciales coloniales. Détenant le monopole d'achat et de vente de certains produits stratégiques, ces maisons étaient les véritables maîtres du jeu économique et perpétuaient l'économie de traite. La création des coopératives rurales (décret 60-177 du 20 mai 1960), de la Banque Sénégalaise de Développement (loi n° 60-011 du 13 janvier 1960), de l'Office de Commercialisation Agricole (loi n° 60-012 du 13 janvier 1960), des Centres régionaux d'Assistance pour le Développement, C.R.A.D. (loi n° 60-013 du 13 janvier 1960) et des Centres d'Expansion Rurale (C.E.R.) (loi n° 60-014 du 13 janvier 1960) devait lancer un vaste et profond processus de contrôle par l'Etat des circuits économiques vitaux pour le développement. Cette tendance s'est poursuivie et renforcée. La deuxième période consistant dans la constitution du secteur public et parapublic va de 1972 à 1977 et recouvre le quatrième Plan de développement économique et social (1973-1977). Durant cette période, le secteur public et parapublic s'est très rapide- 25 ment élargi selon la répartition suivante par nature et par secteur d'activité. Tableau 1.2: REPARTITION DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC PAR NATURE D'ACTIVITE (1972-1976) E.P.A. E.P.I.C. S.E.M. Total ---------1972 , 1 1976 11972 :: 1976 1972.1 1976 1 1972 1 1976 . 1----;-,--:-1-:-'-1- Gr~I~~:Se~ices.pu~1 Agriculture .... Social ........ Information, culture, média.. Ens e i g n e ment, Recherche Commerce, Transport 1 ndustrie Artisanat Services et divers. Banque, Crédit .. Total , 1 ~ ; 1 1 3 3, 2 1 7 2, 2 2 6 2 6 - 6 13 5 4 1 1 2 1 1 - - 1 - - , : 7 3 2 3 - 6 4 5 - 1 - 1 1 16 1 7 i 11 4 6 6 1 4 2 5 2 15 11 6 1 4 6 16 20 51 4 42 - 1 2 Source: Commission de vérification des comptes. Ce tableau montre que le nombre des établissements publics est resté relativement stable alors que les SEM. (Sociétés d'Economie Mixte) ont particulièrement augmenté passant de 20 à 51. Dans le même temps, le portefeuille de l'Etat s'est présenté comme suit en 1976 (voir tableau 1.3 page 27). L'intervention de l'Etat s'élargit progressivement sous l'effet d'une double volonté: d'abord de prise de contrôle de certaines entreprises occupant une position-clé dans l'économfe nationale et ensuite de redéfinition de nouvelles relations avec les pays industrialisés dans un contexte de profonde crise de l'économie mondiale. Cette période a pourtant débuté avec une conjoncture mondiale particulièrement favorable aux phosphates et à l'arachide dont les cours s'étaient nettement améliorés. L'Etat est alors incité à une prise de contrôle majoritaire dans ces deux activités principales de l'économie, pour récupérer une part plus substantielle des recettes ainsi générées afin de financer certaines opérations productives et diriger la politique d'expansion. La répartition des 26 Tableau 1.3: PORTEFEUILLE DE L'ETAT PAR SECTEUR D'ACTIVITE (1976) 1 1 Participations directes Nombre 1 1 de sociétés Secteurs nationales ou de S.E.M. 1 Agriculture . . . . . . . . .. ....... 1 2 Industrie alimentaire 3 Industries extractives 4 Pétrole et chimie 5 Métaux et mécanique ...... .. . 6 Travaux publics . . . . . . . . . . ... 1 7 Transport ... . ·..... 1 8 Aménagement et urbanisme .... · . . . .. . 9 Services publics 10 Médias et communications ... . . 11 Tourisme ..... . ..... 12 Activités diverses · . .... 13 Etablissements financiers ....... : 1 14 Distribution .. . .......... . ... : Total .. . . ... . . . . .... 6 18 14 12 12 7 8 7 3 4 14 21 8 2 136 , ..... '1 ! " " -- 1 . 1 En millions C.F.A. En pourcentage 2974 229 2991 581 56 149 559 784 2649 803 2196 160 4010 213 18354 79,1 8,6 49,5 13,8 6,1 32,9 19,2 79,7 88,3 66,4 49,2 19,7 52,5 39,6 46,6 1 1 1 , Source: C.v.C.C.E.P. investissements du quatrième Plan montre toute "importance de ces engagements publics. Tableau 1.4: REPARTITION DES INVESTISSEMENTS DU IV· PLAN PAR SECTEUR (en milliards de francs C.F.A.) 1 Investissements . prives 1 1 Investissements publics Total 45,0 18,5 24,2 2,5 7,0 2,0 9,2 108,4 46,5 18,5 27,2 2,5 10,5 30,0 42,2 177,4 1 1 1 Rural .. . ..... . .... . ... Infrastructures .. . . . ..... ' . ... . ... Social ...... . ... . Administration . . . . . . . . . . . . .. Recherche ... . ... . .. . ... Secteur secondaire ... -. ... 1 Tertiaire . . ...... ... . 1 Total ..... . ............ . . 1 1,5 -3,0 - 3,5 28,0 33,0 69,0 1 : i1 1 Source: Quatrième Plan quadriennal de Dèveloppement Economique et Social, M.PC. Dans l'analyse sectorielle effectuée au chapitre Il, nous établissons dans le détail les différents sous-secteurs qui ont principalement bénéficié de ces investissements et mettons en évidence leurs effets directs et indirects sur les secteurs correspondants. 27 La troisième période de constitution du secteur public et parapublic est celle couverte par le V' Plan (1977-1981). Cette période est celle durant laquelle une pause va être observée à la suite: de faillites remarquables de certaines grandes entreprises publiques entraînant des conséquences financières et sociales extrêmement néfastes; de déficits financiers, conséquence d'une absence de règles rigoureuses de bonne gestion, d'erreurs d'évaluation ou d'incompétence de certains directeurs d'entreprises publiques. Ces déficits ont largement contribué à grever les ressources du Trésor Public; de la crise profonde des finances publiques mettant l'Etat dans "incapacité d'honorer ses dettes et engagements financiers vis-à-vis de certaines entreprises; de l'alourdissement du poids de la dette extérieure vis-à-vis du système bancaire local. Cette évolution de la constitution du secteur parapublic peut se résumer par le tableau suivant: Tableau 1.5: NOMBRE D'ENTREPRISES PAR SECTEUR 1 1962 1 1 1977 1972 1982 1 . . . . .. . . Agriculture .. . ..... . ... Industrie ..... . ......... . ........ Commerce et services .. . ... . ... . . Institutions financières ............ Administration ... . ........... Total ....... . . . . . . . . . . . . . . . . ...... 4 4 1 1 la 2 1 21 ,1 1 1 8 9 26 5 2 50 1 1 1 1 9 la 17 43 6 8 17 42 7 83 1 la 86 1 Source: Commission de vèrification: rapport général sur la gestion des entreprises publiques. Un recoupement de divers discours prononcés devant le Conseil Economique et Social (10) permet de relever six raisons majeures qui ont motivé cette intervention progressive de l'Etat dans l'activité économique: un meilleur contrôle des grands services publics; une main mise sur les secteurs-clés de l'économie, notamment sur les ressou rces génératrices de devises. Cela correspond à une volonté de contrôler les sources d'accumulation pour le financement du développement; 28 une volonté de disposer d'instruments d'action opérants pour l'élaboration d'une stratégie de développement sectorielle appropriée aux objectifs retenus par les plans; une volonté de contrôler et de promouvoir certains projets qui n'intéressent pas le secteur privé et qui, pourtant, demeurent indispensables au soutien de l'économie nationale; une main-mise sur certains établissements monétaires et financiers pour mieux orienter le crédit et sa répartition; un contrôle des secteurs de commercialisation, surtout des denrées de première nécessité. Les résultats attendus de toute cette intervention se réduisaient principalement à l'amélioration de l'emploi (préoccupation majeure d'un pays sous-développé) et des finances publiques. Mais le secteur public a-t-il effectivement atteint ses objectifs? Quelles ont été les performances enregistrées et surtout à quels coûts? Pour les institutions monétaires et financières qui ont aidé à initier le Plan de Redressement Economique et Financier, le secteur public hypertrophié est un handicap. Selon la Banque Mondiale, « à partir d'un excédent global en 1977-1978 et 1978-1979, le revenu net du secteur parapublic a décliné rapidement pour devenir lourdement déficitaire et les pertes globales d'exploitation de l'Etat provenant du budget de fonctionnement se sont élevées de 7 milliards en 1977-1978 à 19,8 milliards en 1981-1982 représentant pour cette même année 13 % du budget de fonctionnement et 40 % du déficit du secteur» (11). Ces subventions de l'Etat au secteur parapublic et sur lesquelles nous reviendrons ont évolué comme suit en milliards de F C.F.A.: Tableau 1.6: EVOLUTION DES SUBVENTIONS PUBLIC ET PARA-PUBLIC (1977-1982) DE L'ETAT AUX SECTEURS 1977·1978 1978-197911979-1980 1980-1981 [1981-1982 : 1 Sociétés bénéficiaires, ' " + 16,91 + 18,51 1 + 14,00 + 5,49 Sociétés déficitaires ",' 10,76 10,94 - 47'051- 25,23 Position du secteur + 6.15 + 7.57 - 33.05 - 19,74 Subvention d'exploitation '1 6,99 , 7,65 , 8,48 15,39 + - Il,04 28,18 17,14 19,71 Pour mémoire Nombre de sociétés en: 35 31 35 40 37 Source: Banque Mondiale: Sénégal, mémorandum économique de novembre 1984, p. 62, 29 Au vu de ces résultats, les entreprises publiques sont rendues responsables d'une part importante du déficit des finances publiques et sont réputées n'avoir pas significativement contribué à l'accroissement des ressources, à l'élévation des forces productives et à la croissance économique. Pourtant ces jugements sont, sur beaucoup d'aspects, quelque peu hâtifs car bien souvent, les entreprises publiques ont des objectifs hybrides et contradictoires qui permettent très difficilement d'évaluer leurs performances effectives. Dans les stratégies nationales de développement, on veut à la fois que les entreprises publiques réalisent des profits maximums, contribuent à la résorption du chômage et appliquent un système de prix administrés tout à fait incompatible avec la rentabilité micro-économique. Ne s'en tenant qu'aux déficits et aux subventions publics et ignorant toutes les contraintes qui pèsent sur la gestion des entreprises publiques, on a conclu que l'administration économique ne possède aucune efficacité et n'arrive pas à assurer des fonctions positives dans la croissance d'ensemble et dans la réalisation des principaux objectifs économiques et sociaux. Une autre approche était alors envisagée autour du désengagement de l'Etat, de la responsabilisation directe des agents économiques privés et de la décentralisation de la gestion du développement, avec l'objectif de transférer l'initiative à la base. Section 2: LA REFORME ADMINISTRATIVE TERRITORIALE ET LOCALE ET LA NOTION DE DEVELOPPEMENT A LA BASE Très tôt, les responsables politiques sénégalais ont compris qu'aucun programme de développement économique et social ne pouvait être mené à terme sans la participation de ceux-là mêmes qui en étaient les principaux bénéficiaires et qui devaient en être aussi les promoteurs et les réalisateurs. Les pouvoirs publics se sont alors attelés à créer les conditions d'une participation en place des structures que sont les communes et les communautés rurales. Si la création des communautés rurales remonte à l'indépendance (loi du 13 janvier 1960), il faudra attendre la loi 72-25 du 19 avril 1972 pour voir les communautés rurales réorganisées dans le sens d'une participation effective au développement par la prise en charge de certaines opérations d'investissements. La communauté rurale étant une personne morale de droit public, elle jouit de l'autonomie financière. Constituée par un certain nombre de villages appartenant au même terroir et unie 30 par une solidarité résultant de l'ethnie ou du simple vOIsinage, la communauté rurale regroupe en conséquence des populations possédant des intérêts communs et capables de trouver les ressources nécessaires à leur développement. Dès lors, il apparaissait cla;rement que si le Sénégal voulait impulser un développement durable, il devait compter de façon croissante sur les ressources internes, la disponibilité de l'épargne extérieure n'étant ni permanente, ni gratuite. Une mobilisation plus intense et une allocation plus efficiente des ressources s'imposaient déjà comme une des premières priorités en matière de politique. C'est pourquoi les pouvoirs publics devraient effectuer le transfert direct aux populations de certaines dépenses de développement prise en charge jusqu'alors par le budget national. Il s'agissait là d'une réponse appropriée à la nécessité de dégager davantage de moyens internes à consacrer aux dépenses stratégiques. La réforme administrative et territoriale de 1972 était conçue comme un instrument de décentralisation du financement du développement. Elle devait permettre une redistribution des activités économiques et des dépenses entre l'Etat central et les populations, afin d'amener celles-ci « à prendre en charge ellesmêmes certaines actions de développement» à travers des structures spécifiques. Cependant, après près de deux décennies de fonctionnement, les communes et les communautés rurales se caractérisent toujours par une incapacité juridique certaine, qui apparaît dans la triple tutelle politique, technique et financière et dans leur dépendance de plus en plus croissante vis-à-vis de l'Etat qui continue de les subventionner et de leur allouer des fonds de concours. L'autonomie administrative, base de la décentralisation, semble alors partiellement compromise. De plus, quand on examine de plus près le rôle assigné aux communautés rurales (C.R) on constate, à l'évidence, le désir de maintenir le statu quo social et l'idée de faire de la C.R. une unité de commandement et un échelon intermédiaire d'autorité. Par ailleurs, les communautés rurales révèlent aussi des insuffisar.ces dans le contexte d'une politique effective d'association et de responsabilisation dans le processus de développement. Ces insuffisances prccèdent d'un ensemble de facteurs dont les plus significatifs sont: 1) La fragilité des supports économiques et surtout l'inadaptation du système coopératif En effet, le système coopératif a été institué par un décret du 20 mai 1960 portant statut de la coopération rurale. Il a fallu attendre la loi du 28 janvier 1983 pour voir ce décret abrogé et 31 remplacé. Seulement, les bouleversements apportés sont très peu profonds. La création des coopératives reste toujours une faculté individuelle et l'adhésion n'est pas non plus obligatoire. Le système coopératif demeure alors un système particulièrement libéral qui va difficilement se concilier avec la socialisation qu'impose une stratégie de développement non capitaliste. Par ailleurs, l'Etat par le biais de l'O.N.C.A.D., a exercé une tutelle inappropriée, lourde et inefficace (tenue de comptabilité, contrôle des comptes, conseil en gestion, commercialisation). Les réaménagements introduits par la loi du 28 janvier 1983 n'ont point corrigé toutes les faiblesses soulignées. Dès lors, un tel mouvement coopératif ne peut être un support véritable à une communauté rurale solide et homogène. 2) La mauvaise exploitation de la loi sur le domaine nationale (L.O.N.) L'absence d'une exploitation judicieuse de la loi sur le domaine national de 1964, dans un sens auto-gestionnaire, n'a pas permis de transférer dans les faits la terre aux producteurs directs (les paysans) en vue d'une exploitation rationnelle et collective. Théoriquement, par la L.D.N., la volonté des pouvoirs publics était de parvenir à intéresser les paysans au regroupement et au sens de l'initiative. Mais dans la pratique, elle était loin d'être ainsi perçue par les paysans qui, sous le poids du dirigisme et de la tutelle de l'Etat, ont fini par croire que les structures de participation ne sont en fait que de nouveaux maillons d'une administration omnipotente et tentaculaire. Finalement, on peut retenir que la réforme de 1964, bien que révolutionnaire, n'a pas entièrement profité à ceux à qui elle était destinée à savoir les masses paysannes. 3) La non autonomisation effective des communautés rurales En effet, contrainement à l'esprit de la réforme, les communautés rurales ne sont pas devenues des entités autonomes; or les décisions devraient être décentralisées pour permettre aux paysans de participer aux discussions à tous les niveaux, à la formation, à la gestion, à l'exécution et au contrôle. Si des corrections véritables de trajectoires sont apportées, les communautés rurales doivent être en mesure de ranimer l'enthousiasme émoussé des populations rurales en leur proposant la libre gestion de leur environnement sous la direction allégée de l'Etat dans un cadre rénové, souple et autonome. Il faut observer enfin que les ressources des communautés rurales, leur origine et leur destination ne relèvent pas de la logique auto-gestionnaire. La communauté rurale ne peut atteindre 32 ses objectifs que dans la mesure où les moyens matériels, humains et financiers existent effectivement et surtout s'ils sont rationnellement utilisés pour des projets ayant un impact réel sur le développement de l'ensemble de la communauté. A l'expérience, il se révèle que les budgets des communautés rurales sont essentiellement des budgets d'investissements dont le principal objet est de réaliser des ouvrages à caractère social. C'est ainsi que la priorité est souvent donnée à la construction d'écoles, de maternités et de pharmacies villageoises, de cases de santé, de maisons communautaires, de puits, etc. De ce fait, les communautés rurales peuvent soulager le budget national et prendre le relai de l'Etat pour certaines dépenses sociales. Cependant, l'étude de la situation financière des communautés rurales édifie sur la nature des mesures à prendre pour sauver la réforme et la concilier avec ses objectifs initiaux. L'accroissement du potentiel financier des C.R. est une action prioritaire à mener. Il faut se rendre à l'évidence et reconnaître que la taxe rurale ne peut pas continuer à être la principale ressource de la communauté. Par ailleurs, les paysans accablés par les effets de la sécheresse et la diminution substantielle des ristournes distribuées, éprouvent de plus en plus de difficultés à s'acquitter de l'impôt. La voie à suivre réside alors dans la promotion et le développement d'activités productives susceptibles d'augmenter à moyen et long termes les ressources financières des communautés. De même, doivent jouer les mécanismes de péréquation entre les communautés aux potentiels économiques et financiers inégaux. De la sorte pourra s'organiser une réelle solidarité économique nationale et régionale et une répartition quelque peu équitable des ressources du pays. La génération de ressources procède de l'efficacité des politiques sectorielles mises en place et qui doivent ensemble permettre: l'élevation des forces productives matérielles et humaines par l'entretien d'un processus ininterrompu de croissance économique; l'édification d'une économie nationale indépendante et capable d'autonomie vis-à-vis du système mondial; l'amélioration du niveau de vie des populations. Il importe alors d'analyser les performances de chaque grand secteur pour cerner son apport dans le développement économique. Comme l'observe le ministère du Plan, « tout développement passe nécessairement par un processus d'accumulation du capital animé par des activités endogènes à hauts coefficients de valeur ajoutée et d'emplois» (12). 33 (1) Deux auteurs ont particulièrement bien cerné cette problématique de l'économie mixte à laquelle d'ailleurs nous adhérons avec cependant de légères nuances; il s'agit de : - Ignacy Sachs: Pour une économie politique du développement, éd. Flammarion Nouvelle bibliothèque scientifique, 1977, 307 p - Paul Mattik: Marx et Keynes: Les limites de l'économie mixte, éd. Gallimard, 1972, 439 p. Les possibilités d'une économie mixte n'ont pas été très franchement exploitées au plan théorique et pratique. C'est seulement maintenant que l'on commence à s'intéresser à la question à la suite des déficiences observées dans la socialisation de tous les moyens de production des p.ays socialistes et qui soulève beaucoup de problèmes comme l'inefficacité du secteur socialiste et son dèficit systématique. La théorie s'élabore avec les deux ouvrages cités plus haut auxquels s'ajoute le remarquable travail de Ota Sik : La troisiéme voie de la théorie marxisteléniniste et la société industrielle moderne, éd. Gallimard, 1974. (2) Léopold Sédar Senghor a fait un effort de théoris.atlon de cette nécessité de l'intervention de l'Etal. Il a, depuis 1945, développé les axes d'une conception du socialisme qui est • moins, dit-il, une doctrine qu'une méthode d'action. Elle a pour but de développer l'homme dans tous les domaines, en se basant sur deux principes majeurs: la rationalité et la justice sociale •. Ces idées sont développées dans: • Théorie et pratique du socialisme sénégalais". G.I.A., Dakar. (3) L.S. Senghor: Pour une société sénégalaise socialiste et démocratique. Congrès de l'U.P.S. 27 au 29-12-1976. p. 109. (4) Mamadou Dia: Réflexions sur l'économie de l'Afrique Noire, éd. Présence Africaine, 1960, p. 64. (5) C'est pour cette raison que le président A. Diouf a réaffirmé avec force qu'il n'acceptera jamais. que l'on impute à l'Etat l'origine de tous nos maux, ce serait injuste. stupide et faux·. (6) On a eu tendance, assez longtemps, à oublier que les populistes Russes avaient énormément théorisé sur les destinées de la Commune Rurale. C'est le cas notamment de Tchernychewski. Marx a eu à s'occuper théoriquement de la question quand il note dans • les correspondances avec Engels. que la dualité de la communauté rurale • offre l'alternative suivante: ou bien le principe de propriété l'emporte sur le principe collectif, ou bien ce dernier l'emporte sur le premier. Tout dépend du milieu historique dans lequel elle évolue •. Marx répondra (dans le Manisfeste) que • la seule réponse que l'on puisse faire aujourd'hui à cette question est la suivante: si la révolution russe donne le signal d'une révolution ouvrière en Occident et que toutes deux se complètent, la propriété commune actuellement de la Russie pourra servir de point de départ à une évolution communiste·. En clair, pour Marx comme pour certains théoriciens du socialisme africain - la communauté rurale peut devenir le point de départ d'un développement non capitaliste et de la construction du socialisme (7) L.S. Senghor: op cil., p. 105. (8) Président L.S. Senghor devant le Conseil Economique et Social en 1977. (9) Idem. (10) L'ouverture de la Session du Conseil Economique et Social est loujours le moment que choisit le président de la République pour procéder à une analyse exhaustive de la situation économique et tracer les grandes orientations et options en matière économique et sociale. (11) Banque Mondiale: Mémorandum économique, nov. 1984. (12) Document préparé par P. Jacquemot en direction de l'élaboration de la partie méthodologique du vue Plan, M.P.C 34 Chapitre Il LE POLITIQUES SECTORIELLES Au cours de la période allant de 1959 à la crise des années 70, la croissance du P.I.B. (Produit intérieur brut) a été relativement lente et a accusé un rythme moyen annuel de près de 2,2 % à prix constants (1971) soit de 6,4 % à prix courants (1). On notera cependant une inflexion de la tendance à partir de 1973 avec une accélération de la croissance dont le taux moyen va passer ainsi à 3 % entre 1973 et 1979. Ce dernier taux correspondant sensiblement au taux de croissance de la population (2,9 %) ce qui signifie une quasi-stagnation du P.I.B. par tête au cours de cette période. Il est évalué, en 1980, à 91 331 F C.F.A. On explique essentiellement la faiblesse de cette croissance économique par quatre facteurs (2) : 1) La non-maîtrise de l'eau qui a rendu l'économie très vulné· rable à la pluviosité En effet, l'agriculture sénégalaise est tributaire des variations climatiques qui conditionnent la production et les rendements. Les recherches menées par J.E. Stiglitz établissent que « le coefficient de variation des rendements de l'arachide et du mil, au cours de la période 1947-1980, a été légèrement supérieur à 0.8. Cet écart établit l'ampleur du risque que représente le fléchissement de la production,> (3). Or, à partir de 1968, le pays va connaître de façon ininterrompue une série d'années de sécheresse dont l'incidence a été un écroulement de la production agricole et, dans une moindre mesure, de la production indus- 35 trielle. Les relevés des années climatologiques disponibles montrent une dégradation permanente des conditions climatiques entraînant des conséquences négatives sur les productions agricoles et les rendements. Globalement, dans la période qui va de 1961 à 1983, les pluies ont été trois fois supérieures à 800 mm et onze fois inférieures à 600 mm, soit trois années de production normale en quelque vingt-trois années. 2) La croissance économique des pays de l'O.C.D.E., principaux partenaires du Sénégal, n'a été de 1974 à 1980 que de 2,2 % par an ; elle a été estimée à 0,3 % seulement en 1980, ce qui a réduit sensiblement leur demande de biens primaires. Cette conjoncture dépressive a été amplifiée par un taux d'inflation de près de 10 % par an et a eu pour corollaire une faiblesse de la part de l'aide publique de ces pays leur P.N.B. (Produit national brut) qui se situe aux environs de 0,34 %. 3) La faiblesse de la productivité des investissements qui est essentiellement due à leur orientation vers les secteurs non directement productifs, c'est-à-dire à rentabilité différée. 4) Les termes de l'échange continuent depuis des décennies à se dégrader. Les cours mondiaux de l'arachide ne se sont améliorés en vingt-trois ans que seulement quatre fois: en 1974, 1978, 1981 et 1984. La structure de la P.I.B.E. traduit non seulement la répartition sectorielle des activités productives, mais également les principaux foyers d'accumulation devant animer l'ensemble du système économique. Ainsi, on observe que la P.I.B.E. s'est accrue à un rythme moyen annuel sensiblement parallèle à celui du P.I.B. (4); les salaires versés par les administrations n'ayant augmenté en moyenne que de 1,52 % par an et ceux versés par les ménages ayant accusé une stagnation sur presque toute la période. Sa structure (en francs constants) s'est très peu modifiée, comme le montre le tableau ci-après: Tableau 2.1 : STRUCTURE LE LA P.I.B.E. (en pourcentages) Secteurs le' Plan (60-65) Il" Plan (65-69) 1"" Plan (69.73) IV· Plan (73-77) V" Plan (77-81) Secteur primaire ..... , ' . Secteur secondaire ...... Secteur tertiaire ........ Total .. . .............. 29,1 21,5 49,4 100 30,0 22,7 47.3 100 26,7 24,5 48,8 100 28,4 26,2 45,4 100 28,1 26,5 43,4 100 Source; Du ,.. au V· Plans de développement économique et social, M.P.C. 36 Section 1 : LE SECTEUR PRIMAIRE COMME PREMIER FOYER D'ACCUMULATION PRODUCTIVE: DECLIN DE L'ECONOMIE ARACHIDIERE ET CRISE AGRICOLE De 1960 à la fin des années 70, l'agriculture occupe 70 % de la population active et représente 28 % de la production intérieure brute. L'arachide est la principale pôle d'accumulation dans le secteur primaire. Dans sa thèse intitulée « les Paysans du Sénégal ", Paul Pelissier observe que «depuis 1840, date de la première expédition arachidière en direction de la France, jusqu'à nos jours, l'intégration de la paysannerie dans une économie de marché s'est opérée sous la pression de cet unique facteur, le développement de la culture de l'arachide" (5). Toutes les interventions de l'administration coloniale dans le domaine économique, de l'équipement du système de transport à l'organisation détaillée de la distribution des semences et de la collecte de la récolte, toutes les impulsions qu'elle a données de manière autoritaire ou libérale à la mise en valeur du pays ont été commandées par le souci primordial de répandre la culture de rente. Toute l'implantation du réseau des grandes maisons de commerce comme de celui des traitants libano-syriens ou sénégalais a été mis au service de son évacuation et de la répartition des produits manufacturés qu'elle suscitait en retour et dont elle permet encore aujourd'hui la distribution. Tous les moyens financiers accordés à la recherche agronomique ont été conditionnés par son orientation préférentielle et longtemps exclusive vers la sélection de lignes d'arachides adaptées aux différentes zones climatiques et hautement productives en gousses et en huile. Il ressort donc des recherches de Paul Pelissier que la véritable ubiquité de l'arachide dans les campagnes sénégalaises résulte fondamentalement du choix de l'économie coloniale et de toutes les formes de pression exercées depuis un siècle sur les producteurs aussi bien par l'administration que par les organismes para-étatiques et tout l'appareil de commerce et des affaires. Mais elle n'a été rendue possible que parce que la graine a trouvé au Sénégal un ensemble de conditions naturelles, techniques et historiques autorisant son insertion dans les systèmes de production traditionnels, soit par intégration aux rotations culturales préexistantes. soit par juxtaposition aux terroirs exploités en économie de subsistance. Sous plusieurs rapports. l'arachide se comporte comme un secteur de croissance primaire qui impulse et régente toute la vie économique et sociale du Sénégal. En effet, elle occupe une place centrale: 37 1) Au regard de la population rurale occupée: Tableau 2.2: REPARTITION DE LA POPULATION (1960-1979) Variations 1960-1961 1978 1979 1976/1961 1979/1976 Population urbaine ...... 686600 Population rurale .. .. 2423400 Population totale ..... .. 3110000 Part de population rurale dans le totale ........ 77,9% 1505000 1 652305 3580000 3855788 5085 000 5508093 70,4 % 119,0% 47,7% 63,5% 9,8% 7,7% 8,3% 70 % Î Source: M.P.C., divers plans de développement. Les activités agricoles, notamment celles relatives à la production arachidière occupent au moins 70 % de la population totale. Si l'on tient compte des mouvements migratoires temporaires vers les villes, la population rurale et sa progression dépassent probablement les normes ci-dessus indiquées. 2) Quant aux superficies cultivées Tableau 2.3: REPARTITION DES SURFACES CULTIVEES (en milliers d'hectares) 1 Superficies cultivées ... . ........ . . . . . . . . . . Superficies occupées par l'arachide ........ Superficies occupées par les autres cultures Part superficies de l'arachide dans total superficies cultivées ...... , ... ......... 1976-1977 1979 2600 1340 1260 2502 1 154 1348 51,5% 46,1 % Source: M.P.C., divers plans de développement. Ainsi, jusqu'à la fin des années 70, l'arachide occupait encore environ la moitié des surperficies cultivées. 3) Au niveau du financement tion de la Banque Centrale (6) mis en œuvre et de l'interven- Globalement, les concours bancaires en faveur de l'ONCAD (7), et qui représentent du reste une part relativement importante 38 dans le total des crédits bancaires recensés (8) à la centrale des risques, sont affectés à la commercialisation des différents produits agricoles notamment l'arachide et au financement du programme agricole. Tableau 2.4: EVOLUTION DES CONCOURS 1971-1980 (en milliards de francs C.F.A.) 11971 1972 -. 1-=- Crédits O.N.C.A.O. ........ 4.2 15,6 6.9 (2,7) Dont commercialisation ...... (0,5) (6,4) Programme agricole ........ (3,7) (4,2) (9,2) Total crédits bancaires ...... 35,0 47,5 63,3 Part crédits D.N.C.A.D. dans total des crédits bancaires 12 'la 14,5 '10 24,7 'la 1974 BANCAIRES 1975 1976 1977 A L'O.N.C.A.D.: 1978 1979 1980 -- -- -- -28,2 (16,7) (11,5) 88,2 35,5 38,7 38,5 (12,5) (11,0) (17,4) (23.0) (27,7) (21,1) 104.6 114,2 132,2 51,9 65,9 53,5 (15,9) (24,4) (38,6) (37,6) (27,5) (27,3) 179,8 214,0 243,2 32 'la 33,9 'la 33,9 'la 29,1 'la 29,8 'la 24,3 % 27,1% Source: Banque Mondiale: Sénégal Mémorandum économique, novembre 1984. De 1971 à 1976, la part des crédits bancaires recensés en faveur de l'O.N.C.A,D. a progressé. La baisse relative de cette part après 1976 semble liée à celle de sa production commercialisée de l'arachide. Il s'ensuit que la commercialisation des produits arachidiers et la mise en place du programme arachidier relatif à l'acquisition des facteurs de production (engrais, semences...) ont bénéficié de beaucoup plus de crédits bancaires distribués. Au regard des règles d'intervention de la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, les crédits de campagne sont refinancés hors plafond. A ce titre, l'évolution du refinancement des crédits de campagne par la Banque Centrale s'est présentée comme suit: Tableau 2.5: REFINANCEMENT (en milliards de francs C.F.A.) DES CREDITS Mars 1976 Mars 1977 DE CAMPAGNE: Mars 1978 Mars 1979 1976-1981 Mars 1980 Mars 1981 - - -- -- - - -- -Refinancement crédits de campagne . . . . . . 34,8 41,2 par Banque Centrale 28,3 19,4 47,3 28,6 Total crédits (9) refinancés par la 53,3 90,6 112,6 Banque Centrale .............. 61,1 63,3 94,0 Pourcentage crédits de campagne refinancésjtota/ crédits refinancés par la Banque Centrale ........ 54,3 % 44,7 % 50,3% 50,3 % 45,5% 25,4 % Source; B.C.E.A.O. 39 Les crédits de stockage et de commercialisation de produits arachidiers refinancés par la Banque Centrale ont pu représenter 43 % en moyenne au cours de la période sous revue. 4) Pour la place qu'occupe l'arachide dans la valeur de la production agricole. Tableau 2.6. PART DE L'ARACHIDE DANS 1975--1979 (en milliards de francs C.F.A.) LA PRODUCTION AGRICOLE: 1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979 Valeur production agricole ........ Valeur production arachidière ...... Part valeur production arachidière dans production agricole totale 48,9 81,6 51,1 44,5 21,0 84,7 43,6 64% 63% 48% 52% 77,4 Source: D.G.P.A. Au cours de la période considérée, la valeur relative de l'arachide a constamment diminué (sauf en 1979) dans la production agricole totale. Cette évolution est en nette rupture avec la tendance antérieurement observée et pourrait s'expliquer, entre autres facteurs, par l'effort de diversification des productions opéré à partir de 1975, bien que l'influence de facteurs conjoncturels (conditions climatiques en particulier) n'ait pas été négligeable. 5) En ce qui concerne l'importance relative de l'arachide dans les recettes d'exportation Tableau 2.7: EXPORTATIONS D'ARACHIDES: 1976-1978 (en milliards de F C.F.A.) 1976 Total des exportations de produits arachidiers .. Total des exportations tous produits .. Pourcentage ....... .... . ..... ..... . Source: D.G.PA 40 64,5 , 15,9 56% , 1 1977 1978 75,5 152,9 50% 23,5 95,3 25% 6) Au niveau des revenus distribués dans le monde rural Tableau 2.8: EVOLUTION DES de francs C.F.A.) REVENUS RURAUX: Il) ..... 0> ..;. ..... ~ Revenu monétaire direct - ... ...... ..... . 30,3 Amortissement dettes B.ND.S. ...... 1,2 Prime à l'ensemencement ...... Aide en espèces .. . .............. . ... Ristourne exceptionnelle ... . , ... ... . . ... Autoconsommation (èvaluation monétaire) et . .......... ventes parallèles ... 2,2 Revenu total .... . ...... . ....... .... . 33,7 Dont versé aux producteurs ......... 30,3 - 1974-1979 (en CD ..... 0> .n..... 0> ..... ..... co ..... 0> 0> rD ..... ,..:. ..... ID ..... 17,7 --- 29,0 2,4 1,6 19,3 17,7 5,6 37,0 29,0 0> 1 ~ -- -46,1 2,0 - 32,4 2,4 - - - 2,5 50,6 46,1 2,7 37,5 32,4 - milliards - ~ 0> ..... ~ --- Source: B.C.E.A.O. Par le truchement de l'arachide, les activités du monde rural se trouvent ainsi intégrées dans l'économie marchande. 7) Sur le plan des recettes fiscales En 1979, les dépenses de fonctionnement de l'Etat se chiffraient à 100,5 milliards de F C.F.A. Les recettes fiscales et parafiscales à l'exportation des produits arachidiers qui s'établissent à 4,3 milliards à cette date financent 4,2 % des dépenses de fonctionnement. En définitive, il ressort de ces différentes statistiques que l'influence de la culture arachidière est forte sur l'économie sénégalaise. Aussi, tout phénomène économique ou d'ordre climatique qui affecte la production ou la commercialisation des produits arachidiers porte des préjudices graves à l'économie du pays. Or, l'analyse de la production arachidière dans la période de 1960-1970 révèle une évolution erratique liée notamment aux facteurs suivants: a) Des conditions climatiques désastreuses En effet, situé entre le 1" et le 17" ouest (longitude), le 18" et le 24" nord (latitude 0), le Sénégal est tout entier compris dans la zone de climat tropical à longue saison sèche qui ceinture le 41 continent africain depuis les lisières méridionales du Sahara jusqu'aux approches de la forêt ombrophile. La conséquence fondamentale de sa situation en latitude est que l'activité agricole y est exclusivement conditionnée par les précipitations et que ces dernières sont bloquées sur une unique saison pluvieuse. Les données climatologiques disponibles montrent une dégradation quasi-permanente des conditions climatiques entraînant des conséquences négatives sur les productions et les rendements agricoles. Ainsi, dans la période 1961 à 1983, les pluies ont été trois fois supérieures à 800 mm et onze fois inférieures à 600 mm, soit trois années de production agricole normale en quelques vingt-trois années. D'ailleurs, dans la même période les conditions économiques et financières se sont à leur tour largement détériorées avec une baisse des cours mondiaux de l'arachide (le prix de la tonne a varié entre 1 007 dollards et 271) ; les cours de l'huile d'arachide ne se sont améliorés dans cette période de vingt-trois années que quatre fois: en 1974, 1978, 1981 et 1984. A cet égards, la sécheresse de la campagne 1979-1980 a été particulièrement désastreuse pour la production arachidière. En effet, contre une prévision de 800 000 tonnes, la récolte enregistrée n'a guère dépassé 388 000 tonnes. En fait, quatre phases ont influencé la production arachidière : • 1960-1968, phase de pluviométrie. La valeur ajoutée agricole évolue à un taux de 5 % par an, supérieur à celui de la production intérieure brute (4,2 %) ; la productivité par actif rural connait une croissance annuelle de 2,7 %. Sous l'effet de l'équipement du monde rural, les superficies cultivées ont augmenté de 4,8 % et la consommation d'engrais a triplé en six ans; • 1969-1973, une série de sécheresse perturbe le système agricole et se traduit par une réduction des surfaces cultivées de 2,6 à 2,3 millions d'hectares; • 1974-1977 (Ive Plan), sous l'action d'un retour à des conditions climatiques normales, le secteur arachidier opère un redressement. Cette période a connu la meilleure production arachidière jamais enregistrée; 1 500 000 tonnes; • 1978-1980, période coïncidant avec les trois premières années de V· Plan. Les conditions climatiques défavorables qui caractérisent ce plan ont provoqué une détérioration de la production arachidière : sécheresse exceptionnelle de la campagne 1977-1978 qui a ramené la production à son plus bas niveau depuis 1960 ; pluies parasites de janvier 1979 qui ont altéré le capital semencier, pluviométrie mal répartie de 1979, enfin celle tardive et insuffisante de 1980. 42 b) La dégradation des sols Les sols et le couvert végétal se dégradent sous l'effet de l'emprise des cultures, de l'expansion de l'élevage et de la culture arachidière, facteur incomparable d'accélération de l'érosion éolienne. La répartition inégale de la population provoque la surcharge du bassin arachidier, ce qui fait que certaines régions ne disposent pratiquement plus de réserves foncières avec, pour conséquence, des taux d'utilisation des sols proches des seuils limites, excluant les jachères nécessaires à leur régénération; dp. plus, elle laisse des vides démographiques dans les régions excentrées. c) La marginalisation du monde rural dans le processus de prise de décision le concernant Bien que près de 70 % de la population tire son revenu de la culture arachidière, le monde rural reste encore largement étranger aux décisions qui le concernent. En effet, ce monde rural s'est vu progressivement imposer une multitude de sociétés d'intervention dont les missions se sont très rapidement diversifiées et élargies au point de déposséder les paysans de toute initiative. d) La faiblesse relative des prix d'achat aux producteurs euxmêmes commandes par les cours internationaux Ces prix au producteur ont évolué comme suit: Tableau 2.9 : EVOLUTION DU PRIX D'ACHAT DE L'ARACHIDE AU PRODUCTEUR: 1960-1984 (en francs C.F.A./kilo) Année 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 ........... ........... ........... ........ - .. ........... , .... - ..... ........... ........... ........... ........... ........... ........... Prix d'achat net au producteur Indice des prix Prix d'achat en francs constants (base 1971) 20,8 22.0 22.0 21,5 21,5 21,5 21,5 21,5 18,0 18,0 18,5 19,5 68,2 71,6 76.1 79,7 82,7 85,9 87,8 90,0 90,0 93,6 96,3 100,0 30.5 30.7 28,9 27.0 26,0 25,0 24,5 23,9 20,0 19,2 19,2 19,5 Suite p. 44 43 Suite de la p. 43 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 ........... 23,7 23,0 29,8 41,0 41,S 41,5 41,5 41,5 41,5 46,0 60,0 60,0 50,0 ·. . ....... . ........... ........... · . . . . . . .. . . ........... ........... ·. . .. . .... . · . . .. . . . . .. - .......... ........... ........... · . .. . .. . . . . 105,8 118,2 137,8 181,5 183,4 204,1 211,2 231,6 251,4 266,2 312,3 348,7 386,0 22,4 19,5 21,6 22,6 22,6 20,3 19,7 17,9 18,1 17,3 19,2 17,2 13,0 Source: Déséquilibres structurels et politique d'ajustement au Sénéral, M.P.C., 1986. Ces très fortes fluctuations à la fois de la production arachrdière s'ajoutant à la chute des rendements et à l'absence de prix rémunérateurs ont entraîné une détérioration du revenu rural moyen qui a évolué comme suit en francs C.F.A. constants de 1972 : 22100 15400 12000 10900 8800 F F F F F C.F.A. C.F.A. C.F.A. C.F.A. C.F.A. en en en en en 1960 ; 1965 ; 1972 ; 1977 ; 1982. Cette évolution montre un appauvrissement progressif du monde rural qui sera ainsi placé dans l'incapacité absolue d'améliorer ses conditions de production et de travail. Les producteurs ainsi appauvris ne pourront ni atteindre des niveaux performants de productivité, ni disposer de moyens d'un auto-développement. En définitive, la modernisation de l'agriculture entreprise par les pouvoirs publics va produire dès lors une différenciation sociale très nette entre une élite paysanne qui a profité techniquement et économiquement des politiques de promotion et une majorité de paysans marginalisés. Cela fait observer à P. Sene que « l'agriculture prédatoire et inefficace a créé des îlots de croissance artificiellement entretenus par un financement extérieur au monde rural, a bénéficié de J'attribution d'un espace foncier, a adopté une technologie sophistiquée et a intégré une main-d'œuvre semi-prolétarisée» (10). Dans ces conditions, l'annulation des dettes paysannes pour la campagne 1980-1981 pour une valeur de 30 milliards et l'accroissement des prix des produits agricoles ont permis de stopper, bien que partiellement, la dégradation du pouvoir d'achat et 44 d'améliorer quelque peu la condition sociale des populations rurales. La seconde culture de rente est le coton qui s'est imposé comme élément d'une politique de diversification et de rupture avec la monoproduction arachidière. Le développement de cette nouvelle spéculation a été encouragé et soutenu par la Banque Mondiale dans une période de haute conjoncture (marché porteur et prix élevés). Bien que le Sénégal soit un producteur tardif, la culture cotonnière a pris rapidement l'allure d'une croissance régulière. Ainsi les superficies cultivées se fixent à 48000 ha en 1978-1979 et ont évolué avec de fortes amplitudes (entre 30000 et 48000 ha). Quant à la production, elle passe de 11 000 tonnes en 1970 à 35000 en 1984, avec une pointe de 45000 tonnes en 1976. Pourtant, cette évolution accélérée reste encore très en deçà des objectifs fixés par le Vile Plan: 66 000 tonnes de coton graine sur une superficie de 55000 ha avec un rendement de 1,2 t/ha. Le comportement défavorable des cours mondiaux a entraîné une révision profonde des programmes d'équipement et d'investissement qui va se traduire par la réduction du développement de la production. A cela s'est ajouté un autre facteur limitant: la restriction de l'espace d'exploitation contonnière. Dans ces conditions, la croissance de la production du coton ne peut désormais provenir que d'une amélioration de la productivité. Cela exige des efforts plus soutenus de recherche, d'encadrement, d'utilisation des facteurs modernes de production et d'aménagement de structures appropriées de commercialisation et de transformation. Les projets d'investissement prévus se chiffrent à 17,5 milliards dont 15,5 milliards d'investissements directs et 2 milliards pour les dépenses de fonctionnement. Cependant, la chute des cours qui a engendré un déficit de la filière cotonnière (2,8 milliards pour la campagne 1985-1986 et environ 1 milliard pour 1986-1987) ne milite pas en faveur d'une réalisation effective des programmes d'action. Pour ce qui concerne la production céréalière, elle comprend principalement le mil, le sorgho et le riz. La culture du mil et du sorgho occupe la moitié des surfaces cultivées. La production est tributaire des aléas climatiques et fluctue en permanence au gré de la situation météorologique comme le montrent les chiffres ci-après: 1970-1971 : 1971-1972 : 1972-1973 : 1975-1976: 1980-1981 : 400000 580000 320 000 620000 530000 tonnes; tonnes; ton nes ; tonnes; tonnes. 45 Les rendements sont assez faibles (en moyenne 487 kg/ha). Quant au riz, sa production est insuffisante par rapport aux besoins. Le VI" Plan avait fixé la réalisation d'une production de 220 000 tonnes de paddy pour 1985 ; celle-ci n'a été que d'environ 100 000 tonnes pour les périodes de haute pluviométrie. Chaque année, le Sénégal importe plus de 300 000 tonnes de riz pour couvrir les besoins en expansion rapide par suite d'une urbanisation accélérée. La quasi-totalité de la production agricole sénégalaise s'effectue en agriculture sèche, c'est-à-dire que le réseau d'irrigation est limité. Par ailleurs, elle est très peu diversifiée. C'est ce qui explique, ces dernières années, le démarrage d'une politique de diversification qui tente de promouvoir: - les fruits et légumes; la canne à sucre; la tomate industrielle. Cependant, malgré ces efforts de diversification, les cultures vivrières sont loin de couvrir le déficit vivrier. En effet, le déficit céréalier s'est accentué entre 1977 et 1981 et le taux de couverture de la consommation nationale en produits céréaliers s'est détérioré passant de 63 % en 1975 à 39 % en 1978. Il s'est établi en moyenne à 52 % dans la période 1977-1981 et a évolué comme suit entre 1980-1985 : Tableau 2.10: TAUX DE COUVERTURE DE LA CONSOMMATION CEREALIERE PAR LA PRODUCTION NATIONALE: 1980-1985 Demande Mil. . . . . . . . . . . Maïs . . ....... Paddy ........ Blé . . . . . . . .. . Total céréales. Offre nette Taux de couverture 1980 1985 1980 1985 1980 512 38 484 101 1 135 602 73 531 105 1311 487 34 98 1 G20 602 73 191 1 95% 89% 20 % 1% 55% 861 1985 1 100% 100% 36% 1% 66% Source: Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement au Sénégal, M.P.C., 1986. Ces faibles performances de la production céréalière s'expliquent en partie par la faiblesse des rendements et l'évolution défavorable des prix aux producteurs. De 1979 à 1984, ces prix 46 en francs constants, ont accusé un mouvement de baisse comme l'atteste le tableau suivant: Tableau 2.11: PRIX D'ACHAT AU PRODUCTEUR (F C.F.A./kilo constants 1971) Paddy Mil, sorgho Mais 1979 1984 Pourcentage 17,9 17,3 16,0 15,5 14,2 13,0 -13 % -18 % - 19 % Source: Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement au Sénégal, M.P.C., 1986. Cette baisse du prix réel est sans nul doute le facteur explicatif essentiel de la dégradation des revenus agricoles. C'est pour résoudre cette situation que le VI" et le VW Plans réaffirment la primauté de la politique alimentaire fondée sur la recherche de "autosuffisance et de la sécurité alimentaires, ainsi que l'amélioration des prix aux producteurs. Ces prix doivent être plus incitateurs pour encourager la croissance de la production en vue de la réduction de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Cependant, il convient d'observer que l'augmentation des prix, pour affecter positivement la production céréalière, doit être accompagnée de mesures permettant d'améliorer les rendements. Tous ces faibles résultats agricoles établissent l'existence d'une crise de l'économie rurale se traduisant par les déficits vivriers grandissants faisant du Sénégal une zone d'insécurité et de fragilité agro-alimentaires. En définitive, cette crise procède de la conjugaison de quatre facteurs: - les phénomènes de sécheresse devenant quasi-cycliques; la faible croissance de la production qui demeure inférieure a l'accroissement démographique, entraînant une baisse de la production agricole par tête; le recul de la production vivrière au profit des cultures de rente; la forte et incohérente expansion urbaine. Les villes constituent le principal facteur aggravant du déficit alimentaire en ce qu'elles propagent le modèle de consommation fondé sur des produits vivriers d'importation. En effet, les villes en voie d'occidentalisation abritent les principales unités économiques, l'essentiel des équipements sociaux et tous les services publics. Pour les paysanneries paupérisées et margina- 47 lisées, ces villes vont apparaître comme des sociétés de consommation où il est possible de faire rapidement fortune, de trouver un emploi et de rompre avec la traditionnalité (11). C'est cela qui fait dire à René Dumont que « la poussée urbaine dans le Tiers-Monde est le résultat de longues années, sinon des siècles de mauvaises politiques agricoles qui aboutissent à la débandade rurale » (12). Cette poussée urbaine est caractéristique de tendances démographiques au Sénégal où en 1982, sur une population de 6 millions d'habitants, 2 millions vivaient dans les villes dont 1,3 million dans la capitale, Dakar. Les villes en croissance accélérée font exploser la demande alimentaire en même temps qu'elles la diversifient. Les consommations concernent principalement des produits importés (riz, blé, sucre, tomate) à fort contenu de devises (13). Dans ces conditions, si les tendances actuelles se maintiennent, il est réaliste de penser que le déficit prévisionnel du bilan céréalier sera particulièrement lourd à l'horizon de l'an 2000 quand la population atteindra 10 millions d'habitants. Il faudra alors importer à cette période l'équivalent de 1,7 million de tonnes, ce qui va engendrer des implications financières tout à fait insoutenables pour "économie nationale. Cela indique l'urgence de la mise en place d'une politique agricole d'autosuffisance alimentaire qui augmente la production par une double action sur la productivité et sur le rendement. Le plan céréalier (14) prévoit un taux de couverture de 73 o.to pouvant atteindre près de 80 % avec les productions annexes. Toutefois, la réalisation de cet objetif est subordonnée à un très vaste programme de développement des cultures irriguées, ce qui soulève les enjeux de l'après-barrage dont la gestion nécessitera des immobilisations financières et une organisation institutionnelle d'une très grande efficience. Dans cette direction, deux préalables doivent être réglées: les conditions microéconomiques de développement de l'agriculture paysanne (formes concrètes d'exploitation, de crédit agricole, etc.) et les domaines d'intervention de l'Etat (plan d'aménagement à promouvoir, nouvelles stratégies foncières, aspect financiers, etc.). La politique agricole devrait être a même: de promouvoir la gestion efficace d'un vaste programme d'irrigation qui allie de façon équilibrée la petite hydraulique rurale et les grands barrages pour lutter contre la sécheresse et l'instabilité de l'environnement; de résorber progressivement le déficit alimentaire par des investissement appropriés et l'instauration de prix rémunérateu rs ; 48 de mettre en place un système coopératif performant et un crédit agricole fonctionnel. L'élevage et la pêche sont les autres composantes essentielles du secteur primaire. Cela apparaît principalement dans les objectifs qui leur sont assignés par le plan. En matière d'élevage, la stratégie de promotion selon le VI" Plan tourne autour de trois grandes orientations: accroître le niveau de consommation en protéïnes animales des populations; réduire la dépendance du pays vis-à-vis de l'extérieur pour la satisfaction de ses besoins en produits animaux; envisager l'exportation des produits de l'élevage en vue d'augmenter et de diversifier les recettes d'exportation. De plus. l'élevage, contrairement à l'agriculture, n'a pas connu de mouvements erratique. Les investissements réalisés se sont élevés à 10,9 milliards répartis entre quatorze projets parmi lesquels quatre occupent une place prépondérante: S.O.D.E.S.P., P.D.E.S.O. (15). Bakel et les Abattoirs régionaux. De 1960 à Î 970, le troupeau bovin a augmenté au rythme moyen de 5 % pour atteindre un effectif de 2,6 millions de têtes. Dans la période qui va de 1970 à 1980, sous les effets con jugés des sécheresses successives, il y eut une décroissance des effectifs. Le troupeau ovins-caprins semble avoir mieux résisté aux instabilités climatiques; seulement le rythme de croissance des années 1960 à 1970 (plus de 10 %) a nettement fléchi au cours de la période 1970-1980. La valeur ajoutée du secteur s'élevait en 1970 à 13 milliards de F C.F.A. soit 22,4 % de la valeur ajoutée du secteur primaire et 6,1 % du P.I.B. On observera que les pertes sur le gros bétail ont été compensées par l'augmentation des gains sur la volaille. En 1980, la valeur ajoutée était d'environ 42 milliards soit 29,6 % de celle du secteur primaire et 9,3 % du P.I.B. Par ailleurs, l'élevage est aussi un facteur essentiel dans la recherche de l'autosuffisance alimentaire et devrait, selon les prévisions, satisfaire à j'horizon de l'an 2000 une consommation d'environ 12 kg par personne et par an avec la répartition suivante: bonvins 5,9 kg ; ovins/caprins 2,3 kg ; volaille traditionnelle 1 kg ; volaille industrielle 2 kg ; porcins 1 kg (16). Ces chiffres montrent toute l'importance de l'élevage dans l'économie nationale et la nécessité d'élaborer une stratégie 49 globale et cohérente de promotion des activités animales. Celle-ci devrait tourner autour d'une action harmonisée de l'Etai dans les domaines de : l'organisation de services fonctionnels de santé animale dotés de moyens matériels et humains suffisants; l'organisation d'espaces de pâturage avec le développement et "équipement d'ouvrages d'hydraulique pastorale; l'organisation de l'ensemble à partir des initiatives paysannes et des stations publiques dont la gestion doit être souple et peu coûteuse; l'organisation des circuits de commercialisation par fixation de prix rémunérateurs et parallèlement la mise sur pied d'une infrastructure adéquate d'abattage. Ces actions ne doivent être ni ponctuelles, ni détachées de celles entreprises dans les autres sous-secteurs, mais doivent s'incorporer dans un programme d'ensemble et traduites en termes d'obj€ctifs à réaliser et de moyens à mobiliser Cette cohérence ne peut être obtenue que si l'intégration de l'agriculture et de l'élevage est correctement réalisée. Des sociétés d'intervention installées dans les villes ne seront jamais à même d'appréhender: les pesanteurs sociologiques à lever; les moyens financiers et humains à mobiliser; la recherche et la vulgarisation à promouvoir. Or tel semble être le cas de la Société pour le Développement de l'Elevage dans la zone-sylvo-pastorale (S.O.D.E.S.P.) qui est chargée de la production et de l'encadrement de l'élevage dans cinq zones: Labgar, Mbar-Toubab, Lindé, Gueye âader et Tabgui. Le coût financier prévu se monte à environ 5,5 milliards de F C.F.A. La subvention allouée durant l'exercice 1981-1982 se monte à 418,9 millions. La S.O.D.E.S.P. qui s'apparente à l'O.N.C.A.D. de l'élevage présent les mêmes travers que cette défunte entreprise. Le rapport du contrôle financier observe qu'avec un effectif de cent trente-cinq agents dont cinq expatriés, la S.O.D.E.S.P. a engagé sa mission en 1982-1983 avec un budget prévisionnel de 2166450000 F exécutés seulement à hauteur de 30 % environ. Ce faible taux de réalisation dénote tout le manque de réalisme des budgets présentés par la société. A cela s'ajoutent des retards dans la présentation des états financiers. L'ensemble de ces éléments montre des lacunes inadmissibles pour une société d'une aussi grande importance. Sans nul doute, cette société a pris le droit chemin d'une « Oncadisation» irréversible qui risque de coûter très cher à "Etat. Les moyens financiers mobilisés auraient mieux servi si leur affectation était faite plus directement aux éleveurs. 50 La pêche est la troisième activité du secteur primaire. Elle occupe une place de plus en plus importante dans l'économie sénégalaise et représente environ 10 % du P.I.B. et devient après l'arachide le deuxième pilier de l'économie sénégalaise. Les objectifs fixés dans le sous-secteur sont de trois ordres: la poursuite des efforts en matières d'exploitation et de protection des ressources halieutiques; l'insertion du milieu marin dans une économie moderne avec toutes les mutations économiques impliquées; la maîtrise du secteur par la promotion d'armements nationaux. Selon le VI" Plan réajusté, au cours de la période 1979-1982, la valeur ajoutée de la pêche est passée de 11,2 milliards F C.F.A. à 21,4 soit un taux annuel moyen de croissance de 24 %. Les investissements opérés se sont élevés à 11,41 milliards et ont concerné seize projets parmi lesquels cinq ont représenté 91 % de ces investissements du sous-secteur. Ce sont la motorisation, le Centre d'Assistance à la Pêche de Kafountine, l'armement thonier et le Crédit Maritime. Sa part dans le P.I.B. s'est accrue depuis 1960 et est passé de 1,6 % à 6,1 % dans les années 70. En outre, l'importance de la pêche se révèle dans le fait qu'elle contribue pour 26 % à la satisfaction des besoins nationaux en protéines animales et qu'elle fournit 6,03 grammes de protéines par jour et par habitant. Ces deux sous-secteurs, comme on le voit, sont des éléments importants de la réalisation de l'autosuffisance alimentaire et de l'amélioration des recettes d'exportation. En effet, le fait le plus remarquable dans le sous-secteur de la pêche réside dans son rôle prépondérant dans les exportations où elle devance les phosphates depuis 1980. Ce phénomène important fait qu'on assimile la pêche à une sorte de pactole dont pourrait bénéficier les producteurs par suite d'une demande mondiale en croissance rapide. Les exportations des produits de la mer qui étaient de 8,5 % des exportations totales sont passées à près de 18 % au cours du V' Plan. Leur répartition est la suivante: 40 % de poissons frais, 32 % de mollusques et crustacés et 28 % de conserves. En valeur, l'évolution s'est effectuée comme suit en milliards de F C.F.A. Exportations ....... .. '1 1976 1977 1978 11,9 16,3 18,6 1979 1 1 1980 25,2 27 1 51 Le secteur fournit près de 65 000 emplois dont 10 000 pour la pêche continentale, 50 000 pour la pêche artisanale et 5 000 pour la pêche industrielle. Par ailleurs, il couvre environ 47 % des besoins en protéines animales de la population. L'Etat a très tôt compris tout l'intérêt stratégique mais aussi les enjeux du sous-secteur porteur d'avenir et s'était doté en conséquence d'un instrument d'action dès 1962 : la société sénégalaise d'Armement et de Pêche (S.a.S.A.p.). Cette entreprise était bien partie et avait réalisé des résultats heureux dès les premières années. En 1966 cependant, les responsables ont décidé d'acquérir des bateaux pour une somme de 227 millions F C.F.A. Ces opérations feront perdre à la S.a.S.A.p. 158 millions de francs de 1970 à 1973. Parallèlement à cette opération douteuse, la société va connaître une gestion médiocre. Sur quinze bateaux en service en 1975 (la flotte comprenant vingtcinq), seul un bateau a réalisé des bénéfices. La production a baissé de 10 800 tonnesà 5900 si bien que les mises à terre ne suffisaient même pas à couvrir les charges d'exploitation. Ainsi la société était condamnée à la faillite malgré l'application d'un plan de sauvetage. La décision de liquidation fut alors prise en août 1976. Les dépenses dépassaient le double des recettes et les pertes accumulées étaient d'environ 4,8 milliards. Les dettes à court et long termes s'élevaient à 6,5 milliards de francs C.F.A. Dans son rapport sur le secteur parapublic, la Banque Mondiale note que pour l'Etat, le coût de cette opération sera énormément plus élevé que celui de sa participation (1,4 milliard d'avances et 1,2 milliard de prêts remboursés pour le compte de la S.a.S.A.p,) ; il s'en tire avec une dette d'un montant de 2,7 milliards. Cependant, cette expérience malheureuse ne doit nullement être un prétexte ou un obstacle majeur pour l'Etat à exercer des tâches d'orientation, de direction et d'organisation dans un secteur dont l'importance dans l'économie nationale est grandissante, L'Etat, au lieu de démissionner, devrait tirer les leçons de l'échec de la S.a.S.A.p. et s'engager de façon plus résolue vers l'élaboration d'une stratégie d'encadrement et de promotion des activités de la pêche qui sont en expansion continue, Les axes d'une telle stratégie pourraient graviter autour de : l'élaboration d'une politique de motorisation; la création d'une infrastructure de base; une politique de surveillance; l'élaboration d'une politique de commercialisation; la mise en place d'un crédit spécialisé. Quels enseignements peut-on tirer de celle intervention de l'Etat dans le secteur primaire? 52 Au moment de l'indépendance, la politique agricole se proposait de transformer, de restructurer et de moderniser l'agriculture au travers de multiples interventions inscrites dans les plans successifs de développement économique et social. La croissance économique planifiée, devait aboutir à la promotion de l'agriculture par "élevation du niveau de vie des paysans, la réduction des inégalités qui existent entre villes et campagnes. Ainsi, plusieurs mesures économiques, financières et législatives prises dans les plans successifs du développement faisaient du secteur agricole, un secteur prioritaire auquel étaient imparties quatre fonctions essentielles; ce sont celles: - de couverture des besoins vivriers en expansion rapide à la suite d'une explosion démographique et d'une urbanisation accélérée avec multiplication de villes saturées et inadaptées; de génération de surplus capables de faire sauter le goulôt d'étranglement de ressources en devises et de libérer les moyens d'un financement des activités industrielles; de libération de la main-d'œuvre agricole sans préjudice pour la production globale; d'élargissement du marché intérieur consécutif à l'accroissement des revenus des producteurs. Vingt-cinq années de développement agricole n'ont pas permis la réalisation de ces objectifs. En dépit de ses potentialités, l'agriculture a périclité dans beaucoup de domaines. Elle n'a couvert que très faiblement les besoins vivriers installant ainsi une grave crise alimentaire qui se traduit par une dépendance excessive de l'extérieur. En 1980, le taux de couverture de la demande vivrière par la production nationale était de 55 % pour les céréales, de 30 % pour la tomate industrielle, de 20 % pour le riz et de 1 % pour le blé. De même, le pouvoir d'achat des producteurs s'est notablement dégradé par .suite d'une évolution défavorable des prix des grands produits agricoles et notamment de l'arachide qui fournit entre 81 et 93 % des revenus monétaires comme l'atteste le tabelau ci-après. Tableau 2.12: REVENUS MONETAIRES DES PAYSANS (en milliards de francs C.F.A. courants) 1979 1980 1981 1982 1983 - - -- - - -Revenu monétaire total des agriculteurs Revenu de l'arachide ................. Pourcentage arachide ... . ......... . .... 34,9 29,0 83% 19,8 17,0 86% 10,7 8,7 81 % 47,1 42,5 90% 60,8 56,5 93% Source: Ministère du Plan et de la Coopération, Dakar. 53 La politique des prix aux producteurs n'a pas contribué à accroître les revenus monétaires du monde rural et l'annulation en 1981 des dettes paysannes pour un montant de 30 milliaras, n'a réglé que très partiellement la dégradation du pouvoir d'achat. L'exode rural qui s'est amplifié apparaît comme le double signe de la paupérisation des campagnes et de l'incapacité du secteur agricole à capter et à utiliser sa propre force de travail. Il produira deux résultats négatifs: un vieillissement rural et la gangrène urbaine. Les investissements directs dans le secteur agricole n'ont permis ni la suppression de la précarité des conditions d'existence et de travail des paysans, ni la réalisation de la diversification de la production et de l'autosuffisance alimentaire. Au contraire, le déficit vivrier s'est accentué créant l'insécurité alimentaire. Le taux moyen de couverture de la consommation nationale céréalière diminue régulièrement et passe de 63 % en 1975 à 54 % en 1976,39 % en 1977 pour se stabiliser à environ 50 % en 1980. Il en résulte une dépendance vis-à-vis de l'extérieur et une augmentation soutenue des importations alimentaires entraÎnant un alourdissement du déficit de la balance commerciale tel que cela apparaît dans le tableau suivant. Tableau 2.13: EVOLUTION DU SOLDE COMMERCIAL: 1973-1979 (en milliards de francs C.F.A.) 1974 1974 1975 1976 1977 1978 1979 - - - - - -,-- - - -1 Défic;t commercial ..... 2 Exportation arachide plus coton ............... 3 Importations céréalières .. 2/1 en pourcentage .... 3/1 en pou rcentage .... 36,7 25,0 25,9 38,1 35,1 68,6 84,1 16,1 13 44 35 35,7 22 143 88 41,6 11 160 42 67,1 17 176 45 79,2 19 226 54 26,9 17 39 25 47,5 21 56 25 Source: Ministère des Finances, Direction de la prévision et de la conjoncture. Enfin, les mesures de modernisation introduisent des distorsions et produisent un processus de différenciation sociale dans Jes campagnes alors même que les formes capitalistiques de production caractérisées par le productivisme ne prennent point racine. Tous ces éléments établissent l'inefficacité de la politique agricole malgré les immenses moyens financiers et humains mobilisés depuis l'indépendance. Ainsi au simple niveau national, du troisième au sixième plan, le volume global des financements a évolué comme suit en millions de F C.F.A. 54 Tableau 2.14: VOLUME DES INVESTISSEMENTS VI· PLAN (en millions de francs C.F.A.) III" Plan AGRICOLES: IV" Plan DU II" V" Plan VI" Plan 16552 9479 26211 14524 6020 20544 au 1 ...... ... . S.N.E. Emprunte ............ 1 Total ................ 1 7285,5 3780 11065,5 8385 5829 14214 1 Source: Direction de la prévision. M.E.F. A ces ressources internes, il faut ajouter les financements externes qui ont été très importants passant de 32,439 milliards de F C.F.A. pour le second Plan à 30,287 milliards pour le troisième, 27,126 milliards pour le IV·, 82,208 milliards pour le V· et 34,89 milliards pour le VI" Plan. Les résultats dans le secteur rural sont sans commune mesure avec les moyens financiers et matériels considérables qui y sont engagés. La poursuite après l'indépendance de l'agriculture coloniale de monoculture arachidière, malgré un effort de diversification avec l'introduction du coton, a conduit à un déficit vivrier couvert par des importations de biens alimentaires dont la valeur est passée d'environ 35 milliards de F C.F.A. en 1977 à 70 milliards en 1984, dont 32 milliards pour le riz et 8,5 milliards pour le blé. Par ailleurs, pour les années correspondantes, ces importations ont représenté le quintuple du service de la dette rééchelonné en 1981, 2,3 fois celui de 1982, plus du triple de celui en 1983 et près de 3 fois celui de 1984. En d'autres termes, une réorientation judicieuse des structures productives agraires au lendemain de l'indépendance vers la couverture prioritaire des besoins alimentaires aurait permis une économie de devises de 54,4 milliards en 1984, de 35,5 milliards en 1982, de 47,5 milliards en 1983 et de 45,3 milliards en 1984. Le total cumulé de ces ressources devrait être de 180,7 milliards sur quatre années seulement. Cette masse de ressources financières aurait pu être investie afin de renforcer la base de la production nationale, de créer des milliers d'emplois et de couvrir largement le déficit cumulé de 143,9 milliards de F C.FA de la balance des paiements pour les quatre années correspondantes. Dans ce contexte, il s'avère indispensable et urgente d'instaurer une autre politique agraire, qui soit plus soucieuse de la prise en compte d'une croissance économique intravertie, de "amélioration constante de la productivité dans l'agriculture et des conditions sociales de vie des producteurs. La démarche devrait partir d'une évaluation de toutes les contraintes qui pèsent sur l'agri55 culture, de la définition d'objectifs et de programmes ptéCls et de l'élaboration d'un ensemble de mesures technico-agronomiques dans les domaines de la mécanisation, de la fertilisation, de la sélection des semences, de l'assolement, de l'occupation des sols et de l'irrigation. Une telle politique nécessite sans aucun doute une intervention directe et de plus en plus poussée de l'Etat. Il s'agira d'une intervention qui rompe nécessairement avec les orientations paternalistes d'un encadrement générateur d'une bureaucratie omnipotente et omniprésente qui détourne toujours à son profit exclusif les moyens mobilisés pour les transformations et les réorientations de l'agriculture. Dans cette nouvelle optique, il faudra: d'abord définir les orientations plus claires en matière d'accumulation et fixer les voies et moyens permettant tout à la fois de développer les forces productives dans ce secteur primaire et d'améliorer les conditions sociales de la paysannerie sans oublier d'opérer des transferts de valeur de l'agriculture vers les autres secteurs; ensuite fixer une politique foncière appropriée et instaurer une coopération agricole plus fonctionnelle fondée sur l'idée que tout investissement technico-agronomique réalisé sur des exploitations trop réduites serait difficilement rentable aux plans économique et financier; enfin instaurer des structures et mécanismes qui restaurent la personnalité et l'initiative créatrice des paysans, supervisant le développement du secteur primaire et favorisant des mesures incitatrices et motivantes pour la production agricole. Au regard de l'intérêt décisif accordé aux cultures irriguées pour enrayer les pénuries alimentaires et la famine, il est d'une extrême urgence de résoudre la question foncière dans les zones concernées (17). Quels sont alors les enjeux de la question foncière au Sénégal? Le terme enjeu désigne, rappelons-le, ce que risquent de gagner ou de perdre les participants à un jeu ou à une activité économique. Les enjeux fonciers, tous très importants, ont à la fois une dimension nationale et une dimension internationale. Ces deux niveaux ne sont pas séparés par des cloisons étanches, bien au contraire. Au niveau national, la première série d'enjeux pourrait être appréhendée par la question suivante; la vieille et sinistre prédiction de Malthus trouvera-t-elle encore longtemps confirmation? La prédiction faite au XIXc siècle par ce pasteur anglican dit, on le sait, que l'accroissement démographique naturel l'emportera toujours sur l'augmentation possible des productions alimentaires. L'agriculture sénégalaise, à défaut de la démographie, lui infli- 56 gera-t-elle bientôt un démenti? Si oui, on touchera au but de l'autosuffisance ou de la sécurité alimentaire des populations. En combien de temps? Pas du jour au lendemain. La révolution agro-foncière qu'implique l'expansion des cultures irriguées, seules capables par leurs rendements d'accroître significativement la productivité du secteur agricole dans son ensemble, s'inscrira dans la durée. Pour de multiples raisons et notamment les deux suivantes :Ie financement des aménagements de surfaces irrigables ne sera pas trouvé en claquant des doigts; il faudra égaIement du temps pour la reconversion des paysans majoritairement occupés aujourd'hui aux cultures pluviales auxquelles sont associées des techniques séculaires et millénaires. On peut également se demander - ce sont d'autres enjeux - si les risques sanitaires et écologiques liés à ces changements seront maîtrisés et surtout, si les nouvelles politiques agricoles en œuvre ici ou là réussiront à enclencher le développement de l'économie tout entière. Toujours au niveau national, la seconde catégorie d'enjeux concerne la répartition de la richesse foncière et du pouvoir qui y est attaché. La sécheresse n'est pas au Sénégal une invention. Le facteur le plus rare étant l'eau, il est souvent dit: qui tient l'eau, tient la terre qu'elle peut irriguer... et le reste. Qui donc est maître de l'eau? Actuellement c'est l'Etat, en fait et en droit, par les grands barrages qu'il a édifiés, notamment sur le fleuve Sénégal, œuvre conjointe de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali pour un coût de 220 milliards de F C.F.A. Dès lors, le principal enjeu de la répartition foncière apparaît clairement: c'est le potentiel de cultures irrigables à savoir 240 000 hectares pour la seule rive sénégalaise du fleuve du même nom, aptes à tripler le volume actuel des productions végétales du pays. Que fera l'Etat du pouvoir qu'il détient? en laissera-t-il prendre la part du lion par certains gouvernements et fonctionnaires en place ou retraités? Pour ne pas scier l'une des branches sur lesquelles il est assis, invitera-t-il à la table du partage les maîtres traditionnels de la terre, famille nobles et chefs religieux susceptibles de venir à cette table accompagnés de leur influence sur la population rurale électoralement majoritaire? Ou bien, comme il semble vouloir le faire, l'Etat déléguera-t-il son pouvoir et la répartition foncière sera-t-elle, pour la plus grande part, décidée à la base par des communautés ou des conseils ruraux? Sur quels critères ces conseils fonderont-ils l'attribution des terres et quelle sera leur attitude vis-à-vis des postulants nationaux venus d'autres régions ou d'autres ethnies que la leur? Pour délimiter tous ces enjeux, il faudrait encore penser d'une part à l'électricité qui suivra l'eau, d'autre part au «foncier des villes» qui s'ajoute au « foncier des champs» et influence l'équilibre des populations urbaines et rurales. 57 Au niveau international, le premier enjeu est interafricain. Les pays de la zone parviendront-ils à terme à faire de leur coopération réussie pour la mise en valeur des terres et de l'eau (type O.M.V.S. (18). ou Commission du Fleuve Niger) un levier efficace de leur intégration économique? La seconde catégorie d'enjeux internationaux concerne l'accès des étrangers à l'agriculture et l'agro-industrie locales: dans quelles limites seront-ils acceptés sinon recherchés et comment seront vécues les possibilités de coexistence entre le salariat auquel a habituellement recours l'agro-industrie internationale et l'agriculture familiale et diversifiée qu'il est souhaitable d'encourager? Comment les pays du Sahel arriveront-ils à rendre compatibles leur volonté légitime de sauvegarder la base foncière de leur indépendance et leur désir bien compréhensible de s'écarter de la marginalisation en participant à une économie mondiale caractérisée notamment par la croissance des capitaux transnationaux? Enfin, quels sont, pourrait-on dire, les tiercés gagnants c'est-àdire les combinaisons productives à base de terre, d'eau et de soleil que peut imaginer le Sénégal pour prendre une meilleure place dans le jeu économique mondial des avantages compétitifs? Section 2 : FORCES ET FAIBLESSES DU SECTEUR INDUSTRIEL Le Sénégal a abrité les premières structures industrielles en Afrique Occidentale française. Le processus a réellement débuté vers les années 1920 avec l'installation des premières industries valorisant certaines ressources du fJays. Cette industrialisation légère a été facilitée par le caractère côtier du Sénégal, mais aussi par la conjugaison de trois événements: d'abord la crise des oléagineux qui s'est accrue vers les années 1915-1920 et qui a imposé la nécessité de mettre en valeur les territoires présentant des dotations naturelles évidentes comme le Sénégal, le Soudan Français et la Haute-Volta; ensuite l'impossibilité pendant la Seconde Guerre mondiale d'obtenir des navires pour le transport régulier des marchandises de la Métropole vers les colonies ouest-africaines. Il a fallu donc encourager le développement d'une infrastructure industrielle légère qui puisse répondre à certains besoins des colonies; enfin, la nécessité de livrer auy colonies des produits de consommation dont la demande augmente à la suite de l'accroissement des résidents européens et de l'apparition 58 d'une petite minorité d'autochtones fortunés travaillant comme auxilliaires de l'Administration coloniale. Ce processus d'industrialisation avait pour objectif la production de certains biens de consommation courante pour lesquels il existe une demande interne. Cette industrialisation était le fait: d'abord des sociétés coloniales et des comptoirs commerciaux qui étaient les principaux animateurs des circuits de l'économie de traite. Cette catégorie d'opérateurs comprenait des comptoirs comme la Compagnie Française de l'Afrique Occidentale (C.F.A.O.), la Société Commerciale Ouest-Africain (S.C.O.A.), la Nouvelle Société Commerciale (NO.SO.CO.), O.P.T.O.R.G. et le Niger-Français, Lesieur-Univeler. Ils investissent dans les industries alimentaires, textiles, de cosmétiques, de matériaux de construction afin d'alimenter en produits les magasins qu'ils contrôlaient. Pour avoir une idée de leur importance, on pourrait observer que la C.F.A.O. contrôlait cent trente sociétés avec quinze mille travailleurs et avait un chiffre d'affaires de 4,8 milliards de francs français alors que la S.C.O.A. assurait le contrôle de cent cinquante sociétés en utilisant trente et un mille travailleurs et avait un chiffre d'affaires de 5 milliards de francs français. - ensuite des capitaux familiaux en provenance de Bordeaux et Marseille comme Pétersen, Vezia, Chavanel, Buhan Teisseire, etc. Ces opérateurs avaient mis en place un tissu industriel visant à réaliser l'autonomie de l'empire en produits manufacturés. Cependant, avec les indépendances de 1960 et l'éclatement politico-économique de l'Afrique Occidentale Française, une nouvelle situation s'ouvrit pour les industries installées au Sénégal. Les capitaux coloniaux et les comptoirs tenant compte des nouvelles modifications ont procédé à des redéploiements et reconversions de leurs activités. Ils ont procédé surtout à un vaste mouvement de diversification géographique pour contrôler les nouveaux espaces économiques et réduire les risques politiques. Ils ont encouragé les nouveaux Etats indépendants à implanter des industries légères concurrentes de celles existant au Sénégal. Cette nouvelle situation a entraîné une intervention de l'Etat dans le secteur d'une part pour inciter les capitaux privés nationaux et étrangers et d'autre part pour mettre en place des mécanismes protecteurs de la production industrielle. Les mesures vont instaurer des situations de monopole et créer des rentes de situation qui se traduiront par des prix élevés rendant les industries sénégalaises non compétitives sur le marché Ouest-Africain. 59 1) Les caractéristiques générales du développement et de la localisation industrielle En 1981, le secteur industriel comprenait 325 entreprises contre 254 en 1974. En 1976, sept sociétés avaient un chiffre d'affaires supérieur à 5 milliars F C.F.A. Ce sont la S.A.R. (Société Africaine de Raffinage) avec 18 milliards; la C.S.S. (Compagnie Sucrière Sénégalaise) avec 13,9; les phosphates de Taïba avec 11,3; la SENELEC avec 9,011; Lesieur Afrique 8,14; SOTIBA SIMPAFRIC (impression de tissu) 6,5 et la S.E.I.B. avec 5,01. Une douzaine d'autres entreprises avaient réalisé entre 2 à5 milliards et un peu plus d'une vingtaine se situaient entre 0,5 et 1 milliard. La part du secteur industriel dans le P.I.B. du Sénégal est l'une des plus élevées d'Afrique de l'Ouest; elle se fixait en 1972 à 21,3 % contre 18 % en 1979. Au cours des années 1977-1980, la structure de la P.I.B.E. donnait 28,1 % pour le primaire, 26,9 % pour le secondaire et 45 % pour le tertiaire. La oroduction industrielle en valeur a doublé durant la 1959-1972 passant de 24 à 48 milliards, ce qui représente moyen de croissance annuelle de 5,6 % contre 2,8 % sêcteur rural. D'ailleurs en matière de croissance, le industriel a été plus performant que les autres activités. oériode un taux pour le secteur Pour l'ensemble du secteur, la formation brute de capital fixe est passée de 1,5 milliards en 1962 à 12 milliards en 1974. Une telle évolution est cependant dérisoire comparée au succès de la Côte-d'ivoire où le volume de la F.B.C.F. a été de 75 milliards. En ce qui concerne la valeur ajoutée, elle représentait en 1975 près de la moitié de celle réalisée par la totalité des entreprises modernes (77 milliards sur un total de 166). En matière d'emplois, les entreprises industrielles utilisaient de façon permanente près de 30000 personnes et de façon saisonnière 70000 personnes. A l'occasion, elles ont versé près de 23 milliards de salaires et charges. La création d'emplois était l'objectif primordial imparti au secteur industriel. Dans ce sens, le préambule du Chapitre VIII du IV· Plan, observe que l'objectif du plan quadriennal est non seulement de favoriser l'expansion industrielle, mais de faire en sorte que celle-ci crée des emplois. Le code des investissements va prévoir des mesures incitatrices et une fiscalité de faveur pour les entreprises créatrices d'emplois. Seulement, malgré cette législation de faveur les capacités d'absorption de main-d'œuvre sont restées très limitées. Ainsi, pour 150 entreprises, seulement 15 % emploient plus de 50ouviers. 60 2) Les déséquilibres et l'aosence d'intégration Ces déséquilibres se manifestent à trois niveaux: la prééminence du capital privé; la prédominance des branches et technique légères; la forte concentration dans la région de Dakar. Sur le premier point, on observera que depuis l'indépendance, les pouvoirs publics ont invariablement affirmé leur volonté d'abandonner le secteur industriel aux capitaux privés étrangers et nationaux qui, non seulement peuvent mobiliser les moyens financiers et technologiques nécessaires, mais sont mieux armés pour mettre en place toutes les conditions de rentabilité. Cette renonciation de l'Etat a amené la prise de contrôle du secteur par les investissements privés français qui, selon G. Rocheteau, « cherchaient à conserver le monopole d'approvisionnement du marché sénégalais et à participer à l'exploitation et à la transformation industrielle des matières premières sénégalaises en fonction des besoins exprimés sur le marché français (intrants industriels et produits de consommation finale)) (19). Même quand l'objectif d'industrialisation par substitution d'importations s'est imposé pour améliorer la balance des paiements, les nouvelles créations industrielles ont été le fait des fournisseurs français traditionnels. L'Etat tentera, comme le soulignait le président de la République d'alors « de poursuivre sa politique de participation au capital dans les grandes entreprises motrices et d'aider l'insertion de chefs d'entreprise sénégalais dans le secteur secondaire» (20). G. Rocheteau a parfaitement analysé toute la structure du capital industriel au Sénégal et aboutit au constat que la prééminance des intérêts français est l'élément caractéristique invariable au niveau de toutes les branches. Le capital colonial et les anciens comptoirs commerciaux comme la C.F.A.a., la S.C.a.A., la NaSaCa se sont reconvertis en diversifiant leurs activités dans les industries produisant pour la consommation finale des ménages: brasserie, industries textiles, industries agro-alimentaires, industrie des matériaux de construction. Ce nécessaire redéploiement du capital a été souligné par le P.D.G. de la S.C.a.A. lorsqu'il déclarait que « ce que les pays du Tiers Monde attendent de nous, c'est surtout un transfert technologique pour la mise en valeur de leurs ressources naturelles et leur industrialisation, non seulement en vue d'une substitution aux importations mais surtout en vue de développer leurs exportations... Le rôle d'un groupe comme la S.C.a.A. doit être d'aider ces pays à équilibrer leur balance des paiements en participant à la mise en valeur et surtout à la transformation de leurs ressources naturelles. C'est l'objectif que nous nous sommes fixé sur le plan industriel» (21). 61 Cependant, avec l'avènement des grands projets comme les industries chimiques du Sénégal, la MIFERSO (Minerai de Fer du Sénégal Oriental), Dakar Marine, on observe des phénomènes comme: une tendance assez forte à la restructuration du capital industriel avec un processus de concentration et de fusion ainsi que l'ouverture sur les entrepreneurs nationaux; le redéploiement en direction d'autres pays industrialisés avec de fortes tendances à la multinationalisation ; l'ouverture sur d'autres partenaires européens, américains et japonais. Ainsi, en prenant l'exemple de la MIFERSO, on voit s'associer aux sidérurgistes français, le groupe industriel japonais Kasematsu Gosho et le groupe allemand Krupp. Cependant, la crise économique et financière impose l'intervention de l'Etat dans la promotion, la consolidation et surtout l'élargissement des bases du secteur industriel. De même, les pouvoirs publics vont manifester de plus en plus une volonté de sénégalisation de l'industrie. Dans cette optique, le président de la République observait que « sans jamais exclure les étrangers, il est question que. progressivement, en avançant pas à pas, nous sénégalisions une industrie qui, par définition est sénégalaise: par ses capitaux, ses directions et ses techno-structures» (22). Ce modèle d'industrialisation comporte quelques distorsions qu'il importe de corriger pour bénéficier des avantages liés de façon intrinsèque à l'existence et à la consolidation du secteur secondaire: valorisation des matières premières locales, accroissement des surplus, amélioration de la productivité et du savoirfaire par la diffusion technologique, augmentation des revenus et de l'emploi, effets d'entraînement sur le reste de l'économie. Pour concrétiser ces avantages, certaines mesures s'imposent notamment: une plus grande participation de l'Etat et des nationaux au capital industriel; ce qui entraînerait l'extorsion d'une partie du produit industriel à des fins d'accumulation productives; une réorientation des capitaux vers l'exploitation et la valorisation des matières premières nationales et l'amorce d'une rupture avec le modèle d'économie exportatrice des biens primaires; un développement des échanges inter-industriels pour accroître la valeur ajoutée à l'économie et la compression des importations. 62 Ces mesures importantes ne peuvent être initiées et entreprises que par l'Etat dans le cadre d'une stratégie cohérente d'industrialisation mobilisant d'importants moyens financiers, humains et technologiques. Il s'agira alors d'élaborer un véritable schéma directeur du développement industriel pour favoriser et promouvoir toutes les initiatives. Sur le second point, le classement des industries montre que la grande majorité des branches est orientée vers les secteurs de production de biens intermédiaires et de biens de consommation, c'est-à-dire le secteur des industries légères. Le dernier recensement donne la répartition suivante: biens d'équipement (mécanique, électronique et construction navale) : 20 % ; biens intermédiaires (énergie, matériaux de construction, chimie, bois et papiers) : 46 % ; biens de consommation (conserverie, huileries, sucrerie et industries alimentaires, textiles, cuir: 34 %. Une telle répartition établit que le tissu industriel est dominé à 80 % par des branches légères. On est en présence d'un modèle d'industrialisation de substitution d'importation caractérisé par, Tableau 2.15: PART, EN POURCENTAGE, DE LA REGION DE DAKAR DANS L'INDUSTRIE NATIONALE 41 .! CIl 41 Q) .~ Branches Pêche conserveries . . Industries alimentaires, tabacs, allumettes, grain et farine ...... .. Corps grans . . Sucre confiserie . Textile de base, confection . Bois................... . . . . Papier, carton polygraphie Chimie . Extractives . Matériaux de construction . Mécanique ' '" . Energie, eau, électricité . B.T.P./Annexes bâtiment . Toutes branches . .00. E QI zo ~ c -QI -c .:3 w 0 ~ ïi ~ 41~ iO > CIl CIl CIlë ~ ~ Q) -<.> <0 c QI lE )( -<.> <0 :::l QI -0 :t: E ~ w- c.. QI..! CIl <0 en ".: <0 <0 :::EiO CIl -- - - - - - - 96 85 80 81 87 83 25 50 84 83 100 90 17 66 94 66 96 89 82 50 13 92 91 100 85 31 4 87 60 100 90 16 87 94 99 96 75 82 31 1 87 58 100 86 7 87 94 99 96 73 85 49 21 87 77 16 93 96 98 94 73 84 100 93 16 90 95 99 94 77 1 Source: Statistiques et indicateurs des régions du Sénégal M.P.C./D.P./D.R.P. 63 l'existence d'effets d'entraînement très réduits, le recours à une main d'œuvre limitée et souvent hautement qualifiée, la dépendance extérieure, notamment l'importation de biens intermédiaires, et l'exportation des profits. Un tel modèle accroît l'extraversion sans avoir des effets industrialisants notables. Par ailleurs son fonctionnement s'effectue à partir d'un modèle de consommation de la minorité privilégiée par la fortune et les couches sociales liées au commerce extérieur. Le troisième point concerne la concentration industrielle au double plan économique et géographique. En effet, en 1974, sur un total de 254 entreprises (petites, moyennes et grandes), 222 étaient localisées dans la région de Dakar, ce qui représente 87,4 % de l'effectif. Cette concentration industrielle en faveur de la capitale engendre des problèmes économiques et sociaux complexes et quasi inextricables ainsi qu'un déséquilibre régional assez accentué dans la distribution des effets bénéfiques du secteur secondaire. Ce qui transparaît davantage dans le tableau 2.15 page 63. La région de Dakar concentre à elle seule environ 90 % du nombre total d'entreprises recensées (304 sur 341), 73 % de la valeur ajoutée, 75 % et 73 % respectivement des emplois permanents et des emplois totaux et 77 % des salaires distribués. Cette concentration des activités industrielles fait de Dakar, avec sa croissance annuelle supérieure à 5 %, une métropole gigantesque et de moins en moins maîtrisable par les décideurs nationaux. De plus la dégradation constante des conditions agropastorales fait que la région de Dakar apparaît à toutes les couches paupérisées des campagnes comme une société particulièrement de consommation où il est possible de faire rapidement fortune, de trouver un emploi et de rompre avec une ruralité de plus en plus pesante. Les pouvoirs publics ont pris conscience de ce déséquilibre et des distorsions qu'il entraîne à savoir: le partage inégal des fruits du développement économique et social et la création au niveau de la grande agglomération dakaroise des conditions d'antagonismes et de conflits sociaux pouvant menacer les fondements de l'ordre social. Dans cette optique, le président de la République proposait une décentralisation industrielle liée à une politique d'aménagement du territoire. Une telle politique devrait aider, à la suite du processus de déconcentration et de décentralisation de l'exécutif, à atteindre une meilleure répartition des activités dans l'espace national et un meilleur équilibre des régions. Par ailleurs, on observera que l'industrie sénégalaise connaît un autre déséquilibre provenant de la très faible intégration des branches. Cela se traduit par l'existence de relations marchandes réduites entre les différentes activités. Chaque branche demeure 64 ainsi très fortement tributaire de l'extérieur. On peut illustrer ce propos par la dépendance vis-à-vis de l'extérieur notamment en matière d'approvisionnement comme l'indiquent les données ci-après: 1962 Consommations intermédiaires Sur produits nationaux Sur produits importés ......1 1974 59,9 % 60.3 40,1 % 39,7 % % 3) Les codes des investissements et leurs effets sur l'industrialisation Le Sénégal, a l'instar de beaucoup de pays en développement caractérisés par une épargne intérieure faible et des besoins importants de capitaux, a pris en son temps un train de mesures pour attirer les investissements privés étrangers et encourager les hommes d'affaires nationaux à s'insérer dans les secteurs productifs. Dans cette optique les lois 61-14 et 61-15 ont été votées pour inciter les capitaux étrangers à s'investir dans les secteurs prioritaires en leur accordant des concessions et avantages permettant une amélioration de la rentabilité et des profits. Cependant, ces mesures vont s'avérer insuffisantes car d'autres Etats accordent des régimes dérogatoires plus stimulants. Ainsi comme à la surenchère, le 22 mars 1962, le Gouvernement instituait la loi 62-33 portant création du Code des investissements qui définit « les conditions et les modalités de la convergence entre l'intérêt national et les intérêts privés". Désormais un cadre est tracé qui définit deux types d'entreprises fiscalement privilégiées: les entreprises prioritaires et les entreprises conventionnées. Toutefois, malgré des désarmements fiscaux et des concessions dérogatoires au droit commun des entreprises, les conditions d'agrément sont jugées encore sévères par les entreprises étrangères. Pour leur donner satisfaction, le code sera remplacé par la loi 65-34 de mai 1965 qui abaisse le minimum d'investissement requis au titre des divers régimes rendant ainsi l'agrément beaucoup plus aisé. Cette loi sera revisée puis remplacée par la loi 72-43 du 12 juin 1972 qui prend en considération les nouvelles activités prioritaires devant contribuer au redressement de la balance des paiements: agriculture exportatrice, tourisme. La loi de 1972 sera abrogée et remplacée par la loi 78-20 du 29 janvier 1978 qui présente les nouvelles dispositions du code 65 des investissements. Le champ du code a été élargi aux secteurs suivants: eaux et forêts, recherche et exploitation minière, commerce, télécommunications, transport aérien, maritime et ferroviaire. Ces secteurs viennent en complément des activités agricoles, industrielles et touristiques. Le trait marquant de la nouvelle législation est la suppression des exonérations en matière d'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux. Les deux régimes sont maintenus et les avantages plus nettement spécifiés et élargis. Pour être admises au régime des entreprises prioritaires, les personnes physiques ou morales doivent présenter un programme portant: sur un investissement minimum de 200 millions F C.F.A. réalisables en trois ans, et sur la création directe, au cours de la première année d'exploitation, d'au moins cinquante emplois permanents de cadres ou ouvriers sénégalais; ou sur la création directe au cours de la première année d'exploitation d'au moins cent emplois permanents. Quant aux entreprises conventionnées, elles sont liées à l'Etat par une convention d'établissement leur octroyant totalement ou partiellement les avantages prévus pour les entreprises prioritaires, et leur garantissant un régime fiscal de longue durée. Pour bénéficier de telles faveurs, il faudra présenter un programme d'investissements réalisables en trois ans pour un montant au moins égal à 1 milliard de francs C.F.A. Par ailleurs, par dérogation tant aux dispositions du code des investissements qu'à celles du droit commun, il peut être octroyé un régime fiscal spécial aux entreprises qui s'installeront en dehors de la région de Dakar avec un programme d'un montant d'au moins 4 milliards et un volume d'emplois de 400 personnes. Cette analyse bien que brève, permet de voir qu'en matière de code des investissements, la législation a évolué avec rapidité en essayant de s'adapter à un environnement mondial en perpétuelle mutation et rendant de plus en plus difficile une libre circulation et une péréquation des capitaux. Le code des investissements, par le biais d'un désarmement fiscal et d'autres concessions, a encouragé l'installation de quelques entreprises. En effet, les avantages concédés permettent une réduction des coûts et une augmentation des bénéfices. Au cours du V· Plan, 106 entreprises avaient été agréées par le Comité Interministériel d'Investissement. En 1981, sur les 106,3 milliards d'investissements industriels prévus, 60,3 milliards avaient été réalisés, soit un taux de réalisation de 57 0J0. L'analyse sectorielle de ces 106 entreprises montre la part importante des branches 66 mécaniques et énergétiques avec des investissements réalisés respectivement par Dakar-Marine et EDS/SENELEC. En dehors de ces deux branches, ce sont le tourisme et le secteur alimentaire qui réalisent les volumes d'investissement les plus importants. Cette législation de promotion est complétée par les mesures d'encouragement aux exportations qui accordent des avantages substantiels aux entreprises exportatrices: régimes spéciaux tels que l'entrepôt industriel sous douane, l'admission temporaire, les drawsbacks, etc. Toute la politique consiste alors à autoriser l'importation hors taxes de certaines matières nécessaires à la fabrication des biens exportés. Le résultat produit est que le solde brut de l'industrie au sein de la balance commerciale est largement positif. Ce solde mesuré par l'excédent des exportations sur les importations de matières premières est passé de 9 milliards en 1962 à 37,1 milliards en 1974. Il s'est maintenu même dans les périodes de mauvaise conjoncture, ce qui permet d'affirmer que l'industrie est restée fortement exportatrice. En prenant l'exemple des mines et de l'énergie, les exportations ont évolué comme suit: 1962 Chiffre d'affaires en milliards .... ...... Exportations en valeur . Exportations en pourcentage du chiffre d'affaires ....... Vente au Sénégal en milliards , 44,1 21,6 '" 49,0% 22,5 , 1974 190,1 92,1 48,0% 98,0 1 Toutefois, il faut souligner que l'inconvénient majeur de cette politique est que l'industrie est tributaire de l'extérieur et d'autre part elle peut nuire aux achats de matières premières locales. C'est ce qui expliquait que la S.O.T.I.B.A. achetait environ 2000 tonnes de tissus en Extrème-Orient alors que la S.T.S. (Société Texitle Sénégal) fabriquait un produit similaire mais à un coût supérieur. En d'autres termes, on rencontre là une des limites de l'industrie d'import-substitution caractérisée par son extraversion. Par ailleurs, l'ensemble de ces régimes spéciaux liés à la position privilégiée du Sénégal en Afrique, constituent sans aucun doute des stimulants appréciables mais ils n'ont pas réussi à faire du secteur industriel un foyer actif d'accumulation. L'industrie reste toujours marquée par sa spécialisation précoce axée autour de la transformation de l'arachide et d'une industrie d'import-substitution faiblement génératrice de valeur 67 ajoutée locale et souvent peu compétitive» comme l'atteste le tableau ci-après. Tableau 2.16: CONTRIBUTION DES BRANCHES A LA VALEUR AJOUTEE INDUSTRIELLE (en milliards de francs C.F.A.) Industries extractives . Conserveries . Farine et pains . Sucre/confiserie . Huileries .................................•. Industries alimentaires diverses . Tabacs, allumettes . Textile de base . Confection chaussures ..........•........... Bois, patier carton . Chimie . Industries mécaniques . Energie . Secteurs non couverts en 1962 . 1962 1974 1981 0,4 0,2 1,4 0,2 4,2 2,0 21,0 1,8 1,6 0,4 10,3 1,6 2,3 6,4 1,8 1,3 6,7 2,9 5,8 3,3 12,7 0,9 1,0 0,3 0,6 0,4 2,0 3,4 15,5 4,3 8,6 2,4 12,3 0,6 2,4 22,7 6,4 8,1 5,7 Source: P.A.M.L., octobre 1984, p. 3. Il en va de même de l'emploi industriel permanent qui a progressé de 6,5 % en 1977, puis régressé de 14 % entre 1979 et 1981. Cette évolution s'explique par la baisse d'activité de certaines industries consommatrices de main-d'œuvre (industries alimentaires, corps gras, sucre, confiserie, etc.). Enfin les taux d'investissement et de productivité marginale du capital demeurent encore faibles comme cela apparaît dans le tabeau suivant. Tableau 2.17: (1974-1981) TAUX D'INVESTISSEMENT ET PRODUCTIVITE Taux d'investissement moyen 1974-1981 Industrie et artisanat Mines B.~~ · Energie. . . . . . . ·.· . , ·· .. . . 1· 27,7 17,5 18,2 35,2 % MARGINALE Productivité marginale du capital 1974-1981 19,8 31,8 12,2 Source: P.A.M.L., octobre 1984. Le second moyen mis en œuvre pour la promotion industrielle est l'instauration de la Zone Franche Industrielle de Dakar (Z.F.I.D.). 68 La conjoncture difficile de 1973 avait poussé à la création et à la promotion de la l .. F.LO. qui est considérée comme un instrument devant accueillir et abriter les industries tournées vers l'exportation et qui sont grandes utilisatrices de main-d'œuvre. Située à 11 km de Dakar, la l.F.LD. est une enclave de 650 ha dont 450 ha sont réservés à l'implantation d'unités industrielles gérées par une administration autonome. Les principaux objectifs visés sont: la valorisation des ressources nationales; la création d'emplois nouveaux; l'équilibre de la balance commerciale et de la balance des paiements; l'apport technologique; l'amélioration de la qualification de la main-d'œuvre. Les unités industrielles qui s'installent obtiennent certaines garanties comme: - celle de bénéficier du statut d'entreprise agréée jusqu'en 1999 ; une garantie financière concernant le rapatriement des capitaux et les revenus que ceux-ci génèrent de même que le transfert hors lone Franc de toutes les ressources nécessaires à la réalisation de l'investissement; une exemption fiscale totale; une clause de non discrimination et de non aggravation législative. La l.F.LO. a réussI a agréer vingt sept entreprises pour un montant de 16,180 milliards d'investissements. Toutes les unités ne sont pas fonctionnelles. Au moins une bonne vingtaine sont dans ce cas si bien que l'effectif actif de la l.F.LO. est actuellement de sept entreprises; il s'agit de : - Park-Davis, Afrique de l'Ouest, spécialisée dans la fabrication des produits pharmaceutiques; Senecor, Société Coréo-sénégalaise qui fabrique des mèches synthétiques; SAFCAC qui est une société africaine d'origine burkinabé spécialisée dans la fabrication des pneus et chambres à air; Venus-synthétique fabrique des mèches synthétiques; RAPI Société belge spécialisée dans la production de panneaux pour la construction et les chambres froides; STAB qui est une société de torréfaction de l'arachide de bouche; SIPAO spécialisée dans la fabrication des chaussures en plastique. 69 Malgré les efforts déployés par une administration dynamique, compétente et agressive, if subsiste de nombreux freins et blocages à l'expansion de la l.F.LO. : les coûts du transport, l'absence de structures financières locales appropriées et de partenaires locaux disposant de moyens suffisants, le système de la taxe de coopération régionale appliquée par les pays membres de la C.E.A.O. Malgré tout, l'analyse des résultats obtenus par la l.F.I.O, confirme que les zones franches d'une manière générale constituent une forme <c d'industrialisation d'enclaves": on installe dans le pays hôte une filiale, un atelier, échappant à la souveraineté de l'Etat récepteur et n'ayant que de bien faibles incidences sur l'économie. Les produits assemblés sont destinés aux marchés extérieurs ou quelquefois aux pays d'origine des capitaux investis et des filiales. Par ailleurs, une analyse des différentes unités montre que la l.F.LO. est loin de ses objectifs de valorisation des matières premières locales, d'absorption de la main-d'œuvre, de résorption du déficit commercial et de la maîtrise technologique. Un gros décalage peut s'établir entre les réalisations effectives et les effets attendus. Ce décalage est la preuve que la l.F.LO. est encore loin d'être un instrument efficace et approprié de promotion industrielle. L'évaluation des deux instruments de promotion industrielle que sont le Code des Investissements et la l.F.LO. établit que dans le secteur secondaire, l'intervention directe de l'Etat est une nécessité et s'avérait alors indispensable. 4) L'intervention directe de l'Etat dans l'industrie Cette intervention directe de la puissance publique dans le secteur industriel est beaucoup moins systématique et moins massive que dans les autres domaines d'activité. La participation de l'Etat est plus sélective et concerne particulièrement certains secteurs porteurs de profit et pouvant en conséquence contribeur à "accumulation. C'est le cas notamment des phosphates (Compagnie Sénégalaise des Phosphates de Taïba) du ciment (SOCOCIM), du Salins du Sine Saloum, du pétrole (S.A.R.). Oans toutes ces entreprises, l'Etat s'associe avec des opérateurs économiques pl ivés étrangers qui apportent à la fois capitaux et technologie. Les phosphates constituent une des rares ressources minières dont dispose le Sénégal. Elles contribuent à la fabrication de l'acide phosphorique qui est un élément nutritif indispensable à la fois au règne végétal et animal. Oans cette période de surexploitation des terres et de dégradation des sols par une agriculture de plus en plus intensive, cette matière première est vitale. Elle le 70 sera de plus pour une agriculture condamnée à produire des rendements optima sur des espaces réduits et de qualité pédologique de plus en plus médiocre. Cette ressource minière importante n'abonde pas en Europe; ce qui explique selon G. Rocheteau les efforts consentis par les industriels français de la chimie pour mettre en exploitation les gisements d'Afrique francophone (Maroc, Tunisie, Togo, Sénégal) et l'appui technique et financier accordé à ces opérations par la puissance publique française. Les gisements sénégalais à très forte teneur étaient exploités par deux sociétés: la Compagie Sénégalaise des Phosphates de Taïba (C.S.P.T.) et la Société Sénégalaise des Phosphates de Thiès (S.S.P.T.). La première société fonctionne depuis 1960 avec des capitaux des grands phosphatiers français(Rhône-Poulenc, Pierrefitte-Auby prenant le relais des actions précédemment détenus par Péchiney), du groupe américain International Minerais and Chemicals, de la puissance publique française (B.R.G.M., Caisse centrale et du capital financier privé (Banque Paris-Bas, Cofimer). Quant à la seconde société (la S.S.P.T.), elle exploitait depuis 1949 le phosphate almunocalcique avec des capitaux principalement de Péchiney Saint-Gobain à l'origine. Cette société est sous le contrôle du groupe Rhône Poulenc qui a acquis depuis 1969 les actifs de Péchiney. Malgré d'innombrables luttes pour le contrôle de la C.S.P.T. dans les années 60 caractérisées par des cours mondiaux défavorables, la structure du capital n'a pas subi d'importantes modifications. Les tentatives d'International Mineral and Chemicals Corporation (I.M.C.C.) pour contrôler la C.S.P.T. ont échoué et en 1974, l'Etat sénégalais après le renversement intervenu sur le marché mondial décide d'intervenir et achète les actions du groupe français. Il porte sa participation de 3,05 % du capital à 50 %. Depuis, la structure des actionnaires s'établit comme suit: République du Sénégal . Compagnie Française des Mines . Nouvelle Compagnie Financière pour l'Outre-Mer .. International Mineral and Chemicals . Caisse des dépôts et Consignations . B.I.C.I.S. . . Compagnie Industrielle et Minière . Compagnie Minière de Phosphatière . 50,00 % 14,64 % 13,66 % 10,42 % 4,26% 3,00% 2,77% 1,25% Cette participation majoritaire de l'Etat lui permet de s'assurer la moitié des plus-values alors qu'il ne percevait selon les termes de la Convention de 1966 que 25 % des bénéfices. En effet, jusqu'en 1975, la C.S.P.T. enregistrait des pertes. Ainsi au bilan de cette année on pouvait lire que les déficits 71 reportés s'élevaient à 1,7 milliard pour un capital qui était de 4 milliards. Le prix de revient avant amortissement était de 3 000 F la tonne et le prix de vente de 3400 F. Ces données vont rapidement évoluer en 1974 et se fixer respectivement à 4500 et 14 000 T. La condition d'un bénéfice important est alors réunie. L'impôt sur le revenu des valeurs mobilières ajnsi que les droits de douane donnent à l'Etat 5 milliards de francs. Seulement, la C.S.P.T. consent cette année là un versement exceptionnel de 4,5 milliards à ses actionnaires dont l'Etat pour 3,05 %. Sur j'ensemble des revenus perçus, les pouvoirs rachètent 500 000 actions pour une valeur de 4,5 milliards et perçoivent alors un reliquat de 216 millions. Cette opération apportera aux partenaires privés 9,5 milliards dont en réalité 4,5 milliards sont le produit de valeur d'actions réévaluées et cédées à l'Etat. Au bout de deux années, 1974-1975, l'Etat encaisse au titre des impôts et dividendes la somme de 15,200 milliards et les actionnaires, 12 milliards. Seulement, il sera par la suite convenu de plafonner les dividendes revenant aux actionnaires privés. Le plafond est fixé à 4 milliards en 1975-1977 et à 2 milliards à compter de 1978. Par ailleurs, on observera que ces plafonds sont fixés par référence au pouvoir d'achat de la monnaie en 1973 et devraient être corrigés en fonction de l'érosion de ce pouvoir d'achat. Toutes ces opérations se résument dans un partage des dividendes qui donne à l'Etat 85 Ofo et aux actionnaires étrangers 15 %. Il apparaît que l'Etat en prenant le contrôle de la C.S.P.T. dans une période de haute conjoncture avait une vision simple et de très court terme: participer au partage des plus-values et profiter de la rente minière qui pourrait devenir une composante du modèle national d'accumulation. Cependant, cette vision s'élargit progressivement et l'Etat finira par avoir /a haute main sur les opérations majeures de la compagnie telle que la commercialisation qui était jusqu'alors confiée à un bureau de vente ouvert à Paris et dont la mission était d'écouler la production sénégalaise sur les marchés extérieurs. Désormais, la C.S.P.T. se présente comme un maillon décisif dans la politique de mise en valeur, d'exploitation et de commercialisation des phosphates. La filière phosphatière est conçue pour être une composante de la politique industrielle et elle s'organie autour de la transformation des phosphates par le complexe des Industries Chimiques du Sénégal. Elle est appelée à jouer un rôle important d'abord comme foyer d'accumulation et ensuite comme pôle de développement devant induire un ensemble large d'activités diversifiées. Ces mêmes préoccupations ont conduit l'Etat à prendre en 1975 le contrôle de 52 % des actions de la Société de Cimenterie 72 (SOCOCIM) filiale du groupe Lafarge et creee depuis 1942. Il devient le principal actionnaire à côté de deux autres partenaires: les ciments Lafarge avec 39,66 Ofo des actions et UNIPAR avec 8,44 Ofo. Comme dans les phosphates, la direction technique continue d'être exercée par Lafarge qui est en outre chargée de la prospection de nouveaux gisements calcaires. Dans la même direction l'Etat rentre en 1975 pour 49 Ofo dans les Salins du Sine Saloum qui étaient sous le contrôle des Salins du Midi. Par cette participation, il va aider d'une part à l'élaboration d'une politique appropriée de création d'infrastructures permettant "exploitation de nouveaux gisements et d'autre part à la diversification des débouchés. Ces prises de participation qui ont abouti en 1975 au contrôle de certaines sociétés industrielles anciennement dominées par des groupes privés, traduisent une volonté de l'Etat de disposer d'un ensemble d'instruments lui permettant de bénéficier des surplus du secteur et d'élaborer progressivement une politique industrielle appropriée. L'intervention publique est restée très prudente et releve d'une philosophie associative et d'une véritable division des tâches, qui utilise au mieux les compétences techniques des partenaires. Ceux-ci se voient toujours confier la gestion financière et technique ainsi que l'exercice de fonctions importantes généralement sans proportion avec leurs nouveaux apports de capitaux et la répartition des parts sociales. Ce qui importe en effet pour l'Etat, c'est de pouvoir participer directement aux bénéfices d'exploitation des entreprises. Procédant d'une autre logique, notamment celle de la valorisation des matières premières et de l'utilisation de la maind'œuvre nationale excédentaire, l'Etat lance de grands projets industriels comme les Industries Chimiques du Sénégal (I.C.S.) et la mise en valeur des Mines de Fer du Sénégal Oriental (MIFERSO). Les Industries Chimiques du Sénégal (I.C.S.) constituent la première entreprise sénégalaise par le volume de ses investissements, par sa surface commerciale et par son incidence sur l'économie nationale. Cette unité illustre parfaitement une coopération sud-sud. à tous égards exemplaire et indique les modalités pratiques d'organisation d'une entreprise communautaire dans un processus d'intégration et de création d'une division régionalisée du travail. En effet, représentant un investissement d'environ 58 milliards F C.F.A. répartis entre des crédits fournisseurs (22 milliards) et des crédits à long terme (36 milliards), les I.C.S. doivent produire de l'acide phosphorique et des engrais granulés destinés principalement au marché Ouest-Africain. Le capital 73 social se partage entre l'Etat sénégalais (25 %), l'Inde (20 %), la Banque Islamique de Développement (13 %), la Côte-d'Ivoire (10 %) et d'autres partenaires. Il est certain que le Sénégal en isolement aurait difficilement trouvé les ressources pour le financement du projet. Les I.C.S. doivent désormais jouer un rôle fondamental dans la transformation et la valorisation des phosphates mais aussi dans l'accumulation productive nationale en contribuant à l'amélioration de la balance des paiements. La MIFERSO, elle devrait exploiter les importants gisements de fer du Sénégal Oriental qui ont été explorés depuis 1966 par le Bureau français de la Recherche Géologique et Minière (B.R.G.M.) qui devient ainsi un partenaire privilégié de l'Etat Sénégalais (28,5 %) à côté de KRUPP et de la Société japonaise KANEMA TUGOSHO (ayant chacun 23,5 %). Comme il apparaît dans cette répartition du capital, la MIFERSO est associée à des partenaires concernés, des professionnels de la branche en dehors des sidérurgistes français qui n'ont pas pris d'option sur l'exploitation de la mine. En revanche, comme l'observe G. Rocheteau, « l'industrie allemande est encore intéressée, ce qui traduit la présence de Krupp dans le Conseil d'Administration. Quant à la participation japonaise, elle doit être replacée dans le contexte du puissant effort de pénétration des exportateurs nippons de produits sidérurgiques sur les marchés traditionnellement couverts par les Eu'ropéens, en premier lieu ceux situés à la périphérie de la C.E.E. (Grèce, Espagne, Suède), où ils emportent de plus en plus de commandes contribuant ainsi à l'approfondissement de la crise de la sidérurgie européenne » (23). C'est sans nul doute cette crise conjuguée aux conditions excédentaires du marché mondial pour une période qui risque d'être encore longue qui expliquent en partie la difficile évolution voire la stagnation relative du projet MIFERSO. Les pouvoirs publics multiplient les contacts, diversifient les démarches et tendent de lever les principaux obstacles qui s'opposent à la réalisation du projet. La stratégie développée par l'Etat dans le domaine industriel relève d'une conception très libérale consistant à inciter les capitaux privés étrangers et nationaux à se diriger vers des activités où la demande existe. Cette action de promotion s'est servie de deux mécanismes: d'une part le code des investissements et d'autre part la zone franche industrielle avec des concessions pouvant offrir aux entreprises de bonnes perspectives de profit. Tous les deux moyens aboutissent à un désarmement fiscal et douanier, à une exemption totale ou partielle pour tous les impôts frappant les bénéfices réalisés et les dividendes distri- 74 1 bués. Ces avantages souvent supérieurs à ceux que d'autres pays de conditions socio-économiques égales peuvent offrir, ont pour objet d'abord d'améliorer la rentabilité des capitaux investis dans le secteur industriel et ensuite de rassurer les investisseurs et certaines firmes étrangères sur le rapatriement sans entraves des capitaux et des profits. La haute conjoncture de certaines matières premières au début des années 70 incite l'Etat à s'intéresser plus directement au secteur industriel et à prendre le contrôle de certaines sociétés qui réalisent des plus-values importantes. De même, les décideurs sénégalais ont conçu quelques projets industriels cadrant avec les tendances mondiales à la délocalisation qui décompose les processus de production pour rejeter la fabrication de certains produits vers la périphérie. C'est le cas des complexes dont les productions sont destinées principalement aux industries des pays développés et accessoirement au marché national. Toutefois, les interventions de l'Etat, quelles que soient leur ampleur et leur diversité, ne semblent pas s'effectuer de façon cohérente et selon un schéma directeur définissant des objectifs à atteindre, des moyens à mobiliser et fixant des délais précis de réalisation. Les actions ponctuelles, si importantes qu'elles puissent être, ne sauraient tenir lieu de politique économique. Toute cette analyse montre la difficulté de l'industrie à amorcer une croissance rapide et régulière et surtout à être indépendante. Cela fait écrire à Pierre Jacquemot qu'à l'exception des activités fondées sur la transformation des ressources intérieures et orientées vers l'exportation (phosphates, huileries et conserveries de poisson), la plupart des unités sont fortement protégées et sont peu compétitives sur les marchés extérieurs. En pratique. la concurrence intérieure limitée basée sur une politique de tarification douanière et de quotas assurant une protection contre les importations ainsi que les politiques officielles telles que le contrôle des prix et des salaires ont abouti à la construction d'un secteur secondaire caractérisé par des coûts de production élevés. Malgré les organismes spécialisés, les fonds de promotion et de législation incitatrice, le secteur industriel n'a pas généré des ressources et des emplois substantiels, ni contribué à l'insertion des capitaux nationaux. Il est donc resté principalement un secteur extraverti et ankylosé. Il a représenté 26 % du P.I.B. et a progressé en moyenne de 3,7 % annuellement, avec quelques périodes de ralentissement dues principalement au manque de dynamisme des industries alimentaires fortement influencées par les huileries. L'indice de la production a évolué comme suit selon les comptes économiques: 75 1979 1980 1981 1982 1983 1984 -- -- -- -- -Indice globale .. , . ............. , Industries extractives ........... Huileries ........... . ......... , . Energie .. ....... . .. . . .......... B.T.P. ..... . .. . ................. Autres industries ........... , .... ! 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 97,0 102,5 87,8 '105,6 51,0 20,9 98.9 102,1 103,1 112,2 108,0 119,9 117,3 66,7 81,1 107,5 126,2· 132,0 120,0 118,5 91,1 83.3 90.2 30.7 112,8 1 125,3 131,9 125 '3 130.0 1 143,0 i Source: Direction de la statistique, M.E.F. Le ralentissement de l'activité industrielle procède de la baisse de la production agricole, d'une contraction de la demande intérieure, des retombées de la crise de l'énergie et de l'inflation mondiale. Les orientations du VI" Plan s'articulent autour des projets suivants: implantation d'un complexe textile à Kaolack d'un coût de 10 milliards F C.FA ; implantation et consolidation des Industries Chimiques du Sénégal (I.C.S.) ; l'extension de la Compagnie Sucrière, de la Société Africaine de Raffinerie et de la Société des Ciments (SOCOCIM) ; le réinvestissement n'a existé que pour quelques industries. (MIFERSO). Ces projets sont évalués à 150 milliards, soit 34 % de l'enveloppe globale des investissements du VI" Plan. Cette politique industrielle fondée sur le développement des activités de substitution aux importations n'a nullement produit des résultats performants: - les économies en devises ont été faibles; la croissance de la productivité et l'innovation sont marginales; l'accumulation de capital n'a pas eu lieu; les rentes formées ont été transférées; le réinvestissement n'a existée que pour quelques industries. Il apparaît que dans Je secteur des activités industrelles, les distorsions s'expriment principalement en termes de coût pour les produits de l'industrie légère de transformation et en termes de nature du produit pour les biens manufacturés livrés par l'industrie lourde des pays développés. En effet, la politique industrielle a généré des coûts de production très peu compétitifs, ce qui a conséquemment entraîné le recours à des importations massives, 76 souvent frauduleuses, de biens manufacturés pourtant produits localement. Parallèlement, l'inexistence d'industries lourdes intégrées a imposé l'importation de biens d'équipement et, à un autre niveau, de produits finis industriels pour la consommation des élites comme les voitures, les télévisions et magnétoscopes, tout l'arsenal électro-ménager, etc. En définitive, les distorsions industrielles se résument d'une part par la production de produits manufacturés légers difficilement écoulables tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du fait de leur faible compétitivité, et d'autre part par l'importation massive de biens industriels lourds que le tissu industriel ne fabrique pas. A partir de ces distorsions, les pouvoirs publics ont tiré les conclusions suivantes: la substitution aux importations ne peut plus être un moteur de la croissance industrielle. Il est alors nécessaire de faire de l'exportation un élément essentiel de la politique industrielle ; le Sénégal dispose d'un potentiel limité de ressources naturelles à mettre en valeur; seule sa main-d'œuvre peut devenir un facteur de compétitivité; le coût des facteurs techniques de production est élevé; seule une orientation vers la production à haute valeur ajoutée et à coût unitaire élevé peut permettre de l'affranchir du poids de ces facteurs en réduisant leur incidence relative (24). Dès lors, un nouveau modèle de développement industriel a été institué après des études confiées à Dar-AI-Handasah (25). Il s'articule autour de deux éléments: la valorisation de la maind'œuvre et l'orientation de l'activité industrielle vers l'exportation de produits à haute valeur ajoutée et de prix unitaires élevés. Il est désormais largement fait appel à l'initiative privée. Section 3 : HYPERTROPHIE ET FAIBLE PRODUCTIVITE DU SECTEUR TERTIAIRE La part du secteur tertiaire dans le P.I.B. est passée de 49 % lors du r' Plan à 44,3 % pour le Vie Plan. Dans le même temps, les investissements passent de 25,8 % à 17,2 %. Ce fléchissement de la part du tertiaire au cours des dix dernières années ne remet pas en cause la tendance à la massification de façon absolue des activités du secteur, comparées aux autres grandeurs caractéristiques de l'économie nationale. 77 Cette place du secteur tertiaire sera consolidée car le VII" Plan considère les deux principales composantes du tertiaire comme des programmes d'action prioritaire notamment: Je tourisme et les transports et télécommunications. Le dynamisme économique retenu (croissance de 3,5 %) appelle en effet le développement d'un réseau d'activités d'accompagnement comme le commerce, les télécommunications et les transports. Le tourisme y est considéré comme une source d'accumulation. Il commence à jouer ce rôle car il est devenu au cours de ces dix dernières années la troisième source de devises pour le Sénégal. Ainsi, en 1979, les recettes touristiques se sont élevées à environ 17 milliards de francs C.FA en progression de 28,5 % sur les 13 milliards de l'année précédente. L'Etat est intervenu dans ce secteur soit directement par le biais de ses entreprises, soit indirectement par une participation dans le capital social de certaines entreprises privées. L'évaluation de l'action publique pourrait être réalisée à travers les résultats des entreprises publiques intervenant dans la commercialisation des produits arachidiers et autres, le secteur bancaire et les activités touristiques. 1) L'intervention de l'Etat dans le secteur de la commercialisation Le sous-secteur de la commercialisation et des services est vital pour tout développement économique et social car il est constitué d'un ensemble d'activités d'accompagnement qui facilitent les processus d'expansion et de croissance et peuvent jouer un rôle moteur dans la génération de surplus et la création d'emplois. L'Etat, pour ce faire, a mis en place certaines sociétés qui ont pour mission d'exécuter la politique sectorielle tracée par le Plan de développement. On étudiera alors les trois entreprises les plus importantes dans le sous-secteur: la Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix (C.P.S.P.), la Société Nouvelle pour l'Approvisionnement et la Distribution (SONADIS) et la Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS). La Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix (C.P.S.P.) L'intérêt de l'étude de la Caisse de Stabilisation réside dans la connaissance et l'évaluation de ses interventions au niveau de la circulation des biens et dans le processus de formation des prix. Etablissement Public Industriel et Commercial créé en 1973, la C.P.S.P. avec un fonds de dotation de 1,4 milliard avait quatre missions principales: 78 assurer l'intégration des actions de stabilisation des prix aux producteurs et aux consommateurs; stimuler la production en subventionnant les facteurs modernes de production agricole; promouvoir le développement agro-industriel en souscrivant des participations dans les entreprises; alimenter les Caisses de l'Etat par les bénéfices réalisés dans les secteurs à importante plus-value. La C.P.S.P., à travers ces fonctions, apparaît comme un instrument de mobilisation et d'utilisation des surplus provenant des rapports avec l'extérieur. C'est pour cette raison que son efficacité dépend de deux séries de facteurs: - la première, est d'ordre externe et dépend à la fois du comportement des cours mondiaux des principaux produits exportés et des prix internationaux des biens de consommation importés. Ainsi, quand les cours de l'arachide, des phosphates, des huiles ou du coton s'améliorent, la C.P.S.P. se trouve avec des recettes additionnelles susceptibles d'être mobilisées pour financer des opérations productives ou pour subventionner des produits de première nécessité dont les prix se seraient appréciés; la seconde série de facteurs est d'ordre interne et concerne à la fois la fixation par voie administrative des prix des grands produits agricoles, la politique des salaires, la productivité du travail et les conditions climatiques qui déterminent le volume de la production. Chacun de ces éléments peut être favorable et accroître les recettes de la C.P.S.P. ou au contraire être défavorable imposant alors des décaissements. Ces interventions multiformes de la C.P.S.P. peuvent être résumées comme suit pour les principaux produits qu'elle traite. Champ d'Intervention Arachide et produits arachidiers Nature de l'intervention Observation Pélèvement d'une parafiscalité Gur les huiles Recette + 1ntervention sur commercialisation des graines Recette ju~u'à présent ± Intervention sur huile raffinée Dépenses dans les conditions + zéro sur le marché intérieur actuelles ----- Intervention sur tourteaux pour Depuis 1979, dépenses dans le marché intérieur les conditions actuelles ± Suite p. 80 79 Suite de la p. 79 Riz Intervention sur riz Importé Recette dans actuelles Intervention sur le riz local Sucre Coton Blé ± les conditions ± Recette en passe de devenir dépense ± sur vente + de Dépense dans les conditions actuelles Intervention sur graine Recette jusqu'à présent Invervention sur mil local Depuis 1979. dépense les conditions actuelles ± ± dans ± Intervention sur farine de mil Depuis 1979. dépense dans les conditions actuelles ± Prélèvement sur blé importé Recette faible + Intervention sur farine de blé Recette dans les actuelles Tomate ± Prélèvement sur textiles Importés Recette Intervention fibres Mil conditions Dépenses faibles compte tenu des quantités Intervention sur sucre Importé Recette dans actuelles Intervention sur sucre local les Intervention locale sur conditions ± production Intervention sur Importation Egal zéro depuis avril 1979 ± Recette depuis les récents relèvements de prix à la consommation ± Participation au financement des casiers S.A.E.D. pour la tomate Dépense 1 provisoire - Source: C.P.S.P.. ministère du Commerce. Pour ce qui est de sa seconde fonction à savoir encourager l'utilisation à grande échelle des facteurs modernes de production agricole, la caisse n'intervient pas isolément. Elle le fait en liaison étroite avec le Fonds Mutualiste de Développement Rural (F.M.D.R.), dont les objectifs sont d'une part de garantir les prêts accordés par la B.N.D.S. aux producteurs et d'autre part de subventionner les facteurs de production et les actions de développement agricole. Par ailleurs, la C.P.S.P. peut obtenir des financements spéciaux du Trésor, des aides internationales ou des recettes conjoncturelles comme les fonds en provenance de la C.E.E. au titre du STABEX (6 milliards en 1979). Avec la conjoncture difficile caractérisée actuellement par la détérioration permanente des termes de l'échange, "accrois- 80 sement de la demande nationale de produits alimentaires, l'effondrement de l'agriculture et la baisse constante de l'aide extérieure les perspectives de la Caisse seront encore mauvaises surtout si les pouvoirs publics maintiennent la politique de subvention des biens de consommation et des facteurs de production. Dans ce contexte, les charges vont s'accroître de façon accélérée sans que les recettes suivent, Il en résultera nécessairement un déficit qui ira en s'accentuant comme l'indique le tableau suivant: Tableau 2.18: DEFICITS DE LA C.P.S.P.: 1979·1985 (en milliards de francs C.F.A.) 1979 1980 1981 1982 1983 1985 1984 - - - - - - - - - - --Comptes consommation . Huile d'arachide ..... Sucre d'importation .... Riz d'importation . . . . . . Concentré tomate , . · . Comptes production · . Arachide d'huilerie .... Sucre canne locale .... Riz local . . . . . . . . . . . . . Programme agricole .. · . Transactions financières. Solde des opérations · . 2,0 -1,2 1,7 1,6 - 0,7 1,0 6,9 0,9 -1,2 - 5,2 -0,2 2,8 1,4 -0,3 0,7 1,1 -0,1 -4,7 2,6 0,4 -1,4 -6,3 -5,2 -8,5 - 4,5 -1,8 2,5 -1,7 -0,2 0,9 1,0 0,2 -0,1 0,1 -0,7 6,4 8,8 5,2 0,2 0,4 -1,8 2,3 -7,7 8,7 -5,4 5,5 -7,9 -16,4 - - - - - - - 6,0 7,3 8,4 2,5 3,4 3,2 1,1 1,1 1,1 1,9 3,8 2,9 7,9 0,1 0,1 - 0,1 -10,0 -12,1 7,4 8,9 6,3 3,3 2,1 - 1,0 4,5 3,6 - 2,9 9,9 -11,3 -12,8 3,7 3,9 5,7 -19,6 -12,0 -24,1 - - - Source: Ministère du Commerce, C.P.S.P. Comme on le voit, le déficit de la C.P.S.P. devra s'approfondir pour deux raisons résidant d'une part dans l'incapacité du maintien de la croissance des exportations et d'autre part dans les faibles possibilités de compression des importations. Dès lors, à l'augmentation rapide des rémunérations et salaires» de "Administration publique qui passent de 25,8 milliards en 1974 à 100 milliards en 1984, il convient d'ajouter une extension des subventions d'exploitation aux entreprises qui passent de 7 milliards en 1978 à 20 milliards en 1982. La décomposition de ces subventions par secteur met en relief l'importante part prise par la C.P.S.P. dans le soutien à la consommation privée. Si ces tendances se poursuivent, le déficit des opérations courantes de l'Etat serait insoutenable et engendrerait alors une profonde crise de paiements intérieurs qui se manifesterait par l'impossibilité pour l'Administration Centrale de continuer à assurer le traitement de ses fonctionnaires ou encore par une forte accumulation d'arrièrés de paiements dont les effets sont largement déflationnistes pour l'économie nationale. (C 81 Dans ces conditions, l'ajustement économique et financier devient un impératif incontournable. Cela a imposé la mise en place d'un plan de redressement économique et financier pour permettre l'assainissement de toutes les structures et pour rétablir les grands équilibres. La Banque Mondiale recommande dans cette direction l'élaboration d'un programme d'actions qui attaque les problèmes dans l'ordre et fixe des buts d'action précis sur un certain nombre de fronts. Ce programme doit comprendre trois points: - améliorer les finances publiques et la gestion du secteur public; aménager des pôles de croissance de manière à redonner de l'élan au secteur agricole et aux autres secteurs de l'économie nationale; planifier et contrôler l'investissement (26). Plus ponctuellement la Banque Mondiale insiste sur la nécessaire compression de la demande il1térieure de consommation privée et publique. Elle observe que «le problème fondamental a été le recours à l'emprunt extérieur pour soutenir la consommation plutôt que l'investissement » (27). Par ailleurs, toujours selon la Banque Mondiale, les autorités sénégalaises n'ont réussi ni dans le passé ni dans le présent à contrôler la consommation. Pour y arriver, il faut appliquer de façon stricte la «vérité des prix » ce qui équivaudrait à l'abandon des subventions et à l'acceptation des mécanismes de détermination libre des prix sur les marchés des produits et des facteurs. S'il est souhaitable d'opérer les ajustements indispensables à partir de programmes de sortie de crise, il faut se garder d'appliquer mécaniquement certaines recettes dont l'efficacité économique est douteuse et qui de surcroît ont des coûts socio-politiques énormes. C'est dire que le rétablissement des grands équilibres doit être réalisé à partir d'un plan techniquement bien conçu et cohérent, qui minimise les risques sociaux en répartissant de façon équitable et productive tout le poids de l'ajustement. Les plans conçus par la Banque Mondiale ne prennent pas en charge de telles préoccupations et, partant. sont discutables au double plan théorique et social. En prenant l'exemple de la vérité des prix, on s'aperçoit que les conditions institutionnelles de sa réalisation sont loin d'être réunies dans une économie dualiste obéissant à plusieurs centres de décision. Le fonctionnement du marché est pervers et se heurte à plusieurs entraves structurelles, sociologiques et naturelles. Et une application de la vérité des prix se ramènerait à faire supporter le fardeau de l'ajustement aux agriculteurs. aux petits salariés et aux titulaires 82 de faibles revenus. Il est vrai que la politique des prix administrés n'est pas efficace car n'étant ni rémunératrice ni incitatrice. Elle a entraîné une détérioration permanente du revenu moyen des producteurs et de leur pouvoir d'achat. Il en va de même pour les petits salariés dont l'augmentation des revenus tardera toujours par rapport à celui des prix. De plus, le système de prix administrés a entraîné des transferts de revenus des campagnes vers les villes et un appauvrissement généralisé des producteurs agricoles qui se trouvent ainsi, dans l'impossibilité d'améliorer leurs conditions de travail et d'existence et d'amorcer un auto-développement. Cependant, l'instauration d'une simple vérité des prix n'est pas de nature à régler les problèmes complèxes de déséquilibres économiques et financiers. Il faut s'engager dans une toute autre direction de redéfinition de la stratégie de développement avec de nouvelles politiques sectorielles, un autre modèle d'accumulation productive, une politique de revenu qui stoppe les transferts de ressources des campagnes vers les villes et l'extérieur. Dans ce contexte, un établissement public comme la Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix pourrait jouer un rôle décisif. La Société Nouvelle pour l'Approvisionnement et la Distribution (SONADIS) La Société Nouvelle pour l'Approvisionnement et la Distribution a été créée en1965 à la suite du repli des grandes maisons traditionnelles de commerce come la S.C.O.A., la Compagnie F.A.O. et la NOSOCO. Celles-ci et notamment la Société Commerciale de l'Ouest Africain (S.C.O.A.) ont opéré une très importante reconversion en s'intéressant d'une part au contrôle des importations des biens d'équipement et de produits de consommation de luxe et d'autre part à l'industrialisation d'import-substitution. Ainsi elles tentent de substituer aux profits de l'économie de traite des plusvalues en provenance des importations et de l'industrialisation. C'est principalement pour combler le vide laissé par ces grandes maisons de commerce et pour assurer un approvisionnement régulier en biens de consommation industriels et agricoles, que la SONADIS a été mise en place le 15 mai 1965 avec un capital de 488 750 000 F C.F.A. se répartissant comme suit: - Etat du Sénégal . 16,40 % - S.C.OA (Chaîne Avion) . 56,20 % SOSECOD . 10,20 % - Compagnie Sénégalaise du Sud-Est . 5,20% - Banques . 1,80% - Industriels locaux _ . 10,20 % 83 Cette participation insignifiante de l'Etat ne lui donne aucune possibilité juridique d'infléchir l'évolution de la société dans le sens des objectifs fixés en matière d'activités commerciales. En novembre 1973, l'Etat franchit une nouvelle étape en prenant 61 % du capital social de la société qui devient ainsi une Société nationale. Deux missions lui sont désormais assignées: d'une part l'achat et la redistribution de produits pour les populations surtout rurales et d'autre part, la régulation du marché national de denrées stratégiques. L'Etat se donne ainsi un outil de lutte contre les opérations de stockage illicite et de pénurie de produits organisée par les opérateurs privés en vue d'accroître les prix et leurs profits. En 1983, une augmentation de capital est décidée par le plan de redressement économique et financier. Elle permet particulièrement l'élargissement des parts de l'Etat qui contrôle environ 90 % des actions, le reste étant partagé entre les banques et les opérateurs économiques sénégalais. Pour accomplir les missions qui lui sont dévolues, la SONADIS dispose de 17 dépôts disséminés à travers toute l'étendue du territoire, de 126 succursales qui constituent une importante force de vente et d'un parc automobile lui permettant d'assurer l'approvisionnement et la livraison aux succursales et dépôts. Enfin la SONADIS emploie: 263 salariés dont les 17 gérants de dépôts de gros; 126 gérants mandataires correspondant au nombre de succursales. Malgré cette prépondérance du capital public, la gestion de la SONADIS est basée sur les critères habituels de rentabilité et les règles en usages dans les sociétés commerciales de droit privés. Ce pendant, il faut nuancer cette opinion car la société à une mission de service public qui se résume à la sauvegarde de l'uniformité des prix dans toutes les succursales. Ceci la condamne à prendre en charge une bonne part des frais de transport sans péréquation, ce qui grève lourdement sa rentabilité. Ainsi, au cours de l'exercice 1978-1979 par exemple sur les 136660 000 F de frais de transport supportés par le département détail, 61 540 000 F sont restés non répercutés aux pris de vente des produits. Les résultats de la SONADIS ont d'ailleurs évolué comme suit: 1971-1972 42280 000 47316 000 1972-1973 40 633 045 1973-1974 1974-1975 65379100 1975-1976 82 094 264 84621757 1976-1977 1977-1978 213568931 1978-1979 107127167 84 La SONADIS, dont les fonctions sont de régulariser les circuits de distribution tout aussi bien dans les villes que dans les campagnes, d'empêcher le développement de la spéculation sur les prix, d'éviter des ruptures d'approvisionnement, de sauvegarder le pouvoir d'achat des consommateurs, rencontre d'énormes difficultés liées principalement à une concurrence inégale et parfois même déloyale. Ainsi, dans certains domaines de l'import-export, il continue d'exister des groupes puissants appuyés à la fois par le système bancaire et les anciens comptoirs et qui exercent un quasi-monopoles sur l'importation et la commercialisation de certains produits et biens de consommation. Ces unités ne supportant pas de charges lourdes aux plans social, fiscal et douanier s'avèrent plus compétitives que la SONADIS. Par ailleurs, au niveau du détail, la SONADIS ne résiste pas toujours à la chaîne des commerçants mauritaniens qui jusqu'à leur départ récent, ont mis en place des systèmes d'approvisionnement et de distribution souples et peu coûteux et qui ont réussi à rapprocher les produits des consommateurs. C'est dans cet environnement difficile et conflictuel que tente de survivre la SONADIS qui ne dispose pas d'une totale liberté d'organisation économique et financière. C'est ainsi par exemple qu'en matière de prix, sa marge de manœuvre demeure limitée par le principe de l'homologation qu'elle est seule à respecter scrupuleusement. Face à toutes ces conditions défavorables, la SONADIS risque d'être condamnée à disparaître laissant à l'Etat comme en pareille circonstance un lourd passif. Cette tendance est largement amorcée avec les déficits qu'accumulent les bilans de ces dernières années. La seconde cause des difficultés de la SONADIS réside dans ses formes d'organisation et de gestion qui ne permettent pas une certaine flexibilité pour s'adapter à un environnement instable et hostile. Dans le contexte qui est le sien, la société devrait être très agressive pour faire connaître ses produits, accroître son potentiel de vente et contrer tous les concurrents par une politique de prix dissuasive. Pour atteindre de tels objectifs et rentabiliser la société l'Etat devrait mettre en œuvre une politique de soutien qui s'articulerait autour de trois éléments: - octroi d'un monopole à la SONADIS pour l'importation et la distribution de certains produits estimés stratégiques; la définition, par des textes clairs, des conditions d'insertion dans les circuits de distributions. Ce point est essentiel et urgent car de plus en plus la nécessité s'impose pour l'Etat de définir son rôle en matière de commercialisation et de dis- 85 tribution et cela en rapport avec les initiatives privées nationales et étrangères. De telles mesures permettront de relancer l'intérêt de la SONADIS et de lui faire jouer son rôle moteur dans la réalisation de la politique étatique en matière de régulation et d'assainissement des circuits de commercialisation et de distribution. La SONADIS devra à son tour, élaborer un plan adéquat de ses activités en s'efforçant de résorber les différents blocages de son système organisationnel et ensuite repenser totalement ses modes d'approvisionnement et son système de" contrôle des dépôts et succursales. Une nouvelle organisation plus active aura l'avantage d'une part de surveiller le bon fonctionnement du réseau du point de vue commercial et de gestion et d'autre part de résorber l'épineux problème du contrôle des différents exécutants (inspecteurs, gérants, inventoristes) en sauvegardant du même coup la trésorerie de la société. La SONADIS peut être rentable et ne point disparaître comme le souhaitent certains commerçants étrangers et spéculateurs nationaux. Toutefois, elle devrait faire l'objet d'une évaluation approfondie devant déboucher sur une politique plus appropriée et plus efficiente qui se réaliserait en deux étapes: - une première étape qui serait de relance systématique qui nécessitera la mise en place de nouvelles formes plus rigoureuses de gestion et d'organisation ainsi qu'un appui plus massif et plus systématique de l'Etat. Dans cette phase, la société devrait choisir une politique de stackage qui soit capable de concilier un haut niveau de service avec la nécessité d'une réduction des coûts. En même temps, elle devrait étudier la façon dont les différentes décisions devront être coordonnées; dans une deuxième étape, la société devrait réduire le plafond de crédit pour mieux assainir sa trésorerie et rendre plus rationnelles ses décisions d'achats. Celles-ci devront se faire en fonction des besoins exclusifs des clients. LA SOCIETE NATIONALE DE COMMERCIALISATION DES OLEAGINEUX DU SENEGAL (SONACOS) Cette société occupe une place essentielle dans la filière arachidière. Elle a été créée en 1975 par un protocole d'accord conclu entre l'Etat sénégalais qui détient 65 % des actions et les huileries qui assurent le reste du capital d'un montant de un 86 milliard de F C.F.A. Le nouvel établissement possède désormais la plus grande capacité de trituration et produit essentiellement de l'huile d'arachide et des tourteaux destinés à la fois à la consommation intérieure et à l'exportation. La création de la SONACOS avec une gestion autonome a introduit une mutation fondamentale dans la production et la transformation de l'arachide dont le circuit commercial s'arrêtait aux portes des huileries qui échappaient totolement au contrôle des pouvoirs publics et des opérateurs nationaux. Comme l'observe G. Rocheteau, « au lendemain de la guerre, l'huilerie sénégalaise comprenait deux groupes d'unités: sept entreprises sous contrôle familial: Petersen, famille Oeconis, famille Jessula ; trois entreprises sous contrôle industriel: Lesieur-Afrique, la S.O.D.E.C. et l'Huilerie de la C.F.A.O. " (28). La période postérieure consacre une autre évolution et surtout une nouvelle distribution du capital de l'huilerie sénégalaise. L'Etat interviendra dans le secteur et prendra le contrôle de la S.E.I.B. (Société Electrique et Industrielle du Baol) devenue une composante décisive de l'industrie des corps gras. Ainsi, en 1974, la structure financière de cinq huileries était très saine et les conditions d'exploitation étaient excellentes comme l'indique le bilan agrégé des huileries (en milliards de francs C.F.A.) : valeur des immobilisations brutes. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. amortissements cumulés immobilisation nette capitaux permanents .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10,6 6,0 4,6 7,3 Le chiffre d'affaires global se montait à 46 milliards pour 37,6 milliards d'achats. Quant à la valeur ajoutée, elle s'élevait à 10,3 milliards et se répartissait comme suit: salaires et charges sociales . . frais financiers et assurances impôts et taxes . résultat brut d'exploitation " " " " 2,16 0,429 2,827 4,870 milliards milliard milliards milliards F F F F C.F.A. C.F.A. C.F.A. C.F.A. Pour cette même année, l'épargne brute s'est élevée à 3,4 milliards ce qui signifie que les huileries avaient une capacité résiduelle de financement d'un montant de 734 millions. L'Etat avait perçu au titre des impôts et taxes une valeur de 4 milliards et les actionnaires privés ont reçu au titre du résultat brut d'exploitation des dividendes d'un montant de 3,4 milliards. 87 Cependant, l'Etat ne contrôlait point les produits tirés de la vente dans la mesure où chaque huilerie triture et vend suivant des systèmes de facturation propres à sa société mère située en métropole. L'un des objectifs de la SONACOS était justement de corriger une telle situation. Depuis sa création, elle rémunère les sociétés privées et rembourse les dépenses qu'elles ont effectivement faites. Les bénéfices que la SONACOS tire de toutes ses opérations se répartissent désormais comme suit: 65 % reviennent à l'Etat et le reste va aux huileries. En valeur, ces bénéfices ont été de : - 5,7 milliards en 1976 ; 4,9 milliards en 1977 ; 3,2 milliards en 1978. La SOI\lACOS donne une parfaite illustration d'une société qui permet à l'Etat de participer aux plus-values de l'huilerie. Le pricipal problème à résoudre pour accroître encore plus la rentabilité de la société réside dans le financement des investissements de maintenance des immobilisation appartenant aux huileries. Il s'agit d'une anomalie qui alourdit sans raison les charges de gestion de la société. 2) Les interventions de l'Etat dans le secteur bancaire Du régime colonial, le Sénégal a hérité de 4 banques françaises dont trois nationalisées qui se sont très vite transformées, après l'indépendance, en banques de droit sénégalais. Il s'agit du Crédit Lyonnais devenu Union Sénégalaise de Banques (U.S.B.), de la B.N.P. qui est la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie (B.I.C.I.S.) la Société Générale qui devient la Société Générale de Banques au Sénégal (S.G.B.S.) et la BAO. devenue Banque Internationale pour l'Afrique Occidentale Sénégal (B. I.A.a.). Ce sont ces éléments qui forment l'essentiel du réseau bancaire sénégalais et qui jouent encore des fonctions déterminantes dans la mobilisation de l'épargne et sa transformation en investissement. La Banque Nationale de Développement qui était à l'origine exclusivement tournée vers le financement des activités du monde rural s'est progressivement ouverte à d'autres secteurs de l'économie notamment l'industrie, le commerce, la pêche et le tourisme. Ce système bancaire et de crédit de par sa dépendance vis-àvis de la métropole ainsi que de ses formes d'organisation, a fait l'objet de deux critiques quelque peu pertinentes. La pre88 mière critique se fonde sur le fait que les banques dites sénégalaises ne sont en définitive que des filiales des grandes banques françaises et peuvent transférer librement des fonds vers la métropole non seulement sur ordre de leurs clients, mais également pour leur propre compte. Cette libre transférabilité a toujours empêché l'instauration d'une politique monétaire et de crédit favorable au financement du développement. La seconde critique adressée au système bancaire est que celui-ci oriente la distribution du crédit d'une part en faveur du financement de l'économie de traite et d'autre part dans le sens de l'approfondissement des relations de dépendance. Ce sont ces évaluations critiques qui ont conduit à la création d'institutions financières publiques et la prise de participation majoritaire de l'Etat dans le capital de certaines banques initialement sous contrôle de privés étrangers. L'Etat, par ces différentes nterventions, va pouvoir d'une part établir une politique monéaire et financière adéquate dans les limites fixées par l'Union "Union .Aonétaire Ouest Africaine (U.M.O.A.) et d'autre part orienter les .:rédits en direction des projets prioritaires retenus par le Plan lational. Ainsi le Gouvernement se dote d'un instrument propre lationaL jont il faut analyser les domaines d'intervention. a) Motifs et domaines d'intervention L'Etat est intervenu principalement pour réorganiser le système bancaire national et y opérer de mutations indispensables pour faire jouer aux banques commerciales un double rôle positif de financement du développement et de promotion des hommes d'affaires sénégalais. Une des revendications des opérations économiques nationaux a été, depuis l'accession à l'indépendance, l'ouverture du crédit aux affaires nationales, mais surtout l'établissement d'une procédure de sélection des demandes de crédits émanant des entrepreneurs nationaux n'ayant pas les garanties exigées par le système bancaire classique. Pour réaliser ces objectifs, l'Etat est intervenu dans le secteur et notamment au niveau de la B.N.D.S., de l'U.S.B. et de la B.LC.LS. B.I.C.I.S. Sa participation apparaît dans le tableau suivant: Date de création Capital social Pourcentage participation Montant de la participation 1964 1961 1962 2400 000 000 2 000 000 000 2 000 000 000 72,91 72.91 62,24 42,00 1 749840 000 1 244800 000 840 000 000 1 B.ND.S... , U.S.B.... B.I.C.I.S. .. Source: Ministère de l'Economie et des finances. 89 Ainsi, la participation de l'Etat dans les institutions financières s'élève à environ 5 milliards, Cette intervention déterminante a principalement pour objectif d'orienter l'action bancaire dans le sens du financement des opérations agricoles considérées comme prioritaires. L'Etat est intervenu massivement dans ce secteur pour se donner les moyens de modifier un système bancaire de financement de l'économie de traite. Toutes les banques commerciales participaient alors au financement des importations de produits finis et de biens de consommation en provenance de la métropole et au financement des opérations d'exportation des matières premières composées essentiellement de l'arachide et de ses dérivés. A ces fonctions s'ajoute celle de la collecte des dépôts de personnes physiques et morales. Après l'indépendance, bien que le statut juridique des banques ait été modifié avec la mise en place d'une nouvelle réglementation, les mentalités et les manières d'opérer n'ont subi aucune évolution. Cela a amené Amadou Sow à constater que "ces banques sont prisonnières de leur passé, de leurs méthodes et de leurs habitudes et ont de la peine à reconvertir leur mentalité de banques de dépôts en banques de développement. Habituées depuis leur existence à financer du court terme, elles éprouvent des difficultés à concevoir une autre politique bancaire. Ces opérations de financement du développement exigent d'abord des fonds stables et la capacité de concevoir des risques nouveaux et difficiles à cerner" (29). Dans ce contexte, l'Etat est contraint d'intervenir pour définir une réglementation bancaire appropriée, fixer de nouvelles règles de jeu et concevoIr une autre politique pour pallier l'insuffisance de l'intervention bancaire dans le fimancement des opérations d'investissements prioritaires. L'Etat pourra orienter le secteur bancaire vers des activités de promotion des entreprises agricoles et industrielles et il devra en même temps contribuer à créer une volonté politique au niveau des dirigeants des banques pour qu'ils s'intéressent aux nouvelles activités. Comme l'observe J'observe M. Amadou Sow, "cette politique de promotion nécessite des structures et des hommes formés à ce genre d'activités mais elle suppose aussi des moyens susceptibles d'être employés sous forme de crédit à moyen et long termes, ce dont manquent les banques" (30). Elles ne disposent d'ailleurs pas de ressources stables. Cette intervention de l'Etat a-t-elle atteint ses objectifs notamment dans le financement des activités agricoles? Pour y répondre, nous pouvons commencer par évaluer les crédits accurdés aux différents secteurs de l'activité économique par les principales banques où la participation de l'Etat est importante. Les évolutions caractéristiques peuvent être résumées dans le tableau suivant: 90 Tableau 2.19: EVOLUTION DES (en millions de francs C.F.A.) CREDITS AU SECTEUR RURAL: 1979 1978 BNDS USB BICIS 1978·1979 Total BNDS USB BICIS Total - - - - - - - - -- -- - Secteur prioritaire .. 19916 7267 Agriculture et pêche 12115 704 Autres ........ , ... 7801 6563 Secteur non prIorItaire ............ 6624 4448 ONCAD _ SODEFI TEX ........ . .. 21 216 6421 ' 10222 37405 27565 10575 9281 733 13552 16688 1008 882 9489 23853 10877 9567 8399 7219 18291 9495 9967 3288 30925144 097 10092 8226 47421 18578 28843 27688 2929157118 1 Source: B,ND.S. Ces crédits sont distribués sous deux formes: - les crédits à la production qui ont pour fonction de réaliser le programme agricole au niveau des coopératives rurales et d'aider à l'équipement des agriculteurs et éleveurs individuels; les crédits à la commercialisation des produits agricoles qui sont souvent appelés crédits de campagne et qui sont destinés à financer des opérations de commercialisation concernant principalement l'arachide et le coton. Le premier volet de la première catégorie de crédit concerne le programme agricole qui est élaboré par le ministère du Développement rural, examiné par le Conseil de gestion du Fonds Mutualiste de Développement Rural (F.M.D.R.) et soumis ensuite au Conseil interministériel dont l'approbation signifie que le financement de la partie subvention est assuré. Après avoir franchi cet échelon, le Programme agricole devient exécutoire et il est transmis à la S.O.N.A.R. qui a assuré jusqu'à sa disparition, et à la suite de l'O.N.C.A.D., l'approvisionnement du monde rural. L'exécution du programme agricole (P.A.) est financée par la RN.D.S. et l'Etat. La B.N.D.S. accorde aux coopératives plusieurs types de crédits dont les montants s'inscrivent dans l'autorisation préalable délivrée par la Banque Centrale. Ces crédits bénéficient du taux d'escompte préférentiel (8 %) et sont mobilisables auprès de l'Institut d'Emission. Ils sont destinés au financement: - de l'acquisition des matériels et produits agricoles auprès des fournisseurs; du transport et de la mise en place de ces produits; de l'acquisition des animaux de trait après dressage; du renouvellement du capital financier. 91 La B.N.D.S. bénéficie de garanties destinées à couvrir globalement, les risques assumés par les prêts accordés aux coopératives. Quant à "Etat, il intervient par l'intermédiaire du F.M.D.R. dont le budget est intégré à celui de la Caisse de Péréquation et de Stabilisation qui prend en charge la différence entre le prix de revient des facteurs de production et le prix de cession aux producteu rs. Le coût du programme agricole a évolué comme suit en millions de F C.F.A. Tableau 2.20: COUT DU PROGRAMME AGRICOLE (1973-1974 - 1978-1979) Campagne 1973-1974 1974-1975 1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979 A la charge du paysan Subvention de l'Etat Coût total du programme agricole 336,1 935,0 961,3 4494,8 1 851,7 1647,6 1 062,4 1705,0 5506,4 4921,9 1968,0 3331,2 , 398,5 2240,0 6667,7 9416,7 3819,7 4978,8 ....... ....... ....... ....... . ...... ....... Source: BCEAO, Economie Ouest-Afriucaine, n<J 266-290. Les crédits comme les prêts de semence sont remboursables chaque année soit par apport en graines, soit par versement en espèces. Les exigibles et remboursements de dettes B.N.D.S. ont évolué comme suit en millions: Rubriques .... Exigibles Remboursement Impayés . . ... 1974-1975 1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979 1979-1980 1441,8 1 103,3 338,5 2138,0 1934,9 203,1 2928,2 2456,6 471,6 3162,8 3162,8 4453,1 2429,1 2024,0 5383,5 2 184,4 3199,1 Source: B,ND,S. Il ressort de ce tableau à la date du 30 septembre 1980 que les coopératives avaient des créances impayées d'un montant de 7 917 836 068 francs. Le capital social des coopératives sert de garantie aux crédits reçus et ce capital se subdivise de la manière suivante: - 60 % dans le compte 4011 créd!teur au 30 septembre 1980 de 171 991 477 francs; 40 % dans le compte 4971 ouvert au nom du F.M.D.R. avec un solde créditeur au 30 septembre 1980 de 25519582 francs qui sert de garantie aux crédits accordés. 92 Le deuxième volet concerne les crédits aux exploitants individuels qui ont évolué comme suit: Court terme Exercices 1974-1975 ..... 1975-1976 ..... 1976-1977 ..... 1977-1978 ..... 1978-1979 ..... Moyen terme - Total Nombre Montant Nombre Montant '2 15 4 1 71 26837000 36930000 10294500 12571 709 69930232 19 13 7 14 2 36811 000 43440000 39088934 166327394 18658000 63648000 80370000 49383434 178899103 88588232 Source: B.N.D.S. Cependant, au fil du temps, les impayés se sont multipliés ce qui allait entraîner la suspension de ces crédits aux exploitants individuels. En ce qui concerne la deuxième catégorie de crédit, elle est constituée du crédit de commercialisation qui comprend trois volets: le crédit à la commercialisation arachidière ; le crédit à la commercialisation des produits vivriers secondaires; le crédit à la commercialisation cotonnière. Le premier volet concerne le crédit à la commercialisation arachidière. La commercialisation de ce produit est assurée selon la loi n° 8041 du 25 août 1980 par la SONACOS et la SEI.B. La situation du financement était la suivante au 8-10-1981 : SONACOS: arachide d'huilerie Financement brut Retour de fonds Financement net Encours en capital ~ . . . . 7393309000 704000000 6689309000 2939573134 . . . 744 000000 344934757 1 194 804 835 S.E.I.B. : Financement brut Graines livrées par SONACOS Financement net Le financement net SONACOS-SEIB pour toutes les variétés s'est élevé au 29 janvier 1982 à 47020805789 francs se décomposant comme suit: 93 1) SONACOS Arachide d'huilerie Financement brut - Retour de fonds Financement net . . . 38 049 355 487 1400000000 36 649 355 487 . . 4342200450 40 993 555 937 Graines sélectionnées Financement net Total financement net 2) S.E.I.B. Arachkle d'huilerie Financement brut - Retour de fonds Financement net . . . 6092335261 600000000 5492355261 Graines sélectIonnées Financement net Total financement net . . 536914600 6029249861 Pendant cette campagne, le prix au producteur a été fixé à 70 francs le kg avec 60 francs payés au comptant et 10 francs de retenue pour le remboursement B.N.D.S. Le second volet concerne le crédit à la commercialisation des produits secondaires qui rentre dans le cadre de la politique de diversification des produits agricoles. En effet, il faut rappeler que le V· et VI· Plan avaient insisté particulièrement sur la diversification des cultures pour d'une part échapper à la tyrannie de l'arachide et d'autre part réaliser l'autosuffisance alimentaire. C'est ainsi que le Sénégal pourrait réduire sa trop forte dépendance vivrière. Dans cette optique, le V· Plan observait que le déficit vivrier global était trop élevé et atteignait en moyenne 300000 tonnes de céréales dont les deux tiers en riz. De même, le coût des importations de céréales intervient pour 50 % dans le déficit de la balance commerciale du Sénégal et l'on peut estimer que plus de la moitié du revenu tiré de l'arachide sert à financer les importations de céréales (31). Les encouragements à la diversification s'avèrent indispensables et concerneront le maïs, le sorgho, le mil sou na, le sanio et le niébé. Dans ce cadre, l'encours des produits secondaires qui constitue le second volet des crédits à la commercialisation a été au 30-9-1980 de : Campagnes Campagne 1978-1979 Campagne 1979-1980 Source: B.ND.S. ............... ....... ···· .. ··1 Encours global Encours B.N.D.S. 13957980713 3535960384 17 493 941 097 8263213044 2071542348 10 334 755 392 Enfin, le troisième volet concerne le crédit à la commercialisation du coton qui est assurée par la SODEFITEX. Le financement est réalisé par un consortium bancaire dirigé par la S.I.A.O. dont 35 % du capital de 3,077 milliards sont à l'époque contrôlés par l'Etat Les crédits accordés par la B.N.D.S. à la SODEFITEX ont été durant ces cinq dernières années (en millions de F C.F.A.) de: 1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979 1979-1980 1575 1 274 1 1722 1 728 '525 1 Source: B.ND.S. La problématique de la campagne de commercialisation s'est modifiée depuis 1983. Mais dè 1980, les principales décisions de refonte de la politique agricole sont intervenues avec notamment la dissolution de l'O.N.C.A.D. qui avait géré de façon catastrophique la filière arachidière. Le Gouvernement a confié la commercialisation aux huileries que sont SONACOS et la S.E.I.B., l'approvisionnement du monde rural en facteurs de production et la gestion des semences à la Société Nationale d'Approvisionnement du Monde Rural (SONAR) jusqu'à sa dissolution en 1986. Par la suite, cette logique de rationalisation, d'assainissement et de réduction des coûts de la filière se poursuit encouragée par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds. Au cours de la campagne de commercialisation 1984-1985, des innovations sont introduites dans le souci de supprimer ou de limiter les différents déchets. Les réformes entreprises s'articulent autour: du remodelage des zones d'intervention de la S.E.I.S. (Diourbel, Louga, Fleuve) et de la SONACOS (reste du pays) ; de la prise en charge par les huiliers de la commercialisa.tion auprès des producteurs en lieu et place des coopératives; de la suspension de certaines fonctions qui étaient dévolues aux coopératives et de la prise de propriété sur les graines dès les points de collecte. L'évacuation des graines ainsi que les risques liés aux opérations de collecte sont directement assumés par les huiliers. Ces modifications affectent également le volet financier qui est assuré par la mise en place d'un crédit consortial fixant à la fois le prix au producteur et les frais de commercialisation. Ce crédit est ouvert au nom de chaque huilier qui procède aux opéra95 tions de tirage et de versement sur son compte. Donc l'huilier assure le paiement des graines à l'aide du crédit consortial grâce à des financements hebdomadaires établis à partir d'un plan de financement. Les fonds sont remis à des gérants et doivent servir exclusivement à l'achat de graines coques apportées aux seccos par les producteurs. En outre les frais de commercialisation sont fixés au début de chaque campagne et comprennent: les frais variables c'est-à-dire la rémunération des coopératives, le matériel de collecte, les frais de tolérance pour déchets de sec co, les frais de tolérance pour déchet de route, les frais financiers, les frais pour autres pertes diverses, les frais de transport, de manutention et de stockage; les frais semi-variables qui comprennent essentiellement la rétribution des gérants; les frais fixes qui se composent des frais de mise en place des fonds, des assurances, des frais de décorticage et des frais généraux. . Les financements reçus par les établissements ont été au 9-4-1985 de (en francs C.F.A.) : Etablissements Arachide huilerie Dakar .......... 2068683 926 Lyndiane ....... 4326378780 710114140 Tambacounda .. ' ... 3725908584 Ziguinchor Cumul ........ 10 832 085 430 Semences huilerie 666857187 851386139 278136906 689958396 2486338628 Arachide bouche 137957120 75537140 213494310 Total 2735541113 5315722089 988 251 046 4491404130 13530918368 Source: B.C.E.A.O. Toutefois, la nouvelle organisation n'a pas été très performante car les prévisions n'ont pas été atteintes. Les réalisations n'ont été que de 34,6 % alors qu'elles devraient se situer entre 400 et 450000 tonnes soit 65 % à 70 % de la récolte attendue. Les causes de cette situation résident dans: - 96 la constitution et le développement d'un marché parallèle agressif par ses prix plus rémunérateurs. En effet: ce marché offrait 75 francs par kilo sans criblage, ni retenue alors que le prix officiel était fixé à 50 francs; la trituration artisanale qui s'est développée du fait de l'augmentation du prix interne de l'huile. Le prix de vente de l'huile alimentaire étant passé de 300 à 500 francs, sachant qu'il faut 5 kg d'arachide pour obtenir un litre d'huile et divers résidus servant comme aliments du bétail, la trituration devient plus rentable que la commercialisation de l'arachide brute; - la dissémination des points de collecte et leurs conditions difficiles d'accès qui constituent des obstacles à la commercialisation. Face à ces problèmes, les Pouvoirs publics ont envisagé de nouvelles mesures en vue de la campagne 1985-1986. La plus importante de ces mesures est certainement la fixation de nouveaux prix au producteur qui sont de 90 francs/kilo pour l'arachide d'huilerie et 135 francs/kolo pour l'arachide de bouche. En outre, les points de collecte ont été réduits, les opérateurs privés stockeurs (O. P.S.) réintroduits dans les activités de collecte des graines et les huiliers unifiés (fusion SONACOS-SEIB). Il apparaît donc qu'un effort important a été réalisé en matière de financement de certaines opérations du monde rural. Il reste à mettre en place un crédit qui couvre réellement l'ensemble des besoins de financement des producteurs et des entreprises agricoles. Ce crédit agricole devrait en outre être décentralisé et évolutif et surtout rigoureux, c'est-à-dire qu'il faut ériger en règle impérative un apport personnel pour toutes les catégories d'emprunteurs. Le problème de la garantie doit être clairement réglé et on pourrait s'orienter vers des garanties collectives à partir de fonds communautaires de garantie et de caution conjointe et solidaire. Enfin, le crédit rural doit être sécurisé par rapport aux accidents climatiques et à l'instabilité de l'environnement. Ces hauts risques ont toujours constitué un obstacle majeur à la constitution d'un Crédit Agricole. Ils peuvent être résolus par la création d'un fonds spécialisé de garantie contre les calamités naturelles dont les ressources pourraient provenir d'un prélèvement sur la production commercialisée. Ainsi, l'avènement d'un Crédit Agricole adéquat et fonctionnel est seul à même de permettre aux ruraux de mieux s'organiser, de mieux s'équiper pour améliorer la production au double plan quantitatif et qualitatif. En outre, il contribuera incontestablement à l'émergence d'une élite d'agriculteurs capables de révolutionner les conditions de production et de travail. Ces observations sur les difficultés de financement de la commercialisation et l'absence d'un crédit agricole montrent paradoxalement que l'Etat n'a pas réussi à modifier la structure du système bancaire dans le sens d'une plus grande spécialisation. En effet, les orientations sectorielles de développement entraînent forcément des besoins de financement que ne peut satisfaire le système bancaire dans ses formes traditionnelles. En effet, le système bancaire commercial était conçu et organisé pour le financement de l'économie de traite. C'est dire que ces banques n'ont aucune tradition de banques de développement 97 ou d'investissement et elles ne disposent pas de ressources appréciables et stables capables de financer les investissements à moyen et long termes. Enfin au plan technique, elles ne sont pas préparées pour assumer une autre politique bancaire et pour prendre des risques nouveaux dans le développement économique et social. Dans ce cadre, on pouvait espérer que l'Etat, à partir des banques qu'il contrôle, soit en mesure de tracer une nouvelle politique monétaire et fiscale de mobilisation des ressources et de leur utilisation productive. De crainte de créer un laxisme monétaire qui pourrait dégénérer en inflation, l'Etat s'en est tenu à un contrôle rigide du système financier. A défaut de pouvoir modifier le jeu et les règles des institutions monétaires et financières, l'Etat néanmoins tire profit des plus-values produites dans le sous-secteur. En effet, les comptes d'exploitation des banques où l'Etat est majoritaire ont été excédentaires jusqu'à la fin des années 70. Cet excédent qui était de 4 milliards en 1974-1975 a évolué comme suit (en millions de F C.F.A.) : BNDS ............................ USB . . ............... - ........... BICIS ........................ ... . SOFISEDIT .................. .... SONEPI . . , ............. ..... .. SONAGA ......................... , , " 1976-1977 1977-1978 1978-1979 336 39 270 (19,070) ( 2,322) 513 40 424 (35,93) ( 5,B9) (34,295) 50 41 356 (145,72) ( 10,30) ( 40,71 B) - Source: Divers documents provenant des différentes banques. Il ressort nettement de ce tableau, une baisse d'efficacité du système bancaire dont les graves difficultés actuelles justifient l'importante restructuration en cours dans le secteur. Les raisons de ces difficultés tiennent: - - d'abord à la persistance et à l'approfondissement de la crise économique et financière interne qui a obligé les entreprises et l'Etat à recouvrir de façon m;:1ssive aux crédits bancaires; ensuite à l'importance des engagements vis-à-vis de projets du secteur parapublic dont la rentabilité est souvent incertaine. En effet, les ressources mobilisées ont essentiellement servi à soutenir la consommation ou à financer des investissements non pertinents pour la plupart dans lesquels le taux de rentabilité 98 ne dépasse point et le plus souvent même se situe en deçà du coût d'emprunt. Cette distorsion constitue le fondement même de la crise des paiements que traversent actuellement les banques du secteur public et dont la persistance peut s'avérer terriblement néfaste pour l'ensemble de l'économie. Pour éviter cette perspective sombre, l'Etat devra résoudre en priorité la question de la dette intérieure vis-à-vis des établissements bancaires et financiers. Ensuite, il devra aider à une plus grande spécialisation du système bancaire avec des politiques appropriées permettent aux banques d'avoir des ressources stables et importantes. 3) L'intervention de l'Etat dans le secteur touristique Les nouvelles dimensions physiques et monétaires du tourisme international ont entraîné dans les pays du Tiers-Monde une rapide multiplication des politiques de développement fondées totalement sur les activités touristiques. Toute une théorie cohérente était propagée pour établir que le tourisme se comporte comme un secteur de croissance primaire capable de produire une série d'effets induits sur la balance des paiements, les ressources en devises, l'emploi, les recettes fiscales et la promotion de branches décisives de l'économie nationale. Dès lors, le secteur touristique est présenté comme un foyer d'accumulation qui peut faire sauter le goulot constitué par les ressources en devises et libérer les forces potentielles de financement du développement (32). Cependant, contrairement à une opinion bien répandue, le tourisme est un secteur lourd par le volume des capitaux qu'il immobilise. En conséquence, dans sa mise en valeur, l'Etat est appelé à remplir des fonctions de mobilisation des ressources financières, d'incitation et de promotion, d'encadrement administratif et de formation professionnelle. Depuis son second Plan de développement, le Sénégal a souscrit à l'idéologie du développement du tourisme en vue de tirer partie des avantages liés à ce secteur. De 1970 à 1974, le tourisme a subi une évolution galopante sans aucune phase de rupture en raison des orientations et options du gouvernement pour un développement à grande échelle des activités touristiques. L'évolution des investissements à travers les différents plans indique l'intérêt prioritaire accordé au tourisme: - 2· Plan 3· Plan , , ". . 700 9,7 millions de F C.F.A. milliards 99 4· Plan 5e Plan milliards 20,8 21,345 milliards. Dans le même temps, le Code des Investissements (loi n° 78-20 du 29 janvier 1978) a été réaménagé en vue d'encourager et de stimuler par des avantages considérables les promoteurs de projets tou ristiq ues. L'Etat, maître-d'œuvre du développement touristique, crée un ensemble de sociétés d'économie mixte qui seront les principaux organes d'exécution et de promotion du nouveau secteur. Dans ce cadre, trois sociétés ont été mises en place à savoir: la Société Nationale de promotion Touristique (S.N.P.T.) propriétaire du Village-hôtel du Cap-Ski ring ; la Société Africaine Immobilière et Hôtelière (S.A.I.H.), propriétaire du complexe de Ngor ; la Société Propriétaire de l'Hôtel de l'Union (S.P.H.U) ou Hôtel Téranga. Cette action sera accompagnée par des prises de participation des Pouvoirs Publics dans tous les projets hôteliers de haut niveau. C'est surtout à partir du second plan de développement que les grands axes d'une politique de mise en valeur touristique ont été définis pour commercialiser: l'hypodrôme avec les 700 km de plages de sables fins, une mer bleu aux eaux tièdes et non encore polluées et un soleil qui place le pays parmi les plus chauds du monde avec plus de 3 000 heures d'ensoleillement annuel à Dakar; l'antropôme qui procède du développement depuis l'indépendance d'une culture sénégalaise authentique qui s'organise autour d'un folklore riche, de la création de musées d'art, de théâtres populaires et de lieux de pèlerinage spirituel; le phytôme avec une faune diversifiée comprenant presque toutes les espèces qui vivent en Afrique; ces espèces sont protégées dans les parcs nationaux du Niokolokoba, du Djoudj et de Basse Casamance. A ces produits qui font la vocation touristique sénégalaise s'ajoute la proximité des principaux centres émetteurs de touristes internationaux (Europe et Amérique du l\Jord). De 1972 à 1982, les flux de touristes se sont développés passant de 69 000 à 200 000. Les nuitées ont évolué presque dans les mêmes proportions pour se fixer à 900000 en1980, ce qui correspond à une durée moyenne de séjour de 4,5 jours. Si le III Plan a marqué le décollage du tourisme sénégalais en dotant le pays de son programme de promotion dïnfrastruc100 tures hôtelières, le IV Plan a été celui de la définition des grandes priorités pour énger je tourisme au rang des principales activités économiques. Quant au V Plan, il sera décisif par les objectifs quantitatifs qui portent pour l'année terminale 1981 sur: une capacité d'hébergement de 6 250 chambres, soit un accroissement par rapport à 1975 de 2970 chambres ou 5200 lits; des arrivées de 368 000 touristes, soit un accroisement de 232 000 par rapport à 1976 ; un nombre de nuitées de 220 800 ; des recettes brutes de 22 milliards F C.F.A Au plan qualitatif, les objectifs concernent notamment: la décentralisation et la régionalisation de l'activité touristique pour ramener à des proportions plus équilibrées le développement explosif des réceptacles touristiques de Dakar; la promotion et la commercialisation du tourisme sénégalais grâce au développement du tourisme des résidents, à une présence plus agressive du Sénégal sur les marchés fournisseurs, aux facilités d'accès au Sénégal accordées aux agences de voyages; l'étalement de la saison touristique sur 12 mois par destruction du mythe de l'hivernage; la formation d'un personnel qualifié. Toutes ces politiques ont fait du tourisme au cours de ces dernières années, un secteur exportateur et qui est devenu la troisième source de devises pour le Sénégal après les produits arachidiers et les phosphates. En 1979, les recettes nettes du secteur se sont élevées à 16,7 milliards de francs, en progression de 28,5 % sur les 13 milliards de l'année précédente. Bien que la durée moyenne des séjours ait accusé une baisse passant de 4,5 à 4 jours, le nombre de visiteurs en revanche a augmenté passant de 220 000 en 1978 à 234 000 en 1979. Cette évolution favorable a été obtenue grâce à la mise en chantier de plusieurs projets qui ont augmenté la capacité d'accueil d'environ 800 lits. Parmi ces projets, les plus importants sont : la station de Saly Portudal sur la Petite Côte avec un volume d'investissement global de 18,626 millions de dollars dont la première tranche a été réalisée avec la construction de l'Hôtel Palm-Beach d'une capacité de 100 chambres avec un coût de 1,3 milliard de frances C.F.A. ; "hôtel du Barachois avec 250 chambres pour un investissement de 3,8 milliards de francs C.F.A. 101 Le développement du tourisme sera donc principalement lié à l'accroissement des lits disponibles. Ceci a conduit l'Etat à prendre des participations dans huit sociétés hôtelières et à investir pour un montant supérieur à 6 milliards F C.F.A. dans le secteur. Comment se sont comportées les sociétés contrôlées par l'Etat et qui sont un des maillons de la promotion touristique? La Société Africaine Immobilière et Hôtelière (S.A.I.H.): La S.A.I.H. est la société d'économie mixte la plus ancienne. Elle a été constituée en 1949 avec un double objectif: la construction et la gestion d'hôtels d'une part, l'administration et l'exploitation d'immeubles d'autre part. Le capital social est passé de 205 millions de francs C.F.A. en 1962 à 1 256 920 000 en 1977 et 1 405 210 000 en 1980. L'Etat sénégalais contrôle environ, 50 % du capital à côté d'autres partenaires comme les Hôtels Méridiens, la Caisse Centrale de Coopération, la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie. La première grande réalisation de la S.A.I.H. a été le complexe de l'Hôtel de Ngor. Puis sont ajoutées à cela l'extension du village touristique de Ngor (156 cases), la construction de l'immeuble Daniel Sorano et de l'Hôtel Diarama. La constitution financière de la société se présente de la façon suivante en milliers de francs: Actif 1976-1977 1977-1978 1978-1979 Valeurs immobilisées nettes , ...... Actifs à court terme . . . . . . . . . . . .... . .......... . ..... . ...... Total 1 557851 422484 1980335 1 528484 448524 1977 008 1 506297 496976 2003273 1 001 602 685990 369833 77 090 1980335 933530 626363 421531 4416 1977 008 748658 636892 593112 + 24611 2003273 Passif Capitaux propres ..... - . . . . . . . . . . . . Dettes à long et moyen terme ..... . Dettes à court terme . . . . . . . . . . . . . . Résultat de l'exercice ............. . Total .. . .. . ......... , ............ Source: Contrôle financier, S.G.P.A. Il en ressort que la S.A.I.H. a amélioré ses résultats comme l'avait souhaité le plan de redressement financier adopté par le Conseil d'Administration de juin 1975. Les objectifs de ce plan tournaient autour: 102 de l'amélioration de l'équilibre financier de la société; de la diminution des lourdes charges d'exploitation; de l'augmentation des fonds propres. La Direction de la S.A.I.H. prouve ainsi qu'il est possible à une société d'économie mixte de procéder à une analyse lucide et exhaustive de sa gestion désastreuse et de tirer les leçons appropriées dans le sens de l'établissement d'une stratégie de sauvetage réalisable. De même, elle administre la preuve que l'échec et les faillites ne constituent pas des fatalités pour les sociétés parapubliques et qu'ils peuvent être évités par une gestion rigoureuse et techniquement bien conçue. La Société Propriétaire de l'Hôtel de l'Union (S.P.H.U.) : C'est la deuxième société d'économie mixte du secteur touristique. Elle a été créée le 26 mars 1969, sous forme de société anonyme avec un capital de 20 millions de F C.F.A. en vue de construire l'Hôtel Téranga. Le capital a été par la suite élargi et fut porté à 951,5 millions à la suite de deux augmentations: le 5 août 1972 avec un apport de 867,5 millions et le 25 août 1972 pour un montant de 64 millions constitués par le terrain devant abriter l'hôtel. A cette date, la répartition des parts était la suivante: Etat du Sénégal E.E.O.A. ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Air Afrique Société Commerciale des Chargeurs. . Gesellschaft U.S.B. Babacar Kebe Crédit Lyonnais .............. Cofimer S.B.O.A. Autres 414 100 100 98 62,5 50 50 25 20 10 22 millions millions millions millions millions millions millions millions millions millions millions soit soit soit soit soit soit soit soit soit soit soit 43,5 % 10,5 % 10,5 % 10,3 % 6,6 % 5,3 % 5,3 % 2,6 % 2,1 % 1.0 % 2,3 % L'exploitation et la commercialisation ont été confiées à l'Union Touristique et Hôtelière (U.T.H.), filiale hôtelière du groupe des Chargeurs Réunis qui avait rempli les fonctions de maître d'ouvrage pendant la durée des travaux de l'Hôtel Téranga. Le contrat avec U.T.H. stipule que cette société prend 3 % des ventes pour la rèmunération de son assistance en matière de gestion et 15 % des bénéfices bruts d·exploitation. Les premières années de fonctionnement de l'Hôtel Téranga n'ont pas 103 donné de résultats significatifs. Ainsi en 1974, les bénéfices bruts ont été de 14 millions F C.F.A. et en 1975, ils s'élevaient à 101 millions soit 33 millions de moins que les 134 nécessaires pour couvrir l'amortissement de l'année. Ces faibles résultats s'expliquent par la conjugaison de plusieurs facteurs notamment: les fonds frais engagés lors de l'investissement (frais d'établissement, honoraires et frais remboursables) qui se sont élevés à 335 millions de francs C.F.A. soit 20,5 0J0 des immobilisations. Les honoraires versés à U.T.H. ont représenté 186 millions et le remboursement de leurs frais de mission a atteint 30,5 millions; les dépenses élevées pour un personnel pléthorique dont l'effectif était de 340 ainsi répartis: 308 Sénégalais et 32 expatriés, ce qui représente 1,28 employés par chambre; les mauvais résultats du restaurant Tous ces facteurs traduisent des frais élevés de gestion et de service. La structure financière de la S.P.H.U. a évolué comme suit en milliers de francs: Actif 1976-1977 1977-1978 1978-1979 1 690851 521 770 2212621 1631444 598692 2230136 1599288 642760 2242048 712849 1083303 360206 56263 2212621 783017 1 012686 330003 104430 2230136 894180 331 892 925465 90511 2242048 1 Valeurs immobilisées nettes ...... . . Actifs à court terme .... . ...... , .... ........... . . ..... Total Passif Capitaux Dettes à Dettes à Résultats Total ... propres .. . . . . . . ... . . . .. long et moyen termes ... court terme .. ... . . . . . . , . . de l'exercice . . . . . . . . .... " . .......... . . . . . , . . .. . .. Source: Contrôle financier, S.G.P.R Des améliorations sont nécessaires notamment en vue de la recherche et du renforcement de l'autonomie financière. Mais également, la société devra, comme cela semble ëtre le cas, redéfinir ses relations avec U.T.H. dans le sens d'une réduction des charges. De cette analyse, il ressort que la S.A.I.H. et la S.P.H.U. sont des sociétés d'économie mixte où les directions en place s'efforcent de réaliser un gestion rentable dans les conditions structurelles et organisationnelles difficiles. Malgré les résultats encore 104 médiocres de la S.P.H.U., ces sociétés en voie de privatisation continuent de fonctionner et tentent d'améliorer leur situation financière. Pour la Société Nationale de Promotion Touristique, il en va tout autrement. La Société Nationale de Promotion Touristique (S.N.P.T.) Elle a été créée en 1970 sous forme de Société anonyme avec un capital initial de 22 millions F C.F.A. Le 28 juin 1973, ce capital a été porté à 332 millions et répartis comme suit: Etat Sénégalais ................. Club Méd iterranée .............. Air Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Autres porteurs ................. 273 50 5 4 millions millions millions millions soit 82,2 soit 15,1 soit 1,5 soit 1,2 0/0 0/0 0/0 0/0 La S.N.P.T. est considérée comme un levier du développement touristique. Quatre objectifs lui étaient alors assignés: l'étude des possibilités d'exploitation des ressources touristiques du Sénégal; l'exécution de projets retenus dans le cadre de la politique définie par le Gouvernement; la recherche et la garantie des financements des programmes retenus par les Plans; la réalisation de la gérance des établissements existants et la recherche de la rentabilité des investissements engagés. En 1974, un Conseil interministériel tenu le 14 juin décide de confier progressivement à la S.N.P.T. la réalisation et l'exécution de tous les projets touristiques de l'Etat. Tous les receptifs et les campements appartenant à l'Etat seront exploités en gestion directe, par concession ou par gérance par la S.N.P.T. Depuis cette date, la S.N.P.T. commence à accuser des déficits considérables d'un montant de 1,5 milliard F C.F.A. dont 1,2 milliard provenant du Cap-Skiring géré par le Club Méditerranée avec qui il a noué un véritable contrat léonin totalement injustifiable au plan de la stricte logique de l'efficacité économique. Le contrat signé le 30 décembre 1971 entre la S.N.P.T. et le Club Méditerranée confère à celui-ci pour une durée de vingt ans la double responsabilité: d'une part de la commercialisation du village c'est-à-dire la recherche de la clientèle, l'élaboration de forfaits et l'acheminement des touristes et d'autre part, de la gestion et de l'exploitation du village. C'est donc au titre de ce mandat de gérance que le Club Méditerranée devait percevoir une rémunération constituée par: 105 la différence entre les prix de vente catalogue du transport et le coût du transport; une marge de commercialisation égale à 15 % des forfaits européens et 25 % des forfaits américains. Cette marge ne figure pas dans le chiffre d'affaires affecté au crédit de l'exploitation du village; une participation avec frais communs d'exploitation du Club Méditerranée pour l'ensemble de ses villages égale à 9,6 % des recettes affectées au village du Cap-Ski ring ; un intéressement sur le chiffre d'affaires égal à 2,4 % ; une participation aux résultats égale à 15 % du résultat brut annuel. Au total, selon un tel contrat, le Club prenait 12 % des ventes et 15 % des bénéfices bruts d'exploitation et la S.N.P.T. assumait entièrement l'amortissement du village. Ce contrat était trop abusif et trop défavorable pour innocenter les divers négociateurs. D'une manière générale, les contrats de gestion ont tous été désavantageux pour les Sociétés d'économie mixte et ont contribué à accroître leurs frais et charges de service. Ces contrats n'ont donc bénéficié qu'aux Sociétés gestionnaires qui vont donc profiter de l'expansion touristique. En effet, ces contrats stipulent toujours que: - la société propriétaire supporte toutes les charges financières; le gestionnaire perçoit des rémunérations indexées sur le chiffre d'affaires et un pourcentage sur le bénéfice de l'exploitation ; le gestionnaire procède en toute liberté à l'attribution des parts destinées à la société propriétaire. Ces rapports sont inégaux et le Club Méditerranée en offre une parfaite illustration comme le montre les opérations suivantes du Cap-Skiring (en millions de francs C.F.A.) : Chiffre d'affaires ....... . .......... . . . ......... R.BE. (Résultat brut d'exploitation) . . . . . . . . . . . . . . Revenu de la S.N.P.T. (85 % du R.B.E.) ... ....... Rémunération du Club Méditerranée .. . ........ Taux d'occupation des lits ....... . . . . . . . . . . . . . . R.B E.fchiffre d'affaires ..... , ......... ......... . Revenus S.N.P.T./chiffre d'affaires ....... ... . . ... Rémunération du Club Méditerranée/chiffre d'affaires ' 106 1973-1974 1974-1975 281,0 -3.4 -2,9 63,3 85,0 % 486,0 54.7 46,5 92,6 78,0 % Il,3% 9,6% 19,0% - 22,5 Il ressort de ces données que le Club Méditerranée ne perd rien; bien au contraire, il gagne même si l'exploitation est déficitaire alors que la société propriétaire en cas de perte supporte toute seule celle-ci; à l'inverse, dans une situation bénéficiaire, elle partage les gains avec le gestionnaire. Le tourisme, dans la stratégie du développement, est considéré comme un secteur prioritaire qui doit contribuer, par les ressources qu'il génère, à l'accumulation productive. Par ailleurs, il est attendu de la politique touristique un ensemble étendu et varié d'effets d'entraînement sur l'économie globale notamment l'augmentation du volume de l'emploi et J'amélioration de la position extérieure du pays. Pour réaliser ces objectifs et faire du tourisme un foyer d'accumulation, l'Etat doit maintenir son intervention et la renforcer particulièrement dans trois domaines: la création d'une structure de viabilisation des complexes touristiques afin de les rendre aptes à remplir pleinement leur fonction d'accueil et de cadre d'épanouissement intégral de leu rs locatai res ; la mise en place d'une administration fonctionnelle de gestion du tourisme qui réponde à trois objectifs: d'abord la coordination des divers projets retenus par les plans nationaux, ensuite la maîtrise de la direction technique, de l'administration et de la gestion des sociétés d'Etat ou d'économie mixte et enfin la gestion du personnel; la promotion et la commercialisation du produit touristique. En attendant, la politique de l'Etat aurait pu être plus efficiente si son portefeuille avait été mieux géré et si les entreprises créées à cet effet avaient fait l'objet d'une administration rigoureuse et plus autonome vis-à-vis des géants multinationaux du tourisme. Néanmoins, dans la totalité du secteur tertiaire, l'Etat a dégagé et mis en œuvre une politique d'intervention adéquate et s'est en même temps doté de quelques instruments d'exécution appropriés. Toutefois, ces entreprises et sociétés nationales ou d'économie mixte ont été pour la plupart mal gérées ou ont fait l'objet d'option technique parfois peu judicieuse. Il en est résulté une accumulation des déficits, des faillites et liquidations qui imposent aujourd'hui la nécessaire voie de la privatisation. Cette nouvelle situation contribue malheureusement à déposséder progressivement l'Etat d'un de ses principaux moyens d'intervention directe et de régulation de l'activité économique. Section 4: LES PERFORMANCES DU SECTEUR QUATERNAIRE De par ses incidences décisives à terme sur le tissu économique, le secteur quaternaire - improprement qualifié d'impro107 ductif - s'avère essentiel dans toute stratégie de développement économique et social. Les ressources humaines sont déterminantes dans les performances économiques des pays. Et de ce point de vue, des efforts manifestes apparaissent au crédit des autorités sénégalaises depuis 1960. Cependant, certains objectifs semblent avoir été mal définis; inadéquatement ciblés et ont par conséquent engendré parfois des déséquilibres et des distorsions entre les actions entreprises et les résultats enregistrés. Ainsi, en est-il du sous-secteur de l'éducation où malgré l'ampleur de l'effort consenti (25 % du budget de fonctionnement de l'Etat), le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire n'était que de 52 % en 1984 tandis que celui de l'alphabétisation des adultes s'établissait péniblement à 28 % pour la même année (33). A titre de comparaison, ces taux sont respectivement de 66 % et 34 % (en termes médians) pour les pays d'Afrique de l'Ouest. En 1985, 2 % seulement des jeunes Sénégalais en âge de faire des études supérieures y étaient inscrits alors que l'enseignement supérieur absorbait à lui seul 19 % du budget de l'éducation. De plus, depuis 1980, le gouvernement est confronté au problème de l'emploi des diplômés de l'enseignement supérieur. Manifestement, ces déséquilibres et désajustement suggèrent l'observation de deux types de problèmes: tout d'abord, l'existence de coûts unitaires élevés qu'une redéfinition et un redimensionnement des moyens de mise en œuvre de l'éducation (construction et fonctionnement) pourraient permellre d'abaisser sans nuire à la qualité de l'objectif recherché; ensuite, l'existence d'un important problème d'adaptation de la formation dispensée aux besoins et exigences de l'activité économique; cetle deuxième question pose l'incontournable problème de la recherche d'une nécessaire adaptation des programmes d'études et de la formation des enseignants aux réalités et spécificités économiques nationales. Dans le domaine socio-sanitaire, les résultats demeurent encore moins satisfaisants; ils sont plus déséquilibrés et accentuent davantage le processus de différenciation notamment entre zones rurales et zones urbaines. En 1978, le Sénégal comptait 13800 habitants par médecin, 900 médecins habitants par lit d'hôpital et 15,5 % de mortalité infantile. En 1982,37 % seulement de la population avaient accès à l'eau potable. En 1984, 18 % de la population disposaient de l'électricité (34). Depuis l'indépendance, le budget de la santé a augmenté à un rythme inférieur à celui de la population. Pis encore, la part relative du sous-secteur de la santé dans le budget général recule 108 constamment, passant par exemple de 7,8 % en 1973-1974 à 5,4 % en 1985-1986 (35). Il s'y ajoute que le gouvernement a, pendant longtemps, privilégié la réalisation et la concentration de gigantesques complexes infrastructurels (hospitaliers, hydrauliques...) dans les principaux centres urbains au détriment d'une politique de couverture sociosanitaire de masse économiquement plus efficace, financièrement moins chère, socialement plus juste et qui aurait surtout eu pour avantage de fixer les populations rurales et de mettre en valeur les innombrables potentiels ruraux de développement. L'ampleur des besoins restant encore à satisfaire dans l'important et décisif secteur quaternaire ainsi que l'apparition de nouveaux besoins par suite d'une démographie galopante et d'une urbanisation incohérente, désordonnée et rapide (36) ne manqueront pas de soulever des problèmes sérieux de financement pour de nouvelles infrastructures. La crise profonde des finances publiques sénégalaises ne permettra pas la mobilisation des ressources financières nécessaires. Dès lors, le risque demeure de voir s'opérer un réajustement en baisse des dépenses du secteur social considérées comme non prioritaires. Ces déficits auxquels viendront s'ajouter les besoins futurs issus d'une expansion démographique accélérée, donnent une idée des efforts financiers à consentir par l'Etat et les collectivités locales dans une période de rareté des ressources financières. Il y a lieu de croire que cette situation sera davantage aggravée si l'on y ajoute les dépenses récurrentes et de maintenance des équipements et infrastructures existants dont l'Etat n'envisage point la prise en charge budgétaire. En effet, l'extension du réseau scolaire ou encore la mise en place d'infrastructures de santé ou d'adduction d'eau engendrent des coûts d'importance variable, qui ne sont souvent pas pris en considération dans l'élaboration des projets. Ces dépenses récurrentes, composées surtout de frais d'entretien et d'exploitation, en ce qu'elles n'ont souvent pas été intériorisées par les projets, ont conduit dans la plupart des cas à la réduction de la qualité des services rendus, à une insuffisance de l'entretien, voire à une détérioration prématurée de l'infrastructure réalisée ou même anciennement implantée. Face à la pression des nécessités. cette dernière est délestée d'une partie de son personnel ou de ses dépenses d'entretien au profit de la structure nouvelle. A l'analyse, les politiques sectorielles appliquées depuis l'indépendance dans le cadre de la stratégie globale de développement économique et social ont abouti à : - des contre-performances dans la plupart des secteurs écono109 miques qui sont à la base des très faibles taux de croissance du P.I.B. (2,3 % en moyenne annuelle) de 1960 à la fin des années 70 ; la crise du modèle d'accumulation reposant sur les prélèvements opérés sur les ressources agricoles pour financer d'autres activités souvent improductives comme la spéculation immobilière et commerciale, la surconsommation de biens importés; la constitution d'un secteur public et parapublic hypertrophié, inefficient et globalement déficitaire; la consommation privée et publique excessive se réalisant à des rythmes plus élevés (en moyenne 4,6 %) que ceux du P.I.B. ; des distorsions dans la répartition des revenus avec une détérioration du pouvoir d'achat des populations rurales au profit des masses urbaines. L'ensemble de ces éléments indique une crise profonde de l'économie sénégalaise, une rupture de tendance qui se matérialise dans le double déficit des finances publiques et de la balance des paiements montrant que le pays vit au-dessus de ses moyens. Ce déséquilibre ne peut se maintenir longtemps et rend alors l'ajustement inéluctable. Il s'agira en conséquence, de s'attaquer aux causes véritables par des politiques économiques qui opèrent une modification des contraintes structurelles bloquant la croissance ainsi qu'une meilleure allocation des ressources. Ces politiques de restructuration s'imposent surtout lorsque le pays ne peut plus continuer d'emprunter à l'extérieur pour financer le déficit de sa balance des paiements. Dès lors, il s'avère nécessaire d'analyser l'état d'endettement en corrélation avec les déséquilibres économiques et financiers. (1) M.P,C. Vie Plan quadriennal de développement économique et social 1981-1985, p. 3. (2) Op. cil (3) J.f. Stig/itz; «Agriculture et risque. Un aperçu général de quelques problèmes auxquels doit faire face l'économie sénégalaise •. Université de Princeton. (4) On sait qu'il est possible d'évaluer le P.I.B. soit à partir de la production totale des secteurs, soit à partir des différents emplois de la production. Premier le cas; P.I.B. = Produit total des secteurs - consommations intermédiaires - Somme des valeurs ajoutées de tous les secteurs. Deuxiéme cas; P.I.B. = Y = G + 1 + X - M (avec C = Consommations publique et privée (ménages); 1 = inves- 110 x tissements ; = exportations; M = Importations). N.B.' 1 = formation intérieure de capital = formation brute de capital fixe + variation de stock). (6) En raison de l'inexistence de statistiques sur le financement extérieur, nous nous limiterons au concours du système bancaire local en faveur de la commercialisation arachidière et du programme agricole. (7) Office National de Coopération et d' Assistance pour le développement Agricole. Cet office, dissout en 1980, s'occupait de l'encadrement du monde rural et de son approvisionnement en facteurs de production. (8) Les crédits bancaires recensés à la centrale des risques représentent en moyenne 80 % des crédits distribués par le systéme bancaire. (9) Il s'agit de crédits à l'économie refinancés par la B.C.E.A.O. Les crédits à l'Etat sénégalais refinancés par la B.C.E.A.O. ne sont donc pas pris en compte. (10) Papa Sene: L'agriculture en Afrique: le cas du Sénégal in «Gestion appropriée et besoins ruraux., 1982. Actes du colloque de Levis Quebec, 13 septembre, 1" octobre 1982, p. 35 à 46. (11) Moustapha Kasse: Urbanisation et déculturation, réflexion sur l'expansion d'une grande métropole Ouest-Africaine: Dakar. Colloque sur «les relations Villes-Campagnes. organisé par l'Institut Febbraio 74. Bamako, décembre 1985, 38 pages. (12) René Dumont: Le mal développement en Amérique Latine, éd. du Seuil, septembre 1981, 281 p. (13) M. Griffon et P. Jacquemot: Pénuries alimentaires et stratégies agricoles en Afrique subsaharienne, Revue Critique de l'Economie Politique, mai 1983, p.97-119. (14) Plan céréalier, mai 1986, 82 pages. Etude du secteur agricole: rapport de synthèse, mai 1986, 165 p. (15) SODESP: Société de Développement de l'Elevage dans la zone sylvo pastorale. (16) P.o.E.S.O.: Projet de Développement de l'Elevage du Sénégal Oriental ministère du Développement rural: Etude du secteur agricole, mai 1986, 165 p. (17) M. Kasse et G. Lecointre: Questions fonciéres au Sahel, CREA, 1987, 10 p., in « Marchés Tropicaux '. n° 2211 du 25 mars 1988. (18) Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal. (19) G. Rocheteau: Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique, Edition ORSTOM-Karthala, 1982, p. 301 à 377. (20) L.S. Senghor: Pour une société sénégalaise socialiste et démocratique, congrès de IUP.S .. 27-29 déc. 1976. (21) Nesterenko: ln Marchés Tropicaux du 5 avril 1974. (22) L.S. Senghor: op. cil. (23) G. Rocheteau: Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique: le cas du Sénégal, Ed. Karthala 1982, p. 311. (24) Serigne Lamine Diop: La Nouvelle politique industrielle communication devant le Conseil économique et social, mars 1986. (25) Var-AI-Handasah Consultants (Shair et Parteners): Etude sur certains aspects de la politique industrielle au Sénégal, mai 1985. (26) Banque Mondiale: Sénégal: Mémorandum économique, 5 nov. 1984, p. 31. (27) Ibidem, Banque Mondiale, p. 17. (28) G. Rocheteau : op. cil., p. 318. (29) Amadou Sow: «Le système bancaire et le financement des activités économiqes au Sénégal., Club Nation et Développement, séminaire de SaintLouis, 1983. (30) Ibidem. u (31) V· Plan de développement, p. 98. (32) MoustBpha Kasse: Le tourisme international: évaluation de son impact sur le développement économique, 2 tomes, Faculté des Sciences juridiques et économiques, 1978, 718 p. 111 (33) Pour les sources statistiques, voir: Banque Mondiale: Rapport nO 6450-SE, Examen du programme d'investissement public au Sénégal, 1987-1990, fév. 1987, p.44. (34) Oirection de la statistique et Banque Mondiale: Divers Rapports, de , 980 à 1985. (35) Banque Mondiale: Rapport n° 6450-SE, février, p. 50. (36) Moustapha Kasse: Urbanisation et déculturation, réflexion sur l'expérience d'une grande métropole Ouest-Afriuaine: Dakar, séminaire «Ville-Campagne. Bamako, décembre 1985. Il faut être très attentif à l'urbanisation accélérée. Ces structures urbaines absorbent entre 40 et 50 % de la population et connaissent des taux de uroissance annuels qui varient entre 4 et 8 %' Un Sénégalais sur trois vit dans une ville et dans '5 ans ce rapport va se modifier et deux Sénégalais sur trois seront des citadins. Cela va poser des problèmes immenses d'alimentation et d'infrastructures sociales. Il y aura le risque de voir une bonne partie des ressources financières détournées à des fins non directement productives. 112 Chapitre III ENDETTEMENTS ET CRISE DES PAIEMENTS Les politiques économiques comme nous l'avons observé n'ont pas réussi à élever le niveau des forces productives, ni permis l'amorce d'une croissance économique soutenue. Alors, l'accroissement de la consommation a engendré un déficit de ressources qui a été couvert par l'emprunt extérieur. Ainsi, la crise interne du développement a imposé le recours à un endettement qui sera d'autant plus important que les déséquilibres seront profonds. Celui-ci sera d'ailleurs aggravé par la crise de l'économie mondiale dans laquelle le Sénégal est fortement inséré. En effet, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la généralisation de l'économie « fordienne» (1) à l'échelle mondiale, sous-tendue par une remarquable stabilité monétaire due aux accords de Bretton-Woods, permettait un accroissement extraordinaire du commerce international. Elle a surtout facilité, à travers la délocalisation industrielle et l'internationalisation de la production, une plus grande intégration, certes à des degrés variables, de la presque totalité des systèmes productifs nationaux. Cependant, la faillite du fordisme à partir de la fin des années 60 due notamment à la chute vertigineuse des gains de productivité, à l'épuisement de la norme de consommation (traduite par une relative saturation de la demande) et à l'éclatement du système monétaire international, constituera le signe précurseur de la grande crise mondiale des années 70 entraînant ce que Henri Bourguinat appelle les « quatre pathologies» de l'économie mondiale à savoir: les taux d'intérêt réels élevés, le déficit budgétaire américain, la surévaluation du dollar et la crise de l'endettement. 113 Les PVD vont alors peiner et s'essouffler à assurer le service de leur dette (2). La crise des années 70 doit être bien analysée pour mieux comprendre les mécanismes d'endettement et leurs conséquences particulièrement sur la balance des paiements, microcosme de l'efficacité des activités économiques et des relations économiques et financières avec le reste du monde. Déclenchée en octobre 1973 à la suite du premier relèvement massif du prix du pétrole (3), la deuxième crise du xx e siècle se manifeste principalement au double niveau économique et financier impliquant des évolutions et conséquences particulières pour les pays en voie de développement dont le Sénégal. Au plan économique, la baisse généralisée des gains de productivité engendrait des rétrécissements de marges bénéficiaires voire des pertes financières. Les secteurs oligopolistiques dans les pays développés, dans le cadre de l'administration des prix à la vente, ont alors tenté d'utiliser l'inflation pour restaurer l'équilibre initial. Ce qui explique en partie la brutale flambée des prix des biens manufacturés après 1973. Dans le même temps, l'impossibilité d'indexer sur l'inflation mondiale les prix des matières premières - en raison de leur nature et des conditions de fixation de leurs prix - et d'autres produits finis ou semi-finis exportés par les pays pauvres, contribuait progressivement, mais inexorablement, au renforcement du déséquilibre actuel des rapports internationaux d'échange. En effet, face à la relative saturation de la demande interne que traduisait l'épuisement de leur norme de consommation, les pays industrialisés utilisèrent la technique dite d' «économie d'endettement international» pour élagir leurs débouchés en direction des pays du Tiers-Monde, ceci afin de maintenir un niveau de demande pour leurs produits compatible avec la perpétuation du modèle (4). A cette fin sera mobilisé le système bancaire international qui, la nécessité de recycler les excédents de pétrodollars et l'appât du gain facile aidant, multipliera considérablement les crédits de divers types sans aucune considération de la capacité objective d'endettement des pays bénéficiaires. Ce rappel de quelques tendances de l'économie internationale, en élucidant l'articulation entre termes défavorables d'échange (sphère économique) et montée de l'endettement (aspect financier), permet de mieux cerner l'évolution du Sénégal dans le cadre de cet impitoyable diptyque. En effet, l'accroissement rapide de l'endettement entraîne toujours un processus cumulatif d'augmentation de la dette. Les importations tendanciel!ement supérieures aux exportations nationales introduisent une contrainte de financement extérieur. La dégradation du ratio service de la dette/exportations 114 signifie en dernière analyse que, pour financer la charge de la dette, le pays se trouve dans l'obligation de dégager un excédent de la balance des opérations courantes. Or, cela n'est possible que par recours aux transferts unilatéraux en provenance de l'extérieur sans contre partie et/ou à l'endettement extérieur. Ce qui n'est pas sans poser de problèmes. Section 1 : « SUR-ENDETTEMENT» EXTERIEUR ET DURCISSEMENT DES CONDITIONS D'EMPRUNT Après l'éclatement de la crise accentuée par la sécheresse, la détérioration des termes de l'échange, les différents « chocs » pétroliers et l'effondrement des cours de l'arachide d'une part, et face à la pression des besoins internes - éducation, santé, subventions à certains secteurs socialement névralgiques - d'autre part, l'Etat sénégalais s'est lancé dans une vigoureuse politique d'emprunts extérieurs afin de couvrir son déficit de paiements extérieurs qui s'élargissait d'année en année. Dans ce cadre, une large place fut accordée aux sources bilatérales et multilatérales publiques dont les conditions financières et de remboursement largement libérales concessionnelles apparaissaient supportables. Cependant, l'aggravation du désajustement des principaux agrégats macro-économiques - liée certes à la persistance de la crise mondiale, mais aussi et surtout à la non application immédiate des mesures correctives nécessaires - a contraint le gouvernement à élargir son éventail d'emprunt à des sources de financement extérieures privées dont les conditions financières et de remboursement se durcissaient progressivement. A ce sujet, il est significatif d'observer qu'en 1982, le taux d'intérêts moyen des cours privés représentait 12,7 % contre 4,4 % seulement pour les crédits bilatéraux, multilatéraux et l'aide publique au développement. Mais malgré tout ce flot d'apports extérieurs, l'environnement économique et financier national continuait à se dégrader et la crédibilité financière internationale du pays s'en ressentit. C'est ainsi qU'en 1981, les emprunts sénégalais sur les marchés financiers européens comportaient un écart positif de 2 % par rapport aux taux appliqués à la plupart des autres pays de niveau de développement semblable; ce qui traduisait bien l'inquiétude qu'inspirait aux bailleurs de fonds la solvabilité du pays. Outre les principales sources de financement ci-dessus évoquées, il importe de signaler les autres sources d'appoint dont l'importance relative dans la structure de la dette globale tendait 115 à grandir: ce sont les crédits du F.M. 1., les tirages effectués sur le Trésor Français et les autres engagements du système bancaire comme le montre le tableau ci-après. Tableau 3.1 : ENCOURS DE LA DETIE EXTERIEURE: 1979-1983 (en millions de dollars U.S.) 1979 1980 1981 1982 1983 - - --- - Total des dettes encourues et décaissées (O.E.O.) ..... .............. . 932,4 , 049,2 1 144,1 1 357,9 1606,5 Autres engagements extérieurs Utilisation du crédit F.M.I. ........... 60,7 97,9 147,8 184,0 200,8 Trésor français ... . ........ ...... . 149,3 207,6 148,0 84,4 156,8 Engagements nets du système bancaire 29,0 121,7 96,5 81,4 58,5 Total des A.E.E. . . · . · · · . . · . . . . ·· . . . . 1 266,8 343,7 377,8 343,7 399,3 Total général .................... 1 199,2 1392,9 1580,9 1757,2 1984,3 Source: Banque Mondiale: Mémorandum économique, nov. 1984. Nonobstant la hausse des recettes d'exportation en 1979, le Sénégal n'a pu redresser sa balance des paiements à cause des crises qui se succédèrent. La situation s'est au contraire dégradée et le déficit s'est élevé hors transferts exceptionnels à 36,9 milliards de F C.F.A. contre 25,9 milliards en 1978. Les exportations globales ont progressé de 90,1 milliards à 1 292 milliards essentiellement sous la \a poussée des ventes de produits arachidiers. La reprise de l'activité économique, liée aux meilleurs résultats de la production arachidière, s'est toutefois traduite par une tension accrue sur les importations dont la valeur est passée d'une année à l'autre de 167,9 à 220 milliards de F C.F.A., soit une progression de 31,1 Cfa. La détérioration du solde négatif des opérations sur marchandises s'est ainsi accentuée de 77,6 milliards de F C.F.A. en 1978 à 90,8 milliards en 1979. La hausse des importations, combinée au renchérissement des tarifs de frêt et d'assurances, a également entraîné des sorties supplémentaires de capitaux au titre des frais d'acheminement. De 14,9 milliards en 1979, les revenus des investissements ont draîné à l'extérieur 19,6 milliards en 1979 contre 17,1 milliards un an plus tôt. Pour la même période, une forte accélération du rythme des sorties de capitaux relatives au service de la dette extérieure s'est traduite par une ponction de 9,6 milliards de F C.F.A. sur les devises du pays. Finalement, le déficit de la balance des paiements va s'établir à 21,1 milliards en 1979 grâce à des appuis exceptionnels et ponctuels d'institutions gouvernementales étrangères. 116 Les recettes afférentes aux transferts sans contrepartie, en légère hausse par rapport aux années du premier choc pétrolier, n'ont pu qu'atténuer la progression des mouvements négatifs sur les biens et services. Malgré le gonflement des amortissements liés aux emprunts à long terme contractés antérieurement, les entrées nettes de capitaux non monétaires ont augmenté considérablement. Ceci en raison d'importants apports privés sous forme de crédits commerciaux et d'une nouvelle expansion des investissements directs ainsi que des versements au titre du STABEX dans le cadre de la coopération C.E.E.-A.C.P. De nouveaux engagements ont été pris par les autorités sénégalaises dans le cadre des mécanismes de financements permanents qu'offre le Fond Monétaire International (F.M.I.) avec toutes les conditionalités habituelles que le recours aux ressources de cette institution implique. C'est ainsi que depuis 1978, de nombreux tirages ont été effectués par le Gouvernement sénégalais pour faire face aux déficits courants de sa balance des paiements. Les règlements liés au service de la dette ont alors atteint pour l'année 1980, 32,6 milliards de francs C.F.A. Sur les prêts accordés par les gouvernements étrangers et par les institutions internationales, des négociations se tiennent périodiquement pour signer des accords de rééchelonnement. En définitive, le recours massif à l'endettement extérieur face à l'approfondissement des déséquilibres, outre, qu'il a artificiellement retardé l'échéance des ajustements, a aussi contribué à court terme à approfondir la crise des paiements illustrée par les rééchelonnements successifs d'octobre 1981, de novembre 1982, de décembre 1983 et de février 1984. Il a aussi posé pour le moyen et le long terme un véritable problème de solvabilité. Section 2 : LES FINANCES PUBLIQUES ET LE DEFICIT BUDGETAIRE STRUCTUREL Les finances publiques constituent le microcosme de l'intervention de l'Etat dans la vie économique nationale. La loi 63-01 définit la loi des finances qui rend obligatoire l'exécution du budget pour la durée d'un an. L'exercice budgétaire va du 1" juillet d'une année au 30 juin de l'année suivante. La loi des finances distingue les opérations à caractère définitif (budget et comptes d'affectation spéciale) des opérations à caractère temporaire (prêts, avances, comptes spéciaux). 117 Les dépenses à caractère définitif se composent des dépenses courantes (ou de fonctionnement) et des dépenses en capital (ou d'équipement). Les résultats de la politique financière de l'Etat pouvaient être suivis jusqu'en 1979 au niveau de la seule loi des finances. A partir de 1979-1980, le plan de redressement économique et financier mis en place en accord avec le F.M.!. dans le but de freiner le déficit de plus en plus croissant du budget, sera une source d'information sur la situation financière de l'Etat. Ce plan a permis l'élaboration sur la situation des opérations financières d'un T.O.F. qui est désormais annuellement adjoint à la loi des finances que l'on estime insuffisante pour une appréciation de tous les aspects économiques et financiers que soulèvent les finances de l'Etat. En effet, le T.O.F. retrace toutes les opérations financières du Trésor dont il fait apparaître les besoins ou capacité de financement. Par ailleurs, le T.O.F. introduit la distinction entre le déficit en terme d'engagements qui ne tient pas compte de la variation des arriérés de paiement, et le déficit en terme de décaissements qui correspond en fait aux besoins de financement du Trésor. Le budget du Sénégal se compose de deux masses distinctes, alimentées par des ressources et affectées à des fins différentes: le budget de fonctionnement d'une part, couvrant les besoins administratifs, et le budget d'équipement d'autre part, destiné à promouvoir l'activité économique et sociale du pays. Durant la période 1961-1962 à 1978-1979, le budget du Sénégal s'est accru, en dépenses comme en recettes, en moyenne de plus de 7,2 % par an. Ce budget est caractérisé par une épargne insuffisante simplement inexistante, d'où la part grandissante faite aux emprunts extérieurs pour couvrir les dépenses d'investissement. Notons, par ailleurs, qu'au cours du V' Plan, les investissements ont surtout concerné les investissements financiers à savoir les dépenses de contrepartie et les subventions de la Caisse Autonome d'Amortissement. Seulement, l'un des objectifs principaux de la politique financière et budgétaire des autorités sénégalaises tels que définie dans le VI" Plan de développement économique et social, est d'assurer une croissance soutenue des recettes budgétaires (impôts et taxes), tout en s'efforçant de comprimer les dépenses courantes de l'Etat afin de dégager une épargne budgétaire qui permettrait de résorber le déficit chronique du budget d'équipement en particulier. Cet objectif primordial ne sera malheureusement pas atteint puisque la période 1979-1985 a été caractérisée par des déficits budgétaires, chroniques qui ont négativement influé sur l'ensemble de l'activité économique. Ce déficit a évolué durant la période ainsi qu'il suit (en milliards de francs C.F.A.) : 118 1 ~ - èiC)O C) ~ C) ~ C) ai C) C) N ClO C) ~ C) C) C) II) - - ~ t- - - - - --- -C) ci ~ P.I.B. (1) ........... ,. '" . . . . . . . . 581,9 Déficit (2) ...................... 21,4 (en termes de décaissement) 2/1 en pourcentage ... .......... . 3,6 Ô ClO ClO N ClO 627,7 58,2 669,8 72,7 844,1 66,5 9,2 10,8 7,8 943,6 /1 015,0 49,7 68,6 7,3 4,8 Source: Direction de la Prévention, M.E.F. Comment s'explique cette détérioration permanente des finances publiques telle que révélée par le T.O.F. ? Entre 1979-1980 et 1980-1981, le déficit en termes de décaissement a subi un accroissement de 36,8 milliards soit 172 % dû en grande partie à une baisse de recettes de 11,5 milliards et à. une augmentation des dépenses de 34,3 milliards, les dons et aides budgétaires extérieurs ayant été de 9 milliards. De 1980-1981 à 1981-1982, le déficit a subi un accroissement de 25 % qui s'explique par le remboursement effectué au titre des arriérés pour un montant de 20,7 milliards et cela malgré une augmntation des recettes et dons de 28,3 milliards, la hausse des dépenses (hors règlements d'arriérés) ayant atteint 23,1 milliards. En 1982-1983, on enregistre une légère baisse du déficit qui provient du fait que l'Etat n'a point respecté ses engagements pour le remboursement de sa dette, ce qui s'est traduit par une accumulation d'arriérés pour une valeur de 6,8 milliards. En 1983-1984, on observe un accroissement faible du déficit (2,1 milliards); ce qui traduit en partie l'effort financier réalisé par l'Etat pour réduire ses arriérées de paiement de 22,6 milliards. En 1984-1985 enfin, la réduction des arriérés n'a été que de 11,6 milliards; cependant, la maîtrise des dépenses a permis de réduire de nouveau le déficit de 18,9 milliards par rapport à l'année précédente. Les mesures de rigueur et d'ajustement n'arrivent pas à résorber complètement le déficit des finances publiques. Non seulement les recettes ne s'améliorent pas de façon substantielle, mais encore le freinage des dépenses produit des résultats dans l'ensemble peu significatifs par rapport aux sacrifices endurés. Parallèlement, la dette intérieure et extérieure s'alourdit gouflant les besoins de financement du Trésor, comme l'illustre le tableau 3.2 page 120. 119 Tableau 3.2: SENEGAL: FINANCES PUBLIQUES (1979-1980 - 1983-1984) (en milliards de F C.F.A. courants) ! 1979·1980 1980·1981 1981'1982 1982-1983 1983-1984 - - - --- - - - --- - - 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 Recelles .................................... Dont recettes fiscales ...................... Dépenses ordinaires hors intéressement sur dette Dont salaires . . .. . ........ ........... . .... Dont fournitures, transferts et autres .......... Gomptes spéciaux autres que G.A.A. et corresp. nets ..... . ..... . . ..................... . .. Solde des opérations courantes hors dons et inférêt sur la delle ...................... Dépenses en capital ........................ Service de la dette intérieure et extérieure .... Dont intérêt ............................... Dont amortissement delle extérieure . . . . .. . , .. Dont variations arriérés de paiement .......... Dont remboursement delle O.N.G.A.D. ........ Dons ....................................... Besoin de financement nouveaux ........... - 3 - 8 ..... . ............. , ..... , ....... . 139.2 130,8 -132,0 68,5 63,5 . . - - .- 188,4 177,4 - 168,0 -100,0 68,0 125,5 118,2 -139,6 78,3 - 61,3 151,9 139,7 -147,1 - 83,3 63,8 - 175,7 164,5 -159,9 - 92,7 67,2 2,6 - 17,3 - 16,6 - 28,6 - 9,8 30,4 23,6 12,9 18,2 7,5 0,0 4,6 39,6 23,2 - 31,4 38,4 11,0 11,7 15,8 16,5 0,0 6,8 74,0 52,5 - 11,8 28,0 68,9 18,3 29,9 - 20,7 0,0 8,7 -100,0 - 23,2 - 12,8 39,0 49,2 26,7 27,3 6,8 2,0 5,2 95,8 23,2 12,9 38,1 94,1 37,4 - 28,4 - 19,5 8,8 12,2 -107,1 - 17,7 - - - - - - 7,5 - (8): A l'exclusion des dépenses du plan financées directement sur ressources étrangères. Source: Direction de la Prévision, octobre 1984. Il ressort du tableau 3.2 la permanence du déficit sur cinq exercices consécutifs; ce qui traduit bien le caractère structuel du phénomène qui tient principalement aux tendances suivantes de l'économie sénégalaise: la faible performance fiscale qui se traduit par "incapacité des des recettes à suivre "accroissement du P.I.B. ; l'accroissement des obligations du service de la dette provenant du financement des investissements au moyen d'emprunts extéieurs; la ponction opérée sur les ressources liquides du fait des déficits de la Caisse de Péréquation et d'autres entreprises publiques, ainsi que la prise en charge des dettes de l'ONCAD et le règlement des arriérés de paiement accumulés par l'Etat; la détérioration des termes de l'échange faisant suite au double mouvement de baisse des recettes d'exportation et de renchérissement de la valeur des importations, Les besoins de financement de l'Etat tels qu'ils apparaissent dans le budget sont couverts dans la loi des finances par la rubrique « recettes-extraordinaires» qui sont constituées d'emprunts intérieurs et/ou extérieurs, l'appartenance à l'U.M.O.A. interdisant 120 toute utilisation de la « planche à billets» pour couvrir le déficit budgétaire. Le financement intérieur est essentiellement assuré par le système bancaire local (S.B.L.) et la Banque Centrale (BCEAO). La contribution du S.B.L. s'effectue par le biais de la position nette du gouvernement (P.N.G.) qui traduit en fait la situation du Trésor vis-à-vis du système bancaire. Entre 1979 et 1985, la P.N.G. vis-à-vis des banques primaires est quasi nulle car les créances de ces banques sur l'Etat équilibrent globalement les dépôts du Gouvernement. C'est vis-à-vis de la Banque Centrale que le P.N.G. est importante car celle-ci joue un rôle d'intermédiaire entre certains organismes financiers extérieurs (F.M.I., Fonds Kowétien ... ) et l'Etat; de même et surtout, la BCEAO octroie à l'Etat un découvert statutaire plafonné à 20 % des recettes fiscales de l'année précédente. On observera qu'à l'intérieur de ce plafond, les concours de la Banque Centrale peuvent prendre la forme d'escomptes d'obligations cautionnées, d'escomptes d'effets publics, de découverts en compte courant et d'avances en compte courant postal. Dans la période retenue, le recours au financement de la Banque Centrale est passé de 9,6 milliards en 1979-1980 à 154, 5 milliards en 1984-1985. A l'intérieur de ces concours le découvert statutaire est passé de 5,7 milliards en 1979 à 60,7 milliards en 1985. Dans la même période, les concours provenant: du fond fiduciaire sont passés de 3,9 milliards en 1979 à 7,5 milliards en 1985 ; de la facilité élargie du F.M.I. ont évolué en baisse passant de 11,7 milliards en 1981 à 8,6 milliards en 1985; du fonds kowétien ont été stables, soit 32 milliards de F C.F.A. par exercice. Le second volet du financement du déficit budgétaire est l'Extérieur dont les ressources fournies ont évolué comme suit en rapport avec le déficit (en milliards de F C.F.A.) : 1979-1980 1980-1981 1981-1982 1982-1983 1983-1984 1984-1985 1 Dette (1) ..... Déficit (2) .. 1/2 (en %) 17 21,4 79 35,3 58,2 61 28,6 72,7 39 48,6 66,5 73 36,7 68,6 53 36,0 49,7 72 Source: Direction de la Prévision, M.E.F. Il apparaît nettement que le financement extérieur a représenté en moyenne 63 % des besoins de financement dans la période 121 C'est dire que l'Etat a cherché et trouvé à l'extérieur des ressources pour le financement du budget national d'équiquement. des charges des comptes spéciaux du Trésor et de la résorption des arriérés de paiement. Ces ressources ont permis d'une part d'alléger le poids de la dette extérieure et d'autre part de réaliser des économies de devises, En définitive, le financement des déficits budgétaires n'est pas sans soulever des problèmes qu'il est urgent de résoudre par une gestion macroéconomique plus appropriée qui passe nécessairement par un ajustement des dépenses publiques et l'amélioration de l'épargne nationale qui s'avère insuffisante par suite de la faiblesse des revenus et accroissement des bas niveaux des taux d'intérêt. (1) Henri Bourguinat: L'économie mondiale à découvert. Ed. Calman Levy, Paris, 1985, p. 13. (2) Idem. (3) Il est utile de préciser ici que contrairement à une opinion malheureusement très répandue, le premier choc pétrolier de 1973 n'a nullement été la cause de la crise comme le montrent d'ailleurs Jean Lorentzi, Olivier Pastré et Joëlle e Tolédano dans leur ouvrage collectif intitulé • la crise du siècle. siée le • (aux éditions Economica). Tout au plus, il aura été le déclic de l'éclatement de la crise. En effet, la cause profonde de la crise de 1973 est et demeure la rupture de fonctionnement du modèle fordien et que traduisaient bien avant 1973, la baisse généralisée des gains de productivité dans l'activité économique, la saturation de la norme de consommation et le développement extraordinaire du travail improductif. (4) Moustapha Kassé: Endettement et politique économique en Afrique de l'Ouest, CREA, Dakar, 1985, 143, pages, publié aux Ed. Silex, Paris, 1989. xx 122 Deuxième partie AJUSTEMENT ET SORTIE DE CRISE Il Y a un point sur lequel s'accordent tous les analystes nationaux ou internationaux intéressés à la situation passée et à l'évolution présente de l'économie du Sénégal: c'est la certitude que la poursuite des tendances lourdes ne pouvait mener qu'à une impasse économique et financière et consacrer à plus ou moins brève échéance l'insolvabilité définitive du pays. Dans ce contexte, il a alors été préconisé l'application d'une politique adéquate d'ajustement ordonné concerté et soutenu, axée sur l'amélioration de la gestion macro-économique. Elle devrait à moyen et long terme contribuer à restaurer les paiements intérieurs et extérieurs, donc les éléments de solvabilité. Le modèle néo-classique qui sert de référence théorique à l'ajustement recommande un arsenal de mesures libérales de production, de répartition et d'affectation des ressources, de stabilisation de la conjoncture et de régulation monétaire et de crédit. Ces mesures sont consignées dans les conditionnalités édictées par les institutions financières internationales Qui se classent déjà parmi les principaux bailleurs de fonds du Sénégal. Elles sont théoriquement conçues pour renforcer les mécanismes concurrentiels, rationaliser les comportements des acteurs économiques, mobiliser l'épargne intérieure en vue de sa traduction en investissement productif, en un mot, réorganiser l'économie sur des bases rationnelles en vue d'une relance et d'un développement équilibrés et durables. Pour ce faire, une meilleure réorientation des choix d'investissement, une plus grande adaptation de la structure de consom123 mation aux structures productives, ainsi qu'une maîtrise du déficit structurel du solde des ressources, constitueront les gages les plus sûrs d'une véritable résorption des déséquilibres. Ainsi, le Sénégal pourra dans le cadre d'une relance économique saine et durable, s'engager sur la voie d'une amélioration irréversible de sa situation tant interne qu'externe. Tous ces éléments qui contribuent à l'assainissement financier et à la relance de l'économie, devraient être correctement et profondément analysés en vue de la formulation et de la mise en œuvre de politiques appropriées dans le cadre des programmes d'ajustement. Et l'austérité nécessaire qu'ils imposent, appelle en retour le soutien des concours financiers extérieurs à conditions douces afin d'atténuer voire minimiser les incidences sociales négatives qu'implique la mise en pratique d'une telle politique générale de transformation de structures. Il reste entendu qu'aussi importantes que soient les ressources mobilisées, elles ne produiront de résultats appréciables que si l'économie subit les transformations structurelles nécessaires que seul l'Etat est à même d'initier et de gérer convenablement. La précaution à prendre est d'éviter que l'Etat ne devienne un monstre exerçant des fonctions exorbitantes qui paralysent les acteurs économiques. De même, il importe d'avoir clairement conscience des dangers et pièges des politiques de simple gestion de la demande (ajustement de type déflationniste par la récession) au détriment d'un réel ajustement structurel capable de modifier le système productif dans le sens de la création des conditions d'une offre croissante. En effet, au regard du niveau de vie déjà très bas des populations, rurales en particulier, seul un accroissement réel et substantiel de la production est susceptible de résorber les déséquilibres macroéconomiques dans des conditions socialement acceptables. 124 Chapitre IV LA DECENNIE 80 OU LA VOIE DE L'AJUSTEMENT STRUCTUREL L'énorme distorsion entre l'affectation théorique et l'utilisation effective de la dette extérieure, apparue vers le milieu des années 70 au Sénégal, n'a pas favorisé la création des conditions d'extorsion des surplus nécessaires à l'amortissement régulier du service de la dette (principal et intérêts échus). Du reste, cet état de chose constitue assurément le fondement de la crise actuelle de paiements que le pays traverse et dont la perpétuation, si rien n'avait été entrepris depuis 1979, risquait de déboucher sur une crise sérieuse de solvabilité. En effet, la stratégie de développement appliquée depuis l'indépendance et qui visait notamment à transformer profondément le système productif et l'appareil administratif, avait conduit à des politiques coûteuses d'investissement au plan de l'équipement et de l'infrastructure sociale. Ces investissements se sont révélés par la suite massifs. peu réalistes et d'une faible efficacité. De même, la grave rupture survenue entre les structures de production - alimentaires en particulier - et les structures de consommation, a fondamentalement contribué à opérer une double extraversion: celle de la production et celle de la consommation. Parallèlement, l'approfondissement du déséquilibre entre la production intérieure et la demande globale au sein de laquelle prédominait une consommation finale excessive, a eu pour effet d'accroître le déficit en ressources artificiellement entretenu et financé par l'endettement extérieur. 125 Il importe par conséquent d'interroger la sphère macroéconomique nationale pour tenter d'entrevoir les termes dans lesquels se pose aujourd'hui la problématique du développement économique et financier, en rapport avec le contexte général des programmes d'ajustement en cours d'exécution. Section 1: LES CAUSES PROFONDES DES DESEQUILIBRES MACROECOMONIQUES Ces causes sont plurielles et ont, de par leur importance et leur profondeur, engendré de graves ruptures d'équilibres à caractère macroéconomique. On notera qu'elles se rapportent principalement à l'inefficience des investissements réalisés pour la plupart sur concours extérieurs publics et privés, aux distorsions entre structures de production et structures de consommation ainsi qu'aux dérapages de la demande de consommation publique et privée. A) La non pertinence des choix d'investissement La rationalité économique et financière voudrait que toute décision d'investissement - surtout lorsque celle-ci est fondée sur un emprunt extérieur - soit subordonnée à un nécessaire calcul coûts/avantages. Plus précisément, la viabilité - surtout financière - d'un projet implique que le taux de rentabilité de l'investissement dépasse le coût de l'emprunt. Or, dans le cas du Sénégal, ce principe de base semble avoir été peu ou très mal appliqué. Et cela en pleine période de flambée des taux d'intérêt internationaux, de dégradation et d'instabilité chronique de l'environnement extérieur, toutes choses qui rendent aléatoire la rentabilisation des projets économiques internes. En effet, la multiplication des chocs exogènes, en renchérissant notamment les coûts internes de production, a contribué à amoindrir, voire à annuler la rentabilité des investissements. La Banque Mondiale établit ainsi qu'au début des années 70, le coefficient marginal de capital était d'environ 8 % pour un taux brut moyen de 12,5 % de rendement des investissements; or, ce taux de rendement va brutalement tomber à 6 Dio alors qu'au même moment le coût marginal des emprunts montait à 13-15 % (1). En fait, cette baisse de rendement des investissements reste essentiellement due, à partir de 1974, à l'extension du secteur public et à la création d'un vaste secteur parapublic, dont le mode de gestion n'était 126 pas des plus orthodoxes comme nous l'avons souligné. Ce secteur public et parapublic absorbait annuellement en moyenne plus de la moitié des crédits bancaires internes et plus de 90 % des emprunts extérieurs. En outre, il convient de noter que l'accroissement, dans la production intérieure. des biens non commercialisables internationalement - comme la construction d'édifices publics, l'aménagement de sites sur emprunts extérieurs en vue de l'implantation de chaînes hôtelières, etc" a également été déterminant dans la chute de rendement des investissements. En effet, la diminution des produits nationaux échangeables avec l'extérieur (comme corollaire de ce qui précède) implique une baisse conséquente des recettes d'exportation et donc des difficultés à honorer les échéances du service de la dette, le renouvellement des investissements sur fonds propres et la poursuite de la croissance. Il n'est que de considérer ce que l'étude de la Bande Mondiale dit à ce sujet: « si en 1970, 43 % du P.I.B. du Sénégal pouvait être considérée comme échangeable. en 1980, ce chiffre tombait à 37 %» (2). Autrement dit, 63 % du P.I.B. en 1980 ne pouvait faire l'objet de commerce international alors même qu'une importante partie de ces biens et services était directement ou indirectement produite sur la base d'emprunts extérieurs. Au regard de toutes ces tendances défavorables, un constat s'impose: pour améliorer le rendement des investissements, il importe d'en augmenter substantiellement la productivité - notamm€nt en termes de biens exportables étant entendu que le « surendettement» mondial actuel contribuera, en l'absence de réforme du système monétaire international, à maintenir des taux d'intérêt élevés sur le plan international pendant encore longtemps. Pour ce faire, les études en termes de projections de croissance sectorielle montrent que: dans le primaire, une stratégie de développement équilibré des céréales et autres cultures de rente, axée sur la maîtrise de l'eau ainsi que la mise en œuvre d'une technologie culturale améliorant les rendements actuels, devrait dans le cadre des capacités et structures actuelles de l'économie sénégalaise, conduire à une croissance maximale de 3,6 % de l'agriculture. Le taux d'évaluation de 3 % des autres sous-secteurs (pêche et élevage) prévu dans le cadre d'un tel scénario permettrait alors d'envisager une croissance moyenne annuelle de 3,3 % pour l'ensemble du secteur dans le proche avenir (1989-1995). Dans le secondaire qui possède actuellement le potentiel de croissance le plus élevé de l'économie, même en l'absence 127 d'investissements nouveaux, de création de capacité de production, les calculs montrent qu'un plus grand taux d'utilisation de la capacité existante - notamment des I.C.S, de la S.A.R., de la SOCOCIM et des usines de traitement de l'arachide et du poisson - devrait déboucher sur une croissance moyenne annuelle maximale de 5 % pour les dix prochaines années. Quant au. tertiaire, qui représente actuellement plus de 50 ùfo du P.I.B. au prix courants, sa forte propension à produire des services non exportables - à l'exception du tourisme - devrait inciter à modérer sa croissance. Nous songeons plus particulièrement à l'administration publique dont l'inefficacité notoire et l'improductivité caractéristique constituent d'importantes sources de distraction de ressources financières. En définitive, l'ensemble des mesures de politique économique ci-dessus évoquées doivent contribuer à accroître le rendement des investissements réalisés, dans une forte proportion, sur emprunts extérieurs. Le renforcement de la solvabilité du pays dans le cadre de la gestion macroéconomique passera alors par la correction, tout au moins partielle, du parallélisme existant actuellement entre les structures productives et celles de consommation, alimentaire en particulier. B) Distorsions entre structures productives et structures de consommation Liée principalement à des contingences historiques, à des traditions productives technologiquement attardées, ainsi qu'à des comportements de consommation largement conditionnés par l'extérieur, la liaison sphère de production/structure de consommation présente au Sénégal une double distorsion. Celle-ci demeure liée d'une part à la nature des produits et d'autre part au coût de production des biens considérés. C'est ainsi que dans le domaine agricole, la perpétuation après 1960 de l'agriculture coloniale de traite a inexorablement conduit le pays à l'actuelle crise agro-alimentaire. Elle a provoqué le développement des cultures de rente au détriment de la production vivrière locale, engendrant ainsi une explosion des importations de produits alimentaires telle que l'indique le tableau 4.1 page 129. Représentant environ 35 milliards de F C.F.A. en 1977, les importations alimentaires ont doublé en sept ans pour atteindre environ 70 milliards en 1984. Le riz y intervient pour 32 milliards et le blé 8,5 milliards. Ces importations alimentaires représentaient 128 Tableau 4.1: IMPORTATIONS ALIMENTAIRES ET SERVICE DE LA DETTE AU SENEGAL, 1977·1984 1 : 1 1 1 1977! 1978: 1979 198011981 1982 1983 - - - - 1 - ·i Importations al imentation dont 1 34 ,5 Riz ... .... . . ... 11 ,3 Blé ..... , .. . ... . ... 4,G Service de la dette dont . 8.4 Remboursements . . . . . . ... 8.4 Rééchelonnements ..... . ..... 33.5 41,2 12,6 14.8 2,9 5.4 16,9 15,9 16,(l 1 15,9 1 - . '1 "1 - 1 1 40,9 18,1 5.0 24,3 24,8 - , 69,1 28.4 5.3 27,3 12,6 14.7 59,0 26,3 6,0 28.5 3,0 25,5 1:: 69.8 69,9 32,0 32,0 8,5 8.2 28.7 60,0 6.4 35.,' 22.3 24,6 Source: Direction de la Prévision et de la Conjoncture, M.E.F. près de 5 fois le service de la dette rééchelonnée en 1981, 2,3 fois celui de 1982, plus du triple de celui de 1983 et près du triple de celui de 1984. Autrement dit, si après l'indépendance, les structu res prod uctives ag rai res avaient été réorientées vers la couverture prioritaire des besoins alimentaires internes, un problème de rééchelonnement ne se serait pas posé en considérant toutes choses égales par ailleurs. Le gouvernement, après avoir remboursé la totalité du service de sa dette, aurait économisé 54,4 milliards de F C.F.A. en 1981,33,5 millards en 1982, 47,5 milliards en 1983 et 45,3 milliards en devises fortes. Cette masse d'argent aurait pu être productivement investie pour renforcer la base nationale de production, créer des emplois et couvrir largement le déficit cumulé de 143,9 milliards de F C.F.A. de la balance des paiements pour les quatre années correspondantes (1981, 1982, 1983 et 1984). Dans le secteur des activités industrielles, la distorsion s'exprime en termes de coûts pour les produits de l'industrie légère de transformation et en termes de nature du produit pour les biens manufacturés livrés par J'industrie lourde des pays développés. En effet, la politique de promotion d'industries légères substitutives d'importation a généré dans la plupart des cas des coûts de production non compétitifs; cela a engendré des importations massives (souvent frauduleuses) de biens manufacturés pourtant localement fabriqués. Par ailleurs, l'inexistence d'industries lourdes intégrées implique la nécessaire importation de biens d'équipement et, à un autre niveau, de certains biens de consommation de luxe comme les voitures particulières, certains appareils électro-ménagers, etc. En résumé, la distorsion industrielle se traduit d'une part par la production locale de biens manufactués « légers» difficilement 129 écoulables tant à l'intérieur qu'à l'extérieur parce que non compétitifs, et d'autre part par l'importation massive de biens industriels « lourds» que le tissu industriel national ne produit pas. Cette double distorsion qui caractérise le rapport production/ consommation et qui se manifeste essentiellement dans les secteurs primaire et secondaire, a pour jnévitable corollaire, l'accentuation du déficit commercial du pays et du solde de la balance des paiements lorsque les mouvements compensatoires de flux de capitaux demeurent insuffisants. Or, les études prospectives de la Banque Mondiale sur le Sénégal montrent que même dans la meilleure des hypothèses, le solde commercial continuera d'être négatif jusqu'en 1995 au moins ( - 207,1 milliards de F C.F.A. courants) (3). Dans ces conditions et compte tenu des rigidités structurelles qui caractérisent à court terme l'offre de produits d'origine interne, un autre volet d'amélioration de la solvabilité du pays réside à court-moyen terme dans la maitrise de l'expansion, aujourd'hui incontrôlée, de la demande de consommation intérieure tant publique que privée. C) Expansion non maîtrisée de la demande publique et privée Jusqu'au milieu des années 70, la situation économique au Sénégal était caractérisée par une relative stabilité des rapports entre l'évolution de la demande globale et celle du P.I.B., soit environ 2 % en moyenne annuelle en termes réels pour chacun des deux agrégats. En effet, le déficit en ressources, lorsqu'il y en avait, se maintenait en moyenne en-deçà de 5 % du P.I.B. L'épargne intérieure avoisinait en moyenne près de 10 % du P.I.B. et finançait environ 75 % de l'investissement global. Seulement, après l'éclatement de la crise en 1973 et plus particulièrement à partir de 1975, une série de déséquilibre vont s'enclencher entraînant la rupture brutale de l'équilibre économico-financier. Il s'agit notamment de : l'effondrement brutal de la croissance (0,6 % par an de croissance réelle du P.I.B. entre 1975 et 1980) lié aux fluctuations spectaculaires de la production agricole et au ralentissement survenu dans l'industrie; « l'envolée» du tertiaire (notamment le gonflement des effectifs de l'administration publique par essence fortement improductive) qui enregistre un taux de croissance plus rapide qu'avant 1975 ; le maintien des niveaux de consommation individuels et l'explosion de la consommation publique (environ 6,7 % par an en 130 termes réels) alors même que la production par tête était en très net recul. Bien entendu, la conséquence ne se fit pas attendre: l'épargne intérieure devint négative impliquant un recours massif à l'endettement extérieur pour financer les investissements et une part importante des dépenses de consommation publique et privée qui a atteint 101,8 % du P.I.B. en 1980, soit une épargne intérieure négative de - 1,8 %. Outre l'augmentation rapide de la masse salariale de la fonction publique qui passe de 25,8 milliards de F C.F.A. en 1974 à 100,0 milliards en 1984 (pendant que la production nationale régressait), on assiste à une extension des subventions d'exploitation accordées aux entreprises publiques et qui passent de 7 milliards en 1978 à 20 milliards en 1982 (4). La décomposition des subventions par secteur met en relief le fait que, directement ou non, une importante partie desdites subventions a contribué à soutenir la consommation privée, populaire en particulier. En effet, le soutien aux denrées de première nécessité gérées par la CP.S.P. (agriculture), les subventions à la S.O.T.R.C., à Air Sénégal et à la R.C.F.S. (transports), les fonds publics de bonification d'intérêt et autres subventions d'exploitation à la B.H.S., à la S.I.C.A.P. ou à l'O.H.L.M. (logements), les subventions accordées à la S.O.N.E.E.S. (eau) ou à la SENELEC (énergie) etc., ont eu principalement pour fonction de réduire le coût unitaire réel du produit ou service fourni aux consommateurs privés (5). Autrement dit en accroissant son déficit budgétaire, l'Etat a favorisé, sur la base d'emprunts extérieurs, l'expansion du secteur public et le maintien du niveau de la demande privée de consommation. A ce propos, une étude économétrique de la fonction de consommation au Sénégal montre que « l'emprunt extérieur a été directement lié à une augmentation de la consommation tant publique que privée». De même, l'étude met en exergue le fait que de 1974 à 1984, la propension marginale à consommer le produit des emprunts a augmenté d'environ 0,33 (6). Il ressort de cette analyse de la gestion macroéconomique, que le redressement durable de la situation économique du Sénégal repose dans les toutes prochaines années sur deux évolutions fondamentales: - d'abord, la reprise d'une croissance plus soutenue du P.I.B. par l'amélioration du rendement des investissements, en particulier ceux réalisés sur emprunts extérieurs et qui doivent être prioritairement orientés vers des opérations directement productives; ensuite, une nécessaire maîtrise de l'expansion de la consom131 mation publique et la détermination d'un niveau de consommation privée qui soit compatible avec l'évolution réelle de la production nationale et les impératifs de la contrainte extérieure. Section 2 : LES PROGRAMMES D'AJUSTEMENT COMME REPONSE AUX DESEQUILIBRES L'ampleur des déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers précédemment mis en évidence a rendu nécessaire depuis 1980 au Sénégal, la mise en œuvre de programmes d'ajustement sous l'égide du F.M.!. et de la Banque Mondiale. Ces programmes, aux grandes lignes quasiment uniformes quel que soit le pays concerné, ont un contenu axé autour d'un ordonnancement classique fondé sur les grands principes de la philosophie économique libérale qui voue un culte poussé à la capacité autorégulatrice et rééquilibrante des forces du marché. De plus, ils engendrent dans leur exécution d'importants coûts politiques et sociaux qui exigent, pour être atténués, une intervention massive et soutenue de la communauté financière internationale quelque fois partiellement aliénante. Mais à l'expérience, le peu de succès qu'ils ont enregistrés rappelle solenellement que l'ajustement en soi-même, de par la fragilité des bases théoriques qui le sous-tendent au regard du contexte spécifique auquel il s'applique, demeure fondamentalement une politique controversée. Qu'en est-il alors de la réalité de ces programmes? Quelle est leur portée théorique au regard des performances concrètes qu'ils ont réalisées? A) Les programmes appliqués et leurs performances Nous avons préalablement montré que la fin des années 70 se caractérise par l'essoufflement de la croissance et la stagnation de l'économie sénégalaise. Ce blocage de la croissance, manifestation externe du dysfonctionnement d'un appareil productif obsolescent et de structures économiques inadaptées, va approfondir et amplifier une série de déséquilibres dont la plupart étaient latents. C'est ainsi qu'en 1978, la situation économique nationale présentait les principales caractéristiques suivantes: . une stagnation de la production en termes réels; un déficit chronique de la balance commerciale et des finances publiques; 132 - une détérioration prononcée des avoirs extérieurs nets et d'importantes difficultés de balance des paiements. Pour faire face à la montée de ces déséquilibres et tenter de les résorber, une série de plans et programmes vont être successivement mis en œuvre et dont l'ensemble constitue l'ossature du processus dit d'ajustement et sur lequel nous reviendrons plus longuement (paragraphe B) ; il s'agit: du programme de stabilisation à court terme: 1979-1980; du plan de redressement économique et financier (P.R.E.F.) 1980-1985) ; du programme d'ajustement structurel à moyen et long terme (P.A.M.L.T.) : 1985-1992. 1) Le programme de stabilisation à court terme: 1979-1980 Adopté par le Gouvernement lors du Conseil Interministériel du 1" février 1979 en vue de stabiliser la tendance croissante au déséquilibre des principaux agrégats, ce premier programme visait les objectifs spécifiques suivants: restriction des dépenses de fonctionnement du budget en cours d'exécution (1978-1979) à 99 milliards F C.F.A. et les dépenses d'équipement à 9 milliards afin de limiter le déficit budgétaire; amélioration du rendement des recettes fiscales; restriction des emprunts extérieurs commerciaux de durée comprise entre un et dix ans à 5 milliards au cours de l'exercice 1979-1980 ; amélioration des avoirs extérieurs et obtention d'un excédent de la balance des paiements de 2 milliards; limitation de l'expansion du crédit intérieur par un encadrement plus strict de celui-ci. En termes de résultats, on peut observer que l'exécution de ce programme de stabilisation fut assez satisfaisante en ce qui concerne la dette et les finances publiques. mais décevante quant aux objectifs en matière de crédit intérieur et d'avoirs extérieurs. En ce qui concerne les crédits à l'économie on peut observer qu'ils sont passés de 127,4 milliards en décembre 1978 à 249,5 milliards en décembre 1979, soit un accroissement de 26,4 % (plus du triple de l'objectif initial de 7 %). Devant le « Club Nation et Développement", le 15 février 1980, Ousmane Seck alors ministre de l'Economie et des finances expliquait que «parmi les crédits ordinaires, les crédits portés par l'ONCAD en dehors du 133 compte consortial arachide et des commercialisations secondaires, atteignent encore 34,8 milliards à la fin du mois d'août 1979» (7). Cette explication est cependant partielle car on constate que globalement, le plafond de distribution du crédit a été largement dépassé au 31 décembre 1979. De même, l'objectif en matière d'avoirs extérieurs et de balance des paiements n'a pas non plus été atteint. D'ailleurs, sur ce point, O. Seck reconnaissait très explicitement les contreperformances et soulignait que les avoirs extérieurs s'étaient dégradés entre décembre 1978 et décembre 1979 en passant de - 41,7 milliards à - 60,4 milliards. Il s'ajoute à tout cela que les efforts entrepris allaient encore être annihilés par la chute de plus de 20 % des prix moyens des produits arachidiers, l'inflation transmise par les principaux partenaires du Sénégal (13 % de hausse annuelle des prix) et enfin le relèvement de plus de 60 % des prix du pétrole brut subséquent au second choc pétrolier. En définitive, malgré la croissance en volume des exportations et la baisse des importations, la détérioration des termes de l'échange conduit en 1979 à un double déficit commercial de 50 milliards de F C.F.A. et de la balance des paiements de l'ordre de 19 milliards de F C.F.A. En réalité, l'objectif majeur du programme de stabilisation était d'arrêter l'hémorragie que connaissait l'économie sénégalaise. La restauration des équilibres macrofinanciers et d'une croissance saine et durable ressortait du domaine du plan à moyen terme de redressement économique et financier élaboré dès 1980. 2) Le plan à moyen terme de redressement économique et financier (P.R.E.f.) : 1980-1985 Ce plan a été préparé distinctement pour consolider les équilibres financiers dont la restauration a été amorcée dans le cadre du plan de stabilisation à court terme de 1979. Il s'intégrait dans la concertation que le gouvernement entretenait avec le Fonds Monétaire International (F.M.I.) et le groupe de la Banque Mondiale (B.M.). a) Les objectifs du P.R.E.f. La priorité du P.R.E.F. était l'assainissement financier. Pour cela, il était prévu: d'abord que le taux d'investissement de l'économie devait être limité par les contraintes d'épargne intérieure, de dette exté134 rieure et de normes de progression des importations, c'est-àdire finalement par la nécessité de dégager des excédents de balance des paiements; ensuite que le taux de croissance réelle de l'économie devait passer de 2,7 % en moyenne sur la période 1973-1980 à 3,5 % à partir de 1982 ; enfin que, le ratio du service de la dette devait décroître très sensiblement pour se fixer à 14 % des recettes d'exportation et 15 % des recettes fiscales en 1985 afin de desserrer l'étau de la contrainte financière pesant sur l'Etat. Ces objectifs macroéconomiques à incidences financières importantes devaient être atteints par la mise en œuvre d'une série de cinq mesures de politique économique: La première mesure a trait à la politique des prix et des salaires La vérité des prix est recherchée par une réduction progressive des subventions publiques pour certaines denrées de première nécessité: l'huile d'arachide, le riz, le sucre, etc. Les prix à la production agricole devaient être régulièrement relevés et les ajustements de salaires conditionnés par l'évolution des prix. La seconde mesure a trait à la mobilisation de l'épargne Dans les entreprises, le taux du prélèvement au bénéfice du budget (P.B.E.) d'équipement devait passer de 5 à 10 %. Pour les y inciter davantage, le taux d'intérêt servi par la Caisse d'Epargne devait être relevé de 4 à 6,5 %. De même, les dépôts dans les banques d'un terme supérieur à un an devaient être améliorés de 1,5 point. C'est dans cette mouvance qu'a été conçue et réalisée la B.H.S. (Banque de l'Habitat du Sénégal). La troisième mesure intéresse la politique du commerce extérieure Pour le contrôle des importations, le Gouvernement devait mettre en place un système de surveillance de la qualité, de la quantité et des prix des produits importés. Pour promouvoir les exportations il a mis en œuvre d'une part une mécanique d'assurance-crédit à l'exportation et d'autre part un fonds de subvention à l'exportation alimenté par les ressources supplémentaires provenant du relèvement des droits de douane. La quatrième mesure se rapporte à la politique de la monnaie et du crédit Une politique restrictive s'imposait d'autant plus que les avoirs extérieurs de l'U.M.a.A. étaient globalement en baisse et que les 135 autorités monétaires recommandaient une gBstion monétaire rigoureuse. Enfin la cinquième mesure est relative à la rationalisation de la politique financière de l'Etat. Les seuils alarmants atteints par le de la dette posaient le problème de la programme d'investissement moyennant des conditions financières avantageuses l'aide au développement. poids relatif du service nécessité de financer le des emprunts obtenus à (généralement) celles de Au niveau des finances publiques, nous l'avons vu, l'Etat visait principalement, à améliorer le rendement fiscal, à restreindre l'accroissement des dépenses ordinaires et à fournir des ressources courantes suffisantes à la Caisse Autonome d'Amortissement (C.A.A.) pour l'amortissement régulier de la dette. b) Les résultats du P.R.E.F.: Les performances du plan de redressement économique et financier peuvent être appréhendées au travers des points essentiels suivants: l'activité économique durant cette période est marquée par une évolution erratique; ainsi, une année de croissance est suivie de deux années de quasi-stagnation, voire de recul de la production conduisant à une baisse moyenne annuelle de 0,6 % du P.I.B. réel par habitant; le taux d'investissement de l'économie demeure relativement satisfaisant: 16, 7 % du P.I.B. en 1983; 14,9 % en 1984 et 14,0 % en 1985. Cependant, le poids relativement élevé de la consommation finale publique et privée (96,6 % du P.I.B. en 1983 par exemple) conduit à une épargne intérieure brute faible qui impose le financement des investissements sur ressources extérieures à concurrence de 80 % en moyenne (79 % pour 1983) ; la position extérieure reste caractérisée d'une part par un important déficit de la balance des biens et services non facteurs durablement supérieur à 10 % du P.I.B.; d'autre part par une dégradation marquée des avoirs extérieurs qui conduit à un déficit persistant de la balance des paiements: le S.M.I.G. est augmenté de 15.6 % en 1983 alors que l'inflation mesurée par l'indice des prix à la consommation des ménages de type africain était de l'ordre de 15 % en 1982 ; l'expansion de la monnaie et du crédit est allée de pair avec la dégradation des avoirs extérieurs. La masse monétaire a cru de 22 % pour la seule année 1982 : 136 le service de la dette explose, passant de 27,3 milliards F C.F.A. en 1981 à 60 milliards en 1984 et représentant pour cette dernière année plus de 40 % des recettes ordinaires de l'Etat. Cette situation va imposer quatre rééchelonnements successifs pendant le P.R.E.F. : 1981, 1982, 1983 et 1984; les finances publiques sont marquées par un déficit persistant et par un important stock d'arrièrés : Je déficit global en termes d'engagements représente encore 8,2 % du budget et le stock d'arrièrés de l'Etat et des Etablissements publics s'élève à 55,7 milliards de F C.F.A. en fin de période (1989). S'il est indéniable que la période de mise en œuvre du plan de redressement (P.R.E.F.) a été marquée par des conditions climatiques peu favorables, force est cependant de reconnaître qu'une appréciation insuffisante de J'ampleur des déséquilibres a été à la base des objectifs relativement ambitieux initialement fixés, et donc des résultats globalement décevants du programme. Bien entendu, le durcissement de l'environnement économique et financier international entre 1981 et 1986, avec notamment la montée du protectionnisme dans les pays industrialisés, la surévaluation du dollar U.S. et l'augmentation des taux d'intérêt, a contribué à annihiler certains efforts internes et à amplifier certains autres déséquilibres. Il faut néanmoins noter que vers la fin du programme, la maîtrise de la demande de consommation finale a été amorcée, ce qui justifie que l'épargne intérieure brute soit redevenue positive même si elle est encore largement insuffisante pour financer l'intégralité des investissements. En corrélation avec ce mouvement, le déficit en ressources a également amorcé sa décrue relâchant ainsi partiellement la pression interne qui s'exerçait sur le compte courant. Le programme d'ajustement structurel qui va alors succéder au P.R.E.F. devrait théoriquement, dans la perception des autorités nationales, s'employer à consolider le processus de redressement tout en introduisant les transformations structurelles requises en vue de la relance de la croissance et du développement. 3 Le Programme d'ajustement structurel à moyen et long terme (P.A.M.L.T.) : 1985-1992 Ce programme comporte deux volets devant être organiquement liés: un volet stabilisation qui vise à arrêter la dégradation des agrégats économiques et un volet relance de l'économie par réamorçage de la croissance. 137 a) Les objectifs Les principaux objectifs du programme d'ajustement économique et financier peuvent se résumer aux trois points suivants: restauration des équilibres financiers sur les plans interne et externe; ajustement de l'offre à la demande globale; génération dans l'économie d'une épargne intérieure suffisamment importante capable de financer, dans de très larges proportions, l'investissement. Pour cela, il est prévu: premièrement de remédier à la crise de liquidité du système bancaire résultant d'une accumulation d'arriérés de paiement de façon à rendre l'économie nationale moins tributaire des flux de capitaux extérieurs et plus apte à soutenir la compétition internationale à laquelle l'astreint la recherche de l'équilibre extérieur; deuxièmement de définir plusieurs politiques sectorielles (agricole, industrielle, fiscale) destinées à favoriser la relance économique après une profonde restructuration de l'économie; troisièmement d'améliorer l'efficacité des investissements en maintenant l'économie sur un sentier de croissance maximale compte tenu de la contrainte constituée par le poids du service de la dette. A cet effet, des mesures seront prises pour ralentir le rythme d'accroissement de la consommation finale privée qui ne devrait pas dépasser plus de 2,5 % par an entre 1985 et 1992 alors que celui des administrations sera limité à 1 % en moyenne sur la même période contre 3 % entre 1979 et 1983 et quatrièmement de réformer le secteur parapublic qui génère des charges récurrentes insupportables pour l'Etat. La stratégie de l'Etat sur ce dernier point s'articule autour du triple objectif: de désengagement de l'Etat sur les plans juridique, économique et institutionnel; d'amélioration de la gestion des entreprises à travers l'établissement des plans de redressement, de contrats-plan et enfin de privatisation des entreprises jugées non stratégiques. L'un des traits marquants du secteur public et parapublic sénégalais réside dans sa gestion caractérisée par son inefficacité et la mauvaise allocation de ses ressources. " s'ensuit que ce secteur engendre pour l'Etat des charges budgétaires devenues progressivement insupportables et source d'exacerbation du déséquilibre des finances publiques. Dans ces conditions, et dans la recherche d'une meilleure allocation des ressources publiques, l'alternative semble s'imposer d'elle-même: l'Etat ne doit faire désormais que ce que le marché ne peut assumer, même si les conditions objectives d'un pays en voie de développement comme le Sénégal où le marché est encore en pleine formation 138 lui imposent de maîtriser et de contrôler pendant quelques temps encore la conduite de certains secteurs d'activité économique fondamentaux et névralgiques, en particulier l'agriculture (8). La nouvelle recherche d'une meilleure efficacité passe désormais par l'atténuation de l'interventionnisme de la puissance publique, ce qui implique conséquemment la rétrocession à l'initiative privée d'entreprises déficitaires mais rentabilisables par une gestion privée. Pour ce qui est des contrats-plans, ils relèvent d'une nouvelle politique de contractualisation des rapports entre l'Etat et les entreprises publiques. Ils vont concerner les secteurs agricoles (SAED, SODEFITEC ... ), le transport (Régie des Chemins de fer, SOTRAC ... ), l'habitat (OH LM, Parcelles assainies). L'idée de ces instruments consiste à organiser des prestations réciproques entre l'Etat et l'entreprise. Celle-ci s'engage à atteindre des objectifs quantifiés liés à l'exploitation et l'Etat, en conséquence, fournit les moyens matériels et financiers contribuant à atteindre les objectifs fixés. Pour ce qui est de la privatisation, en l'absence d'une bourse des valeurs pour amorcer une intermédiation financière, il a été créé une délégation chargée de la gestion et de la vente du portefeuille de l'Etat. « Les taux de privatisation proposés ont été déterminés cas par cas. Ainsi sur 62 sociétés d'économie mixte récensées à la date du 31 décembre 1984, il a été proposé un désengagement total de l'Etat dans 15 d'entre elles pour un portefeuille nominal de 3402 millions de francs et un désengagement partiel au niveau de 13 sociétés pour un portefeuille d'une valeur nominale de 4345 millions (9). Cependant, pour la première période de trois ans (1985-1988), l'objectif prioritaire du P.A.M.L.T. concernait la restauration de l'équilibre des finances publiques et de la balance des paiements afin de relancer la croissance sur des bases préalablement assainies, Ce programme ayant effectivement démarré en 1985-1986, on ne peut, au moment où nous rédigeons ces lignes (1989, qu'apprécier les résultats à mi-parcours. b) Les résultats produits En trois années (1985-1986 - 1987-1988) d'application du P.A.M.LT, le bilan transitoire apparaît très mitigé. Ainsi, "amélioration sensible enregistrée dans le sens du rétablissement des bases d'une croissance saine et durable contraste très fortement avec la persistance de certaines tendances négatives. En effet: 139 - 140 après de bonnes performances en 1986 (4,5 %), en 1987 (4,4 %) et en 1988 (4 %), le taux de croissance réelle du P.I.B. va probablement chuter en 1989 du fait de l'effondrement des rendements de l'arachide ( - 30 %) et du mil-sorgho ( - 22 %), du marasme généralisé dans le secteur industriel, auxquels il faut ajouter les récents troubles sociaux (conflit sénégalomauritanien en avril) qui ont notablement perturbé et ralenti l'activité économique dans son ensemble, tertiaire en particulier; le déficit du compte courant diminue à la fois en termes absolus et relatifs: de 150 milliards F C.FA en 1985 (début du PAM.L.T.), il tombe à 79 milliards en 1988 soit 5,7 % du P.I.B. contre par exemple 21 % en 1983 ; la consommation finale reste forte, maintenant ainsi l'épargne intérieure brute à un niveau inférieure à 10 % du P.I.B., ce qui justifie la persistance du financement des investissements essentiellement sur ressources extérieures; l'encours de la dette publique extérieure ne cesse de croître, franchissant la barre des 1 000 milliards F C.FA en fin 1988 (70 % du P.I.B.) et générant un service de plus en plus insupportable pour les finances publiques: 83,2 milliards en 19861987; 93,9 milliards en 1987-1988; 100,3 milliards en 1988-1989 et à titre prévisionnel 111 milliards pour 1989-1990, ce qui représente en moyenne près de la moitié des recettes fiscales; le taux de couverture des importations par les exportations demeure désespérément inférieur à 75 % (du fait notamment du faible dynamisme des ventes à l'extérieur) engendrant ainsi un déficit permanent de la balance commerciale; les avoirs extérieurs nets se dégradent notablement et atteignent - 274 milliards F C.F.A. en fJn 1988 ; le crédit intérieur, après trois années de stabilisation (1985, 1986 et 1987) à environ 550 milliards progresse brutalement de 7,5 % pour atteindre 595 milliards en 1988, contribuant ainsi, compte tenu des structures de l'économie nationale( forte extraversion), à peser sensiblement sur la position extérieure; la balance globale des paiements redevient déficitaire en 1988 ( - 38 milliards) après l'excédent de 1986 (+ 36 milliards) et l'équilibre de 1978 ; les finances publiques poursuivent leur assainissement même si après trois années (1985-1986 à 1987-1988) de réduction du déficit (base engagements), celui-ci augmente à nouveau en 1988-1989 atteignant près de 36 milliards. En effet, les dépenses ordinaires étant demeurées stables, cette contreperformance s'explique essentiellement par la conjonction de plusieurs facteurs défavorables notamment: une baisse des recettes fiscales ( - 4,6 %) qui a d'ailleurs motivé le récent réarmement fiscal et douanier (ordonnance présidentelle 89-29 du 25 août 1989) ; une dégradation de la position nette des correspondants du Trésor ( - 10 milliards F C.F.A.) : des dépenses nouvelles liées à la réforme du système bancaire (plan de restructuration bancaire) : la quasi-totalité des arriérés intérieurs de paiement (fournisseurs de l'Administration, crédits de campagne, dette bancaire de l'ex-ONCAD) est appurée : environ 60 milliards de remboursement pendant les trois dernières années. Comme on le voit, les résultats enregistrés à mi-parcours par le P.A.M.L.T. demeurent très contrastés. La performance la plus nette réside dans la consolidation de la stabilisation de la tendance au déséquilibre grâce à une gestion drastique de la demande. Autrement, dans l'ensemble, les progrès restent fragiles et inégaux. De plus, nombre d'entre eux tiennent beaucoup plus à des facteurs conjoncturels qu'aux mesures proprement dites de réformes entreprises. C'est ainsi que le Sénégal, et plus généralement le Sahel, ont connu ces dernières années une série inhabituellement longue de précipitations supérieures à la moyenne qui ont permis de relancer la production agricole. Il s'y ajoute le reflux du dollar U.S. (depuis 1987) ainsi que la baisse persistante des cours mondiaux du pétrole et du riz, deux denrées d'importation vitales dont le Sénégal reste fortement tributaire pour son énergie et son alimentation. De façon plus générale, la poursuite et la consolisation des progrès enregistrés ces trois dernières années dépendront dans une très large mesure de facteurs exogènes comme la pluviométrie, la situation acridienne et l'évolution future des cours mondiaux des arachides, du poisson, des phosphates, du pétrole et du riz. De même, le P.A.M.L.T. devra intégrer des objectifs sociaux cohérents pour éviter d'exacerber les déséquilibres sociaux actuels et rester politiquement soutenable. " doit adopter de toute urgence une politique de population réaliste et mettre en œuvre les moyens de compter sur des perspectives viables de création d'emplois pour faire face à une main-d'œuvre qui augmente au rythme de 100 000 par an. Mais pour le long terme, le défi fondamental consiste à réaliser une reprise durable et un développement équilibré moins tributaire des aléas climatiques et de la conjoncture internationale. Le Sénégal dispose à cette fin d'atouts certains qu'il importe d'exploiter rationnellement: une assez bonne infrastructure, une monnaie convertible, une main-d'œuvre relativement bien instruite et la proximité des marchés européens et ouest-africains. 141 Cependant, un tel objectif ne saurait être atteint par une politique d'ajustement essentiellement de type déflationniste. En effet, la déflation engendre la récession en contractant l'activité économique et entretient parallèlement certaines tendances au déséquilibre (solde des ressources, finances publiques, dettes extérieures). La structure de l'offre n'étant pas fondamentalement modifiée, j'économie a tendance à s'installer dans un ajustement permanent par le bas (équilibre de sous-emploi des facteurs et des ressources). La Commission économique des Nations unies pour l'Afrique (C.E.A.) semble avoir bien perçu ce risque pour les économies africaines sous ajustement en élaborant la « solution africaine de rechange aux programmes d'ajustement structuel » (S.A.R.P.A.S.). Ce nouveau cadre de transformation et de redressement ne remet pas en cause la nécessité de l'ajustement, mais sa nature. En effet, l'ajustement tel que conçu et mis en œuvre par le F.M.!. en Afrique, et donc naturellement au Sénégal, soulève de grandes controverses tant en ce qui concerne sa pertinence théorique que du point de vue de sa capacité pratique à juguler la crise et à relancer la croissance. B) Les controverses autour des politiques d'ajustement La montée des déséquilibres économiques et financiers ainsi que les perspectives d'insolvabilité ont imposé dans la plupart des pays du Tiers-Monde, africains en particulier, l'ajustement structurel comme une voie de passage incontournable, ce qui rend totalement insignifiants les débats d'école sur la nécessité ou l'opportunité de la mise en œuvre de ces politiques. En effet, à la suite du Pr Adebayo Adedeji le problème de fond est aujourd'hui de déterminer les politiques d'ajustement souhaitables. En réalité, la véritable question qui se pose aujourd'hui concerne le contenu desdites politiques et notamment leur efficience ainsi que leur capacité à résorber les principaux déséquilibres et à relancer la croissance sur des bases assainies. Or, au regard des structures particulières des économies sousdéveloppées, il est permis d'observer à l'analyse que l'ajustement comporte un ensemble d'incertitudes qui en limitent très fortement la portée opérationnelle. En effet, l'ajustement consiste en une expérimentation reposant sur un paradigme théorique aux hypothèses fragiles, et peu sûres au regard de son contexte de mise en œuvre et dont, par conséquent, rien ne garantit les résultats. 142 Dès lors, il importe, à la lumière des résultats enregistrés depuis leur mise en application au Sénégal en particulier de synthétiser les limites des programmes d'ajustement afin d'entrevoir des directions d'amélioration plus performantes. Mais avant, étudions le modèle de référence qui sous-tend l'ajustement. 1} Le modèle de référence Statutairement, le principal rôle du F.M.1. consiste à soutenir la balance des paiements des pays membres afin d'éviter qu'une situation de déficit extérieur n'amène Je pays concerné à restreindre ses importations et à limiter ainsi l'expansion du commerce international. Pour cette raison fondamentale, l'intervention du F.M.1. dans un pays donné porte essentiellement sur l'objet central de résorption du déficit de sa balance des paiements et de plus en plus aujourd'hui (nous verrons le pourquoi plus loin) sur la préservation dans la mesure du possible des conditions de la croissance économique. Ainsi, lorsqu'il lui est fait appel, le Fonds dresse l'état des lieux et procède à l'analyse des causes de déséquilibre en se fondant sur son modèle macroéconomique d'équilibre général qui débouche immanquablement sur la traditionnelle stratégie de la gestion de la demande à court terme (stabilisation) et plus récemment sur une stratégie affirmée d'action sur l'offre (transformations structurelles). Mais en attendant, passons en revue les deux principales théories du mécanisme d'ajustement de la balance des paiements. a} L'approche post-keynésienne du mécanisme du revenu et de la dépense: l'absorption Dans le cadre de cette approche, il est considéré qu'une trop forte quantité de revenus distribués débouche sur un excès de demande globale par rapport à l'offre disponible, ce qui dégénère en inflation qui a tendance à déséquilibrer la balance des paiements. Ainsi, le déficit de la balance des paiements est identifié comme un excédent de l'absorption sur le revenu national. Le raisonnement part de l'équation fondamentale de l'équilibre macroéconomique: y = C + 1 + X - M (où Y = revenu, C = consommation, 1 = Investissement, X = exportations et M = importations de biens et services y compris les services facteurs à savoir les salaires rapatriés ainsi que les profits et intérêts versés à l'extérieur ou perçus de l'extérieur; ces services facteurs apparaissent 143 comme importations dans la balance des paiements courants s'ils donnent lieu à des sorties de devises et comme exportations dans le cas contraire). Dans cette relation: (C + 1) représente la demande, c'est-àdire l'absorption totale de biens et services ou plus simplement encore la part de revenu national consacrée à des emplois domestiques; (X - M) représente le solde de la balance des paiements courants. On peut alors écrire: (X - M) = Y - (C + 1). Ce qui signifie que la balance des paiements courants est positive, c'est-àdire excédentaire, si le revenu est supérieur à la dépense (absorption ou demande globale) et négative, c'est-à-dire déficitaire, dans le cas contraire. Un ancien Directeur général du F.M.I., en l'occurrence M. Witteveen, résume assez bien cette analyse de l'absorption lorsqu'il affirme: « l'inflation et le déséquilibre de la balance des paiements viennent l'un et l'autre de ce que la société prise dans son ensemble cherche à se procurer plus de ressources qu'elle n'en peut produire » (10). b) L'approche monétaire: la théorie monétariste de la balance des paiements Développée par l'école de Chicago avec comme chef de file Milton Friedmann, "approche monétaire de la balance des paiements s'appuie sur la théorie quantitative de la monnaie pour démontrer que le déficit extérieur a essentiellement pour origine un excès d'émission monétaire (11). Le raisonnement se fonde sur deux hypothèses. Dans la première la vitesse de circulation de la monnaie est stable du fait de l'existence d'une fonction stable de la demande de monnaie (Md) par rapport au revenu, les agents économiques désirant détenir sous forme d'encaisses liquides une proportion constante de leurs actifs totaux tandis que dans la seconde hypothèse, l'offre de monnaie (Mo) est exogène par rapport à la demande de monnaie, les autorités monétaires pouvant contrôler étroitement "émission du crédit intérieur. Or, l'offre totale de monnaie (analysée par les contreparties de la masse monétaire) est égale à la somme des variations de la distribution interne de crédits (concours à l'économie et au Trésor public) et des variations des réserves extérieures du pays; d'où: Mo = C + R (avec C = crédit et R = réserves extérieures). Par ailleurs, la variation des réserves extérieures correspond au solde de la balance des paiements. Et puisque d'une part, ex-post, Mo = Md (équilibre monétaire) et que d'autre part, Md (fonction stable du revenu) et Mo (contrôlée par les autorités monétaires) sont considérées comme données, 144 l'ajustement entre quantités de monnaie offerte et demandée va alors se faire par la variation des réserves extérieur (6 R). Ainsi: Mo = Md implique: Md = 6 C + 6 R d'où: ~ R = Md 6 C, ce qui traduit le fait que: - si la variation du crédit intérieur est supérieure à la demande de monnaie, la variation des réserves extérieures devient négative et la balance des paiements est alors déficitaire; inversement, si la variation du crédit intérieur est inférieure à la demande de monnaie, la variation des réserves extérieures devient positive et la balance des paiements est alors excédentaire; enfin, dans le cas limité où la variation du crédit intérieur coïnciderait strictement avec la demande de monnaie, la variation des réserves extérieures serait nulle et la balance des paiements serait alors équilibrée. En résumé, l'approche monétaire de la balance des paiements conclut que le solde de balance des paiements étant nécessairement égal à la différence entre demande de monnaie et offre interne de monnaie, un déficit des paiements extérieurs est nécessairement causé par une émission de crédits trop importante. c) L'ajustement « monétariste Il du F.M.I.: le modèle de Polack J.J. Polack, directeur des études au F.M.!. et condisciple de Milton Friedman, s'appuie évidemment sur la théorie monétariste de la balance des paiements pour élaborer son modèle économétrique d'ajustement qui sert depuis plusieurs décennies de cadre référentiel strict aux programmes d'ajustement soutenus par son institution. Nous en donnons la substance, la principale conclusion à laquelle il aboutit et les recommandations de mesures de politique économique qui en découlent. Polack s'appuie essentiellement sur la théorie quantitative de la monnaie qui dit que: MV = PQ (où M masse monétaire, V = vitesse de circulation de la monnaie, P = niveau général des prix et Q = volume des transactions). Il reprend l'hypothèse de stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie et lui ajoute une deuxième qui porte sur la constance du volume de la production intérieure (n'oublions pas en effet que nous sommes dans la courte période, horizon traditionnel des programmes appuyés par le Fonds). On a ainsi, dans la première hypothèse V = constante puisque la part de la nouvelle émission monétaire qui va se convertir en demande est stable. Dans la seconde hypothèse c'est Q qui est une constante car, 145 à court terme, l'offre interne de biens et services est relativement i rigide (plus particuilièrement dans les pays en développement caractérisés par l'existence de nombreux goulots d'étranglement au niveau de leur appareil de production). Par conséquent, tout accroissement de la masse monétaire (M), c'est-à-dire essentiellement le crédit intérieur (principale contrepartie de M), va automatiquement engendrer une pression à la hausse sur les importations et surtout un accroissement proportionnel du niveau général des prix (P). Il s'ensuit alors une forte poussée inflationniste qui réduit la compétitivité extérieure du pays, contracte ses exportations, alourdit ses importations et finalement donc diminue ses avoirs extérieurs. Polack en tire la principale conclusion suivante: il existe une relation linéaire inverse entre la variation des avoirs extérieurs (solde de la balance des paiements) et la variation du crédit intérieu r. De ce raisonnement et de sa principale conclusion, le F.M./. déduit que pour rétablir l'équilibre de la balance des paiements (notamment dans les pays en développement où l'offre est rigide à court terme), il faut impérativement: maîtriser, et au besoin, réduire le crédit intérieur, ce qui revient en réalité à contenir, voire à réduire la consommation intérieure (principale composante de la demande globale). Pour ce faire, le F.M./. édicte les principales mesures déflationnistes (politique de stabilisation) suivantes: la mise en œuvre d'une politique monétaire restrictive par le resserrement et l'aggravation des conditions d'accès au crédit (notamment le crédit au secteur public considéré comme le principal perturbateur des mécanismes d'allocation optimale des ressources par le marché) ; la réduction de la masse salariale de la Fonction publique (principale composante des revenus salariaux) par des compressions et licenciements massifs; la mise en œuvre d'une politique budgétaire restri,ctive par la réduction des dépenses dites sociales (éducation, santé...) ainsi que des subventions publiques de soutien à la consommation populaire; ce qui passe par des relèvements substantiels des prix de certaines denrées de consommation courante et des tarifs de certains services publics (école, soins médicaux, eau, électricité, transport...) ; la dévaluation de la monnaie locale pour consolider la réduction du pouvoir d'achat interne et modérer ainsi la demande de produits surtout d'origine importée du fait de leur renchérissement par le changement de parité, et surtout rétablir la compétitivité externe du pays afin de relancer ses exportations. 146 Au total, il apparaît que le modèle de référence qui sous-tend les programmes d'ajustement du F.M.I. combine à la fois la théorie de l'absorption (excès de demande globale) et le monétarisme (émission excessive de monnaie) pour identifier une seule et même cause de déficit de balance des paiements: l'inflation, phénomène essentiellement monétaire comme dirait Milton Friedman. Par conséquent, l'ajustement de la balance des paiements (dont le solde, exprimé par la variation des avoirs extérieurs, est aussi d'essence monétaire) est assuré par des variations de prix intérieurs et du taux de change. Cependant, si ces programmes de stabilisation et d'ajustement mis en œuvre dans des pays comme les nôtres sont devenus des voies obligées pour résorber les déséquilibres par recours aux ressources du Fonds, il faut bien admettre qu'ils soulèvent depuis quelques années de vives controverses tant en ce qui concerne leur pertinence théorique que leur capacité pratique à juguler la crise interne des économies sous-ajustement et à relancer la croissance. Voyons tout cela d'un peu plus près. 2) Les limites théoriques et pratiques de la politique d'ajustement Les programmes d'ajustement du F.M.I., tels que conçus, ont un référentiel théorique extrêmement contesté: le modèle néoclassique d'équilibre qui évacue de son champ de vision toutes les rigidités structurelles caractéristiques des pays en voie de développement. Cette situation conduit le Fonds à opérer une reproduction théorique reposant sur les postulats de la rationalité des comportements et l'existence de marchés libres seuls à même d'assurer une allocation efficiente des ressources. Cependant, les nombreuses contreperformances auxquels ont aujourd'hui abouti la plupart de ces programmes révèlent que le modèle de référence qui les sous-tend apparaît, à l'analyse, doublement non pertinent: d'abord du point de vue axiomatique et ensuite du point de vue pratique. Au plan théorique, les principales hypothèses du modèle, dont le degré de pertinence est certes relativement élevé dans les pays développés aux structures économiques mûres, ne sont pour la plupart nullement vérifiées dans des économies plu ristructurées, archaïques et faiblement intégrées comme les nôtres. Il s'y ajoute qu'à l'expérience (niveau pratique), les immenses coûts politiques et sociaux qu'il génère contribuent, dans la majeure partie des cas, à déstabiliser des nations aux bases sociales fragiles et donc à remettre en cause, au besoin, l'ensemble du processus même de rééquilibrage de "économie nationale qu'il tente de promouvoir. 147 Pour des raisons méthodologiques, nous aborderons les limites en question à deux niveaux distincts: un niveau externe et un niveau interne. a) Une limite fondamentale extrinsèque à l'ajustement Le fort degré d'insertion des pays du Tiers-Monde dans l'économie mondiale implique de facto que le résultat du processus interne d'ajustement demeure largement tributaire de "évolution de l'environnement économique international. Pour que les mesures prises au plan interne produisent pleinement leurs effets (notamment en ce qui concerne le rétablissement de l'équilibre extérieur), il importe que des mesures exactement contraires soient simultanément prises dans les principaux pays structurellement excédentaires avec lesquels ces pays sous-développés entretiennent des relations économiques significatives. Or, depuis 1979, l'économie mondiale est, dans son ensemble, en proie à une grave récession sous-tendue par d'importantes tensions dans les relations économiques internationales: montée du protectionnisme (notamment dans les principaux pays partenaires commerciaux des P.V.D., contraction du commerce international, instabilité chronique des ma.rchés de capitaux, flambée des taux d'intérêt et amples fluctuations du dollar U.S., variations erratiques des cours mondiaux des matières premières et détérioration prononcée des rapports internationaux d'échange, etc. (12). C'est à ce niveau que réside manifestement l'une des faiblesses majeures du F.M.1. dans le cadre de la mise en œuvre et de la conduite de "ajustement. En effet, cette institution n'a statutairement pas les moyens de démanteler les barrières commerciales érigées par la plupart des pays développés, ni d'influer sur les processus de dégradation des prix des matières premières qui ruinent les économies sous ajustement. Il s'ensuit alors objectivement une impossibilité technique de réaliser le processus d'ajustement international recherché qui, dans un contexte libre échangiste devrait répartir plus équitablement la charge entre pays déficitaires et pays excédentaires. Dans de telles conditions, il était donc illusoire d'espérer, dans le cadre de l'ajustement (<< court-termiste» par nombre de ses aspects), résorber les déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers du Sénégal dont le caractère éminemment structurel commence par être de mieux en mieux perçu. b) Les limites propres au modèle d'ajustement appliqué: Le modèle part de la conclusion générale établie par J.J. Polack (voir le paragraphe 1) pour estimer qu'au Sénégal. il existe une 148 relation linéaire inverse entre la variation des avoirs extérieurs (solde de la balance des paiements) et celle du crédit intérieur. Autrement dit, pour améliorer la position extérieure du pays et restaurer sa capacité extérieure de paiement, il est indispensable de restreindre la croissance de la masse monétaire par un encadrement très strict du crédit intérieur à l'économie. Cette approche monétariste de J'ajustement conçue par le F.M.I. appelle quelques interrogations. Tout d'abord, qu'en est-il de la valeur de "hypothèse de stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie? Cette hypothèse qui sous-tend le modèle de référence relève manifestement de l'intuition dans la mesure où aucun test, ni évaluation de cette nature n'ont été à ce jour effectués à propos de l'économie sénégalaise. Et si l'on en croit d'ailleurs Yung Chul Park (ancien expert du F.M.I.), "la vitesse de circulation de la monnaie n'est pas stable dans les pays en voie de développement et en conséquence, toute prévision ou toute politique économique fondée sur une telle hypothèse est erronée» (13). De plus, on sait qu'en période de hausses généralisées des prix (situation actuelle du Sénégal et de la plupart des pays sousdéveloppés). la vitesse de circulation de la monnaie a plutôt tendance à varier. En effet, pour amoindrir les effets de l'inflation et contourner les restrictions imposées par les autorités monétaires à l'expansion du crédit, les agents économiques ont tendance à modifier leur fonction de demande de monnaie par rapport au revenu et à accroître artificiellement la liquidité (au sens large) en créant divers substituts à la monnaie (notamment dans le secteur informel). Ensuite, utilisant l'équation quantitative de la monnaie, le modèle considère que la vitesse de circulation de la monnaie étant stable, s'il existe par ailleurs des rigidités structurelles au niveau de "offre, toute demande supplémentaire aura nécessairement tendance à affecter automatiquement les prix et non le produit réel, contribuant ainsi à déséquilibrer la balance des paiements. Par conséquent, la politique monétaire restrictive est justifiée. Il s'agit là d'une vision de court terme qui admet de surcroît l'hypothèse implicite de plein-emploi des facteurs. Or, le Sénégal est plutôt caractérisé par un sous-emploi chronique des facteurs se traduisant par l'existence d'importantes capacités de production sous-utilisées qu'une orientation sélective et appropriée du crédit intérieur peut permettre d'exploiter pleinement et progressivement sur le moyen et long termes sans risques de pressions inflationnistes et en agissant fondamentalement sur les structures. Il s'y ajoute, comme le reconnaissent très justement du reste M. Khan et D. Knight (tous deux experts du F.M.I.), que « les 149 modèles économétriques qui vérifient l'effet de certaines mesures spécifiques sur la croissance économiques, démontrent en règle générale qu'une limitation de l'expansion de la masse monétaire ou des crédits intérieurs amène un ralentissement de la croissance économique à court terme» (14). Cet aspect constitue en fait le fondement des mesures de type déflationniste (restriction du crédit à l'économie, réduction de la consommation intérieure, augmentation de la pression fiscale, etc.) qui sont théoriquement censées stabiliser la demande globale, réduire l'inflation et redresser la position extérieure (du fait du fort contenu en importation de ladite demande globale) (15). Or, le véritable problème du Sénégal est actuellement celui de l'orientation inappropriée du crédit intérieur, les secteurs improductifs et spéculatifs comme l'import-export, l'immobilier... , étant favorisés au détriment de la valorisation effective des potentialités existantes. On comprend dès lors que cet ajustement purement monétaire ait en réalité conduit à un approfondissement de la crise. Ceci transparait notamment dans la stagnation de l'activité économique, la persistance des pressions inflationnistes et le blocage de la croissance. Au plan de l'équilibre extérieur, l'appartenance du Sénégal à la Zone Franc empêchant toute manipulation unilatérale du taux de change, il s'opère une dévaluation «déguisée» (surtaxation des importations et subvention des exportations) qui a eu tendance à aggraver le déficit de la balance commerciale et à déstabiliser parallèlement les finances publiques déjà précaires. En effet, la dévaluation accompagnée de la limitation des salaires devrait, selon le F.M.I., accroître la rentabilité des exportations et diminuer les dépenses intérieures et les importations du fait de l'érosion du pouvoir d'achat liée au relèvement général des prix imposé par cette même dévaluation. Seulement, à l'expérience, force est de constater que l'objectif recherché n'a généralement pas été atteint parce que: d'une part, les importations incompressibles pour la plupart du temps ont continué à augmenter sous le couvert de la fraude douanière pénalisant par là même l'Etat dont les droits de porte ont partiellement diminué: d'autre part, les exportations ne se sont pas sensiblement accrues pour les principales raisons suivantes: rattrapage du taux de dévaluation par la hausse interne des prix des produits manufacturés exportés, ce qui annule ainsi l'effet de la dévaluation; demande extérieure relativement saturée pour les principaux produits exportés par le Sénégal; 150 - substitution plus accrue aux produits de base exportés (arachides, phosphates ... ) par d'autres produits concurrents plus compétitifs; (soja, tournesol. .. ) ; prix des produits exportés fixés sur des bourses de commerce (caractérisées par leur instabilité) et de surcroît en monnaies étrangères (dollard U.S., livre sterling ...). Dans cette optique, le F.M.I. dans son rapport de 1981 reconnaît d'ailleurs que « la plupart des pays en voie de développement n'ont aucun moyen d'action sur les prix en monnaie étrangère des importations et des exportations. Quelle que soit la politique qu'ils adoptent, notamment en pratique de change, les termes extérieurs de l'échange ne s'en trouvent pas modifiés» (16). Même dans les programmes de modifications de structures sur le moyen et le long termes mis en œuvre avec l'aide de la Banque Mondiale et auxquels le Fonds semble accorder de plus en plus d'importance, de nombreuses interrogations demeurent. C'est ainsi que l'efficacité dans la réal location des ressources et des facteurs au profit des secteurs liés à l'exportation reste fortement limitée par la faible mobilité du capital, de la maind'œuvre et du délai de réponse de l'offre (notamment agricole) aux signaux du marché (en l'occurrence une plus forte rémunération aux exportateurs). La méconnaissance de paramètres décisifs comme les différentes élasticités ne favorise pas la formulation de politiques de prix rationnelles, en particulier l'établissement de systèmes de prix relatifs optimaux au regard des objectifs de réal location des ressources productives et surtout de réol ientation des structures à la fois de production et de consommation (17). Quant à la mise en œuvre des projets nouveaux ou la réhabilitation d'anciens dans le cadre de la relance de la croissance (volet essentiellement Banque Mondiale), elle reste fondée sur la traditionnelle méthode d'évaluation des projets et de choix d'investissement fondée sur la comparaison du taux de rendement interne (à partir de l'estimation de « cash-flows» aléatoires) avec le coût de l'investissement (représenté par le taux d'intérêt moyen des emprunts). Cette démarche apparaît manifestement de moins en moins efficace compte tenu des innombrables incertitudes qui caractérisent actuellement d'une part les marchés d'exportation (montèe du protectionnisme) et d'autre part le marché intérieur national du fait de la politique déflationniste qu'implique l'austérité recommandée par le F.M.I. Elle est cependant complétée par la détermination des prix de référence (Little et Mirrless), technique privilégiée par la Banque Mondiale. Or, parce qu'elle privilégie la production pour des marchés extérieurs (recherche prioritaire de "objectif d'équilibre de la balance des paiements), 151 cette approche, quels que soient par ailleurs ses avantages, contribue à extravertir davantage les structures productives et à renforcer la désarticulation de l'économie par la création « d'enclaves industrielles» sans liaisons structurelles intenses avec le reste du tissu économique national. Une fois de plus, nous constatons que, quels que soient les intervenants (F.M.!. ou Banque Mondiale), la problématique de l'ajustement dans le Tiers-Monde se conçoit essentiellement en termes de rééquilibrage de la position extérieure accompagnée d'une plus grande insertion dans l'économie mondiale et non pas donc en termes de développement de nations pauvres aux prises avec des difficultés structurelles incommensurables. Cela pourrait se comprendre de la part du F.M.!. dont les dispositions statutaires sont sans équivoques à ce sujet. Par contre, il l'est moins de la part de la Banque Mondiale qui est avant tout, on ne saurait l'oublier, une banque de développement. A cet ensemble d'insuffisances théoriques propres aux programmes d'ajustement se greffent un certain nombre d'obstacles pratiques qui contribuent à en limiter l'efficacité et parmi lesquels deux méritent particulièrement d'être évoqués. Il s'agit: d'une part de la politique de privatisation et d'autre part de la ÇJestion administrative. De la politique de privatisation Il existe une croyance excessive aux vertus rédemptrices d'une privatisation poussée de l'économie sénégalaise (18). En effet, la doctrine économique libérale qui sous-tend les programmes d'ajustement postule que le libre fonctionnement des mécanismes du marché est le seul gage de l'allocation optimale des ressources. Or, le marché sénégalais, encore en formation, est justement caractérisé par d'innombrables hétérogénéités structurelles qui en limitent le fonctionnement. Parlant de cette option libérale qui regagne son terrain perdu, le président A. Diouf affirme qu'il « ne croit pas aux vertus de cette option pour notre pays. Abandonnés aux seules lois du marché, les agents économiques ne sont pas également armés pour faire face à la concurrence» (19). D'ailleurs, stricto sensu s, si nous assimilons la théorie économique, comme le fait l'analyse walrasienne. à la coordination d'un système décentralisé fondé sur des rapports marchands, nous nous apercevons très vite que les catégories utilisées sont non pertinentes dans les formations sociales sous-développées qui sont à dominante précapitaliste. La plupart des échanges y sont non marchands, l'espace économique y est hétérogénéisé par des cloisons et barrières qui rendent le marché imparfait. 152 De même, la croissance ne pourra y être auto-entretenue par suite de l'existence de multiples déséquilibres. Enfin, les régimes autoritaires qui y prévalent, interdisent tout débat démocratique, donc tout processus de génération des choix collectifs par interaction des choix individuels. Le libéralisme agressif préconisé et appuyé par les institutions financières internationales, loin de constituer un remède infaillible aux problèmes économiques du Sénégal, ne tient nullement compte de la capacité objective des agents économiques à prendre en charge et à assumer convenablement les nouvelles fonctions issues de la nouvelle donne économique, ce qui manifestement représente un obstacle majeur à la mise en œuvre du processus dit de désengagement de l'Etat (20). Il ne faut jamais perdre de vue que l'entreprise privée sénégalaise est handicapée dans son développement par une série de contraintes que l'on peut regrouper en quatre rubriques: les les les les contraintes contraintes contraintes contraintes historico-structurelles, sociologiques, économico-financières, politico-administratives. Les contraintes historico-structurelles à l'initiative privée La colonisation n'a pas permis l'émergence d'une classe d'entrepreneurs nationaux. En plus, le capital étranger qu'il a mis en place a complètement saturé à son profit exclusif, donc au détriment des nationaux, tous les créneaux les plus économiquement rentables. Dans ce sens, la formation d'un secteur privé sénégalais a été en permanence étouffée: une première fois en 1929-1930 en faveur d'entreprises coloniales et libano-syriennes ; une seconde fois dans les années 50 avec l'éviction progressive des traitants nationaux; une troisième fois dans les années 60 avec le retrait des maisons coloniales qui s'est réalisé principalement ou au profit de l'Etat et autres étrangers, mais rarement en faveur des nationaux sénégalais. Dans ce contexte, il devient particulièrement difficile à l'initiative privée nationale de créer de nouveaux circuits économiques, commerciaux ou financiers. Par ailleurs, le système productif progressivement mis en place par l'appareil colonial, et qui se caractérise par son extraversion, fonctionne par et pour des entreprises directement connectées à l'extérieur. Ainsi, l'extraversion et surtout la logique de production et d'échange qui la sous-tend, constituent en dernier ressort 153 un frein à la création d'entreprises nationales viables et tournées vers la statisfaction prioritaire des besoins essentiels des populations. Les contraintes sociologiques La superstructure, notamment le modèle familial, est un obstacle de taille à l'émergence d'une classe d'entrepreneur. En effet, la famille élargie, les clientèles les plus diverses, les alljance~ tribo-patriarcales constituent des éléments sur lesquels achoppe l'entreprise privée. Ils sont à la base: de la surcharge d'inactifs qui extraient improductivement une part des surplus (dans le cadre de la solidarité « à l'africaine ») ; de la perception que le sénégalais moyen a de l'entreprise considérée comme une source inépuisable de richesses matérielles; de l'omniprésence du chef d'entreprise qui ne peut souffrir de partager son autorité, si bien que toute divergence dans l'appréciation de la marche de l'entreprise dégénère souvent en conflit de personnes. Ces pesanteurs sociologiques forment un important noyau de résistance à l'avènement d'entreprises modernes. Les contraintes économico-financières Ces contraintes sont de quatre ordres et revêtent une importance cruciale du reste aggravée par la faillite du système bancaire commercial: la faiblesse de capitaux disponibles et l'absence d'institutions bancaires et financières appropriées. L'expérience établit que sans l'existence d'établissements financiers capables de fournir au secteur privé des crédits suffisants et adaptés, il ne pourrait se constituer et prospérer des entreprises nouvelles D'ailleurs sur ce point, il existe des préjugés qu'il n'est pas facile de détruire; l'étroitesse des marchés conjuguée à la vive et inégale concurrence que rencontre l'initiative privée nationale coincée entre un secteur public hypertrophié et un secteur privé étranger florissant; l'entreprise nationale, du fait de l'extraversion, est confinée dans des créneaux à faible marché ou à faible renté\bilité et dans des activités marginales qui peuvent difficilement permettre une accumulation productive importante: la pression fiscale forte est pénalisante et défavorable à l'initiative privée nationale. 154 Les contraintes politico-administratives Informer, former, financer et faciliter la création d'entreprises nouvelles ou la saine promotion d'entreprises nationales existantes, devraient contribuer des tâches prioritaires pour l'Etat sénégalais. Malheureusement enkylosée par des structures bureaucratiques lourdes et pesantes, l'Administration n'a pu jusqu'à présent réussir sa politique promotionnelle de l'entreprise nationale. Tous ces obstacles et contraintes jouent comme de puissants freins à l'avènement et au développement de l'entreprise nationale. On peut dès lors affirmer que la faible création d'entreprises nationales ne réside: ni dans un défaut de rationalité bloquant l'avènement d'entrepreneurs de type schumpétérien. On peut même affirmer que les entrepreneurs sénégalais obéissent à une logique spécifique du point de vue de l'accumulation et de la stricte efficacité économique qui est tout à fait cohérente au regard de la structuration du tissu social; ni dans une carence fondamentale de la formation professionnelle et technique. Historiquement, les entrepreneurs qui ont fait la révolution industrielle n'étaient ni des polytechniciens, ni des experts en organisation et en gestion d'entreprise. En d'autres termes, si l'on ne règle pas économiquement et administrativement les contraintes soulignées, on n'assistera jamais à l'avènement d'entrepreneurs et de gestionnaires dynamiques, véritables opérateurs économiques capables de prendre en charge de façon rentable des segments importants du système productif. La preuve est en effet établie que dans les pays du Tiers-Monde où ces obstacles ont été levés, les opérateurs nationaux ont montré leur aptitude à faire fonctionner des entreprises modernes et florissantes et à gérer le développement économique et social. Le deuxième type d'obstacle pratique concerne la gestion administrative. De la paralysie et des insuffisances administratives Elles sont engendrées par la compression de certaines dépenses budgétaires. L'insuffisance de moyens humains et matériels imposée par les contractions budgétaires constitue assurément, un autre obstacle à la mise en œuvre efficace du processus d'ajustement. C'est ainsi par exemple que l'efficacité dans le recouvrement des recettes fiscales et douanières, le renforcement de l'appareillage statistique national, la consolidation de la capacité nationale de traitement et d'analyse économique (notamment les analyses de conjoncture) ainsi que l'amélioration du suivi des projets de développement risquent de se ressentir de l'austérité 155 en cours, avec par ricochet, d'importantes incidences négatives sur les performances globales des programmes. A ce niveau, il faut se réjouir de la mise en œuvre récente grâce à l'appui de la Banque Mondiale, du Projet d'Appui à la Gestion du développement (P.A.G.D.) au Sénégal. Ce programme vise à perfectionner la capacité d'analyse et de formulation de politiques économiques du Gouvernement, à renforcer la capacité d'évaluation du ministère de Plan et de la Coopération ainsi qu'à améliorer la capacité des ministères techniques à préparer et à suivre l'exécution de leurs projets. Il contribue à l'amélioration qualitative du processus planifié de l'économie sénégalaise dans laquelle le plan avait fini par être un document sacralisé répertoriant un ensemble de projets dont la réalisation dépendait souvent exclusivement de l'extérieur (21). Les diverses réformes introduites devraient aboutir à une planification qui mobilise, tant dans son élaboration qu'à son exécution, tous les acteurs du développement économique et social (22). Cependant, la déflation préconisée des effectifs de la Fonction publique, si elle n'est pas judicieusement mise en œuvre, pourrait engendrer une sous-administration préjudiciable au développement. Trop souvent, on a réduit l'administration à un rapport simplement arithmétique et on a alors eu recours à la méthode des indices dans l'analyse du fait administratif. Ce faisant, l'analyse ne prend point en considération une série de données et rapports économiques, certains paramètres spatiaux et socio-culturels qui entrent nécessairement en jeu dans la définition et dans l'évaluation de la sous-administration. Des études minutieuses doivent être entreprises pour déterminer avec précision l'effectif optimal de fonctionnaires. Ceci ne devrait pas masquer la nécessité d'une rénovation très profonde de l'Etat dans la triple direction de sa décentralisation, de sa modernisation et de sa démocratisation. Mais au-delà de cette kyrielle de limites de nature tant théorique que pratique, les programmes d'ajustement comportent également un ensemble de coûts sociaux et politiques qui représentent autant d'obstacles à leur aboutissement favorable. 3 Coûts non-monétaires et dimension sociale des programmes d'ajustement En dehors même des difficultés à résorber dans la courte période les déséquilibres économiques et financiers et à relancer la croissance, il est devenu incontestable que les programmes d'ajustement structurel, de par les restructurations des activités productives, la rigueur et l'ampleur de l'austérité qu'ils imposent, comportent des coûts sociaux parfois très lourds sur lesquels 156 les recherches, les réflexions et les références sont relativement rares. Selon Alain Lebaube, les politiques économiques de rééquilibrage provoquent une dégradation de la situation sociale. Le chômage s'accroit et la pauvreté frappe de nouvelles catégories. Or le retour à la santé économique ne peut guère se faire sur des décombres sociaux en conséquence l' « ambulance sociale}) doit accompagner la « chirurgie}) du F.M.!. (23). Complètement méconnus pendant longtemps par les institutions financières internationales, ces coûts sociaux se sont révélés d'une telle importance que leur évaluation est devenue à la fois indispensable et urgente. Tout le monde s'accorde en effet pour admettre que l'augmentation du chômage dans des pays de sousemploi chronique, les sacrifices imposés par le biais des hausses de prix, l'érosion des pouvoirs d'achat et par voie de conséquence des consommations individuelles et collectives (éducation, santé...) ainsi que la redistribution régressive des revenus génèrent des situations sociales explosives perturbatrices d'une paix domestique indispensable à la croissance et au développement. Les émeutes et les « guerres civiles» de la faim observées dans certains pays sous ajustement se présentent comme des issues inéluctables si des actions vigoureuses de correction et de modération ne sont pas mises en œuvre. Car en définitive, il faut reconnaître que sans un ordre social interne stable et acceptable il serait illusoire de prétendre à l'efficience économique. Or, les plans de déflation des personnels des entreprises publiques et privées et de la Fonction publique contribuent à accroître un chômage déjà alarmant et accentuent tendanciellement la fragilisation de l'équilibre social. De même, la répartition inégale des charges inhérentes à l'ajustement accentue la différenciation sociale très prononcée au Sénégal. Cette discrimination dans la répartition des charges s'exprime d'une part dans l'incapacité des couches moyennes et défavorisées à se soustraire aux relèvements des prix des biens de consommation courante, et d'autre part dans les résistances opposées aux réformes structurelles par les catégories sociales privilégiées. Ces oppositions concernent en particulier le contrôle de la formation des hauts revenus non salariaux et leur imposition régulière (rente foncière et immobilière notamment) ainsi que la diminution des coûts intermédiaires, réguliers et irréguliers, des filières agricoles (arachidière surtout). Le démantèlement de certaines rentes de situation obtenues dans le secteur industriel du fait de la protection excessive et la remise en cause de certains privilèges et monopoles acquis depuis des décennies (commerce, banques, assurances...) entraînent parfois des levées de bouclier au niveau de certaines catégories pourtant privilégiées. En outre, les restrictions budgétaires et les réorientations imposées par la politique 157 d'ajustement engendrent d'énormes difficultés dans le financement des dépenses sociales en expansion rapide. Même les collectivités locales ou les structures associatives, elles aussi exsangues, ne peuvent les prendre en charge (24). De plus, ces différents coOts sociaux, de par leurs implications économiques, constituent d'importants obstacles et sources de blocage dans la réalisation des performances attendues des programmes d'ajustement. C'est ainsi que la détérioration prononcée du pouvoir d'achat des salariés joue défavorablement sur la productivité de leur travail. Il en va de même de la compression massive des dépenses sociales qui, en précarisant la situation sanitaire nationale et en sacrifiant l'éducation et la formation, comporte de gros risques de bradage des ressources humaines, principal atout pour le développement d'un pays comme le Sénégal. Quant aux résistances des couches sociales favorisées aux changements structurels, elles contribuent à entretenir les déséquilibres observés. Elles rendent inopérantes les mesures visant à créer des incitations positives en faveur des producteurs, en maintenant et en renforçant au besoin l'extraversion du modèle de consommation. Elles confortent et pérennisent l'inefficacité économique par le maintien d'une logique de formation des revenus totalement indépendante des critêres de productivité et d'efficacité économique (les diverses rentes: foncière, immobilière, agricole, industrielle, commerciale). En effet, la réorientation de l'économie nationale que les programmes d'ajustement tentent de promouvoir, demeure manifestement incompatible avec les modèles actuels de consommation et de formation des revenus. Paradoxalement, lesdits programmes feignent d'ignorer ceci qui constitue assurément une limite de plus à leur efficacité opérationnelle. De façon générale, les premiers programes mis en œuvre ont été conçus dans une optique purement économique. Mais du fait des nombreuses résistances sociales qu'ils ont suscitées çà et là dans le cadre de leur application, il est de plus en plus admis aujourd'hui que leur élaboration doit dorénavant pleinement intégrer la dimension sociale. Du reste, les voix sont de plus en plus nombreuses à s'élever pour recommander dans les pays en développement un ajustement à visage humain (25). Un ajustement qui devra répondre à des préoccupations d'ordre humain et pour cela, demeurer orienté vers des changements structurels assurant un développement économique soutenu à long terme et qui préserve parallèlement les intérêts sociaux des groupes vulnérables. Ces considérations imposent alors un nécessaire changement d'optique qui devra se traduire par la reconnaissance et la volonté de prendre en charge tous les coOts sociaux de l'ajustement. L'ajustement dit à visage humain dégage à ce propos les six principaux éléments qui en constituent l'essence; ce sont: 158 l'établissement d'un calendrier différencié d'ajustement qui procède à une correction désormais plus progressive des déséquilibres par mobilisation plus accrue de financements extérieurs à moyen terme (et de moins en moins à court terme) ; le recours à des politiques méso-économiques (de répartition des revenus et des ressources) visant à respecter les priorités en répondant aux besoins des groupes vulnérables et en encourageant la croissance économique dans le contexte de ressources limitées; la mise en œuvre de mesures sectorielles (appuyées sur la petite entreprise agricole, industrielle ou commerciale) pour assurer la restructuration du système productif; l'accroissement de l'équité et de l'efficacité dans le secteur social par ciblage des services de base à bas coût et par réorientation des efforts et des ressources consacrés aux secteurs dispendieux et qui ne contribuent pas à la satisfaction des besoins essentiels; la mise en œuvre de programmes compensatoires visant à protéger les normes essentielles de vie, de santé et de nutrition des groupes à bas revenu pendant l'ajustement; le suivi des niveaux de vie, de santé et de nutrition des groupes vulnérables pendant l'ajustement. Dans cette optique, le Gouvernement du Sénégal avait, dès 1986, fait réaliser deux principales études sur les effets sociaux et la mise en œuvre de leur suivi dans le cadre de l'ajustement (26). Ces études ont eu le mérite d'une part de cerner l'ensemble des effets sociaux mesurables ou non imputables au plan d'ajustement et d'autre part, de dégager les contours méthodologiques d'une planification sociale dans le cadre de l'ajustement. A la suite de ces travaux préliminaires, le Gouvernement a créé par décret n° 87-1404 du 17 novembre 1987 la délégation à l'insertion, à la réinsertion et à l'emploi (D.I.R.E.) autour des objectifs majeurs ci-après: la mise en place d'une stratégie à long terme de planification des ressources humaines; l'élaboration, le suivi et la mise en œuvre de la politique générale de l'emploi; la conception, la réalisation et le suivi des actions relatives à l'insertion et à la réinsertion professionnelle; l'harmonisation des méthodes et principes de financement des projets productifs; une meilleure coordination des interventions des départements ministériels en matière d'insertion et de réinsertion et un appui technique approprié aux jeunes promoteurs économiques; 159 la mise en place d'un système d'information performant en mesure d'aider à une meilleure connaissance du marché de l'emploi et des mécanismes qui régissent l'évolution de l'offre et de la demande de travail; le renforcement des relations avec les organisations internationales ouvrant dans le domaine de l'emploi, la prospection d'emplois extérieurs, l'organisation et le contrôle de la migration des travailleurs sénégalais. Pour atteindre ces objectifs, la DIRE a été dotée de deux principaux instruments d'intervention: 1) Le Fonds National de l'Emploi (F.N.E.) issu de la refonte des fonds d'insertion et de réinsertion qui reçoit et gère toutes les dotations publiques destinées à financer des projets présentés par les personnes physiques ou morales que sont: les salariés du secteur privé ou parapublic touchés par les procédures collectives de licenciement pour motifs économiques; les agents de j'Etat, fonctionnaires ou non cessant volontairement leurs fonctions; les émigrés de retour au Sénégal; les diplômés de l'enseignement supérieur (niveau second cycle). 2) Le Fonds Spécial de l'Emploi (F.S.E.) destiné à financer totalement ou partiellement des projets qui ne nécessitent pas une mise en œuvre sophistiquée et aboutissant plus à l'autoemploi avec quelques opportunités de création d'emplois occasionnels (2 à 2,5 emplois par cas). Ainsi, les petits projets destinés à favoriser la création d'entreprises de production individuelle et/ou communautaires (groupements de production féminins, groupements d'intérêt économique G.I.E., y sont éligibles). Dans la mouvance de cette volonté gouvernementale marquée d'intégrer et de gérer les aspects sociaux du programme d'ajustement, il faut noter aussi la mise en œuvre dès 1982-1983 de l'opération dite «Maîtrisard". Comme son nom l'indique, cette opération était au départ, exclusivement destinée à résorber le chômage naissant des titulaires d'une maîtrise de l'enseignement supérieur. Elle fut par la suite étendue à l'ensemble des diplômés du système éducatif et a connu, dans son application, des fortunes diverses dont il serait souhaitable qu'une étude bilan fasse le point après bientôt sept années de mise en œuvre. Dans le domaine des consommations collectives (éducation et santé), la situation demeure préoccupante malgré les efforts du Gouvernement. En effet, l'explosion démographique (2,9 % 160 par an) engendre une demande sociale importante et croissante. Or, l'allocation des ressources dans la logique de l'ajustement s'effectue partiellement au détriment des secteurs sociaux collectifs et les ressources qui y sont consacrées périclitent. Dans le sous-secteur de l'éducation par exemple, la progression du taux de scolarisation est restée modérée; mais, l'accroissement moyen annuel des effectifs qui était de 6 % de 1961 à 1978 dans l'enseignement élémentaire et de 7,3 % de 1978 à 1985 est tombé à 4,2 % entre 1985 et 1988. Dans l'enseignement supérieur, le taux d'encadrement global des étudiants (dont les effectifs sont en croissance très rapide) diminue et passe par exemple de 6,9 % en 1986-1987 à 4,9 % en 1978-1988 (27). La solution des problèmes de l'Ecole réside désormais dans la mise en place de formules souples de liaison entre les structures éducatives et les structures productives. Cela appelle des transformations radicales de toute la matrice éducationnelle et de formation de sorte que l'enseignement permette l'acquisition d'une certaine connaissance correspondant au développement actuel de la science et de la technique avec un caractère polyvalent pour préparer les impératives et incessantes reconversions. Pour le sous-secteur de la santé, la part du budget national qui lui est consacrée chute progressivement de 9,5 % en 1966-1967 (la norme retenue par l'O.M.S. est de 9 %) pour se fixer à seulement 5,6 % en 1986-1987 (28). Il s'en est évidemment suivi une dégradation manifeste de la situation sanitaire nationale caractérisée par l'insuffisance du personnel, l'obsolescence des infrastructures et des ruptures chroniques de médicaments. En conclusion, les résultats d'ensemble de la politique d'ajustement doivent inciter à la réflexion sur les acquis, mais surtout sur les limites d'une austérité dont on ne voit pas de suite le terme. Il y a de toute évidence une contradiction marquée entre les effets sociaux négatifs directs perceptibles à court terme et les performances attendues du programme d'ajustement à long terme. Des esprits bien pensants ne seraient certainement pas satisfaits de la réponse qu'apportent souvent les « techniciens » et selon laquelle la situation économique, financière et sociale aurait été pire en l'absence de politique d'ajustement. Cette objection est un aveu d'impuissance. Elle pose conséquemment la nécessité de rechercher des stratégies qui améliorent le modèle de développement exclusivement soucieux d'équilibre financier, de solvabilité et d'insertion dans le système de la division internationale du travail. D'ailleurs, la problématique du développement telle que dramatiquement posée aujourd'hui au Sénégal ne réside plus dans le caractère nécessaire ou non de l'ajustement, mais fondamentalement dans la manière d'ajuster. Autrement formulé, il s'agit de 161 savoir de quel ajustement avons-nous besoin pour quel développement au Sénégal, étant entendu qu'aucun pays au monde, quel qu'il soit, ne saurait vivre éternellement en situation de déséquilibre prononcé sans remettre fondamentalement et durablement en cause sa situation économique d'ensemble. De ce point de vue, Adébayo Adedeji (29) note que le problème aujourd'hui n'est plus de se demander s'il faut ou non des politiques d'ajustement, mais de déterminer précisément les politiques d'ajustement souhaitables qui favorisent l'utilisation efficace des ressources et l'augmentation de la productivité, améliorent et renforcent le potentiel de ressources humaines et technologiques, assurent la diversification de la production, un équilibre pragmatique entre les secteurs public et privé et une mei lieu re répartition des revenus, contribuent à la réalisation de "autosuffisance alimentaire, diminuent à terme la dépendance vis-à-vis des importations et harmonisent les modèles de consommation avec les modèles de production. En un mot, il s'agit de politiques d'ajustement qui créent un environnement intérieur favorable ainsi que les conditions d'un développement rée!. Face à cette remise en cause généralisée de l'ajustement de type traditionnel, le F.M.!. s'est doté depuis le 23 août 1988 de deux nouveaux instruments exclusivement destinés aux soixante pays les plus pauvres (dont trente et un en Afrique) avec des financement adaptés à leur cas: il s'agit de la facilité d'ajustement structurel renforcé (F.A.S.R.) et du financement pour imprévus (F.F.C.F.!.). Laissons le Directeur général définir lui-même ces nouveaux instruments d'intervention de la panoplie du F.M.!. « Quand un pays a déjà une dette très élevée et des taux de productivité faibles avec des structures productives fragiles, si vous lui prêtez aux conditions du marché, vous ajoutez à son problème au lieu de le réduire. Nous avions donc besoin d'un instrument aussi concessionnel que possible, qui soit important dans son financement, dans sa dimension, mais qui soit au service de politiques fortes d'ajustement structurel pour la croissance. C'est cela la stratégie de la facilité d'ajustement structurel renforcé ... Lorsque votre programme s'échelonne sur une longue période, et pas seulement sur douze ou dix-huit mois, vous risquez à tout moment de constater que vos hypothèses de politiques économique les plus savamment calculés sont complètement dépassées, soit que les taux d'intérêt sont partis à la hausse, soit que les prix de vos matières premières subissent une chute inattendue, soit que les recettes du tourisme sont inférieures au montant légitimement escompté. Il faut assurer les programmes contre ces aléas. Si des chocs extérieurs viennent à se réaliser, bien sûr le pays devra s'ajuster, resserrer encore les écrous pour s'adapter au nouveau contexte, mais il pourra compter sur des 162 financements complémentaires de la part du F.M.I. pour l'aider à passer cette phase difficile à l'intérieur "intérieur d'un programme précis. C'est cet instrument que nous appelons la F.F.C.F.I., une assurance contre les imprévus. Le pays sait que si sa balance des paiements subit des chocs extérieurs inattendus, il y aura certes des efforts complémentaires, mais aussi des financements complémentaires. Cette assurance permet au pays de se jeter à l'eau, en sachant qu'il sera soutenu (30). » Cette attitude nouvelle constitue assurément un premier pas qualitatif effectué par le F.M.!. qui commence à comprendre la nécessité d'adapter ses financements au cas spécifique des pays sous ajustement. Cependant, ceci laisse toujours intact le problème central de la restauration d'un équilibre durable et qui ne peut être réalisée que dans le cadre d'un réel processus de développement. En effet, une simple politique de gestion de la demande qui sacrifie la production au nom du respect des grands équilibres financiers ne saurait trop longtemps tenir lieu de politique économique de sortie de crise sans enfoncer durablement l'économie nationale dans une dangereuse spirale déflationniste où la production est en permanence auto-réprimée. Pour ce faire, il importe de repréciser les termes de la problématique du développement au Sénégal à partir de l'essouflement de son modèle d'accumulation fondé sur la rente agricole et minière, d'identifier clairement les problèmes qui se posent afin d'envisager une nouvelle stratégie alternative en vue du développement effectif, intégral et autocentré. (1) H. Ghanem, H. Kharas et R. Myers: • Sénégal: Etude de solvabilité., Banque Mondiale; octobre 1984. (2) • Sénégal: Etude de solvabilité " op. cit. (3) Banque Mondiale: Sénégal, Mémorandum économique, op. cit. (4) Voir sur ce point: Moustapha Kassé, • l'Etat et le Secteur public au Sénégal., CREA. 1985. (5) Sigles utilisés: - CPSP: Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix. - SOTRAC : Société des Transports en Commun du Cap-Vert. - RCFS: Régie des Chemins du Fer du Sénégal. - BHS : Banque de l'Habitat du Sénégal. - SICAP: Société Immobilière du Cap-Vert. - OHLM : Office des Habitations à Loyer Modéré. - SONEES : Société Nationale d'Exploitation des Eaux du Sénégal. - SENELEC : Société Nationale d'Energie Electrique, 163 (6) Chibber et Ghanem: »Impact of foreign borrowing on cOllsumpllon. an econometric analysis of six developing countries·, C.PD., DiscusSion papers, nO 1984-25, World Bank. (7) Ousmane Seck: Evaluation du Plan senegalais de Redressement economique et financier. C.ND, Dakar, 15 fevrier 1980, 29 pages roneotypees. (8) Moustapha Kasse: Socialisme démocratique et désengagement de l'Etat. Seminaire du Groupe de Recherches du P.S., Saly le 11 juillet 1987, 14 p. (9) Ministère des Finances: Note sur le desengagement de l'Etat D.GT./DA.G., Dakar, 10 juin 1986, 29 p. (10) M. Witteveen: discours prononce à Londres, cf. Bulletin du F.M.I., 29 mai 1978. (11) Voir à ce sujet: The monetary approach to the Balance of payments, F.M.I., 1977. (12) H. Bourguinat: L'economie mondiale à découvert. Ed. Calmann-Levis, 1985, 270 pages. Cet auteur parle de pathologies economiques evidentes qui montrent que >>l'économie mondiale est prise aujourd'hui dans un imbroglio causal dont le degré d'enchevêtrement est peu banal., p. 14. (13) Yung Chul Park: • The variability of velocity', I.M.F., Staff Papers, novembre 1970. (14) M. Khan et D. Knight: • Fund-supported Ajustement Programs and Economie Growth., F.M.I., Occasion al Paper, nO 41, novembre 1985. (15) Lors de l'ouverture de la Session du Conseil Economique et Social le Président A. Diouf observait dans cette direction que »si l'ajustement de notre economie consistait à prendre des mesures de rigueur à courte vue de nature déflationniste, le remède pourrait s'avérer pire que le mal., CES, 28 mars 1985. (16) F.M.I. : Rapport Annuel, 1981, page 183. (17) Moustapha Kassé: Marchés et politiques de prix agricoles au Sénégal 1987, 47 pages. Seminaire APDAAIFAO/USAID, Dakar, mars-avril 1987. (18) Voir sur ce point: Moustapha Kasse: »L'Etat et le secteur public au Senégal " CREA, 1984, 307 p.• Les contraintes à l'initiative privée en Afrique de l'Ouest., communication au Colloque du Club d'Afrique: Lomé, 5-8 novembre 1984 sur: L'initiative privée en Afrique: le défi des années ao (19) Abdou Diouf: Discours à l'ENAM, promotion Isaac Foster, 7 mai 1985. (20) Il faut bien se convaincre que privatiser n'est plus de l'aveu même de la Banque Mondiale, la panacée pour réduire la pauvreté. L'initiative privée ne doit être choisie que s'il est prouvé qu'aucune autre solution ne lui est supérieure. (21) Moustapha Kasse: Planification dans les pays du Sahel, Institut du Sahel Bamako, Unesco, 1986, 203 p. (22) Ch. Hamldou Kane: La nouvel/e planification, Conseil National du Parti Socialiste, 1986, 102 p. (23) A. Lebaube: L'ambulance sociale doit accompagner la chirurgie du F.MI. Le Monde des 29, 30 novembre 1987. (24) Les experts du F.M.!. se rendent bien compte de l'importance de ces coûts sociaux. Dans ce sens, Wanda Tseng affirme que »Ces politiques dont l'objectif est d'ajuster l'économie aux réalités d'un déséquilibre, entrainent inévitablement des coûts· in Wanda Tseng: les effets de rajustement, Revue Finances et Développement, décembre 1984, volume 21, nO 4. (25) UNICEF: Ouvrage collectif: • l'Ajustement â visage humain: Protéger les groupes vulnérables et favoriser la croissance·, éd. Economica, Paris 1987, 372 p. Kasse, Kah S.: • Ajustement et groupes vulnérables·, Organisation des droits de l'homme, 17 pages, Dakar 1988. (26) J. Lal/ement: Rapport sur les effets sociaux du programme d'ajustement économique et financier à moyen et long termes de la République du Sénégal, Projet SEN 82/023, Dakar, X. Greffe: Rapport sur la mise en œuvre du suivi des aspects sociaux du programme d'action structurel à moyen et long termes, Projet SEN 82/023, Dakar. 164 (27) Projet de VII'" Plan d'orientation pour le développement économique et social: 1989-1995, MPC, août 1989. (28) Sarr Marie: Politique Nationale de la santé dans l'objectif de la santé pour tous, Conseil National du Parti Socialiste du Sénégal, 27 juin 1987, p. 21. (29) Adébayo Adedej;: Adedeji: • Oui à l'ajustement "ajustement structurel, s'il sert l'Afrique", Monde Diplomatique, septembre 1989, p. 21. M. A. Adedeji est le Secrétaire Exécutif (en exercice) de la Commission Economique des Nations Unies pour l'Afrique (C.E.. A). (30) Michel Camdessus: • Les Nouveaux outils du F.M.!.", Jeune Afrique Economie, nO 115- 116, janvier-février 1989, p. 73. 165 Chapitre V AU-DELA DE L'AJUSTEMENT: UNE AUTRE STRATEGIE DE SORTIE DE CRISE ET DE RELANCE DU DEVELOPPEMENT Esquisser les principaux axes d'une autre stratégie exige au préalable que soient reformulés et resitués les éléments constitutifs de la problématique du développement au Sénégal. Pour résorber des déséquilibres aussi profonds, il importe de ne pas se tromper de cible et de s'attaquer à leurs causes réelles. Pour ce faire, il s'avère nécessaire de repréciser la nature et les mécanismes spécifiques du processus particulier qui a conduit au développement déséquilibré. En effet, il semble que la techno-structure administrative et bureaucratique ait exploité les imprécisions caractéristiques de l'option économique de base sous~tendant le processus du développement au Sénégal pour imposer à son profit un modèle d'accumulation inefficace et improductif. De même, la forte connexion du tissu économique national au marché international ainsi que le poids de l'héritage colonial se sont combinés pour renforcer "extraversion des structures à la fois de production et de consommation, facilitée respectivement par la reconduction de l'ancienne économie de traite et par le mimétisme administratif, culturel et social issu du contact avec l'ancienne métropole. Section 1 : LA REALITE ET LES FONDEMENTS DU DEVELOPPEMENT DESEQUILIBRE AU SENEGAL Le problème du développement au Sénégal se résume à celui de la crise d'un modèle d'accumulation fondé principalement sur la rente agricole et accessoirement minière. 167 Cette crise se traduit notamment par: - - l'impossibilité évidente pour la monoculture arachidière dominant dans l'agriculture et pour l'économie phosphatière à générer des surplus suffisants en vue du financement des investissements de base. Ce qui paradoxalement n'empêche pas qu'une part importante des surplus dégagés soit détournée par les transferts à l'extérieur (1) ou utilisée à des fins de spéculation immobilière et de consommation improductive. Le système inégalitaire de répartition des revenus favorise les couches dont la propension à consommer des biens importés est élevée. Ce sont ces divers rentiers, usuriers et autres qui accroissent, par leurs consommations somptuaires de biens importés, la demande privée contribuant ainsi à accentuer le déséquilibre de la balance commerciale; un important déséquilibre alimentaire résultant: d'une part de la privilégiation des cultures de rente au détriment des cultures vivrières rendue possible par un système inadéquat des prix relatifs ainsi qu'un ensemble de facteurs favorisants (commercialisation, intrants, crédit agricole...) ; et d'autre part de l'explosion démographique et de l'accélération de l'urbanisation qui vide les campagnes de leurs forces vives dramatiquement paupérisées par l'échec généralisé de l'économie rurale et la précarisation des conditions climato-écologiques ; une stagnation de l'activité industrielle essentiellement fondée sur l'import-substitution et dont les possibilités de croissance sont totalement épuisées. De plus, l'outil de production, très obsolescent, est structurellement inadapté à la demande internationale et aux conditions de concurrence extérieure; enfin un secteur tertiaire hypertrophié, fortement improductif et extraverti. Le secteur bancaire, longtemps accoutumé à financer l'ancienne économie de traite de nature usuraire et spéculative, semble mal adapté à son nouvel objectif: le financement d'un développement économique véritable et diversifié. En définitive, malgré l'application de mesures rigoureuses de redressement depuis 1979, la situation économique d'ensemble est loin de s'améliorer comme souhaité: sur certains aspects, on a même observé une certaine détérioration. Dès lors, on peut avancer que la solution à la crise au Sénégal se situe manifestement ailleurs que dans une simple tentative de rééquilibrage financier. Il apparaît clairement aujourd'hui qu'il y a lieu de procéder à des transformations décisives de structures. Or, seule une toute autre approche du développement peut rendre cela possible. Par conséquent, c'est toute l'organisation sociale, administrative et économique qu'il faut modifier dans le sens de l'instauration 168 d'un autre modèle de développement et d'accumulation capable d'opérer une mobilisation effective et efficiente des surplus et des apports extérieurs à des fins de relance du potentiel de production. Section 2: LES ELEMENTS D'UNE NOUVELLE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT AU SENEGAL La réalité socio-économique du Sénégal est celle d'un blocage historique de développement, lié aux effets déstructurants de l'économie de traite, à la dépendance extérieure, à la désarticulation des processus internes de production, à l'extraversion des structures productives et de consommation ainsi qu'au mode particulier d'intervention de l'Etat Qui a inefficacement alloué la partie de la rente agricole et minière qu'il a prélevée et qui demeure importante. Cette tendance ne peut se poursuivre sans conduire à moyen terme à une impasse économique et socio-politique dangereuse. Par conséquent, il faut changer d'optique et adopter une nouvelle approche dans la définition de la stratégie globale de développement. Aussi, les principaux axes de cette nouvelle stratégie de développement doivent impérativement articuler les deux niveaux complémentaires suivants: l'intérieur et l'extérieur. A) LES ACTIONS AU NIVEAU INTERNE A ce niveau, il convient de changer complètement de terrain et de réorienter le modèle d'accumulation et de développement dans un sens qui rompt définitivement avec l'urbanisation anarchique, limite la dépendance extérieure, intègre et rend davantage complémentaires les différents secteurs de production en vue de créer les conditions permissives d'un développement économique réel et intégral. Pour ce faire, la réorganisation des politiques sectorielles doit se traduire par la conception et la mise en œuvre d'une autre politique agraire, industrielle et tertiaire. a) L'élaboration d'une autre politique agraire Comme l'observe avec pertinence Samir Amin, si l'Afrique est un maillon faible et vulnérable, le ventre mou du système mondial, 169 cela tient principalement à l'absence d'une révolution agricole entendue comme une série de transformations techniques, économiques et sociales permettant une croissance régulière et stable de la productivité par actif rural et par hectare cultivé. La révolution agricole est incontournable pour toute économie qui amorce son développement. D'ailleurs, les perspectives d'une croissance moyenne du P.I.B. par le P.A.M.L.T. pour la période 1985-1992 restent essentiellement basées sur une croissance régulière et soutenue du secteur agricole de 3,3 %. Ce qui représente un taux deux fois plus élevé que celui observé dans les périodes antérieures. Pour atteindre cet objectif, il apparaît indispensable de définir une stratégie cohérente du développement agricole qui implique des transformations structurelles et institutionnelles très importantes. Dans cette optique, "agriculture devrait viser la couverture complète des besoins vivriers en augmentation rapide, l'accroissement du potentiel de production rurale et des surplus, l'augmentation de la productivité du travail et le réaménagement fonctionnel de l'espace rural. Parallèlement, elle devrait favoriser l'amélioration des conditions matérielles d'existence et de travail des ruraux. Ce dernier point est décisif pour le freinage de l'exode rural et du processus d'urbanisation accélérée, l'arrêt du vieillissement rural, l'élargissement des bases du marché national ainsi que son approfondissement concomittant. Cette politique agraire nouvelle devra s'appuyer sur un système coopératif réorganisé et redynamisé, un crédit agricole rénové et efficace, la recherche d'une technologie adaptée à la fois au producteur et au milieu, une structure de prix incitatifs et rémunérateurs ainsi qu'une politique adéquate de commercialisation de l'ensemble des produits. Ces mutations vont bien au-delà de la simple instauration d'une économie de marché dans laquelle d'ailleurs les paysans occupent une position de faiblesse, car n'ayant aucune prise sur les processus de formation des prix agricoles, ni sur les circuits de distribution des intrants et ne pouvant échapper aux mailles des prêts à taux usuraires. Dans la perspective de cette nénovation, les Pouvoirs publics ont mis en place une Nouvelle Politique Agricole (N.P.A.) en 1984 (1). La justification de l'élaboration de la N.P.A. se résume en fait à un constat: l'échec de l'économie rurale au Sénégal dont les manifestations les plus importantes se traduisent par: l'incapacité du secteur rural à couvrir l'intégralité des besoins alimentaires de base du pays: l'échec du système d'intervention mis en place par l'Etat; 170 l'endettement massif des paysans et leur progressive insolvabilité; la profonde désarticulation économique et sociale dans les campagnes qui accentue l'exode rural, vidant ainsi les campagnes de leurs bras valides et contribuant au vieillissement rural (3). Ces tendances d'une agriculture économiquement inefficiente et prédatoire ont fini par introduire une différenciation sociale poussée entre une élite paysanne et une majorité marginalisée. Elles ne pouvaient se maintenir durablement sans créer des tensions et malaises dans le monde rural. La N.P.A. s'est proposée alors de mettre en place une politique globale qui vise fondamentalement une réforme complète des structures et installe une nouvelle organisation. Elle s'articule en fait autour de quatre éléments: D'abord un programme de redynamisation de l'action coopérative pour la rendre plus efficiente La N.P.A. vise fondamentalement la responsabilisation des producteurs ruraux et l'établissement d'un nouveau cadre de coopération rurale. Il s'agit ainsi de rendre les producteurs ruraux maîtres de leur destin en leur conférant une plus grande marge de manœuvre dans leurs initiatives, leurs choix et décisions économiques. Voilà en effet une évidence qui, malheureusement, n'a pourtant jamais été perçue et admise. La nouvelle restructuration s'achève par la création de 337 coopératives rurales multifonctionnelles et multisectorielles servant de support économique aux communautés rurales. Les coopératives se subdivisent en sections villageoises - au nombre de 4403 et qui sont à leur tour l'émanation de groupements monosectoriels initiés par la population rurale autour d'un projet dominant. Ensuite une option d'adaptation Il s'agit de l'adaptation des techniques de production et des variétés culturales nouvelles aux conditions et objectifs nouveaux ceci en vue de favoriser une utilisation plus efficace du paquet technologique fourni grâce à un nouveau système de crédit rural plus adapté et beaucoup plus personnalisé. En outre, une résolution de réorganiser le système de crédit Il s'agit à terme, d'un redéploiement spatial de la C.N.C.A.S. (Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal) en vue de rap171 procher le plus possible le crédit des utilisateurs. Le crédit agricole doit être organisé et structuré de manière à permettre aux agriculteurs d'échapper à l'usure et à la dépendance vis-à-vis de leurs fournisseurs en denrées et en facteurs de production. Par ailleurs, la C.N.C.A.S. ne doit pas seulement se contenter de gérer des ressources budgétaires mises à la disposition de l'agriculture. Elle doit fonctionner comme une banque capable de financer l'agriculture. Enfin un objectif de réaménagement des sociétés d'encadrement du monde rural (S.D.R.) La plupart d'entre elles sont en cours de dépérissement et dans une période transitoire, leurs missions seront limitées à la fourniture de services aux collectivités locales, aux actions de conseil, d'animation et d'alphabétisation fonctionnelle. Toute cette restructuration vise, en dernière analyse, à: la réalisation de l'autosuffisance alimentaire en rapport avec l'augmentation rapide de la demande vivrière issue d'une démographie galopante; l'augmentation de l'emploi rural en attendant la relève du secteur industriel et tertiaire; l'amélioration de l'équilibre de la balance des paiements par le développement des exportations. Au regard de ce qui précède, la Nouvelle Politique de restructuration de l'activité productive rurale peut-elle être considérée comme une amélioration de l'ancien système agricole? Quelles en sont les principales limites et par conséquent, comment permettre au secteur agricole de jouer pleinement son rôle de locomotive du développement économique et social global? Il convient tout d'abord de remarquer que les objectifs de la N.P.A. souffriront sans aucun doute des effets actuels de la conjoncture économique, politique et administrative nationale, caractérisée par une volonté déclarée de désengagement de l'Etat d'un certain nombre d'activités productives, en particulier l'agriculture. Il est vrai que l'engagement prononcé de l'Etat dans le secteur rural a antérieurement eu des incidences néfastes surtout au plan des déséquilibres macroéconomiques, telle par exemple la faillite d'anciens organismes d'intervention comme l'O.N.C.A.D. l'O.N.C.A.O. Cet organisme d'intervention a laissé un passif d'une centaine de milliards F C.F.A. dont l'épongement d'une vingtaine de milliards au titre des dettes paysannes. Cependant, le désengagement envisagé par la N.P.A. risquerait, de par son caractère sur certains points brutal, de déboucher sur l'excès contraire, consistant à 172 abandonner à leur sort des producteurs ruraux appauvris, mal préparés et donc incapables d'utiliser à leur profit les possibilités qu'offre le libéralisme agricole prôné. Dans le même ordre d'idées, la N.P.A. demeure silencieuse sur la place de l'agro-business dans le nouveau paysage agricole national et insiste essentiellement sur l'augmentation de la production. Or, ce sont les conditions dans lesquelles se fera cette production qui importent, car elles détermineront la répartition des richesses produites. Le risque est grand, dans le cadre d'un trop grand libre fonctionnement du marché, de réaliser des productions excédentaires sans possibilités d'élargissement du marché intérieur, les couches laborieuses ayant été démunies et fortement prolétarisées. Enfin, on pourrait s'interroger sur les possibilités réelles de mise en pratique de la N.P.A. compte tenu de l'ampleur des moyens nouveaux à mobiliser, financiers notamment. L'environnement économique interne est caractérisé par une cure d'austérité qu'impose la politique globale de redressement et la récession internationale ne milite pas en faveur d'un accroissement substantiel des ressources consacrées au développement des pays du sud. Concernant d'ailleurs ce dernier point, on notera avec intérêt le relatif échec de la dernière session spéciale de l'O.N.U. (1986) sur la situation économique critique de l'Afrique au cours de laquelle en dehors des Pays Bas, du Canada et du Danemark, la plupart des pays riches ont nettement refusé de souscrire au moindre engagement chiffré. Dans ces conditions, quelles peuvent être les principales directions de recherche dans le cadre d'une amélioration du nouveau programme agricole pour qu'il puisse être véritablement une politique de sortie de la crise agraire? Pour répondre à cette importante question, il nous faut d'abord reconnaître qu'à l'analyse, la N.P.A. telle qu'actuellement conçue et mise en œuvre, ne permet assurément pas de réunir toutes les conditions optimales d'une pleine génération de surplus agricoles, encore moins d'un réinvestissement interne des ressources éventuellement dégagées. Pour cela, les quelques axes de réflexion qui suivent comportent un ensemble de points qui, de par leur caractère multidimensionnel et interac:tif, intègrent ressentiel des paramètres en jeu, qu'ils soient apparents ou diffus et qu'il conviendra nécessairement de résoudre pour atteindre plus facilement et plus rapidement l'objectif recherché. Ces éléments concernent successivement: l'autosuffisance alimentaire et les problèmes des structures: l'organisation de la coopération agricole: les infrastructures de base: 173 - la planification et l'utilisation généralisée des facteurs modernes de production agricole; l'exploitation judicieuse des cultures irriguées. 1 L'autosuffisance alimentaire et le problème des structures Concernant l'objectif d'autosuffisance alimentaire en tant qu'un des maillons essentiels de la stratégie de développement, il convient d'en préciser nettement l'importance relative dans les activités rurales. Cela devrait se traduire par la détermination d'un jeu de prix relatifs appropriés, étant entendu que l'Etat conserve théoriquement jusqu'à nouvel ordre la maîtrise des prix agricoles. Une manipulation prudente de la structure des prix relatifs s'avère nécessaire dans le cadre de l'incitation à la production vivrière, notamment par l'augmentation des prix au producteur. Cette observation est importante et décisive car elle permet, dans le cadre de la stratégie globale de développement, d'assurer le nécessaire équilibre entre les cultures vivrières et les cultures de rente. De même, elle évite de développèr certains effets pervers comme par exemple le détournement de la demande des produits faisant l'objet de promotion du fait de leur renchérissement. Dans le prolongement de cette démarche, le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (C.S.A.) doit dégager les moyens d'une véritable politique de soutien des prix des produits vivriers afin de stabiliser les revenus des producteurs ruraux et assurer ainsi la pérennité de la production. Quant aux structures nouvelles en voie de mise en place en vue de cet objectif, elles gagneraient à être clarifiées notamment du point de vue du rôle nouveau dévolu aux forces du marché et conséquemment, la part de terrain où devrait désormais s'exercer l'action parapublique ou étatique. Il serait en effet utile de spécifier et de répartir entre les intervenants privés et l'Etat, les niveaux d'intervention en matière de financement et de développement des activités rurales. Dans ce cadre, il deviendra nécessaire de maintenir pendant encore une certaine période, et cela malgré les difficultés financières actuelles de l'Etat, un certain nombre d'organismes d'encadrement, de vulgarisation et d'alphabétisation dont les objectifs devront être redéfinis dans le sens d'une plus grande souplesse en vue de favoriser une utilisation efficiente du crédit rural ainsi qu'une introduction plus rapide et adaptée du paquet technologique dans le procès de production. Parallèlement, il faudra envisager la création de structures souples de formation professionnelle et technique en vue du recyclage permanent des paysans. Cet aspect est essentiel au 174 progrès agricole et devrait aider à J'amélioration de l'efficacité et de la productivité du travail agricole. Il importe alors de veiller à assurer une certaine continuité dans la mise en œuvre des différents aspects du nouveau programme agricole et s'employer, dans le cadre de la redéfinition en cours des fonctions de l'Etat, à traduire dans les actes l'esprit du « moins d'Etat pour mieux d'Etat » dans le secteur rural. La mise en place d'un tel dispositif devrait conduire à l'instauration de nouvelles règles du jeu rural favorables à l'autosuffisance alimentaire, à la diversification des cultures et à l'amélioration des revenus des producteurs. Car en définitive, une paysannerie pauvre serait incapable de se prendre en charge et d'introduire toutes les mutations indispensables au développement agricole à la promotion économique et sociale du monde rural. 2 L'organisation de la coopération agricole Le nouveau modèle de la coopération agricole, fondé essentiellement sur la coopération-entreprise, doit résoudre deux préalables pour gagner en efficacité: la transformation des rapports de production d'une part, l'éducation et la mobilisation en vue du développement d'autre part. La trop grande hétérogénéité des structures foncières en milieu rural n'autorise, dans les conditions actuelles, aucune amélioration notable des formes de production généralisée à grande échelle. Ainsi, la petite et la moyenne exploitations qu'engendre l'extrême morcellement des terres, bien que présentant certains autres avantages, ne sont pas adéquates aux grandes améliorations techniques. Par ailleurs, l'éducation, la mobilisation et la formation vont s'avérer, comme souligné plus haut, déterminantes dans les performances de la nouvelle politique. L'Etat devra mettre en place pour cela des structures appropriées pour améliorer la maîtrise techniqu9 des agriculteurs et pour la regénération et la fertilisation des sols. De ce point de vue, le cas des associations villageoises de développement (A.V.D.) pourrait utilement inspirer la conception de la nouvelle coopérative-entreprise. Ces AD.V. curieusement ignorées par la N.P.A. malgré une importante présence dans les zones rurales, fonctionnent sur la base d'un autoencadrement et d'une auto-organisation susceptible de promouvoir le développement à la base dans l'esprit du « self-reliance ", principe consistant à compter essentiellement sur ses propres forces. Elles sont ainsi dotées d'un comité de gestion, de commissions techniques de travail et d'équipes de travail collectif. Cependant, les difficultés qu'elles connaissent actuellement, et que les structures nouvelles devront nécessairement prendre en consi175 dération pour gagner en efficacité, sont liées d'une part au taux élevé d'analphabétisme des populations rurales rendant difficiles la maîtrise des technologies avancées et la gestion moderne des exploitations et entreprises rurales, et d'autre part aux rigidités structurelles de la tradition dans le domaine de la conception et de la gestion de structures associatives. Les campagnes d'éducation et de sensibilisation doivent enfin s'employer à vanter les avantages et la nécessité du réinvestissement d'une partie du surplus agricole éventuellement dégagé. 3 Les infrastructures de base Dans ce domaine, de substantiels efforts ont été consentis. C'est le cas en effet des infrastructures routières même s'il se pose actuellement quelques problèmes d'entretien. Mais l'accent dans ce secteur, comme le gouvernement semble d'ailleurs l'indiquer, devrait porter sur la construction d'un plus grand nombre de pistes de production, nécessaire complément du réseau routier dans le cadre de l'acheminement correct des facteurs de production et de l'évacuation convenable des récoltes. Avec les barrages déjà construits sur le fleuve Sénégal (Diama) dans le cadre de l'O.M.V.S. et en Casamance (Anambé, Afinian et Guidel), le Sénégal dispose déjà d'environ 300 000 ha irrigués dont la mise en valeur nécessitera des investissements d'au moins 200 milliards de francs C.F.A. A cela viendront s'ajouter 100 000 ha irriguables provenant du projet O.MV.G. avec les barrages de Balinghor, Kékréti et Kouya. Les enjeux véritables de l'agriculture sénégalaise se joueront dans l'après barrage. Il en est de même de l'important programme hydraulique en cours d'exécution en vue de la maîtrise quasi totale de l'eau dans le cadre de la mise en valeur rurale. Cependant, si des évaluations fiables ne peuvent être faites pour l'instant concernant "utilisation optimale des eaux fluviales à partir des barrages érigés sur les fleuves Casamance et Sénégal. il importe déjà d'accompagner le début de la N.P.A. d'un plan de rénovation systématique des infrastructures hydrauliques existantes (hydraulique rurale notamment) De plus, il faudra améliorer la planification en la matière afin d'éviter les double-emplois que l'on a pu constater dans certaines zones et surtout le choix inapproprié de sites d'implantation qui représentent un double gâchis: d'abord pour les populations destinataires du fait de l'impossibilité d'utiliser l'infrastructure à cause des caractéristiques défavorables de la nappe et ensuite pour les bailleurs de fonds (gouvernement ou source extérieure) du fait de l'immobilisation et de l'inutilisation du matériel. A ce niveau, une plus grande rationalité dans les choix doublée d'une cohérence parfaite dans la démarche constitueront 176 de précieux atouts dans la réalisation des objectifs visés par la politique nouvelle. 4 La planification et l'utilisation modernes de production agricole généralisée des facteurs L'amélioration des techniques de production et l'introduction à grande échelle des facteurs modernes de production agricole impliquent la recherche d'une technologie agraire plus adaptée au producteur et au milieu et articulent de ce fait deux niveaux complémentaires: la recherche technico-agronomique et le processus de modernisation. En effet, l'utilisation intensive jusqu'à présent d'intrants industriels chimiques (engrais) s'est, dans la plupart des cas, faite au détriment de la reproduction naturelle des grands équilibres pédologiques. C'est ainsi que certains sols sont devenus anormaI€ment pauvres, contribuant ainsi à faire chuter les rendements. Dans d'autres cas, c'est plutôt le caractère inadapté au sol du matériel agricole qui a engendré les perturbations périodiques, la baisse des rendements et la faillite financière du paysan par un gonflement non compensé de ses coûts de production du fait de la mise au rebut prématurée de machines agricoles non encore amorties. Dans ces conditions, la N.P.A. se doit nécessairement d'orienter la recherche agronomique dans le sens d'une meilleure prise en compte des spécificités locales (nature des sols, possibilïté de modification des rythmes de jachère ou d'adaptation de l'assolement). Elle doit également procéder à une étude plus systématique et affinée des conditions d'appropriation de l'innovation technologique par les producteurs. La mise en œuvre de ces divers éléments constitutifs de la stratégie globale de redressement du secteur rural devrait favoriser le déclenchement d'une véritable révolution agricole qui sortirait le secteur d'une trop longue crise en rendant possible un ensemble de transformations techniques, économiques et sociales, à même d'assurer un accroissement soutenu et permanent de la productivité par actif rural ainsi que de la production. Cette politique est alors alternative à l'orthodoxie libérale qui postule qu'en supprimant l'intervention de l'Etat dans le milieu rural, en abandonnant le système de soutien des prix et en laissant jouer les mécanismes du marché, on crée automatiquement une nouvelle donne qui relance comme par magie la production agricole dans les meilleures conditions de rentabilité. La question agraire est plus complexe et les problèmes qu'elle soulève ne se règlent point par le simple recours aux mécanismes de marché. En fixant à l'agriculture l'objectif de réaliser environ 177 6 % de la croissance globale, il faut impérativement modifier profondément les structures dans le sens indiqué plus haut. Le Sénégal est condamné à résoudre la crise de son agriculture pour trouver une réponse satisfaisante à l'explosion de la demande alimentaire provenant d'une très forte croissance démographique et d'une urbanisation accélérée. La politique agricole passera, entre autres, par la dynamisation de la production vivrière au moyen d'une augmentation judicieuse des prix aux producteurs, l'intégration de la paysannerie dans de nouveaux modèles performants d'exploitations agricoles, la protection des récoltes et l'institution d'un modèle de consommation fondé sur les aliments locaux. Corrélativement à ces mesures, il faut être très attentif au processus de formation et de répartition des revenus car, comme nous l'avons déjà souligné, une paysannerie pauvre sera toujours incapable de se prendre en charge et d'introduire toutes les mutations indispensables pour une promotion économique et sociale du monde rural. b) L'élaboration et le fonctionnement d'une autre politique industrielle Le secteur industriel est considéré par le P.A.M.L.T. comme le second foyer actif de la croissance. 1\ devrait connaître une expansion accélérée avec un taux annuel de 6 %, ce qui représenterait une véritable rupture de tendance pour un secteur qui particulièrement manque de dynamisme par suite d'une surprotection qui a finalement débouché sur une gestion inefficiente et peu compétitive. La réalisation de cet objectif passe par: une évolution favorable de la demande de consommation intérieure et donc une modification en hausse de la consommation publique et privée; un développement des capacités exportatrices pour un secteur qu'une longue période de protection a rendu peu compétitif sur les marchés extérieures; un accroissement du volume des investissements et la pleine utilisation de toutes les capacités productives. A Y regarder de près, on s'aperçoit que toutes ces mesures sont en contradiction avec les objectifs assignés à l'ajustement déflationniste. Par ailleurs, les auteurs d'une étude du Ministère de la Coopération observent qu'en « baissant substantiellement le niveau des protections (à un moment où le marché est déprimé et où les entreprises sont en mauvaise situation financière et à la tête d'un outil de production peu performant), le risque est 178 grand de provoquer un véritable démantèlement des secteurs d'import-substitution. Ce ne serait pas le premier exemple où le passage brutal d'une situation d'hyperprotection à un ajustement aux prix mondiaux se traduit par un phénomène de désindustrialisation» (4). Ces résultats sont apparus dans la période 19371989 avec une baisse de l'activité industrielle, du chiffre d'affaires et de l'emploi avec un désinvestissement estimé à environ 20 %. L'industrialisation doit alors être complètement repensée avec de nouvelles orientations. Le schéma devrait s'organiser autour d'une industrialisation: - au service de l'agriculture c'est-à-dire qui permet le développement de trois catégories d'activités industrielles: aménagement des barrages et autres infrastructures d'irrigations; développement en amont des intrants et équipements agricoles; valorisation en aval des produits de l'agriculture; au service de la valorisation des matières premières locales par création de filières industrielles. La politique industrielle devrait profiter de toutes les opportunités offertes par la délocalisation industrielle issue du redéploiement international en cours et destiné à instituer d'un ordre mondial multipolaire. Dans le cadre de la restructuration économique, le Sénégal organise aussi une Nouvelle Politique Industrielle (N.P.!.). Le document de référence en la matière, retrace le contenu d'un programme d'actions qui, de concert avec la NP.A., ambitionne de remettre ou plutôt de placer l'économie nationale sur un sentier de croissance équilibrée et auto-entretenue. Pour en saisir la portée, nous examinerons successivement les points suivant: les raisons théoriques et pratiques de l'élaboration de la N.P.!. ; le contenu de la N.P.!. ; les politiques économiques d'accompagnement de la NP.!. en tant que stratégie d'industrialisation; l'appréciation du nouveau modèle de redéploiement industriel du point de vue des objectifs qui lui sont assignés et des possibilités de réalisation pratique. 1) Les raisons de la mise en œuvre d'une nouvelle politique industrielle Il existe en fait des justifications d'ordre théorique et pratique à la mise en place d'une nouvelle politique industrielle au Sénégal. A tout moment, les responsables de la politique économique se doivent d'avoir une double vision des problèmes auxquels ils sont constamment confrontés: 179 - - l'impossibilité de la poursuite du transfert de ressources de l'agriculture vers l'industrie. Ce constat découle en effet des des difficultés auxquelles le secteur rural est présentement confronté; "étroitesse structurelle du marché intérieur et son retrécissement actuel non seulement du fait de l'exclusion d'une importante fraction de la population de ce marché (faiblesse, voire inexistence de pouvoir d'achat), mais aussi à cause de la poursuite du programme d'ajustement structurel à moyen et long terme qui, dans un premier temps, se traduira par une contraction de la consommation intérieure (principale composante de la demande globale). Par ailleurs, du point de vue des performances réalisées, cette stratégie de substitution aux importations n'a jamais atteint les objectifs qui lui avaient été préalablement assignés à savoir: - une économie en devises par réduction des importations: une augmentation de la productivité et un transfert de technologie; une formation de surplus et leur réinvestissement; la réalisation d'effets d'entraînement sur l'ensemble du tissu économique. De surcroît, les profits qu'elle a permis de réaliser ont été, dans une grande proportion, rapatriés vers l'extérieur et donc non réinvestis localement en vue d'accroître la base productive nationale. Dès lors, le modèle de développement industriel appliqué jusqu'ici s'est avéré de plus en plus inapproprié. Ces limites ont appelé l'instauration d'une nouvelle stratégie d'industrialisation qui valorise véritablement les dotations factorielles naturelles. 2 Le contenu de la N.P.I. : une nouvelle stratégie fondée sur les industries exportatrices qui améliorent la balance commerciale La nouvelle stratégie d'industrialisation axée sur l'exoortation tout comme l'ancienne (celle de substitution aux importations) ont une et même justification, à savoir la recherche de l'équilibre de la balance des paiements. Il s'agira alors, dans la nouvelle option, d'accroître notablement les exportations afin, non seulement d'assurer l'équilibre extérieur, mais éventuellement de dégager des ressources en devises en vue 'd'honorer le service de la dette extérieure. La démarche consiste alors à valoriser au maximum le facteur local le plus abondant à savoir la main-d'œuvre. L'avantage comparatif sera ainsi le facteur «travail» du fait de son coût relativement bas et de l'amélioration envisagée de sa 180 productivité. De la sorte, les nouvelles industries (exportatrices) disposeront non seulement d'une main-d'œuvre à bon marché, main de surcroît de plus en plus efficace. Ce qui devrait largement contribuer à abaisser de façon relative, les coûts de production et donc à rendre les produits ainsi localement fabriqués plus compétitifs sur le plan international. Parallèlement, il est prévu d'entreprendre un certain nombre d'actions au niveau des autres branches d'activités fortement liées au secteur secondaire, en vue de les adapter à la nouvelle restructuration industrielle. C'est ainsi qu'il est notamment envisagé la réhabilitation de la SONEES, de la SENELEC et de la Régie des Chemins de Fer (qui deviendra bientôt la Société Nationale des Chemins de Fer) afin de les rendre aptes à fournir des services à prix compétitifs aux entreprises. Elles permettront ainsi à ces dernières d'atteindre l'objectif ci-dessus indiqué à savoir: abaissement relatif des coûts de production et compétitivité extérieure plus grande. Il est également attendu des barrages des effets au plan de la fourniture d'énergie électrique, des matières premières (agricoles et minières) qu'ils permettront de produire et de l'amélioration des transports. Quant aux types d'industries à créer ou à renforcer, ils concernent un nombre diversifié de branches que sont: l'agro-industrie: surtout dans la perspective de l'après barrage pour la transformation des produits de la pêche et des matières premières agricoles; les industries chimiques: matières plastiques et surtout engrais dans l'optique du développement des cultures irriguées; les industries textiles, articulées autour de la filière « coton ". Ce secteur est industrialisant s'il est intégré par valorisation locale de l'ensemble des chaînes de ladite filière; la métallurgie: renforcement de la production mécanique actuellement embryonnaire; les industries du cuir: recherche d'une volorisation plus complète de la matière première locale (peaux et cuirs). Ce sont là les principaux créneaux que la N.P.I. se propose de créer ou de redynamiser (pour ceux qui existent déjà). Il importe alors d'examiner les politiques économiques à mettre en œuvre pour appuyer cette stratégie d'industrialisation. 3 Les politiques d'accompagnement de la N.P.I. Observons tout d'abord que la N.P.I. entre en application en plein processus de désengagement de l'Etat. De manière plus 181 preCise, elle vise à rendre l'environnement économique national plus fluide en vue de favoriser une concurrence effective entre les acteurs du développement. Cependant, l'Etat envisage d'agir' sur un certain nombre d'éléments stratégiques pour lui permettre d'atteindre ses objectifs. Ces mesures d'accompagnement concernent : la suppression de certaines réglementations qui semblent constituer des entraves, tels la procédure relative aux investissements, le régime des prix et de la distribution des produits et la législation du travail. C'est ainsi que l'autorisation préalable sera supprimée, les droits de douane seront réduits, les prix libérés et les salaires rendus flexibles; le paiement des arriérés étatiques vis-à-vis du système bancaire en vue de restaurer sa liquidité et lui permettre ainsi de financer plus facilement les nouveaux investissements requis par la N.P.1. ; la promotion des investissements par l'aménagement de nouveaux domaines industriels; le développement de la recherche appliquée en vue d'accélérer l'acquisition de techniques de production plus performantes. Comme on pourrait s'en douter, cette nouvelle stratégie d'industrialisation comporte un certain nombre ·de limites qu'il importe de mettre clairement en exergue afin d'entrevoir obejctivement les meilleurs axes d'amélioration de la N.P.1. 4 L'appréciation du nouveau modèle d'industrialisation Le jugement ici porté sur la N.P.I. concerne à la fois ses bases théoriques et son efficacité opérationnelle au regard de la situation économique actuelle et surtout politique au Sénégal. Pour cela, une série de questions méritent d'être posées: même s'il est évident et admis que la tendance au déséquilibre extérieur ne saurait être éternellement maintenue, la recherche systématique de cet équilibre doit-il constituer une fin en soi ou tout simplement un moyen parmi tant d'autres de promouvoir le développement? la poursuite d'un tel objectif ne risque-t-elle pas d'aggraver momentanément la situation interne du pays? le Sénégal peut-il à la fois mettre en place des industries compétitives sur le plan extérieur qui soient en même temps compatibles avec l'objectif d'amélioration du pouvoir d'achat de sa population (composante essentielle de la demande intérieure) compte tenu de l'environnement économique interna182 tional actuel particulièrement hostile (regain de protectionnisme et montée des égoïsmes nationaux) ? Certes, de manière empirique, certains pays ont pu, à un moment donné de leur évolution, mettre en place, développer et consolider des industries compétitives et porteuses de croissance soutenue. Ceci s'est cependant passé dans le contexte de régimes politiques autoritaires et surtout à une période où l'économie mondiale n'était pas sujette aux perturbations et autres turbulences actuelles. Mais au-delà de toutes ces considérations, il importe simplement d'observer à propos du nouveau modèle d'industrialisation que: Il est peu probable qu'il débouche sur la création d'un secteur industriel industrialisant. En effet, de par leur nature même, les unités industrielles envisagées ne sont pas susceptibles de produire de façon intégrée les biens d'équipement qui font cruellement défaut à l'économie nationale. Elles sont source d'importations massives et onéreuses contribuant ainsi à gréver lourdement la balance commerciale. Compte tenu des objectifs poursuivis à travers un tel modèle industriel, il est tentant d'avancer que la préoccupation primordiale porte davantage sur les effets externes plutôt que sur la consolidation des liaisons internes entre les différents secteurs. Or, ce qui est important pour une économie sous-développée qui aspire à une croissance soutenue et auto-entretenue, c'est d'abord et avant tout la création des conditions d'un développement équilibré sous-tendu et favorisé par la transformation radicale des anciennes structures de production dans le sens d'une plus forte intégration. La nouvelle stratégie est, comme nous l'évoquions plus haut, fondée sur le désengagement effectif de l'Etat et devrait générer d'éventuelles pertes de recettes fiscales. Ceci soulève évidemment quelques inquiétudes du fait que les pouvoirs publics se privent ainsi d'un important moyen d'intervention au niveau des secteurs non rentables pour le privé et qui, néanmoins, demeurent vitaux pour le soutien de la croissance et l'équilibre économique global de la nation. La capacité effective de ce modèle à engendrer le développement est faible. De plus, ce schéma de valorisation industrielle demeure très limité dans le cas du Sénégal au plan des conditions de sa réalisation et ce, pour les quelques raisons suivantes: d'abord, un environnement économique international, nous l'avons souligné qui n'est pas propice à l'ouverture des mar- 183 chés extérieurs et qui est de surcroît «précaire, instable, imprévisible et insondable en sa sphère économique et financière» (5) ; ensuite, des industriels nationaux qui ont perdu depuis longtemps, par suite d'une protection prolongée, toute capacité de concurrence pour la conquête de marchés extérieurs ou de contrôle du marché intérieur; en outre, le Sénégal comme on Je sait, constitue un îlot de démocratie libérale en Afrique. Or, la nouvelle stratégie comporte l'adoption de la flexibilité de l'emploi qui signifie une plus grande facilité en matière de licenciements économiques de multiplication et de renouvellement de contrats à durée déterminée. Dans ces conditions, la réaction syndicale, dans la volonté de préservation de certains acquis sociaux, peut constituer un obstacle majeur; en effet, cette démarche nouvelle s'oppose à certaines pesanteurs sociologiques tenaces au premier rang desquelles la perception que le travailleur sénégalais a de l'entreprise ainsi que les rapports sociaux généralement diffus au sein de l'unité de production; enfin, l'une des principales limites de l'ancienne stratégie à laquelle la nouvelle prétend remédier est l'insuffisance du transfert de technologie; ce à quoi s'ajoute le lancinant problème du non réinvestissement des profits réalisés qui sont souvent transférés à l'extérieur. Comment alors la N.P.1. permettra-t-elle concrètement de surmonter ces obstacles? Il est urgent de rechercher et d'imaginer les voies et moyens susceptibles de lever durablement ces obstacles et contraintes. Ceci constitue en effet un préalable à la mise en œuvre d'une stratégie viable d'industrialisation pour le développement. Par ailleurs, s'il est vrai que l'Etat ne saurait tout faire seul et surtout qu'il a tendance à dévorer toutes ses unités économiques en les anesthésiant par excès d'assistance et de protection, il est tout aussi vrai qu'il se doit pendant encore un certain temps de conserver le contrôle de certains secteurs névralgiques, du fait du caractère encore embryonnaire de l'initiative privée nationale. Il devra encore jouer les premiers rôles dans le cycle de production, dans l'organisation industrielle et technologique, dans l'établissement des priorités de développement et dans l'allocation des ressources favorablement à l'industrialisation. En outre, il s'avère nécessaire de faire la différence entre privés nationaux et privés non nationaux afin de procéder à une allocation non conflictuelle des sphères d'action compte tenu des moyens actuels des uns et des autres. Dans cette optique, l'Etat devra veiller à favoriser, par divers moyens, l'émergence d'un secteur privé national dynamique et efficace (6). 184 c) L'élaboration d'une autre politique du tertiaire De telles activités de soutien stratégique au processus global de développement, ne doivent plus être délaissées ou marginalisées ; l'organisation s'impose aux plans notamment: des circuits commerciaux de distribution; du transport maritime, aérien et surtout urbain; du système bancaire et de crédit; des activités touristiques. Cette restructuration profonde des activités tertiaires devrait repréciser les fonctions du système bancaire et de crédit, améliorer le fonctionnement des circuits commerciaux et de distribution, celui des transports et des communications, les performances de l'administration publique et enfin favoriser le développement équilibré du tourisme en rapport avec les potentialités disponibles à cet effet. Le Sénégal possède des atouts, de par sa position géographique, la qualité de ses ressources humaines, sa stabilité politique et son expérience qui ne sont pas valorisés par une politique exhaustive et cohérente. Cette politique devrait se traduire par l'exploitation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée et très habile, le développement de sociétés d'ingéniering ainsi que de services sans oublier la promotion d'acti'Jités commerciales et bancaires. Dakar a d'importants atouts pour une place financière ouestafricaine et le siège d'entreprises industrielles et commerciales à vocation régionale. La promotion de telles activités passerait par la mise en œuvre d'un ensemble de mesures institutionnelles et d'incitations fiscales et douanières, en même temps que l'élaboration d'une politique d'information large et systématique de tous les Etats et acteurs intéressés par de telles activités au niveau de la sous-région. B) LES ACTIONS A ENTREPRENDRE AU NIVEAU EXTERNE La sortie de la crise par un modèle de développement autocentré mettant en place un nouveau mode d'accumulation fondé sur une utilisation plus productive des ressources générées par des politiques sectorielles novatrices et conduites selon une politique rigoureuse de productivité et de rentabilité. appelle en recours à la coopération régionale et internationale, internationale. Il est indéniable que le Sénégal est un des pays les plus aidés d'Afrique Noire avec 273 milliards de francs CFA en 1987 contre 198 milliards en 1986. Cependant, cette aide même si elle est supérieure aux recettes budgétaires (265 milliards pour "exercice 1987-1988) demeure encore très insuffisante, insuffisante. 185 Face a l'énormité des besoins financiers nécessaires à la relance des Investissements productifs et compte tenu de la faiblesse de l'épargne intérieure, le Sénégal se doit de trouver en permanence un flux de ressources à des conditions douces mais qui dOivent se greffer à des activités réellement productives suceptibles de produire des effets d'entrainement sur l'économie nationale. D'ailleurs, la Banque Mondiale est parfaitement consciente de cette question quand elle évoque le déficit des ressources et les modalités pour le combler. Dans son étude sur "les besoins financiers de l'ajustement ", elle observe qu'un pays africain qui s'engage dans l'exécution d'un vaste programme de réformes a besoin d'importantes ressources pour financer les investissements productifs (croissance) et sociaux (éducation, santé et environnement). Ces ressources devraient provenir principalement de l'augmentation de l'épargne intérieure mais aussi de la communauté internationale sous forme d'aide concessionnelle. La Banque Mondiale propose alors l'accroissement de l'aide par des procédés qui tiennent compte de la situation du pays bénéficiaire. Elle souligne avec clarté que" les donateurs doivent reconnaître que la formulation des programmes d'ajustement et d'investissement ainsi que la coordination de l'aide et des autres flux financiers sont les attributions des gouvernements africains eux-mêmes» (7). Par rapport à cette position, il revient au Sénégal de définir de nouvelles priorités dans les secteurs décisifs de la vie économique et sociale et de les formaliser de manière rigoureuse en projets à soumettre aux bailleurs de fonds dont les bonnes dispositions sont nettement exprimées par la Banque Mondiale. Le secteur social est concerné au premier chef. Dans ce domaine, " une intervention plus vigoureuse et plus efficace de l'Etat doit être envisagée dans des secteurs tels que le développement des ressources humaines, la conservation des ressources naturelles et la recherche agricole» (8). Mais de la part de la Communauté Internationale, il faut égaiement souhaiter une action positive sur la dette extérieure, notamment dans le sens de son allègement tel que le dernier sommet de la Francophonie à Dakar (mai 1989) en a donné l'exemple. En effet, le Sénégal est incapable de résoudre à la fois le problème de la dette et celui de la croissance économique. Soit, il assure tout ou partie du service de la dette sacrifiant la croissance ou à l'inverse, il consacre ses ressources à la croissance et alors il ne pourra point régler à court terme le service de la dette. Il est clair que sur la question cruciale de la dette, le pays ne dispose d'aucune solution spectaculaire mais il peut néanmoins solliciter: un rééchelonnement pluriannuel sur mesure c'est-à-dire plus conforme à sa situation économique et finan186 cière, une annulation de certaines catégories de dette, le remplacement des taux d'intérêt variables par des taux fixes, la conversion d'une partie des créances en actions dans les entreprises publiques et une réforme des conditions d'intervention des banques créancières. Il s'agit sur ces questions délicates d'élaborer des réponses techniques rigoureuses et crédibles à soumettre aux bailleurs de fonds. On prend ainsi l'initiative des négociations sur des bases bien maîtrisées au lieu de les subir. La relance de la croissance doit être aussi reliée à la recherche d'une division internationale du travail plus favorable et d'un ordre régional qui aide à lever les handicaps internes relatifs à l'étroitesse du marché, à la faiblesse des ressources et des bases technologiques. Le Sénégal doit être partie prenante des processus d'intégration. L'établissement d'une Division Régionale du Travail en Afrique de l'Ouest permettrait au Sénégal de disposer d'un marché pour ses industries, de valoriser certaines de ses ressources (exploitation de la façade maritime, des phosphates, des minerais de fer, des bassins fluviaux, etc.) et de s'intégrer dans un système monétaire et de crédit au service du financement du développement. Ces processus intégrateurs facilitent la levée de nombreux goulots d'étranglement et contribuent à l'instauration d'une nouvelle efficience économique et sociale régionale dont les effets bénéfiques se répercuteront inévitablement sur le processus interne de développement. Tout au long de cette réflexion, il nous est apparu que le modèle de développement extraverti des années soixante ainsi que son système d'accumulation ont débouché sur la profonde crise économique et financière du début des années quatrevingts. La politique d'ajustement structurel qui met l'accent sur la réduction de la demande et la recherche prioritaire de l'équilibre de la balance des paiements s'est révélée encore pas à même de résoudre la crise et de relancer un processus soutenu de croissance. De fait, la récession s'est poursuivie durant la période d'ajustement, certaines distorsions se sont maintenues et la dette ainsi que sa charge se sont cumulativement accrues. Dans ce contexte, il convient de rechercher des stratégies encore plus performantes. L'analyse montre que celles-ci passent par une modification des structures et du système productif avec l'instauration de politiques sectorielles se fondant principalement sur l'utilisation des ressources internes et la réappropriation du savoir-faire local en vue d'une production prioritairement au service des besoins de base, c'est-à-dire ceux des populations. C'est la recherche de la satisfaction de ces besoins essentiels qui imposera une réelle restructuration en direction d'une consommation de masse stimulante pour la production et la croissance économique. 187 Il faut cependant comprendre qu'au Sénégal comme ailleurs, les bouleversements qu'impliquent les changements de modèle de développement ont un coût économique et social élevé et nécessitent une période relativement longue de rigueur et d'austérité dont les populations doivent saisir tout l'opportunité et la portée. Seulement la politique nouvelle doit, pour réussir appeler: une mobilisation et une participation effectives de toutes les couches sociales dans le processus de développement à long terme; une concertation permanente entre les partenaires sociaux que sont l'Etat, le patronat et les syndicats de travailleurs; une réforme de l'Etat pour en faire un instrument dynamique, démocratique, décongestionné et moderne; une modification des formes de gestion dans l'entreprise ainsi que des secteurs d'activité en évitant d'introduire le libéralisme dans des secteurs à vocation publique (interventionnisme public) ou d'étatiser des secteurs qui ne peuvent avoir qu'une vocation privée. (1) Dans le système de la Zone Franc caractérisée, entre autres par la libre convertibilité et la libre circulation des capitaux, on observe des fuites de ressources importantes qui ruinent les réserves extérieures précaires des pays membres. La Banque Centrale (BCEAO) rachète annuellement sur certaines places financières internationales (Suisse, Asie du Sud-Est) des francs C.F.A. transférés généralement par des privés, nationaux recherchant sécurité de placement et opportunité de spéculation. (2) Ministére du Développement Rural: Nouvelle Politique Agricole, Dakar, mars-avril 1984, 106 pages, document ronéoté. (3) Moustapha Kasse: • Les problèmes du secteur rural: perspectives et limites de la N.P.A. Communication, Séminaire sur la N.P.A.. Dakar, les 7, 9 et 10 mai 1986, 34 pages. (4) Ministère de /a Coopération: Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement au Sénégal, p. 88. (5) P. Cha/min et IL Gombeaud: Cyclope, Les marchés mondiaux, Edition Economlca, Paris 1988. o. 8. (6) Moustapha Kasse: Les contraintes à l'initiative privée en Afrique, CREA. Club Afrique. Colloque de Lomé. (7) Banque Mondiale: Les besoins financiers de l'ajustement dans la craissance en Afrique Subsaharienne. mars 1986-1990. Washington, mars 1986, p. 58. (8) Ibidem, p. 33. 188 CONCLUSION GENERALE La gestion du développement au Sénégal telle que pratiquée après l'indépendance est bloquée essentiellement parce que les structures économiques publiques ou semi-publiques créées à cette fin se sont quasiment toutes révélées inefficaces et parasitaires. Au plan des politiques sectorielles, les imprécisions, les atermoiements et les innombrables interventions incohérentes ont engendré des résultats dans leur ensemble bien modestes. C'est ainsi que dans le domaine agricole, l'irréalisme des politiques de prix pratiquées, les coûts excessifs de la politique d'encadrement du monde rural, les insuffisances notoires du crédit agricole ainsi que l'intervention de facteurs exogènes comme l'installation d'un grave cycle de sécheresse à partir de 1972, finiront par anéantir tous les efforts de production, appauvrir les producteurs ruraux et engendrer aujourd'hui un important déficit alimentaire structurel. Dans le secteur industriel, les quatre stratégies successivement mises en œuvre (import-substitution, P.M.E., industries exportatrices et politique des filières) montrent toute la difficulté pour un pays en voie de développement, sans tradition industrielle consistante et ayant de surcroît raté sa révolution agricole, à bâtir une économie industrielle performante dans un environnement international où, pour reprendre le mot de L. Stoleru, « l'avantage compétitif a supplanté l'avantage comparatif» (1). En réponse aux difficultés de ces deux secteurs, l'économie sénégalaise s'est progressivement «tertiarisée» : l'Administration publique s'est anormalement hypertrophiée et le secteur informel a littéralement explosé sous le poids du gonflement rapide des activités économiques parallèles, souterraines, non structurées et inorganisées. 189 Au niveau du Quaternaire, même si des efforts sensibles ont été accomplis notamment sur la base de concours extérieurs, il demeure que d'importants efforts sont encore à réaliser et que le blocage du développement survenu à la veille des années quatre-vingts n'a pas permis d'atteindre. Cependant, l'analyse de la crise de l'économie sénégalaise et celle de la politique d'ajustement qu'elle a suscitée appellent beaucoup de prudence et n'autorisent pas encore de tirer des conclusions péremptoires et définitives. Les faits économiques, financiers, structurels et institutionnels impliqués sont variés, complexes et assez mal connus. L'histoire n'est pas maîtrisée pour permettre une bonne connaissance des orientations et de la praxis sociale et économique. Les statistiques demeurent rares et celles qui sont disponibles restent encore très imparfaites. Enfin, la politique d'ajustement se déroule dans une conjoncture internationale de crise et devrait se poursuivre jusqu'au début des années quatre-vingt dix. Dans ces conditions, tout ce qu'il est possible de faire consiste à dégager quelques enseignements qui aident à lire la crise et à cerner les forces et les faiblesses de l'expérience d'ajustement. Cela en direction de l'élaboration de nouvelles orientations pour un modèle qui s'approche davantage des options socialistes et démocratiques proclamées de façon permanente depuis les années soixante. Les déséquilibres économiques et financiers des années soixante-dix par leur ampleur et leur profondeur ont imposé l'ajustement comme un passage obligé, un impératif pour retrouver la voie du développement et de la croissance. Les politiques mises en place avec l'appui des institutions financières internationales, sont conçues dans une optique libérale et l'application de leurs principes, semble-HI, devrait aboutir au règlement de toutes les contradictions et assurer un retour vers une croissance équilibrée et durable. Les mesures drastiques prises dans le cadre du P.R.E.F. avaient pour objectif de renforcer la production des biens et services, d'améliorer l'efficacité des investissements, de restructurer le secteur parapublic, d'assainir les finances publiques et de rétablir l'équilibre extérieur. La cure « conservatrice» a conduit à la redéfinition des fonctions de l'Etat qui se désengage au profit de l'initiative privée et au travers de nouvelles politiques que sont la N.P.A., la N.P.1. et la Nouvelle Fiscalité. Cependant, si le parternalisme étatique a fait souvent faillite et s'est avéré aujourd'hui inefficient comme mode exclusif de régulation, le libéralisme non plus n'est pas infaillible et ne saurait donc constituer une panacée. Dans ce sens, J.C. Milleron observe que «lorsque sans résultats empiriques où à partir d'analyses théoriques sujettes à caution, le 190 libéralisme doctrinaire se présenteL:omme une panacée, il est probablement inefficace et dans une large mesure dangereux surtout lorsqu'il prétend apporter, au nom de jugements de valeur non explicités, voire contestables, des solutions miracles aux problèmes que connaissent nos économies» (2). Cette politique d'ajustement se rapproche péniblement pour l'instant des objectifs explicites qui lui étaient assignés. Nous avons alors évalué ses résultats car il nous semble que le premier pas vers la solution d'un problème est d'en admettre "existence. /1 faut en effet briser le fanatisme et les prétentions non fondées de certains techniciens du développement lorsqu'il s'agit de bilans précis comme c'est le cas après dix années d'expérimentation d'une politique économique. L'ajustement tel que pratiqué depuis bientôt une décennie, ne s'est pas révélé aussi performant qu'on l'a souhaité que ce soit en termes de redressement économique et financier, de coûts sociaux et surtout de relance du développement. Les faits établissent largement que les objectifs majeurs sont imparfaitement réalisés. Le potentiel de production n'a été que très partiellement restauré et le taux de croissance de l'économie demeure encore assez faible. Les capacités du système productif à produire des surplus sont amoindries par les mesures déflationnistes qui ont des effets récessifs cumulatifs. L'endettement s'amplifie avec des rééchelonnements périodiques. Les passages répétés devant les Clubs de Paris et de Londres sont la conséquence d'un endettement insupportable. Cette permanence des rééchelonnements produit des charges supplémentaires et engendre une perte progressive de crédit sur les places financières internationales. Enfin, les mesures de freinage de la demande globale paralysent partiellement le fonctionnement de l'Administration Centrale sans réussir à abaisser substanciellement les coûteuses consommations des titulaires de hauts revenus. Sur le plan social, la politique d'ajustement a occasionné des coûts élevés et inégalement supportés par les populations. La répartition du poids de l'ajustement est assez différenciée et se réalise au détriment des titulaires de faibles revenus qui sont soumis à une trop grande austérité par le biais de la vérité des prix. Egalement, le sous-emploi et le chômage se développent subséquemment au ralentissement des activités productives et à la déflation des effectifs des entreprises parapubliques et de la Fonction publique. Enfin, le pouvoir d'achat se détériore par suite d'un mouvement conjugué de baisse des ressources tirées des cultures de rente et de l'augmentation du prix de certains biens de première nécessité qui étaient jusqu'alors subventionnés. Tous ces éléments établissent l'approfondissement des disparités et l'accentuation des distorsions au sein de la société. Ces 191 conséquences à la fOIs économiques et sociales démontrent certaines limites de l'ajustement qui ne réalise pas encore une expansion économique correctrice. La crise de l'économie sénégalaise n'est point un mystère, ni un cas particulier dans le système périphérique. Elle est une crise de modèle de développement et du mode d'accumulation basé sur les activités exportatrices agricoles et minières. Les contradictions structurelles et institutionnelles ainsi que les tensions sociales que cette crise implique ne peuvent être réglées par la seule « main invisible» ou les règles du marché avec lesquelles on cherche à jouer comme s'il était de leur pouvoir d'arbitrer harmonieusement les différents intérêts et d'opérer une allocation optimale des ressources qui soit socialement supportable. Cette crise économique et financière appelle une stratégie cohérente de modification du système productif, du mode de régulation économique et du modèle de répartition des revenus. Il s'agira tout d'abord de développer prioritairement les activités productives tournées vers le marché intérieur et qui ont à la fois une forte valeur ajoutée et une capacité importante d'absorption de la main-d'œuvre. C'est là une traduction concrète du principe du «compter sur ses propres forces» qui est une réponse opérante au développement inégal et à la restructuration de l'ordre économique et monétaire mondial. Il faut mettre en place de nouveaux systèmes de régulation et d'organisation économique qui utilisent de façon équilibrée les vertus du marché et du plan, de l'Etat et de l'initiative privée. La question est de trouver des formules performantes d'économie mixte permettant une coopèration organique de l'Etat avec l'initiative privée. En d'autres termes, il faut trouver le moyen d'une conciliation des avantages d'une planification rationnelle avec le maintien d'un haut niveau de rendement individuel des acteurs du jeu économique. C'est de la sorte que l'on sortira des naïvetés développées sur le rôle de l'Etat. " faut bien admettre que l'Etat n'est pas en soi porteur d'inefficacité et d'effets pervers et que le désengagement de l'Etat n'entraîne pas comme par magie une solution à tous les problèmes. Dans les pays en voie de développement, l'Etat se transforme en entrepreneur moins par idéologie que par immaturité des structures et blocage des processus de formation des marchés. La libéralisation ne peut être qu'une composante d'une stratégie élaborée et conduite par l'Etat. Cela procède des facteurs limitants déjà soulignés comme les contraintes structurelles et les divers blocages au processus de formation des marchés et des entreprises. Ce sont ces facteurs qui expliquent le faible poids du secteur privé, l'absence d'entrepreneurs nationaux dynamiques ayant les moyens financiers leur permettant d'exploiter toutes les opportunités d'investissement, la défaillance 192 des petites et moyennes entreprises familiales, la réticence des investisseurs privés étrangers et enfin l'inexistence ou la faiblesse des marchés financiers. Il est alors aisé de comprendre que le libéralisme qui accorde au marché les vertus de mécanismes infaillible et qui donne naissance à un processus de formation de prix fournissant des repères à toutes les décisions économiques et à l'allocation des ressources et des facteurs, n'est pas suffisant pour le redressement et la relance d'une économie caractérisée par le retard des forces productives, la désarticulation et l'extraversion. Par ailleurs, les principales questions qui se posent à ce type d'économie sont essentiellement des questions d'organisation avant d'être des problèmes de production et de répartition. Dans ce contexte, on conçoit aisément que l'Etat soit un instrument privilégié. Il doit, par sa politique économique, occuper certains secteurs épicentriques et quelques « hauteurs dominantes et stratégiques de l'économie" en vue: de résorber les faiblesses sectorielles et amorcer les mutations structurelles qui mettent le système productif dans de meilleures conditions de production et de compétition; de réaliser une planification plus rigoureuse pour régler les questions relatives aux conditions d'une plus grande stabilité sociale: répartition des revenus, lutte contre le chômage et l'inflation, réorientation du procès du travail; de négocier et de garantir une plus grande sécurité des investissements étrangers qui s'avèrent indispensables pour compenser les déficiences internes d'épargne. Dans cette direction, l'Etat devient un instrument indispensable et fondamental de régulation. De même, il convient de briser toutes les contraintes du passé et s'imposer de nouvelles tâches économiques, une nouvelle politique de distribution et de répartition des revenus par un contrôle du jeu des profits, des rentes et des salaires. C'est ici qu'il faut se souvenir des options socialistes et démocratiques qui commandent des compromis dynamiques et novateurs entre capital et travail en vue d'aboutir selon la formule d'Olof Palme à « une société plus douce pour les faibles et plus exigeante pour les forts". Pour ce faire, il importe de s'orienter résolument vers une démocratie économique à la fois contractuelle et consensuelle qui s'articulerait autour de négociations permanentes entre le monde du travail et le patronat en vue d'aboutir au progrès social qui tienne évidemment compte de toutes les contraintes de l'entreprise. Seul un tel cadre autorise l'augmentation de l'emploi, mais aussi un accroissement des salaires qui soit supportable par les entreprises. 193 L'exacerbation de la concurrence et des difficultés au plan mondial impose un véritable cc darwinisme» économique et la nécessité de s'adapter ou de disparaître. Cette dimension brutale et impérative de la nouvelle équation du développement implique une modification de notre perception traditionnelle de l'entreprise. Celle-ci en effet, loin de constituer un lieu de création et de distribution permanentes de rentes inamovibles de situation aux travailleurs, a plutôt besoin de la souplesse et de la flexibilité nécessaires, pour se développer, affronter victorieusement la concurrence ambiante, créer des emplois économiquement sains et distribuer en conséquence des revenus stables. 1/ faut alors comprendre qu'aucun pays au monde ne peut éternellement vivre au-dessus de ses moyens et distribuer des richesses qu'il n'a pas produites; or, ces richesses se créent dans l'entreprise et ceci dans les conditions imposées par une concurrence environnante féroce et mortelle pour des pays trop rigides socialement. De même, le patronat doit sortir de son attentisme, de sa tendance prononcée à s'abriter derrière un protectionnisme frileux et globalement inefficace, rompre avec ses techniques artisanales de gestion pour se montrer agressif et performant en vue de reconquérir le marché intérieur et s'ouvrir de nouveaux créneaux à l'extérieur. Ainsi, les ardeurs corporatistes des establishments syndical et patronal solidement enracinés dans des combats d'arrière-garde et dans une culture archaïque de lutte des classes doivent être tempérés. En conséquence, l'ajustement devrait alors se présenter, tout au plus, comme une politique de régulation économique conjoncturelle et non comme une philosophie permanente de développement. Par ailleurs, cette stratégie accroit ses chances de succès si de nouvelles solidarités s'établissent avec l'extérieur et particulièrement avec la communauté financière internationale. Celle-ci devrait s'impliquer davantage par la solution du problème de la dette et la mobilisation de nouvelles ressources à des conditions douces. En effet, la nature et la profondeur des déséauilibres au'il importe de résorber pour relancer la croissance et le développement sont telles qu'elles requièrent des politiques efficaces et concertées de modifications structurelles sur le moyen et long terme. A l'intérieur, les divers obstacles inventoriés qui s'ajoutent aux insuffisances théoriques et pratiques du modèle de référence des politiques d'ajustement, constituent autant de problèmes qu'il est impérieux de résoudre dans la perspective de la mise en œuvre 194 d'une stratégie de développement, laquelle devra être à la fois nationale et populaire car s'appuyant simultanément sur: l'utilisation des ressources et du génie du pays; la confiance aux capacités d'organisation du processus du développement des populations; l'adaptation continuelle des objectifs et des moyens à l'environnement et aux ressources nationales disponibles. Dans cette nouvelle orientation, J'Etat devrait jouer les premiers rôles tout en évitant d'être ce monstre qui paralyse le système social et institutionnel par excès d'intervention et d'assistance. En conséquence, il faut agir et innover pour garder l'initiative au plan économique et social et pour atteindre de nouvelles efficiences en comptant principalement et avant toute chose sur les capacités créatrices du peuple sénégalais. Car il est bien évident que le retour d'une conjoncture internationale favorable, avec conséquemment l'instauration de nouvelles règles du jeu économique et financier mondial, ne profitera qu'aux pays qui auront réglé une bonne part de leurs contradictions internes et auront mis en place de nouveaux modèles de gestion et de régulation socio-économique ainsi que des cadres institutionnels appropriés. En définitive, quels que soient les orientations et les moyens que met en place une société démocratique pour maîtriser son développement, elle ne peut les faire accepter que si les objectifs sont ressentis comme prioritaires par la majorité des populations. Si les buts et les cheminements sont clairement perçus et acceptés, il s'installe un changement dans les attitudes et une plus grande facilité à endurer les sacrifices et contraintes nécessaires. Ce dynamisme est porteur de progrès économique et social, d'innovation et de créativité car les acteurs économiques se mettent au service de ce qui est, ou de ce qu'ils croient sincèrement être leur intérêt. (1) Lionel Stoleru' L'ambition internationale, Editions du Seuil, octobre 1987. (2) Milleron J Claude: • La bonne dose d'économie libérale. in Problèmes Economiques, n° 1970, 16 avril 1986. 195 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE 1- Ouvrages généraux AMIN SAMIR : L'Afrique de l'Ouest bloquée, Edit. de Minuit, Paris 1972, 322 p. 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Le monde sénégalais des affaires, Edit. de Minuit, 1969. ANSON Monique MEYER: Mécanisme de l'exploitation l'exemple du Sénégal, Edit. CUJAS, Paris 1974, 170 p. BOURGUINAT Henri: L'économie mondiale à découvert, Edit. Calman-Lévy, 1985, 270 p. 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IMF Staff Papers, novembre 1970. 202 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION GENERALE 7 Première partie LA GESTION DU DEVELOPPEMENT DEPUIS L'INDEPENDANCE A LA CRISE DES ANNEES 70 . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Chapitre 1 : Les structures de gestion du développement .. 19 Section 1 : L'Administration économique 19 Section 2: Réforme administrative et développement à la base ,................... 30 Chapitre 2: Les politiques sectorielles 35 Section 1: Le secteur d'accumulation primaire comme premier foyer Section 2 : Forces et faiblesses du secteur industriel. . . . . . 37 58 Section 3: Hypertrophie et faible productivité du secteur tertiaire 77 Section 4 : Les performances du secteur quaternaire. . . . .. 107 Chapitre 3 : Endettement et crise de paiements 113 Section 1 : Sur-endettement extérieur et durcissement des conditions 115 Section 2 : Les Finances Publiques et le déficit budgétaire structu rel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 117 203 Deuxième partie AJUSTEMENT ET SORTIE DE CRISE .... , . . . . . .. .. .. . . .. 123 Chapitre 4 : La décennie 80 ou la voie de l'ajustement structurel 125 Section 1 : Les causes profondes des déséquilibres macroéconomiques 126 Section 2: Les programmes d'ajustement comme réponse aux déséquilibres 132 A) Les programmes appliqués et leurs performances. . . . .. 132 B) L'ajustement, une politique controversée 142 1 - Le modèle de référence 143 2 - Les limites théoriques et pratiques de la population d'ajustement .. : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 147 Les coûts non monétaires et dimension sociale de l'ajustement 156 Chapitre 5 : Au-delà de l'ajustement: une autre stratégie de sortie de crise et de relance du développement 167 Section 1 : La réalité et les fondements 167 3 - Section 2 : Les éléments d'une nouvelle stratégie de développement . . . . . . .. 169 CONCLUSION 189 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 197 204 ACHEVE D'IMPRIMER EN MAI 1990 SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE PIREDDA 94500 CHAMPIGNY·3uR-MARNE La profonde crise économique et financière qui affecte lévtrement le Sénégal procède fondamentatemen des Itmlt Intrlnlqu el de l'épuisement du modèle d'accumulation basé lur la rente aarlcole (arachide et coton) et minière (phMphate) • rente prélevée et 1mproductlvemen louée par une admlnl peu préparée au lendemain de l'Indépendance, è de fonctions de gestion du dévelop-pement. . Le bilan qu88i exhaustif des politiques de développement appliquées depuis 1980, montre clairement. qu'en dehonl des facleurs exogènes ayant accéléré l'avènement de la cri e, le système économique mis en place renfermait les germes profonds et leI principaux mécenllMes qui ont conduit è la rupture des équlllbres économiques et financiers des années 70. Dan ce contexte, Il devenait Impératif de remettre en ordre l'économie _égalai8e pour Juguler la mont6e des déséqUilibres et promouvoir une croissance saine et durable. Au Plan StablIlsation fi court terme de 1979-1980 ont succédé le Plan de Redres.ement Economique et Financier entre 1980-1 85 et actUellement le Programme d'Ajustement à moyen et long terme pour la période 1985-1992. i l'ajustement est Inév"able, Il faut néanmoins ab rver que certaines des orlenlellans et sa méthodologJe sant IUJeJteB controverse. A :et effet le te de pertinence du modèle claulque de réNrence de l' Justement s'étant révélé défavorable BOU8 certains aspects essentlel8, les recherches ont été menées dans le lien d une approche non pas nécessairement altematlve mal. surtout d accompagnement du pracesaua de l'ajustemen en rapport avec 1 spécificités ructurelles aln 1 que les ~ntra ntes Interne et externes peasnt ur "économle sénégalaise. Moustapha KASSE. professeur agrégé de sciences économiques. enseigne dans plusieurs universités et Ecoles nabonales supérieures africaines et dirige le Centre de recherches économiques appliquées (C.R.E.A.) de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal). Il est Vice Président de l'Association africaine d'économie et de "Association des économistes d'Afrique de IIOuest. . ISBN 2·87693-035<-8