crise économique et ajustement structurel

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SENEGAL:
Crise
économique
et ajustement
structurel
© Editions Nouvelles du Sud, 1990
Moustapha Kassé
SENEGAL:
Crise
économique
et ajustement
structurel
Editions Nouvelles du Sud
46. rue Barbès - 94200 IVRY-SUR-SEINE
REMERCIEMENTS
Je tiens particulièrement à remercier M. Lamine Sakho,
consultant et chargé de recherche au C.R.E.A. pour
l'important appui qu'il m'a apporté dans la rédaction de
cet ouvrage, notamment au plan de la collection de
l'information et du traitement de certaines données.
Mes remerciements vont également à Mesdames Louise
Dioh et Aminata Gueye qui ont assuré avec diligence
et compétence la dactylographie du manuscrit.
Que tous ceux qui, au C.R.E.A. ou ailleurs, ont eu à
contribuer d'une quelconque manière à la rédaction et
à la publication du présent ouvrage trouvent ici l'expression de mes plus vifs remerciements.
L'auteur
5
INTRODUCTION GENERALE
La crise, nous rappelle A. Gunder Frank, ne signifie pas la
fin; elle est une période durant laquelle une entité ou système
social, économique et politique malade ne peut continuer à vivre
comme avant et doit, sous peine de mort, entreprendre des transformations qui lui permettront d'entamer un nouveau cycle de
vie (1). De ce point de vue, la crise a une vertu pédagogique en
ce qu'elle peut lever les incertitudes du moment et annoncer un
avenir meilleur si bien sûr le ciel ne 'tombe sur la tête des acteurs
pour obstruer leur vision et les faire marcher à reculons. Elle est
alors pleine d'enseignements et offre toujours de grandes opportunités de changement pourvu qu'on lui accorde toute l'attention
scientifique indispensable.
La crise qui s'est installée au Sénégal, au début des années
quatre vingts, provoquant de très amples déséquilibres financiers
et l'instauration d'un vaste programme d'ajustement et de restructuration dans les secteurs décisifs de l'activité productive, demeure
encore une crise mal connue et d'une maîtrise mal aisée. Les
formulations théoriques en ce qui la concerne sont rarissimes
et les recherches concrètes simplement inexistantes. On dénombre, bien sûr, çà et là, quelques documents éparpillés ainsi que
des statistiques disparates qui ont besoin d'être synthétisées et
exploitées pour comprendre ce qui s'est véri1ablement passé dans
le système économique et qui a abouti en 1979 à des ruptures de
tendance se manifestant par la regression de la croissance, le
déficit de la balance des paiements et des finances publiques,
l'envolée de l'endettement avec des menaces d'insolvabilité.
Bien que les économistes contemporains répugnent à procéder
à une analyse affinée des crises, celles-ci sont devenues aujourd'hui le comportement normal de tous les systèmes économiques
7
et sociaux battant ainsi en brèche la vision théorique selon laquelle
le fonctionnement sans entraves des mécanismes fondamentaux
conduit les économies vers un équilibre automatique sans risque
de perturbations durables. Les faits démentent cette vision, et
établissent partout l'évidence des déséquilibres et des crises:
crise des modes de régulation étatique et de marché, crise des
systèmes d'accumulation productive, crise des rapports économiques et monétaires internationaux, crise sociale et du travail ...
Ces phénomènes sont trop importants pour continuer d'être
incomplètement évalués et sous-étudiés particulièrement pour les
pays en voie de développement qui ont besoin d'un référentiel
théorique solide leur permettant de comprendre leurs complexes
réalités socio-économiques en vue d'agir efficacement sur elles
pour amorcer et entretenir une dynamique irréversible de reproduction eot de croissance de l'ensemble des forces productives.
Cette analyse n'est en définitive, ni une esquisse théorique,
ni une simple monographie d'une économie en situation de déséquilibre, mais se veut une modeste contribution au débat sur la
crise et l'ajustement au Sénégal. Elle exhume une série de faits
d'orientations et de contradictions structurelles qui constituent une
grille de lecture d'une situation qui est finalement propre à la
plupart des pays en voie de développement et pour laquelle la
seule solution présentement entrevue réside dans la mise en place
de politiques d'ajustement structurel pour le rétablissement des
grands équilibres macroéconomiques et surtout macrofinanciers.
Ce qui est frappant dans toutes les évaluations du processus
de développement au Sénégal, ce sont les divergences fondamentales d'appréciation à partir des indicateurs quantitatifs mis en
évidence pour caractériser et expliquer la crise. Les bilans diagnostics et les thérapeutiques proposées sont si divers et si contradictoires parfois qu'on est amené à se demander si beaucoup de
spécialistes, pOl/rtant compétents, ne se sont pas trompés sur la
nature réelle de ladite crise. Pourtant, on peut évoquer trois principales manifestations révélatrices d'une crise économique et
financière profonde et qui font au moins l'unanimité parce qu'étant
des constats objectifs:
d'abord la faible croissance de la production sur une période
longue au taux moyen, de 2,3 % avec une stagnation, voire
une baisse des revenus réels;
ensuite le déficit chronique de la balance des paiements restreignant les capacités vitales d'importation de produits vivriers,
de biens de consommation et d'équipement qui comblent les
pénuries et les déficits internes;
enfin les difficultés permanentes de maîtrise de la gestion des
finances publiques.
8
Ces pathologies constatees relèvent d'un excès de consommation intérieure dû il une explosIOn de la demande publique et
privée alors même que les possibilités de production restent
encore très restreintes. Ce déséquilibre entre les capacités de
consommation et les capacités de production révèle que le Sénégal vit largement" au-dessus de ses moyens ", ce qui le contraint
à financer son déficit en ressources par un "sur-endettement"
extérieur relatif. Cependant, la détérioration des conditions de
l'endettement, la hausse des taux d'intérêts réels, la récession
mondiale, la restriction des moyens de paiements et des surplus
imposent une nécessaire correction des déséquilibres. Sur l'ensemble de ces éléments, un vaste consensus semble se dégager
entre tous ceux qui entreprennent de comprendre la situation
économique du Sénégal.
Cependant, dès que l'on remonte aux causes et que l'on
envisage des perspectives de solution, les clivages et divergences
d'appréciation réapparaissent. Quels sont les facteurs-clés de la
montée des déséquilibres ayant conduit au recours aux crédits
conditionnels du F.M.!. en 1979 ? Plusieurs facteurs sont avancés
car on admet généralement que des disfonctionnements aLlssi
importants ne peuvent avoir de cause unique.
Ainsi, en matière de facteurs de crise, certains auteurs avancent que le Sénégal, à l'instar de la plupart des pays sous-développés, n'a pu faire l'économie d'une double extraversion mal
gérée dans les politiques économiques mises en place après
l'indépendance.
- Une double désarticulation: la désarticulation est d'abord
sectorielle parce qu'elle se traduit par la faiblesse, voire l'inexistence de liaisons intersectorielles: l'économie sénégalaise est
ainsi essentiellement constituée d'enclaves fonctionnant de façon
quasi autonomes et isolées les unes des autres.
Elle est ensuite sociale (déséquilibre ville-campagne) parce
qu'elle génère un développement anarchique et incontrôlable
du secteur tertiaire du fait de l'accélération de l'exode rural et de
la prolifération subséquente de multiples activités informelles.
- Une double extraversion: en premier lieu, elle relève de
la structuration d'un système productif fondé sur une spécialisation
dans la production de matières premières agricoles et minières
(arachides et phosphates notamment) non intégralement valorisées localement, mais plutôt vendues sur les marchés internationaux : c'est l'extraversion des structure productives.
En second lieu, et en conséquence de ce qui précède, un
modèle de consommation de l'élite urbaine qui s'est progressivement généralisé, imposant le recours à de massives et coûteuses
importations de biens et de produits alimentaires destinées à
couvrir notamment les besoins vivriers d'une population en crois-
9
sance rapide; c'est le deuxième volet de l'extraversion: celle des
structures de consommation.
D'autres auteurs insistent sur les fac·teurs d'origine exetrne
qui ont défavorablement affecté le processus de croissance et
d'expansion; ce sont en l'occurrence la crise énergétique mondiale, le dérèglement du système monétaire international, la récession économique et le regain du protectionnisme dans les pays
développés, la chute généralisée des cours des matières premières
et l'inflation mondiale. Alors, les relations économiques et financières internationales apparaissent comme des ondes de choc
accélérant et amplifiant la crise des structures internes.
Les experts internationaux, du F.M.!. et de la Banque Mondiale
insistent, quant à eux sur les difficultés économiques et financières actuelles qui proviennent de chocs extérieurs mais aussi
de contraintes structurelles et de politiques économiques inappropriées: mauvaise gestion de la demande, distorsions dans la
structure des coûts et des prix, expansion trop forte du crédit,
taux d'intérêts réels inadéquats, hypertrophie des entreprises
publiques ...
D'autres facteurs sont souvent évoqués dans le débat comme
l'instabilité de l'environnement et les handicaps naturels qui entraÎnent une série de conséquences négatives sur la production agricole et les rendements.
Peut-on se contenter de cette analyse factuelle qui a sans
doute le mérite de réunir un ensemble varié d'indicateurs et de
statistiques susceptibles de nourrir la réflexion? Il ne nous semble
pas souhaitable de s'arrêter à ce seul niveau d'observation de
manifestations apparentes et de constats quantitatifs. Il serait
trop superficiel de définir une crise aussi profonde et aussi complexe simplement par des symptômes qui ne sont en définitive
que les effets de surface de pénomènes plus significatifs qu'il
faut rechercher dans le modèle de développement et SUrtout dans
son système d'accumulation que traduit le processus de création
et d'accroissement des surplus monétaires et qui a pour fondement la transformation permanente du système des forces productives, la croissance de la production, la formation et la distribution des revenus et enfin les modifications des modes de
consommation et de vie. Or donc, le mode d'accumulation fondé
sur le prélèvement et l'utilisation d'une rente d'origine agricole
et minière ne permet plus la formation d'une base autonome et
moins vulnérable de surplus à même de contribuer à la reconstitution et à l'élargissement du potentiel de production.
Ce blocage des mécanismes de 1'3ccumulation intérieure procède d'une déficience des politiques sectorielles appliquées et
du système d'allocation improductive des surplus que les politiques ont généré. La question de fond de l'origine de la crise
10
de l'économie sénégalaise est certainement à chercher du côté
du modèle de développement et de son système d'accumulation.
C'est cela que certains économistes professionnels ont maladroitement baptisé « crise du développement» qui renvoie en fait
à la crise des 1héories qui sous-tendent ce développement, théories qui se sont révélées à la fois inaptes à l'explication et à
l'action. En vérité, les appareils conceptuels keynésien, néoclassique et marxiste n'ont jamais autorisé ni une connaissance
infaillible et sûre, ni des formulations rigoureuses de politiques
économiques performantes pour les pays en voie de développement.
A l'analyse, la crise de l'économie sénégalaise apparaît comme
la manifestation isolée d'une crise plus générale du développement du système périphérique qui se traduit par l'impasse et le
blocage des mécanismes d'accumulation. Les politiques économiques qui portent ces mécanismes s'avèrent totalement impuissantes à introduire durablement des transformations économiques,
techniques et sociales qui garantissent l'avènement d'un processus
irréversible de croissance. Les symptômes dans le cas sénégalais
sont :
•
•
•
•
la non émergence d'une agriculture capable de satisfaire une
demande alimentaire explosive et d'enrichir la majorité
paysanne;
une industrie monopolaire peu compétitive et extrêmement
protégée;
un sous-emploi massif qui affecte progressivement la majorité
les diplômés du système d'enseignement et de formation;
l'hypertrophie du secteur public et parapublic caractérisée par
les pesanteurs d'une bureaucratie lourde et paralysante ayant
une forte propension à élargir ses privilèges, contribuant ainsi
à accentuer les déficits chroniques et cumulatifs de la balance
de::; paiements et des finances publiques.
Ces politiques coûteuses au double plan financier et social
ne pouvaient se poursuivre qu'au moyen d'un « sur-endettement»
qui a aujourd'hui atteint ses limites du fait du durcissement des
concitions d'emprunts extérieurs et qui s'explique du reste par
l'insolvabilité croissante de nombreux pays en voie de développement ainsi que par la persistance de la crise dans les pays
riches.
Si les experts et les techniciens du développement ne sont
pas unanimes sur l'appréciation des causes de la crise, qu'en
est-il des solutions préconisées? Au début des années quatrevingts s'ouvre une phase critique marquée par la stagnation de
la production nationale, la dégradation des équilibres financiers
11
et la flambée de l'endettement extérieur. Il est alors apparu que
pour conjurer la montée de tous ces périls, il devenait impératif
de mettre en œuvre une stratégie corrective destinée à stabiliser,
redresser et ajuster l'économie, accroître les investissements dans
les secteurs productifs, augmenter l'épargne interne, libéraliser
le commerce et jeter les bases d'un nouveau mode de régulation
économique et d'allocation des ressources exclusivement fondé
sur l'efficience. Dans ces conditions, )e F.M.!. apparaît comme un
interlocuteur incontournable et le gestionnaire de la crise financière, d'abord parce qu'il est un organisme important de prêts
directs et ensuite parce qu'il rassure et mobilise les divers créanciers qui considèrent que les programmes d'ajustement sont les
seules voies pour restaurer les équilibres, surtout celui de la
balance des paiements.
Cependant, ces politiques d'ajustement sont très controversées
au double niveau de leurs fondements théoriques et de leurs
résul'tats pratiques. Le premier point concernant la conception
des programmes d'ajustement appelle une série de questions
portant sur le modèle macroéconomique de référence, son degré
de cohérence et de pertinence dans une économie désarticulée
comme celle du Sénégal. Le second point des débats et des
controverses s'intéresse à la capacité des politiques d'ajustement
à résoudre la crise. En effet, ciblant principalemen't le court terme,
elles ont tendance à se résumer le plus souvent à une simple
gestion de la demande intérieure dont les effets déflationnistes
peuvent être économiquement négatifs (restriction de la croissance, risque de cassure du tissu productif...), et socialement
explosifs (révoltes populaires, paupérisation accrue des couches
vulnérables...).
En définitive, la crise de l'économie sénégalaise ainsi que la
politique de stabilisation, de redressement et d'ajustement destinée à la solutionner sont diversement appréciées. Elles suscitent
des débats importants qui pourront décider de notre avenir. Nous
avons voulu apporter quelques éléments complémentaires d'enrichissement et de clarification pour mieux comprendre certaines
évolutions en vue de mieux agir sur elles.
La réflexion à laquelle nous allons procéder consistera dans
une première partie à évoquer les structures politiques et administratives de gestion du développement mises en place depuis 1960 ;
à inventorier et analyser les causes de la montée de l'endettement
extérieur ainsi que les fondements de la crise actuelle de paiements qui impose une longue période d'austérité au niveau de
l'Etat et dans tout le corps social ainsi que des modifications dans
les orientations et les structures productives en vue d'une réallocation des facteurs de production Qui soit désormais favorable
au développement et à la croissance économique. Il s'agit alors
12
de clarifier la nature de la crise et d'affiner l'analyse de ses causes
en vue de mieux agir sur elles.
La seconde partie de cette recherche est consacrée à une
évaluation de la politique de sortie de crise et de relance de la
croissance par l'ajustement structurel et l'austérité. La question
est de savoir si cette politique qui se généralise dans la plupart
des pays du Tiers Monde sous l'impulsion des institutions financières internationales (F.M.!. et Banque Mondiale notamment) est
performante. La problématique n'est pas sans intérêts car la
politique d'ajustement basée principalement sur des politiques
budgétaires et monétaires restrictives assorties de dévaluations
importantes est largement controversée au double plan de ses
fondements 'théoriques fragiles et de ses résultats pratiques amoindris par ailleurs par des coûts sociaux exorbitants. Par conséquent,
nous ferons faire au modèle d'ajustement un test de pertinence
pour mieux maîtriser ses limites théoriques et sa portée pratique.
Cette évaluation critique devrait s'achever sur la formulation
d'une stratégie alternative à l'ajustement et qui tienne un meilleur
compte des options socialiste et démocratique de notre pays dont
il faut restaurer la flexibilité en vue d'élaborer des politiques économiques capables de réaliser un dosage réaliste des différents
instruments (fiscalité, budget, monnaie, répartition ... ) dans la
recherche permanente de l'efficience économique et de l'idéal
de justice sociale.
Au demeurant, cette contribution se place dans la ligne des
recherches de nouvelles alternatives économiques et sociales en
partant d'une expérience concrète de crise dans un pays sousdéveloppé, de su rc roÎt sahél ien et doté de ressou rces natu relies
limitées.
(1) Frank. Crise de l'idéologie et idéologie de la crise in • La crise. quelle
crise? Ed. F. Maspero, 1982, Collection • Textes à "appui. p 110-163.
13
Première partie
LA GESTION DU DEVELOPPEMENT
DE L'INDEPENDANCE A LA CRISE DES ANNEES 70
Comme pour la plupart des pays africains dès leur accession
à la souveraineté internationale, s'est posé au Sénégal l'incontournable problème du développement économique et social. Ce pays
nouvellement indépendant, économiquement arriéré, comptabilisait à son passif plus d'un siècle de domination coloniale directe.
C'est alors que se fondant sur une certaine "voie africaine du
socialisme" (1), les autorités politiques ont officiellement choisi
une stratégie de développement qui se voulait une alternative à
la fois au capitalisme libéral et au socialisme scientifique. Cependant, les bases de ce communautarisme négro-africain n'ayant
pas été clairement définies et identifiées afin de situer le rôle et
l'importance des différents agents économiques nationaux et plus
fondamentalement le mode d'appropriation des moyens de production, l'on assista à la reconduction pure et simple, voire au
renforcement de l'intégration des structures économiques du pays
- telles que modelées par l'économie coloniale - au marché
mondial.
Au plan du développement économique. le socialisme africain
met en place un modèle d'accumulation qui se fonde principalement sur la rente agricole et minière; il s'agit de prélèvements
opérés sur le secteur agricole et minier en vue de constituer des
surplus capables de financer de façon autonome le développement. Or, les ressources mobilisées, bien qu'elles aient été importantes, n'ont nullement permis une élevalion des forces produc-
15
tives matérielles et une allocation de facteurs favorable à la croissance économique. Depuis la décennie 1960, le taux de croissance
du P.I.B. est resté très modeste et s'est fixé à environ 2,30 % en
moyenne annuelle. Selon la Banque Mondiale, cela constitue le
taux le plus faible de tous les Etats africains épargnés par la
Guerre (2). Plus grave, le Sénégal n'a pas atteint en matière de
croissance, les modestes résultats de ses voisins sahéliens.
Cette phase critique du développement économique et social
qui se manifeste par les déséquilibres financiers et la crise de
liquidité procède, selon le diagnostic largement partagé de la
Banque Mondiale, de la conjugaison de quatre facteurs:
premièrement les déséquilibres financiers insoutenables dans
le secteur public et l'hypertrophie de ce secteur auxquels
viennent s'ajouter des faiblesses institutionnelles dans le
système de planification et de mise au point des politiques et
et rouages d'exécution;
deuxièmement l'incapacité à maintenir la croissance des exportations et des produits de substitution aux importations du fait
d'incitations inadéquates et d'interventions inefficaces tant
dans le secteur agricole que dans Je secteur industriel;
troisièmement le taux de rentabilité généralement faible des
investissements et par conséquent l'impossibilité de mobiliser
l'épargne publique nécessaire à l'amortissement, à la maintenance et à l'exploitation de ces immobilisations;
et quatrièmement, résultat des facteurs précédents, la situation déficitaire de la balance des paiements et les graves
difficultés du service de la dette auxquelles il n'a pas encore
été trouvé de solution durable (3).
Dans le secteur industriel, l'option d'une politique d'industrialisation substitutive à l'importation, juxtaposée à la création d' « enclaves industrielles» que constituent les exploitations minières,
n'a pas favorisé la mise en place d'un véritable tissu industriel
suffisamment intégré au reste de l'économie nationale et capable
de mettre en valeur les ressources de base.
Quant au secteur tertiaire, son hypertrophie anormale attestait
particulièrement de l'incapacité des deux premiers secteurs à
absorber efficacement le flux additionnel de main-d'œuvre qu'impliquaient la croissance démographique et l'explosion urbaine.
Dans le quaternaire enfin, si d'appréciables efforts ont été
réalisés en matière d'éducation, de formation et de santé, d'énormes besoins restent encore à satisfaire et seront de plus en plus
limités dans leur réalisation par les contraintes financières draconiennes que le pays subit présentement notamment du fait de la
persistance du déficit des finances publiques (4).
16
Toutes les caractéristiques défavorables ci-dessus énumérées
et amplifiées par le déréglement économique et monétaire international du début des années 70, précipiteront le Sénégal dans
un cycle interrompu des déficits et des déséquilibres de divers
ordres dont le caractère éminemment structurel commence à être
de mieux en mieux perçu,
" s'y ajoute que la permanence de tels déséquilibres économiques et financiers provoque tout au long des années 80 une
montée de la dette extérieure dont l'utilisation peu efficiente
conjuguée à un durcissement des conditions d'emprunt, posera
la double problématique de la crise de paiements et de solvabilité,
(1) L.S. Senghor' Liberté 2, Edition Présence Africaine, Sénégal.
(2) Banque Mondiale: Mémorandum économique, p. 2, 5 novembre 1984.
(3) Mémorandum économiqu/, op. cit., p. 23.
(4) Pour ce qui concerne l'Ecole qui faisait dire il René Dumont que. l'enfant
qui sort du primaire n'a été préparé qu'au secondaire, et n'a rien appris, ni pour
mieux travailler aux champs ou il l'atelier, ni pour mieux vivre au village. Il refuse
donc de travailler la terre·, elle doit être profondément repensée pour former
des jeunes capables de créer leur propre emploi et en conséquence de se prendre
en charge La Commission Nationale de Réforme des Enseignements et de la
Formation issue des Etats Généraux de l'Education a la mission de réaliser ces
objectifs.
17
Chapitre 1
LES STRUCTURES DE GESTION DU DEVELOPPEMENT
ECONOMIQUE ET SOCIAL
Section 1: L'ADMINISTRATION ECONOMIQUE ET LE SOCIALISME DEMOCRATIQUE
Au lendemain de l'indépendance du Sénégal, "agriculture
notamment vivrière était exsangue, le tissu industriel assez faible
et les activités tertiaires contrôlées pour l'essentiel par le capital
privé étranger. Les cadres nationaux étaient très peu nombreux
et les diverses infrastructures nettement insuffisantes. C'est alors
que l'immensité des tâches à accomplir, au regard de l'inexistence d'une véritable bourgeoisie nationale, amena les autorités à
« constitutionnaliser" la nécessité pour "Etat d'assurer et de promouvoir le développement économique et social. La planification
fut adoptée et des plans quadriennaux de développement furent
lancés. Mais voyons comment ces questions relatives aux fonctions de l'Etat se posent au Sénégal. L'étatisme est-il dans ce
pays une nécessité objective? Ou procède-t-il simplement d'un
dérapage que l'on peut corriger par un démantèlement de tous
les appareils politico-administratifs et technico-économiques mis
en place par l'Etat et qui lui servent de moyens d'action?
Le Sénégal est un excellent champ d'analyse:
d'abord du fait de son insertion assez forte dans la division
internationale du travail par le biais d'une monoproduction
arachidière :
19
ensuite à cause de l'option des responsables politiques au
moment de l'indépendance pour « une voie africaine du socialisme" considérée comme une alternative à la fois au capitalisme libéral et au socialisme scientifique. Ce cadre de référence fixe à l'Etat des tâches économiques importantes, qui
ont amené la constitution d'un vaste secteur public et parapublic.
L'Etat, dont la nature sociale n'était pas precisee, devait,
comme dans le capitalisme d'Etat, exercer des fonctions économiques qui ne remettraient en question ni l'intégration affective
au marché mondial, ni les relations capital-travail. En effet, la
stratégie de développement relevée dans les divers plans nationaux visait et vise la réalisation à moyen et long termes:
d'une économie nationale diversifiée qui s'appuie sur une
agriculture dynamique;
d'un tissu industriel pouvant satisfaire les besoins internes
mais aussi la demande régionale;
d'une amélioration du faible niveau de vie des masses laborieuses;
d'une répartition plus équitable du revenu national.
Pour les décideurs, comme pour les techniciens du plan, la
réalisation de tels objectifs ne pouvait dépendre ni d'un libre jeu
de forces internes du marché, ni de décisions individuelles car
les bases du capital national sont extrêmement restreintes. L'Etat
devait systématiquement intervenir en occupant les « hauteurs
dominantes» de l'économie c'est-à-dire les secteurs-clefs. Toutefois, le socialisme africain, dans sa version sénégalaise, est une
mixture empirico-théorique qui le rapproche des démarches
sociales-démocrates. Il part de l'idée que le capitalisme est absolument inapplicable et incapable de promouvoir 'e développement
dans des pays caractérisés par l'inexistence d'importants moyens
de production (donc d'une bourgeoisie nationale) et par la prédominance des activitées agricoles. Les formes privatives y sont
marginales. Dans le même ordre d'idées, on estime que ni les
conditions de la lutte des classes, ni celles d'une socialisation des
moyens de production ne sont réunies. Le socialisme scientifique
est de fait rejeté comme non conforme aux réalités socio-économiques. Le système à construire se doit alors d'allier l'efficacité
de la gestion capitaliste aux objectifs du socialisme qui se résument dans la recherche d'une pIUS grande justice sociale et dans
la disparition de toutes les formes d'exploitation de l'homme.
Dans la pratique économique, le socialisme africain empruntera
à la sociale-démocratie l'organisation de l'économie mixte qui est
un système où coexistent un secteur public et un secteur privé et
20
au sein duquel évoluent des éléments traditionnels et modernes.
Une telle forme d'organisation économique s'insère parfaitement
dans la problématique keynésienne de transformation de l'économie du laisser-faire en économie mixte, où l'Etat fait partie intégrante du jeu économique (1). Donc idéologiquement, les responsables politiques sénégalais étaient entièrement acquis à la création d'un vaste secteur économique public (2).
Les premières formulations théoriques des fondements du
socialisme sénégalais ont été réalisées par L.S. Senghor qui
militait pour une intervention limitée de l'Etat principalement dans
le secteur agricole, secteur dans lequel il ne remet pas en cause
les intérêts privés nationaux et surtout étrangers plutôt jugés
indispensables au développement. Car pour lui, cc il n'est pas
question de vivre dans le ghetto de l'autarcie... Les pays communistes, se sont ouverts aux capitaux, voire aux entrepreneurs des
pays capitalistes. Sans jamais exclure les étrangers (souligné par
les auteurs), il est question que progressivement, en avançant
pas à pas, nous sénégalisons une industrie qui est. par définition
sénégalaise» (3).
Toutefois, cette version qui a fini par s'imposer comme version
officielle n'a jamais été partagée par certains secteurs d'opinion
dont Mamadou Dia alors deuxième personnalité politique du
Pouvoir. Celui-ci observait que si l'Afrique voulait devenir moderne,
il lui fallait un Etat fort qui l'engageât dans la voie d'une transformation industrielle (4). Promu au rang de Président du Conseil,
il s'attela à mettre en place tout un programme économique où
"Etat était le principal acteur. De ce fait, M. Mamadou Dia devenait
le précurseur de l'intervention économique de j:Etat au Sénégal.
Son éviction du pouvoir en 1962, va se traduire par un recul,
pour un certain temps au moins, des entreprises et structures
étatiques.
Pourtant, tous les responsables politiques sénégalais étaient
convaincus que l'intervention de l'Etat était nécessaire pour éliminer le retard économique et édifier une économie nationale diversifée. Le pays avait hérité de la colonisation, une structure
économique totalement désarticulée et incapable de réaliser des
progrès importants. L'équipe de scientifiques qui a confectionné
le premier Plan National estimait que le renforcement du volet
économique de l'Etat était nécessaire pour la transformation de
la structure coloniale de l'économie ainsi que la refonte du tissu
industriel et la pleine utilisation des acquis de la révolution scientifique et technique. Les mesures suivantes avaient alors été
préconisées:
opérer les transformations structurelles de base de l'économie
coloniale;
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instaurer une nouvelle politique agraire plus conforme aux
besoins des populations;
refondre le système industriel qui était conçu pour un espace
qui a été totalement disloqué par les nouvelles indépendances;
mettre en place des infrastructures de base et d'accompagnement pour la promotion de l'économie régionale;
prendre en charge certains secteurs non rentables, cependant
indispensables pour le développement économique et social.
De telles tâches ne pouvaient être réalisées par la simple
utilisation de mesures législatives et réglementaires. Il fallait que
l'Etat disposât d'un secteur vaste comprenant un ensemble diversifié d'unités économiques capables de servir de levier de commande pour:
la définition et la promotion d'une nouvelle politique agraire;
la restructuration et la construction d'un nouvel appareil industriel permettant une valorisation effective des matières premières;
la découverte et la promotion de nouvelles activités productives pouvant faire l'objet d'une demande extérieure (5).
Ces tâches devraient se concrétiser dans des politiques sectorielles appropriées qui fixeraient avec précision les sphères
d'intervention respectives de l'Etat et de l'initiative privée.
Il importe de faire quelques observations préliminaires relatives
au secteur primaire afin de comprendre davantage les politiques
proposées. C'est au niveau de ce secteur que les analyses des
socialistes africains sont particulièrement pertinentes. En effet,
ils partent du constat que dans les pays africains à dominante
rurale, le monde paysan a conservé des normes communautaires
et collectives d'organisation et de travail qui empêchent l'apparition de formes privatives d'appropriation des instruments de
production. Ces modalités d'organisation encore vivaces empêchent toute différenciation sociale prononcée et conflictuelle par
suite d'une faible productivité, mais aussi d'une distraction du
surplus économique effectif.
Dans ces conditions, il est préférable d'étudier et de mettre
l'accent sur ces structures agraires communautaires pour bien
saisir leur mode de fonctionnement. L'étude des structures de
cette communauté rurale avait amené des auteurs à croire que
le Sénégal pouvait faire l'économie d'une étape capitaliste (6).
Les socialistes africains, les plus radicaux comme J. l\lyerere et
Kwamé Nkrumah, avaient alors tenté d'utiliser les formes et traditions communautaires dans le mouvement coopératif pour instaurer
un nouvel ordre social non capitaliste. Pour eux, la pratique du
22
socialisme commence dans le monde rural. Dans ce sens, L.S.
Senghor observe que «la révolution rurale par la coopération
exige d'abord des organismes d'appui, la transformation de leurs
propres mentalités (7). En clair, c'est par l'agriculture qu'il convient
de lancer les actions transformatrices en vue du développement
socialiste. Sur cette base vont alors se constituer des sociétés
d'intervention dans le monde rural avec plusieurs missions.
Dans la pratique cependant, l'ambiguïté qui caractérisa la
définition de la «voie africaine du socialisme sénégalais» ne
permit pas un net positionnement du modèle national qui se voulait original par rapport aux deux principaux systèmes socioéconomique qui se partageaient le monde. Un vaste secteur
économique public et parapublic fut créé qui comprenait des
sociétés nationales et d'économie mixte. L'Etat était le principal
architecte de l'édification économique et il devait en conséquence
occuper les «hauteurs dominantes» de l'économie avec pour
objectif d'élever substantiellement le niveau des forces productives, récupérer le surplus économique jusque-là accaparé par le
capital étranger, le réinvestir afin d'élargir la base de production
et enclencher ainsi un développement global soutenu et irréversible. La perspective était flatteuse, mais les résultats ne seront
pas à la hauteur des ambitions et des objectifs. Quantitativement,
le secteur parapublic en 1981-1982 représentait environ 20 %
du P.I.B., avec une valeur ajoutée qui se répartissait comme suit:
Tableau 1.1 : REPARTITION SECTORIELLE DE LA VALEUR AJOUTEE DES ENTREPRISES PUBLIQUES (1981-1982)
1
i
,
Secteurs
..
Secteur rural .. . , ...........
Energie, infrastructure, transports
Industries et mines ... . .... . . .. ......
Tourisme, habitat, médias, télécom ... .
Commerce et services divers
...
. . . . . . . . .. . .
Institutions financières
Total . .
. . . . . . . . .... . ... .....
'"
..1
....
..
• • • •
,
1
Valeur ajoutée
en millions
C.F.A.
1 734
23114
17015
19906
5902
13716
81387
En pourcentage
2,1
28,4
20,9
24,5
7.3
16,8
100
i
P.I.B. =
771,3 milliards de francs C.F.A.
En termes d'investissement, le secteur parapublic prend une
part importante (129,4 milliards en 1981) dans la F.B.C.F. et représente 40 % de celle-ci. Par ailleurs, J'investissement a augmenté
de 173 % entre 1977 et 1981 alors que la F.B.C.F. ne progressait
dans la même période que de 108 %. Cependant, si les entreprises
23
publiques sénégalaises dégageaient au milieu des années 70
des bénéfices, dans la période 1977-1980 elles connaissaient
surtout des pertes. En 1980, selon la S.M., 42 d'entre elles sur un
total de 68 étaient déficitaires.
De cette manière, le secteur public et parapublic pose des
problèmes sérieux d'évaluation et cela malgré son importance et
la nature du système social dans lequel il s'insère; de plus il
soulève des questions multiples de définition, de composition,
d'identification et de délimitation qui sont devenues de plus en
plus complexes par suite de l'élargissement permanent des frontières du secteur public et de son corollaire: l'accroissement de
son poids dans l'économie nationale.
L'extension du secteur public et prara-public du Sénégal s'est
constituée principalement dans la période allant de 1971 à 1976
pour des motivations:
-
idéologiques, pour réaliser la volonté politique d'édification
d'une société socialiste et démocratique capable d'instituer
une justice sociale;
économiques, liées à la nécessité pour l'Etat, en rapport avec
l'option idéologique de base, de contrôler les secteurs essentiels en vue d'une parfaite maîtrise de l'économie à travers
la principale source d'accumulation constituée notamment par
la rente d'origine agricole et minière;
sociales pour promouvoir les hommes d'affaires nationaux et
accroître l'emploi productif.
L'ensemble de ces raisons a alors conduit l'Etat sénégalais
à développer un important secteur public composé:
-
d'établissements publics à caractère administratif (E.P.A.);
d'établissements publics à caractère industriel et commercial
(E.P.I.C.) ;
de Sociétés d'économie mixte (SEM.).
Ces trois catégories d'entreprises ont des statuts différents;
c'est ce qu'explique le président Senghor devant le Conseil économique et social observant que « la seule raison d'une différence
de statut est généralement d'ordre historique, puisque, au cours
des années 1960, le cadre le plus couramment utilisé était celui
de l'établissement public alors qu'à partir de 1970, on a préféré
associer des partenaires privés et recourir à la formule de la
société d'économie mixte » (8).
La création de sociétés d'économie mixte selon le président
Senghor ne doit pas être faite au hasard, mais doit répondre à
des objectifs précis. « Ce statut doit correspondre d'une part à
une volonté de productivité et de rentabilité mais d'autre part,
24
à des projets d'entreprises motrices ou d'entraînement. Je songe
aux phosphates, au fer, au pétrole (9).
»
Toutefois, on observera que le processus de formation des
entreprises publiques s'est déroulé en trois étapes pour répondre
chaque fois à la réalisation d'objectifs socio-économiques retenus
par la planification nationale.
La première période de 1960-1972 voyait la constitution de
quatorze établissements et principalement six sociétés d'économie
mixte. L'action publique était alors hésitante et concernait principalement la prise en charge des grands services qui ne pouvaient
être assumés par l'initiative privée ou lui être abandonnés. Partout
dans les orientations de politique économique, les autorités conféraient à l'Etat des fonctions économiques importantes. Ainsi en
1961, le président du Conseil M. Mamadou Dia, insistait dans
son discours du 4 avril sur l'urgence d'opérer:
des réformes administratives devant aboutir à la mise en place
d'une structure démocratisée, à la promotion de cadres jeunes
et compétents et au découpage du pays en régions correspondant à des entités économiques bien définies;
des réformes économiques qui tourneraient autour de l'institutionnalisation de la coopération rurale, de la création d'une
banque sénégalaise de développement, de l'office de commercialisation agricole, des centres régionaux d'assistance pour
le développement.
Il s'agissait pour le Parti et son gouvernement de donner à
l'Etat le contrôle de certaines activités qui étaient jusqu'alors
exercées par les grandes maisons commerciales coloniales. Détenant le monopole d'achat et de vente de certains produits stratégiques, ces maisons étaient les véritables maîtres du jeu économique et perpétuaient l'économie de traite. La création des
coopératives rurales (décret 60-177 du 20 mai 1960), de la Banque
Sénégalaise de Développement (loi n° 60-011 du 13 janvier 1960),
de l'Office de Commercialisation Agricole (loi n° 60-012 du 13 janvier 1960), des Centres régionaux d'Assistance pour le Développement, C.R.A.D. (loi n° 60-013 du 13 janvier 1960) et des Centres
d'Expansion Rurale (C.E.R.) (loi n° 60-014 du 13 janvier 1960) devait
lancer un vaste et profond processus de contrôle par l'Etat des
circuits économiques vitaux pour le développement. Cette tendance
s'est poursuivie et renforcée.
La deuxième période consistant dans la constitution du secteur public et parapublic va de 1972 à 1977 et recouvre le quatrième
Plan de développement économique et social (1973-1977). Durant
cette période, le secteur public et parapublic s'est très rapide-
25
ment élargi selon la répartition suivante par nature et par secteur
d'activité.
Tableau 1.2: REPARTITION DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC PAR NATURE
D'ACTIVITE (1972-1976)
E.P.A.
E.P.I.C.
S.E.M.
Total
---------1972
,
1
1976 11972 :: 1976
1972.1 1976
1
1972
1
1976
.
1----;-,--:-1-:-'-1-
Gr~I~~:Se~ices.pu~1
Agriculture
....
Social
........
Information, culture,
média..
Ens e i g n e ment, Recherche
Commerce, Transport
1 ndustrie
Artisanat
Services et divers.
Banque, Crédit
..
Total
,
1
~
;
1
1
3
3,
2
1
7
2,
2
2
6
2
6
-
6
13
5
4
1
1
2
1
1
-
-
1
-
- ,
:
7
3
2
3
-
6
4
5
-
1
-
1
1
16
1
7
i
11
4
6
6
1
4
2
5
2
15
11
6
1
4
6
16
20
51
4
42
-
1
2
Source: Commission de vérification des comptes.
Ce tableau montre que le nombre des établissements publics
est resté relativement stable alors que les SEM. (Sociétés d'Economie Mixte) ont particulièrement augmenté passant de 20 à 51.
Dans le même temps, le portefeuille de l'Etat s'est présenté
comme suit en 1976 (voir tableau 1.3 page 27).
L'intervention de l'Etat s'élargit progressivement sous l'effet
d'une double volonté: d'abord de prise de contrôle de certaines
entreprises occupant une position-clé dans l'économfe nationale
et ensuite de redéfinition de nouvelles relations avec les pays
industrialisés dans un contexte de profonde crise de l'économie
mondiale.
Cette période a pourtant débuté avec une conjoncture mondiale
particulièrement favorable aux phosphates et à l'arachide dont
les cours s'étaient nettement améliorés. L'Etat est alors incité à
une prise de contrôle majoritaire dans ces deux activités principales de l'économie, pour récupérer une part plus substantielle
des recettes ainsi générées afin de financer certaines opérations
productives et diriger la politique d'expansion. La répartition des
26
Tableau 1.3: PORTEFEUILLE DE L'ETAT PAR SECTEUR D'ACTIVITE (1976)
1
1
Participations directes
Nombre
1
1 de sociétés
Secteurs
nationales
ou de S.E.M.
1 Agriculture
. . . . . . . . ..
....... 1
2 Industrie alimentaire
3 Industries extractives
4 Pétrole et chimie
5 Métaux et mécanique ...... .. .
6 Travaux publics
. . . . . . . . . . ... 1
7 Transport ... .
·.....
1
8 Aménagement et urbanisme ....
· . . . .. .
9 Services publics
10 Médias et communications ... . .
11 Tourisme
..... .
.....
12 Activités diverses
· . ....
13 Etablissements financiers ....... : 1
14 Distribution
.. . ..........
. ... :
Total
..
. . ... . . . . ....
6
18
14
12
12
7
8
7
3
4
14
21
8
2
136
,
..... '1
!
"
"
--
1
.
1
En millions
C.F.A.
En
pourcentage
2974
229
2991
581
56
149
559
784
2649
803
2196
160
4010
213
18354
79,1
8,6
49,5
13,8
6,1
32,9
19,2
79,7
88,3
66,4
49,2
19,7
52,5
39,6
46,6
1
1
1
,
Source: C.v.C.C.E.P.
investissements du quatrième Plan montre toute "importance de
ces engagements publics.
Tableau 1.4: REPARTITION DES INVESTISSEMENTS DU IV· PLAN PAR SECTEUR
(en milliards de francs C.F.A.)
1
Investissements
.
prives
1
1
Investissements
publics
Total
45,0
18,5
24,2
2,5
7,0
2,0
9,2
108,4
46,5
18,5
27,2
2,5
10,5
30,0
42,2
177,4
1
1
1
Rural
.. . ..... . .... . ...
Infrastructures
.. . . . ..... ' .
... . ...
Social
...... . ... .
Administration . . . . . . . . . . . . ..
Recherche ... . ... . .. . ...
Secteur secondaire
... -. ... 1
Tertiaire . .
...... ... . 1
Total
..... . ............ . .
1
1,5
-3,0
-
3,5
28,0
33,0
69,0
1
:
i1
1
Source: Quatrième Plan quadriennal de Dèveloppement Economique et Social,
M.PC.
Dans l'analyse sectorielle effectuée au chapitre Il, nous établissons dans le détail les différents sous-secteurs qui ont principalement bénéficié de ces investissements et mettons en évidence
leurs effets directs et indirects sur les secteurs correspondants.
27
La troisième période de constitution du secteur public et parapublic est celle couverte par le V' Plan (1977-1981). Cette période
est celle durant laquelle une pause va être observée à la suite:
de faillites remarquables de certaines grandes entreprises
publiques entraînant des conséquences financières et sociales
extrêmement néfastes;
de déficits financiers, conséquence d'une absence de règles
rigoureuses de bonne gestion, d'erreurs d'évaluation ou
d'incompétence de certains directeurs d'entreprises publiques.
Ces déficits ont largement contribué à grever les ressources
du Trésor Public;
de la crise profonde des finances publiques mettant l'Etat dans
"incapacité d'honorer ses dettes et engagements financiers
vis-à-vis de certaines entreprises;
de l'alourdissement du poids de la dette extérieure vis-à-vis
du système bancaire local.
Cette évolution de la constitution du secteur parapublic peut
se résumer par le tableau suivant:
Tableau 1.5: NOMBRE D'ENTREPRISES PAR SECTEUR
1
1962
1
1
1977
1972
1982
1
. . . . .. . .
Agriculture .. . ..... . ...
Industrie ..... . ......... . ........
Commerce et services .. . ... . ... . .
Institutions financières ............
Administration ... .
...........
Total ....... . . . . . . . . . . . . . . . . ......
4
4
1
1
la
2
1
21
,1
1
1
8
9
26
5
2
50
1
1
1
1
9
la
17
43
6
8
17
42
7
83
1
la
86
1
Source: Commission de vèrification: rapport général sur la gestion des entreprises publiques.
Un recoupement de divers discours prononcés devant le
Conseil Economique et Social (10) permet de relever six raisons
majeures qui ont motivé cette intervention progressive de l'Etat
dans l'activité économique:
un meilleur contrôle des grands services publics;
une main mise sur les secteurs-clés de l'économie, notamment
sur les ressou rces génératrices de devises. Cela correspond
à une volonté de contrôler les sources d'accumulation pour le
financement du développement;
28
une volonté de disposer d'instruments d'action opérants pour
l'élaboration d'une stratégie de développement sectorielle
appropriée aux objectifs retenus par les plans;
une volonté de contrôler et de promouvoir certains projets
qui n'intéressent pas le secteur privé et qui, pourtant, demeurent indispensables au soutien de l'économie nationale;
une main-mise sur certains établissements monétaires et financiers pour mieux orienter le crédit et sa répartition;
un contrôle des secteurs de commercialisation, surtout des
denrées de première nécessité.
Les résultats attendus de toute cette intervention se réduisaient principalement à l'amélioration de l'emploi (préoccupation
majeure d'un pays sous-développé) et des finances publiques.
Mais le secteur public a-t-il effectivement atteint ses objectifs?
Quelles ont été les performances enregistrées et surtout à quels
coûts?
Pour les institutions monétaires et financières qui ont aidé à
initier le Plan de Redressement Economique et Financier, le secteur public hypertrophié est un handicap. Selon la Banque Mondiale, « à partir d'un excédent global en 1977-1978 et 1978-1979, le
revenu net du secteur parapublic a décliné rapidement pour devenir
lourdement déficitaire et les pertes globales d'exploitation de l'Etat
provenant du budget de fonctionnement se sont élevées de
7 milliards en 1977-1978 à 19,8 milliards en 1981-1982 représentant pour cette même année 13 % du budget de fonctionnement
et 40 % du déficit du secteur» (11).
Ces subventions de l'Etat au secteur parapublic et sur lesquelles nous reviendrons ont évolué comme suit en milliards de
F C.F.A.:
Tableau 1.6: EVOLUTION DES SUBVENTIONS
PUBLIC ET PARA-PUBLIC (1977-1982)
DE
L'ETAT AUX
SECTEURS
1977·1978 1978-197911979-1980 1980-1981 [1981-1982
:
1
Sociétés bénéficiaires, ' "
+ 16,91 + 18,51 1 + 14,00 + 5,49
Sociétés déficitaires
",' 10,76 10,94 - 47'051- 25,23
Position du secteur
+ 6.15 + 7.57 - 33.05 - 19,74
Subvention d'exploitation '1
6,99 ,
7,65 ,
8,48
15,39
+
-
Il,04
28,18
17,14
19,71
Pour mémoire
Nombre
de
sociétés
en:
35
31
35
40
37
Source: Banque Mondiale: Sénégal, mémorandum économique de novembre 1984,
p. 62,
29
Au vu de ces résultats, les entreprises publiques sont rendues
responsables d'une part importante du déficit des finances publiques et sont réputées n'avoir pas significativement contribué à
l'accroissement des ressources, à l'élévation des forces productives et à la croissance économique.
Pourtant ces jugements sont, sur beaucoup d'aspects, quelque
peu hâtifs car bien souvent, les entreprises publiques ont des
objectifs hybrides et contradictoires qui permettent très difficilement d'évaluer leurs performances effectives. Dans les stratégies
nationales de développement, on veut à la fois que les entreprises
publiques réalisent des profits maximums, contribuent à la résorption du chômage et appliquent un système de prix administrés
tout à fait incompatible avec la rentabilité micro-économique. Ne
s'en tenant qu'aux déficits et aux subventions publics et ignorant
toutes les contraintes qui pèsent sur la gestion des entreprises
publiques, on a conclu que l'administration économique ne possède
aucune efficacité et n'arrive pas à assurer des fonctions positives
dans la croissance d'ensemble et dans la réalisation des principaux objectifs économiques et sociaux.
Une autre approche était alors envisagée autour du désengagement de l'Etat, de la responsabilisation directe des agents
économiques privés et de la décentralisation de la gestion du
développement, avec l'objectif de transférer l'initiative à la base.
Section 2: LA REFORME ADMINISTRATIVE TERRITORIALE ET
LOCALE ET LA NOTION DE DEVELOPPEMENT A LA BASE
Très tôt, les responsables politiques sénégalais ont compris
qu'aucun programme de développement économique et social ne
pouvait être mené à terme sans la participation de ceux-là mêmes
qui en étaient les principaux bénéficiaires et qui devaient en être
aussi les promoteurs et les réalisateurs. Les pouvoirs publics se
sont alors attelés à créer les conditions d'une participation en
place des structures que sont les communes et les communautés
rurales.
Si la création des communautés rurales remonte à l'indépendance (loi du 13 janvier 1960), il faudra attendre la loi 72-25 du
19 avril 1972 pour voir les communautés rurales réorganisées dans
le sens d'une participation effective au développement par la
prise en charge de certaines opérations d'investissements.
La communauté rurale étant une personne morale de droit
public, elle jouit de l'autonomie financière. Constituée par un
certain nombre de villages appartenant au même terroir et unie
30
par une solidarité résultant de l'ethnie ou du simple vOIsinage,
la communauté rurale regroupe en conséquence des populations
possédant des intérêts communs et capables de trouver les
ressources nécessaires à leur développement.
Dès lors, il apparaissait cla;rement que si le Sénégal voulait
impulser un développement durable, il devait compter de façon
croissante sur les ressources internes, la disponibilité de l'épargne extérieure n'étant ni permanente, ni gratuite. Une mobilisation
plus intense et une allocation plus efficiente des ressources
s'imposaient déjà comme une des premières priorités en matière
de politique. C'est pourquoi les pouvoirs publics devraient effectuer le transfert direct aux populations de certaines dépenses de
développement prise en charge jusqu'alors par le budget national.
Il s'agissait là d'une réponse appropriée à la nécessité de dégager
davantage de moyens internes à consacrer aux dépenses stratégiques. La réforme administrative et territoriale de 1972 était
conçue comme un instrument de décentralisation du financement
du développement. Elle devait permettre une redistribution des
activités économiques et des dépenses entre l'Etat central et les
populations, afin d'amener celles-ci « à prendre en charge ellesmêmes certaines actions de développement» à travers des structures spécifiques.
Cependant, après près de deux décennies de fonctionnement,
les communes et les communautés rurales se caractérisent toujours par une incapacité juridique certaine, qui apparaît dans la
triple tutelle politique, technique et financière et dans leur dépendance de plus en plus croissante vis-à-vis de l'Etat qui continue
de les subventionner et de leur allouer des fonds de concours.
L'autonomie administrative, base de la décentralisation, semble
alors partiellement compromise. De plus, quand on examine de
plus près le rôle assigné aux communautés rurales (C.R) on
constate, à l'évidence, le désir de maintenir le statu quo social
et l'idée de faire de la C.R. une unité de commandement et un
échelon intermédiaire d'autorité.
Par ailleurs, les communautés rurales révèlent aussi des insuffisar.ces dans le contexte d'une politique effective d'association
et de responsabilisation dans le processus de développement.
Ces insuffisances prccèdent d'un ensemble de facteurs dont les
plus significatifs sont:
1) La fragilité des supports économiques et surtout l'inadaptation du système coopératif
En effet, le système coopératif a été institué par un décret
du 20 mai 1960 portant statut de la coopération rurale. Il a fallu
attendre la loi du 28 janvier 1983 pour voir ce décret abrogé et
31
remplacé. Seulement, les bouleversements apportés sont très
peu profonds. La création des coopératives reste toujours une
faculté individuelle et l'adhésion n'est pas non plus obligatoire.
Le système coopératif demeure alors un système particulièrement
libéral qui va difficilement se concilier avec la socialisation
qu'impose une stratégie de développement non capitaliste. Par
ailleurs, l'Etat par le biais de l'O.N.C.A.D., a exercé une tutelle
inappropriée, lourde et inefficace (tenue de comptabilité, contrôle
des comptes, conseil en gestion, commercialisation). Les réaménagements introduits par la loi du 28 janvier 1983 n'ont point
corrigé toutes les faiblesses soulignées. Dès lors, un tel mouvement coopératif ne peut être un support véritable à une communauté rurale solide et homogène.
2) La mauvaise exploitation de la loi sur le domaine nationale
(L.O.N.)
L'absence d'une exploitation judicieuse de la loi sur le domaine
national de 1964, dans un sens auto-gestionnaire, n'a pas permis
de transférer dans les faits la terre aux producteurs directs (les
paysans) en vue d'une exploitation rationnelle et collective. Théoriquement, par la L.D.N., la volonté des pouvoirs publics était de
parvenir à intéresser les paysans au regroupement et au sens
de l'initiative. Mais dans la pratique, elle était loin d'être ainsi
perçue par les paysans qui, sous le poids du dirigisme et de la
tutelle de l'Etat, ont fini par croire que les structures de participation ne sont en fait que de nouveaux maillons d'une administration omnipotente et tentaculaire. Finalement, on peut retenir
que la réforme de 1964, bien que révolutionnaire, n'a pas entièrement profité à ceux à qui elle était destinée à savoir les masses
paysannes.
3)
La non autonomisation effective des communautés rurales
En effet, contrainement à l'esprit de la réforme, les communautés rurales ne sont pas devenues des entités autonomes; or
les décisions devraient être décentralisées pour permettre aux
paysans de participer aux discussions à tous les niveaux, à la
formation, à la gestion, à l'exécution et au contrôle.
Si des corrections véritables de trajectoires sont apportées,
les communautés rurales doivent être en mesure de ranimer
l'enthousiasme émoussé des populations rurales en leur proposant
la libre gestion de leur environnement sous la direction allégée
de l'Etat dans un cadre rénové, souple et autonome.
Il faut observer enfin que les ressources des communautés
rurales, leur origine et leur destination ne relèvent pas de la
logique auto-gestionnaire. La communauté rurale ne peut atteindre
32
ses objectifs que dans la mesure où les moyens matériels, humains
et financiers existent effectivement et surtout s'ils sont rationnellement utilisés pour des projets ayant un impact réel sur le
développement de l'ensemble de la communauté.
A l'expérience, il se révèle que les budgets des communautés
rurales sont essentiellement des budgets d'investissements dont
le principal objet est de réaliser des ouvrages à caractère social.
C'est ainsi que la priorité est souvent donnée à la construction
d'écoles, de maternités et de pharmacies villageoises, de cases
de santé, de maisons communautaires, de puits, etc. De ce fait,
les communautés rurales peuvent soulager le budget national et
prendre le relai de l'Etat pour certaines dépenses sociales.
Cependant, l'étude de la situation financière des communautés
rurales édifie sur la nature des mesures à prendre pour sauver
la réforme et la concilier avec ses objectifs initiaux. L'accroissement du potentiel financier des C.R. est une action prioritaire
à mener. Il faut se rendre à l'évidence et reconnaître que la taxe
rurale ne peut pas continuer à être la principale ressource de la
communauté. Par ailleurs, les paysans accablés par les effets
de la sécheresse et la diminution substantielle des ristournes
distribuées, éprouvent de plus en plus de difficultés à s'acquitter
de l'impôt. La voie à suivre réside alors dans la promotion et le
développement d'activités productives susceptibles d'augmenter
à moyen et long termes les ressources financières des communautés. De même, doivent jouer les mécanismes de péréquation
entre les communautés aux potentiels économiques et financiers
inégaux. De la sorte pourra s'organiser une réelle solidarité économique nationale et régionale et une répartition quelque peu équitable des ressources du pays.
La génération de ressources procède de l'efficacité des politiques sectorielles mises en place et qui doivent ensemble
permettre:
l'élevation des forces productives matérielles et humaines par
l'entretien d'un processus ininterrompu de croissance économique;
l'édification d'une économie nationale indépendante et capable
d'autonomie vis-à-vis du système mondial;
l'amélioration du niveau de vie des populations.
Il importe alors d'analyser les performances de chaque grand
secteur pour cerner son apport dans le développement économique. Comme l'observe le ministère du Plan, « tout développement passe nécessairement par un processus d'accumulation
du capital animé par des activités endogènes à hauts coefficients
de valeur ajoutée et d'emplois» (12).
33
(1) Deux auteurs ont particulièrement bien cerné cette problématique de
l'économie mixte à laquelle d'ailleurs nous adhérons avec cependant de légères
nuances; il s'agit de :
- Ignacy Sachs: Pour une économie politique du développement, éd. Flammarion Nouvelle bibliothèque scientifique, 1977, 307 p
- Paul Mattik: Marx et Keynes: Les limites de l'économie mixte, éd. Gallimard, 1972, 439 p.
Les possibilités d'une économie mixte n'ont pas été très franchement exploitées au plan théorique et pratique. C'est seulement maintenant que l'on commence
à s'intéresser à la question à la suite des déficiences observées dans la socialisation de tous les moyens de production des p.ays socialistes et qui soulève
beaucoup de problèmes comme l'inefficacité du secteur socialiste et son dèficit
systématique. La théorie s'élabore avec les deux ouvrages cités plus haut auxquels
s'ajoute le remarquable travail de Ota Sik : La troisiéme voie de la théorie marxisteléniniste et la société industrielle moderne, éd. Gallimard, 1974.
(2) Léopold Sédar Senghor a fait un effort de théoris.atlon de cette nécessité
de l'intervention de l'Etal. Il a, depuis 1945, développé les axes d'une conception
du socialisme qui est • moins, dit-il, une doctrine qu'une méthode d'action. Elle
a pour but de développer l'homme dans tous les domaines, en se basant sur deux
principes majeurs: la rationalité et la justice sociale •. Ces idées sont développées
dans: • Théorie et pratique du socialisme sénégalais". G.I.A., Dakar.
(3) L.S. Senghor: Pour une société sénégalaise socialiste et démocratique.
Congrès de l'U.P.S. 27 au 29-12-1976. p. 109.
(4) Mamadou Dia: Réflexions sur l'économie de l'Afrique Noire, éd. Présence
Africaine, 1960, p. 64.
(5) C'est pour cette raison que le président A. Diouf a réaffirmé avec force
qu'il n'acceptera jamais. que l'on impute à l'Etat l'origine de tous nos maux, ce
serait injuste. stupide et faux·.
(6) On a eu tendance, assez longtemps, à oublier que les populistes Russes
avaient énormément théorisé sur les destinées de la Commune Rurale. C'est le
cas notamment de Tchernychewski. Marx a eu à s'occuper théoriquement de la
question quand il note dans • les correspondances avec Engels. que la dualité
de la communauté rurale • offre l'alternative suivante: ou bien le principe de
propriété l'emporte sur le principe collectif, ou bien ce dernier l'emporte sur le
premier. Tout dépend du milieu historique dans lequel elle évolue •. Marx répondra
(dans le Manisfeste) que • la seule réponse que l'on puisse faire aujourd'hui à
cette question est la suivante: si la révolution russe donne le signal d'une révolution ouvrière en Occident et que toutes deux se complètent, la propriété commune
actuellement de la Russie pourra servir de point de départ à une évolution communiste·. En clair, pour Marx comme pour certains théoriciens du socialisme
africain - la communauté rurale peut devenir le point de départ d'un développement non capitaliste et de la construction du socialisme
(7) L.S. Senghor: op cil., p. 105.
(8) Président L.S. Senghor devant le Conseil Economique et Social en 1977.
(9) Idem.
(10) L'ouverture de la Session du Conseil Economique et Social est loujours
le moment que choisit le président de la République pour procéder à une analyse
exhaustive de la situation économique et tracer les grandes orientations et options
en matière économique et sociale.
(11) Banque Mondiale: Mémorandum économique, nov. 1984.
(12) Document préparé par P. Jacquemot en direction de l'élaboration de la
partie méthodologique du vue Plan, M.P.C
34
Chapitre Il
LE POLITIQUES SECTORIELLES
Au cours de la période allant de 1959 à la crise des années 70,
la croissance du P.I.B. (Produit intérieur brut) a été relativement
lente et a accusé un rythme moyen annuel de près de 2,2 %
à prix constants (1971) soit de 6,4 % à prix courants (1). On notera
cependant une inflexion de la tendance à partir de 1973 avec une
accélération de la croissance dont le taux moyen va passer ainsi
à 3 % entre 1973 et 1979. Ce dernier taux correspondant sensiblement au taux de croissance de la population (2,9 %) ce qui
signifie une quasi-stagnation du P.I.B. par tête au cours de cette
période. Il est évalué, en 1980, à 91 331 F C.F.A.
On explique essentiellement la faiblesse de cette croissance
économique par quatre facteurs (2) :
1) La non-maîtrise de l'eau qui a rendu l'économie très vulné·
rable à la pluviosité
En effet, l'agriculture sénégalaise est tributaire des variations
climatiques qui conditionnent la production et les rendements.
Les recherches menées par J.E. Stiglitz établissent que « le coefficient de variation des rendements de l'arachide et du mil, au
cours de la période 1947-1980, a été légèrement supérieur à 0.8.
Cet écart établit l'ampleur du risque que représente le fléchissement de la production,> (3). Or, à partir de 1968, le pays va
connaître de façon ininterrompue une série d'années de sécheresse dont l'incidence a été un écroulement de la production
agricole et, dans une moindre mesure, de la production indus-
35
trielle. Les relevés des années climatologiques disponibles
montrent une dégradation permanente des conditions climatiques
entraînant des conséquences négatives sur les productions agricoles et les rendements. Globalement, dans la période qui va de
1961 à 1983, les pluies ont été trois fois supérieures à 800 mm
et onze fois inférieures à 600 mm, soit trois années de production normale en quelque vingt-trois années.
2) La croissance économique des pays de l'O.C.D.E., principaux partenaires du Sénégal, n'a été de 1974 à 1980 que de 2,2 %
par an ; elle a été estimée à 0,3 % seulement en 1980, ce qui a
réduit sensiblement leur demande de biens primaires. Cette
conjoncture dépressive a été amplifiée par un taux d'inflation de
près de 10 % par an et a eu pour corollaire une faiblesse de la
part de l'aide publique de ces pays leur P.N.B. (Produit national brut) qui se situe aux environs de 0,34 %.
3) La faiblesse de la productivité des investissements qui est
essentiellement due à leur orientation vers les secteurs non directement productifs, c'est-à-dire à rentabilité différée.
4) Les termes de l'échange continuent depuis des décennies
à se dégrader. Les cours mondiaux de l'arachide ne se sont
améliorés en vingt-trois ans que seulement quatre fois: en 1974,
1978, 1981 et 1984.
La structure de la P.I.B.E. traduit non seulement la répartition
sectorielle des activités productives, mais également les principaux foyers d'accumulation devant animer l'ensemble du système
économique.
Ainsi, on observe que la P.I.B.E. s'est accrue à un rythme moyen
annuel sensiblement parallèle à celui du P.I.B. (4); les salaires
versés par les administrations n'ayant augmenté en moyenne
que de 1,52 % par an et ceux versés par les ménages ayant accusé
une stagnation sur presque toute la période. Sa structure (en
francs constants) s'est très peu modifiée, comme le montre le
tableau ci-après:
Tableau 2.1 : STRUCTURE LE LA P.I.B.E. (en pourcentages)
Secteurs
le' Plan
(60-65)
Il" Plan
(65-69)
1"" Plan
(69.73)
IV· Plan
(73-77)
V" Plan
(77-81)
Secteur primaire ..... , ' .
Secteur secondaire ......
Secteur tertiaire ........
Total .. . ..............
29,1
21,5
49,4
100
30,0
22,7
47.3
100
26,7
24,5
48,8
100
28,4
26,2
45,4
100
28,1
26,5
43,4
100
Source; Du ,.. au V· Plans de développement économique et social, M.P.C.
36
Section 1 : LE SECTEUR PRIMAIRE COMME PREMIER FOYER
D'ACCUMULATION PRODUCTIVE: DECLIN DE L'ECONOMIE
ARACHIDIERE ET CRISE AGRICOLE
De 1960 à la fin des années 70, l'agriculture occupe 70 %
de la population active et représente 28 % de la production intérieure brute. L'arachide est la principale pôle d'accumulation dans
le secteur primaire.
Dans sa thèse intitulée « les Paysans du Sénégal ", Paul Pelissier observe que «depuis 1840, date de la première expédition
arachidière en direction de la France, jusqu'à nos jours, l'intégration de la paysannerie dans une économie de marché s'est
opérée sous la pression de cet unique facteur, le développement
de la culture de l'arachide" (5).
Toutes les interventions de l'administration coloniale dans
le domaine économique, de l'équipement du système de transport
à l'organisation détaillée de la distribution des semences et de
la collecte de la récolte, toutes les impulsions qu'elle a données
de manière autoritaire ou libérale à la mise en valeur du pays
ont été commandées par le souci primordial de répandre la culture
de rente.
Toute l'implantation du réseau des grandes maisons de commerce comme de celui des traitants libano-syriens ou sénégalais
a été mis au service de son évacuation et de la répartition des
produits manufacturés qu'elle suscitait en retour et dont elle
permet encore aujourd'hui la distribution. Tous les moyens financiers accordés à la recherche agronomique ont été conditionnés
par son orientation préférentielle et longtemps exclusive vers la
sélection de lignes d'arachides adaptées aux différentes zones
climatiques et hautement productives en gousses et en huile.
Il ressort donc des recherches de Paul Pelissier que la véritable ubiquité de l'arachide dans les campagnes sénégalaises
résulte fondamentalement du choix de l'économie coloniale et de
toutes les formes de pression exercées depuis un siècle sur les
producteurs aussi bien par l'administration que par les organismes
para-étatiques et tout l'appareil de commerce et des affaires.
Mais elle n'a été rendue possible que parce que la graine a trouvé
au Sénégal un ensemble de conditions naturelles, techniques et
historiques autorisant son insertion dans les systèmes de production traditionnels, soit par intégration aux rotations culturales
préexistantes. soit par juxtaposition aux terroirs exploités en
économie de subsistance.
Sous plusieurs rapports. l'arachide se comporte comme un
secteur de croissance primaire qui impulse et régente toute la
vie économique et sociale du Sénégal. En effet, elle occupe une
place centrale:
37
1)
Au regard de la population rurale occupée:
Tableau 2.2: REPARTITION DE LA POPULATION (1960-1979)
Variations
1960-1961
1978
1979
1976/1961 1979/1976
Population urbaine ......
686600
Population rurale ..
.. 2423400
Population totale ..... .. 3110000
Part de population rurale
dans le totale ........
77,9%
1505000 1 652305
3580000 3855788
5085 000 5508093
70,4 %
119,0%
47,7%
63,5%
9,8%
7,7%
8,3%
70 %
Î
Source: M.P.C., divers plans de développement.
Les activités agricoles, notamment celles relatives à la production arachidière occupent au moins 70 % de la population totale.
Si l'on tient compte des mouvements migratoires temporaires
vers les villes, la population rurale et sa progression dépassent
probablement les normes ci-dessus indiquées.
2)
Quant aux superficies cultivées
Tableau 2.3: REPARTITION DES SURFACES CULTIVEES (en milliers d'hectares)
1
Superficies cultivées ... . ........ . . . . . . . . . .
Superficies occupées par l'arachide ........
Superficies occupées par les autres cultures
Part superficies de l'arachide dans total
superficies cultivées ...... , ... .........
1976-1977
1979
2600
1340
1260
2502
1 154
1348
51,5%
46,1
%
Source: M.P.C., divers plans de développement.
Ainsi, jusqu'à la fin des années 70, l'arachide occupait encore
environ la moitié des surperficies cultivées.
3) Au niveau du financement
tion de la Banque Centrale
(6)
mis en œuvre et de l'interven-
Globalement, les concours bancaires en faveur de l'ONCAD (7),
et qui représentent du reste une part relativement importante
38
dans le total des crédits bancaires recensés (8) à la centrale des
risques, sont affectés à la commercialisation des différents produits agricoles notamment l'arachide et au financement du programme agricole.
Tableau 2.4: EVOLUTION DES CONCOURS
1971-1980 (en milliards de francs C.F.A.)
11971
1972
-.
1-=-
Crédits O.N.C.A.O. ........ 4.2
15,6
6.9
(2,7)
Dont commercialisation ...... (0,5)
(6,4)
Programme agricole ........ (3,7)
(4,2)
(9,2)
Total crédits bancaires ...... 35,0
47,5
63,3
Part crédits D.N.C.A.D. dans
total des crédits bancaires 12 'la 14,5 '10 24,7 'la
1974
BANCAIRES
1975
1976
1977
A
L'O.N.C.A.D.:
1978
1979
1980
-- -- -- -28,2
(16,7)
(11,5)
88,2
35,5
38,7
38,5
(12,5) (11,0) (17,4)
(23.0) (27,7) (21,1)
104.6 114,2 132,2
51,9
65,9
53,5
(15,9) (24,4) (38,6)
(37,6) (27,5) (27,3)
179,8 214,0 243,2
32 'la 33,9 'la 33,9 'la 29,1 'la 29,8 'la 24,3 % 27,1%
Source: Banque Mondiale: Sénégal Mémorandum économique, novembre 1984.
De 1971 à 1976, la part des crédits bancaires recensés en
faveur de l'O.N.C.A,D. a progressé. La baisse relative de cette
part après 1976 semble liée à celle de sa production commercialisée de l'arachide. Il s'ensuit que la commercialisation des
produits arachidiers et la mise en place du programme arachidier
relatif à l'acquisition des facteurs de production (engrais, semences...) ont bénéficié de beaucoup plus de crédits bancaires
distribués.
Au regard des règles d'intervention de la Banque Centrale
des Etats de l'Afrique de l'Ouest, les crédits de campagne sont
refinancés hors plafond.
A ce titre, l'évolution du refinancement des crédits de campagne par la Banque Centrale s'est présentée comme suit:
Tableau 2.5: REFINANCEMENT
(en milliards de francs C.F.A.)
DES
CREDITS
Mars
1976
Mars
1977
DE
CAMPAGNE:
Mars
1978
Mars
1979
1976-1981
Mars
1980
Mars
1981
- - -- -- - - -- -Refinancement crédits de campagne
. . . . . . 34,8
41,2
par Banque Centrale
28,3
19,4
47,3
28,6
Total crédits (9) refinancés par la
53,3
90,6
112,6
Banque Centrale .............. 61,1
63,3
94,0
Pourcentage crédits de campagne
refinancésjtota/ crédits refinancés
par la Banque Centrale ........ 54,3 % 44,7 % 50,3% 50,3 % 45,5% 25,4 %
Source; B.C.E.A.O.
39
Les crédits de stockage et de commercialisation de produits
arachidiers refinancés par la Banque Centrale ont pu représenter
43 % en moyenne au cours de la période sous revue.
4) Pour la place qu'occupe l'arachide dans la valeur de la production agricole.
Tableau 2.6. PART DE L'ARACHIDE DANS
1975--1979 (en milliards de francs C.F.A.)
LA
PRODUCTION
AGRICOLE:
1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979
Valeur production agricole ........
Valeur production arachidière ......
Part valeur production arachidière
dans production agricole totale
48,9
81,6
51,1
44,5
21,0
84,7
43,6
64%
63%
48%
52%
77,4
Source: D.G.P.A.
Au cours de la période considérée, la valeur relative de l'arachide a constamment diminué (sauf en 1979) dans la production
agricole totale. Cette évolution est en nette rupture avec la tendance antérieurement observée et pourrait s'expliquer, entre
autres facteurs, par l'effort de diversification des productions
opéré à partir de 1975, bien que l'influence de facteurs conjoncturels (conditions climatiques en particulier) n'ait pas été négligeable.
5) En ce qui concerne l'importance relative de l'arachide dans
les recettes d'exportation
Tableau 2.7: EXPORTATIONS D'ARACHIDES: 1976-1978 (en milliards de F C.F.A.)
1976
Total des exportations de produits arachidiers ..
Total des exportations tous produits ..
Pourcentage ....... .... . ..... ..... .
Source: D.G.PA
40
64,5
, 15,9
56%
,
1
1977
1978
75,5
152,9
50%
23,5
95,3
25%
6)
Au niveau des revenus distribués dans le monde rural
Tableau 2.8: EVOLUTION DES
de francs C.F.A.)
REVENUS
RURAUX:
Il)
.....
0>
..;.
.....
~
Revenu monétaire direct - ... ...... ..... . 30,3
Amortissement dettes B.ND.S. ......
1,2
Prime à l'ensemencement
......
Aide en espèces .. . .............. . ...
Ristourne exceptionnelle ... . , ... ... . . ...
Autoconsommation (èvaluation monétaire) et
. ..........
ventes parallèles ...
2,2
Revenu total .... . ...... . ....... .... .
33,7
Dont versé aux producteurs ......... 30,3
-
1974-1979 (en
CD
.....
0>
.n.....
0>
.....
.....
co
.....
0>
0>
rD
.....
,..:.
.....
ID
.....
17,7
---
29,0
2,4
1,6
19,3
17,7
5,6
37,0
29,0
0>
1
~
-- -46,1
2,0
-
32,4
2,4
-
-
-
2,5
50,6
46,1
2,7
37,5
32,4
-
milliards
-
~
0>
.....
~
---
Source: B.C.E.A.O.
Par le truchement de l'arachide, les activités du monde rural
se trouvent ainsi intégrées dans l'économie marchande.
7)
Sur le plan des recettes fiscales
En 1979, les dépenses de fonctionnement de l'Etat se chiffraient à 100,5 milliards de F C.F.A. Les recettes fiscales et parafiscales à l'exportation des produits arachidiers qui s'établissent
à 4,3 milliards à cette date financent 4,2 % des dépenses de
fonctionnement.
En définitive, il ressort de ces différentes statistiques que
l'influence de la culture arachidière est forte sur l'économie
sénégalaise. Aussi, tout phénomène économique ou d'ordre climatique qui affecte la production ou la commercialisation des
produits arachidiers porte des préjudices graves à l'économie
du pays.
Or, l'analyse de la production arachidière dans la période de
1960-1970 révèle une évolution erratique liée notamment aux
facteurs suivants:
a)
Des conditions climatiques désastreuses
En effet, situé entre le 1" et le 17" ouest (longitude), le 18" et
le 24" nord (latitude 0), le Sénégal est tout entier compris dans la
zone de climat tropical à longue saison sèche qui ceinture le
41
continent africain depuis les lisières méridionales du Sahara
jusqu'aux approches de la forêt ombrophile. La conséquence
fondamentale de sa situation en latitude est que l'activité agricole
y est exclusivement conditionnée par les précipitations et que
ces dernières sont bloquées sur une unique saison pluvieuse. Les
données climatologiques disponibles montrent une dégradation
quasi-permanente des conditions climatiques entraînant des
conséquences négatives sur les productions et les rendements
agricoles. Ainsi, dans la période 1961 à 1983, les pluies ont été
trois fois supérieures à 800 mm et onze fois inférieures à 600 mm,
soit trois années de production agricole normale en quelques
vingt-trois années. D'ailleurs, dans la même période les conditions économiques et financières se sont à leur tour largement
détériorées avec une baisse des cours mondiaux de l'arachide
(le prix de la tonne a varié entre 1 007 dollards et 271) ; les cours
de l'huile d'arachide ne se sont améliorés dans cette période
de vingt-trois années que quatre fois: en 1974, 1978, 1981 et
1984. A cet égards, la sécheresse de la campagne 1979-1980 a
été particulièrement désastreuse pour la production arachidière.
En effet, contre une prévision de 800 000 tonnes, la récolte enregistrée n'a guère dépassé 388 000 tonnes.
En fait, quatre phases ont influencé la production arachidière :
• 1960-1968, phase de pluviométrie. La valeur ajoutée agricole
évolue à un taux de 5 % par an, supérieur à celui de la production
intérieure brute (4,2 %) ; la productivité par actif rural connait
une croissance annuelle de 2,7 %. Sous l'effet de l'équipement
du monde rural, les superficies cultivées ont augmenté de 4,8 %
et la consommation d'engrais a triplé en six ans;
• 1969-1973, une série de sécheresse perturbe le système
agricole et se traduit par une réduction des surfaces cultivées de
2,6 à 2,3 millions d'hectares;
• 1974-1977 (Ive Plan), sous l'action d'un retour à des conditions climatiques normales, le secteur arachidier opère un redressement. Cette période a connu la meilleure production arachidière
jamais enregistrée; 1 500 000 tonnes;
• 1978-1980, période coïncidant avec les trois premières années
de V· Plan. Les conditions climatiques défavorables qui caractérisent ce plan ont provoqué une détérioration de la production
arachidière : sécheresse exceptionnelle de la campagne 1977-1978
qui a ramené la production à son plus bas niveau depuis 1960 ;
pluies parasites de janvier 1979 qui ont altéré le capital semencier,
pluviométrie mal répartie de 1979, enfin celle tardive et insuffisante de 1980.
42
b)
La dégradation des sols
Les sols et le couvert végétal se dégradent sous l'effet de
l'emprise des cultures, de l'expansion de l'élevage et de la culture
arachidière, facteur incomparable d'accélération de l'érosion
éolienne. La répartition inégale de la population provoque la
surcharge du bassin arachidier, ce qui fait que certaines régions
ne disposent pratiquement plus de réserves foncières avec, pour
conséquence, des taux d'utilisation des sols proches des seuils
limites, excluant les jachères nécessaires à leur régénération;
dp. plus, elle laisse des vides démographiques dans les régions
excentrées.
c) La marginalisation du monde rural dans le processus de prise
de décision le concernant
Bien que près de 70 % de la population tire son revenu de la
culture arachidière, le monde rural reste encore largement étranger aux décisions qui le concernent. En effet, ce monde rural
s'est vu progressivement imposer une multitude de sociétés d'intervention dont les missions se sont très rapidement diversifiées et
élargies au point de déposséder les paysans de toute initiative.
d) La faiblesse relative des prix d'achat aux producteurs euxmêmes commandes par les cours internationaux
Ces prix au producteur ont évolué comme suit:
Tableau 2.9 : EVOLUTION DU PRIX D'ACHAT DE L'ARACHIDE AU PRODUCTEUR:
1960-1984 (en francs C.F.A./kilo)
Année
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
...........
...........
...........
........ - ..
...........
, .... - .....
...........
...........
...........
...........
...........
...........
Prix d'achat net
au producteur
Indice des prix
Prix d'achat
en francs constants
(base 1971)
20,8
22.0
22.0
21,5
21,5
21,5
21,5
21,5
18,0
18,0
18,5
19,5
68,2
71,6
76.1
79,7
82,7
85,9
87,8
90,0
90,0
93,6
96,3
100,0
30.5
30.7
28,9
27.0
26,0
25,0
24,5
23,9
20,0
19,2
19,2
19,5
Suite p. 44
43
Suite de la p. 43
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
...........
23,7
23,0
29,8
41,0
41,S
41,5
41,5
41,5
41,5
46,0
60,0
60,0
50,0
·. . ....... .
...........
...........
· . . . . . . .. . .
...........
...........
·. . .. . .... .
· . . .. . . . . ..
- ..........
...........
...........
· . .. . .. . . . .
105,8
118,2
137,8
181,5
183,4
204,1
211,2
231,6
251,4
266,2
312,3
348,7
386,0
22,4
19,5
21,6
22,6
22,6
20,3
19,7
17,9
18,1
17,3
19,2
17,2
13,0
Source: Déséquilibres structurels et politique d'ajustement au Sénéral, M.P.C., 1986.
Ces très fortes fluctuations à la fois de la production arachrdière s'ajoutant à la chute des rendements et à l'absence de prix
rémunérateurs ont entraîné une détérioration du revenu rural
moyen qui a évolué comme suit en francs C.F.A. constants de
1972 :
22100
15400
12000
10900
8800
F
F
F
F
F
C.F.A.
C.F.A.
C.F.A.
C.F.A.
C.F.A.
en
en
en
en
en
1960 ;
1965 ;
1972 ;
1977 ;
1982.
Cette évolution montre un appauvrissement progressif du
monde rural qui sera ainsi placé dans l'incapacité absolue d'améliorer ses conditions de production et de travail. Les producteurs
ainsi appauvris ne pourront ni atteindre des niveaux performants
de productivité, ni disposer de moyens d'un auto-développement.
En définitive, la modernisation de l'agriculture entreprise par
les pouvoirs publics va produire dès lors une différenciation sociale
très nette entre une élite paysanne qui a profité techniquement
et économiquement des politiques de promotion et une majorité
de paysans marginalisés.
Cela fait observer à P. Sene que « l'agriculture prédatoire et
inefficace a créé des îlots de croissance artificiellement entretenus par un financement extérieur au monde rural, a bénéficié de
J'attribution d'un espace foncier, a adopté une technologie sophistiquée et a intégré une main-d'œuvre semi-prolétarisée» (10).
Dans ces conditions, l'annulation des dettes paysannes pour
la campagne 1980-1981 pour une valeur de 30 milliards et l'accroissement des prix des produits agricoles ont permis de stopper,
bien que partiellement, la dégradation du pouvoir d'achat et
44
d'améliorer quelque peu la condition sociale des populations
rurales.
La seconde culture de rente est le coton qui s'est imposé
comme élément d'une politique de diversification et de rupture
avec la monoproduction arachidière. Le développement de cette
nouvelle spéculation a été encouragé et soutenu par la Banque
Mondiale dans une période de haute conjoncture (marché porteur
et prix élevés).
Bien que le Sénégal soit un producteur tardif, la culture cotonnière a pris rapidement l'allure d'une croissance régulière. Ainsi
les superficies cultivées se fixent à 48000 ha en 1978-1979 et ont
évolué avec de fortes amplitudes (entre 30000 et 48000 ha).
Quant à la production, elle passe de 11 000 tonnes en 1970 à
35000 en 1984, avec une pointe de 45000 tonnes en 1976. Pourtant, cette évolution accélérée reste encore très en deçà des
objectifs fixés par le Vile Plan: 66 000 tonnes de coton graine
sur une superficie de 55000 ha avec un rendement de 1,2 t/ha.
Le comportement défavorable des cours mondiaux a entraîné
une révision profonde des programmes d'équipement et d'investissement qui va se traduire par la réduction du développement
de la production. A cela s'est ajouté un autre facteur limitant: la
restriction de l'espace d'exploitation contonnière. Dans ces conditions, la croissance de la production du coton ne peut désormais
provenir que d'une amélioration de la productivité. Cela exige
des efforts plus soutenus de recherche, d'encadrement, d'utilisation des facteurs modernes de production et d'aménagement de
structures appropriées de commercialisation et de transformation.
Les projets d'investissement prévus se chiffrent à 17,5 milliards
dont 15,5 milliards d'investissements directs et 2 milliards pour
les dépenses de fonctionnement. Cependant, la chute des cours
qui a engendré un déficit de la filière cotonnière (2,8 milliards
pour la campagne 1985-1986 et environ 1 milliard pour 1986-1987)
ne milite pas en faveur d'une réalisation effective des programmes
d'action.
Pour ce qui concerne la production céréalière, elle comprend
principalement le mil, le sorgho et le riz.
La culture du mil et du sorgho occupe la moitié des surfaces
cultivées. La production est tributaire des aléas climatiques et
fluctue en permanence au gré de la situation météorologique
comme le montrent les chiffres ci-après:
1970-1971 :
1971-1972 :
1972-1973 :
1975-1976:
1980-1981 :
400000
580000
320 000
620000
530000
tonnes;
tonnes;
ton nes ;
tonnes;
tonnes.
45
Les rendements sont assez faibles (en moyenne 487 kg/ha).
Quant au riz, sa production est insuffisante par rapport aux
besoins. Le VI" Plan avait fixé la réalisation d'une production de
220 000 tonnes de paddy pour 1985 ; celle-ci n'a été que d'environ
100 000 tonnes pour les périodes de haute pluviométrie. Chaque
année, le Sénégal importe plus de 300 000 tonnes de riz pour
couvrir les besoins en expansion rapide par suite d'une urbanisation accélérée.
La quasi-totalité de la production agricole sénégalaise s'effectue en agriculture sèche, c'est-à-dire que le réseau d'irrigation
est limité. Par ailleurs, elle est très peu diversifiée.
C'est ce qui explique, ces dernières années, le démarrage
d'une politique de diversification qui tente de promouvoir:
-
les fruits et légumes;
la canne à sucre;
la tomate industrielle.
Cependant, malgré ces efforts de diversification, les cultures
vivrières sont loin de couvrir le déficit vivrier. En effet, le déficit
céréalier s'est accentué entre 1977 et 1981 et le taux de couverture de la consommation nationale en produits céréaliers s'est
détérioré passant de 63 % en 1975 à 39 % en 1978. Il s'est établi
en moyenne à 52 % dans la période 1977-1981 et a évolué comme
suit entre 1980-1985 :
Tableau 2.10: TAUX DE COUVERTURE DE LA CONSOMMATION CEREALIERE
PAR LA PRODUCTION NATIONALE: 1980-1985
Demande
Mil. . . . . . . . . . .
Maïs . . .......
Paddy ........
Blé . . . . . . . .. .
Total céréales.
Offre nette
Taux de couverture
1980
1985
1980
1985
1980
512
38
484
101
1 135
602
73
531
105
1311
487
34
98
1
G20
602
73
191
1
95%
89%
20 %
1%
55%
861
1985
1
100%
100%
36%
1%
66%
Source: Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement au Sénégal, M.P.C.,
1986.
Ces faibles performances de la production céréalière s'expliquent en partie par la faiblesse des rendements et l'évolution
défavorable des prix aux producteurs. De 1979 à 1984, ces prix
46
en francs constants, ont accusé un mouvement de baisse comme
l'atteste le tableau suivant:
Tableau 2.11: PRIX D'ACHAT AU PRODUCTEUR (F C.F.A./kilo constants 1971)
Paddy
Mil, sorgho
Mais
1979
1984
Pourcentage
17,9
17,3
16,0
15,5
14,2
13,0
-13 %
-18 %
- 19 %
Source: Déséquilibres structurels et programmes d'ajustement au Sénégal, M.P.C.,
1986.
Cette baisse du prix réel est sans nul doute le facteur explicatif essentiel de la dégradation des revenus agricoles.
C'est pour résoudre cette situation que le VI" et le VW Plans
réaffirment la primauté de la politique alimentaire fondée sur la
recherche de "autosuffisance et de la sécurité alimentaires, ainsi
que l'amélioration des prix aux producteurs. Ces prix doivent
être plus incitateurs pour encourager la croissance de la production en vue de la réduction de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Cependant, il convient d'observer que l'augmentation des
prix, pour affecter positivement la production céréalière, doit être
accompagnée de mesures permettant d'améliorer les rendements.
Tous ces faibles résultats agricoles établissent l'existence
d'une crise de l'économie rurale se traduisant par les déficits
vivriers grandissants faisant du Sénégal une zone d'insécurité et
de fragilité agro-alimentaires.
En définitive, cette crise procède de la conjugaison de quatre
facteurs:
-
les phénomènes de sécheresse devenant quasi-cycliques;
la faible croissance de la production qui demeure inférieure
a l'accroissement démographique, entraînant une baisse de
la production agricole par tête;
le recul de la production vivrière au profit des cultures de
rente;
la forte et incohérente expansion urbaine.
Les villes constituent le principal facteur aggravant du déficit
alimentaire en ce qu'elles propagent le modèle de consommation fondé sur des produits vivriers d'importation. En effet, les
villes en voie d'occidentalisation abritent les principales unités
économiques, l'essentiel des équipements sociaux et tous les
services publics. Pour les paysanneries paupérisées et margina-
47
lisées, ces villes vont apparaître comme des sociétés de consommation où il est possible de faire rapidement fortune, de trouver
un emploi et de rompre avec la traditionnalité (11). C'est cela
qui fait dire à René Dumont que « la poussée urbaine dans le
Tiers-Monde est le résultat de longues années, sinon des siècles
de mauvaises politiques agricoles qui aboutissent à la débandade
rurale » (12). Cette poussée urbaine est caractéristique de tendances démographiques au Sénégal où en 1982, sur une population
de 6 millions d'habitants, 2 millions vivaient dans les villes dont
1,3 million dans la capitale, Dakar.
Les villes en croissance accélérée font exploser la demande
alimentaire en même temps qu'elles la diversifient. Les consommations concernent principalement des produits importés (riz,
blé, sucre, tomate) à fort contenu de devises (13).
Dans ces conditions, si les tendances actuelles se maintiennent, il est réaliste de penser que le déficit prévisionnel du bilan
céréalier sera particulièrement lourd à l'horizon de l'an 2000
quand la population atteindra 10 millions d'habitants. Il faudra
alors importer à cette période l'équivalent de 1,7 million de tonnes,
ce qui va engendrer des implications financières tout à fait insoutenables pour "économie nationale. Cela indique l'urgence de
la mise en place d'une politique agricole d'autosuffisance alimentaire qui augmente la production par une double action sur la
productivité et sur le rendement.
Le plan céréalier (14) prévoit un taux de couverture de 73 o.to
pouvant atteindre près de 80 % avec les productions annexes.
Toutefois, la réalisation de cet objetif est subordonnée à un très
vaste programme de développement des cultures irriguées, ce
qui soulève les enjeux de l'après-barrage dont la gestion nécessitera des immobilisations financières et une organisation institutionnelle d'une très grande efficience. Dans cette direction, deux
préalables doivent être réglées: les conditions microéconomiques
de développement de l'agriculture paysanne (formes concrètes
d'exploitation, de crédit agricole, etc.) et les domaines d'intervention de l'Etat (plan d'aménagement à promouvoir, nouvelles
stratégies foncières, aspect financiers, etc.). La politique agricole
devrait être a même:
de promouvoir la gestion efficace d'un vaste programme
d'irrigation qui allie de façon équilibrée la petite hydraulique
rurale et les grands barrages pour lutter contre la sécheresse
et l'instabilité de l'environnement;
de résorber progressivement le déficit alimentaire par des
investissement appropriés et l'instauration de prix rémunérateu rs ;
48
de mettre en place un système coopératif performant et un
crédit agricole fonctionnel.
L'élevage et la pêche sont les autres composantes essentielles
du secteur primaire. Cela apparaît principalement dans les objectifs qui leur sont assignés par le plan. En matière d'élevage, la
stratégie de promotion selon le VI" Plan tourne autour de trois
grandes orientations:
accroître le niveau de consommation en protéïnes animales
des populations;
réduire la dépendance du pays vis-à-vis de l'extérieur pour la
satisfaction de ses besoins en produits animaux;
envisager l'exportation des produits de l'élevage en vue d'augmenter et de diversifier les recettes d'exportation. De plus.
l'élevage, contrairement à l'agriculture, n'a pas connu de mouvements erratique. Les investissements réalisés se sont élevés
à 10,9 milliards répartis entre quatorze projets parmi lesquels
quatre occupent une place prépondérante: S.O.D.E.S.P.,
P.D.E.S.O. (15). Bakel et les Abattoirs régionaux.
De 1960 à Î 970, le troupeau bovin a augmenté au rythme
moyen de 5 % pour atteindre un effectif de 2,6 millions de têtes.
Dans la période qui va de 1970 à 1980, sous les effets con jugés
des sécheresses successives, il y eut une décroissance des effectifs. Le troupeau ovins-caprins semble avoir mieux résisté aux
instabilités climatiques; seulement le rythme de croissance des
années 1960 à 1970 (plus de 10 %) a nettement fléchi au cours
de la période 1970-1980.
La valeur ajoutée du secteur s'élevait en 1970 à 13 milliards
de F C.F.A. soit 22,4 % de la valeur ajoutée du secteur primaire
et 6,1 % du P.I.B. On observera que les pertes sur le gros bétail
ont été compensées par l'augmentation des gains sur la volaille.
En 1980, la valeur ajoutée était d'environ 42 milliards soit 29,6 %
de celle du secteur primaire et 9,3 % du P.I.B.
Par ailleurs, l'élevage est aussi un facteur essentiel dans la
recherche de l'autosuffisance alimentaire et devrait, selon les
prévisions, satisfaire à j'horizon de l'an 2000 une consommation
d'environ 12 kg par personne et par an avec la répartition suivante:
bonvins 5,9 kg ;
ovins/caprins 2,3 kg ;
volaille traditionnelle 1 kg ;
volaille industrielle 2 kg ;
porcins 1 kg (16).
Ces chiffres montrent toute l'importance de l'élevage dans
l'économie nationale et la nécessité d'élaborer une stratégie
49
globale et cohérente de promotion des activités animales. Celle-ci
devrait tourner autour d'une action harmonisée de l'Etai dans
les domaines de :
l'organisation de services fonctionnels de santé animale dotés
de moyens matériels et humains suffisants;
l'organisation d'espaces de pâturage avec le développement
et "équipement d'ouvrages d'hydraulique pastorale;
l'organisation de l'ensemble à partir des initiatives paysannes
et des stations publiques dont la gestion doit être souple et
peu coûteuse;
l'organisation des circuits de commercialisation par fixation de
prix rémunérateurs et parallèlement la mise sur pied d'une
infrastructure adéquate d'abattage.
Ces actions ne doivent être ni ponctuelles, ni détachées de
celles entreprises dans les autres sous-secteurs, mais doivent
s'incorporer dans un programme d'ensemble et traduites en termes
d'obj€ctifs à réaliser et de moyens à mobiliser Cette cohérence
ne peut être obtenue que si l'intégration de l'agriculture et de
l'élevage est correctement réalisée. Des sociétés d'intervention
installées dans les villes ne seront jamais à même d'appréhender:
les pesanteurs sociologiques à lever;
les moyens financiers et humains à mobiliser;
la recherche et la vulgarisation à promouvoir.
Or tel semble être le cas de la Société pour le Développement
de l'Elevage dans la zone-sylvo-pastorale (S.O.D.E.S.P.) qui est
chargée de la production et de l'encadrement de l'élevage dans
cinq zones: Labgar, Mbar-Toubab, Lindé, Gueye âader et Tabgui.
Le coût financier prévu se monte à environ 5,5 milliards de F C.F.A.
La subvention allouée durant l'exercice 1981-1982 se monte à
418,9 millions. La S.O.D.E.S.P. qui s'apparente à l'O.N.C.A.D. de
l'élevage présent les mêmes travers que cette défunte entreprise.
Le rapport du contrôle financier observe qu'avec un effectif de
cent trente-cinq agents dont cinq expatriés, la S.O.D.E.S.P. a
engagé sa mission en 1982-1983 avec un budget prévisionnel de
2166450000 F exécutés seulement à hauteur de 30 % environ. Ce
faible taux de réalisation dénote tout le manque de réalisme des
budgets présentés par la société. A cela s'ajoutent des retards dans
la présentation des états financiers. L'ensemble de ces éléments
montre des lacunes inadmissibles pour une société d'une aussi
grande importance. Sans nul doute, cette société a pris le droit
chemin d'une « Oncadisation» irréversible qui risque de coûter
très cher à "Etat.
Les moyens financiers mobilisés auraient mieux servi si leur
affectation était faite plus directement aux éleveurs.
50
La pêche est la troisième activité du secteur primaire. Elle
occupe une place de plus en plus importante dans l'économie
sénégalaise et représente environ 10 % du P.I.B. et devient après
l'arachide le deuxième pilier de l'économie sénégalaise. Les
objectifs fixés dans le sous-secteur sont de trois ordres:
la poursuite des efforts en matières d'exploitation et de protection des ressources halieutiques;
l'insertion du milieu marin dans une économie moderne avec
toutes les mutations économiques impliquées;
la maîtrise du secteur par la promotion d'armements nationaux.
Selon le VI" Plan réajusté, au cours de la période 1979-1982, la
valeur ajoutée de la pêche est passée de 11,2 milliards F C.F.A. à
21,4 soit un taux annuel moyen de croissance de 24 %. Les investissements opérés se sont élevés à 11,41 milliards et ont concerné
seize projets parmi lesquels cinq ont représenté 91 % de ces
investissements du sous-secteur. Ce sont la motorisation, le Centre
d'Assistance à la Pêche de Kafountine, l'armement thonier et le
Crédit Maritime. Sa part dans le P.I.B. s'est accrue depuis 1960
et est passé de 1,6 % à 6,1 % dans les années 70.
En outre, l'importance de la pêche se révèle dans le fait qu'elle
contribue pour 26 % à la satisfaction des besoins nationaux en
protéines animales et qu'elle fournit 6,03 grammes de protéines
par jour et par habitant.
Ces deux sous-secteurs, comme on le voit, sont des éléments
importants de la réalisation de l'autosuffisance alimentaire et de
l'amélioration des recettes d'exportation.
En effet, le fait le plus remarquable dans le sous-secteur de
la pêche réside dans son rôle prépondérant dans les exportations
où elle devance les phosphates depuis 1980. Ce phénomène
important fait qu'on assimile la pêche à une sorte de pactole dont
pourrait bénéficier les producteurs par suite d'une demande mondiale en croissance rapide. Les exportations des produits de la
mer qui étaient de 8,5 % des exportations totales sont passées
à près de 18 % au cours du V' Plan. Leur répartition est la suivante: 40 % de poissons frais, 32 % de mollusques et crustacés
et 28 % de conserves. En valeur, l'évolution s'est effectuée comme
suit en milliards de F C.F.A.
Exportations .......
.. '1
1976
1977
1978
11,9
16,3
18,6
1979
1
1
1980
25,2
27
1
51
Le secteur fournit près de 65 000 emplois dont 10 000 pour
la pêche continentale, 50 000 pour la pêche artisanale et 5 000
pour la pêche industrielle. Par ailleurs, il couvre environ 47 %
des besoins en protéines animales de la population.
L'Etat a très tôt compris tout l'intérêt stratégique mais aussi
les enjeux du sous-secteur porteur d'avenir et s'était doté en
conséquence d'un instrument d'action dès 1962 : la société sénégalaise d'Armement et de Pêche (S.a.S.A.p.).
Cette entreprise était bien partie et avait réalisé des résultats
heureux dès les premières années. En 1966 cependant, les responsables ont décidé d'acquérir des bateaux pour une somme de
227 millions F C.F.A. Ces opérations feront perdre à la S.a.S.A.p.
158 millions de francs de 1970 à 1973. Parallèlement à cette opération douteuse, la société va connaître une gestion médiocre.
Sur quinze bateaux en service en 1975 (la flotte comprenant vingtcinq), seul un bateau a réalisé des bénéfices. La production a
baissé de 10 800 tonnesà 5900 si bien que les mises à terre ne
suffisaient même pas à couvrir les charges d'exploitation. Ainsi
la société était condamnée à la faillite malgré l'application d'un
plan de sauvetage.
La décision de liquidation fut alors prise en août 1976. Les
dépenses dépassaient le double des recettes et les pertes accumulées étaient d'environ 4,8 milliards. Les dettes à court et long
termes s'élevaient à 6,5 milliards de francs C.F.A.
Dans son rapport sur le secteur parapublic, la Banque Mondiale
note que pour l'Etat, le coût de cette opération sera énormément
plus élevé que celui de sa participation (1,4 milliard d'avances et
1,2 milliard de prêts remboursés pour le compte de la S.a.S.A.p,) ;
il s'en tire avec une dette d'un montant de 2,7 milliards.
Cependant, cette expérience malheureuse ne doit nullement
être un prétexte ou un obstacle majeur pour l'Etat à exercer des
tâches d'orientation, de direction et d'organisation dans un secteur dont l'importance dans l'économie nationale est grandissante,
L'Etat, au lieu de démissionner, devrait tirer les leçons de l'échec
de la S.a.S.A.p. et s'engager de façon plus résolue vers l'élaboration d'une stratégie d'encadrement et de promotion des activités
de la pêche qui sont en expansion continue, Les axes d'une telle
stratégie pourraient graviter autour de :
l'élaboration d'une politique de motorisation;
la création d'une infrastructure de base;
une politique de surveillance;
l'élaboration d'une politique de commercialisation;
la mise en place d'un crédit spécialisé.
Quels enseignements peut-on tirer de celle intervention de
l'Etat dans le secteur primaire?
52
Au moment de l'indépendance, la politique agricole se proposait de transformer, de restructurer et de moderniser l'agriculture
au travers de multiples interventions inscrites dans les plans
successifs de développement économique et social. La croissance
économique planifiée, devait aboutir à la promotion de l'agriculture par "élevation du niveau de vie des paysans, la réduction
des inégalités qui existent entre villes et campagnes. Ainsi, plusieurs mesures économiques, financières et législatives prises
dans les plans successifs du développement faisaient du secteur
agricole, un secteur prioritaire auquel étaient imparties quatre
fonctions essentielles; ce sont celles:
-
de couverture des besoins vivriers en expansion rapide à la
suite d'une explosion démographique et d'une urbanisation
accélérée avec multiplication de villes saturées et inadaptées;
de génération de surplus capables de faire sauter le goulôt
d'étranglement de ressources en devises et de libérer les
moyens d'un financement des activités industrielles;
de libération de la main-d'œuvre agricole sans préjudice pour
la production globale;
d'élargissement du marché intérieur consécutif à l'accroissement des revenus des producteurs.
Vingt-cinq années de développement agricole n'ont pas permis
la réalisation de ces objectifs. En dépit de ses potentialités, l'agriculture a périclité dans beaucoup de domaines. Elle n'a couvert
que très faiblement les besoins vivriers installant ainsi une grave
crise alimentaire qui se traduit par une dépendance excessive
de l'extérieur. En 1980, le taux de couverture de la demande
vivrière par la production nationale était de 55 % pour les céréales,
de 30 % pour la tomate industrielle, de 20 % pour le riz et de
1 % pour le blé. De même, le pouvoir d'achat des producteurs
s'est notablement dégradé par .suite d'une évolution défavorable
des prix des grands produits agricoles et notamment de l'arachide
qui fournit entre 81 et 93 % des revenus monétaires comme
l'atteste le tabelau ci-après.
Tableau 2.12: REVENUS MONETAIRES DES PAYSANS (en milliards de francs C.F.A.
courants)
1979
1980
1981
1982
1983
- - -- - - -Revenu monétaire total des agriculteurs
Revenu de l'arachide .................
Pourcentage arachide ... . ......... . ....
34,9
29,0
83%
19,8
17,0
86%
10,7
8,7
81 %
47,1
42,5
90%
60,8
56,5
93%
Source: Ministère du Plan et de la Coopération, Dakar.
53
La politique des prix aux producteurs n'a pas contribué à
accroître les revenus monétaires du monde rural et l'annulation
en 1981 des dettes paysannes pour un montant de 30 milliaras,
n'a réglé que très partiellement la dégradation du pouvoir d'achat.
L'exode rural qui s'est amplifié apparaît comme le double
signe de la paupérisation des campagnes et de l'incapacité du
secteur agricole à capter et à utiliser sa propre force de travail.
Il produira deux résultats négatifs: un vieillissement rural et la
gangrène urbaine.
Les investissements directs dans le secteur agricole n'ont
permis ni la suppression de la précarité des conditions d'existence
et de travail des paysans, ni la réalisation de la diversification de
la production et de l'autosuffisance alimentaire.
Au contraire, le déficit vivrier s'est accentué créant l'insécurité alimentaire. Le taux moyen de couverture de la consommation nationale céréalière diminue régulièrement et passe de 63 %
en 1975 à 54 % en 1976,39 % en 1977 pour se stabiliser à environ
50 % en 1980. Il en résulte une dépendance vis-à-vis de l'extérieur
et une augmentation soutenue des importations alimentaires entraÎnant un alourdissement du déficit de la balance commerciale
tel que cela apparaît dans le tableau suivant.
Tableau 2.13: EVOLUTION DU SOLDE COMMERCIAL: 1973-1979 (en milliards
de francs C.F.A.)
1974
1974
1975
1976
1977
1978
1979
- - - - - -,-- - - -1 Défic;t commercial .....
2 Exportation arachide plus
coton ...............
3 Importations céréalières ..
2/1 en pourcentage ....
3/1 en pou rcentage ....
36,7
25,0
25,9
38,1
35,1
68,6
84,1
16,1
13
44
35
35,7
22
143
88
41,6
11
160
42
67,1
17
176
45
79,2
19
226
54
26,9
17
39
25
47,5
21
56
25
Source: Ministère des Finances, Direction de la prévision et de la conjoncture.
Enfin, les mesures de modernisation introduisent des distorsions et produisent un processus de différenciation sociale dans
Jes campagnes alors même que les formes capitalistiques de
production caractérisées par le productivisme ne prennent point
racine.
Tous ces éléments établissent l'inefficacité de la politique
agricole malgré les immenses moyens financiers et humains mobilisés depuis l'indépendance. Ainsi au simple niveau national, du
troisième au sixième plan, le volume global des financements a
évolué comme suit en millions de F C.F.A.
54
Tableau 2.14: VOLUME DES INVESTISSEMENTS
VI· PLAN (en millions de francs C.F.A.)
III" Plan
AGRICOLES:
IV" Plan
DU
II"
V" Plan
VI" Plan
16552
9479
26211
14524
6020
20544
au
1
...... ... .
S.N.E.
Emprunte ............ 1
Total ................ 1
7285,5
3780
11065,5
8385
5829
14214
1
Source: Direction de la prévision. M.E.F.
A ces ressources internes, il faut ajouter les financements
externes qui ont été très importants passant de 32,439 milliards
de F C.F.A. pour le second Plan à 30,287 milliards pour le troisième, 27,126 milliards pour le IV·, 82,208 milliards pour le V· et
34,89 milliards pour le VI" Plan.
Les résultats dans le secteur rural sont sans commune mesure
avec les moyens financiers et matériels considérables qui y sont
engagés. La poursuite après l'indépendance de l'agriculture
coloniale de monoculture arachidière, malgré un effort de diversification avec l'introduction du coton, a conduit à un déficit vivrier
couvert par des importations de biens alimentaires dont la valeur
est passée d'environ 35 milliards de F C.F.A. en 1977 à 70 milliards
en 1984, dont 32 milliards pour le riz et 8,5 milliards pour le blé.
Par ailleurs, pour les années correspondantes, ces importations
ont représenté le quintuple du service de la dette rééchelonné
en 1981, 2,3 fois celui de 1982, plus du triple de celui en 1983 et
près de 3 fois celui de 1984.
En d'autres termes, une réorientation judicieuse des structures
productives agraires au lendemain de l'indépendance vers la couverture prioritaire des besoins alimentaires aurait permis une
économie de devises de 54,4 milliards en 1984, de 35,5 milliards en
1982, de 47,5 milliards en 1983 et de 45,3 milliards en 1984. Le
total cumulé de ces ressources devrait être de 180,7 milliards sur
quatre années seulement. Cette masse de ressources financières
aurait pu être investie afin de renforcer la base de la production
nationale, de créer des milliers d'emplois et de couvrir largement
le déficit cumulé de 143,9 milliards de F C.FA de la balance des
paiements pour les quatre années correspondantes.
Dans ce contexte, il s'avère indispensable et urgente d'instaurer une autre politique agraire, qui soit plus soucieuse de la prise
en compte d'une croissance économique intravertie, de "amélioration constante de la productivité dans l'agriculture et des conditions sociales de vie des producteurs. La démarche devrait partir
d'une évaluation de toutes les contraintes qui pèsent sur l'agri55
culture, de la définition d'objectifs et de programmes ptéCls et
de l'élaboration d'un ensemble de mesures technico-agronomiques dans les domaines de la mécanisation, de la fertilisation,
de la sélection des semences, de l'assolement, de l'occupation
des sols et de l'irrigation. Une telle politique nécessite sans aucun
doute une intervention directe et de plus en plus poussée de
l'Etat. Il s'agira d'une intervention qui rompe nécessairement avec
les orientations paternalistes d'un encadrement générateur d'une
bureaucratie omnipotente et omniprésente qui détourne toujours
à son profit exclusif les moyens mobilisés pour les transformations et les réorientations de l'agriculture. Dans cette nouvelle
optique, il faudra:
d'abord définir les orientations plus claires en matière
d'accumulation et fixer les voies et moyens permettant tout
à la fois de développer les forces productives dans ce secteur primaire et d'améliorer les conditions sociales de la
paysannerie sans oublier d'opérer des transferts de valeur
de l'agriculture vers les autres secteurs;
ensuite fixer une politique foncière appropriée et instaurer
une coopération agricole plus fonctionnelle fondée sur l'idée
que tout investissement technico-agronomique réalisé sur des
exploitations trop réduites serait difficilement rentable aux plans
économique et financier;
enfin instaurer des structures et mécanismes qui restaurent la
personnalité et l'initiative créatrice des paysans, supervisant
le développement du secteur primaire et favorisant des mesures
incitatrices et motivantes pour la production agricole.
Au regard de l'intérêt décisif accordé aux cultures irriguées
pour enrayer les pénuries alimentaires et la famine, il est d'une
extrême urgence de résoudre la question foncière dans les zones
concernées (17). Quels sont alors les enjeux de la question foncière au Sénégal?
Le terme enjeu désigne, rappelons-le, ce que risquent de
gagner ou de perdre les participants à un jeu ou à une activité
économique. Les enjeux fonciers, tous très importants, ont à la
fois une dimension nationale et une dimension internationale. Ces
deux niveaux ne sont pas séparés par des cloisons étanches,
bien au contraire.
Au niveau national, la première série d'enjeux pourrait être
appréhendée par la question suivante; la vieille et sinistre prédiction de Malthus trouvera-t-elle encore longtemps confirmation?
La prédiction faite au XIXc siècle par ce pasteur anglican dit, on
le sait, que l'accroissement démographique naturel l'emportera
toujours sur l'augmentation possible des productions alimentaires.
L'agriculture sénégalaise, à défaut de la démographie, lui infli-
56
gera-t-elle bientôt un démenti? Si oui, on touchera au but de
l'autosuffisance ou de la sécurité alimentaire des populations.
En combien de temps? Pas du jour au lendemain. La révolution
agro-foncière qu'implique l'expansion des cultures irriguées, seules
capables par leurs rendements d'accroître significativement la
productivité du secteur agricole dans son ensemble, s'inscrira
dans la durée. Pour de multiples raisons et notamment les deux
suivantes :Ie financement des aménagements de surfaces irrigables ne sera pas trouvé en claquant des doigts; il faudra égaIement du temps pour la reconversion des paysans majoritairement
occupés aujourd'hui aux cultures pluviales auxquelles sont associées des techniques séculaires et millénaires. On peut également
se demander - ce sont d'autres enjeux - si les risques sanitaires
et écologiques liés à ces changements seront maîtrisés et surtout,
si les nouvelles politiques agricoles en œuvre ici ou là réussiront
à enclencher le développement de l'économie tout entière.
Toujours au niveau national, la seconde catégorie d'enjeux
concerne la répartition de la richesse foncière et du pouvoir qui
y est attaché. La sécheresse n'est pas au Sénégal une invention.
Le facteur le plus rare étant l'eau, il est souvent dit: qui tient
l'eau, tient la terre qu'elle peut irriguer... et le reste. Qui donc
est maître de l'eau? Actuellement c'est l'Etat, en fait et en droit,
par les grands barrages qu'il a édifiés, notamment sur le fleuve
Sénégal, œuvre conjointe de la Mauritanie, du Sénégal et du Mali
pour un coût de 220 milliards de F C.F.A. Dès lors, le principal
enjeu de la répartition foncière apparaît clairement: c'est le potentiel de cultures irrigables à savoir 240 000 hectares pour la seule
rive sénégalaise du fleuve du même nom, aptes à tripler le volume
actuel des productions végétales du pays. Que fera l'Etat du
pouvoir qu'il détient? en laissera-t-il prendre la part du lion par
certains gouvernements et fonctionnaires en place ou retraités?
Pour ne pas scier l'une des branches sur lesquelles il est assis,
invitera-t-il à la table du partage les maîtres traditionnels de la
terre, famille nobles et chefs religieux susceptibles de venir à
cette table accompagnés de leur influence sur la population rurale
électoralement majoritaire? Ou bien, comme il semble vouloir
le faire, l'Etat déléguera-t-il son pouvoir et la répartition foncière
sera-t-elle, pour la plus grande part, décidée à la base par des
communautés ou des conseils ruraux? Sur quels critères ces
conseils fonderont-ils l'attribution des terres et quelle sera leur
attitude vis-à-vis des postulants nationaux venus d'autres régions
ou d'autres ethnies que la leur? Pour délimiter tous ces enjeux,
il faudrait encore penser d'une part à l'électricité qui suivra l'eau,
d'autre part au «foncier des villes» qui s'ajoute au « foncier des
champs» et influence l'équilibre des populations urbaines et
rurales.
57
Au niveau international, le premier enjeu est interafricain.
Les pays de la zone parviendront-ils à terme à faire de leur coopération réussie pour la mise en valeur des terres et de l'eau (type
O.M.V.S. (18). ou Commission du Fleuve Niger) un levier efficace
de leur intégration économique?
La seconde catégorie d'enjeux internationaux concerne l'accès
des étrangers à l'agriculture et l'agro-industrie locales: dans
quelles limites seront-ils acceptés sinon recherchés et comment
seront vécues les possibilités de coexistence entre le salariat
auquel a habituellement recours l'agro-industrie internationale et
l'agriculture familiale et diversifiée qu'il est souhaitable d'encourager? Comment les pays du Sahel arriveront-ils à rendre compatibles leur volonté légitime de sauvegarder la base foncière de
leur indépendance et leur désir bien compréhensible de s'écarter
de la marginalisation en participant à une économie mondiale
caractérisée notamment par la croissance des capitaux transnationaux?
Enfin, quels sont, pourrait-on dire, les tiercés gagnants c'est-àdire les combinaisons productives à base de terre, d'eau et de
soleil que peut imaginer le Sénégal pour prendre une meilleure
place dans le jeu économique mondial des avantages compétitifs?
Section 2 : FORCES ET FAIBLESSES DU SECTEUR INDUSTRIEL
Le Sénégal a abrité les premières structures industrielles en
Afrique Occidentale française. Le processus a réellement débuté
vers les années 1920 avec l'installation des premières industries
valorisant certaines ressources du fJays. Cette industrialisation
légère a été facilitée par le caractère côtier du Sénégal, mais
aussi par la conjugaison de trois événements:
d'abord la crise des oléagineux qui s'est accrue vers les années
1915-1920 et qui a imposé la nécessité de mettre en valeur
les territoires présentant des dotations naturelles évidentes
comme le Sénégal, le Soudan Français et la Haute-Volta;
ensuite l'impossibilité pendant la Seconde Guerre mondiale
d'obtenir des navires pour le transport régulier des marchandises de la Métropole vers les colonies ouest-africaines. Il a
fallu donc encourager le développement d'une infrastructure
industrielle légère qui puisse répondre à certains besoins des
colonies;
enfin, la nécessité de livrer auy colonies des produits de
consommation dont la demande augmente à la suite de
l'accroissement des résidents européens et de l'apparition
58
d'une petite minorité d'autochtones fortunés travaillant comme
auxilliaires de l'Administration coloniale.
Ce processus d'industrialisation avait pour objectif la production de certains biens de consommation courante pour lesquels
il existe une demande interne. Cette industrialisation était le fait:
d'abord des sociétés coloniales et des comptoirs commerciaux
qui étaient les principaux animateurs des circuits de l'économie de traite. Cette catégorie d'opérateurs comprenait des
comptoirs comme la Compagnie Française de l'Afrique Occidentale (C.F.A.O.), la Société Commerciale Ouest-Africain
(S.C.O.A.), la Nouvelle Société Commerciale (NO.SO.CO.),
O.P.T.O.R.G. et le Niger-Français, Lesieur-Univeler.
Ils investissent dans les industries alimentaires, textiles, de
cosmétiques, de matériaux de construction afin d'alimenter en
produits les magasins qu'ils contrôlaient. Pour avoir une idée de
leur importance, on pourrait observer que la C.F.A.O. contrôlait
cent trente sociétés avec quinze mille travailleurs et avait un
chiffre d'affaires de 4,8 milliards de francs français alors que la
S.C.O.A. assurait le contrôle de cent cinquante sociétés en utilisant trente et un mille travailleurs et avait un chiffre d'affaires
de 5 milliards de francs français.
- ensuite des capitaux familiaux en provenance de Bordeaux et
Marseille comme Pétersen, Vezia, Chavanel, Buhan Teisseire, etc.
Ces opérateurs avaient mis en place un tissu industriel visant
à réaliser l'autonomie de l'empire en produits manufacturés.
Cependant, avec les indépendances de 1960 et l'éclatement
politico-économique de l'Afrique Occidentale Française, une nouvelle situation s'ouvrit pour les industries installées au Sénégal.
Les capitaux coloniaux et les comptoirs tenant compte des nouvelles modifications ont procédé à des redéploiements et reconversions de leurs activités. Ils ont procédé surtout à un vaste mouvement de diversification géographique pour contrôler les
nouveaux espaces économiques et réduire les risques politiques.
Ils ont encouragé les nouveaux Etats indépendants à implanter
des industries légères concurrentes de celles existant au Sénégal.
Cette nouvelle situation a entraîné une intervention de l'Etat
dans le secteur d'une part pour inciter les capitaux privés nationaux et étrangers et d'autre part pour mettre en place des
mécanismes protecteurs de la production industrielle. Les mesures
vont instaurer des situations de monopole et créer des rentes de
situation qui se traduiront par des prix élevés rendant les industries sénégalaises non compétitives sur le marché Ouest-Africain.
59
1) Les caractéristiques générales du développement et de la
localisation industrielle
En 1981, le secteur industriel comprenait 325 entreprises contre
254 en 1974. En 1976, sept sociétés avaient un chiffre d'affaires
supérieur à 5 milliars F C.F.A. Ce sont la S.A.R. (Société Africaine
de Raffinage) avec 18 milliards; la C.S.S. (Compagnie Sucrière
Sénégalaise) avec 13,9; les phosphates de Taïba avec 11,3; la
SENELEC avec 9,011; Lesieur Afrique 8,14; SOTIBA SIMPAFRIC (impression de tissu) 6,5 et la S.E.I.B. avec 5,01. Une douzaine
d'autres entreprises avaient réalisé entre 2 à5 milliards et un peu
plus d'une vingtaine se situaient entre 0,5 et 1 milliard.
La part du secteur industriel dans le P.I.B. du Sénégal est
l'une des plus élevées d'Afrique de l'Ouest; elle se fixait en 1972
à 21,3 % contre 18 % en 1979. Au cours des années 1977-1980,
la structure de la P.I.B.E. donnait 28,1 % pour le primaire, 26,9 %
pour le secondaire et 45 % pour le tertiaire.
La oroduction industrielle en valeur a doublé durant la
1959-1972 passant de 24 à 48 milliards, ce qui représente
moyen de croissance annuelle de 5,6 % contre 2,8 %
sêcteur rural. D'ailleurs en matière de croissance, le
industriel a été plus performant que les autres activités.
oériode
un taux
pour le
secteur
Pour l'ensemble du secteur, la formation brute de capital fixe
est passée de 1,5 milliards en 1962 à 12 milliards en 1974. Une
telle évolution est cependant dérisoire comparée au succès de
la Côte-d'ivoire où le volume de la F.B.C.F. a été de 75 milliards.
En ce qui concerne la valeur ajoutée, elle représentait en 1975
près de la moitié de celle réalisée par la totalité des entreprises
modernes (77 milliards sur un total de 166).
En matière d'emplois, les entreprises industrielles utilisaient
de façon permanente près de 30000 personnes et de façon saisonnière 70000 personnes. A l'occasion, elles ont versé près de
23 milliards de salaires et charges.
La création d'emplois était l'objectif primordial imparti au secteur industriel. Dans ce sens, le préambule du Chapitre VIII du
IV· Plan, observe que l'objectif du plan quadriennal est non seulement de favoriser l'expansion industrielle, mais de faire en sorte
que celle-ci crée des emplois.
Le code des investissements va prévoir des mesures incitatrices et une fiscalité de faveur pour les entreprises créatrices
d'emplois. Seulement, malgré cette législation de faveur les capacités d'absorption de main-d'œuvre sont restées très limitées.
Ainsi, pour 150 entreprises, seulement 15 % emploient plus de
50ouviers.
60
2)
Les déséquilibres et l'aosence d'intégration
Ces déséquilibres se manifestent à trois niveaux:
la prééminence du capital privé;
la prédominance des branches et technique légères;
la forte concentration dans la région de Dakar.
Sur le premier point, on observera que depuis l'indépendance,
les pouvoirs publics ont invariablement affirmé leur volonté d'abandonner le secteur industriel aux capitaux privés étrangers et nationaux qui, non seulement peuvent mobiliser les moyens financiers
et technologiques nécessaires, mais sont mieux armés pour mettre
en place toutes les conditions de rentabilité. Cette renonciation
de l'Etat a amené la prise de contrôle du secteur par les investissements privés français qui, selon G. Rocheteau, « cherchaient
à conserver le monopole d'approvisionnement du marché sénégalais et à participer à l'exploitation et à la transformation industrielle des matières premières sénégalaises en fonction des
besoins exprimés sur le marché français (intrants industriels et
produits de consommation finale)) (19). Même quand l'objectif
d'industrialisation par substitution d'importations s'est imposé pour
améliorer la balance des paiements, les nouvelles créations industrielles ont été le fait des fournisseurs français traditionnels.
L'Etat tentera, comme le soulignait le président de la République d'alors « de poursuivre sa politique de participation au
capital dans les grandes entreprises motrices et d'aider l'insertion
de chefs d'entreprise sénégalais dans le secteur secondaire» (20).
G. Rocheteau a parfaitement analysé toute la structure du capital
industriel au Sénégal et aboutit au constat que la prééminance
des intérêts français est l'élément caractéristique invariable au
niveau de toutes les branches. Le capital colonial et les anciens
comptoirs commerciaux comme la C.F.A.a., la S.C.a.A., la
NaSaCa se sont reconvertis en diversifiant leurs activités dans les
industries produisant pour la consommation finale des ménages:
brasserie, industries textiles, industries agro-alimentaires, industrie des matériaux de construction. Ce nécessaire redéploiement
du capital a été souligné par le P.D.G. de la S.C.a.A. lorsqu'il
déclarait que « ce que les pays du Tiers Monde attendent de
nous, c'est surtout un transfert technologique pour la mise en
valeur de leurs ressources naturelles et leur industrialisation, non
seulement en vue d'une substitution aux importations mais surtout
en vue de développer leurs exportations... Le rôle d'un groupe
comme la S.C.a.A. doit être d'aider ces pays à équilibrer leur
balance des paiements en participant à la mise en valeur et surtout
à la transformation de leurs ressources naturelles. C'est l'objectif
que nous nous sommes fixé sur le plan industriel» (21).
61
Cependant, avec l'avènement des grands projets comme les
industries chimiques du Sénégal, la MIFERSO (Minerai de Fer
du Sénégal Oriental), Dakar Marine, on observe des phénomènes
comme:
une tendance assez forte à la restructuration du capital industriel avec un processus de concentration et de fusion ainsi
que l'ouverture sur les entrepreneurs nationaux;
le redéploiement en direction d'autres pays industrialisés avec
de fortes tendances à la multinationalisation ;
l'ouverture sur d'autres partenaires européens, américains et
japonais.
Ainsi, en prenant l'exemple de la MIFERSO, on voit s'associer
aux sidérurgistes français, le groupe industriel japonais Kasematsu Gosho et le groupe allemand Krupp.
Cependant, la crise économique et financière impose l'intervention de l'Etat dans la promotion, la consolidation et surtout
l'élargissement des bases du secteur industriel. De même, les
pouvoirs publics vont manifester de plus en plus une volonté de
sénégalisation de l'industrie. Dans cette optique, le président de
la République observait que « sans jamais exclure les étrangers,
il est question que. progressivement, en avançant pas à pas, nous
sénégalisions une industrie qui, par définition est sénégalaise:
par ses capitaux, ses directions et ses techno-structures» (22).
Ce modèle d'industrialisation comporte quelques distorsions
qu'il importe de corriger pour bénéficier des avantages liés de
façon intrinsèque à l'existence et à la consolidation du secteur
secondaire: valorisation des matières premières locales, accroissement des surplus, amélioration de la productivité et du savoirfaire par la diffusion technologique, augmentation des revenus
et de l'emploi, effets d'entraînement sur le reste de l'économie.
Pour concrétiser ces avantages, certaines mesures s'imposent
notamment:
une plus grande participation de l'Etat et des nationaux au
capital industriel; ce qui entraînerait l'extorsion d'une partie
du produit industriel à des fins d'accumulation productives;
une réorientation des capitaux vers l'exploitation et la valorisation des matières premières nationales et l'amorce d'une
rupture avec le modèle d'économie exportatrice des biens
primaires;
un développement des échanges inter-industriels pour accroître la valeur ajoutée à l'économie et la compression des
importations.
62
Ces mesures importantes ne peuvent être initiées et entreprises que par l'Etat dans le cadre d'une stratégie cohérente
d'industrialisation mobilisant d'importants moyens financiers,
humains et technologiques. Il s'agira alors d'élaborer un véritable
schéma directeur du développement industriel pour favoriser et
promouvoir toutes les initiatives.
Sur le second point, le classement des industries montre que
la grande majorité des branches est orientée vers les secteurs de
production de biens intermédiaires et de biens de consommation,
c'est-à-dire le secteur des industries légères. Le dernier recensement donne la répartition suivante:
biens d'équipement (mécanique, électronique et construction
navale) : 20 % ;
biens intermédiaires (énergie, matériaux de construction, chimie, bois et papiers) : 46 % ;
biens de consommation (conserverie, huileries, sucrerie et
industries alimentaires, textiles, cuir: 34 %.
Une telle répartition établit que le tissu industriel est dominé
à 80 % par des branches légères. On est en présence d'un modèle
d'industrialisation de substitution d'importation caractérisé par,
Tableau 2.15: PART, EN POURCENTAGE, DE LA REGION DE DAKAR DANS
L'INDUSTRIE NATIONALE
41
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CIl
41
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Branches
Pêche conserveries
.
.
Industries alimentaires, tabacs, allumettes,
grain et farine
......
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Corps grans
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Sucre confiserie
.
Textile de base, confection
.
Bois...................
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.
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Papier, carton polygraphie
Chimie
.
Extractives
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Matériaux de construction
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Mécanique
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B.T.P./Annexes bâtiment
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Toutes branches
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94
99
96
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100
86
7
87
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96
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16
93
96
98
94
73
84
100
93
16
90
95
99
94
77
1
Source: Statistiques et indicateurs des régions du Sénégal M.P.C./D.P./D.R.P.
63
l'existence d'effets d'entraînement très réduits, le recours à une
main d'œuvre limitée et souvent hautement qualifiée, la dépendance extérieure, notamment l'importation de biens intermédiaires,
et l'exportation des profits. Un tel modèle accroît l'extraversion
sans avoir des effets industrialisants notables. Par ailleurs son
fonctionnement s'effectue à partir d'un modèle de consommation
de la minorité privilégiée par la fortune et les couches sociales
liées au commerce extérieur.
Le troisième point concerne la concentration industrielle au
double plan économique et géographique. En effet, en 1974, sur
un total de 254 entreprises (petites, moyennes et grandes), 222
étaient localisées dans la région de Dakar, ce qui représente
87,4 % de l'effectif.
Cette concentration industrielle en faveur de la capitale engendre des problèmes économiques et sociaux complexes et quasi
inextricables ainsi qu'un déséquilibre régional assez accentué
dans la distribution des effets bénéfiques du secteur secondaire.
Ce qui transparaît davantage dans le tableau 2.15 page 63.
La région de Dakar concentre à elle seule environ 90 % du
nombre total d'entreprises recensées (304 sur 341), 73 % de la
valeur ajoutée, 75 % et 73 % respectivement des emplois permanents et des emplois totaux et 77 % des salaires distribués. Cette
concentration des activités industrielles fait de Dakar, avec sa
croissance annuelle supérieure à 5 %, une métropole gigantesque
et de moins en moins maîtrisable par les décideurs nationaux.
De plus la dégradation constante des conditions agropastorales
fait que la région de Dakar apparaît à toutes les couches paupérisées des campagnes comme une société particulièrement de
consommation où il est possible de faire rapidement fortune, de
trouver un emploi et de rompre avec une ruralité de plus en plus
pesante.
Les pouvoirs publics ont pris conscience de ce déséquilibre
et des distorsions qu'il entraîne à savoir: le partage inégal des
fruits du développement économique et social et la création au
niveau de la grande agglomération dakaroise des conditions
d'antagonismes et de conflits sociaux pouvant menacer les fondements de l'ordre social. Dans cette optique, le président de la
République proposait une décentralisation industrielle liée à une
politique d'aménagement du territoire. Une telle politique devrait
aider, à la suite du processus de déconcentration et de décentralisation de l'exécutif, à atteindre une meilleure répartition des
activités dans l'espace national et un meilleur équilibre des régions.
Par ailleurs, on observera que l'industrie sénégalaise connaît
un autre déséquilibre provenant de la très faible intégration des
branches. Cela se traduit par l'existence de relations marchandes
réduites entre les différentes activités. Chaque branche demeure
64
ainsi très fortement tributaire de l'extérieur. On peut illustrer ce
propos par la dépendance vis-à-vis de l'extérieur notamment
en matière d'approvisionnement comme l'indiquent les données
ci-après:
1962
Consommations intermédiaires
Sur produits nationaux
Sur produits importés
......1
1974
59,9
%
60.3
40,1
%
39,7
%
%
3) Les codes des investissements et leurs effets sur l'industrialisation
Le Sénégal, a l'instar de beaucoup de pays en développement
caractérisés par une épargne intérieure faible et des besoins
importants de capitaux, a pris en son temps un train de mesures
pour attirer les investissements privés étrangers et encourager
les hommes d'affaires nationaux à s'insérer dans les secteurs
productifs. Dans cette optique les lois 61-14 et 61-15 ont été votées
pour inciter les capitaux étrangers à s'investir dans les secteurs
prioritaires en leur accordant des concessions et avantages permettant une amélioration de la rentabilité et des profits. Cependant, ces mesures vont s'avérer insuffisantes car d'autres Etats
accordent des régimes dérogatoires plus stimulants. Ainsi comme
à la surenchère, le 22 mars 1962, le Gouvernement instituait la
loi 62-33 portant création du Code des investissements qui définit
« les conditions et les modalités de la convergence entre l'intérêt
national et les intérêts privés". Désormais un cadre est tracé
qui définit deux types d'entreprises fiscalement privilégiées: les
entreprises prioritaires et les entreprises conventionnées. Toutefois, malgré des désarmements fiscaux et des concessions dérogatoires au droit commun des entreprises, les conditions d'agrément sont jugées encore sévères par les entreprises étrangères.
Pour leur donner satisfaction, le code sera remplacé par la loi
65-34 de mai 1965 qui abaisse le minimum d'investissement requis
au titre des divers régimes rendant ainsi l'agrément beaucoup
plus aisé.
Cette loi sera revisée puis remplacée par la loi 72-43 du 12 juin
1972 qui prend en considération les nouvelles activités prioritaires
devant contribuer au redressement de la balance des paiements:
agriculture exportatrice, tourisme.
La loi de 1972 sera abrogée et remplacée par la loi 78-20 du
29 janvier 1978 qui présente les nouvelles dispositions du code
65
des investissements. Le champ du code a été élargi aux secteurs
suivants: eaux et forêts, recherche et exploitation minière, commerce, télécommunications, transport aérien, maritime et ferroviaire. Ces secteurs viennent en complément des activités agricoles, industrielles et touristiques. Le trait marquant de la nouvelle
législation est la suppression des exonérations en matière d'impôt
sur les bénéfices industriels et commerciaux. Les deux régimes
sont maintenus et les avantages plus nettement spécifiés et élargis.
Pour être admises au régime des entreprises prioritaires, les
personnes physiques ou morales doivent présenter un programme
portant:
sur un investissement minimum de 200 millions F C.F.A. réalisables en trois ans, et sur la création directe, au cours de la
première année d'exploitation, d'au moins cinquante emplois
permanents de cadres ou ouvriers sénégalais;
ou sur la création directe au cours de la première année
d'exploitation d'au moins cent emplois permanents.
Quant aux entreprises conventionnées, elles sont liées à l'Etat
par une convention d'établissement leur octroyant totalement ou
partiellement les avantages prévus pour les entreprises prioritaires, et leur garantissant un régime fiscal de longue durée. Pour
bénéficier de telles faveurs, il faudra présenter un programme
d'investissements réalisables en trois ans pour un montant au
moins égal à 1 milliard de francs C.F.A.
Par ailleurs, par dérogation tant aux dispositions du code des
investissements qu'à celles du droit commun, il peut être octroyé
un régime fiscal spécial aux entreprises qui s'installeront en dehors
de la région de Dakar avec un programme d'un montant d'au
moins 4 milliards et un volume d'emplois de 400 personnes.
Cette analyse bien que brève, permet de voir qu'en matière
de code des investissements, la législation a évolué avec rapidité
en essayant de s'adapter à un environnement mondial en perpétuelle mutation et rendant de plus en plus difficile une libre
circulation et une péréquation des capitaux.
Le code des investissements, par le biais d'un désarmement
fiscal et d'autres concessions, a encouragé l'installation de quelques entreprises. En effet, les avantages concédés permettent
une réduction des coûts et une augmentation des bénéfices. Au
cours du V· Plan, 106 entreprises avaient été agréées par le Comité
Interministériel d'Investissement. En 1981, sur les 106,3 milliards
d'investissements industriels prévus, 60,3 milliards avaient été
réalisés, soit un taux de réalisation de 57 0J0. L'analyse sectorielle
de ces 106 entreprises montre la part importante des branches
66
mécaniques et énergétiques avec des investissements réalisés
respectivement par Dakar-Marine et EDS/SENELEC.
En dehors de ces deux branches, ce sont le tourisme et le
secteur alimentaire qui réalisent les volumes d'investissement les
plus importants.
Cette législation de promotion est complétée par les mesures
d'encouragement aux exportations qui accordent des avantages
substantiels aux entreprises exportatrices: régimes spéciaux tels
que l'entrepôt industriel sous douane, l'admission temporaire, les
drawsbacks, etc. Toute la politique consiste alors à autoriser
l'importation hors taxes de certaines matières nécessaires à la
fabrication des biens exportés. Le résultat produit est que le solde
brut de l'industrie au sein de la balance commerciale est largement positif. Ce solde mesuré par l'excédent des exportations
sur les importations de matières premières est passé de 9 milliards
en 1962 à 37,1 milliards en 1974. Il s'est maintenu même dans les
périodes de mauvaise conjoncture, ce qui permet d'affirmer que
l'industrie est restée fortement exportatrice. En prenant l'exemple
des mines et de l'énergie, les exportations ont évolué comme suit:
1962
Chiffre d'affaires en milliards
....
......
Exportations en valeur
.
Exportations en pourcentage du chiffre d'affaires
.......
Vente au Sénégal en milliards ,
44,1
21,6
'"
49,0%
22,5
,
1974
190,1
92,1
48,0%
98,0
1
Toutefois, il faut souligner que l'inconvénient majeur de cette
politique est que l'industrie est tributaire de l'extérieur et d'autre
part elle peut nuire aux achats de matières premières locales.
C'est ce qui expliquait que la S.O.T.I.B.A. achetait environ
2000 tonnes de tissus en Extrème-Orient alors que la S.T.S.
(Société Texitle Sénégal) fabriquait un produit similaire mais à
un coût supérieur. En d'autres termes, on rencontre là une des
limites de l'industrie d'import-substitution caractérisée par son
extraversion.
Par ailleurs, l'ensemble de ces régimes spéciaux liés à la
position privilégiée du Sénégal en Afrique, constituent sans aucun
doute des stimulants appréciables mais ils n'ont pas réussi à faire
du secteur industriel un foyer actif d'accumulation.
L'industrie reste toujours marquée par sa spécialisation précoce axée autour de la transformation de l'arachide et d'une
industrie d'import-substitution faiblement génératrice de valeur
67
ajoutée locale et souvent peu compétitive» comme l'atteste le
tableau ci-après.
Tableau 2.16: CONTRIBUTION DES BRANCHES A LA VALEUR AJOUTEE INDUSTRIELLE (en milliards de francs C.F.A.)
Industries extractives
.
Conserveries
.
Farine et pains
.
Sucre/confiserie
.
Huileries .................................•.
Industries alimentaires diverses
.
Tabacs, allumettes
.
Textile de base
.
Confection chaussures ..........•...........
Bois, patier carton
.
Chimie
.
Industries mécaniques
.
Energie
.
Secteurs non couverts en 1962
.
1962
1974
1981
0,4
0,2
1,4
0,2
4,2
2,0
21,0
1,8
1,6
0,4
10,3
1,6
2,3
6,4
1,8
1,3
6,7
2,9
5,8
3,3
12,7
0,9
1,0
0,3
0,6
0,4
2,0
3,4
15,5
4,3
8,6
2,4
12,3
0,6
2,4
22,7
6,4
8,1
5,7
Source: P.A.M.L., octobre 1984, p. 3.
Il en va de même de l'emploi industriel permanent qui a progressé de 6,5 % en 1977, puis régressé de 14 % entre 1979 et
1981. Cette évolution s'explique par la baisse d'activité de certaines industries consommatrices de main-d'œuvre (industries
alimentaires, corps gras, sucre, confiserie, etc.). Enfin les taux
d'investissement et de productivité marginale du capital demeurent encore faibles comme cela apparaît dans le tabeau suivant.
Tableau
2.17:
(1974-1981)
TAUX
D'INVESTISSEMENT
ET
PRODUCTIVITE
Taux d'investissement
moyen 1974-1981
Industrie et artisanat
Mines
B.~~
·
Energie. . . . . . .
·.·
.
,
·· ..
.
.
1·
27,7
17,5
18,2
35,2
%
MARGINALE
Productivité marginale
du capital 1974-1981
19,8
31,8
12,2
Source: P.A.M.L., octobre 1984.
Le second moyen mis en œuvre pour la promotion industrielle
est l'instauration de la Zone Franche Industrielle de Dakar (Z.F.I.D.).
68
La conjoncture difficile de 1973 avait poussé à la création et
à la promotion de la l .. F.LO. qui est considérée comme un instrument devant accueillir et abriter les industries tournées vers
l'exportation et qui sont grandes utilisatrices de main-d'œuvre.
Située à 11 km de Dakar, la l.F.LD. est une enclave de 650 ha
dont 450 ha sont réservés à l'implantation d'unités industrielles
gérées par une administration autonome. Les principaux objectifs
visés sont:
la valorisation des ressources nationales;
la création d'emplois nouveaux;
l'équilibre de la balance commerciale et de la balance des
paiements;
l'apport technologique;
l'amélioration de la qualification de la main-d'œuvre.
Les unités industrielles qui s'installent obtiennent certaines
garanties comme:
-
celle de bénéficier du statut d'entreprise agréée jusqu'en 1999 ;
une garantie financière concernant le rapatriement des capitaux et les revenus que ceux-ci génèrent de même que le
transfert hors lone Franc de toutes les ressources nécessaires
à la réalisation de l'investissement;
une exemption fiscale totale;
une clause de non discrimination et de non aggravation législative.
La l.F.LO. a réussI a agréer vingt sept entreprises pour un
montant de 16,180 milliards d'investissements. Toutes les unités
ne sont pas fonctionnelles. Au moins une bonne vingtaine sont
dans ce cas si bien que l'effectif actif de la l.F.LO. est actuellement de sept entreprises; il s'agit de :
-
Park-Davis, Afrique de l'Ouest, spécialisée dans la fabrication
des produits pharmaceutiques;
Senecor, Société Coréo-sénégalaise qui fabrique des mèches
synthétiques;
SAFCAC qui est une société africaine d'origine burkinabé
spécialisée dans la fabrication des pneus et chambres à air;
Venus-synthétique fabrique des mèches synthétiques;
RAPI Société belge spécialisée dans la production de panneaux pour la construction et les chambres froides;
STAB qui est une société de torréfaction de l'arachide de
bouche;
SIPAO spécialisée dans la fabrication des chaussures en plastique.
69
Malgré les efforts déployés par une administration dynamique,
compétente et agressive, if subsiste de nombreux freins et blocages à l'expansion de la l.F.LO. : les coûts du transport, l'absence
de structures financières locales appropriées et de partenaires
locaux disposant de moyens suffisants, le système de la taxe de
coopération régionale appliquée par les pays membres de la
C.E.A.O.
Malgré tout, l'analyse des résultats obtenus par la l.F.I.O,
confirme que les zones franches d'une manière générale constituent une forme <c d'industrialisation d'enclaves": on installe
dans le pays hôte une filiale, un atelier, échappant à la souveraineté de l'Etat récepteur et n'ayant que de bien faibles incidences sur l'économie. Les produits assemblés sont destinés
aux marchés extérieurs ou quelquefois aux pays d'origine des
capitaux investis et des filiales. Par ailleurs, une analyse des
différentes unités montre que la l.F.LO. est loin de ses objectifs
de valorisation des matières premières locales, d'absorption de
la main-d'œuvre, de résorption du déficit commercial et de la
maîtrise technologique. Un gros décalage peut s'établir entre
les réalisations effectives et les effets attendus. Ce décalage est
la preuve que la l.F.LO. est encore loin d'être un instrument
efficace et approprié de promotion industrielle.
L'évaluation des deux instruments de promotion industrielle
que sont le Code des Investissements et la l.F.LO. établit que
dans le secteur secondaire, l'intervention directe de l'Etat est
une nécessité et s'avérait alors indispensable.
4)
L'intervention directe de l'Etat dans l'industrie
Cette intervention directe de la puissance publique dans le
secteur industriel est beaucoup moins systématique et moins
massive que dans les autres domaines d'activité. La participation
de l'Etat est plus sélective et concerne particulièrement certains
secteurs porteurs de profit et pouvant en conséquence contribeur
à "accumulation. C'est le cas notamment des phosphates (Compagnie Sénégalaise des Phosphates de Taïba) du ciment (SOCOCIM),
du Salins du Sine Saloum, du pétrole (S.A.R.). Oans toutes ces
entreprises, l'Etat s'associe avec des opérateurs économiques
pl ivés étrangers qui apportent à la fois capitaux et technologie.
Les phosphates constituent une des rares ressources minières
dont dispose le Sénégal. Elles contribuent à la fabrication de
l'acide phosphorique qui est un élément nutritif indispensable à
la fois au règne végétal et animal. Oans cette période de surexploitation des terres et de dégradation des sols par une agriculture
de plus en plus intensive, cette matière première est vitale. Elle le
70
sera de plus pour une agriculture condamnée à produire des rendements optima sur des espaces réduits et de qualité pédologique
de plus en plus médiocre. Cette ressource minière importante
n'abonde pas en Europe; ce qui explique selon G. Rocheteau
les efforts consentis par les industriels français de la chimie
pour mettre en exploitation les gisements d'Afrique francophone
(Maroc, Tunisie, Togo, Sénégal) et l'appui technique et financier
accordé à ces opérations par la puissance publique française.
Les gisements sénégalais à très forte teneur étaient exploités
par deux sociétés: la Compagie Sénégalaise des Phosphates de
Taïba (C.S.P.T.) et la Société Sénégalaise des Phosphates de
Thiès (S.S.P.T.). La première société fonctionne depuis 1960 avec
des capitaux des grands phosphatiers français(Rhône-Poulenc,
Pierrefitte-Auby prenant le relais des actions précédemment détenus par Péchiney), du groupe américain International Minerais
and Chemicals, de la puissance publique française (B.R.G.M.,
Caisse centrale et du capital financier privé (Banque Paris-Bas,
Cofimer). Quant à la seconde société (la S.S.P.T.), elle exploitait
depuis 1949 le phosphate almunocalcique avec des capitaux principalement de Péchiney Saint-Gobain à l'origine. Cette société
est sous le contrôle du groupe Rhône Poulenc qui a acquis depuis
1969 les actifs de Péchiney.
Malgré d'innombrables luttes pour le contrôle de la C.S.P.T.
dans les années 60 caractérisées par des cours mondiaux défavorables, la structure du capital n'a pas subi d'importantes modifications. Les tentatives d'International Mineral and Chemicals
Corporation (I.M.C.C.) pour contrôler la C.S.P.T. ont échoué et
en 1974, l'Etat sénégalais après le renversement intervenu sur
le marché mondial décide d'intervenir et achète les actions du
groupe français. Il porte sa participation de 3,05 % du capital
à 50 %. Depuis, la structure des actionnaires s'établit comme
suit:
République du Sénégal
.
Compagnie Française des Mines
.
Nouvelle Compagnie Financière pour l'Outre-Mer ..
International Mineral and Chemicals
.
Caisse des dépôts et Consignations
.
B.I.C.I.S. .
.
Compagnie Industrielle et Minière
.
Compagnie Minière de Phosphatière
.
50,00 %
14,64 %
13,66 %
10,42 %
4,26%
3,00%
2,77%
1,25%
Cette participation majoritaire de l'Etat lui permet de s'assurer
la moitié des plus-values alors qu'il ne percevait selon les termes
de la Convention de 1966 que 25 % des bénéfices.
En effet, jusqu'en 1975, la C.S.P.T. enregistrait des pertes.
Ainsi au bilan de cette année on pouvait lire que les déficits
71
reportés s'élevaient à 1,7 milliard pour un capital qui était de
4 milliards. Le prix de revient avant amortissement était de 3 000 F
la tonne et le prix de vente de 3400 F. Ces données vont rapidement évoluer en 1974 et se fixer respectivement à 4500 et 14 000 T.
La condition d'un bénéfice important est alors réunie. L'impôt
sur le revenu des valeurs mobilières ajnsi que les droits de douane
donnent à l'Etat 5 milliards de francs. Seulement, la C.S.P.T.
consent cette année là un versement exceptionnel de 4,5 milliards
à ses actionnaires dont l'Etat pour 3,05 %. Sur j'ensemble des
revenus perçus, les pouvoirs rachètent 500 000 actions pour une
valeur de 4,5 milliards et perçoivent alors un reliquat de 216 millions. Cette opération apportera aux partenaires privés 9,5 milliards
dont en réalité 4,5 milliards sont le produit de valeur d'actions
réévaluées et cédées à l'Etat.
Au bout de deux années, 1974-1975, l'Etat encaisse au titre
des impôts et dividendes la somme de 15,200 milliards et les
actionnaires, 12 milliards. Seulement, il sera par la suite convenu de
plafonner les dividendes revenant aux actionnaires privés. Le
plafond est fixé à 4 milliards en 1975-1977 et à 2 milliards à
compter de 1978. Par ailleurs, on observera que ces plafonds sont
fixés par référence au pouvoir d'achat de la monnaie en 1973
et devraient être corrigés en fonction de l'érosion de ce pouvoir
d'achat. Toutes ces opérations se résument dans un partage
des dividendes qui donne à l'Etat 85 Ofo et aux actionnaires étrangers 15 %.
Il apparaît que l'Etat en prenant le contrôle de la C.S.P.T. dans
une période de haute conjoncture avait une vision simple et de
très court terme: participer au partage des plus-values et profiter
de la rente minière qui pourrait devenir une composante du modèle
national d'accumulation. Cependant, cette vision s'élargit progressivement et l'Etat finira par avoir /a haute main sur les opérations
majeures de la compagnie telle que la commercialisation qui était
jusqu'alors confiée à un bureau de vente ouvert à Paris et dont
la mission était d'écouler la production sénégalaise sur les marchés extérieurs. Désormais, la C.S.P.T. se présente comme un
maillon décisif dans la politique de mise en valeur, d'exploitation
et de commercialisation des phosphates.
La filière phosphatière est conçue pour être une composante
de la politique industrielle et elle s'organie autour de la transformation des phosphates par le complexe des Industries Chimiques
du Sénégal. Elle est appelée à jouer un rôle important d'abord
comme foyer d'accumulation et ensuite comme pôle de développement devant induire un ensemble large d'activités diversifiées.
Ces mêmes préoccupations ont conduit l'Etat à prendre en
1975 le contrôle de 52 % des actions de la Société de Cimenterie
72
(SOCOCIM) filiale du groupe Lafarge et creee depuis 1942. Il
devient le principal actionnaire à côté de deux autres partenaires:
les ciments Lafarge avec 39,66 Ofo des actions et UNIPAR avec
8,44 Ofo. Comme dans les phosphates, la direction technique
continue d'être exercée par Lafarge qui est en outre chargée de
la prospection de nouveaux gisements calcaires.
Dans la même direction l'Etat rentre en 1975 pour 49 Ofo dans
les Salins du Sine Saloum qui étaient sous le contrôle des Salins
du Midi. Par cette participation, il va aider d'une part à l'élaboration d'une politique appropriée de création d'infrastructures
permettant "exploitation de nouveaux gisements et d'autre part
à la diversification des débouchés.
Ces prises de participation qui ont abouti en 1975 au contrôle
de certaines sociétés industrielles anciennement dominées par
des groupes privés, traduisent une volonté de l'Etat de disposer
d'un ensemble d'instruments lui permettant de bénéficier des
surplus du secteur et d'élaborer progressivement une politique
industrielle appropriée.
L'intervention publique est restée très prudente et releve
d'une philosophie associative et d'une véritable division des
tâches, qui utilise au mieux les compétences techniques des partenaires. Ceux-ci se voient toujours confier la gestion financière
et technique ainsi que l'exercice de fonctions importantes généralement sans proportion avec leurs nouveaux apports de capitaux
et la répartition des parts sociales. Ce qui importe en effet pour
l'Etat, c'est de pouvoir participer directement aux bénéfices
d'exploitation des entreprises.
Procédant d'une autre logique, notamment celle de la valorisation des matières premières et de l'utilisation de la maind'œuvre nationale excédentaire, l'Etat lance de grands projets
industriels comme les Industries Chimiques du Sénégal (I.C.S.)
et la mise en valeur des Mines de Fer du Sénégal Oriental
(MIFERSO).
Les Industries Chimiques du Sénégal (I.C.S.) constituent la
première entreprise sénégalaise par le volume de ses investissements, par sa surface commerciale et par son incidence sur
l'économie nationale. Cette unité illustre parfaitement une coopération sud-sud. à tous égards exemplaire et indique les modalités
pratiques d'organisation d'une entreprise communautaire dans
un processus d'intégration et de création d'une division régionalisée du travail. En effet, représentant un investissement d'environ 58 milliards F C.F.A. répartis entre des crédits fournisseurs
(22 milliards) et des crédits à long terme (36 milliards), les I.C.S.
doivent produire de l'acide phosphorique et des engrais granulés
destinés principalement au marché Ouest-Africain. Le capital
73
social se partage entre l'Etat sénégalais (25 %), l'Inde (20 %),
la Banque Islamique de Développement (13 %), la Côte-d'Ivoire
(10 %) et d'autres partenaires. Il est certain que le Sénégal en
isolement aurait difficilement trouvé les ressources pour le financement du projet. Les I.C.S. doivent désormais jouer un rôle
fondamental dans la transformation et la valorisation des phosphates mais aussi dans l'accumulation productive nationale en
contribuant à l'amélioration de la balance des paiements.
La MIFERSO, elle devrait exploiter les importants gisements
de fer du Sénégal Oriental qui ont été explorés depuis 1966 par
le Bureau français de la Recherche Géologique et Minière
(B.R.G.M.) qui devient ainsi un partenaire privilégié de l'Etat
Sénégalais (28,5 %) à côté de KRUPP et de la Société japonaise
KANEMA TUGOSHO (ayant chacun 23,5 %).
Comme il apparaît dans cette répartition du capital, la
MIFERSO est associée à des partenaires concernés, des professionnels de la branche en dehors des sidérurgistes français qui
n'ont pas pris d'option sur l'exploitation de la mine. En revanche,
comme l'observe G. Rocheteau, « l'industrie allemande est encore
intéressée, ce qui traduit la présence de Krupp dans le Conseil
d'Administration. Quant à la participation japonaise, elle doit être
replacée dans le contexte du puissant effort de pénétration des
exportateurs nippons de produits sidérurgiques sur les marchés
traditionnellement couverts par les Eu'ropéens, en premier lieu
ceux situés à la périphérie de la C.E.E. (Grèce, Espagne, Suède),
où ils emportent de plus en plus de commandes contribuant
ainsi à l'approfondissement de la crise de la sidérurgie européenne » (23).
C'est sans nul doute cette crise conjuguée aux conditions
excédentaires du marché mondial pour une période qui risque
d'être encore longue qui expliquent en partie la difficile évolution
voire la stagnation relative du projet MIFERSO. Les pouvoirs
publics multiplient les contacts, diversifient les démarches et
tendent de lever les principaux obstacles qui s'opposent à la
réalisation du projet.
La stratégie développée par l'Etat dans le domaine industriel relève d'une conception très libérale consistant à inciter
les capitaux privés étrangers et nationaux à se diriger vers des
activités où la demande existe. Cette action de promotion s'est
servie de deux mécanismes: d'une part le code des investissements et d'autre part la zone franche industrielle avec des concessions pouvant offrir aux entreprises de bonnes perspectives de
profit. Tous les deux moyens aboutissent à un désarmement fiscal
et douanier, à une exemption totale ou partielle pour tous les
impôts frappant les bénéfices réalisés et les dividendes distri-
74
1
bués. Ces avantages souvent supérieurs à ceux que d'autres pays
de conditions socio-économiques égales peuvent offrir, ont pour
objet d'abord d'améliorer la rentabilité des capitaux investis dans
le secteur industriel et ensuite de rassurer les investisseurs et
certaines firmes étrangères sur le rapatriement sans entraves des
capitaux et des profits.
La haute conjoncture de certaines matières premières au début
des années 70 incite l'Etat à s'intéresser plus directement au
secteur industriel et à prendre le contrôle de certaines sociétés
qui réalisent des plus-values importantes. De même, les décideurs sénégalais ont conçu quelques projets industriels cadrant
avec les tendances mondiales à la délocalisation qui décompose
les processus de production pour rejeter la fabrication de certains
produits vers la périphérie. C'est le cas des complexes dont les
productions sont destinées principalement aux industries des
pays développés et accessoirement au marché national.
Toutefois, les interventions de l'Etat, quelles que soient leur
ampleur et leur diversité, ne semblent pas s'effectuer de façon
cohérente et selon un schéma directeur définissant des objectifs
à atteindre, des moyens à mobiliser et fixant des délais précis
de réalisation. Les actions ponctuelles, si importantes qu'elles
puissent être, ne sauraient tenir lieu de politique économique.
Toute cette analyse montre la difficulté de l'industrie à amorcer
une croissance rapide et régulière et surtout à être indépendante.
Cela fait écrire à Pierre Jacquemot qu'à l'exception des activités
fondées sur la transformation des ressources intérieures et orientées vers l'exportation (phosphates, huileries et conserveries de
poisson), la plupart des unités sont fortement protégées et sont
peu compétitives sur les marchés extérieurs. En pratique. la
concurrence intérieure limitée basée sur une politique de tarification douanière et de quotas assurant une protection contre les
importations ainsi que les politiques officielles telles que le
contrôle des prix et des salaires ont abouti à la construction d'un
secteur secondaire caractérisé par des coûts de production
élevés. Malgré les organismes spécialisés, les fonds de promotion
et de législation incitatrice, le secteur industriel n'a pas généré
des ressources et des emplois substantiels, ni contribué à l'insertion des capitaux nationaux. Il est donc resté principalement un
secteur extraverti et ankylosé.
Il a représenté 26 % du P.I.B. et a progressé en moyenne de
3,7 % annuellement, avec quelques périodes de ralentissement
dues principalement au manque de dynamisme des industries
alimentaires fortement influencées par les huileries. L'indice de
la production a évolué comme suit selon les comptes économiques:
75
1979
1980
1981
1982
1983
1984
-- -- -- -- -Indice globale .. , . ............. ,
Industries extractives ...........
Huileries ........... . ......... , .
Energie .. ....... . .. . . ..........
B.T.P. ..... . .. . .................
Autres industries ........... , ....
!
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
97,0 102,5
87,8 '105,6
51,0
20,9
98.9 102,1
103,1
112,2
108,0 119,9
117,3
66,7
81,1
107,5
126,2·
132,0
120,0 118,5
91,1
83.3
90.2
30.7
112,8 1 125,3
131,9 125
'3
130.0 1 143,0
i
Source: Direction de la statistique, M.E.F.
Le ralentissement de l'activité industrielle procède de la baisse
de la production agricole, d'une contraction de la demande intérieure, des retombées de la crise de l'énergie et de l'inflation
mondiale.
Les orientations du VI" Plan s'articulent autour des projets
suivants:
implantation d'un complexe textile à Kaolack d'un coût de
10 milliards F C.FA ;
implantation et consolidation des Industries Chimiques du
Sénégal (I.C.S.) ;
l'extension de la Compagnie Sucrière, de la Société Africaine
de Raffinerie et de la Société des Ciments (SOCOCIM) ;
le réinvestissement n'a existé que pour quelques industries.
(MIFERSO).
Ces projets sont évalués à 150 milliards, soit 34 % de l'enveloppe globale des investissements du VI" Plan.
Cette politique industrielle fondée sur le développement des
activités de substitution aux importations n'a nullement produit
des résultats performants:
-
les économies en devises ont été faibles;
la croissance de la productivité et l'innovation sont marginales;
l'accumulation de capital n'a pas eu lieu;
les rentes formées ont été transférées;
le réinvestissement n'a existée que pour quelques industries.
Il apparaît que dans Je secteur des activités industrelles, les
distorsions s'expriment principalement en termes de coût pour
les produits de l'industrie légère de transformation et en termes
de nature du produit pour les biens manufacturés livrés par l'industrie lourde des pays développés. En effet, la politique industrielle
a généré des coûts de production très peu compétitifs, ce qui
a conséquemment entraîné le recours à des importations massives,
76
souvent frauduleuses, de biens manufacturés pourtant produits
localement.
Parallèlement, l'inexistence d'industries lourdes intégrées a
imposé l'importation de biens d'équipement et, à un autre niveau,
de produits finis industriels pour la consommation des élites
comme les voitures, les télévisions et magnétoscopes, tout l'arsenal électro-ménager, etc.
En définitive, les distorsions industrielles se résument d'une
part par la production de produits manufacturés légers difficilement écoulables tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du fait de leur
faible compétitivité, et d'autre part par l'importation massive de
biens industriels lourds que le tissu industriel ne fabrique pas.
A partir de ces distorsions, les pouvoirs publics ont tiré les
conclusions suivantes:
la substitution aux importations ne peut plus être un moteur
de la croissance industrielle. Il est alors nécessaire de faire
de l'exportation un élément essentiel de la politique industrielle ;
le Sénégal dispose d'un potentiel limité de ressources naturelles à mettre en valeur; seule sa main-d'œuvre peut devenir
un facteur de compétitivité;
le coût des facteurs techniques de production est élevé; seule
une orientation vers la production à haute valeur ajoutée et
à coût unitaire élevé peut permettre de l'affranchir du poids de
ces facteurs en réduisant leur incidence relative (24).
Dès lors, un nouveau modèle de développement industriel a
été institué après des études confiées à Dar-AI-Handasah (25).
Il s'articule autour de deux éléments: la valorisation de la maind'œuvre et l'orientation de l'activité industrielle vers l'exportation
de produits à haute valeur ajoutée et de prix unitaires élevés.
Il est désormais largement fait appel à l'initiative privée.
Section 3 : HYPERTROPHIE ET FAIBLE PRODUCTIVITE DU SECTEUR TERTIAIRE
La part du secteur tertiaire dans le P.I.B. est passée de 49 %
lors du r' Plan à 44,3 % pour le Vie Plan. Dans le même temps,
les investissements passent de 25,8 % à 17,2 %. Ce fléchissement
de la part du tertiaire au cours des dix dernières années ne remet
pas en cause la tendance à la massification de façon absolue des
activités du secteur, comparées aux autres grandeurs caractéristiques de l'économie nationale.
77
Cette place du secteur tertiaire sera consolidée car le VII" Plan
considère les deux principales composantes du tertiaire comme
des programmes d'action prioritaire notamment: Je tourisme et
les transports et télécommunications. Le dynamisme économique
retenu (croissance de 3,5 %) appelle en effet le développement
d'un réseau d'activités d'accompagnement comme le commerce,
les télécommunications et les transports. Le tourisme y est considéré comme une source d'accumulation. Il commence à jouer ce
rôle car il est devenu au cours de ces dix dernières années la
troisième source de devises pour le Sénégal. Ainsi, en 1979, les
recettes touristiques se sont élevées à environ 17 milliards de
francs C.FA en progression de 28,5 % sur les 13 milliards de
l'année précédente.
L'Etat est intervenu dans ce secteur soit directement par le
biais de ses entreprises, soit indirectement par une participation
dans le capital social de certaines entreprises privées. L'évaluation de l'action publique pourrait être réalisée à travers les résultats des entreprises publiques intervenant dans la commercialisation des produits arachidiers et autres, le secteur bancaire et
les activités touristiques.
1)
L'intervention de l'Etat dans le secteur de la commercialisation
Le sous-secteur de la commercialisation et des services est
vital pour tout développement économique et social car il est
constitué d'un ensemble d'activités d'accompagnement qui facilitent les processus d'expansion et de croissance et peuvent jouer
un rôle moteur dans la génération de surplus et la création
d'emplois.
L'Etat, pour ce faire, a mis en place certaines sociétés qui
ont pour mission d'exécuter la politique sectorielle tracée par le
Plan de développement. On étudiera alors les trois entreprises
les plus importantes dans le sous-secteur: la Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix (C.P.S.P.), la Société Nouvelle
pour l'Approvisionnement et la Distribution (SONADIS) et la
Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS).
La Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix (C.P.S.P.)
L'intérêt de l'étude de la Caisse de Stabilisation réside dans
la connaissance et l'évaluation de ses interventions au niveau
de la circulation des biens et dans le processus de formation
des prix. Etablissement Public Industriel et Commercial créé en
1973, la C.P.S.P. avec un fonds de dotation de 1,4 milliard avait
quatre missions principales:
78
assurer l'intégration des actions de stabilisation des prix aux
producteurs et aux consommateurs;
stimuler la production en subventionnant les facteurs modernes
de production agricole;
promouvoir le développement agro-industriel en souscrivant
des participations dans les entreprises;
alimenter les Caisses de l'Etat par les bénéfices réalisés dans
les secteurs à importante plus-value.
La C.P.S.P., à travers ces fonctions, apparaît comme un instrument de mobilisation et d'utilisation des surplus provenant des
rapports avec l'extérieur. C'est pour cette raison que son efficacité dépend de deux séries de facteurs:
-
la première, est d'ordre externe et dépend à la fois du comportement des cours mondiaux des principaux produits exportés
et des prix internationaux des biens de consommation importés. Ainsi, quand les cours de l'arachide, des phosphates,
des huiles ou du coton s'améliorent, la C.P.S.P. se trouve avec
des recettes additionnelles susceptibles d'être mobilisées pour
financer des opérations productives ou pour subventionner
des produits de première nécessité dont les prix se seraient
appréciés;
la seconde série de facteurs est d'ordre interne et concerne
à la fois la fixation par voie administrative des prix des grands
produits agricoles, la politique des salaires, la productivité
du travail et les conditions climatiques qui déterminent le
volume de la production. Chacun de ces éléments peut être
favorable et accroître les recettes de la C.P.S.P. ou au contraire
être défavorable imposant alors des décaissements.
Ces interventions multiformes de la C.P.S.P. peuvent être
résumées comme suit pour les principaux produits qu'elle traite.
Champ
d'Intervention
Arachide
et produits
arachidiers
Nature de l'intervention
Observation
Pélèvement d'une parafiscalité
Gur les huiles
Recette
+
1ntervention sur commercialisation des graines
Recette ju~u'à présent
±
Intervention sur huile raffinée Dépenses dans les conditions
+
zéro
sur le marché intérieur
actuelles
-----
Intervention sur tourteaux pour Depuis 1979, dépenses dans
le marché intérieur
les conditions actuelles
±
Suite p. 80
79
Suite de la p. 79
Riz
Intervention
sur
riz
Importé Recette dans
actuelles
Intervention sur le riz local
Sucre
Coton
Blé
±
les
conditions
±
Recette en passe de devenir
dépense
±
sur
vente
+
de Dépense dans les conditions
actuelles
Intervention sur graine
Recette jusqu'à présent
Invervention sur mil local
Depuis 1979. dépense
les conditions actuelles
±
±
dans
±
Intervention sur farine de mil Depuis 1979. dépense dans
les conditions actuelles
±
Prélèvement sur blé importé Recette faible
+
Intervention sur farine de blé Recette dans les
actuelles
Tomate
±
Prélèvement sur textiles Importés
Recette
Intervention
fibres
Mil
conditions
Dépenses faibles compte tenu
des quantités
Intervention sur sucre Importé Recette dans
actuelles
Intervention sur sucre local
les
Intervention
locale
sur
conditions
±
production
Intervention sur Importation
Egal zéro depuis avril 1979
±
Recette depuis les récents
relèvements de prix à la consommation
±
Participation au financement
des casiers S.A.E.D. pour la
tomate
Dépense
1
provisoire
-
Source: C.P.S.P.. ministère du Commerce.
Pour ce qui est de sa seconde fonction à savoir encourager
l'utilisation à grande échelle des facteurs modernes de production agricole, la caisse n'intervient pas isolément. Elle le fait en
liaison étroite avec le Fonds Mutualiste de Développement Rural
(F.M.D.R.), dont les objectifs sont d'une part de garantir les prêts
accordés par la B.N.D.S. aux producteurs et d'autre part de subventionner les facteurs de production et les actions de développement agricole.
Par ailleurs, la C.P.S.P. peut obtenir des financements spéciaux
du Trésor, des aides internationales ou des recettes conjoncturelles comme les fonds en provenance de la C.E.E. au titre du
STABEX (6 milliards en 1979).
Avec la conjoncture difficile caractérisée actuellement par
la détérioration permanente des termes de l'échange, "accrois-
80
sement de la demande nationale de produits alimentaires, l'effondrement de l'agriculture et la baisse constante de l'aide extérieure les perspectives de la Caisse seront encore mauvaises
surtout si les pouvoirs publics maintiennent la politique de subvention des biens de consommation et des facteurs de production.
Dans ce contexte, les charges vont s'accroître de façon accélérée sans que les recettes suivent, Il en résultera nécessairement un déficit qui ira en s'accentuant comme l'indique le tableau
suivant:
Tableau 2.18: DEFICITS DE LA C.P.S.P.: 1979·1985 (en milliards de francs C.F.A.)
1979
1980
1981
1982
1983
1985
1984
- - - - - - - - - - --Comptes consommation .
Huile d'arachide .....
Sucre d'importation ....
Riz d'importation . . . . . .
Concentré tomate , . · .
Comptes production · .
Arachide d'huilerie ....
Sucre canne locale ....
Riz local . . . . . . . . . . . . .
Programme agricole .. · .
Transactions financières.
Solde des opérations · .
2,0
-1,2
1,7
1,6
- 0,7
1,0
6,9
0,9
-1,2
- 5,2
-0,2
2,8
1,4
-0,3
0,7
1,1
-0,1
-4,7
2,6
0,4
-1,4
-6,3
-5,2
-8,5
-
4,5
-1,8
2,5
-1,7
-0,2
0,9
1,0
0,2
-0,1 0,1
-0,7 6,4
8,8
5,2
0,2
0,4
-1,8
2,3
-7,7
8,7
-5,4
5,5
-7,9 -16,4
-
-
-
-
-
-
-
6,0
7,3
8,4
2,5
3,4
3,2
1,1
1,1 1,1
1,9
3,8
2,9 7,9
0,1
0,1
- 0,1 -10,0 -12,1
7,4 8,9
6,3 3,3
2,1
- 1,0
4,5
3,6 - 2,9
9,9 -11,3 -12,8
3,7
3,9
5,7
-19,6 -12,0 -24,1
-
-
-
Source: Ministère du Commerce, C.P.S.P.
Comme on le voit, le déficit de la C.P.S.P. devra s'approfondir
pour deux raisons résidant d'une part dans l'incapacité du maintien de la croissance des exportations et d'autre part dans les
faibles possibilités de compression des importations. Dès lors,
à l'augmentation rapide des
rémunérations et salaires» de
"Administration publique qui passent de 25,8 milliards en 1974
à 100 milliards en 1984, il convient d'ajouter une extension des
subventions d'exploitation aux entreprises qui passent de 7 milliards en 1978 à 20 milliards en 1982. La décomposition de ces
subventions par secteur met en relief l'importante part prise par
la C.P.S.P. dans le soutien à la consommation privée. Si ces
tendances se poursuivent, le déficit des opérations courantes de
l'Etat serait insoutenable et engendrerait alors une profonde crise
de paiements intérieurs qui se manifesterait par l'impossibilité
pour l'Administration Centrale de continuer à assurer le traitement de ses fonctionnaires ou encore par une forte accumulation
d'arrièrés de paiements dont les effets sont largement déflationnistes pour l'économie nationale.
(C
81
Dans ces conditions, l'ajustement économique et financier
devient un impératif incontournable. Cela a imposé la mise en
place d'un plan de redressement économique et financier pour
permettre l'assainissement de toutes les structures et pour rétablir les grands équilibres. La Banque Mondiale recommande dans
cette direction l'élaboration d'un programme d'actions qui attaque
les problèmes dans l'ordre et fixe des buts d'action précis sur
un certain nombre de fronts. Ce programme doit comprendre
trois points:
-
améliorer les finances publiques et la gestion du secteur
public;
aménager des pôles de croissance de manière à redonner de
l'élan au secteur agricole et aux autres secteurs de l'économie
nationale;
planifier et contrôler l'investissement (26).
Plus ponctuellement la Banque Mondiale insiste sur la nécessaire compression de la demande il1térieure de consommation
privée et publique. Elle observe que «le problème fondamental
a été le recours à l'emprunt extérieur pour soutenir la consommation plutôt que l'investissement » (27). Par ailleurs, toujours selon
la Banque Mondiale, les autorités sénégalaises n'ont réussi ni
dans le passé ni dans le présent à contrôler la consommation.
Pour y arriver, il faut appliquer de façon stricte la «vérité des
prix » ce qui équivaudrait à l'abandon des subventions et à l'acceptation des mécanismes de détermination libre des prix sur les
marchés des produits et des facteurs.
S'il est souhaitable d'opérer les ajustements indispensables
à partir de programmes de sortie de crise, il faut se garder d'appliquer mécaniquement certaines recettes dont l'efficacité économique est douteuse et qui de surcroît ont des coûts socio-politiques énormes. C'est dire que le rétablissement des grands
équilibres doit être réalisé à partir d'un plan techniquement bien
conçu et cohérent, qui minimise les risques sociaux en répartissant de façon équitable et productive tout le poids de l'ajustement. Les plans conçus par la Banque Mondiale ne prennent
pas en charge de telles préoccupations et, partant. sont discutables au double plan théorique et social. En prenant l'exemple de
la vérité des prix, on s'aperçoit que les conditions institutionnelles
de sa réalisation sont loin d'être réunies dans une économie
dualiste obéissant à plusieurs centres de décision. Le fonctionnement du marché est pervers et se heurte à plusieurs entraves
structurelles, sociologiques et naturelles. Et une application de
la vérité des prix se ramènerait à faire supporter le fardeau de
l'ajustement aux agriculteurs. aux petits salariés et aux titulaires
82
de faibles revenus. Il est vrai que la politique des prix administrés
n'est pas efficace car n'étant ni rémunératrice ni incitatrice. Elle
a entraîné une détérioration permanente du revenu moyen des
producteurs et de leur pouvoir d'achat. Il en va de même pour les
petits salariés dont l'augmentation des revenus tardera toujours
par rapport à celui des prix.
De plus, le système de prix administrés a entraîné des transferts de revenus des campagnes vers les villes et un appauvrissement généralisé des producteurs agricoles qui se trouvent ainsi,
dans l'impossibilité d'améliorer leurs conditions de travail et
d'existence et d'amorcer un auto-développement.
Cependant, l'instauration d'une simple vérité des prix n'est
pas de nature à régler les problèmes complèxes de déséquilibres
économiques et financiers. Il faut s'engager dans une toute autre
direction de redéfinition de la stratégie de développement avec
de nouvelles politiques sectorielles, un autre modèle d'accumulation productive, une politique de revenu qui stoppe les transferts
de ressources des campagnes vers les villes et l'extérieur. Dans
ce contexte, un établissement public comme la Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix pourrait jouer un rôle décisif.
La Société Nouvelle pour l'Approvisionnement et la Distribution
(SONADIS)
La Société Nouvelle pour l'Approvisionnement et la Distribution
a été créée en1965 à la suite du repli des grandes maisons traditionnelles de commerce come la S.C.O.A., la Compagnie F.A.O. et
la NOSOCO. Celles-ci et notamment la Société Commerciale de
l'Ouest Africain (S.C.O.A.) ont opéré une très importante reconversion en s'intéressant d'une part au contrôle des importations des
biens d'équipement et de produits de consommation de luxe et
d'autre part à l'industrialisation d'import-substitution. Ainsi elles
tentent de substituer aux profits de l'économie de traite des plusvalues en provenance des importations et de l'industrialisation.
C'est principalement pour combler le vide laissé par ces
grandes maisons de commerce et pour assurer un approvisionnement régulier en biens de consommation industriels et agricoles,
que la SONADIS a été mise en place le 15 mai 1965 avec un capital
de 488 750 000 F C.F.A. se répartissant comme suit:
- Etat du Sénégal
. 16,40 %
- S.C.OA (Chaîne Avion)
. 56,20 %
SOSECOD
. 10,20 %
- Compagnie Sénégalaise du Sud-Est
.
5,20%
- Banques
. 1,80%
- Industriels locaux
_
. 10,20 %
83
Cette participation insignifiante de l'Etat ne lui donne aucune
possibilité juridique d'infléchir l'évolution de la société dans le
sens des objectifs fixés en matière d'activités commerciales. En
novembre 1973, l'Etat franchit une nouvelle étape en prenant
61 % du capital social de la société qui devient ainsi une Société
nationale. Deux missions lui sont désormais assignées: d'une
part l'achat et la redistribution de produits pour les populations
surtout rurales et d'autre part, la régulation du marché national
de denrées stratégiques. L'Etat se donne ainsi un outil de lutte
contre les opérations de stockage illicite et de pénurie de produits
organisée par les opérateurs privés en vue d'accroître les prix
et leurs profits. En 1983, une augmentation de capital est décidée
par le plan de redressement économique et financier. Elle permet
particulièrement l'élargissement des parts de l'Etat qui contrôle
environ 90 % des actions, le reste étant partagé entre les banques
et les opérateurs économiques sénégalais.
Pour accomplir les missions qui lui sont dévolues, la SONADIS
dispose de 17 dépôts disséminés à travers toute l'étendue du
territoire, de 126 succursales qui constituent une importante
force de vente et d'un parc automobile lui permettant d'assurer
l'approvisionnement et la livraison aux succursales et dépôts. Enfin
la SONADIS emploie:
263 salariés dont les 17 gérants de dépôts de gros;
126 gérants mandataires correspondant au nombre de succursales.
Malgré cette prépondérance du capital public, la gestion de la
SONADIS est basée sur les critères habituels de rentabilité et
les règles en usages dans les sociétés commerciales de droit
privés. Ce pendant, il faut nuancer cette opinion car la société à
une mission de service public qui se résume à la sauvegarde de
l'uniformité des prix dans toutes les succursales. Ceci la condamne
à prendre en charge une bonne part des frais de transport sans
péréquation, ce qui grève lourdement sa rentabilité. Ainsi, au cours
de l'exercice 1978-1979 par exemple sur les 136660 000 F de frais
de transport supportés par le département détail, 61 540 000 F
sont restés non répercutés aux pris de vente des produits. Les
résultats de la SONADIS ont d'ailleurs évolué comme suit:
1971-1972
42280 000
47316 000
1972-1973
40 633 045
1973-1974
1974-1975
65379100
1975-1976
82 094 264
84621757
1976-1977
1977-1978
213568931
1978-1979
107127167
84
La SONADIS, dont les fonctions sont de régulariser les circuits
de distribution tout aussi bien dans les villes que dans les campagnes, d'empêcher le développement de la spéculation sur les
prix, d'éviter des ruptures d'approvisionnement, de sauvegarder
le pouvoir d'achat des consommateurs, rencontre d'énormes difficultés liées principalement à une concurrence inégale et parfois
même déloyale. Ainsi, dans certains domaines de l'import-export,
il continue d'exister des groupes puissants appuyés à la fois par
le système bancaire et les anciens comptoirs et qui exercent un
quasi-monopoles sur l'importation et la commercialisation de
certains produits et biens de consommation. Ces unités ne supportant pas de charges lourdes aux plans social, fiscal et douanier
s'avèrent plus compétitives que la SONADIS. Par ailleurs, au niveau
du détail, la SONADIS ne résiste pas toujours à la chaîne des
commerçants mauritaniens qui jusqu'à leur départ récent, ont mis
en place des systèmes d'approvisionnement et de distribution
souples et peu coûteux et qui ont réussi à rapprocher les produits
des consommateurs.
C'est dans cet environnement difficile et conflictuel que tente
de survivre la SONADIS qui ne dispose pas d'une totale liberté
d'organisation économique et financière. C'est ainsi par exemple
qu'en matière de prix, sa marge de manœuvre demeure limitée
par le principe de l'homologation qu'elle est seule à respecter
scrupuleusement.
Face à toutes ces conditions défavorables, la SONADIS risque
d'être condamnée à disparaître laissant à l'Etat comme en pareille
circonstance un lourd passif. Cette tendance est largement amorcée avec les déficits qu'accumulent les bilans de ces dernières
années.
La seconde cause des difficultés de la SONADIS réside dans
ses formes d'organisation et de gestion qui ne permettent pas
une certaine flexibilité pour s'adapter à un environnement instable
et hostile. Dans le contexte qui est le sien, la société devrait être
très agressive pour faire connaître ses produits, accroître son
potentiel de vente et contrer tous les concurrents par une politique de prix dissuasive.
Pour atteindre de tels objectifs et rentabiliser la société l'Etat
devrait mettre en œuvre une politique de soutien qui s'articulerait autour de trois éléments:
-
octroi d'un monopole à la SONADIS pour l'importation et la
distribution de certains produits estimés stratégiques;
la définition, par des textes clairs, des conditions d'insertion
dans les circuits de distributions. Ce point est essentiel et
urgent car de plus en plus la nécessité s'impose pour l'Etat
de définir son rôle en matière de commercialisation et de dis-
85
tribution et cela en rapport avec les initiatives privées nationales et étrangères.
De telles mesures permettront de relancer l'intérêt de la
SONADIS et de lui faire jouer son rôle moteur dans la réalisation
de la politique étatique en matière de régulation et d'assainissement des circuits de commercialisation et de distribution.
La SONADIS devra à son tour, élaborer un plan adéquat de
ses activités en s'efforçant de résorber les différents blocages
de son système organisationnel et ensuite repenser totalement
ses modes d'approvisionnement et son système de" contrôle des
dépôts et succursales. Une nouvelle organisation plus active aura
l'avantage d'une part de surveiller le bon fonctionnement du réseau
du point de vue commercial et de gestion et d'autre part de résorber l'épineux problème du contrôle des différents exécutants
(inspecteurs, gérants, inventoristes) en sauvegardant du même
coup la trésorerie de la société.
La SONADIS peut être rentable et ne point disparaître comme
le souhaitent certains commerçants étrangers et spéculateurs
nationaux. Toutefois, elle devrait faire l'objet d'une évaluation
approfondie devant déboucher sur une politique plus appropriée
et plus efficiente qui se réaliserait en deux étapes:
-
une première étape qui serait de relance systématique qui
nécessitera la mise en place de nouvelles formes plus rigoureuses de gestion et d'organisation ainsi qu'un appui plus
massif et plus systématique de l'Etat. Dans cette phase, la
société devrait choisir une politique de stackage qui soit capable de concilier un haut niveau de service avec la nécessité
d'une réduction des coûts. En même temps, elle devrait étudier
la façon dont les différentes décisions devront être coordonnées;
dans une deuxième étape, la société devrait réduire le plafond
de crédit pour mieux assainir sa trésorerie et rendre plus rationnelles ses décisions d'achats. Celles-ci devront se faire en
fonction des besoins exclusifs des clients.
LA SOCIETE NATIONALE DE COMMERCIALISATION DES OLEAGINEUX DU SENEGAL (SONACOS)
Cette société occupe une place essentielle dans la filière
arachidière. Elle a été créée en 1975 par un protocole d'accord
conclu entre l'Etat sénégalais qui détient 65 % des actions et
les huileries qui assurent le reste du capital d'un montant de un
86
milliard de F C.F.A. Le nouvel établissement possède désormais
la plus grande capacité de trituration et produit essentiellement
de l'huile d'arachide et des tourteaux destinés à la fois à la
consommation intérieure et à l'exportation.
La création de la SONACOS avec une gestion autonome a
introduit une mutation fondamentale dans la production et la
transformation de l'arachide dont le circuit commercial s'arrêtait
aux portes des huileries qui échappaient totolement au contrôle
des pouvoirs publics et des opérateurs nationaux. Comme l'observe
G. Rocheteau, « au lendemain de la guerre, l'huilerie sénégalaise
comprenait deux groupes d'unités:
sept entreprises sous contrôle familial: Petersen, famille Oeconis, famille Jessula ;
trois entreprises sous contrôle industriel: Lesieur-Afrique, la
S.O.D.E.C. et l'Huilerie de la C.F.A.O. " (28).
La période postérieure consacre une autre évolution et surtout
une nouvelle distribution du capital de l'huilerie sénégalaise.
L'Etat interviendra dans le secteur et prendra le contrôle de la
S.E.I.B. (Société Electrique et Industrielle du Baol) devenue une
composante décisive de l'industrie des corps gras.
Ainsi, en 1974, la structure financière de cinq huileries était
très saine et les conditions d'exploitation étaient excellentes
comme l'indique le bilan agrégé des huileries (en milliards de
francs C.F.A.) :
valeur des immobilisations brutes. . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
amortissements cumulés
immobilisation nette
capitaux permanents .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10,6
6,0
4,6
7,3
Le chiffre d'affaires global se montait à 46 milliards pour
37,6 milliards d'achats. Quant à la valeur ajoutée, elle s'élevait
à 10,3 milliards et se répartissait comme suit:
salaires et charges sociales
.
.
frais financiers et assurances
impôts et taxes
.
résultat brut d'exploitation " " " "
2,16
0,429
2,827
4,870
milliards
milliard
milliards
milliards
F
F
F
F
C.F.A.
C.F.A.
C.F.A.
C.F.A.
Pour cette même année, l'épargne brute s'est élevée à 3,4 milliards ce qui signifie que les huileries avaient une capacité résiduelle de financement d'un montant de 734 millions.
L'Etat avait perçu au titre des impôts et taxes une valeur de
4 milliards et les actionnaires privés ont reçu au titre du résultat
brut d'exploitation des dividendes d'un montant de 3,4 milliards.
87
Cependant, l'Etat ne contrôlait point les produits tirés de la
vente dans la mesure où chaque huilerie triture et vend suivant
des systèmes de facturation propres à sa société mère située
en métropole.
L'un des objectifs de la SONACOS était justement de corriger
une telle situation. Depuis sa création, elle rémunère les sociétés
privées et rembourse les dépenses qu'elles ont effectivement
faites. Les bénéfices que la SONACOS tire de toutes ses opérations se répartissent désormais comme suit: 65 % reviennent à
l'Etat et le reste va aux huileries. En valeur, ces bénéfices ont
été de :
-
5,7 milliards en 1976 ;
4,9 milliards en 1977 ;
3,2 milliards en 1978.
La SOI\lACOS donne une parfaite illustration d'une société
qui permet à l'Etat de participer aux plus-values de l'huilerie.
Le pricipal problème à résoudre pour accroître encore plus
la rentabilité de la société réside dans le financement des investissements de maintenance des immobilisation appartenant aux
huileries. Il s'agit d'une anomalie qui alourdit sans raison les
charges de gestion de la société.
2)
Les interventions de l'Etat dans le secteur bancaire
Du régime colonial, le Sénégal a hérité de 4 banques françaises dont trois nationalisées qui se sont très vite transformées,
après l'indépendance, en banques de droit sénégalais. Il s'agit
du Crédit Lyonnais devenu Union Sénégalaise de Banques
(U.S.B.), de la B.N.P. qui est la Banque Internationale pour le
Commerce et l'Industrie (B.I.C.I.S.) la Société Générale qui devient
la Société Générale de Banques au Sénégal (S.G.B.S.) et la BAO.
devenue Banque Internationale pour l'Afrique Occidentale Sénégal
(B. I.A.a.). Ce sont ces éléments qui forment l'essentiel du réseau
bancaire sénégalais et qui jouent encore des fonctions déterminantes dans la mobilisation de l'épargne et sa transformation
en investissement. La Banque Nationale de Développement qui
était à l'origine exclusivement tournée vers le financement des
activités du monde rural s'est progressivement ouverte à d'autres
secteurs de l'économie notamment l'industrie, le commerce, la
pêche et le tourisme.
Ce système bancaire et de crédit de par sa dépendance vis-àvis de la métropole ainsi que de ses formes d'organisation, a
fait l'objet de deux critiques quelque peu pertinentes. La pre88
mière critique se fonde sur le fait que les banques dites sénégalaises ne sont en définitive que des filiales des grandes banques
françaises et peuvent transférer librement des fonds vers la métropole non seulement sur ordre de leurs clients, mais également
pour leur propre compte. Cette libre transférabilité a toujours
empêché l'instauration d'une politique monétaire et de crédit
favorable au financement du développement.
La seconde critique adressée au système bancaire est que
celui-ci oriente la distribution du crédit d'une part en faveur du
financement de l'économie de traite et d'autre part dans le sens
de l'approfondissement des relations de dépendance.
Ce sont ces évaluations critiques qui ont conduit à la création
d'institutions financières publiques et la prise de participation
majoritaire de l'Etat dans le capital de certaines banques initialement sous contrôle de privés étrangers. L'Etat, par ces différentes
nterventions, va pouvoir d'une part établir une politique monéaire et financière adéquate dans les limites fixées par l'Union
"Union
.Aonétaire Ouest Africaine (U.M.O.A.) et d'autre part orienter les
.:rédits en direction des projets prioritaires retenus par le Plan
lational. Ainsi le Gouvernement se dote d'un instrument propre
lationaL
jont il faut analyser les domaines d'intervention.
a)
Motifs et domaines d'intervention
L'Etat est intervenu principalement pour réorganiser le système
bancaire national et y opérer de mutations indispensables pour
faire jouer aux banques commerciales un double rôle positif de
financement du développement et de promotion des hommes
d'affaires sénégalais. Une des revendications des opérations
économiques nationaux a été, depuis l'accession à l'indépendance,
l'ouverture du crédit aux affaires nationales, mais surtout l'établissement d'une procédure de sélection des demandes de crédits
émanant des entrepreneurs nationaux n'ayant pas les garanties
exigées par le système bancaire classique. Pour réaliser ces
objectifs, l'Etat est intervenu dans le secteur et notamment au
niveau de la B.N.D.S., de l'U.S.B. et de la B.LC.LS.
B.I.C.I.S. Sa participation apparaît dans le tableau suivant:
Date
de création
Capital social
Pourcentage
participation
Montant
de la participation
1964
1961
1962
2400 000 000
2 000 000 000
2 000 000 000
72,91
72.91
62,24
42,00
1 749840 000
1 244800 000
840 000 000
1
B.ND.S... ,
U.S.B....
B.I.C.I.S. ..
Source: Ministère de l'Economie et des finances.
89
Ainsi, la participation de l'Etat dans les institutions financières s'élève à environ 5 milliards, Cette intervention déterminante a principalement pour objectif d'orienter l'action bancaire
dans le sens du financement des opérations agricoles considérées
comme prioritaires.
L'Etat est intervenu massivement dans ce secteur pour se
donner les moyens de modifier un système bancaire de financement de l'économie de traite. Toutes les banques commerciales
participaient alors au financement des importations de produits
finis et de biens de consommation en provenance de la métropole et au financement des opérations d'exportation des matières
premières composées essentiellement de l'arachide et de ses
dérivés. A ces fonctions s'ajoute celle de la collecte des dépôts
de personnes physiques et morales. Après l'indépendance, bien
que le statut juridique des banques ait été modifié avec la mise
en place d'une nouvelle réglementation, les mentalités et les
manières d'opérer n'ont subi aucune évolution. Cela a amené
Amadou Sow à constater que "ces banques sont prisonnières
de leur passé, de leurs méthodes et de leurs habitudes et ont de
la peine à reconvertir leur mentalité de banques de dépôts en
banques de développement. Habituées depuis leur existence à
financer du court terme, elles éprouvent des difficultés à concevoir une autre politique bancaire. Ces opérations de financement
du développement exigent d'abord des fonds stables et la capacité de concevoir des risques nouveaux et difficiles à cerner" (29).
Dans ce contexte, l'Etat est contraint d'intervenir pour définir
une réglementation bancaire appropriée, fixer de nouvelles règles
de jeu et concevoIr une autre politique pour pallier l'insuffisance
de l'intervention bancaire dans le fimancement des opérations
d'investissements prioritaires.
L'Etat pourra orienter le secteur bancaire vers des activités
de promotion des entreprises agricoles et industrielles et il devra
en même temps contribuer à créer une volonté politique au niveau
des dirigeants des banques pour qu'ils s'intéressent aux nouvelles
activités. Comme l'observe
J'observe M. Amadou Sow, "cette politique
de promotion nécessite des structures et des hommes formés à
ce genre d'activités mais elle suppose aussi des moyens susceptibles d'être employés sous forme de crédit à moyen et long termes,
ce dont manquent les banques" (30). Elles ne disposent d'ailleurs
pas de ressources stables.
Cette intervention de l'Etat a-t-elle atteint ses objectifs notamment dans le financement des activités agricoles? Pour y répondre, nous pouvons commencer par évaluer les crédits accurdés
aux différents secteurs de l'activité économique par les principales
banques où la participation de l'Etat est importante. Les évolutions
caractéristiques peuvent être résumées dans le tableau suivant:
90
Tableau 2.19: EVOLUTION DES
(en millions de francs C.F.A.)
CREDITS
AU
SECTEUR RURAL:
1979
1978
BNDS
USB
BICIS
1978·1979
Total
BNDS
USB
BICIS
Total
- - - - - - - - -- -- - Secteur prioritaire .. 19916 7267
Agriculture et pêche 12115
704
Autres ........ , ... 7801 6563
Secteur non prIorItaire ............ 6624 4448
ONCAD _ SODEFI TEX ........ . .. 21 216 6421
'
10222 37405 27565 10575 9281
733 13552 16688 1008
882
9489 23853 10877 9567 8399
7219 18291
9495
9967
3288 30925144 097 10092
8226
47421
18578
28843
27688
2929157118
1
Source: B,ND.S.
Ces crédits sont distribués sous deux formes:
-
les crédits à la production qui ont pour fonction de réaliser
le programme agricole au niveau des coopératives rurales et
d'aider à l'équipement des agriculteurs et éleveurs individuels;
les crédits à la commercialisation des produits agricoles qui
sont souvent appelés crédits de campagne et qui sont destinés
à financer des opérations de commercialisation concernant
principalement l'arachide et le coton.
Le premier volet de la première catégorie de crédit concerne
le programme agricole qui est élaboré par le ministère du Développement rural, examiné par le Conseil de gestion du Fonds
Mutualiste de Développement Rural (F.M.D.R.) et soumis ensuite
au Conseil interministériel dont l'approbation signifie que le financement de la partie subvention est assuré. Après avoir franchi
cet échelon, le Programme agricole devient exécutoire et il est
transmis à la S.O.N.A.R. qui a assuré jusqu'à sa disparition, et à
la suite de l'O.N.C.A.D., l'approvisionnement du monde rural.
L'exécution du programme agricole (P.A.) est financée par la
RN.D.S. et l'Etat. La B.N.D.S. accorde aux coopératives plusieurs
types de crédits dont les montants s'inscrivent dans l'autorisation
préalable délivrée par la Banque Centrale. Ces crédits bénéficient
du taux d'escompte préférentiel (8 %) et sont mobilisables auprès
de l'Institut d'Emission. Ils sont destinés au financement:
-
de l'acquisition des matériels et produits agricoles auprès des
fournisseurs;
du transport et de la mise en place de ces produits;
de l'acquisition des animaux de trait après dressage;
du renouvellement du capital financier.
91
La B.N.D.S. bénéficie de garanties destinées à couvrir globalement, les risques assumés par les prêts accordés aux coopératives. Quant à "Etat, il intervient par l'intermédiaire du F.M.D.R.
dont le budget est intégré à celui de la Caisse de Péréquation
et de Stabilisation qui prend en charge la différence entre le prix
de revient des facteurs de production et le prix de cession aux
producteu rs.
Le coût du programme agricole a évolué comme suit en millions
de F C.F.A.
Tableau 2.20: COUT DU PROGRAMME AGRICOLE (1973-1974 - 1978-1979)
Campagne
1973-1974
1974-1975
1975-1976
1976-1977
1977-1978
1978-1979
A la charge
du paysan
Subvention
de l'Etat
Coût total du
programme agricole
336,1
935,0
961,3
4494,8
1 851,7
1647,6
1 062,4
1705,0
5506,4
4921,9
1968,0
3331,2
, 398,5
2240,0
6667,7
9416,7
3819,7
4978,8
.......
.......
.......
.......
. ......
.......
Source: BCEAO, Economie Ouest-Afriucaine, n<J 266-290.
Les crédits comme les prêts de semence sont remboursables
chaque année soit par apport en graines, soit par versement en
espèces. Les exigibles et remboursements de dettes B.N.D.S. ont
évolué comme suit en millions:
Rubriques
....
Exigibles
Remboursement
Impayés . . ...
1974-1975 1975-1976 1976-1977 1977-1978 1978-1979 1979-1980
1441,8
1 103,3
338,5
2138,0
1934,9
203,1
2928,2
2456,6
471,6
3162,8
3162,8
4453,1
2429,1
2024,0
5383,5
2 184,4
3199,1
Source: B,ND,S.
Il ressort de ce tableau à la date du 30 septembre 1980 que
les coopératives avaient des créances impayées d'un montant
de 7 917 836 068 francs. Le capital social des coopératives sert
de garantie aux crédits reçus et ce capital se subdivise de la
manière suivante:
- 60 % dans le compte 4011 créd!teur au 30 septembre 1980
de 171 991 477 francs;
40 % dans le compte 4971 ouvert au nom du F.M.D.R. avec
un solde créditeur au 30 septembre 1980 de 25519582 francs
qui sert de garantie aux crédits accordés.
92
Le deuxième volet concerne les crédits aux exploitants individuels qui ont évolué comme suit:
Court terme
Exercices
1974-1975 .....
1975-1976 .....
1976-1977 .....
1977-1978 .....
1978-1979 .....
Moyen terme
-
Total
Nombre
Montant
Nombre
Montant
'2
15
4
1
71
26837000
36930000
10294500
12571 709
69930232
19
13
7
14
2
36811 000
43440000
39088934
166327394
18658000
63648000
80370000
49383434
178899103
88588232
Source: B.N.D.S.
Cependant, au fil du temps, les impayés se sont multipliés
ce qui allait entraîner la suspension de ces crédits aux exploitants
individuels.
En ce qui concerne la deuxième catégorie de crédit, elle est
constituée du crédit de commercialisation qui comprend trois
volets:
le crédit à la commercialisation arachidière ;
le crédit à la commercialisation des produits vivriers secondaires;
le crédit à la commercialisation cotonnière.
Le premier volet concerne le crédit à la commercialisation
arachidière. La commercialisation de ce produit est assurée selon
la loi n° 8041 du 25 août 1980 par la SONACOS et la SEI.B.
La situation du financement était la suivante au 8-10-1981 :
SONACOS: arachide d'huilerie
Financement brut
Retour de fonds
Financement net
Encours en capital
~
.
.
.
.
7393309000
704000000
6689309000
2939573134
.
.
.
744 000000
344934757
1 194 804 835
S.E.I.B. :
Financement brut
Graines livrées par SONACOS
Financement net
Le financement net SONACOS-SEIB pour toutes les variétés
s'est élevé au 29 janvier 1982 à 47020805789 francs se décomposant comme suit:
93
1)
SONACOS
Arachide d'huilerie
Financement brut
- Retour de fonds
Financement net
.
.
.
38 049 355 487
1400000000
36 649 355 487
.
.
4342200450
40 993 555 937
Graines sélectionnées
Financement net
Total financement net
2)
S.E.I.B.
Arachkle d'huilerie
Financement brut
- Retour de fonds
Financement net
.
.
.
6092335261
600000000
5492355261
Graines sélectIonnées
Financement net
Total financement net
.
.
536914600
6029249861
Pendant cette campagne, le prix au producteur a été fixé à
70 francs le kg avec 60 francs payés au comptant et 10 francs de
retenue pour le remboursement B.N.D.S.
Le second volet concerne le crédit à la commercialisation des
produits secondaires qui rentre dans le cadre de la politique de
diversification des produits agricoles. En effet, il faut rappeler
que le V· et VI· Plan avaient insisté particulièrement sur la diversification des cultures pour d'une part échapper à la tyrannie
de l'arachide et d'autre part réaliser l'autosuffisance alimentaire.
C'est ainsi que le Sénégal pourrait réduire sa trop forte dépendance vivrière. Dans cette optique, le V· Plan observait que le
déficit vivrier global était trop élevé et atteignait en moyenne
300000 tonnes de céréales dont les deux tiers en riz. De même,
le coût des importations de céréales intervient pour 50 % dans
le déficit de la balance commerciale du Sénégal et l'on peut
estimer que plus de la moitié du revenu tiré de l'arachide sert
à financer les importations de céréales (31). Les encouragements
à la diversification s'avèrent indispensables et concerneront le
maïs, le sorgho, le mil sou na, le sanio et le niébé. Dans ce cadre,
l'encours des produits secondaires qui constitue le second volet
des crédits à la commercialisation a été au 30-9-1980 de :
Campagnes
Campagne 1978-1979
Campagne 1979-1980
Source: B.ND.S.
...............
....... ···· .. ··1
Encours global
Encours B.N.D.S.
13957980713
3535960384
17 493 941 097
8263213044
2071542348
10 334 755 392
Enfin, le troisième volet concerne le crédit à la commercialisation du coton qui est assurée par la SODEFITEX.
Le financement est réalisé par un consortium bancaire dirigé
par la S.I.A.O. dont 35 % du capital de 3,077 milliards sont à
l'époque contrôlés par l'Etat
Les crédits accordés par la B.N.D.S. à la SODEFITEX ont été
durant ces cinq dernières années (en millions de F C.F.A.) de:
1975-1976
1976-1977
1977-1978
1978-1979
1979-1980
1575
1 274
1
1722
1 728
'525
1
Source: B.ND.S.
La problématique de la campagne de commercialisation s'est
modifiée depuis 1983. Mais dè 1980, les principales décisions de
refonte de la politique agricole sont intervenues avec notamment
la dissolution de l'O.N.C.A.D. qui avait géré de façon catastrophique la filière arachidière. Le Gouvernement a confié la commercialisation aux huileries que sont SONACOS et la S.E.I.B., l'approvisionnement du monde rural en facteurs de production et la
gestion des semences à la Société Nationale d'Approvisionnement du Monde Rural (SONAR) jusqu'à sa dissolution en 1986.
Par la suite, cette logique de rationalisation, d'assainissement et
de réduction des coûts de la filière se poursuit encouragée par
les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds.
Au cours de la campagne de commercialisation 1984-1985,
des innovations sont introduites dans le souci de supprimer ou
de limiter les différents déchets. Les réformes entreprises s'articulent autour:
du remodelage des zones d'intervention de la S.E.I.S. (Diourbel, Louga, Fleuve) et de la SONACOS (reste du pays) ;
de la prise en charge par les huiliers de la commercialisa.tion
auprès des producteurs en lieu et place des coopératives;
de la suspension de certaines fonctions qui étaient dévolues
aux coopératives et de la prise de propriété sur les graines
dès les points de collecte.
L'évacuation des graines ainsi que les risques liés aux opérations de collecte sont directement assumés par les huiliers.
Ces modifications affectent également le volet financier qui
est assuré par la mise en place d'un crédit consortial fixant à la
fois le prix au producteur et les frais de commercialisation. Ce
crédit est ouvert au nom de chaque huilier qui procède aux opéra95
tions de tirage et de versement sur son compte. Donc l'huilier
assure le paiement des graines à l'aide du crédit consortial grâce
à des financements hebdomadaires établis à partir d'un plan de
financement. Les fonds sont remis à des gérants et doivent servir
exclusivement à l'achat de graines coques apportées aux seccos
par les producteurs. En outre les frais de commercialisation sont
fixés au début de chaque campagne et comprennent:
les frais variables c'est-à-dire la rémunération des coopératives, le matériel de collecte, les frais de tolérance pour déchets
de sec co, les frais de tolérance pour déchet de route, les
frais financiers, les frais pour autres pertes diverses, les frais
de transport, de manutention et de stockage;
les frais semi-variables qui comprennent essentiellement la
rétribution des gérants;
les frais fixes qui se composent des frais de mise en place
des fonds, des assurances, des frais de décorticage et des
frais généraux.
.
Les financements reçus par les établissements ont été au
9-4-1985 de (en francs C.F.A.) :
Etablissements
Arachide
huilerie
Dakar ..........
2068683 926
Lyndiane ....... 4326378780
710114140
Tambacounda .. '
... 3725908584
Ziguinchor
Cumul
........ 10 832 085 430
Semences
huilerie
666857187
851386139
278136906
689958396
2486338628
Arachide
bouche
137957120
75537140
213494310
Total
2735541113
5315722089
988 251 046
4491404130
13530918368
Source: B.C.E.A.O.
Toutefois, la nouvelle organisation n'a pas été très performante car les prévisions n'ont pas été atteintes. Les réalisations
n'ont été que de 34,6 % alors qu'elles devraient se situer entre
400 et 450000 tonnes soit 65 % à 70 % de la récolte attendue.
Les causes de cette situation résident dans:
-
96
la constitution et le développement d'un marché parallèle
agressif par ses prix plus rémunérateurs. En effet: ce marché
offrait 75 francs par kilo sans criblage, ni retenue alors que le
prix officiel était fixé à 50 francs;
la trituration artisanale qui s'est développée du fait de l'augmentation du prix interne de l'huile. Le prix de vente de l'huile
alimentaire étant passé de 300 à 500 francs, sachant qu'il faut
5 kg d'arachide pour obtenir un litre d'huile et divers résidus
servant comme aliments du bétail, la trituration devient plus
rentable que la commercialisation de l'arachide brute;
- la dissémination des points de collecte et leurs conditions
difficiles d'accès qui constituent des obstacles à la commercialisation.
Face à ces problèmes, les Pouvoirs publics ont envisagé de
nouvelles mesures en vue de la campagne 1985-1986. La plus
importante de ces mesures est certainement la fixation de nouveaux prix au producteur qui sont de 90 francs/kilo pour l'arachide
d'huilerie et 135 francs/kolo pour l'arachide de bouche. En outre,
les points de collecte ont été réduits, les opérateurs privés
stockeurs (O. P.S.) réintroduits dans les activités de collecte des
graines et les huiliers unifiés (fusion SONACOS-SEIB).
Il apparaît donc qu'un effort important a été réalisé en matière
de financement de certaines opérations du monde rural. Il reste
à mettre en place un crédit qui couvre réellement l'ensemble
des besoins de financement des producteurs et des entreprises
agricoles. Ce crédit agricole devrait en outre être décentralisé
et évolutif et surtout rigoureux, c'est-à-dire qu'il faut ériger en
règle impérative un apport personnel pour toutes les catégories
d'emprunteurs. Le problème de la garantie doit être clairement
réglé et on pourrait s'orienter vers des garanties collectives à
partir de fonds communautaires de garantie et de caution conjointe
et solidaire. Enfin, le crédit rural doit être sécurisé par rapport
aux accidents climatiques et à l'instabilité de l'environnement.
Ces hauts risques ont toujours constitué un obstacle majeur à
la constitution d'un Crédit Agricole. Ils peuvent être résolus par
la création d'un fonds spécialisé de garantie contre les calamités
naturelles dont les ressources pourraient provenir d'un prélèvement sur la production commercialisée. Ainsi, l'avènement d'un
Crédit Agricole adéquat et fonctionnel est seul à même de permettre aux ruraux de mieux s'organiser, de mieux s'équiper pour
améliorer la production au double plan quantitatif et qualitatif.
En outre, il contribuera incontestablement à l'émergence d'une
élite d'agriculteurs capables de révolutionner les conditions de
production et de travail.
Ces observations sur les difficultés de financement de la
commercialisation et l'absence d'un crédit agricole montrent paradoxalement que l'Etat n'a pas réussi à modifier la structure du
système bancaire dans le sens d'une plus grande spécialisation.
En effet, les orientations sectorielles de développement entraînent
forcément des besoins de financement que ne peut satisfaire le
système bancaire dans ses formes traditionnelles.
En effet, le système bancaire commercial était conçu et organisé
pour le financement de l'économie de traite. C'est dire que ces
banques n'ont aucune tradition de banques de développement
97
ou d'investissement et elles ne disposent pas de ressources appréciables et stables capables de financer les investissements à
moyen et long termes. Enfin au plan technique, elles ne sont pas
préparées pour assumer une autre politique bancaire et pour
prendre des risques nouveaux dans le développement économique
et social.
Dans ce cadre, on pouvait espérer que l'Etat, à partir des
banques qu'il contrôle, soit en mesure de tracer une nouvelle
politique monétaire et fiscale de mobilisation des ressources et
de leur utilisation productive. De crainte de créer un laxisme
monétaire qui pourrait dégénérer en inflation, l'Etat s'en est tenu
à un contrôle rigide du système financier.
A défaut de pouvoir modifier le jeu et les règles des institutions monétaires et financières, l'Etat néanmoins tire profit des
plus-values produites dans le sous-secteur. En effet, les comptes
d'exploitation des banques où l'Etat est majoritaire ont été excédentaires jusqu'à la fin des années 70. Cet excédent qui était
de 4 milliards en 1974-1975 a évolué comme suit (en millions
de F C.F.A.) :
BNDS ............................
USB . . ............... - ...........
BICIS ........................ ... .
SOFISEDIT .................. ....
SONEPI . . , ............. ..... ..
SONAGA .........................
,
,
"
1976-1977
1977-1978
1978-1979
336
39
270
(19,070)
( 2,322)
513
40
424
(35,93)
( 5,B9)
(34,295)
50
41
356
(145,72)
( 10,30)
( 40,71 B)
-
Source: Divers documents provenant des différentes banques.
Il ressort nettement de ce tableau, une baisse d'efficacité du
système bancaire dont les graves difficultés actuelles justifient
l'importante restructuration en cours dans le secteur. Les raisons
de ces difficultés tiennent:
-
-
d'abord à la persistance et à l'approfondissement de la crise
économique et financière interne qui a obligé les entreprises
et l'Etat à recouvrir de façon m;:1ssive aux crédits bancaires;
ensuite à l'importance des engagements vis-à-vis de projets
du secteur parapublic dont la rentabilité est souvent incertaine.
En effet, les ressources mobilisées ont essentiellement servi
à soutenir la consommation ou à financer des investissements
non pertinents pour la plupart dans lesquels le taux de rentabilité
98
ne dépasse point et le plus souvent même se situe en deçà du
coût d'emprunt.
Cette distorsion constitue le fondement même de la crise des
paiements que traversent actuellement les banques du secteur
public et dont la persistance peut s'avérer terriblement néfaste
pour l'ensemble de l'économie.
Pour éviter cette perspective sombre, l'Etat devra résoudre
en priorité la question de la dette intérieure vis-à-vis des établissements bancaires et financiers. Ensuite, il devra aider à une
plus grande spécialisation du système bancaire avec des politiques appropriées permettent aux banques d'avoir des ressources
stables et importantes.
3)
L'intervention de l'Etat dans le secteur touristique
Les nouvelles dimensions physiques et monétaires du tourisme
international ont entraîné dans les pays du Tiers-Monde une rapide
multiplication des politiques de développement fondées totalement sur les activités touristiques. Toute une théorie cohérente
était propagée pour établir que le tourisme se comporte comme
un secteur de croissance primaire capable de produire une
série d'effets induits sur la balance des paiements, les ressources en devises, l'emploi, les recettes fiscales et la promotion de
branches décisives de l'économie nationale. Dès lors, le secteur
touristique est présenté comme un foyer d'accumulation qui peut
faire sauter le goulot constitué par les ressources en devises et
libérer les forces potentielles de financement du développement (32).
Cependant, contrairement à une opinion bien répandue, le
tourisme est un secteur lourd par le volume des capitaux qu'il
immobilise. En conséquence, dans sa mise en valeur, l'Etat est
appelé à remplir des fonctions de mobilisation des ressources
financières, d'incitation et de promotion, d'encadrement administratif et de formation professionnelle.
Depuis son second Plan de développement, le Sénégal a
souscrit à l'idéologie du développement du tourisme en vue de
tirer partie des avantages liés à ce secteur. De 1970 à 1974, le
tourisme a subi une évolution galopante sans aucune phase de
rupture en raison des orientations et options du gouvernement
pour un développement à grande échelle des activités touristiques.
L'évolution des investissements à travers les différents plans
indique l'intérêt prioritaire accordé au tourisme:
-
2· Plan
3· Plan
,
,
".
.
700
9,7
millions de F C.F.A.
milliards
99
4· Plan
5e Plan
milliards
20,8
21,345 milliards.
Dans le même temps, le Code des Investissements (loi n° 78-20
du 29 janvier 1978) a été réaménagé en vue d'encourager et de
stimuler par des avantages considérables les promoteurs de projets
tou ristiq ues.
L'Etat, maître-d'œuvre du développement touristique, crée un
ensemble de sociétés d'économie mixte qui seront les principaux
organes d'exécution et de promotion du nouveau secteur. Dans
ce cadre, trois sociétés ont été mises en place à savoir:
la Société Nationale de promotion Touristique (S.N.P.T.) propriétaire du Village-hôtel du Cap-Ski ring ;
la Société Africaine Immobilière et Hôtelière (S.A.I.H.), propriétaire du complexe de Ngor ;
la Société Propriétaire de l'Hôtel de l'Union (S.P.H.U) ou Hôtel
Téranga.
Cette action sera accompagnée par des prises de participation
des Pouvoirs Publics dans tous les projets hôteliers de haut niveau.
C'est surtout à partir du second plan de développement que
les grands axes d'une politique de mise en valeur touristique
ont été définis pour commercialiser:
l'hypodrôme avec les 700 km de plages de sables fins, une
mer bleu aux eaux tièdes et non encore polluées et un soleil
qui place le pays parmi les plus chauds du monde avec plus
de 3 000 heures d'ensoleillement annuel à Dakar;
l'antropôme qui procède du développement depuis l'indépendance d'une culture sénégalaise authentique qui s'organise
autour d'un folklore riche, de la création de musées d'art, de
théâtres populaires et de lieux de pèlerinage spirituel;
le phytôme avec une faune diversifiée comprenant presque
toutes les espèces qui vivent en Afrique; ces espèces sont
protégées dans les parcs nationaux du Niokolokoba, du Djoudj
et de Basse Casamance.
A ces produits qui font la vocation touristique sénégalaise
s'ajoute la proximité des principaux centres émetteurs de touristes
internationaux (Europe et Amérique du l\Jord). De 1972 à 1982,
les flux de touristes se sont développés passant de 69 000 à 200 000.
Les nuitées ont évolué presque dans les mêmes proportions pour
se fixer à 900000 en1980, ce qui correspond à une durée moyenne
de séjour de 4,5 jours.
Si le III Plan a marqué le décollage du tourisme sénégalais
en dotant le pays de son programme de promotion dïnfrastruc100
tures hôtelières, le IV Plan a été celui de la définition des grandes
priorités pour énger je tourisme au rang des principales activités
économiques. Quant au V Plan, il sera décisif par les objectifs
quantitatifs qui portent pour l'année terminale 1981 sur:
une capacité d'hébergement de 6 250 chambres, soit un accroissement par rapport à 1975 de 2970 chambres ou 5200 lits;
des arrivées de 368 000 touristes, soit un accroisement de
232 000 par rapport à 1976 ;
un nombre de nuitées de 220 800 ;
des recettes brutes de 22 milliards F C.F.A
Au plan qualitatif, les objectifs concernent notamment:
la décentralisation et la régionalisation de l'activité touristique
pour ramener à des proportions plus équilibrées le développement explosif des réceptacles touristiques de Dakar;
la promotion et la commercialisation du tourisme sénégalais
grâce au développement du tourisme des résidents, à une
présence plus agressive du Sénégal sur les marchés fournisseurs, aux facilités d'accès au Sénégal accordées aux agences
de voyages;
l'étalement de la saison touristique sur 12 mois par destruction du mythe de l'hivernage;
la formation d'un personnel qualifié.
Toutes ces politiques ont fait du tourisme au cours de ces
dernières années, un secteur exportateur et qui est devenu la
troisième source de devises pour le Sénégal après les produits
arachidiers et les phosphates. En 1979, les recettes nettes du
secteur se sont élevées à 16,7 milliards de francs, en progression
de 28,5 % sur les 13 milliards de l'année précédente. Bien que
la durée moyenne des séjours ait accusé une baisse passant de
4,5 à 4 jours, le nombre de visiteurs en revanche a augmenté
passant de 220 000 en 1978 à 234 000 en 1979.
Cette évolution favorable a été obtenue grâce à la mise en
chantier de plusieurs projets qui ont augmenté la capacité
d'accueil d'environ 800 lits. Parmi ces projets, les plus importants
sont :
la station de Saly Portudal sur la Petite Côte avec un volume
d'investissement global de 18,626 millions de dollars dont la
première tranche a été réalisée avec la construction de l'Hôtel
Palm-Beach d'une capacité de 100 chambres avec un coût de
1,3 milliard de frances C.F.A. ;
"hôtel du Barachois avec 250 chambres pour un investissement
de 3,8 milliards de francs C.F.A.
101
Le développement du tourisme sera donc principalement lié
à l'accroissement des lits disponibles. Ceci a conduit l'Etat à
prendre des participations dans huit sociétés hôtelières et à investir pour un montant supérieur à 6 milliards F C.F.A. dans le secteur.
Comment se sont comportées les sociétés contrôlées par l'Etat
et qui sont un des maillons de la promotion touristique?
La Société Africaine Immobilière et Hôtelière (S.A.I.H.):
La S.A.I.H. est la société d'économie mixte la plus ancienne.
Elle a été constituée en 1949 avec un double objectif: la construction et la gestion d'hôtels d'une part, l'administration et l'exploitation d'immeubles d'autre part.
Le capital social est passé de 205 millions de francs C.F.A.
en 1962 à 1 256 920 000 en 1977 et 1 405 210 000 en 1980. L'Etat
sénégalais contrôle environ, 50 % du capital à côté d'autres partenaires comme les Hôtels Méridiens, la Caisse Centrale de Coopération, la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie.
La première grande réalisation de la S.A.I.H. a été le complexe
de l'Hôtel de Ngor. Puis sont ajoutées à cela l'extension du village
touristique de Ngor (156 cases), la construction de l'immeuble
Daniel Sorano et de l'Hôtel Diarama.
La constitution financière de la société se présente de la façon
suivante en milliers de francs:
Actif
1976-1977
1977-1978
1978-1979
Valeurs immobilisées nettes , ......
Actifs à court terme . . . . . . . . . . .
.... . .......... . ..... . ......
Total
1 557851
422484
1980335
1 528484
448524
1977 008
1 506297
496976
2003273
1 001 602
685990
369833
77 090
1980335
933530
626363
421531
4416
1977 008
748658
636892
593112
+ 24611
2003273
Passif
Capitaux propres ..... - . . . . . . . . . . . .
Dettes à long et moyen terme ..... .
Dettes à court terme . . . . . . . . . . . . . .
Résultat de l'exercice ............. .
Total .. . .. . ......... , ............
Source: Contrôle financier, S.G.P.A.
Il en ressort que la S.A.I.H. a amélioré ses résultats comme
l'avait souhaité le plan de redressement financier adopté par le
Conseil d'Administration de juin 1975. Les objectifs de ce plan
tournaient autour:
102
de l'amélioration de l'équilibre financier de la société;
de la diminution des lourdes charges d'exploitation;
de l'augmentation des fonds propres.
La Direction de la S.A.I.H. prouve ainsi qu'il est possible à
une société d'économie mixte de procéder à une analyse lucide
et exhaustive de sa gestion désastreuse et de tirer les leçons
appropriées dans le sens de l'établissement d'une stratégie de
sauvetage réalisable.
De même, elle administre la preuve que l'échec et les faillites
ne constituent pas des fatalités pour les sociétés parapubliques et
qu'ils peuvent être évités par une gestion rigoureuse et techniquement bien conçue.
La Société Propriétaire de l'Hôtel de l'Union (S.P.H.U.) :
C'est la deuxième société d'économie mixte du secteur touristique. Elle a été créée le 26 mars 1969, sous forme de société
anonyme avec un capital de 20 millions de F C.F.A. en vue de
construire l'Hôtel Téranga. Le capital a été par la suite élargi et
fut porté à 951,5 millions à la suite de deux augmentations: le
5 août 1972 avec un apport de 867,5 millions et le 25 août 1972
pour un montant de 64 millions constitués par le terrain devant
abriter l'hôtel. A cette date, la répartition des parts était la suivante:
Etat du Sénégal
E.E.O.A. ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Air Afrique
Société Commerciale des Chargeurs. .
Gesellschaft
U.S.B.
Babacar Kebe
Crédit Lyonnais
..............
Cofimer
S.B.O.A.
Autres
414
100
100
98
62,5
50
50
25
20
10
22
millions
millions
millions
millions
millions
millions
millions
millions
millions
millions
millions
soit
soit
soit
soit
soit
soit
soit
soit
soit
soit
soit
43,5 %
10,5 %
10,5 %
10,3 %
6,6 %
5,3 %
5,3 %
2,6 %
2,1 %
1.0 %
2,3 %
L'exploitation et la commercialisation ont été confiées à l'Union
Touristique et Hôtelière (U.T.H.), filiale hôtelière du groupe des
Chargeurs Réunis qui avait rempli les fonctions de maître d'ouvrage
pendant la durée des travaux de l'Hôtel Téranga.
Le contrat avec U.T.H. stipule que cette société prend 3 %
des ventes pour la rèmunération de son assistance en matière
de gestion et 15 % des bénéfices bruts d·exploitation. Les premières années de fonctionnement de l'Hôtel Téranga n'ont pas
103
donné de résultats significatifs. Ainsi en 1974, les bénéfices bruts
ont été de 14 millions F C.F.A. et en 1975, ils s'élevaient à 101 millions soit 33 millions de moins que les 134 nécessaires pour couvrir
l'amortissement de l'année. Ces faibles résultats s'expliquent par
la conjugaison de plusieurs facteurs notamment:
les fonds frais engagés lors de l'investissement (frais d'établissement, honoraires et frais remboursables) qui se sont élevés
à 335 millions de francs C.F.A. soit 20,5 0J0 des immobilisations.
Les honoraires versés à U.T.H. ont représenté 186 millions
et le remboursement de leurs frais de mission a atteint
30,5 millions;
les dépenses élevées pour un personnel pléthorique dont l'effectif était de 340 ainsi répartis: 308 Sénégalais et 32 expatriés,
ce qui représente 1,28 employés par chambre;
les mauvais résultats du restaurant
Tous ces facteurs traduisent des frais élevés de gestion et de
service.
La structure financière de la S.P.H.U. a évolué comme suit en
milliers de francs:
Actif
1976-1977
1977-1978
1978-1979
1 690851
521 770
2212621
1631444
598692
2230136
1599288
642760
2242048
712849
1083303
360206
56263
2212621
783017
1 012686
330003
104430
2230136
894180
331 892
925465
90511
2242048
1
Valeurs immobilisées nettes ...... . .
Actifs à court terme .... . ......
, .... ........... . . .....
Total
Passif
Capitaux
Dettes à
Dettes à
Résultats
Total ...
propres .. . . . . . . ... . . . ..
long et moyen termes ...
court terme .. ... . . . . . . , . .
de l'exercice . . . . . . . . ....
"
. .......... . . . . . , . . ..
.
..
Source: Contrôle financier, S.G.P.R
Des améliorations sont nécessaires notamment en vue de la
recherche et du renforcement de l'autonomie financière. Mais
également, la société devra, comme cela semble ëtre le cas, redéfinir ses relations avec U.T.H. dans le sens d'une réduction des
charges.
De cette analyse, il ressort que la S.A.I.H. et la S.P.H.U. sont
des sociétés d'économie mixte où les directions en place s'efforcent de réaliser un gestion rentable dans les conditions structurelles et organisationnelles difficiles. Malgré les résultats encore
104
médiocres de la S.P.H.U., ces sociétés en voie de privatisation
continuent de fonctionner et tentent d'améliorer leur situation
financière. Pour la Société Nationale de Promotion Touristique,
il en va tout autrement.
La Société Nationale de Promotion Touristique (S.N.P.T.)
Elle a été créée en 1970 sous forme de Société anonyme avec
un capital initial de 22 millions F C.F.A. Le 28 juin 1973, ce capital
a été porté à 332 millions et répartis comme suit:
Etat Sénégalais .................
Club Méd iterranée ..............
Air Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Autres porteurs .................
273
50
5
4
millions
millions
millions
millions
soit 82,2
soit 15,1
soit 1,5
soit 1,2
0/0
0/0
0/0
0/0
La S.N.P.T. est considérée comme un levier du développement
touristique. Quatre objectifs lui étaient alors assignés:
l'étude des possibilités d'exploitation des ressources touristiques du Sénégal;
l'exécution de projets retenus dans le cadre de la politique
définie par le Gouvernement;
la recherche et la garantie des financements des programmes
retenus par les Plans;
la réalisation de la gérance des établissements existants et
la recherche de la rentabilité des investissements engagés.
En 1974, un Conseil interministériel tenu le 14 juin décide de
confier progressivement à la S.N.P.T. la réalisation et l'exécution
de tous les projets touristiques de l'Etat. Tous les receptifs et les
campements appartenant à l'Etat seront exploités en gestion
directe, par concession ou par gérance par la S.N.P.T.
Depuis cette date, la S.N.P.T. commence à accuser des déficits
considérables d'un montant de 1,5 milliard F C.F.A. dont 1,2 milliard provenant du Cap-Skiring géré par le Club Méditerranée avec
qui il a noué un véritable contrat léonin totalement injustifiable au
plan de la stricte logique de l'efficacité économique.
Le contrat signé le 30 décembre 1971 entre la S.N.P.T. et le
Club Méditerranée confère à celui-ci pour une durée de vingt ans
la double responsabilité: d'une part de la commercialisation du
village c'est-à-dire la recherche de la clientèle, l'élaboration de
forfaits et l'acheminement des touristes et d'autre part, de la
gestion et de l'exploitation du village. C'est donc au titre de ce
mandat de gérance que le Club Méditerranée devait percevoir
une rémunération constituée par:
105
la différence entre les prix de vente catalogue du transport
et le coût du transport;
une marge de commercialisation égale à 15 % des forfaits
européens et 25 % des forfaits américains. Cette marge ne
figure pas dans le chiffre d'affaires affecté au crédit de l'exploitation du village;
une participation avec frais communs d'exploitation du Club
Méditerranée pour l'ensemble de ses villages égale à 9,6 %
des recettes affectées au village du Cap-Ski ring ;
un intéressement sur le chiffre d'affaires égal à 2,4 % ;
une participation aux résultats égale à 15 % du résultat brut
annuel.
Au total, selon un tel contrat, le Club prenait 12 % des ventes
et 15 % des bénéfices bruts d'exploitation et la S.N.P.T. assumait
entièrement l'amortissement du village.
Ce contrat était trop abusif et trop défavorable pour innocenter
les divers négociateurs.
D'une manière générale, les contrats de gestion ont tous été
désavantageux pour les Sociétés d'économie mixte et ont contribué à accroître leurs frais et charges de service. Ces contrats
n'ont donc bénéficié qu'aux Sociétés gestionnaires qui vont donc
profiter de l'expansion touristique. En effet, ces contrats stipulent
toujours que:
-
la société propriétaire supporte toutes les charges financières;
le gestionnaire perçoit des rémunérations indexées sur le
chiffre d'affaires et un pourcentage sur le bénéfice de l'exploitation ;
le gestionnaire procède en toute liberté à l'attribution des parts
destinées à la société propriétaire.
Ces rapports sont inégaux et le Club Méditerranée en offre
une parfaite illustration comme le montre les opérations suivantes
du Cap-Skiring (en millions de francs C.F.A.) :
Chiffre d'affaires ....... . .......... . . . .........
R.BE. (Résultat brut d'exploitation) . . . . . . . . . . . . . .
Revenu de la S.N.P.T. (85 % du R.B.E.) ... .......
Rémunération du Club Méditerranée .. . ........
Taux d'occupation des lits ....... . . . . . . . . . . . . . .
R.B E.fchiffre d'affaires ..... , ......... ......... .
Revenus S.N.P.T./chiffre d'affaires ....... ... . . ...
Rémunération du Club Méditerranée/chiffre d'affaires
'
106
1973-1974
1974-1975
281,0
-3.4
-2,9
63,3
85,0 %
486,0
54.7
46,5
92,6
78,0 %
Il,3%
9,6%
19,0%
-
22,5
Il ressort de ces données que le Club Méditerranée ne perd
rien; bien au contraire, il gagne même si l'exploitation est déficitaire alors que la société propriétaire en cas de perte supporte
toute seule celle-ci; à l'inverse, dans une situation bénéficiaire,
elle partage les gains avec le gestionnaire.
Le tourisme, dans la stratégie du développement, est considéré
comme un secteur prioritaire qui doit contribuer, par les ressources qu'il génère, à l'accumulation productive. Par ailleurs, il est
attendu de la politique touristique un ensemble étendu et varié
d'effets d'entraînement sur l'économie globale notamment l'augmentation du volume de l'emploi et J'amélioration de la position
extérieure du pays. Pour réaliser ces objectifs et faire du tourisme
un foyer d'accumulation, l'Etat doit maintenir son intervention
et la renforcer particulièrement dans trois domaines:
la création d'une structure de viabilisation des complexes touristiques afin de les rendre aptes à remplir pleinement leur
fonction d'accueil et de cadre d'épanouissement intégral de
leu rs locatai res ;
la mise en place d'une administration fonctionnelle de gestion
du tourisme qui réponde à trois objectifs: d'abord la coordination des divers projets retenus par les plans nationaux,
ensuite la maîtrise de la direction technique, de l'administration
et de la gestion des sociétés d'Etat ou d'économie mixte et
enfin la gestion du personnel;
la promotion et la commercialisation du produit touristique.
En attendant, la politique de l'Etat aurait pu être plus efficiente
si son portefeuille avait été mieux géré et si les entreprises créées
à cet effet avaient fait l'objet d'une administration rigoureuse et
plus autonome vis-à-vis des géants multinationaux du tourisme.
Néanmoins, dans la totalité du secteur tertiaire, l'Etat a dégagé
et mis en œuvre une politique d'intervention adéquate et s'est
en même temps doté de quelques instruments d'exécution appropriés. Toutefois, ces entreprises et sociétés nationales ou d'économie mixte ont été pour la plupart mal gérées ou ont fait l'objet
d'option technique parfois peu judicieuse. Il en est résulté une
accumulation des déficits, des faillites et liquidations qui imposent
aujourd'hui la nécessaire voie de la privatisation. Cette nouvelle
situation contribue malheureusement à déposséder progressivement l'Etat d'un de ses principaux moyens d'intervention directe
et de régulation de l'activité économique.
Section 4: LES PERFORMANCES DU SECTEUR QUATERNAIRE
De par ses incidences décisives à terme sur le tissu économique, le secteur quaternaire - improprement qualifié d'impro107
ductif - s'avère essentiel dans toute stratégie de développement
économique et social. Les ressources humaines sont déterminantes dans les performances économiques des pays. Et de ce
point de vue, des efforts manifestes apparaissent au crédit des
autorités sénégalaises depuis 1960. Cependant, certains objectifs
semblent avoir été mal définis; inadéquatement ciblés et ont par
conséquent engendré parfois des déséquilibres et des distorsions
entre les actions entreprises et les résultats enregistrés.
Ainsi, en est-il du sous-secteur de l'éducation où malgré
l'ampleur de l'effort consenti (25 % du budget de fonctionnement
de l'Etat), le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire
n'était que de 52 % en 1984 tandis que celui de l'alphabétisation
des adultes s'établissait péniblement à 28 % pour la même
année (33). A titre de comparaison, ces taux sont respectivement
de 66 % et 34 % (en termes médians) pour les pays d'Afrique de
l'Ouest.
En 1985, 2 % seulement des jeunes Sénégalais en âge de
faire des études supérieures y étaient inscrits alors que l'enseignement supérieur absorbait à lui seul 19 % du budget de l'éducation. De plus, depuis 1980, le gouvernement est confronté au
problème de l'emploi des diplômés de l'enseignement supérieur.
Manifestement, ces déséquilibres et désajustement suggèrent
l'observation de deux types de problèmes:
tout d'abord, l'existence de coûts unitaires élevés qu'une
redéfinition et un redimensionnement des moyens de mise en
œuvre de l'éducation (construction et fonctionnement) pourraient permellre d'abaisser sans nuire à la qualité de l'objectif
recherché;
ensuite, l'existence d'un important problème d'adaptation de
la formation dispensée aux besoins et exigences de l'activité
économique; cetle deuxième question pose l'incontournable
problème de la recherche d'une nécessaire adaptation des
programmes d'études et de la formation des enseignants aux
réalités et spécificités économiques nationales.
Dans le domaine socio-sanitaire, les résultats demeurent
encore moins satisfaisants; ils sont plus déséquilibrés et accentuent davantage le processus de différenciation notamment entre
zones rurales et zones urbaines. En 1978, le Sénégal comptait
13800 habitants par médecin, 900 médecins habitants par lit
d'hôpital et 15,5 % de mortalité infantile. En 1982,37 % seulement
de la population avaient accès à l'eau potable. En 1984, 18 %
de la population disposaient de l'électricité (34).
Depuis l'indépendance, le budget de la santé a augmenté à
un rythme inférieur à celui de la population. Pis encore, la part
relative du sous-secteur de la santé dans le budget général recule
108
constamment, passant par exemple de 7,8 % en 1973-1974 à
5,4 % en 1985-1986 (35).
Il s'y ajoute que le gouvernement a, pendant longtemps, privilégié la réalisation et la concentration de gigantesques complexes
infrastructurels (hospitaliers, hydrauliques...) dans les principaux
centres urbains au détriment d'une politique de couverture sociosanitaire de masse économiquement plus efficace, financièrement moins chère, socialement plus juste et qui aurait surtout
eu pour avantage de fixer les populations rurales et de mettre en
valeur les innombrables potentiels ruraux de développement.
L'ampleur des besoins restant encore à satisfaire dans l'important et décisif secteur quaternaire ainsi que l'apparition de nouveaux besoins par suite d'une démographie galopante et d'une
urbanisation incohérente, désordonnée et rapide (36) ne manqueront pas de soulever des problèmes sérieux de financement pour
de nouvelles infrastructures. La crise profonde des finances
publiques sénégalaises ne permettra pas la mobilisation des
ressources financières nécessaires. Dès lors, le risque demeure
de voir s'opérer un réajustement en baisse des dépenses du
secteur social considérées comme non prioritaires.
Ces déficits auxquels viendront s'ajouter les besoins futurs
issus d'une expansion démographique accélérée, donnent une
idée des efforts financiers à consentir par l'Etat et les collectivités locales dans une période de rareté des ressources financières.
Il y a lieu de croire que cette situation sera davantage aggravée
si l'on y ajoute les dépenses récurrentes et de maintenance des
équipements et infrastructures existants dont l'Etat n'envisage
point la prise en charge budgétaire. En effet, l'extension du réseau
scolaire ou encore la mise en place d'infrastructures de santé
ou d'adduction d'eau engendrent des coûts d'importance variable,
qui ne sont souvent pas pris en considération dans l'élaboration
des projets. Ces dépenses récurrentes, composées surtout de
frais d'entretien et d'exploitation, en ce qu'elles n'ont souvent
pas été intériorisées par les projets, ont conduit dans la plupart
des cas à la réduction de la qualité des services rendus, à une
insuffisance de l'entretien, voire à une détérioration prématurée
de l'infrastructure réalisée ou même anciennement implantée.
Face à la pression des nécessités. cette dernière est délestée
d'une partie de son personnel ou de ses dépenses d'entretien au
profit de la structure nouvelle.
A l'analyse, les politiques sectorielles appliquées depuis l'indépendance dans le cadre de la stratégie globale de développement
économique et social ont abouti à :
-
des contre-performances dans la plupart des secteurs écono109
miques qui sont à la base des très faibles taux de croissance
du P.I.B. (2,3 % en moyenne annuelle) de 1960 à la fin des
années 70 ;
la crise du modèle d'accumulation reposant sur les prélèvements opérés sur les ressources agricoles pour financer d'autres activités souvent improductives comme la spéculation
immobilière et commerciale, la surconsommation de biens
importés;
la constitution d'un secteur public et parapublic hypertrophié,
inefficient et globalement déficitaire;
la consommation privée et publique excessive se réalisant à
des rythmes plus élevés (en moyenne 4,6 %) que ceux du
P.I.B. ;
des distorsions dans la répartition des revenus avec une détérioration du pouvoir d'achat des populations rurales au profit
des masses urbaines.
L'ensemble de ces éléments indique une crise profonde de
l'économie sénégalaise, une rupture de tendance qui se matérialise dans le double déficit des finances publiques et de la
balance des paiements montrant que le pays vit au-dessus de
ses moyens.
Ce déséquilibre ne peut se maintenir longtemps et rend alors
l'ajustement inéluctable. Il s'agira en conséquence, de s'attaquer
aux causes véritables par des politiques économiques qui opèrent
une modification des contraintes structurelles bloquant la croissance ainsi qu'une meilleure allocation des ressources.
Ces politiques de restructuration s'imposent surtout lorsque
le pays ne peut plus continuer d'emprunter à l'extérieur pour
financer le déficit de sa balance des paiements. Dès lors, il s'avère
nécessaire d'analyser l'état d'endettement en corrélation avec les
déséquilibres économiques et financiers.
(1) M.P,C. Vie Plan quadriennal de développement économique et social
1981-1985, p. 3.
(2) Op. cil
(3) J.f. Stig/itz; «Agriculture et risque. Un aperçu général de quelques problèmes auxquels doit faire face l'économie sénégalaise •. Université de Princeton.
(4) On sait qu'il est possible d'évaluer le P.I.B. soit à partir de la production
totale des secteurs, soit à partir des différents emplois de la production. Premier le
cas; P.I.B. = Produit total des secteurs - consommations intermédiaires - Somme
des valeurs ajoutées de tous les secteurs. Deuxiéme cas; P.I.B. = Y = G + 1
+ X - M (avec C = Consommations publique et privée (ménages); 1 = inves-
110
x
tissements ;
= exportations; M = Importations). N.B.' 1 = formation intérieure
de capital = formation brute de capital fixe + variation de stock).
(6) En raison de l'inexistence de statistiques sur le financement extérieur,
nous nous limiterons au concours du système bancaire local en faveur de la
commercialisation arachidière et du programme agricole.
(7) Office National de Coopération et d' Assistance pour le développement
Agricole. Cet office, dissout en 1980, s'occupait de l'encadrement du monde rural
et de son approvisionnement en facteurs de production.
(8) Les crédits bancaires recensés à la centrale des risques représentent
en moyenne 80 % des crédits distribués par le systéme bancaire.
(9) Il s'agit de crédits à l'économie refinancés par la B.C.E.A.O. Les crédits
à l'Etat sénégalais refinancés par la B.C.E.A.O. ne sont donc pas pris en compte.
(10) Papa Sene: L'agriculture en Afrique: le cas du Sénégal in «Gestion
appropriée et besoins ruraux., 1982. Actes du colloque de Levis Quebec, 13 septembre, 1" octobre 1982, p. 35 à 46.
(11) Moustapha Kasse: Urbanisation et déculturation, réflexion sur l'expansion d'une grande métropole Ouest-Africaine: Dakar. Colloque sur «les relations
Villes-Campagnes. organisé par l'Institut Febbraio 74. Bamako, décembre 1985,
38 pages.
(12) René Dumont: Le mal développement en Amérique Latine, éd. du Seuil,
septembre 1981, 281 p.
(13) M. Griffon et P. Jacquemot: Pénuries alimentaires et stratégies agricoles
en Afrique subsaharienne, Revue Critique de l'Economie Politique, mai 1983,
p.97-119.
(14) Plan céréalier, mai 1986, 82 pages. Etude du secteur agricole: rapport de
synthèse, mai 1986, 165 p.
(15) SODESP: Société de Développement de l'Elevage dans la zone sylvo
pastorale.
(16) P.o.E.S.O.: Projet de Développement de l'Elevage du Sénégal Oriental
ministère du Développement rural: Etude du secteur agricole, mai 1986, 165 p.
(17) M. Kasse et G. Lecointre: Questions fonciéres au Sahel, CREA, 1987,
10 p., in « Marchés Tropicaux '. n° 2211 du 25 mars 1988.
(18) Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal.
(19) G. Rocheteau: Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique,
Edition ORSTOM-Karthala, 1982, p. 301 à 377.
(20) L.S. Senghor: Pour une société sénégalaise socialiste et démocratique,
congrès de IUP.S .. 27-29 déc. 1976.
(21) Nesterenko: ln Marchés Tropicaux du 5 avril 1974.
(22) L.S. Senghor: op. cil.
(23) G. Rocheteau: Pouvoir financier et indépendance économique en Afrique:
le cas du Sénégal, Ed. Karthala 1982, p. 311.
(24) Serigne Lamine Diop: La Nouvelle politique industrielle communication
devant le Conseil économique et social, mars 1986.
(25) Var-AI-Handasah Consultants (Shair et Parteners): Etude sur certains
aspects de la politique industrielle au Sénégal, mai 1985.
(26) Banque Mondiale: Sénégal: Mémorandum économique, 5 nov. 1984, p. 31.
(27) Ibidem, Banque Mondiale, p. 17.
(28) G. Rocheteau : op. cil., p. 318.
(29) Amadou Sow: «Le système bancaire et le financement des activités
économiqes au Sénégal., Club Nation et Développement, séminaire de SaintLouis, 1983.
(30) Ibidem. u
(31) V· Plan de développement, p. 98.
(32) MoustBpha Kasse: Le tourisme international: évaluation de son impact
sur le développement économique, 2 tomes, Faculté des Sciences juridiques et
économiques, 1978, 718 p.
111
(33) Pour les sources statistiques, voir: Banque Mondiale: Rapport nO 6450-SE,
Examen du programme d'investissement public au Sénégal, 1987-1990, fév. 1987,
p.44.
(34) Oirection de la statistique et Banque Mondiale: Divers Rapports, de , 980
à 1985.
(35) Banque Mondiale: Rapport n° 6450-SE, février, p. 50.
(36) Moustapha Kasse: Urbanisation et déculturation, réflexion sur l'expérience d'une grande métropole Ouest-Afriuaine: Dakar, séminaire «Ville-Campagne. Bamako, décembre 1985. Il faut être très attentif à l'urbanisation accélérée.
Ces structures urbaines absorbent entre 40 et 50 % de la population et connaissent des taux de uroissance annuels qui varient entre 4 et 8 %' Un Sénégalais
sur trois vit dans une ville et dans '5 ans ce rapport va se modifier et deux
Sénégalais sur trois seront des citadins. Cela va poser des problèmes immenses
d'alimentation et d'infrastructures sociales. Il y aura le risque de voir une bonne
partie des ressources financières détournées à des fins non directement productives.
112
Chapitre III
ENDETTEMENTS ET CRISE DES PAIEMENTS
Les politiques économiques comme nous l'avons observé n'ont
pas réussi à élever le niveau des forces productives, ni permis
l'amorce d'une croissance économique soutenue. Alors, l'accroissement de la consommation a engendré un déficit de ressources
qui a été couvert par l'emprunt extérieur. Ainsi, la crise interne
du développement a imposé le recours à un endettement qui sera
d'autant plus important que les déséquilibres seront profonds.
Celui-ci sera d'ailleurs aggravé par la crise de l'économie mondiale
dans laquelle le Sénégal est fortement inséré.
En effet, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la
généralisation de l'économie « fordienne» (1) à l'échelle mondiale,
sous-tendue par une remarquable stabilité monétaire due aux
accords de Bretton-Woods, permettait un accroissement extraordinaire du commerce international. Elle a surtout facilité, à travers
la délocalisation industrielle et l'internationalisation de la production, une plus grande intégration, certes à des degrés variables,
de la presque totalité des systèmes productifs nationaux.
Cependant, la faillite du fordisme à partir de la fin des années 60
due notamment à la chute vertigineuse des gains de productivité,
à l'épuisement de la norme de consommation (traduite par une
relative saturation de la demande) et à l'éclatement du système
monétaire international, constituera le signe précurseur de la
grande crise mondiale des années 70 entraînant ce que Henri
Bourguinat appelle les « quatre pathologies» de l'économie mondiale à savoir: les taux d'intérêt réels élevés, le déficit budgétaire
américain, la surévaluation du dollar et la crise de l'endettement.
113
Les PVD vont alors peiner et s'essouffler à assurer le service de
leur dette (2).
La crise des années 70 doit être bien analysée pour mieux
comprendre les mécanismes d'endettement et leurs conséquences
particulièrement sur la balance des paiements, microcosme de
l'efficacité des activités économiques et des relations économiques
et financières avec le reste du monde.
Déclenchée en octobre 1973 à la suite du premier relèvement
massif du prix du pétrole (3), la deuxième crise du xx e siècle
se manifeste principalement au double niveau économique et
financier impliquant des évolutions et conséquences particulières
pour les pays en voie de développement dont le Sénégal.
Au plan économique, la baisse généralisée des gains de productivité engendrait des rétrécissements de marges bénéficiaires
voire des pertes financières. Les secteurs oligopolistiques dans
les pays développés, dans le cadre de l'administration des prix à
la vente, ont alors tenté d'utiliser l'inflation pour restaurer l'équilibre initial. Ce qui explique en partie la brutale flambée des prix
des biens manufacturés après 1973.
Dans le même temps, l'impossibilité d'indexer sur l'inflation
mondiale les prix des matières premières - en raison de leur
nature et des conditions de fixation de leurs prix - et d'autres
produits finis ou semi-finis exportés par les pays pauvres, contribuait progressivement, mais inexorablement, au renforcement du
déséquilibre actuel des rapports internationaux d'échange.
En effet, face à la relative saturation de la demande interne
que traduisait l'épuisement de leur norme de consommation, les
pays industrialisés utilisèrent la technique dite d' «économie d'endettement international» pour élagir leurs débouchés en direction
des pays du Tiers-Monde, ceci afin de maintenir un niveau de
demande pour leurs produits compatible avec la perpétuation du
modèle (4). A cette fin sera mobilisé le système bancaire international qui, la nécessité de recycler les excédents de pétrodollars
et l'appât du gain facile aidant, multipliera considérablement les
crédits de divers types sans aucune considération de la capacité
objective d'endettement des pays bénéficiaires.
Ce rappel de quelques tendances de l'économie internationale,
en élucidant l'articulation entre termes défavorables d'échange
(sphère économique) et montée de l'endettement (aspect financier), permet de mieux cerner l'évolution du Sénégal dans le
cadre de cet impitoyable diptyque. En effet, l'accroissement
rapide de l'endettement entraîne toujours un processus cumulatif
d'augmentation de la dette.
Les importations tendanciel!ement supérieures aux exportations nationales introduisent une contrainte de financement extérieur. La dégradation du ratio service de la dette/exportations
114
signifie en dernière analyse que, pour financer la charge de la
dette, le pays se trouve dans l'obligation de dégager un excédent
de la balance des opérations courantes. Or, cela n'est possible
que par recours aux transferts unilatéraux en provenance de
l'extérieur sans contre partie et/ou à l'endettement extérieur. Ce
qui n'est pas sans poser de problèmes.
Section 1 : « SUR-ENDETTEMENT» EXTERIEUR ET DURCISSEMENT DES CONDITIONS D'EMPRUNT
Après l'éclatement de la crise accentuée par la sécheresse,
la détérioration des termes de l'échange, les différents « chocs »
pétroliers et l'effondrement des cours de l'arachide d'une part, et
face à la pression des besoins internes - éducation, santé, subventions à certains secteurs socialement névralgiques - d'autre
part, l'Etat sénégalais s'est lancé dans une vigoureuse politique
d'emprunts extérieurs afin de couvrir son déficit de paiements
extérieurs qui s'élargissait d'année en année. Dans ce cadre, une
large place fut accordée aux sources bilatérales et multilatérales
publiques dont les conditions financières et de remboursement
largement libérales concessionnelles apparaissaient supportables.
Cependant, l'aggravation du désajustement des principaux agrégats macro-économiques - liée certes à la persistance de la
crise mondiale, mais aussi et surtout à la non application immédiate des mesures correctives nécessaires - a contraint le gouvernement à élargir son éventail d'emprunt à des sources de
financement extérieures privées dont les conditions financières
et de remboursement se durcissaient progressivement. A ce sujet,
il est significatif d'observer qu'en 1982, le taux d'intérêts moyen
des cours privés représentait 12,7 % contre 4,4 % seulement
pour les crédits bilatéraux, multilatéraux et l'aide publique au
développement. Mais malgré tout ce flot d'apports extérieurs,
l'environnement économique et financier national continuait à se
dégrader et la crédibilité financière internationale du pays s'en
ressentit. C'est ainsi qU'en 1981, les emprunts sénégalais sur les
marchés financiers européens comportaient un écart positif de
2 % par rapport aux taux appliqués à la plupart des autres pays
de niveau de développement semblable; ce qui traduisait bien
l'inquiétude qu'inspirait aux bailleurs de fonds la solvabilité du
pays.
Outre les principales sources de financement ci-dessus évoquées, il importe de signaler les autres sources d'appoint dont
l'importance relative dans la structure de la dette globale tendait
115
à grandir: ce sont les crédits du F.M. 1., les tirages effectués sur
le Trésor Français et les autres engagements du système bancaire
comme le montre le tableau ci-après.
Tableau 3.1 : ENCOURS DE LA DETIE EXTERIEURE: 1979-1983 (en millions de
dollars U.S.)
1979
1980
1981
1982
1983
- - --- - Total des dettes encourues et décaissées (O.E.O.) ..... .............. .
932,4
, 049,2 1 144,1
1 357,9 1606,5
Autres engagements extérieurs
Utilisation du crédit F.M.I. ...........
60,7
97,9
147,8
184,0
200,8
Trésor français ... . ........ ...... .
149,3
207,6
148,0
84,4
156,8
Engagements nets du système bancaire
29,0
121,7
96,5
81,4
58,5
Total des A.E.E. . . · . · · · . . · . . . . ·· . . . . 1 266,8
343,7
377,8
343,7
399,3
Total général
.................... 1 199,2 1392,9 1580,9 1757,2 1984,3
Source: Banque Mondiale: Mémorandum économique, nov. 1984.
Nonobstant la hausse des recettes d'exportation en 1979, le
Sénégal n'a pu redresser sa balance des paiements à cause des
crises qui se succédèrent. La situation s'est au contraire dégradée et le déficit s'est élevé hors transferts exceptionnels à
36,9 milliards de F C.F.A. contre 25,9 milliards en 1978.
Les exportations globales ont progressé de 90,1 milliards à
1 292 milliards essentiellement sous la
\a poussée des ventes de
produits arachidiers. La reprise de l'activité économique, liée
aux meilleurs résultats de la production arachidière, s'est toutefois
traduite par une tension accrue sur les importations dont la valeur
est passée d'une année à l'autre de 167,9 à 220 milliards de F C.F.A.,
soit une progression de 31,1 Cfa. La détérioration du solde négatif
des opérations sur marchandises s'est ainsi accentuée de 77,6
milliards de F C.F.A. en 1978 à 90,8 milliards en 1979.
La hausse des importations, combinée au renchérissement
des tarifs de frêt et d'assurances, a également entraîné des sorties
supplémentaires de capitaux au titre des frais d'acheminement.
De 14,9 milliards en 1979, les revenus des investissements ont
draîné à l'extérieur 19,6 milliards en 1979 contre 17,1 milliards
un an plus tôt. Pour la même période, une forte accélération du
rythme des sorties de capitaux relatives au service de la dette
extérieure s'est traduite par une ponction de 9,6 milliards de
F C.F.A. sur les devises du pays. Finalement, le déficit de la
balance des paiements va s'établir à 21,1 milliards en 1979 grâce
à des appuis exceptionnels et ponctuels d'institutions gouvernementales étrangères.
116
Les recettes afférentes aux transferts sans contrepartie, en
légère hausse par rapport aux années du premier choc pétrolier,
n'ont pu qu'atténuer la progression des mouvements négatifs sur
les biens et services.
Malgré le gonflement des amortissements liés aux emprunts
à long terme contractés antérieurement, les entrées nettes de
capitaux non monétaires ont augmenté considérablement. Ceci
en raison d'importants apports privés sous forme de crédits
commerciaux et d'une nouvelle expansion des investissements
directs ainsi que des versements au titre du STABEX dans le
cadre de la coopération C.E.E.-A.C.P. De nouveaux engagements
ont été pris par les autorités sénégalaises dans le cadre des
mécanismes de financements permanents qu'offre le Fond Monétaire International (F.M.I.) avec toutes les conditionalités habituelles que le recours aux ressources de cette institution implique.
C'est ainsi que depuis 1978, de nombreux tirages ont été effectués
par le Gouvernement sénégalais pour faire face aux déficits
courants de sa balance des paiements.
Les règlements liés au service de la dette ont alors atteint
pour l'année 1980, 32,6 milliards de francs C.F.A. Sur les prêts
accordés par les gouvernements étrangers et par les institutions
internationales, des négociations se tiennent périodiquement pour
signer des accords de rééchelonnement.
En définitive, le recours massif à l'endettement extérieur face
à l'approfondissement des déséquilibres, outre, qu'il a artificiellement retardé l'échéance des ajustements, a aussi contribué à
court terme à approfondir la crise des paiements illustrée par les
rééchelonnements successifs d'octobre 1981, de novembre 1982,
de décembre 1983 et de février 1984. Il a aussi posé pour le moyen
et le long terme un véritable problème de solvabilité.
Section 2 : LES FINANCES PUBLIQUES ET LE DEFICIT BUDGETAIRE STRUCTUREL
Les finances publiques constituent le microcosme de l'intervention de l'Etat dans la vie économique nationale. La loi 63-01
définit la loi des finances qui rend obligatoire l'exécution du
budget pour la durée d'un an. L'exercice budgétaire va du 1" juillet d'une année au 30 juin de l'année suivante. La loi des finances
distingue les opérations à caractère définitif (budget et comptes
d'affectation spéciale) des opérations à caractère temporaire
(prêts, avances, comptes spéciaux).
117
Les dépenses à caractère définitif se composent des dépenses
courantes (ou de fonctionnement) et des dépenses en capital (ou
d'équipement).
Les résultats de la politique financière de l'Etat pouvaient
être suivis jusqu'en 1979 au niveau de la seule loi des finances.
A partir de 1979-1980, le plan de redressement économique et
financier mis en place en accord avec le F.M.!. dans le but de
freiner le déficit de plus en plus croissant du budget, sera une
source d'information sur la situation financière de l'Etat. Ce plan
a permis l'élaboration sur la situation des opérations financières
d'un T.O.F. qui est désormais annuellement adjoint à la loi des
finances que l'on estime insuffisante pour une appréciation de tous
les aspects économiques et financiers que soulèvent les finances
de l'Etat. En effet, le T.O.F. retrace toutes les opérations financières du Trésor dont il fait apparaître les besoins ou capacité
de financement. Par ailleurs, le T.O.F. introduit la distinction entre
le déficit en terme d'engagements qui ne tient pas compte de la
variation des arriérés de paiement, et le déficit en terme de décaissements qui correspond en fait aux besoins de financement du
Trésor.
Le budget du Sénégal se compose de deux masses distinctes,
alimentées par des ressources et affectées à des fins différentes:
le budget de fonctionnement d'une part, couvrant les besoins
administratifs, et le budget d'équipement d'autre part, destiné à
promouvoir l'activité économique et sociale du pays. Durant la
période 1961-1962 à 1978-1979, le budget du Sénégal s'est accru,
en dépenses comme en recettes, en moyenne de plus de 7,2 %
par an. Ce budget est caractérisé par une épargne insuffisante
simplement inexistante, d'où la part grandissante faite aux
emprunts extérieurs pour couvrir les dépenses d'investissement.
Notons, par ailleurs, qu'au cours du V' Plan, les investissements
ont surtout concerné les investissements financiers à savoir les
dépenses de contrepartie et les subventions de la Caisse Autonome d'Amortissement. Seulement, l'un des objectifs principaux
de la politique financière et budgétaire des autorités sénégalaises
tels que définie dans le VI" Plan de développement économique
et social, est d'assurer une croissance soutenue des recettes
budgétaires (impôts et taxes), tout en s'efforçant de comprimer
les dépenses courantes de l'Etat afin de dégager une épargne
budgétaire qui permettrait de résorber le déficit chronique du
budget d'équipement en particulier.
Cet objectif primordial ne sera malheureusement pas atteint
puisque la période 1979-1985 a été caractérisée par des déficits
budgétaires, chroniques qui ont négativement influé sur l'ensemble de l'activité économique. Ce déficit a évolué durant la période
ainsi qu'il suit (en milliards de francs C.F.A.) :
118
1
~
-
èiC)O
C)
~
C)
~
C)
ai
C)
C)
N
ClO
C)
~
C)
C)
C)
II)
- - ~ t- - - - - --- -C)
ci
~
P.I.B. (1) ........... ,. '" . . . . . . . . 581,9
Déficit (2) ......................
21,4
(en termes de décaissement)
2/1 en pourcentage ... .......... .
3,6
Ô
ClO
ClO
N
ClO
627,7
58,2
669,8
72,7
844,1
66,5
9,2
10,8
7,8
943,6 /1 015,0
49,7
68,6
7,3
4,8
Source: Direction de la Prévention, M.E.F.
Comment s'explique cette détérioration permanente des finances publiques telle que révélée par le T.O.F. ?
Entre 1979-1980 et 1980-1981, le déficit en termes de décaissement a subi un accroissement de 36,8 milliards soit 172 % dû
en grande partie à une baisse de recettes de 11,5 milliards et à.
une augmentation des dépenses de 34,3 milliards, les dons et
aides budgétaires extérieurs ayant été de 9 milliards. De 1980-1981
à 1981-1982, le déficit a subi un accroissement de 25 % qui
s'explique par le remboursement effectué au titre des arriérés
pour un montant de 20,7 milliards et cela malgré une augmntation
des recettes et dons de 28,3 milliards, la hausse des dépenses
(hors règlements d'arriérés) ayant atteint 23,1 milliards.
En 1982-1983, on enregistre une légère baisse du déficit qui
provient du fait que l'Etat n'a point respecté ses engagements
pour le remboursement de sa dette, ce qui s'est traduit par une
accumulation d'arriérés pour une valeur de 6,8 milliards.
En 1983-1984, on observe un accroissement faible du déficit
(2,1 milliards); ce qui traduit en partie l'effort financier réalisé
par l'Etat pour réduire ses arriérées de paiement de 22,6 milliards.
En 1984-1985 enfin, la réduction des arriérés n'a été que de
11,6 milliards; cependant, la maîtrise des dépenses a permis de
réduire de nouveau le déficit de 18,9 milliards par rapport à l'année
précédente.
Les mesures de rigueur et d'ajustement n'arrivent pas à résorber complètement le déficit des finances publiques. Non seulement
les recettes ne s'améliorent pas de façon substantielle, mais
encore le freinage des dépenses produit des résultats dans l'ensemble peu significatifs par rapport aux sacrifices endurés. Parallèlement, la dette intérieure et extérieure s'alourdit gouflant les
besoins de financement du Trésor, comme l'illustre le tableau 3.2
page 120.
119
Tableau 3.2: SENEGAL: FINANCES PUBLIQUES (1979-1980 - 1983-1984) (en
milliards de F C.F.A. courants)
!
1979·1980 1980·1981 1981'1982 1982-1983 1983-1984
- - - --- - - - --- - - 1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
1
Recelles ....................................
Dont recettes fiscales ......................
Dépenses ordinaires hors intéressement sur dette
Dont salaires . . .. . ........ ........... . ....
Dont fournitures, transferts et autres ..........
Gomptes spéciaux autres que G.A.A. et corresp.
nets ..... . ..... . . ..................... . ..
Solde des opérations courantes hors dons et
inférêt sur la delle ......................
Dépenses en capital ........................
Service de la dette intérieure et extérieure ....
Dont intérêt ...............................
Dont amortissement delle extérieure . . . . .. . , ..
Dont variations arriérés de paiement ..........
Dont remboursement delle O.N.G.A.D. ........
Dons .......................................
Besoin de financement nouveaux ...........
- 3 - 8 .....
. ............. , ..... , .......
.
139.2
130,8
-132,0
68,5
63,5
.
.
-
-
.-
188,4
177,4
- 168,0
-100,0
68,0
125,5
118,2
-139,6
78,3
- 61,3
151,9
139,7
-147,1
- 83,3
63,8
-
175,7
164,5
-159,9
- 92,7
67,2
2,6
-
17,3
-
16,6
-
28,6
-
9,8
30,4
23,6
12,9
18,2
7,5
0,0
4,6
39,6
23,2
-
31,4
38,4
11,0
11,7
15,8
16,5
0,0
6,8
74,0
52,5
-
11,8
28,0
68,9
18,3
29,9
- 20,7
0,0
8,7
-100,0
- 23,2
-
12,8
39,0
49,2
26,7
27,3
6,8
2,0
5,2
95,8
23,2
12,9
38,1
94,1
37,4
- 28,4
- 19,5
8,8
12,2
-107,1
- 17,7
-
-
-
-
-
-
7,5
-
(8): A l'exclusion des dépenses du plan financées directement sur ressources
étrangères.
Source: Direction de la Prévision, octobre 1984.
Il ressort du tableau 3.2 la permanence du déficit sur cinq
exercices consécutifs; ce qui traduit bien le caractère structuel
du phénomène qui tient principalement aux tendances suivantes
de l'économie sénégalaise:
la faible performance fiscale qui se traduit par "incapacité des
des recettes à suivre "accroissement du P.I.B. ;
l'accroissement des obligations du service de la dette provenant du financement des investissements au moyen d'emprunts
extéieurs;
la ponction opérée sur les ressources liquides du fait des
déficits de la Caisse de Péréquation et d'autres entreprises
publiques, ainsi que la prise en charge des dettes de l'ONCAD
et le règlement des arriérés de paiement accumulés par l'Etat;
la détérioration des termes de l'échange faisant suite au double
mouvement de baisse des recettes d'exportation et de renchérissement de la valeur des importations,
Les besoins de financement de l'Etat tels qu'ils apparaissent
dans le budget sont couverts dans la loi des finances par la rubrique « recettes-extraordinaires» qui sont constituées d'emprunts
intérieurs et/ou extérieurs, l'appartenance à l'U.M.O.A. interdisant
120
toute utilisation de la « planche à billets» pour couvrir le déficit
budgétaire.
Le financement intérieur est essentiellement assuré par le
système bancaire local (S.B.L.) et la Banque Centrale (BCEAO).
La contribution du S.B.L. s'effectue par le biais de la position
nette du gouvernement (P.N.G.) qui traduit en fait la situation du
Trésor vis-à-vis du système bancaire.
Entre 1979 et 1985, la P.N.G. vis-à-vis des banques primaires
est quasi nulle car les créances de ces banques sur l'Etat équilibrent globalement les dépôts du Gouvernement.
C'est vis-à-vis de la Banque Centrale que le P.N.G. est importante car celle-ci joue un rôle d'intermédiaire entre certains organismes financiers extérieurs (F.M.I., Fonds Kowétien ... ) et l'Etat;
de même et surtout, la BCEAO octroie à l'Etat un découvert statutaire plafonné à 20 % des recettes fiscales de l'année précédente.
On observera qu'à l'intérieur de ce plafond, les concours de la
Banque Centrale peuvent prendre la forme d'escomptes d'obligations cautionnées, d'escomptes d'effets publics, de découverts
en compte courant et d'avances en compte courant postal. Dans
la période retenue, le recours au financement de la Banque Centrale est passé de 9,6 milliards en 1979-1980 à 154, 5 milliards
en 1984-1985. A l'intérieur de ces concours le découvert statutaire
est passé de 5,7 milliards en 1979 à 60,7 milliards en 1985. Dans
la même période, les concours provenant:
du fond fiduciaire sont passés de 3,9 milliards en 1979 à 7,5
milliards en 1985 ;
de la facilité élargie du F.M.I. ont évolué en baisse passant
de 11,7 milliards en 1981 à 8,6 milliards en 1985;
du fonds kowétien ont été stables, soit 32 milliards de F C.F.A.
par exercice.
Le second volet du financement du déficit budgétaire est
l'Extérieur dont les ressources fournies ont évolué comme suit
en rapport avec le déficit (en milliards de F C.F.A.) :
1979-1980 1980-1981 1981-1982 1982-1983 1983-1984 1984-1985
1
Dette (1) .....
Déficit (2)
..
1/2 (en
%)
17
21,4
79
35,3
58,2
61
28,6
72,7
39
48,6
66,5
73
36,7
68,6
53
36,0
49,7
72
Source: Direction de la Prévision, M.E.F.
Il apparaît nettement que le financement extérieur a représenté
en moyenne 63 % des besoins de financement dans la période
121
C'est dire que l'Etat a cherché et trouvé à l'extérieur des
ressources pour le financement du budget national d'équiquement.
des charges des comptes spéciaux du Trésor et de la résorption
des arriérés de paiement. Ces ressources ont permis d'une part
d'alléger le poids de la dette extérieure et d'autre part de réaliser
des économies de devises,
En définitive, le financement des déficits budgétaires n'est pas
sans soulever des problèmes qu'il est urgent de résoudre par
une gestion macroéconomique plus appropriée qui passe nécessairement par un ajustement des dépenses publiques et l'amélioration de l'épargne nationale qui s'avère insuffisante par suite
de la faiblesse des revenus et accroissement des bas niveaux
des taux d'intérêt.
(1) Henri Bourguinat: L'économie mondiale à découvert. Ed. Calman Levy,
Paris, 1985, p. 13.
(2) Idem.
(3) Il est utile de préciser ici que contrairement à une opinion malheureusement
très répandue, le premier choc pétrolier de 1973 n'a nullement été la cause de
la crise comme le montrent d'ailleurs Jean Lorentzi, Olivier Pastré et Joëlle
e
Tolédano dans leur ouvrage collectif intitulé • la crise du
siècle.
siée le • (aux éditions Economica). Tout au plus, il aura été le déclic de l'éclatement de la crise.
En effet, la cause profonde de la crise de 1973 est et demeure la rupture de
fonctionnement du modèle fordien et que traduisaient bien avant 1973, la baisse
généralisée des gains de productivité dans l'activité économique, la saturation de
la norme de consommation et le développement extraordinaire du travail improductif.
(4) Moustapha Kassé: Endettement et politique économique en Afrique de
l'Ouest, CREA, Dakar, 1985, 143, pages, publié aux Ed. Silex, Paris, 1989.
xx
122
Deuxième partie
AJUSTEMENT ET SORTIE DE CRISE
Il Y a un point sur lequel s'accordent tous les analystes nationaux ou internationaux intéressés à la situation passée et à
l'évolution présente de l'économie du Sénégal: c'est la certitude
que la poursuite des tendances lourdes ne pouvait mener qu'à
une impasse économique et financière et consacrer à plus ou
moins brève échéance l'insolvabilité définitive du pays. Dans ce
contexte, il a alors été préconisé l'application d'une politique
adéquate d'ajustement ordonné concerté et soutenu, axée sur
l'amélioration de la gestion macro-économique. Elle devrait à
moyen et long terme contribuer à restaurer les paiements intérieurs et extérieurs, donc les éléments de solvabilité. Le modèle
néo-classique qui sert de référence théorique à l'ajustement
recommande un arsenal de mesures libérales de production, de
répartition et d'affectation des ressources, de stabilisation de la
conjoncture et de régulation monétaire et de crédit. Ces mesures
sont consignées dans les conditionnalités édictées par les institutions financières internationales Qui se classent déjà parmi
les principaux bailleurs de fonds du Sénégal. Elles sont théoriquement conçues pour renforcer les mécanismes concurrentiels,
rationaliser les comportements des acteurs économiques, mobiliser l'épargne intérieure en vue de sa traduction en investissement productif, en un mot, réorganiser l'économie sur des bases
rationnelles en vue d'une relance et d'un développement équilibrés
et durables.
Pour ce faire, une meilleure réorientation des choix d'investissement, une plus grande adaptation de la structure de consom123
mation aux structures productives, ainsi qu'une maîtrise du déficit
structurel du solde des ressources, constitueront les gages les
plus sûrs d'une véritable résorption des déséquilibres. Ainsi, le
Sénégal pourra dans le cadre d'une relance économique saine
et durable, s'engager sur la voie d'une amélioration irréversible
de sa situation tant interne qu'externe.
Tous ces éléments qui contribuent à l'assainissement financier
et à la relance de l'économie, devraient être correctement et
profondément analysés en vue de la formulation et de la mise
en œuvre de politiques appropriées dans le cadre des programmes
d'ajustement. Et l'austérité nécessaire qu'ils imposent, appelle
en retour le soutien des concours financiers extérieurs à conditions douces afin d'atténuer voire minimiser les incidences sociales
négatives qu'implique la mise en pratique d'une telle politique
générale de transformation de structures.
Il reste entendu qu'aussi importantes que soient les ressources
mobilisées, elles ne produiront de résultats appréciables que si
l'économie subit les transformations structurelles nécessaires que
seul l'Etat est à même d'initier et de gérer convenablement. La
précaution à prendre est d'éviter que l'Etat ne devienne un monstre
exerçant des fonctions exorbitantes qui paralysent les acteurs
économiques.
De même, il importe d'avoir clairement conscience des dangers
et pièges des politiques de simple gestion de la demande (ajustement de type déflationniste par la récession) au détriment d'un
réel ajustement structurel capable de modifier le système productif
dans le sens de la création des conditions d'une offre croissante.
En effet, au regard du niveau de vie déjà très bas des populations,
rurales en particulier, seul un accroissement réel et substantiel
de la production est susceptible de résorber les déséquilibres
macroéconomiques dans des conditions socialement acceptables.
124
Chapitre IV
LA DECENNIE 80 OU LA VOIE
DE L'AJUSTEMENT STRUCTUREL
L'énorme distorsion entre l'affectation théorique et l'utilisation
effective de la dette extérieure, apparue vers le milieu des
années 70 au Sénégal, n'a pas favorisé la création des conditions
d'extorsion des surplus nécessaires à l'amortissement régulier
du service de la dette (principal et intérêts échus). Du reste, cet
état de chose constitue assurément le fondement de la crise
actuelle de paiements que le pays traverse et dont la perpétuation,
si rien n'avait été entrepris depuis 1979, risquait de déboucher
sur une crise sérieuse de solvabilité.
En effet, la stratégie de développement appliquée depuis
l'indépendance et qui visait notamment à transformer profondément le système productif et l'appareil administratif, avait conduit
à des politiques coûteuses d'investissement au plan de l'équipement et de l'infrastructure sociale. Ces investissements se sont
révélés par la suite massifs. peu réalistes et d'une faible efficacité.
De même, la grave rupture survenue entre les structures de
production - alimentaires en particulier - et les structures de
consommation, a fondamentalement contribué à opérer une double
extraversion: celle de la production et celle de la consommation.
Parallèlement, l'approfondissement du déséquilibre entre la
production intérieure et la demande globale au sein de laquelle
prédominait une consommation finale excessive, a eu pour effet
d'accroître le déficit en ressources artificiellement entretenu et
financé par l'endettement extérieur.
125
Il importe par conséquent d'interroger la sphère macroéconomique nationale pour tenter d'entrevoir les termes dans lesquels
se pose aujourd'hui la problématique du développement économique et financier, en rapport avec le contexte général des programmes d'ajustement en cours d'exécution.
Section 1: LES CAUSES PROFONDES DES DESEQUILIBRES
MACROECOMONIQUES
Ces causes sont plurielles et ont, de par leur importance et
leur profondeur, engendré de graves ruptures d'équilibres à caractère macroéconomique. On notera qu'elles se rapportent principalement à l'inefficience des investissements réalisés pour la
plupart sur concours extérieurs publics et privés, aux distorsions
entre structures de production et structures de consommation
ainsi qu'aux dérapages de la demande de consommation publique
et privée.
A)
La non pertinence des choix d'investissement
La rationalité économique et financière voudrait que toute
décision d'investissement - surtout lorsque celle-ci est fondée
sur un emprunt extérieur - soit subordonnée à un nécessaire
calcul coûts/avantages. Plus précisément, la viabilité - surtout
financière - d'un projet implique que le taux de rentabilité de
l'investissement dépasse le coût de l'emprunt.
Or, dans le cas du Sénégal, ce principe de base semble avoir
été peu ou très mal appliqué. Et cela en pleine période de flambée
des taux d'intérêt internationaux, de dégradation et d'instabilité
chronique de l'environnement extérieur, toutes choses qui rendent
aléatoire la rentabilisation des projets économiques internes. En
effet, la multiplication des chocs exogènes, en renchérissant
notamment les coûts internes de production, a contribué à amoindrir, voire à annuler la rentabilité des investissements. La Banque
Mondiale établit ainsi qu'au début des années 70, le coefficient
marginal de capital était d'environ 8 % pour un taux brut moyen
de 12,5 % de rendement des investissements; or, ce taux de
rendement va brutalement tomber à 6 Dio alors qu'au même moment
le coût marginal des emprunts montait à 13-15 % (1). En fait, cette
baisse de rendement des investissements reste essentiellement
due, à partir de 1974, à l'extension du secteur public et à la création d'un vaste secteur parapublic, dont le mode de gestion n'était
126
pas des plus orthodoxes comme nous l'avons souligné. Ce secteur
public et parapublic absorbait annuellement en moyenne plus
de la moitié des crédits bancaires internes et plus de 90 % des
emprunts extérieurs.
En outre, il convient de noter que l'accroissement, dans la
production intérieure. des biens non commercialisables internationalement - comme la construction d'édifices publics, l'aménagement de sites sur emprunts extérieurs en vue de l'implantation
de chaînes hôtelières, etc" a également été déterminant dans la
chute de rendement des investissements. En effet, la diminution
des produits nationaux échangeables avec l'extérieur (comme
corollaire de ce qui précède) implique une baisse conséquente
des recettes d'exportation et donc des difficultés à honorer les
échéances du service de la dette, le renouvellement des investissements sur fonds propres et la poursuite de la croissance. Il
n'est que de considérer ce que l'étude de la Bande Mondiale
dit à ce sujet: « si en 1970, 43 % du P.I.B. du Sénégal pouvait
être considérée comme échangeable. en 1980, ce chiffre tombait
à 37 %» (2). Autrement dit, 63 % du P.I.B. en 1980 ne pouvait
faire l'objet de commerce international alors même qu'une importante partie de ces biens et services était directement ou indirectement produite sur la base d'emprunts extérieurs.
Au regard de toutes ces tendances défavorables, un constat
s'impose: pour améliorer le rendement des investissements, il
importe d'en augmenter substantiellement la productivité - notamm€nt en termes de biens exportables étant entendu que le
« surendettement» mondial actuel contribuera, en l'absence de
réforme du système monétaire international, à maintenir des taux
d'intérêt élevés sur le plan international pendant encore longtemps. Pour ce faire, les études en termes de projections de croissance sectorielle montrent que:
dans le primaire, une stratégie de développement équilibré
des céréales et autres cultures de rente, axée sur la maîtrise
de l'eau ainsi que la mise en œuvre d'une technologie culturale améliorant les rendements actuels, devrait dans le cadre
des capacités et structures actuelles de l'économie sénégalaise, conduire à une croissance maximale de 3,6 % de l'agriculture.
Le taux d'évaluation de 3 % des autres sous-secteurs (pêche
et élevage) prévu dans le cadre d'un tel scénario permettrait alors
d'envisager une croissance moyenne annuelle de 3,3 % pour
l'ensemble du secteur dans le proche avenir (1989-1995).
Dans le secondaire qui possède actuellement le potentiel de
croissance le plus élevé de l'économie, même en l'absence
127
d'investissements nouveaux, de création de capacité de production, les calculs montrent qu'un plus grand taux d'utilisation de la capacité existante - notamment des I.C.S, de la
S.A.R., de la SOCOCIM et des usines de traitement de l'arachide et du poisson - devrait déboucher sur une croissance
moyenne annuelle maximale de 5 % pour les dix prochaines
années.
Quant au. tertiaire, qui représente actuellement plus de 50 ùfo
du P.I.B. au prix courants, sa forte propension à produire des
services non exportables - à l'exception du tourisme - devrait
inciter à modérer sa croissance. Nous songeons plus particulièrement à l'administration publique dont l'inefficacité
notoire et l'improductivité caractéristique constituent d'importantes sources de distraction de ressources financières.
En définitive, l'ensemble des mesures de politique économique
ci-dessus évoquées doivent contribuer à accroître le rendement
des investissements réalisés, dans une forte proportion, sur
emprunts extérieurs. Le renforcement de la solvabilité du pays
dans le cadre de la gestion macroéconomique passera alors par
la correction, tout au moins partielle, du parallélisme existant
actuellement entre les structures productives et celles de consommation, alimentaire en particulier.
B) Distorsions entre structures productives et structures de
consommation
Liée principalement à des contingences historiques, à des
traditions productives technologiquement attardées, ainsi qu'à
des comportements de consommation largement conditionnés
par l'extérieur, la liaison sphère de production/structure de
consommation présente au Sénégal une double distorsion. Celle-ci
demeure liée d'une part à la nature des produits et d'autre part
au coût de production des biens considérés.
C'est ainsi que dans le domaine agricole, la perpétuation
après 1960 de l'agriculture coloniale de traite a inexorablement
conduit le pays à l'actuelle crise agro-alimentaire. Elle a provoqué
le développement des cultures de rente au détriment de la production vivrière locale, engendrant ainsi une explosion des importations de produits alimentaires telle que l'indique le tableau 4.1
page 129.
Représentant environ 35 milliards de F C.F.A. en 1977, les
importations alimentaires ont doublé en sept ans pour atteindre
environ 70 milliards en 1984. Le riz y intervient pour 32 milliards
et le blé 8,5 milliards. Ces importations alimentaires représentaient
128
Tableau 4.1: IMPORTATIONS ALIMENTAIRES ET SERVICE DE LA DETTE AU
SENEGAL, 1977·1984
1
:
1
1
1
1977! 1978: 1979 198011981 1982 1983
- - - - 1 - ·i Importations al imentation dont
1 34 ,5
Riz ... .... . . ...
11
,3
Blé ..... , .. . ...
. ...
4,G
Service de la dette dont .
8.4
Remboursements . . . . . . ...
8.4
Rééchelonnements
..... . .....
33.5 41,2
12,6 14.8
2,9
5.4
16,9 15,9
16,(l 1 15,9
1 -
. '1
"1
-
1
1
40,9
18,1
5.0
24,3
24,8
-
,
69,1
28.4
5.3
27,3
12,6
14.7
59,0
26,3
6,0
28.5
3,0
25,5
1::
69.8 69,9
32,0 32,0
8,5
8.2
28.7 60,0
6.4 35.,'
22.3 24,6
Source: Direction de la Prévision et de la Conjoncture, M.E.F.
près de 5 fois le service de la dette rééchelonnée en 1981, 2,3 fois
celui de 1982, plus du triple de celui de 1983 et près du triple
de celui de 1984. Autrement dit, si après l'indépendance, les
structu res prod uctives ag rai res avaient été réorientées vers la
couverture prioritaire des besoins alimentaires internes, un problème de rééchelonnement ne se serait pas posé en considérant
toutes choses égales par ailleurs. Le gouvernement, après avoir
remboursé la totalité du service de sa dette, aurait économisé
54,4 milliards de F C.F.A. en 1981,33,5 millards en 1982, 47,5 milliards en 1983 et 45,3 milliards en devises fortes. Cette masse
d'argent aurait pu être productivement investie pour renforcer
la base nationale de production, créer des emplois et couvrir
largement le déficit cumulé de 143,9 milliards de F C.F.A. de la
balance des paiements pour les quatre années correspondantes
(1981, 1982, 1983 et 1984).
Dans le secteur des activités industrielles, la distorsion
s'exprime en termes de coûts pour les produits de l'industrie
légère de transformation et en termes de nature du produit pour
les biens manufacturés livrés par J'industrie lourde des pays
développés.
En effet, la politique de promotion d'industries légères substitutives d'importation a généré dans la plupart des cas des coûts
de production non compétitifs; cela a engendré des importations
massives (souvent frauduleuses) de biens manufacturés pourtant
localement fabriqués.
Par ailleurs, l'inexistence d'industries lourdes intégrées implique la nécessaire importation de biens d'équipement et, à un
autre niveau, de certains biens de consommation de luxe comme
les voitures particulières, certains appareils électro-ménagers, etc.
En résumé, la distorsion industrielle se traduit d'une part par
la production locale de biens manufactués « légers» difficilement
129
écoulables tant à l'intérieur qu'à l'extérieur parce que non compétitifs, et d'autre part par l'importation massive de biens industriels
« lourds» que le tissu industriel national ne produit pas.
Cette double distorsion qui caractérise le rapport production/
consommation et qui se manifeste essentiellement dans les secteurs primaire et secondaire, a pour jnévitable corollaire, l'accentuation du déficit commercial du pays et du solde de la balance
des paiements lorsque les mouvements compensatoires de flux
de capitaux demeurent insuffisants. Or, les études prospectives
de la Banque Mondiale sur le Sénégal montrent que même dans
la meilleure des hypothèses, le solde commercial continuera
d'être négatif jusqu'en 1995 au moins ( - 207,1 milliards de F C.F.A.
courants) (3).
Dans ces conditions et compte tenu des rigidités structurelles
qui caractérisent à court terme l'offre de produits d'origine interne,
un autre volet d'amélioration de la solvabilité du pays réside à
court-moyen terme dans la maitrise de l'expansion, aujourd'hui
incontrôlée, de la demande de consommation intérieure tant
publique que privée.
C)
Expansion non maîtrisée de la demande publique et privée
Jusqu'au milieu des années 70, la situation économique au
Sénégal était caractérisée par une relative stabilité des rapports
entre l'évolution de la demande globale et celle du P.I.B., soit
environ 2 % en moyenne annuelle en termes réels pour chacun
des deux agrégats. En effet, le déficit en ressources, lorsqu'il y
en avait, se maintenait en moyenne en-deçà de 5 % du P.I.B.
L'épargne intérieure avoisinait en moyenne près de 10 % du
P.I.B. et finançait environ 75 % de l'investissement global. Seulement, après l'éclatement de la crise en 1973 et plus particulièrement à partir de 1975, une série de déséquilibre vont s'enclencher
entraînant la rupture brutale de l'équilibre économico-financier.
Il s'agit notamment de :
l'effondrement brutal de la croissance (0,6 % par an de croissance réelle du P.I.B. entre 1975 et 1980) lié aux fluctuations
spectaculaires de la production agricole et au ralentissement
survenu dans l'industrie;
« l'envolée» du tertiaire (notamment le gonflement des effectifs de l'administration publique par essence fortement improductive) qui enregistre un taux de croissance plus rapide
qu'avant 1975 ;
le maintien des niveaux de consommation individuels et l'explosion de la consommation publique (environ 6,7 % par an en
130
termes réels) alors même que la production par tête était en
très net recul.
Bien entendu, la conséquence ne se fit pas attendre: l'épargne
intérieure devint négative impliquant un recours massif à l'endettement extérieur pour financer les investissements et une part
importante des dépenses de consommation publique et privée
qui a atteint 101,8 % du P.I.B. en 1980, soit une épargne intérieure
négative de - 1,8 %.
Outre l'augmentation rapide de la masse salariale de la fonction publique qui passe de 25,8 milliards de F C.F.A. en 1974 à
100,0 milliards en 1984 (pendant que la production nationale
régressait), on assiste à une extension des subventions d'exploitation accordées aux entreprises publiques et qui passent de
7 milliards en 1978 à 20 milliards en 1982 (4). La décomposition
des subventions par secteur met en relief le fait que, directement
ou non, une importante partie desdites subventions a contribué à
soutenir la consommation privée, populaire en particulier. En effet,
le soutien aux denrées de première nécessité gérées par la
CP.S.P. (agriculture), les subventions à la S.O.T.R.C., à Air Sénégal et à la R.C.F.S. (transports), les fonds publics de bonification
d'intérêt et autres subventions d'exploitation à la B.H.S., à la
S.I.C.A.P. ou à l'O.H.L.M. (logements), les subventions accordées
à la S.O.N.E.E.S. (eau) ou à la SENELEC (énergie) etc., ont eu principalement pour fonction de réduire le coût unitaire réel du produit ou service fourni aux consommateurs privés (5). Autrement
dit en accroissant son déficit budgétaire, l'Etat a favorisé, sur la
base d'emprunts extérieurs, l'expansion du secteur public et le
maintien du niveau de la demande privée de consommation.
A ce propos, une étude économétrique de la fonction de
consommation au Sénégal montre que « l'emprunt extérieur a été
directement lié à une augmentation de la consommation tant
publique que privée». De même, l'étude met en exergue le fait
que de 1974 à 1984, la propension marginale à consommer le
produit des emprunts a augmenté d'environ 0,33 (6).
Il ressort de cette analyse de la gestion macroéconomique,
que le redressement durable de la situation économique du Sénégal repose dans les toutes prochaines années sur deux évolutions
fondamentales:
-
d'abord, la reprise d'une croissance plus soutenue du P.I.B.
par l'amélioration du rendement des investissements, en particulier ceux réalisés sur emprunts extérieurs et qui doivent
être prioritairement orientés vers des opérations directement
productives;
ensuite, une nécessaire maîtrise de l'expansion de la consom131
mation publique et la détermination d'un niveau de consommation privée qui soit compatible avec l'évolution réelle de la
production nationale et les impératifs de la contrainte extérieure.
Section 2 : LES PROGRAMMES D'AJUSTEMENT
COMME REPONSE AUX DESEQUILIBRES
L'ampleur des déséquilibres macroéconomiques et macrofinanciers précédemment mis en évidence a rendu nécessaire
depuis 1980 au Sénégal, la mise en œuvre de programmes d'ajustement sous l'égide du F.M.!. et de la Banque Mondiale.
Ces programmes, aux grandes lignes quasiment uniformes
quel que soit le pays concerné, ont un contenu axé autour d'un
ordonnancement classique fondé sur les grands principes de la
philosophie économique libérale qui voue un culte poussé à la
capacité autorégulatrice et rééquilibrante des forces du marché.
De plus, ils engendrent dans leur exécution d'importants coûts
politiques et sociaux qui exigent, pour être atténués, une intervention massive et soutenue de la communauté financière internationale quelque fois partiellement aliénante.
Mais à l'expérience, le peu de succès qu'ils ont enregistrés
rappelle solenellement que l'ajustement en soi-même, de par
la fragilité des bases théoriques qui le sous-tendent au regard
du contexte spécifique auquel il s'applique, demeure fondamentalement une politique controversée.
Qu'en est-il alors de la réalité de ces programmes? Quelle
est leur portée théorique au regard des performances concrètes
qu'ils ont réalisées?
A)
Les programmes appliqués et leurs performances
Nous avons préalablement montré que la fin des années 70 se
caractérise par l'essoufflement de la croissance et la stagnation
de l'économie sénégalaise. Ce blocage de la croissance, manifestation externe du dysfonctionnement d'un appareil productif obsolescent et de structures économiques inadaptées, va approfondir
et amplifier une série de déséquilibres dont la plupart étaient
latents.
C'est ainsi qu'en 1978, la situation économique nationale présentait les principales caractéristiques suivantes: .
une stagnation de la production en termes réels;
un déficit chronique de la balance commerciale et des finances
publiques;
132
-
une détérioration prononcée des avoirs extérieurs nets et
d'importantes difficultés de balance des paiements.
Pour faire face à la montée de ces déséquilibres et tenter de
les résorber, une série de plans et programmes vont être successivement mis en œuvre et dont l'ensemble constitue l'ossature du
processus dit d'ajustement et sur lequel nous reviendrons plus
longuement (paragraphe B) ; il s'agit:
du programme de stabilisation à court terme: 1979-1980;
du plan de redressement économique et financier (P.R.E.F.)
1980-1985) ;
du programme d'ajustement structurel à moyen et long terme
(P.A.M.L.T.) : 1985-1992.
1)
Le programme de stabilisation à court terme: 1979-1980
Adopté par le Gouvernement lors du Conseil Interministériel
du 1" février 1979 en vue de stabiliser la tendance croissante au
déséquilibre des principaux agrégats, ce premier programme visait
les objectifs spécifiques suivants:
restriction des dépenses de fonctionnement du budget en
cours d'exécution (1978-1979) à 99 milliards F C.F.A. et les
dépenses d'équipement à 9 milliards afin de limiter le déficit
budgétaire;
amélioration du rendement des recettes fiscales;
restriction des emprunts extérieurs commerciaux de durée
comprise entre un et dix ans à 5 milliards au cours de l'exercice 1979-1980 ;
amélioration des avoirs extérieurs et obtention d'un excédent
de la balance des paiements de 2 milliards;
limitation de l'expansion du crédit intérieur par un encadrement plus strict de celui-ci.
En termes de résultats, on peut observer que l'exécution de
ce programme de stabilisation fut assez satisfaisante en ce qui
concerne la dette et les finances publiques. mais décevante quant
aux objectifs en matière de crédit intérieur et d'avoirs extérieurs.
En ce qui concerne les crédits à l'économie on peut observer
qu'ils sont passés de 127,4 milliards en décembre 1978 à 249,5
milliards en décembre 1979, soit un accroissement de 26,4 %
(plus du triple de l'objectif initial de 7 %). Devant le « Club Nation
et Développement", le 15 février 1980, Ousmane Seck alors ministre de l'Economie et des finances expliquait que «parmi les crédits ordinaires, les crédits portés par l'ONCAD en dehors du
133
compte consortial arachide et des commercialisations secondaires,
atteignent encore 34,8 milliards à la fin du mois d'août 1979» (7).
Cette explication est cependant partielle car on constate que
globalement, le plafond de distribution du crédit a été largement dépassé au 31 décembre 1979. De même, l'objectif en
matière d'avoirs extérieurs et de balance des paiements n'a pas
non plus été atteint. D'ailleurs, sur ce point, O. Seck reconnaissait
très explicitement les contreperformances et soulignait que les
avoirs extérieurs s'étaient dégradés entre décembre 1978 et
décembre 1979 en passant de - 41,7 milliards à - 60,4 milliards.
Il s'ajoute à tout cela que les efforts entrepris allaient encore être
annihilés par la chute de plus de 20 % des prix moyens des produits arachidiers, l'inflation transmise par les principaux partenaires du Sénégal (13 % de hausse annuelle des prix) et enfin
le relèvement de plus de 60 % des prix du pétrole brut subséquent au second choc pétrolier.
En définitive, malgré la croissance en volume des exportations et la baisse des importations, la détérioration des termes
de l'échange conduit en 1979 à un double déficit commercial de
50 milliards de F C.F.A. et de la balance des paiements de l'ordre
de 19 milliards de F C.F.A.
En réalité, l'objectif majeur du programme de stabilisation
était d'arrêter l'hémorragie que connaissait l'économie sénégalaise. La restauration des équilibres macrofinanciers et d'une
croissance saine et durable ressortait du domaine du plan à
moyen terme de redressement économique et financier élaboré
dès 1980.
2) Le plan à moyen terme de redressement économique et financier (P.R.E.f.) : 1980-1985
Ce plan a été préparé distinctement pour consolider les équilibres financiers dont la restauration a été amorcée dans le cadre
du plan de stabilisation à court terme de 1979. Il s'intégrait dans
la concertation que le gouvernement entretenait avec le Fonds
Monétaire International (F.M.I.) et le groupe de la Banque Mondiale (B.M.).
a)
Les objectifs du P.R.E.f.
La priorité du P.R.E.F. était l'assainissement financier. Pour
cela, il était prévu:
d'abord que le taux d'investissement de l'économie devait être
limité par les contraintes d'épargne intérieure, de dette exté134
rieure et de normes de progression des importations, c'est-àdire finalement par la nécessité de dégager des excédents de
balance des paiements;
ensuite que le taux de croissance réelle de l'économie devait
passer de 2,7 % en moyenne sur la période 1973-1980 à 3,5 %
à partir de 1982 ;
enfin que, le ratio du service de la dette devait décroître très
sensiblement pour se fixer à 14 % des recettes d'exportation
et 15 % des recettes fiscales en 1985 afin de desserrer l'étau
de la contrainte financière pesant sur l'Etat.
Ces objectifs macroéconomiques à incidences financières
importantes devaient être atteints par la mise en œuvre d'une série
de cinq mesures de politique économique:
La première mesure a trait à la politique des prix et des salaires
La vérité des prix est recherchée par une réduction progressive des subventions publiques pour certaines denrées de première nécessité: l'huile d'arachide, le riz, le sucre, etc. Les prix
à la production agricole devaient être régulièrement relevés et
les ajustements de salaires conditionnés par l'évolution des prix.
La seconde mesure a trait à la mobilisation de l'épargne
Dans les entreprises, le taux du prélèvement au bénéfice du
budget (P.B.E.) d'équipement devait passer de 5 à 10 %. Pour les
y inciter davantage, le taux d'intérêt servi par la Caisse d'Epargne
devait être relevé de 4 à 6,5 %. De même, les dépôts dans les
banques d'un terme supérieur à un an devaient être améliorés
de 1,5 point.
C'est dans cette mouvance qu'a été conçue et réalisée la B.H.S.
(Banque de l'Habitat du Sénégal).
La troisième mesure intéresse la politique du commerce extérieure
Pour le contrôle des importations, le Gouvernement devait
mettre en place un système de surveillance de la qualité, de la
quantité et des prix des produits importés.
Pour promouvoir les exportations il a mis en œuvre d'une part
une mécanique d'assurance-crédit à l'exportation et d'autre part
un fonds de subvention à l'exportation alimenté par les ressources
supplémentaires provenant du relèvement des droits de douane.
La quatrième mesure se rapporte à la politique de la monnaie et
du crédit
Une politique restrictive s'imposait d'autant plus que les avoirs
extérieurs de l'U.M.a.A. étaient globalement en baisse et que les
135
autorités monétaires recommandaient une gBstion monétaire rigoureuse.
Enfin la cinquième mesure est relative à la rationalisation de la
politique financière de l'Etat.
Les seuils alarmants atteints par le
de la dette posaient le problème de la
programme d'investissement moyennant
des conditions financières avantageuses
l'aide au développement.
poids relatif du service
nécessité de financer le
des emprunts obtenus à
(généralement) celles de
Au niveau des finances publiques, nous l'avons vu, l'Etat visait
principalement, à améliorer le rendement fiscal, à restreindre
l'accroissement des dépenses ordinaires et à fournir des ressources courantes suffisantes à la Caisse Autonome d'Amortissement
(C.A.A.) pour l'amortissement régulier de la dette.
b)
Les résultats du P.R.E.F.:
Les performances du plan de redressement économique et
financier peuvent être appréhendées au travers des points essentiels suivants:
l'activité économique durant cette période est marquée par
une évolution erratique; ainsi, une année de croissance est
suivie de deux années de quasi-stagnation, voire de recul
de la production conduisant à une baisse moyenne annuelle
de 0,6 % du P.I.B. réel par habitant;
le taux d'investissement de l'économie demeure relativement
satisfaisant: 16, 7 % du P.I.B. en 1983; 14,9 % en 1984 et
14,0 % en 1985. Cependant, le poids relativement élevé de
la consommation finale publique et privée (96,6 % du P.I.B.
en 1983 par exemple) conduit à une épargne intérieure brute
faible qui impose le financement des investissements sur
ressources extérieures à concurrence de 80 % en moyenne
(79 % pour 1983) ;
la position extérieure reste caractérisée d'une part par un
important déficit de la balance des biens et services non facteurs durablement supérieur à 10 % du P.I.B.; d'autre part
par une dégradation marquée des avoirs extérieurs qui conduit
à un déficit persistant de la balance des paiements:
le S.M.I.G. est augmenté de 15.6 % en 1983 alors que l'inflation
mesurée par l'indice des prix à la consommation des ménages
de type africain était de l'ordre de 15 % en 1982 ;
l'expansion de la monnaie et du crédit est allée de pair avec
la dégradation des avoirs extérieurs. La masse monétaire a
cru de 22 % pour la seule année 1982 :
136
le service de la dette explose, passant de 27,3 milliards F C.F.A.
en 1981 à 60 milliards en 1984 et représentant pour cette dernière année plus de 40 % des recettes ordinaires de l'Etat.
Cette situation va imposer quatre rééchelonnements successifs
pendant le P.R.E.F. : 1981, 1982, 1983 et 1984;
les finances publiques sont marquées par un déficit persistant
et par un important stock d'arrièrés : Je déficit global en termes
d'engagements représente encore 8,2 % du budget et le stock
d'arrièrés de l'Etat et des Etablissements publics s'élève à
55,7 milliards de F C.F.A. en fin de période (1989).
S'il est indéniable que la période de mise en œuvre du plan
de redressement (P.R.E.F.) a été marquée par des conditions
climatiques peu favorables, force est cependant de reconnaître
qu'une appréciation insuffisante de J'ampleur des déséquilibres
a été à la base des objectifs relativement ambitieux initialement
fixés, et donc des résultats globalement décevants du programme.
Bien entendu, le durcissement de l'environnement économique
et financier international entre 1981 et 1986, avec notamment la
montée du protectionnisme dans les pays industrialisés, la surévaluation du dollar U.S. et l'augmentation des taux d'intérêt, a
contribué à annihiler certains efforts internes et à amplifier certains
autres déséquilibres.
Il faut néanmoins noter que vers la fin du programme, la maîtrise de la demande de consommation finale a été amorcée, ce
qui justifie que l'épargne intérieure brute soit redevenue positive
même si elle est encore largement insuffisante pour financer
l'intégralité des investissements. En corrélation avec ce mouvement, le déficit en ressources a également amorcé sa décrue
relâchant ainsi partiellement la pression interne qui s'exerçait
sur le compte courant.
Le programme d'ajustement structurel qui va alors succéder
au P.R.E.F. devrait théoriquement, dans la perception des autorités
nationales, s'employer à consolider le processus de redressement
tout en introduisant les transformations structurelles requises
en vue de la relance de la croissance et du développement.
3
Le Programme d'ajustement structurel à moyen et long terme
(P.A.M.L.T.) : 1985-1992
Ce programme comporte deux volets devant être organiquement liés: un volet stabilisation qui vise à arrêter la dégradation
des agrégats économiques et un volet relance de l'économie par
réamorçage de la croissance.
137
a)
Les objectifs
Les principaux objectifs du programme d'ajustement économique et financier peuvent se résumer aux trois points suivants:
restauration des équilibres financiers sur les plans interne et
externe;
ajustement de l'offre à la demande globale;
génération dans l'économie d'une épargne intérieure suffisamment importante capable de financer, dans de très larges
proportions, l'investissement.
Pour cela, il est prévu: premièrement de remédier à la crise
de liquidité du système bancaire résultant d'une accumulation
d'arriérés de paiement de façon à rendre l'économie nationale
moins tributaire des flux de capitaux extérieurs et plus apte à
soutenir la compétition internationale à laquelle l'astreint la recherche de l'équilibre extérieur; deuxièmement de définir plusieurs
politiques sectorielles (agricole, industrielle, fiscale) destinées à
favoriser la relance économique après une profonde restructuration de l'économie; troisièmement d'améliorer l'efficacité des
investissements en maintenant l'économie sur un sentier de croissance maximale compte tenu de la contrainte constituée par le
poids du service de la dette. A cet effet, des mesures seront prises
pour ralentir le rythme d'accroissement de la consommation
finale privée qui ne devrait pas dépasser plus de 2,5 % par an
entre 1985 et 1992 alors que celui des administrations sera limité
à 1 % en moyenne sur la même période contre 3 % entre 1979 et
1983 et quatrièmement de réformer le secteur parapublic qui
génère des charges récurrentes insupportables pour l'Etat. La
stratégie de l'Etat sur ce dernier point s'articule autour du triple
objectif: de désengagement de l'Etat sur les plans juridique,
économique et institutionnel; d'amélioration de la gestion des
entreprises à travers l'établissement des plans de redressement,
de contrats-plan et enfin de privatisation des entreprises jugées
non stratégiques.
L'un des traits marquants du secteur public et parapublic
sénégalais réside dans sa gestion caractérisée par son inefficacité et la mauvaise allocation de ses ressources. " s'ensuit que
ce secteur engendre pour l'Etat des charges budgétaires devenues progressivement insupportables et source d'exacerbation
du déséquilibre des finances publiques. Dans ces conditions, et
dans la recherche d'une meilleure allocation des ressources
publiques, l'alternative semble s'imposer d'elle-même: l'Etat ne
doit faire désormais que ce que le marché ne peut assumer, même
si les conditions objectives d'un pays en voie de développement
comme le Sénégal où le marché est encore en pleine formation
138
lui imposent de maîtriser et de contrôler pendant quelques temps
encore la conduite de certains secteurs d'activité économique
fondamentaux et névralgiques, en particulier l'agriculture (8). La
nouvelle recherche d'une meilleure efficacité passe désormais
par l'atténuation de l'interventionnisme de la puissance publique,
ce qui implique conséquemment la rétrocession à l'initiative privée
d'entreprises déficitaires mais rentabilisables par une gestion
privée. Pour ce qui est des contrats-plans, ils relèvent d'une nouvelle politique de contractualisation des rapports entre l'Etat et
les entreprises publiques. Ils vont concerner les secteurs agricoles
(SAED, SODEFITEC ... ), le transport (Régie des Chemins de fer,
SOTRAC ... ), l'habitat (OH LM, Parcelles assainies). L'idée de ces
instruments consiste à organiser des prestations réciproques entre
l'Etat et l'entreprise. Celle-ci s'engage à atteindre des objectifs
quantifiés liés à l'exploitation et l'Etat, en conséquence, fournit
les moyens matériels et financiers contribuant à atteindre les
objectifs fixés.
Pour ce qui est de la privatisation, en l'absence d'une bourse
des valeurs pour amorcer une intermédiation financière, il a été
créé une délégation chargée de la gestion et de la vente du portefeuille de l'Etat. « Les taux de privatisation proposés ont été
déterminés cas par cas. Ainsi sur 62 sociétés d'économie mixte
récensées à la date du 31 décembre 1984, il a été proposé un
désengagement total de l'Etat dans 15 d'entre elles pour un portefeuille nominal de 3402 millions de francs et un désengagement
partiel au niveau de 13 sociétés pour un portefeuille d'une valeur
nominale de 4345 millions (9).
Cependant, pour la première période de trois ans (1985-1988),
l'objectif prioritaire du P.A.M.L.T. concernait la restauration de
l'équilibre des finances publiques et de la balance des paiements
afin de relancer la croissance sur des bases préalablement assainies,
Ce programme ayant effectivement démarré en 1985-1986, on
ne peut, au moment où nous rédigeons ces lignes (1989, qu'apprécier les résultats à mi-parcours.
b)
Les résultats produits
En trois années (1985-1986 - 1987-1988) d'application du
P.A.M.LT, le bilan transitoire apparaît très mitigé. Ainsi, "amélioration sensible enregistrée dans le sens du rétablissement des
bases d'une croissance saine et durable contraste très fortement
avec la persistance de certaines tendances négatives.
En effet:
139
-
140
après de bonnes performances en 1986 (4,5 %), en 1987
(4,4 %) et en 1988 (4 %), le taux de croissance réelle du P.I.B.
va probablement chuter en 1989 du fait de l'effondrement des
rendements de l'arachide ( - 30 %) et du mil-sorgho ( - 22 %),
du marasme généralisé dans le secteur industriel, auxquels
il faut ajouter les récents troubles sociaux (conflit sénégalomauritanien en avril) qui ont notablement perturbé et ralenti
l'activité économique dans son ensemble, tertiaire en particulier;
le déficit du compte courant diminue à la fois en termes absolus
et relatifs: de 150 milliards F C.FA en 1985 (début du
PAM.L.T.), il tombe à 79 milliards en 1988 soit 5,7 % du P.I.B.
contre par exemple 21 % en 1983 ;
la consommation finale reste forte, maintenant ainsi l'épargne
intérieure brute à un niveau inférieure à 10 % du P.I.B., ce qui
justifie la persistance du financement des investissements
essentiellement sur ressources extérieures;
l'encours de la dette publique extérieure ne cesse de croître,
franchissant la barre des 1 000 milliards F C.FA en fin 1988
(70 % du P.I.B.) et générant un service de plus en plus insupportable pour les finances publiques: 83,2 milliards en 19861987; 93,9 milliards en 1987-1988; 100,3 milliards en 1988-1989
et à titre prévisionnel 111 milliards pour 1989-1990, ce qui représente en moyenne près de la moitié des recettes fiscales;
le taux de couverture des importations par les exportations
demeure désespérément inférieur à 75 % (du fait notamment
du faible dynamisme des ventes à l'extérieur) engendrant ainsi
un déficit permanent de la balance commerciale;
les avoirs extérieurs nets se dégradent notablement et atteignent - 274 milliards F C.F.A. en fJn 1988 ;
le crédit intérieur, après trois années de stabilisation (1985,
1986 et 1987) à environ 550 milliards progresse brutalement
de 7,5 % pour atteindre 595 milliards en 1988, contribuant ainsi,
compte tenu des structures de l'économie nationale( forte
extraversion), à peser sensiblement sur la position extérieure;
la balance globale des paiements redevient déficitaire en 1988
( - 38 milliards) après l'excédent de 1986 (+ 36 milliards) et
l'équilibre de 1978 ;
les finances publiques poursuivent leur assainissement même
si après trois années (1985-1986 à 1987-1988) de réduction du
déficit (base engagements), celui-ci augmente à nouveau en
1988-1989 atteignant près de 36 milliards. En effet, les dépenses
ordinaires étant demeurées stables, cette contreperformance
s'explique essentiellement par la conjonction de plusieurs
facteurs défavorables notamment:
une baisse des recettes fiscales ( - 4,6 %) qui a d'ailleurs
motivé le récent réarmement fiscal et douanier (ordonnance
présidentelle 89-29 du 25 août 1989) ;
une dégradation de la position nette des correspondants
du Trésor ( - 10 milliards F C.F.A.) :
des dépenses nouvelles liées à la réforme du système
bancaire (plan de restructuration bancaire) :
la quasi-totalité des arriérés intérieurs de paiement (fournisseurs de l'Administration, crédits de campagne, dette bancaire
de l'ex-ONCAD) est appurée : environ 60 milliards de remboursement pendant les trois dernières années.
Comme on le voit, les résultats enregistrés à mi-parcours par le
P.A.M.L.T. demeurent très contrastés. La performance la plus nette
réside dans la consolidation de la stabilisation de la tendance au
déséquilibre grâce à une gestion drastique de la demande.
Autrement, dans l'ensemble, les progrès restent fragiles et
inégaux. De plus, nombre d'entre eux tiennent beaucoup plus à
des facteurs conjoncturels qu'aux mesures proprement dites de
réformes entreprises. C'est ainsi que le Sénégal, et plus généralement le Sahel, ont connu ces dernières années une série
inhabituellement longue de précipitations supérieures à la moyenne
qui ont permis de relancer la production agricole.
Il s'y ajoute le reflux du dollar U.S. (depuis 1987) ainsi que
la baisse persistante des cours mondiaux du pétrole et du riz,
deux denrées d'importation vitales dont le Sénégal reste fortement tributaire pour son énergie et son alimentation.
De façon plus générale, la poursuite et la consolisation des
progrès enregistrés ces trois dernières années dépendront dans
une très large mesure de facteurs exogènes comme la pluviométrie, la situation acridienne et l'évolution future des cours mondiaux
des arachides, du poisson, des phosphates, du pétrole et du riz.
De même, le P.A.M.L.T. devra intégrer des objectifs sociaux
cohérents pour éviter d'exacerber les déséquilibres sociaux actuels
et rester politiquement soutenable. " doit adopter de toute urgence
une politique de population réaliste et mettre en œuvre les moyens
de compter sur des perspectives viables de création d'emplois
pour faire face à une main-d'œuvre qui augmente au rythme de
100 000 par an.
Mais pour le long terme, le défi fondamental consiste à réaliser
une reprise durable et un développement équilibré moins tributaire des aléas climatiques et de la conjoncture internationale.
Le Sénégal dispose à cette fin d'atouts certains qu'il importe
d'exploiter rationnellement: une assez bonne infrastructure, une
monnaie convertible, une main-d'œuvre relativement bien instruite
et la proximité des marchés européens et ouest-africains.
141
Cependant, un tel objectif ne saurait être atteint par une politique d'ajustement essentiellement de type déflationniste. En effet,
la déflation engendre la récession en contractant l'activité économique et entretient parallèlement certaines tendances au déséquilibre (solde des ressources, finances publiques, dettes extérieures).
La structure de l'offre n'étant pas fondamentalement modifiée,
j'économie a tendance à s'installer dans un ajustement permanent par le bas (équilibre de sous-emploi des facteurs et des
ressources).
La Commission économique des Nations unies pour l'Afrique
(C.E.A.) semble avoir bien perçu ce risque pour les économies
africaines sous ajustement en élaborant la « solution africaine de
rechange aux programmes d'ajustement structuel » (S.A.R.P.A.S.).
Ce nouveau cadre de transformation et de redressement ne remet
pas en cause la nécessité de l'ajustement, mais sa nature.
En effet, l'ajustement tel que conçu et mis en œuvre par le
F.M.!. en Afrique, et donc naturellement au Sénégal, soulève de
grandes controverses tant en ce qui concerne sa pertinence
théorique que du point de vue de sa capacité pratique à juguler
la crise et à relancer la croissance.
B)
Les controverses autour des politiques d'ajustement
La montée des déséquilibres économiques et financiers ainsi
que les perspectives d'insolvabilité ont imposé dans la plupart
des pays du Tiers-Monde, africains en particulier, l'ajustement
structurel comme une voie de passage incontournable, ce qui
rend totalement insignifiants les débats d'école sur la nécessité
ou l'opportunité de la mise en œuvre de ces politiques. En effet,
à la suite du Pr Adebayo Adedeji le problème de fond est aujourd'hui de déterminer les politiques d'ajustement souhaitables.
En réalité, la véritable question qui se pose aujourd'hui
concerne le contenu desdites politiques et notamment leur efficience ainsi que leur capacité à résorber les principaux déséquilibres et à relancer la croissance sur des bases assainies.
Or, au regard des structures particulières des économies sousdéveloppées, il est permis d'observer à l'analyse que l'ajustement
comporte un ensemble d'incertitudes qui en limitent très fortement la portée opérationnelle.
En effet, l'ajustement consiste en une expérimentation reposant
sur un paradigme théorique aux hypothèses fragiles, et peu sûres
au regard de son contexte de mise en œuvre et dont, par conséquent, rien ne garantit les résultats.
142
Dès lors, il importe, à la lumière des résultats enregistrés
depuis leur mise en application au Sénégal en particulier de synthétiser les limites des programmes d'ajustement afin d'entrevoir des directions d'amélioration plus performantes. Mais avant,
étudions le modèle de référence qui sous-tend l'ajustement.
1}
Le modèle de référence
Statutairement, le principal rôle du F.M.1. consiste à soutenir
la balance des paiements des pays membres afin d'éviter qu'une
situation de déficit extérieur n'amène Je pays concerné à restreindre ses importations et à limiter ainsi l'expansion du commerce
international. Pour cette raison fondamentale, l'intervention du
F.M.1. dans un pays donné porte essentiellement sur l'objet central
de résorption du déficit de sa balance des paiements et de plus
en plus aujourd'hui (nous verrons le pourquoi plus loin) sur la
préservation dans la mesure du possible des conditions de la
croissance économique.
Ainsi, lorsqu'il lui est fait appel, le Fonds dresse l'état des
lieux et procède à l'analyse des causes de déséquilibre en se
fondant sur son modèle macroéconomique d'équilibre général
qui débouche immanquablement sur la traditionnelle stratégie
de la gestion de la demande à court terme (stabilisation) et plus
récemment sur une stratégie affirmée d'action sur l'offre (transformations structurelles). Mais en attendant, passons en revue
les deux principales théories du mécanisme d'ajustement de la
balance des paiements.
a} L'approche post-keynésienne du mécanisme du revenu et de
la dépense: l'absorption
Dans le cadre de cette approche, il est considéré qu'une trop
forte quantité de revenus distribués débouche sur un excès de
demande globale par rapport à l'offre disponible, ce qui dégénère
en inflation qui a tendance à déséquilibrer la balance des paiements. Ainsi, le déficit de la balance des paiements est identifié
comme un excédent de l'absorption sur le revenu national. Le
raisonnement part de l'équation fondamentale de l'équilibre macroéconomique:
y = C + 1 + X - M (où Y = revenu, C = consommation,
1 = Investissement, X = exportations et M = importations de
biens et services y compris les services facteurs à savoir les
salaires rapatriés ainsi que les profits et intérêts versés à l'extérieur ou perçus de l'extérieur; ces services facteurs apparaissent
143
comme importations dans la balance des paiements courants s'ils
donnent lieu à des sorties de devises et comme exportations dans
le cas contraire).
Dans cette relation: (C + 1) représente la demande, c'est-àdire l'absorption totale de biens et services ou plus simplement
encore la part de revenu national consacrée à des emplois domestiques; (X - M) représente le solde de la balance des paiements
courants. On peut alors écrire: (X - M) = Y - (C + 1). Ce qui
signifie que la balance des paiements courants est positive, c'est-àdire excédentaire, si le revenu est supérieur à la dépense (absorption ou demande globale) et négative, c'est-à-dire déficitaire, dans
le cas contraire.
Un ancien Directeur général du F.M.I., en l'occurrence M. Witteveen, résume assez bien cette analyse de l'absorption lorsqu'il
affirme: « l'inflation et le déséquilibre de la balance des paiements
viennent l'un et l'autre de ce que la société prise dans son ensemble cherche à se procurer plus de ressources qu'elle n'en peut
produire » (10).
b) L'approche monétaire: la théorie monétariste de la balance
des paiements
Développée par l'école de Chicago avec comme chef de file
Milton Friedmann, "approche monétaire de la balance des paiements s'appuie sur la théorie quantitative de la monnaie pour
démontrer que le déficit extérieur a essentiellement pour origine
un excès d'émission monétaire (11). Le raisonnement se fonde
sur deux hypothèses. Dans la première la vitesse de circulation
de la monnaie est stable du fait de l'existence d'une fonction
stable de la demande de monnaie (Md) par rapport au revenu,
les agents économiques désirant détenir sous forme d'encaisses
liquides une proportion constante de leurs actifs totaux tandis que
dans la seconde hypothèse, l'offre de monnaie (Mo) est exogène
par rapport à la demande de monnaie, les autorités monétaires
pouvant contrôler étroitement "émission du crédit intérieur.
Or, l'offre totale de monnaie (analysée par les contreparties
de la masse monétaire) est égale à la somme des variations de
la distribution interne de crédits (concours à l'économie et au
Trésor public) et des variations des réserves extérieures du pays;
d'où: Mo = C + R (avec C = crédit et R = réserves extérieures).
Par ailleurs, la variation des réserves extérieures correspond
au solde de la balance des paiements.
Et puisque d'une part, ex-post, Mo = Md (équilibre monétaire)
et que d'autre part, Md (fonction stable du revenu) et Mo (contrôlée par les autorités monétaires) sont considérées comme données,
144
l'ajustement entre quantités de monnaie offerte et demandée va
alors se faire par la variation des réserves extérieur (6 R).
Ainsi: Mo = Md implique: Md = 6 C + 6 R d'où:
~ R = Md 6 C, ce qui traduit le fait que:
-
si la variation du crédit intérieur est supérieure à la demande
de monnaie, la variation des réserves extérieures devient négative et la balance des paiements est alors déficitaire;
inversement, si la variation du crédit intérieur est inférieure
à la demande de monnaie, la variation des réserves extérieures
devient positive et la balance des paiements est alors excédentaire;
enfin, dans le cas limité où la variation du crédit intérieur
coïnciderait strictement avec la demande de monnaie, la variation des réserves extérieures serait nulle et la balance des
paiements serait alors équilibrée.
En résumé, l'approche monétaire de la balance des paiements
conclut que le solde de balance des paiements étant nécessairement égal à la différence entre demande de monnaie et offre
interne de monnaie, un déficit des paiements extérieurs est nécessairement causé par une émission de crédits trop importante.
c)
L'ajustement
«
monétariste
Il
du F.M.I.: le modèle de Polack
J.J. Polack, directeur des études au F.M.!. et condisciple de
Milton Friedman, s'appuie évidemment sur la théorie monétariste
de la balance des paiements pour élaborer son modèle économétrique d'ajustement qui sert depuis plusieurs décennies de
cadre référentiel strict aux programmes d'ajustement soutenus
par son institution. Nous en donnons la substance, la principale
conclusion à laquelle il aboutit et les recommandations de mesures
de politique économique qui en découlent.
Polack s'appuie essentiellement sur la théorie quantitative de
la monnaie qui dit que: MV = PQ (où M
masse monétaire,
V = vitesse de circulation de la monnaie, P = niveau général
des prix et Q = volume des transactions).
Il reprend l'hypothèse de stabilité de la vitesse de circulation
de la monnaie et lui ajoute une deuxième qui porte sur la constance du volume de la production intérieure (n'oublions pas en
effet que nous sommes dans la courte période, horizon traditionnel des programmes appuyés par le Fonds). On a ainsi, dans la
première hypothèse V = constante puisque la part de la nouvelle
émission monétaire qui va se convertir en demande est stable.
Dans la seconde hypothèse c'est Q qui est une constante car,
145
à court terme, l'offre interne de biens et services est relativement i
rigide (plus particuilièrement dans les pays en développement
caractérisés par l'existence de nombreux goulots d'étranglement
au niveau de leur appareil de production).
Par conséquent, tout accroissement de la masse monétaire
(M), c'est-à-dire essentiellement le crédit intérieur (principale
contrepartie de M), va automatiquement engendrer une pression
à la hausse sur les importations et surtout un accroissement proportionnel du niveau général des prix (P). Il s'ensuit alors une
forte poussée inflationniste qui réduit la compétitivité extérieure
du pays, contracte ses exportations, alourdit ses importations et
finalement donc diminue ses avoirs extérieurs.
Polack en tire la principale conclusion suivante: il existe
une relation linéaire inverse entre la variation des avoirs extérieurs
(solde de la balance des paiements) et la variation du crédit
intérieu r.
De ce raisonnement et de sa principale conclusion, le F.M./.
déduit que pour rétablir l'équilibre de la balance des paiements
(notamment dans les pays en développement où l'offre est rigide
à court terme), il faut impérativement: maîtriser, et au besoin,
réduire le crédit intérieur, ce qui revient en réalité à contenir,
voire à réduire la consommation intérieure (principale composante
de la demande globale). Pour ce faire, le F.M./. édicte les principales mesures déflationnistes (politique de stabilisation) suivantes:
la mise en œuvre d'une politique monétaire restrictive par le
resserrement et l'aggravation des conditions d'accès au crédit
(notamment le crédit au secteur public considéré comme le
principal perturbateur des mécanismes d'allocation optimale
des ressources par le marché) ;
la réduction de la masse salariale de la Fonction publique
(principale composante des revenus salariaux) par des compressions et licenciements massifs;
la mise en œuvre d'une politique budgétaire restri,ctive par
la réduction des dépenses dites sociales (éducation, santé...)
ainsi que des subventions publiques de soutien à la consommation populaire; ce qui passe par des relèvements substantiels des prix de certaines denrées de consommation courante et des tarifs de certains services publics (école, soins
médicaux, eau, électricité, transport...) ;
la dévaluation de la monnaie locale pour consolider la réduction du pouvoir d'achat interne et modérer ainsi la demande
de produits surtout d'origine importée du fait de leur renchérissement par le changement de parité, et surtout rétablir la
compétitivité externe du pays afin de relancer ses exportations.
146
Au total, il apparaît que le modèle de référence qui sous-tend
les programmes d'ajustement du F.M.I. combine à la fois la théorie de l'absorption (excès de demande globale) et le monétarisme
(émission excessive de monnaie) pour identifier une seule et
même cause de déficit de balance des paiements: l'inflation, phénomène essentiellement monétaire comme dirait Milton Friedman.
Par conséquent, l'ajustement de la balance des paiements (dont
le solde, exprimé par la variation des avoirs extérieurs, est aussi
d'essence monétaire) est assuré par des variations de prix intérieurs et du taux de change.
Cependant, si ces programmes de stabilisation et d'ajustement
mis en œuvre dans des pays comme les nôtres sont devenus des
voies obligées pour résorber les déséquilibres par recours aux
ressources du Fonds, il faut bien admettre qu'ils soulèvent depuis
quelques années de vives controverses tant en ce qui concerne
leur pertinence théorique que leur capacité pratique à juguler la
crise interne des économies sous-ajustement et à relancer la
croissance. Voyons tout cela d'un peu plus près.
2) Les limites théoriques et pratiques de la politique d'ajustement
Les programmes d'ajustement du F.M.I., tels que conçus, ont
un référentiel théorique extrêmement contesté: le modèle néoclassique d'équilibre qui évacue de son champ de vision toutes
les rigidités structurelles caractéristiques des pays en voie de
développement. Cette situation conduit le Fonds à opérer une
reproduction théorique reposant sur les postulats de la rationalité
des comportements et l'existence de marchés libres seuls à même
d'assurer une allocation efficiente des ressources. Cependant,
les nombreuses contreperformances auxquels ont aujourd'hui
abouti la plupart de ces programmes révèlent que le modèle de
référence qui les sous-tend apparaît, à l'analyse, doublement non
pertinent: d'abord du point de vue axiomatique et ensuite du
point de vue pratique.
Au plan théorique, les principales hypothèses du modèle, dont
le degré de pertinence est certes relativement élevé dans les
pays développés aux structures économiques mûres, ne sont
pour la plupart nullement vérifiées dans des économies plu ristructurées, archaïques et faiblement intégrées comme les nôtres.
Il s'y ajoute qu'à l'expérience (niveau pratique), les immenses
coûts politiques et sociaux qu'il génère contribuent, dans la
majeure partie des cas, à déstabiliser des nations aux bases
sociales fragiles et donc à remettre en cause, au besoin, l'ensemble du processus même de rééquilibrage de "économie nationale
qu'il tente de promouvoir.
147
Pour des raisons méthodologiques, nous aborderons les
limites en question à deux niveaux distincts: un niveau externe
et un niveau interne.
a)
Une limite fondamentale extrinsèque à l'ajustement
Le fort degré d'insertion des pays du Tiers-Monde dans l'économie mondiale implique de facto que le résultat du processus
interne d'ajustement demeure largement tributaire de "évolution
de l'environnement économique international.
Pour que les mesures prises au plan interne produisent pleinement leurs effets (notamment en ce qui concerne le rétablissement de l'équilibre extérieur), il importe que des mesures
exactement contraires soient simultanément prises dans les principaux pays structurellement excédentaires avec lesquels ces
pays sous-développés entretiennent des relations économiques
significatives.
Or, depuis 1979, l'économie mondiale est, dans son ensemble,
en proie à une grave récession sous-tendue par d'importantes
tensions dans les relations économiques internationales: montée
du protectionnisme (notamment dans les principaux pays partenaires commerciaux des P.V.D., contraction du commerce international, instabilité chronique des ma.rchés de capitaux, flambée
des taux d'intérêt et amples fluctuations du dollar U.S., variations
erratiques des cours mondiaux des matières premières et détérioration prononcée des rapports internationaux d'échange, etc. (12).
C'est à ce niveau que réside manifestement l'une des faiblesses
majeures du F.M.1. dans le cadre de la mise en œuvre et de la
conduite de "ajustement. En effet, cette institution n'a statutairement pas les moyens de démanteler les barrières commerciales
érigées par la plupart des pays développés, ni d'influer sur les
processus de dégradation des prix des matières premières qui
ruinent les économies sous ajustement. Il s'ensuit alors objectivement une impossibilité technique de réaliser le processus d'ajustement international recherché qui, dans un contexte libre échangiste devrait répartir plus équitablement la charge entre pays
déficitaires et pays excédentaires.
Dans de telles conditions, il était donc illusoire d'espérer,
dans le cadre de l'ajustement (<< court-termiste» par nombre de
ses aspects), résorber les déséquilibres macroéconomiques et
macrofinanciers du Sénégal dont le caractère éminemment structurel commence par être de mieux en mieux perçu.
b)
Les limites propres au modèle d'ajustement appliqué:
Le modèle part de la conclusion générale établie par J.J. Polack
(voir le paragraphe 1) pour estimer qu'au Sénégal. il existe une
148
relation linéaire inverse entre la variation des avoirs extérieurs
(solde de la balance des paiements) et celle du crédit intérieur.
Autrement dit, pour améliorer la position extérieure du pays et
restaurer sa capacité extérieure de paiement, il est indispensable
de restreindre la croissance de la masse monétaire par un
encadrement très strict du crédit intérieur à l'économie.
Cette approche monétariste de J'ajustement conçue par le
F.M.I. appelle quelques interrogations.
Tout d'abord, qu'en est-il de la valeur de "hypothèse de stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie? Cette hypothèse
qui sous-tend le modèle de référence relève manifestement de
l'intuition dans la mesure où aucun test, ni évaluation de cette
nature n'ont été à ce jour effectués à propos de l'économie sénégalaise. Et si l'on en croit d'ailleurs Yung Chul Park (ancien expert
du F.M.I.), "la vitesse de circulation de la monnaie n'est pas
stable dans les pays en voie de développement et en conséquence,
toute prévision ou toute politique économique fondée sur une
telle hypothèse est erronée» (13).
De plus, on sait qu'en période de hausses généralisées des
prix (situation actuelle du Sénégal et de la plupart des pays sousdéveloppés). la vitesse de circulation de la monnaie a plutôt
tendance à varier. En effet, pour amoindrir les effets de l'inflation
et contourner les restrictions imposées par les autorités monétaires à l'expansion du crédit, les agents économiques ont tendance à modifier leur fonction de demande de monnaie par rapport
au revenu et à accroître artificiellement la liquidité (au sens large)
en créant divers substituts à la monnaie (notamment dans le
secteur informel).
Ensuite, utilisant l'équation quantitative de la monnaie, le
modèle considère que la vitesse de circulation de la monnaie
étant stable, s'il existe par ailleurs des rigidités structurelles au
niveau de "offre, toute demande supplémentaire aura nécessairement tendance à affecter automatiquement les prix et non le
produit réel, contribuant ainsi à déséquilibrer la balance des
paiements. Par conséquent, la politique monétaire restrictive est
justifiée. Il s'agit là d'une vision de court terme qui admet de
surcroît l'hypothèse implicite de plein-emploi des facteurs. Or,
le Sénégal est plutôt caractérisé par un sous-emploi chronique
des facteurs se traduisant par l'existence d'importantes capacités
de production sous-utilisées qu'une orientation sélective et appropriée du crédit intérieur peut permettre d'exploiter pleinement
et progressivement sur le moyen et long termes sans risques de
pressions inflationnistes et en agissant fondamentalement sur les
structures.
Il s'y ajoute, comme le reconnaissent très justement du reste
M. Khan et D. Knight (tous deux experts du F.M.I.), que « les
149
modèles économétriques qui vérifient l'effet de certaines mesures
spécifiques sur la croissance économiques, démontrent en règle
générale qu'une limitation de l'expansion de la masse monétaire
ou des crédits intérieurs amène un ralentissement de la croissance
économique à court terme» (14).
Cet aspect constitue en fait le fondement des mesures de
type déflationniste (restriction du crédit à l'économie, réduction
de la consommation intérieure, augmentation de la pression fiscale, etc.) qui sont théoriquement censées stabiliser la demande
globale, réduire l'inflation et redresser la position extérieure (du
fait du fort contenu en importation de ladite demande globale) (15).
Or, le véritable problème du Sénégal est actuellement celui
de l'orientation inappropriée du crédit intérieur, les secteurs
improductifs et spéculatifs comme l'import-export, l'immobilier... ,
étant favorisés au détriment de la valorisation effective des potentialités existantes. On comprend dès lors que cet ajustement
purement monétaire ait en réalité conduit à un approfondissement
de la crise. Ceci transparait notamment dans la stagnation de
l'activité économique, la persistance des pressions inflationnistes
et le blocage de la croissance.
Au plan de l'équilibre extérieur, l'appartenance du Sénégal
à la Zone Franc empêchant toute manipulation unilatérale du
taux de change, il s'opère une dévaluation «déguisée» (surtaxation des importations et subvention des exportations) qui a eu
tendance à aggraver le déficit de la balance commerciale et à
déstabiliser parallèlement les finances publiques déjà précaires.
En effet, la dévaluation accompagnée de la limitation des
salaires devrait, selon le F.M.I., accroître la rentabilité des exportations et diminuer les dépenses intérieures et les importations
du fait de l'érosion du pouvoir d'achat liée au relèvement général
des prix imposé par cette même dévaluation. Seulement, à l'expérience, force est de constater que l'objectif recherché n'a généralement pas été atteint parce que:
d'une part, les importations incompressibles pour la plupart
du temps ont continué à augmenter sous le couvert de la
fraude douanière pénalisant par là même l'Etat dont les droits
de porte ont partiellement diminué:
d'autre part, les exportations ne se sont pas sensiblement
accrues pour les principales raisons suivantes:
rattrapage du taux de dévaluation par la hausse interne
des prix des produits manufacturés exportés, ce qui annule
ainsi l'effet de la dévaluation;
demande extérieure relativement saturée pour les principaux produits exportés par le Sénégal;
150
-
substitution plus accrue aux produits de base exportés
(arachides, phosphates ... ) par d'autres produits concurrents
plus compétitifs; (soja, tournesol. .. ) ;
prix des produits exportés fixés sur des bourses de commerce (caractérisées par leur instabilité) et de surcroît en
monnaies étrangères (dollard U.S., livre sterling ...).
Dans cette optique, le F.M.I. dans son rapport de 1981 reconnaît
d'ailleurs que « la plupart des pays en voie de développement
n'ont aucun moyen d'action sur les prix en monnaie étrangère
des importations et des exportations. Quelle que soit la politique
qu'ils adoptent, notamment en pratique de change, les termes
extérieurs de l'échange ne s'en trouvent pas modifiés» (16).
Même dans les programmes de modifications de structures sur
le moyen et le long termes mis en œuvre avec l'aide de la Banque
Mondiale et auxquels le Fonds semble accorder de plus en plus
d'importance, de nombreuses interrogations demeurent.
C'est ainsi que l'efficacité dans la réal location des ressources
et des facteurs au profit des secteurs liés à l'exportation reste
fortement limitée par la faible mobilité du capital, de la maind'œuvre et du délai de réponse de l'offre (notamment agricole)
aux signaux du marché (en l'occurrence une plus forte rémunération aux exportateurs). La méconnaissance de paramètres décisifs comme les différentes élasticités ne favorise pas la formulation de politiques de prix rationnelles, en particulier l'établissement de systèmes de prix relatifs optimaux au regard des objectifs de réal location des ressources productives et surtout de
réol ientation des structures à la fois de production et de consommation (17).
Quant à la mise en œuvre des projets nouveaux ou la réhabilitation d'anciens dans le cadre de la relance de la croissance
(volet essentiellement Banque Mondiale), elle reste fondée sur
la traditionnelle méthode d'évaluation des projets et de choix
d'investissement fondée sur la comparaison du taux de rendement
interne (à partir de l'estimation de « cash-flows» aléatoires) avec
le coût de l'investissement (représenté par le taux d'intérêt moyen
des emprunts). Cette démarche apparaît manifestement de moins
en moins efficace compte tenu des innombrables incertitudes qui
caractérisent actuellement d'une part les marchés d'exportation
(montèe du protectionnisme) et d'autre part le marché intérieur
national du fait de la politique déflationniste qu'implique l'austérité recommandée par le F.M.I. Elle est cependant complétée
par la détermination des prix de référence (Little et Mirrless),
technique privilégiée par la Banque Mondiale. Or, parce qu'elle
privilégie la production pour des marchés extérieurs (recherche
prioritaire de "objectif d'équilibre de la balance des paiements),
151
cette approche, quels que soient par ailleurs ses avantages,
contribue à extravertir davantage les structures productives et
à renforcer la désarticulation de l'économie par la création « d'enclaves industrielles» sans liaisons structurelles intenses avec le
reste du tissu économique national.
Une fois de plus, nous constatons que, quels que soient les
intervenants (F.M.!. ou Banque Mondiale), la problématique de
l'ajustement dans le Tiers-Monde se conçoit essentiellement en
termes de rééquilibrage de la position extérieure accompagnée
d'une plus grande insertion dans l'économie mondiale et non
pas donc en termes de développement de nations pauvres aux
prises avec des difficultés structurelles incommensurables. Cela
pourrait se comprendre de la part du F.M.!. dont les dispositions
statutaires sont sans équivoques à ce sujet. Par contre, il l'est
moins de la part de la Banque Mondiale qui est avant tout, on ne
saurait l'oublier, une banque de développement.
A cet ensemble d'insuffisances théoriques propres aux programmes d'ajustement se greffent un certain nombre d'obstacles
pratiques qui contribuent à en limiter l'efficacité et parmi lesquels
deux méritent particulièrement d'être évoqués. Il s'agit: d'une
part de la politique de privatisation et d'autre part de la ÇJestion
administrative.
De la politique de privatisation
Il existe une croyance excessive aux vertus rédemptrices d'une
privatisation poussée de l'économie sénégalaise (18). En effet,
la doctrine économique libérale qui sous-tend les programmes
d'ajustement postule que le libre fonctionnement des mécanismes
du marché est le seul gage de l'allocation optimale des ressources. Or, le marché sénégalais, encore en formation, est justement
caractérisé par d'innombrables hétérogénéités structurelles qui en
limitent le fonctionnement. Parlant de cette option libérale qui
regagne son terrain perdu, le président A. Diouf affirme qu'il « ne
croit pas aux vertus de cette option pour notre pays. Abandonnés
aux seules lois du marché, les agents économiques ne sont pas
également armés pour faire face à la concurrence» (19).
D'ailleurs, stricto sensu s, si nous assimilons la théorie économique, comme le fait l'analyse walrasienne. à la coordination
d'un système décentralisé fondé sur des rapports marchands,
nous nous apercevons très vite que les catégories utilisées sont
non pertinentes dans les formations sociales sous-développées
qui sont à dominante précapitaliste. La plupart des échanges y
sont non marchands, l'espace économique y est hétérogénéisé
par des cloisons et barrières qui rendent le marché imparfait.
152
De même, la croissance ne pourra y être auto-entretenue par
suite de l'existence de multiples déséquilibres. Enfin, les régimes
autoritaires qui y prévalent, interdisent tout débat démocratique,
donc tout processus de génération des choix collectifs par interaction des choix individuels.
Le libéralisme agressif préconisé et appuyé par les institutions
financières internationales, loin de constituer un remède infaillible
aux problèmes économiques du Sénégal, ne tient nullement compte
de la capacité objective des agents économiques à prendre en
charge et à assumer convenablement les nouvelles fonctions
issues de la nouvelle donne économique, ce qui manifestement
représente un obstacle majeur à la mise en œuvre du processus
dit de désengagement de l'Etat (20).
Il ne faut jamais perdre de vue que l'entreprise privée sénégalaise est handicapée dans son développement par une série
de contraintes que l'on peut regrouper en quatre rubriques:
les
les
les
les
contraintes
contraintes
contraintes
contraintes
historico-structurelles,
sociologiques,
économico-financières,
politico-administratives.
Les contraintes historico-structurelles à l'initiative privée
La colonisation n'a pas permis l'émergence d'une classe d'entrepreneurs nationaux. En plus, le capital étranger qu'il a mis en
place a complètement saturé à son profit exclusif, donc au détriment des nationaux, tous les créneaux les plus économiquement
rentables. Dans ce sens, la formation d'un secteur privé sénégalais
a été en permanence étouffée:
une première fois en 1929-1930 en faveur d'entreprises coloniales et libano-syriennes ;
une seconde fois dans les années 50 avec l'éviction progressive des traitants nationaux;
une troisième fois dans les années 60 avec le retrait des maisons coloniales qui s'est réalisé principalement ou au profit de
l'Etat et autres étrangers, mais rarement en faveur des nationaux sénégalais.
Dans ce contexte, il devient particulièrement difficile à l'initiative privée nationale de créer de nouveaux circuits économiques,
commerciaux ou financiers.
Par ailleurs, le système productif progressivement mis en place
par l'appareil colonial, et qui se caractérise par son extraversion,
fonctionne par et pour des entreprises directement connectées
à l'extérieur. Ainsi, l'extraversion et surtout la logique de production et d'échange qui la sous-tend, constituent en dernier ressort
153
un frein à la création d'entreprises nationales viables et tournées
vers la statisfaction prioritaire des besoins essentiels des populations.
Les contraintes sociologiques
La superstructure, notamment le modèle familial, est un obstacle de taille à l'émergence d'une classe d'entrepreneur. En effet,
la famille élargie, les clientèles les plus diverses, les alljance~
tribo-patriarcales constituent des éléments sur lesquels achoppe
l'entreprise privée. Ils sont à la base:
de la surcharge d'inactifs qui extraient improductivement une
part des surplus (dans le cadre de la solidarité « à l'africaine ») ;
de la perception que le sénégalais moyen a de l'entreprise
considérée comme une source inépuisable de richesses matérielles;
de l'omniprésence du chef d'entreprise qui ne peut souffrir
de partager son autorité, si bien que toute divergence dans
l'appréciation de la marche de l'entreprise dégénère souvent
en conflit de personnes.
Ces pesanteurs sociologiques forment un important noyau de
résistance à l'avènement d'entreprises modernes.
Les contraintes économico-financières
Ces contraintes sont de quatre ordres et revêtent une importance cruciale du reste aggravée par la faillite du système bancaire commercial:
la faiblesse de capitaux disponibles et l'absence d'institutions
bancaires et financières appropriées. L'expérience établit que
sans l'existence d'établissements financiers capables de fournir au secteur privé des crédits suffisants et adaptés, il ne
pourrait se constituer et prospérer des entreprises nouvelles
D'ailleurs sur ce point, il existe des préjugés qu'il n'est pas
facile de détruire;
l'étroitesse des marchés conjuguée à la vive et inégale
concurrence que rencontre l'initiative privée nationale coincée
entre un secteur public hypertrophié et un secteur privé étranger florissant;
l'entreprise nationale, du fait de l'extraversion, est confinée
dans des créneaux à faible marché ou à faible renté\bilité et
dans des activités marginales qui peuvent difficilement permettre une accumulation productive importante:
la pression fiscale forte est pénalisante et défavorable à l'initiative privée nationale.
154
Les contraintes politico-administratives
Informer, former, financer et faciliter la création d'entreprises
nouvelles ou la saine promotion d'entreprises nationales existantes, devraient contribuer des tâches prioritaires pour l'Etat
sénégalais. Malheureusement enkylosée par des structures bureaucratiques lourdes et pesantes, l'Administration n'a pu jusqu'à
présent réussir sa politique promotionnelle de l'entreprise nationale.
Tous ces obstacles et contraintes jouent comme de puissants
freins à l'avènement et au développement de l'entreprise nationale.
On peut dès lors affirmer que la faible création d'entreprises
nationales ne réside:
ni dans un défaut de rationalité bloquant l'avènement d'entrepreneurs de type schumpétérien. On peut même affirmer que
les entrepreneurs sénégalais obéissent à une logique spécifique du point de vue de l'accumulation et de la stricte efficacité économique qui est tout à fait cohérente au regard de
la structuration du tissu social;
ni dans une carence fondamentale de la formation professionnelle et technique. Historiquement, les entrepreneurs qui ont
fait la révolution industrielle n'étaient ni des polytechniciens,
ni des experts en organisation et en gestion d'entreprise.
En d'autres termes, si l'on ne règle pas économiquement et
administrativement les contraintes soulignées, on n'assistera
jamais à l'avènement d'entrepreneurs et de gestionnaires dynamiques, véritables opérateurs économiques capables de prendre
en charge de façon rentable des segments importants du système
productif. La preuve est en effet établie que dans les pays du
Tiers-Monde où ces obstacles ont été levés, les opérateurs nationaux ont montré leur aptitude à faire fonctionner des entreprises
modernes et florissantes et à gérer le développement économique
et social. Le deuxième type d'obstacle pratique concerne la gestion
administrative.
De la paralysie et des insuffisances administratives
Elles sont engendrées par la compression de certaines dépenses budgétaires. L'insuffisance de moyens humains et matériels
imposée par les contractions budgétaires constitue assurément,
un autre obstacle à la mise en œuvre efficace du processus d'ajustement. C'est ainsi par exemple que l'efficacité dans le recouvrement des recettes fiscales et douanières, le renforcement de
l'appareillage statistique national, la consolidation de la capacité
nationale de traitement et d'analyse économique (notamment les
analyses de conjoncture) ainsi que l'amélioration du suivi des
projets de développement risquent de se ressentir de l'austérité
155
en cours, avec par ricochet, d'importantes incidences négatives
sur les performances globales des programmes. A ce niveau, il
faut se réjouir de la mise en œuvre récente grâce à l'appui de
la Banque Mondiale, du Projet d'Appui à la Gestion du développement (P.A.G.D.) au Sénégal. Ce programme vise à perfectionner
la capacité d'analyse et de formulation de politiques économiques
du Gouvernement, à renforcer la capacité d'évaluation du ministère de Plan et de la Coopération ainsi qu'à améliorer la capacité
des ministères techniques à préparer et à suivre l'exécution de
leurs projets. Il contribue à l'amélioration qualitative du processus
planifié de l'économie sénégalaise dans laquelle le plan avait fini
par être un document sacralisé répertoriant un ensemble de projets dont la réalisation dépendait souvent exclusivement de l'extérieur (21). Les diverses réformes introduites devraient aboutir à
une planification qui mobilise, tant dans son élaboration qu'à
son exécution, tous les acteurs du développement économique
et social (22).
Cependant, la déflation préconisée des effectifs de la Fonction
publique, si elle n'est pas judicieusement mise en œuvre, pourrait
engendrer une sous-administration préjudiciable au développement. Trop souvent, on a réduit l'administration à un rapport simplement arithmétique et on a alors eu recours à la méthode des
indices dans l'analyse du fait administratif. Ce faisant, l'analyse
ne prend point en considération une série de données et rapports
économiques, certains paramètres spatiaux et socio-culturels qui
entrent nécessairement en jeu dans la définition et dans l'évaluation de la sous-administration. Des études minutieuses doivent
être entreprises pour déterminer avec précision l'effectif optimal
de fonctionnaires. Ceci ne devrait pas masquer la nécessité d'une
rénovation très profonde de l'Etat dans la triple direction de sa
décentralisation, de sa modernisation et de sa démocratisation.
Mais au-delà de cette kyrielle de limites de nature tant théorique que pratique, les programmes d'ajustement comportent
également un ensemble de coûts sociaux et politiques qui représentent autant d'obstacles à leur aboutissement favorable.
3 Coûts non-monétaires et dimension sociale des programmes
d'ajustement
En dehors même des difficultés à résorber dans la courte
période les déséquilibres économiques et financiers et à relancer
la croissance, il est devenu incontestable que les programmes
d'ajustement structurel, de par les restructurations des activités
productives, la rigueur et l'ampleur de l'austérité qu'ils imposent,
comportent des coûts sociaux parfois très lourds sur lesquels
156
les recherches, les réflexions et les références sont relativement
rares. Selon Alain Lebaube, les politiques économiques de rééquilibrage provoquent une dégradation de la situation sociale. Le chômage s'accroit et la pauvreté frappe de nouvelles catégories. Or
le retour à la santé économique ne peut guère se faire sur des
décombres sociaux en conséquence l' « ambulance sociale}) doit
accompagner la « chirurgie}) du F.M.!. (23).
Complètement méconnus pendant longtemps par les institutions financières internationales, ces coûts sociaux se sont révélés
d'une telle importance que leur évaluation est devenue à la fois
indispensable et urgente. Tout le monde s'accorde en effet pour
admettre que l'augmentation du chômage dans des pays de sousemploi chronique, les sacrifices imposés par le biais des hausses
de prix, l'érosion des pouvoirs d'achat et par voie de conséquence
des consommations individuelles et collectives (éducation, santé...)
ainsi que la redistribution régressive des revenus génèrent des
situations sociales explosives perturbatrices d'une paix domestique indispensable à la croissance et au développement. Les
émeutes et les « guerres civiles» de la faim observées dans
certains pays sous ajustement se présentent comme des issues
inéluctables si des actions vigoureuses de correction et de
modération ne sont pas mises en œuvre. Car en définitive, il
faut reconnaître que sans un ordre social interne stable et acceptable il serait illusoire de prétendre à l'efficience économique.
Or, les plans de déflation des personnels des entreprises
publiques et privées et de la Fonction publique contribuent à
accroître un chômage déjà alarmant et accentuent tendanciellement la fragilisation de l'équilibre social. De même, la répartition
inégale des charges inhérentes à l'ajustement accentue la différenciation sociale très prononcée au Sénégal. Cette discrimination dans la répartition des charges s'exprime d'une part dans
l'incapacité des couches moyennes et défavorisées à se soustraire
aux relèvements des prix des biens de consommation courante,
et d'autre part dans les résistances opposées aux réformes structurelles par les catégories sociales privilégiées. Ces oppositions
concernent en particulier le contrôle de la formation des hauts
revenus non salariaux et leur imposition régulière (rente foncière
et immobilière notamment) ainsi que la diminution des coûts
intermédiaires, réguliers et irréguliers, des filières agricoles (arachidière surtout). Le démantèlement de certaines rentes de situation obtenues dans le secteur industriel du fait de la protection
excessive et la remise en cause de certains privilèges et monopoles acquis depuis des décennies (commerce, banques, assurances...) entraînent parfois des levées de bouclier au niveau de
certaines catégories pourtant privilégiées. En outre, les restrictions budgétaires et les réorientations imposées par la politique
157
d'ajustement engendrent d'énormes difficultés dans le financement des dépenses sociales en expansion rapide. Même les
collectivités locales ou les structures associatives, elles aussi
exsangues, ne peuvent les prendre en charge (24).
De plus, ces différents coOts sociaux, de par leurs implications
économiques, constituent d'importants obstacles et sources de
blocage dans la réalisation des performances attendues des
programmes d'ajustement. C'est ainsi que la détérioration prononcée du pouvoir d'achat des salariés joue défavorablement sur
la productivité de leur travail. Il en va de même de la compression
massive des dépenses sociales qui, en précarisant la situation
sanitaire nationale et en sacrifiant l'éducation et la formation,
comporte de gros risques de bradage des ressources humaines,
principal atout pour le développement d'un pays comme le Sénégal.
Quant aux résistances des couches sociales favorisées aux
changements structurels, elles contribuent à entretenir les déséquilibres observés. Elles rendent inopérantes les mesures visant
à créer des incitations positives en faveur des producteurs, en
maintenant et en renforçant au besoin l'extraversion du modèle
de consommation. Elles confortent et pérennisent l'inefficacité
économique par le maintien d'une logique de formation des revenus totalement indépendante des critêres de productivité et d'efficacité économique (les diverses rentes: foncière, immobilière,
agricole, industrielle, commerciale). En effet, la réorientation de
l'économie nationale que les programmes d'ajustement tentent de
promouvoir, demeure manifestement incompatible avec les modèles
actuels de consommation et de formation des revenus. Paradoxalement, lesdits programmes feignent d'ignorer ceci qui constitue
assurément une limite de plus à leur efficacité opérationnelle.
De façon générale, les premiers programes mis en œuvre ont
été conçus dans une optique purement économique. Mais du fait
des nombreuses résistances sociales qu'ils ont suscitées çà et
là dans le cadre de leur application, il est de plus en plus admis
aujourd'hui que leur élaboration doit dorénavant pleinement intégrer la dimension sociale. Du reste, les voix sont de plus en plus
nombreuses à s'élever pour recommander dans les pays en développement un ajustement à visage humain (25). Un ajustement
qui devra répondre à des préoccupations d'ordre humain et pour
cela, demeurer orienté vers des changements structurels assurant
un développement économique soutenu à long terme et qui préserve parallèlement les intérêts sociaux des groupes vulnérables.
Ces considérations imposent alors un nécessaire changement
d'optique qui devra se traduire par la reconnaissance et la volonté
de prendre en charge tous les coOts sociaux de l'ajustement.
L'ajustement dit à visage humain dégage à ce propos les six
principaux éléments qui en constituent l'essence; ce sont:
158
l'établissement d'un calendrier différencié d'ajustement qui
procède à une correction désormais plus progressive des
déséquilibres par mobilisation plus accrue de financements
extérieurs à moyen terme (et de moins en moins à court
terme) ;
le recours à des politiques méso-économiques (de répartition
des revenus et des ressources) visant à respecter les priorités
en répondant aux besoins des groupes vulnérables et en encourageant la croissance économique dans le contexte de ressources limitées;
la mise en œuvre de mesures sectorielles (appuyées sur
la petite entreprise agricole, industrielle ou commerciale) pour
assurer la restructuration du système productif;
l'accroissement de l'équité et de l'efficacité dans le secteur
social par ciblage des services de base à bas coût et par
réorientation des efforts et des ressources consacrés aux
secteurs dispendieux et qui ne contribuent pas à la satisfaction des besoins essentiels;
la mise en œuvre de programmes compensatoires visant à
protéger les normes essentielles de vie, de santé et de nutrition des groupes à bas revenu pendant l'ajustement;
le suivi des niveaux de vie, de santé et de nutrition des groupes
vulnérables pendant l'ajustement.
Dans cette optique, le Gouvernement du Sénégal avait, dès
1986, fait réaliser deux principales études sur les effets sociaux
et la mise en œuvre de leur suivi dans le cadre de l'ajustement (26).
Ces études ont eu le mérite d'une part de cerner l'ensemble des
effets sociaux mesurables ou non imputables au plan d'ajustement
et d'autre part, de dégager les contours méthodologiques d'une
planification sociale dans le cadre de l'ajustement.
A la suite de ces travaux préliminaires, le Gouvernement a
créé par décret n° 87-1404 du 17 novembre 1987 la délégation à
l'insertion, à la réinsertion et à l'emploi (D.I.R.E.) autour des
objectifs majeurs ci-après:
la mise en place d'une stratégie à long terme de planification
des ressources humaines;
l'élaboration, le suivi et la mise en œuvre de la politique générale de l'emploi;
la conception, la réalisation et le suivi des actions relatives
à l'insertion et à la réinsertion professionnelle;
l'harmonisation des méthodes et principes de financement
des projets productifs;
une meilleure coordination des interventions des départements
ministériels en matière d'insertion et de réinsertion et un appui
technique approprié aux jeunes promoteurs économiques;
159
la mise en place d'un système d'information performant en
mesure d'aider à une meilleure connaissance du marché de
l'emploi et des mécanismes qui régissent l'évolution de l'offre
et de la demande de travail;
le renforcement des relations avec les organisations internationales ouvrant dans le domaine de l'emploi, la prospection
d'emplois extérieurs, l'organisation et le contrôle de la migration des travailleurs sénégalais.
Pour atteindre ces objectifs, la DIRE a été dotée de deux principaux instruments d'intervention:
1) Le Fonds National de l'Emploi (F.N.E.) issu de la refonte des
fonds d'insertion et de réinsertion qui reçoit et gère toutes les
dotations publiques destinées à financer des projets présentés
par les personnes physiques ou morales que sont:
les salariés du secteur privé ou parapublic touchés par les
procédures collectives de licenciement pour motifs économiques;
les agents de j'Etat, fonctionnaires ou non cessant volontairement leurs fonctions;
les émigrés de retour au Sénégal;
les diplômés de l'enseignement supérieur (niveau second
cycle).
2) Le Fonds Spécial de l'Emploi (F.S.E.) destiné à financer
totalement ou partiellement des projets qui ne nécessitent pas
une mise en œuvre sophistiquée et aboutissant plus à l'autoemploi avec quelques opportunités de création d'emplois occasionnels (2 à 2,5 emplois par cas). Ainsi, les petits projets destinés
à favoriser la création d'entreprises de production individuelle
et/ou communautaires (groupements de production féminins, groupements d'intérêt économique G.I.E., y sont éligibles).
Dans la mouvance de cette volonté gouvernementale marquée
d'intégrer et de gérer les aspects sociaux du programme d'ajustement, il faut noter aussi la mise en œuvre dès 1982-1983 de
l'opération dite «Maîtrisard". Comme son nom l'indique, cette
opération était au départ, exclusivement destinée à résorber le
chômage naissant des titulaires d'une maîtrise de l'enseignement
supérieur. Elle fut par la suite étendue à l'ensemble des diplômés
du système éducatif et a connu, dans son application, des fortunes
diverses dont il serait souhaitable qu'une étude bilan fasse le
point après bientôt sept années de mise en œuvre.
Dans le domaine des consommations collectives (éducation
et santé), la situation demeure préoccupante malgré les efforts
du Gouvernement. En effet, l'explosion démographique (2,9 %
160
par an) engendre une demande sociale importante et croissante.
Or, l'allocation des ressources dans la logique de l'ajustement
s'effectue partiellement au détriment des secteurs sociaux collectifs et les ressources qui y sont consacrées périclitent.
Dans le sous-secteur de l'éducation par exemple, la progression du taux de scolarisation est restée modérée; mais, l'accroissement moyen annuel des effectifs qui était de 6 % de 1961 à
1978 dans l'enseignement élémentaire et de 7,3 % de 1978 à
1985 est tombé à 4,2 % entre 1985 et 1988. Dans l'enseignement
supérieur, le taux d'encadrement global des étudiants (dont les
effectifs sont en croissance très rapide) diminue et passe par
exemple de 6,9 % en 1986-1987 à 4,9 % en 1978-1988 (27). La
solution des problèmes de l'Ecole réside désormais dans la mise
en place de formules souples de liaison entre les structures éducatives et les structures productives. Cela appelle des transformations radicales de toute la matrice éducationnelle et de formation de sorte que l'enseignement permette l'acquisition d'une
certaine connaissance correspondant au développement actuel
de la science et de la technique avec un caractère polyvalent
pour préparer les impératives et incessantes reconversions.
Pour le sous-secteur de la santé, la part du budget national
qui lui est consacrée chute progressivement de 9,5 % en 1966-1967
(la norme retenue par l'O.M.S. est de 9 %) pour se fixer à seulement 5,6 % en 1986-1987 (28). Il s'en est évidemment suivi une
dégradation manifeste de la situation sanitaire nationale caractérisée par l'insuffisance du personnel, l'obsolescence des infrastructures et des ruptures chroniques de médicaments.
En conclusion, les résultats d'ensemble de la politique d'ajustement doivent inciter à la réflexion sur les acquis, mais surtout
sur les limites d'une austérité dont on ne voit pas de suite le
terme. Il y a de toute évidence une contradiction marquée entre
les effets sociaux négatifs directs perceptibles à court terme et
les performances attendues du programme d'ajustement à long
terme. Des esprits bien pensants ne seraient certainement pas
satisfaits de la réponse qu'apportent souvent les « techniciens »
et selon laquelle la situation économique, financière et sociale
aurait été pire en l'absence de politique d'ajustement.
Cette objection est un aveu d'impuissance. Elle pose conséquemment la nécessité de rechercher des stratégies qui améliorent
le modèle de développement exclusivement soucieux d'équilibre
financier, de solvabilité et d'insertion dans le système de la division internationale du travail.
D'ailleurs, la problématique du développement telle que dramatiquement posée aujourd'hui au Sénégal ne réside plus dans le
caractère nécessaire ou non de l'ajustement, mais fondamentalement dans la manière d'ajuster. Autrement formulé, il s'agit de
161
savoir de quel ajustement avons-nous besoin pour quel développement au Sénégal, étant entendu qu'aucun pays au monde,
quel qu'il soit, ne saurait vivre éternellement en situation de déséquilibre prononcé sans remettre fondamentalement et durablement
en cause sa situation économique d'ensemble.
De ce point de vue, Adébayo Adedeji (29) note que le problème
aujourd'hui n'est plus de se demander s'il faut ou non des
politiques d'ajustement, mais de déterminer précisément les
politiques d'ajustement souhaitables qui favorisent l'utilisation
efficace des ressources et l'augmentation de la productivité,
améliorent et renforcent le potentiel de ressources humaines
et technologiques, assurent la diversification de la production, un
équilibre pragmatique entre les secteurs public et privé et une
mei lieu re répartition des revenus, contribuent à la réalisation de
"autosuffisance alimentaire, diminuent à terme la dépendance
vis-à-vis des importations et harmonisent les modèles de consommation avec les modèles de production. En un mot, il s'agit de
politiques d'ajustement qui créent un environnement intérieur
favorable ainsi que les conditions d'un développement rée!.
Face à cette remise en cause généralisée de l'ajustement de
type traditionnel, le F.M.!. s'est doté depuis le 23 août 1988 de
deux nouveaux instruments exclusivement destinés aux soixante
pays les plus pauvres (dont trente et un en Afrique) avec des
financement adaptés à leur cas: il s'agit de la facilité d'ajustement structurel renforcé (F.A.S.R.) et du financement pour imprévus (F.F.C.F.!.). Laissons le Directeur général définir lui-même
ces nouveaux instruments d'intervention de la panoplie du F.M.!.
« Quand un pays a déjà une dette très élevée et des taux de productivité faibles avec des structures productives fragiles, si vous
lui prêtez aux conditions du marché, vous ajoutez à son problème
au lieu de le réduire. Nous avions donc besoin d'un instrument
aussi concessionnel que possible, qui soit important dans son
financement, dans sa dimension, mais qui soit au service de politiques fortes d'ajustement structurel pour la croissance. C'est
cela la stratégie de la facilité d'ajustement structurel renforcé ...
Lorsque votre programme s'échelonne sur une longue période,
et pas seulement sur douze ou dix-huit mois, vous risquez à tout
moment de constater que vos hypothèses de politiques économique les plus savamment calculés sont complètement dépassées,
soit que les taux d'intérêt sont partis à la hausse, soit que les
prix de vos matières premières subissent une chute inattendue,
soit que les recettes du tourisme sont inférieures au montant
légitimement escompté. Il faut assurer les programmes contre
ces aléas. Si des chocs extérieurs viennent à se réaliser, bien
sûr le pays devra s'ajuster, resserrer encore les écrous pour
s'adapter au nouveau contexte, mais il pourra compter sur des
162
financements complémentaires de la part du F.M.I. pour l'aider
à passer cette phase difficile à l'intérieur
"intérieur d'un programme précis.
C'est cet instrument que nous appelons la F.F.C.F.I., une assurance contre les imprévus. Le pays sait que si sa balance des
paiements subit des chocs extérieurs inattendus, il y aura certes
des efforts complémentaires, mais aussi des financements complémentaires. Cette assurance permet au pays de se jeter à l'eau,
en sachant qu'il sera soutenu (30). »
Cette attitude nouvelle constitue assurément un premier pas
qualitatif effectué par le F.M.!. qui commence à comprendre la
nécessité d'adapter ses financements au cas spécifique des pays
sous ajustement. Cependant, ceci laisse toujours intact le problème central de la restauration d'un équilibre durable et qui ne
peut être réalisée que dans le cadre d'un réel processus de développement.
En effet, une simple politique de gestion de la demande qui
sacrifie la production au nom du respect des grands équilibres
financiers ne saurait trop longtemps tenir lieu de politique économique de sortie de crise sans enfoncer durablement l'économie
nationale dans une dangereuse spirale déflationniste où la production est en permanence auto-réprimée. Pour ce faire, il importe
de repréciser les termes de la problématique du développement
au Sénégal à partir de l'essouflement de son modèle d'accumulation fondé sur la rente agricole et minière, d'identifier clairement
les problèmes qui se posent afin d'envisager une nouvelle stratégie
alternative en vue du développement effectif, intégral et autocentré.
(1) H. Ghanem, H. Kharas et R. Myers: • Sénégal: Etude de solvabilité.,
Banque Mondiale; octobre 1984.
(2) • Sénégal: Etude de solvabilité " op. cit.
(3) Banque Mondiale: Sénégal, Mémorandum économique, op. cit.
(4) Voir sur ce point: Moustapha Kassé, • l'Etat et le Secteur public au Sénégal., CREA. 1985.
(5) Sigles utilisés:
- CPSP: Caisse de Péréquation et de Stabilisation des Prix.
- SOTRAC : Société des Transports en Commun du Cap-Vert.
- RCFS: Régie des Chemins du Fer du Sénégal.
- BHS : Banque de l'Habitat du Sénégal.
- SICAP: Société Immobilière du Cap-Vert.
- OHLM : Office des Habitations à Loyer Modéré.
- SONEES : Société Nationale d'Exploitation des Eaux du Sénégal.
- SENELEC : Société Nationale d'Energie Electrique,
163
(6) Chibber et Ghanem: »Impact of foreign borrowing on cOllsumpllon. an
econometric analysis of six developing countries·, C.PD., DiscusSion papers,
nO 1984-25, World Bank.
(7) Ousmane Seck: Evaluation du Plan senegalais de Redressement economique et financier. C.ND, Dakar, 15 fevrier 1980, 29 pages roneotypees.
(8) Moustapha Kasse: Socialisme démocratique et désengagement de l'Etat.
Seminaire du Groupe de Recherches du P.S., Saly le 11 juillet 1987, 14 p.
(9) Ministère des Finances: Note sur le desengagement de l'Etat D.GT./DA.G.,
Dakar, 10 juin 1986, 29 p.
(10) M. Witteveen: discours prononce à Londres, cf. Bulletin du F.M.I., 29 mai
1978.
(11) Voir à ce sujet: The monetary approach to the Balance of payments,
F.M.I., 1977.
(12) H. Bourguinat: L'economie mondiale à découvert. Ed. Calmann-Levis, 1985,
270 pages. Cet auteur parle de pathologies economiques evidentes qui montrent
que >>l'économie mondiale est prise aujourd'hui dans un imbroglio causal dont
le degré d'enchevêtrement est peu banal., p. 14.
(13) Yung Chul Park: • The variability of velocity', I.M.F., Staff Papers,
novembre 1970.
(14) M. Khan et D. Knight: • Fund-supported Ajustement Programs and Economie Growth., F.M.I., Occasion al Paper, nO 41, novembre 1985.
(15) Lors de l'ouverture de la Session du Conseil Economique et Social le
Président A. Diouf observait dans cette direction que »si l'ajustement de notre
economie consistait à prendre des mesures de rigueur à courte vue de nature
déflationniste, le remède pourrait s'avérer pire que le mal., CES, 28 mars 1985.
(16) F.M.I. : Rapport Annuel, 1981, page 183.
(17) Moustapha Kassé: Marchés et politiques de prix agricoles au Sénégal
1987, 47 pages. Seminaire APDAAIFAO/USAID, Dakar, mars-avril 1987.
(18) Voir sur ce point: Moustapha Kasse: »L'Etat et le secteur public au
Senégal " CREA, 1984, 307 p.• Les contraintes à l'initiative privée en Afrique de
l'Ouest., communication au Colloque du Club d'Afrique: Lomé, 5-8 novembre 1984
sur: L'initiative privée en Afrique: le défi des années ao
(19) Abdou Diouf: Discours à l'ENAM, promotion Isaac Foster, 7 mai 1985.
(20) Il faut bien se convaincre que privatiser n'est plus de l'aveu même de
la Banque Mondiale, la panacée pour réduire la pauvreté. L'initiative privée ne
doit être choisie que s'il est prouvé qu'aucune autre solution ne lui est supérieure.
(21) Moustapha Kasse: Planification dans les pays du Sahel, Institut du Sahel
Bamako, Unesco, 1986, 203 p.
(22) Ch. Hamldou Kane: La nouvel/e planification, Conseil National du Parti
Socialiste, 1986, 102 p.
(23) A. Lebaube: L'ambulance sociale doit accompagner la chirurgie du F.MI.
Le Monde des 29, 30 novembre 1987.
(24) Les experts du F.M.!. se rendent bien compte de l'importance de ces
coûts sociaux. Dans ce sens, Wanda Tseng affirme que »Ces politiques dont
l'objectif est d'ajuster l'économie aux réalités d'un déséquilibre, entrainent inévitablement des coûts· in Wanda Tseng: les effets de rajustement, Revue Finances
et Développement, décembre 1984, volume 21, nO 4.
(25) UNICEF: Ouvrage collectif: • l'Ajustement â visage humain: Protéger
les groupes vulnérables et favoriser la croissance·, éd. Economica, Paris 1987,
372 p. Kasse, Kah S.: • Ajustement et groupes vulnérables·, Organisation des
droits de l'homme, 17 pages, Dakar 1988.
(26) J. Lal/ement: Rapport sur les effets sociaux du programme d'ajustement
économique et financier à moyen et long termes de la République du Sénégal,
Projet SEN 82/023, Dakar, X. Greffe: Rapport sur la mise en œuvre du suivi des
aspects sociaux du programme d'action structurel à moyen et long termes, Projet
SEN 82/023, Dakar.
164
(27) Projet de VII'" Plan d'orientation pour le développement économique et
social: 1989-1995, MPC, août 1989.
(28) Sarr Marie: Politique Nationale de la santé dans l'objectif de la santé
pour tous, Conseil National du Parti Socialiste du Sénégal, 27 juin 1987, p. 21.
(29) Adébayo Adedej;:
Adedeji: • Oui à l'ajustement
"ajustement structurel, s'il sert l'Afrique",
Monde Diplomatique, septembre 1989, p. 21. M. A. Adedeji est le Secrétaire Exécutif (en exercice) de la Commission Economique des Nations Unies pour l'Afrique
(C.E.. A).
(30) Michel Camdessus: • Les Nouveaux outils du F.M.!.", Jeune Afrique
Economie, nO 115- 116, janvier-février 1989, p. 73.
165
Chapitre
V
AU-DELA DE L'AJUSTEMENT: UNE AUTRE STRATEGIE
DE SORTIE DE CRISE ET DE RELANCE
DU DEVELOPPEMENT
Esquisser les principaux axes d'une autre stratégie exige au
préalable que soient reformulés et resitués les éléments constitutifs de la problématique du développement au Sénégal. Pour
résorber des déséquilibres aussi profonds, il importe de ne pas
se tromper de cible et de s'attaquer à leurs causes réelles.
Pour ce faire, il s'avère nécessaire de repréciser la nature et
les mécanismes spécifiques du processus particulier qui a conduit
au développement déséquilibré.
En effet, il semble que la techno-structure administrative et
bureaucratique ait exploité les imprécisions caractéristiques de
l'option économique de base sous~tendant le processus du développement au Sénégal pour imposer à son profit un modèle
d'accumulation inefficace et improductif. De même, la forte
connexion du tissu économique national au marché international
ainsi que le poids de l'héritage colonial se sont combinés pour
renforcer "extraversion des structures à la fois de production et
de consommation, facilitée respectivement par la reconduction de
l'ancienne économie de traite et par le mimétisme administratif,
culturel et social issu du contact avec l'ancienne métropole.
Section 1 : LA REALITE ET LES FONDEMENTS DU DEVELOPPEMENT DESEQUILIBRE AU SENEGAL
Le problème du développement au Sénégal se résume à celui
de la crise d'un modèle d'accumulation fondé principalement sur
la rente agricole et accessoirement minière.
167
Cette crise se traduit notamment par:
-
-
l'impossibilité évidente pour la monoculture arachidière dominant dans l'agriculture et pour l'économie phosphatière à générer des surplus suffisants en vue du financement des investissements de base. Ce qui paradoxalement n'empêche pas
qu'une part importante des surplus dégagés soit détournée
par les transferts à l'extérieur (1) ou utilisée à des fins de
spéculation immobilière et de consommation improductive.
Le système inégalitaire de répartition des revenus favorise les
couches dont la propension à consommer des biens importés
est élevée. Ce sont ces divers rentiers, usuriers et autres qui
accroissent, par leurs consommations somptuaires de biens
importés, la demande privée contribuant ainsi à accentuer le
déséquilibre de la balance commerciale;
un important déséquilibre alimentaire résultant: d'une part
de la privilégiation des cultures de rente au détriment des
cultures vivrières rendue possible par un système inadéquat
des prix relatifs ainsi qu'un ensemble de facteurs favorisants
(commercialisation, intrants, crédit agricole...) ; et d'autre part
de l'explosion démographique et de l'accélération de l'urbanisation qui vide les campagnes de leurs forces vives dramatiquement paupérisées par l'échec généralisé de l'économie
rurale et la précarisation des conditions climato-écologiques ;
une stagnation de l'activité industrielle essentiellement fondée
sur l'import-substitution et dont les possibilités de croissance
sont totalement épuisées. De plus, l'outil de production, très
obsolescent, est structurellement inadapté à la demande internationale et aux conditions de concurrence extérieure;
enfin un secteur tertiaire hypertrophié, fortement improductif
et extraverti. Le secteur bancaire, longtemps accoutumé à
financer l'ancienne économie de traite de nature usuraire et
spéculative, semble mal adapté à son nouvel objectif: le financement d'un développement économique véritable et diversifié.
En définitive, malgré l'application de mesures rigoureuses de
redressement depuis 1979, la situation économique d'ensemble est
loin de s'améliorer comme souhaité: sur certains aspects, on
a même observé une certaine détérioration. Dès lors, on peut
avancer que la solution à la crise au Sénégal se situe manifestement ailleurs que dans une simple tentative de rééquilibrage
financier. Il apparaît clairement aujourd'hui qu'il y a lieu de procéder à des transformations décisives de structures. Or, seule une
toute autre approche du développement peut rendre cela possible.
Par conséquent, c'est toute l'organisation sociale, administrative
et économique qu'il faut modifier dans le sens de l'instauration
168
d'un autre modèle de développement et d'accumulation capable
d'opérer une mobilisation effective et efficiente des surplus et
des apports extérieurs à des fins de relance du potentiel de production.
Section 2: LES ELEMENTS D'UNE NOUVELLE STRATEGIE DE
DEVELOPPEMENT AU SENEGAL
La réalité socio-économique du Sénégal est celle d'un blocage
historique de développement, lié aux effets déstructurants de
l'économie de traite, à la dépendance extérieure, à la désarticulation des processus internes de production, à l'extraversion
des structures productives et de consommation ainsi qu'au mode
particulier d'intervention de l'Etat Qui a inefficacement alloué
la partie de la rente agricole et minière qu'il a prélevée et qui
demeure importante.
Cette tendance ne peut se poursuivre sans conduire à moyen
terme à une impasse économique et socio-politique dangereuse.
Par conséquent, il faut changer d'optique et adopter une nouvelle
approche dans la définition de la stratégie globale de développement.
Aussi, les principaux axes de cette nouvelle stratégie de développement doivent impérativement articuler les deux niveaux
complémentaires suivants: l'intérieur et l'extérieur.
A)
LES ACTIONS AU NIVEAU INTERNE
A ce niveau, il convient de changer complètement de terrain
et de réorienter le modèle d'accumulation et de développement
dans un sens qui rompt définitivement avec l'urbanisation anarchique, limite la dépendance extérieure, intègre et rend davantage
complémentaires les différents secteurs de production en vue de
créer les conditions permissives d'un développement économique
réel et intégral.
Pour ce faire, la réorganisation des politiques sectorielles doit
se traduire par la conception et la mise en œuvre d'une autre
politique agraire, industrielle et tertiaire.
a)
L'élaboration d'une autre politique agraire
Comme l'observe avec pertinence Samir Amin, si l'Afrique est
un maillon faible et vulnérable, le ventre mou du système mondial,
169
cela tient principalement à l'absence d'une révolution agricole
entendue comme une série de transformations techniques, économiques et sociales permettant une croissance régulière et stable
de la productivité par actif rural et par hectare cultivé.
La révolution agricole est incontournable pour toute économie
qui amorce son développement. D'ailleurs, les perspectives d'une
croissance moyenne du P.I.B. par le P.A.M.L.T. pour la période
1985-1992 restent essentiellement basées sur une croissance régulière et soutenue du secteur agricole de 3,3 %. Ce qui représente
un taux deux fois plus élevé que celui observé dans les périodes
antérieures. Pour atteindre cet objectif, il apparaît indispensable
de définir une stratégie cohérente du développement agricole qui
implique des transformations structurelles et institutionnelles très
importantes.
Dans cette optique, "agriculture devrait viser la couverture
complète des besoins vivriers en augmentation rapide, l'accroissement du potentiel de production rurale et des surplus, l'augmentation de la productivité du travail et le réaménagement fonctionnel de l'espace rural. Parallèlement, elle devrait favoriser
l'amélioration des conditions matérielles d'existence et de travail
des ruraux. Ce dernier point est décisif pour le freinage de l'exode
rural et du processus d'urbanisation accélérée, l'arrêt du vieillissement rural, l'élargissement des bases du marché national ainsi
que son approfondissement concomittant.
Cette politique agraire nouvelle devra s'appuyer sur un système
coopératif réorganisé et redynamisé, un crédit agricole rénové
et efficace, la recherche d'une technologie adaptée à la fois au
producteur et au milieu, une structure de prix incitatifs et rémunérateurs ainsi qu'une politique adéquate de commercialisation
de l'ensemble des produits. Ces mutations vont bien au-delà de
la simple instauration d'une économie de marché dans laquelle
d'ailleurs les paysans occupent une position de faiblesse, car
n'ayant aucune prise sur les processus de formation des prix
agricoles, ni sur les circuits de distribution des intrants et ne
pouvant échapper aux mailles des prêts à taux usuraires.
Dans la perspective de cette nénovation, les Pouvoirs publics
ont mis en place une Nouvelle Politique Agricole (N.P.A.) en
1984 (1).
La justification de l'élaboration de la N.P.A. se résume en
fait à un constat: l'échec de l'économie rurale au Sénégal dont
les manifestations les plus importantes se traduisent par:
l'incapacité du secteur rural à couvrir l'intégralité des besoins
alimentaires de base du pays:
l'échec du système d'intervention mis en place par l'Etat;
170
l'endettement massif des paysans et leur progressive insolvabilité;
la profonde désarticulation économique et sociale dans les
campagnes qui accentue l'exode rural, vidant ainsi les campagnes de leurs bras valides et contribuant au vieillissement
rural (3).
Ces tendances d'une agriculture économiquement inefficiente
et prédatoire ont fini par introduire une différenciation sociale
poussée entre une élite paysanne et une majorité marginalisée.
Elles ne pouvaient se maintenir durablement sans créer des tensions et malaises dans le monde rural.
La N.P.A. s'est proposée alors de mettre en place une politique
globale qui vise fondamentalement une réforme complète des
structures et installe une nouvelle organisation. Elle s'articule
en fait autour de quatre éléments:
D'abord un programme de redynamisation de l'action coopérative
pour la rendre plus efficiente
La N.P.A. vise fondamentalement la responsabilisation des
producteurs ruraux et l'établissement d'un nouveau cadre de
coopération rurale. Il s'agit ainsi de rendre les producteurs ruraux
maîtres de leur destin en leur conférant une plus grande marge
de manœuvre dans leurs initiatives, leurs choix et décisions économiques. Voilà en effet une évidence qui, malheureusement, n'a
pourtant jamais été perçue et admise.
La nouvelle restructuration s'achève par la création de 337
coopératives rurales multifonctionnelles et multisectorielles servant
de support économique aux communautés rurales. Les coopératives se subdivisent en sections villageoises - au nombre de
4403 et qui sont à leur tour l'émanation de groupements monosectoriels initiés par la population rurale autour d'un projet dominant.
Ensuite une option d'adaptation
Il s'agit de l'adaptation des techniques de production et des
variétés culturales nouvelles aux conditions et objectifs nouveaux
ceci en vue de favoriser une utilisation plus efficace du paquet
technologique fourni grâce à un nouveau système de crédit rural
plus adapté et beaucoup plus personnalisé.
En outre, une résolution de réorganiser le système de crédit
Il s'agit à terme, d'un redéploiement spatial de la C.N.C.A.S.
(Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal) en vue de rap171
procher le plus possible le crédit des utilisateurs. Le crédit agricole doit être organisé et structuré de manière à permettre aux
agriculteurs d'échapper à l'usure et à la dépendance vis-à-vis de
leurs fournisseurs en denrées et en facteurs de production. Par
ailleurs, la C.N.C.A.S. ne doit pas seulement se contenter de
gérer des ressources budgétaires mises à la disposition de l'agriculture. Elle doit fonctionner comme une banque capable de
financer l'agriculture.
Enfin un objectif de réaménagement des sociétés d'encadrement
du monde rural (S.D.R.)
La plupart d'entre elles sont en cours de dépérissement et dans
une période transitoire, leurs missions seront limitées à la fourniture de services aux collectivités locales, aux actions de conseil,
d'animation et d'alphabétisation fonctionnelle.
Toute cette restructuration vise, en dernière analyse, à:
la réalisation de l'autosuffisance alimentaire en rapport avec
l'augmentation rapide de la demande vivrière issue d'une
démographie galopante;
l'augmentation de l'emploi rural en attendant la relève du
secteur industriel et tertiaire;
l'amélioration de l'équilibre de la balance des paiements par
le développement des exportations.
Au regard de ce qui précède, la Nouvelle Politique de restructuration de l'activité productive rurale peut-elle être considérée
comme une amélioration de l'ancien système agricole? Quelles
en sont les principales limites et par conséquent, comment permettre au secteur agricole de jouer pleinement son rôle de locomotive du développement économique et social global?
Il convient tout d'abord de remarquer que les objectifs de
la N.P.A. souffriront sans aucun doute des effets actuels de la
conjoncture économique, politique et administrative nationale,
caractérisée par une volonté déclarée de désengagement de l'Etat
d'un certain nombre d'activités productives, en particulier l'agriculture. Il est vrai que l'engagement prononcé de l'Etat dans le
secteur rural a antérieurement eu des incidences néfastes surtout
au plan des déséquilibres macroéconomiques, telle par exemple
la faillite d'anciens organismes d'intervention comme l'O.N.C.A.D.
l'O.N.C.A.O.
Cet organisme d'intervention a laissé un passif d'une centaine
de milliards F C.F.A. dont l'épongement d'une vingtaine de milliards
au titre des dettes paysannes. Cependant, le désengagement
envisagé par la N.P.A. risquerait, de par son caractère sur certains
points brutal, de déboucher sur l'excès contraire, consistant à
172
abandonner à leur sort des producteurs ruraux appauvris, mal
préparés et donc incapables d'utiliser à leur profit les possibilités
qu'offre le libéralisme agricole prôné.
Dans le même ordre d'idées, la N.P.A. demeure silencieuse
sur la place de l'agro-business dans le nouveau paysage agricole
national et insiste essentiellement sur l'augmentation de la production. Or, ce sont les conditions dans lesquelles se fera cette
production qui importent, car elles détermineront la répartition des
richesses produites. Le risque est grand, dans le cadre d'un trop
grand libre fonctionnement du marché, de réaliser des productions excédentaires sans possibilités d'élargissement du marché
intérieur, les couches laborieuses ayant été démunies et fortement
prolétarisées.
Enfin, on pourrait s'interroger sur les possibilités réelles de
mise en pratique de la N.P.A. compte tenu de l'ampleur des moyens
nouveaux à mobiliser, financiers notamment. L'environnement
économique interne est caractérisé par une cure d'austérité
qu'impose la politique globale de redressement et la récession
internationale ne milite pas en faveur d'un accroissement substantiel des ressources consacrées au développement des pays du
sud. Concernant d'ailleurs ce dernier point, on notera avec intérêt
le relatif échec de la dernière session spéciale de l'O.N.U. (1986)
sur la situation économique critique de l'Afrique au cours de
laquelle en dehors des Pays Bas, du Canada et du Danemark,
la plupart des pays riches ont nettement refusé de souscrire au
moindre engagement chiffré.
Dans ces conditions, quelles peuvent être les principales directions de recherche dans le cadre d'une amélioration du nouveau
programme agricole pour qu'il puisse être véritablement une politique de sortie de la crise agraire?
Pour répondre à cette importante question, il nous faut d'abord
reconnaître qu'à l'analyse, la N.P.A. telle qu'actuellement conçue
et mise en œuvre, ne permet assurément pas de réunir toutes les
conditions optimales d'une pleine génération de surplus agricoles,
encore moins d'un réinvestissement interne des ressources éventuellement dégagées. Pour cela, les quelques axes de réflexion
qui suivent comportent un ensemble de points qui, de par leur
caractère multidimensionnel et interac:tif, intègrent ressentiel des
paramètres en jeu, qu'ils soient apparents ou diffus et qu'il conviendra nécessairement de résoudre pour atteindre plus facilement
et plus rapidement l'objectif recherché.
Ces éléments concernent successivement:
l'autosuffisance alimentaire et les problèmes des structures:
l'organisation de la coopération agricole:
les infrastructures de base:
173
-
la planification et l'utilisation généralisée des facteurs modernes
de production agricole;
l'exploitation judicieuse des cultures irriguées.
1
L'autosuffisance alimentaire et le problème des structures
Concernant l'objectif d'autosuffisance alimentaire en tant qu'un
des maillons essentiels de la stratégie de développement, il
convient d'en préciser nettement l'importance relative dans les
activités rurales. Cela devrait se traduire par la détermination
d'un jeu de prix relatifs appropriés, étant entendu que l'Etat
conserve théoriquement jusqu'à nouvel ordre la maîtrise des prix
agricoles.
Une manipulation prudente de la structure des prix relatifs
s'avère nécessaire dans le cadre de l'incitation à la production
vivrière, notamment par l'augmentation des prix au producteur.
Cette observation est importante et décisive car elle permet, dans
le cadre de la stratégie globale de développement, d'assurer le
nécessaire équilibre entre les cultures vivrières et les cultures
de rente. De même, elle évite de développèr certains effets pervers
comme par exemple le détournement de la demande des produits
faisant l'objet de promotion du fait de leur renchérissement.
Dans le prolongement de cette démarche, le Commissariat à
la Sécurité Alimentaire (C.S.A.) doit dégager les moyens d'une
véritable politique de soutien des prix des produits vivriers afin
de stabiliser les revenus des producteurs ruraux et assurer ainsi
la pérennité de la production.
Quant aux structures nouvelles en voie de mise en place
en vue de cet objectif, elles gagneraient à être clarifiées notamment du point de vue du rôle nouveau dévolu aux forces du marché
et conséquemment, la part de terrain où devrait désormais s'exercer l'action parapublique ou étatique. Il serait en effet utile de
spécifier et de répartir entre les intervenants privés et l'Etat, les
niveaux d'intervention en matière de financement et de développement des activités rurales. Dans ce cadre, il deviendra nécessaire de maintenir pendant encore une certaine période, et cela
malgré les difficultés financières actuelles de l'Etat, un certain
nombre d'organismes d'encadrement, de vulgarisation et d'alphabétisation dont les objectifs devront être redéfinis dans le sens
d'une plus grande souplesse en vue de favoriser une utilisation
efficiente du crédit rural ainsi qu'une introduction plus rapide
et adaptée du paquet technologique dans le procès de production.
Parallèlement, il faudra envisager la création de structures
souples de formation professionnelle et technique en vue du
recyclage permanent des paysans. Cet aspect est essentiel au
174
progrès agricole et devrait aider à J'amélioration de l'efficacité
et de la productivité du travail agricole.
Il importe alors de veiller à assurer une certaine continuité
dans la mise en œuvre des différents aspects du nouveau programme agricole et s'employer, dans le cadre de la redéfinition
en cours des fonctions de l'Etat, à traduire dans les actes l'esprit
du « moins d'Etat pour mieux d'Etat » dans le secteur rural.
La mise en place d'un tel dispositif devrait conduire à l'instauration de nouvelles règles du jeu rural favorables à l'autosuffisance alimentaire, à la diversification des cultures et à l'amélioration des revenus des producteurs. Car en définitive, une paysannerie pauvre serait incapable de se prendre en charge et d'introduire toutes les mutations indispensables au développement agricole à la promotion économique et sociale du monde rural.
2
L'organisation de la coopération agricole
Le nouveau modèle de la coopération agricole, fondé essentiellement sur la coopération-entreprise, doit résoudre deux préalables pour gagner en efficacité: la transformation des rapports
de production d'une part, l'éducation et la mobilisation en vue
du développement d'autre part.
La trop grande hétérogénéité des structures foncières en
milieu rural n'autorise, dans les conditions actuelles, aucune
amélioration notable des formes de production généralisée à
grande échelle. Ainsi, la petite et la moyenne exploitations qu'engendre l'extrême morcellement des terres, bien que présentant
certains autres avantages, ne sont pas adéquates aux grandes
améliorations techniques.
Par ailleurs, l'éducation, la mobilisation et la formation vont
s'avérer, comme souligné plus haut, déterminantes dans les performances de la nouvelle politique. L'Etat devra mettre en place
pour cela des structures appropriées pour améliorer la maîtrise
techniqu9 des agriculteurs et pour la regénération et la fertilisation des sols. De ce point de vue, le cas des associations villageoises de développement (A.V.D.) pourrait utilement inspirer la
conception de la nouvelle coopérative-entreprise. Ces AD.V.
curieusement ignorées par la N.P.A. malgré une importante présence dans les zones rurales, fonctionnent sur la base d'un autoencadrement et d'une auto-organisation susceptible de promouvoir le développement à la base dans l'esprit du « self-reliance ",
principe consistant à compter essentiellement sur ses propres
forces. Elles sont ainsi dotées d'un comité de gestion, de commissions techniques de travail et d'équipes de travail collectif. Cependant, les difficultés qu'elles connaissent actuellement, et que les
structures nouvelles devront nécessairement prendre en consi175
dération pour gagner en efficacité, sont liées d'une part au taux
élevé d'analphabétisme des populations rurales rendant difficiles
la maîtrise des technologies avancées et la gestion moderne des
exploitations et entreprises rurales, et d'autre part aux rigidités
structurelles de la tradition dans le domaine de la conception et
de la gestion de structures associatives. Les campagnes d'éducation et de sensibilisation doivent enfin s'employer à vanter les
avantages et la nécessité du réinvestissement d'une partie du
surplus agricole éventuellement dégagé.
3
Les infrastructures de base
Dans ce domaine, de substantiels efforts ont été consentis.
C'est le cas en effet des infrastructures routières même s'il se
pose actuellement quelques problèmes d'entretien. Mais l'accent
dans ce secteur, comme le gouvernement semble d'ailleurs l'indiquer, devrait porter sur la construction d'un plus grand nombre
de pistes de production, nécessaire complément du réseau routier dans le cadre de l'acheminement correct des facteurs de
production et de l'évacuation convenable des récoltes.
Avec les barrages déjà construits sur le fleuve Sénégal (Diama)
dans le cadre de l'O.M.V.S. et en Casamance (Anambé, Afinian et
Guidel), le Sénégal dispose déjà d'environ 300 000 ha irrigués dont
la mise en valeur nécessitera des investissements d'au moins
200 milliards de francs C.F.A. A cela viendront s'ajouter 100 000 ha
irriguables provenant du projet O.MV.G. avec les barrages de
Balinghor, Kékréti et Kouya. Les enjeux véritables de l'agriculture
sénégalaise se joueront dans l'après barrage.
Il en est de même de l'important programme hydraulique en
cours d'exécution en vue de la maîtrise quasi totale de l'eau dans
le cadre de la mise en valeur rurale. Cependant, si des évaluations
fiables ne peuvent être faites pour l'instant concernant "utilisation
optimale des eaux fluviales à partir des barrages érigés sur les
fleuves Casamance et Sénégal. il importe déjà d'accompagner le
début de la N.P.A. d'un plan de rénovation systématique des infrastructures hydrauliques existantes (hydraulique rurale notamment)
De plus, il faudra améliorer la planification en la matière afin
d'éviter les double-emplois que l'on a pu constater dans certaines
zones et surtout le choix inapproprié de sites d'implantation qui
représentent un double gâchis: d'abord pour les populations
destinataires du fait de l'impossibilité d'utiliser l'infrastructure à
cause des caractéristiques défavorables de la nappe et ensuite
pour les bailleurs de fonds (gouvernement ou source extérieure)
du fait de l'immobilisation et de l'inutilisation du matériel.
A ce niveau, une plus grande rationalité dans les choix doublée d'une cohérence parfaite dans la démarche constitueront
176
de précieux atouts dans la réalisation des objectifs visés par la
politique nouvelle.
4 La planification et l'utilisation
modernes de production agricole
généralisée
des
facteurs
L'amélioration des techniques de production et l'introduction
à grande échelle des facteurs modernes de production agricole
impliquent la recherche d'une technologie agraire plus adaptée
au producteur et au milieu et articulent de ce fait deux niveaux
complémentaires: la recherche technico-agronomique et le processus de modernisation.
En effet, l'utilisation intensive jusqu'à présent d'intrants industriels chimiques (engrais) s'est, dans la plupart des cas, faite
au détriment de la reproduction naturelle des grands équilibres
pédologiques. C'est ainsi que certains sols sont devenus anormaI€ment pauvres, contribuant ainsi à faire chuter les rendements.
Dans d'autres cas, c'est plutôt le caractère inadapté au sol du
matériel agricole qui a engendré les perturbations périodiques,
la baisse des rendements et la faillite financière du paysan par
un gonflement non compensé de ses coûts de production du fait
de la mise au rebut prématurée de machines agricoles non encore
amorties.
Dans ces conditions, la N.P.A. se doit nécessairement d'orienter
la recherche agronomique dans le sens d'une meilleure prise en
compte des spécificités locales (nature des sols, possibilïté de
modification des rythmes de jachère ou d'adaptation de l'assolement). Elle doit également procéder à une étude plus systématique et affinée des conditions d'appropriation de l'innovation
technologique par les producteurs. La mise en œuvre de ces
divers éléments constitutifs de la stratégie globale de redressement du secteur rural devrait favoriser le déclenchement d'une
véritable révolution agricole qui sortirait le secteur d'une trop
longue crise en rendant possible un ensemble de transformations
techniques, économiques et sociales, à même d'assurer un accroissement soutenu et permanent de la productivité par actif rural
ainsi que de la production. Cette politique est alors alternative
à l'orthodoxie libérale qui postule qu'en supprimant l'intervention
de l'Etat dans le milieu rural, en abandonnant le système de
soutien des prix et en laissant jouer les mécanismes du marché,
on crée automatiquement une nouvelle donne qui relance comme
par magie la production agricole dans les meilleures conditions
de rentabilité.
La question agraire est plus complexe et les problèmes qu'elle
soulève ne se règlent point par le simple recours aux mécanismes
de marché. En fixant à l'agriculture l'objectif de réaliser environ
177
6 % de la croissance globale, il faut impérativement modifier profondément les structures dans le sens indiqué plus haut. Le Sénégal est condamné à résoudre la crise de son agriculture pour
trouver une réponse satisfaisante à l'explosion de la demande
alimentaire provenant d'une très forte croissance démographique
et d'une urbanisation accélérée. La politique agricole passera,
entre autres, par la dynamisation de la production vivrière au
moyen d'une augmentation judicieuse des prix aux producteurs,
l'intégration de la paysannerie dans de nouveaux modèles performants d'exploitations agricoles, la protection des récoltes et
l'institution d'un modèle de consommation fondé sur les aliments
locaux.
Corrélativement à ces mesures, il faut être très attentif au
processus de formation et de répartition des revenus car, comme
nous l'avons déjà souligné, une paysannerie pauvre sera toujours
incapable de se prendre en charge et d'introduire toutes les mutations indispensables pour une promotion économique et sociale
du monde rural.
b) L'élaboration et le fonctionnement d'une autre politique industrielle
Le secteur industriel est considéré par le P.A.M.L.T. comme
le second foyer actif de la croissance. 1\ devrait connaître une
expansion accélérée avec un taux annuel de 6 %, ce qui représenterait une véritable rupture de tendance pour un secteur qui
particulièrement manque de dynamisme par suite d'une surprotection qui a finalement débouché sur une gestion inefficiente et
peu compétitive.
La réalisation de cet objectif passe par:
une évolution favorable de la demande de consommation intérieure et donc une modification en hausse de la consommation
publique et privée;
un développement des capacités exportatrices pour un secteur
qu'une longue période de protection a rendu peu compétitif
sur les marchés extérieures;
un accroissement du volume des investissements et la pleine
utilisation de toutes les capacités productives.
A Y regarder de près, on s'aperçoit que toutes ces mesures
sont en contradiction avec les objectifs assignés à l'ajustement
déflationniste. Par ailleurs, les auteurs d'une étude du Ministère
de la Coopération observent qu'en « baissant substantiellement
le niveau des protections (à un moment où le marché est déprimé
et où les entreprises sont en mauvaise situation financière et à
la tête d'un outil de production peu performant), le risque est
178
grand de provoquer un véritable démantèlement des secteurs
d'import-substitution. Ce ne serait pas le premier exemple où le
passage brutal d'une situation d'hyperprotection à un ajustement
aux prix mondiaux se traduit par un phénomène de désindustrialisation» (4). Ces résultats sont apparus dans la période 19371989 avec une baisse de l'activité industrielle, du chiffre d'affaires
et de l'emploi avec un désinvestissement estimé à environ 20 %.
L'industrialisation doit alors être complètement repensée avec
de nouvelles orientations. Le schéma devrait s'organiser autour
d'une industrialisation:
-
au service de l'agriculture c'est-à-dire qui permet le développement de trois catégories d'activités industrielles:
aménagement des barrages et autres infrastructures d'irrigations;
développement en amont des intrants et équipements agricoles;
valorisation en aval des produits de l'agriculture;
au service de la valorisation des matières premières locales
par création de filières industrielles. La politique industrielle
devrait profiter de toutes les opportunités offertes par la délocalisation industrielle issue du redéploiement international en
cours et destiné à instituer d'un ordre mondial multipolaire.
Dans le cadre de la restructuration économique, le Sénégal
organise aussi une Nouvelle Politique Industrielle (N.P.!.). Le
document de référence en la matière, retrace le contenu d'un
programme d'actions qui, de concert avec la NP.A., ambitionne
de remettre ou plutôt de placer l'économie nationale sur un sentier de croissance équilibrée et auto-entretenue. Pour en saisir
la portée, nous examinerons successivement les points suivant:
les raisons théoriques et pratiques de l'élaboration de la N.P.!. ;
le contenu de la N.P.!. ;
les politiques économiques d'accompagnement de la NP.!. en
tant que stratégie d'industrialisation;
l'appréciation du nouveau modèle de redéploiement industriel du point de vue des objectifs qui lui sont assignés et des
possibilités de réalisation pratique.
1) Les raisons de la mise en œuvre d'une nouvelle politique
industrielle
Il existe en fait des justifications d'ordre théorique et pratique
à la mise en place d'une nouvelle politique industrielle au Sénégal.
A tout moment, les responsables de la politique économique
se doivent d'avoir une double vision des problèmes auxquels ils
sont constamment confrontés:
179
-
-
l'impossibilité de la poursuite du transfert de ressources de
l'agriculture vers l'industrie. Ce constat découle en effet des
des difficultés auxquelles le secteur rural est présentement
confronté;
"étroitesse structurelle du marché intérieur et son retrécissement actuel non seulement du fait de l'exclusion d'une importante fraction de la population de ce marché (faiblesse, voire
inexistence de pouvoir d'achat), mais aussi à cause de la poursuite du programme d'ajustement structurel à moyen et long
terme qui, dans un premier temps, se traduira par une contraction de la consommation intérieure (principale composante
de la demande globale).
Par ailleurs, du point de vue des performances réalisées, cette
stratégie de substitution aux importations n'a jamais atteint les
objectifs qui lui avaient été préalablement assignés à savoir:
-
une économie en devises par réduction des importations:
une augmentation de la productivité et un transfert de technologie;
une formation de surplus et leur réinvestissement;
la réalisation d'effets d'entraînement sur l'ensemble du tissu
économique.
De surcroît, les profits qu'elle a permis de réaliser ont été,
dans une grande proportion, rapatriés vers l'extérieur et donc
non réinvestis localement en vue d'accroître la base productive
nationale. Dès lors, le modèle de développement industriel appliqué jusqu'ici s'est avéré de plus en plus inapproprié. Ces limites
ont appelé l'instauration d'une nouvelle stratégie d'industrialisation qui valorise véritablement les dotations factorielles naturelles.
2 Le contenu de la N.P.I. : une nouvelle stratégie fondée sur les
industries exportatrices qui améliorent la balance commerciale
La nouvelle stratégie d'industrialisation axée sur l'exoortation
tout comme l'ancienne (celle de substitution aux importations)
ont une et même justification, à savoir la recherche de l'équilibre
de la balance des paiements. Il s'agira alors, dans la nouvelle
option, d'accroître notablement les exportations afin, non seulement d'assurer l'équilibre extérieur, mais éventuellement de dégager des ressources en devises en vue 'd'honorer le service de la
dette extérieure. La démarche consiste alors à valoriser au maximum le facteur local le plus abondant à savoir la main-d'œuvre.
L'avantage comparatif sera ainsi le facteur «travail» du fait de
son coût relativement bas et de l'amélioration envisagée de sa
180
productivité. De la sorte, les nouvelles industries (exportatrices)
disposeront non seulement d'une main-d'œuvre à bon marché,
main de surcroît de plus en plus efficace. Ce qui devrait
largement contribuer à abaisser de façon relative, les coûts de
production et donc à rendre les produits ainsi localement fabriqués
plus compétitifs sur le plan international.
Parallèlement, il est prévu d'entreprendre un certain nombre
d'actions au niveau des autres branches d'activités fortement
liées au secteur secondaire, en vue de les adapter à la nouvelle
restructuration industrielle. C'est ainsi qu'il est notamment envisagé la réhabilitation de la SONEES, de la SENELEC et de la
Régie des Chemins de Fer (qui deviendra bientôt la Société Nationale des Chemins de Fer) afin de les rendre aptes à fournir des
services à prix compétitifs aux entreprises. Elles permettront ainsi
à ces dernières d'atteindre l'objectif ci-dessus indiqué à savoir:
abaissement relatif des coûts de production et compétitivité extérieure plus grande.
Il est également attendu des barrages des effets au plan de
la fourniture d'énergie électrique, des matières premières (agricoles et minières) qu'ils permettront de produire et de l'amélioration des transports.
Quant aux types d'industries à créer ou à renforcer, ils concernent un nombre diversifié de branches que sont:
l'agro-industrie: surtout dans la perspective de l'après barrage
pour la transformation des produits de la pêche et des matières
premières agricoles;
les industries chimiques: matières plastiques et surtout
engrais dans l'optique du développement des cultures irriguées;
les industries textiles, articulées autour de la filière « coton ".
Ce secteur est industrialisant s'il est intégré par valorisation
locale de l'ensemble des chaînes de ladite filière;
la métallurgie: renforcement de la production mécanique
actuellement embryonnaire;
les industries du cuir: recherche d'une volorisation plus complète de la matière première locale (peaux et cuirs).
Ce sont là les principaux créneaux que la N.P.I. se propose de
créer ou de redynamiser (pour ceux qui existent déjà). Il importe
alors d'examiner les politiques économiques à mettre en œuvre
pour appuyer cette stratégie d'industrialisation.
3
Les politiques d'accompagnement de la N.P.I.
Observons tout d'abord que la N.P.I. entre en application en
plein processus de désengagement de l'Etat. De manière plus
181
preCise, elle vise à rendre l'environnement économique national
plus fluide en vue de favoriser une concurrence effective entre
les acteurs du développement. Cependant, l'Etat envisage d'agir'
sur un certain nombre d'éléments stratégiques pour lui permettre
d'atteindre ses objectifs. Ces mesures d'accompagnement concernent :
la suppression de certaines réglementations qui semblent constituer des entraves, tels la procédure relative aux investissements, le régime des prix et de la distribution des produits et
la législation du travail. C'est ainsi que l'autorisation préalable
sera supprimée, les droits de douane seront réduits, les prix
libérés et les salaires rendus flexibles;
le paiement des arriérés étatiques vis-à-vis du système bancaire en vue de restaurer sa liquidité et lui permettre ainsi
de financer plus facilement les nouveaux investissements
requis par la N.P.1. ;
la promotion des investissements par l'aménagement de nouveaux domaines industriels;
le développement de la recherche appliquée en vue d'accélérer l'acquisition de techniques de production plus performantes.
Comme on pourrait s'en douter, cette nouvelle stratégie
d'industrialisation comporte un certain nombre ·de limites qu'il
importe de mettre clairement en exergue afin d'entrevoir obejctivement les meilleurs axes d'amélioration de la N.P.1.
4 L'appréciation du nouveau modèle d'industrialisation
Le jugement ici porté sur la N.P.I. concerne à la fois ses bases
théoriques et son efficacité opérationnelle au regard de la situation économique actuelle et surtout politique au Sénégal.
Pour cela, une série de questions méritent d'être posées:
même s'il est évident et admis que la tendance au déséquilibre extérieur ne saurait être éternellement maintenue, la
recherche systématique de cet équilibre doit-il constituer une
fin en soi ou tout simplement un moyen parmi tant d'autres
de promouvoir le développement?
la poursuite d'un tel objectif ne risque-t-elle pas d'aggraver
momentanément la situation interne du pays?
le Sénégal peut-il à la fois mettre en place des industries compétitives sur le plan extérieur qui soient en même temps
compatibles avec l'objectif d'amélioration du pouvoir d'achat
de sa population (composante essentielle de la demande intérieure) compte tenu de l'environnement économique interna182
tional actuel particulièrement hostile (regain de protectionnisme et montée des égoïsmes nationaux) ?
Certes, de manière empirique, certains pays ont pu, à un
moment donné de leur évolution, mettre en place, développer et
consolider des industries compétitives et porteuses de croissance
soutenue. Ceci s'est cependant passé dans le contexte de régimes
politiques autoritaires et surtout à une période où l'économie
mondiale n'était pas sujette aux perturbations et autres turbulences actuelles. Mais au-delà de toutes ces considérations, il
importe simplement d'observer à propos du nouveau modèle
d'industrialisation que:
Il est peu probable qu'il débouche sur la création d'un secteur
industriel industrialisant. En effet, de par leur nature même,
les unités industrielles envisagées ne sont pas susceptibles
de produire de façon intégrée les biens d'équipement qui font
cruellement défaut à l'économie nationale. Elles sont source
d'importations massives et onéreuses contribuant ainsi à gréver lourdement la balance commerciale.
Compte tenu des objectifs poursuivis à travers un tel modèle
industriel, il est tentant d'avancer que la préoccupation primordiale porte davantage sur les effets externes plutôt que sur
la consolidation des liaisons internes entre les différents secteurs. Or, ce qui est important pour une économie sous-développée qui aspire à une croissance soutenue et auto-entretenue,
c'est d'abord et avant tout la création des conditions d'un
développement équilibré sous-tendu et favorisé par la transformation radicale des anciennes structures de production
dans le sens d'une plus forte intégration.
La nouvelle stratégie est, comme nous l'évoquions plus haut,
fondée sur le désengagement effectif de l'Etat et devrait générer d'éventuelles pertes de recettes fiscales. Ceci soulève
évidemment quelques inquiétudes du fait que les pouvoirs
publics se privent ainsi d'un important moyen d'intervention
au niveau des secteurs non rentables pour le privé et qui,
néanmoins, demeurent vitaux pour le soutien de la croissance
et l'équilibre économique global de la nation.
La capacité effective de ce modèle à engendrer le développement est faible. De plus, ce schéma de valorisation industrielle
demeure très limité dans le cas du Sénégal au plan des conditions
de sa réalisation et ce, pour les quelques raisons suivantes:
d'abord, un environnement économique international, nous
l'avons souligné qui n'est pas propice à l'ouverture des mar-
183
chés extérieurs et qui est de surcroît «précaire, instable,
imprévisible et insondable en sa sphère économique et financière» (5) ;
ensuite, des industriels nationaux qui ont perdu depuis longtemps, par suite d'une protection prolongée, toute capacité
de concurrence pour la conquête de marchés extérieurs ou
de contrôle du marché intérieur;
en outre, le Sénégal comme on Je sait, constitue un îlot de
démocratie libérale en Afrique. Or, la nouvelle stratégie comporte l'adoption de la flexibilité de l'emploi qui signifie une
plus grande facilité en matière de licenciements économiques
de multiplication et de renouvellement de contrats à durée
déterminée. Dans ces conditions, la réaction syndicale, dans
la volonté de préservation de certains acquis sociaux, peut
constituer un obstacle majeur; en effet, cette démarche nouvelle s'oppose à certaines pesanteurs sociologiques tenaces
au premier rang desquelles la perception que le travailleur
sénégalais a de l'entreprise ainsi que les rapports sociaux
généralement diffus au sein de l'unité de production;
enfin, l'une des principales limites de l'ancienne stratégie à
laquelle la nouvelle prétend remédier est l'insuffisance du
transfert de technologie; ce à quoi s'ajoute le lancinant problème du non réinvestissement des profits réalisés qui sont
souvent transférés à l'extérieur.
Comment alors la N.P.1. permettra-t-elle concrètement de surmonter ces obstacles? Il est urgent de rechercher et d'imaginer
les voies et moyens susceptibles de lever durablement ces obstacles et contraintes. Ceci constitue en effet un préalable à la mise
en œuvre d'une stratégie viable d'industrialisation pour le développement. Par ailleurs, s'il est vrai que l'Etat ne saurait tout faire
seul et surtout qu'il a tendance à dévorer toutes ses unités économiques en les anesthésiant par excès d'assistance et de protection, il est tout aussi vrai qu'il se doit pendant encore un certain
temps de conserver le contrôle de certains secteurs névralgiques,
du fait du caractère encore embryonnaire de l'initiative privée
nationale. Il devra encore jouer les premiers rôles dans le cycle
de production, dans l'organisation industrielle et technologique,
dans l'établissement des priorités de développement et dans
l'allocation des ressources favorablement à l'industrialisation.
En outre, il s'avère nécessaire de faire la différence entre
privés nationaux et privés non nationaux afin de procéder à une
allocation non conflictuelle des sphères d'action compte tenu
des moyens actuels des uns et des autres. Dans cette optique,
l'Etat devra veiller à favoriser, par divers moyens, l'émergence
d'un secteur privé national dynamique et efficace (6).
184
c)
L'élaboration d'une autre politique du tertiaire
De telles activités de soutien stratégique au processus global
de développement, ne doivent plus être délaissées ou marginalisées ; l'organisation s'impose aux plans notamment:
des circuits commerciaux de distribution;
du transport maritime, aérien et surtout urbain;
du système bancaire et de crédit;
des activités touristiques.
Cette restructuration profonde des activités tertiaires devrait
repréciser les fonctions du système bancaire et de crédit, améliorer le fonctionnement des circuits commerciaux et de distribution,
celui des transports et des communications, les performances de
l'administration publique et enfin favoriser le développement équilibré du tourisme en rapport avec les potentialités disponibles
à cet effet.
Le Sénégal possède des atouts, de par sa position géographique, la qualité de ses ressources humaines, sa stabilité politique et
son expérience qui ne sont pas valorisés par une politique exhaustive et cohérente. Cette politique devrait se traduire par l'exploitation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée et très habile, le
développement de sociétés d'ingéniering ainsi que de services
sans oublier la promotion d'acti'Jités commerciales et bancaires.
Dakar a d'importants atouts pour une place financière ouestafricaine et le siège d'entreprises industrielles et commerciales à
vocation régionale. La promotion de telles activités passerait par
la mise en œuvre d'un ensemble de mesures institutionnelles et
d'incitations fiscales et douanières, en même temps que l'élaboration d'une politique d'information large et systématique de tous
les Etats et acteurs intéressés par de telles activités au niveau
de la sous-région.
B)
LES ACTIONS A ENTREPRENDRE AU NIVEAU EXTERNE
La sortie de la crise par un modèle de développement autocentré mettant en place un nouveau mode d'accumulation fondé
sur une utilisation plus productive des ressources générées par
des politiques sectorielles novatrices et conduites selon une politique rigoureuse de productivité et de rentabilité. appelle en
recours à la coopération régionale et internationale,
internationale. Il est indéniable que le Sénégal est un des pays les plus aidés d'Afrique
Noire avec 273 milliards de francs CFA en 1987 contre 198 milliards en 1986. Cependant, cette aide même si elle est supérieure
aux recettes budgétaires (265 milliards pour "exercice 1987-1988)
demeure encore très insuffisante,
insuffisante.
185
Face a l'énormité des besoins financiers nécessaires à la
relance des Investissements productifs et compte tenu de la faiblesse de l'épargne intérieure, le Sénégal se doit de trouver en
permanence un flux de ressources à des conditions douces
mais qui dOivent se greffer à des activités réellement productives suceptibles de produire des effets d'entrainement sur l'économie nationale. D'ailleurs, la Banque Mondiale est parfaitement
consciente de cette question quand elle évoque le déficit des
ressources et les modalités pour le combler. Dans son étude sur
"les besoins financiers de l'ajustement ", elle observe qu'un
pays africain qui s'engage dans l'exécution d'un vaste programme
de réformes a besoin d'importantes ressources pour financer les
investissements productifs (croissance) et sociaux (éducation,
santé et environnement). Ces ressources devraient provenir principalement de l'augmentation de l'épargne intérieure mais aussi
de la communauté internationale sous forme d'aide concessionnelle. La Banque Mondiale propose alors l'accroissement de l'aide
par des procédés qui tiennent compte de la situation du pays
bénéficiaire. Elle souligne avec clarté que" les donateurs doivent
reconnaître que la formulation des programmes d'ajustement et
d'investissement ainsi que la coordination de l'aide et des autres
flux financiers sont les attributions des gouvernements africains
eux-mêmes» (7).
Par rapport à cette position, il revient au Sénégal de définir
de nouvelles priorités dans les secteurs décisifs de la vie économique et sociale et de les formaliser de manière rigoureuse en
projets à soumettre aux bailleurs de fonds dont les bonnes dispositions sont nettement exprimées par la Banque Mondiale. Le
secteur social est concerné au premier chef. Dans ce domaine,
" une intervention plus vigoureuse et plus efficace de l'Etat doit
être envisagée dans des secteurs tels que le développement des
ressources humaines, la conservation des ressources naturelles
et la recherche agricole» (8).
Mais de la part de la Communauté Internationale, il faut égaiement souhaiter une action positive sur la dette extérieure, notamment dans le sens de son allègement tel que le dernier sommet
de la Francophonie à Dakar (mai 1989) en a donné l'exemple.
En effet, le Sénégal est incapable de résoudre à la fois le
problème de la dette et celui de la croissance économique. Soit,
il assure tout ou partie du service de la dette sacrifiant la croissance ou à l'inverse, il consacre ses ressources à la croissance
et alors il ne pourra point régler à court terme le service de la
dette. Il est clair que sur la question cruciale de la dette, le pays
ne dispose d'aucune solution spectaculaire mais il peut néanmoins solliciter: un rééchelonnement pluriannuel sur mesure
c'est-à-dire plus conforme à sa situation économique et finan186
cière, une annulation de certaines catégories de dette, le remplacement des taux d'intérêt variables par des taux fixes, la conversion d'une partie des créances en actions dans les entreprises
publiques et une réforme des conditions d'intervention des banques créancières. Il s'agit sur ces questions délicates d'élaborer
des réponses techniques rigoureuses et crédibles à soumettre
aux bailleurs de fonds. On prend ainsi l'initiative des négociations
sur des bases bien maîtrisées au lieu de les subir.
La relance de la croissance doit être aussi reliée à la recherche
d'une division internationale du travail plus favorable et d'un
ordre régional qui aide à lever les handicaps internes relatifs à
l'étroitesse du marché, à la faiblesse des ressources et des bases
technologiques. Le Sénégal doit être partie prenante des processus d'intégration. L'établissement d'une Division Régionale du
Travail en Afrique de l'Ouest permettrait au Sénégal de disposer
d'un marché pour ses industries, de valoriser certaines de ses
ressources (exploitation de la façade maritime, des phosphates,
des minerais de fer, des bassins fluviaux, etc.) et de s'intégrer
dans un système monétaire et de crédit au service du financement
du développement. Ces processus intégrateurs facilitent la levée
de nombreux goulots d'étranglement et contribuent à l'instauration d'une nouvelle efficience économique et sociale régionale
dont les effets bénéfiques se répercuteront inévitablement sur
le processus interne de développement.
Tout au long de cette réflexion, il nous est apparu que le
modèle de développement extraverti des années soixante ainsi
que son système d'accumulation ont débouché sur la profonde
crise économique et financière du début des années quatrevingts. La politique d'ajustement structurel qui met l'accent sur
la réduction de la demande et la recherche prioritaire de l'équilibre
de la balance des paiements s'est révélée encore pas à même
de résoudre la crise et de relancer un processus soutenu de croissance. De fait, la récession s'est poursuivie durant la période
d'ajustement, certaines distorsions se sont maintenues et la
dette ainsi que sa charge se sont cumulativement accrues. Dans
ce contexte, il convient de rechercher des stratégies encore plus
performantes. L'analyse montre que celles-ci passent par une modification des structures et du système productif avec l'instauration
de politiques sectorielles se fondant principalement sur l'utilisation des ressources internes et la réappropriation du savoir-faire
local en vue d'une production prioritairement au service des
besoins de base, c'est-à-dire ceux des populations. C'est la recherche de la satisfaction de ces besoins essentiels qui imposera
une réelle restructuration en direction d'une consommation de
masse stimulante pour la production et la croissance économique.
187
Il faut cependant comprendre qu'au Sénégal comme ailleurs,
les bouleversements qu'impliquent les changements de modèle de
développement ont un coût économique et social élevé et nécessitent une période relativement longue de rigueur et d'austérité
dont les populations doivent saisir tout l'opportunité et la portée.
Seulement la politique nouvelle doit, pour réussir appeler:
une mobilisation et une participation effectives de toutes les
couches sociales dans le processus de développement à long
terme;
une concertation permanente entre les partenaires sociaux que
sont l'Etat, le patronat et les syndicats de travailleurs;
une réforme de l'Etat pour en faire un instrument dynamique,
démocratique, décongestionné et moderne;
une modification des formes de gestion dans l'entreprise ainsi
que des secteurs d'activité en évitant d'introduire le libéralisme dans des secteurs à vocation publique (interventionnisme public) ou d'étatiser des secteurs qui ne peuvent avoir
qu'une vocation privée.
(1) Dans le système de la Zone Franc caractérisée, entre autres par la libre
convertibilité et la libre circulation des capitaux, on observe des fuites de ressources importantes qui ruinent les réserves extérieures précaires des pays membres.
La Banque Centrale (BCEAO) rachète annuellement sur certaines places financières internationales (Suisse, Asie du Sud-Est) des francs C.F.A. transférés généralement par des privés, nationaux recherchant sécurité de placement et opportunité de spéculation.
(2) Ministére du Développement Rural: Nouvelle Politique Agricole, Dakar,
mars-avril 1984, 106 pages, document ronéoté.
(3) Moustapha Kasse: • Les problèmes du secteur rural: perspectives et
limites de la N.P.A. Communication, Séminaire sur la N.P.A.. Dakar, les 7, 9 et
10 mai 1986, 34 pages.
(4) Ministère de /a Coopération: Déséquilibres structurels et programmes
d'ajustement au Sénégal, p. 88.
(5) P. Cha/min et IL Gombeaud: Cyclope, Les marchés mondiaux, Edition
Economlca, Paris 1988. o. 8.
(6) Moustapha Kasse: Les contraintes à l'initiative privée en Afrique, CREA.
Club Afrique. Colloque de Lomé.
(7) Banque Mondiale: Les besoins financiers de l'ajustement dans la craissance en Afrique Subsaharienne. mars 1986-1990. Washington, mars 1986, p. 58.
(8) Ibidem, p. 33.
188
CONCLUSION GENERALE
La gestion du développement au Sénégal telle que pratiquée
après l'indépendance est bloquée essentiellement parce que les
structures économiques publiques ou semi-publiques créées à
cette fin se sont quasiment toutes révélées inefficaces et parasitaires. Au plan des politiques sectorielles, les imprécisions, les
atermoiements et les innombrables interventions incohérentes ont
engendré des résultats dans leur ensemble bien modestes.
C'est ainsi que dans le domaine agricole, l'irréalisme des politiques de prix pratiquées, les coûts excessifs de la politique
d'encadrement du monde rural, les insuffisances notoires du
crédit agricole ainsi que l'intervention de facteurs exogènes
comme l'installation d'un grave cycle de sécheresse à partir de
1972, finiront par anéantir tous les efforts de production, appauvrir les producteurs ruraux et engendrer aujourd'hui un important
déficit alimentaire structurel.
Dans le secteur industriel, les quatre stratégies successivement mises en œuvre (import-substitution, P.M.E., industries exportatrices et politique des filières) montrent toute la difficulté pour
un pays en voie de développement, sans tradition industrielle
consistante et ayant de surcroît raté sa révolution agricole, à
bâtir une économie industrielle performante dans un environnement international où, pour reprendre le mot de L. Stoleru, « l'avantage compétitif a supplanté l'avantage comparatif» (1).
En réponse aux difficultés de ces deux secteurs, l'économie
sénégalaise s'est progressivement «tertiarisée» : l'Administration
publique s'est anormalement hypertrophiée et le secteur informel
a littéralement explosé sous le poids du gonflement rapide des
activités économiques parallèles, souterraines, non structurées
et inorganisées.
189
Au niveau du Quaternaire, même si des efforts sensibles ont
été accomplis notamment sur la base de concours extérieurs, il
demeure que d'importants efforts sont encore à réaliser et que
le blocage du développement survenu à la veille des années
quatre-vingts n'a pas permis d'atteindre.
Cependant, l'analyse de la crise de l'économie sénégalaise
et celle de la politique d'ajustement qu'elle a suscitée appellent
beaucoup de prudence et n'autorisent pas encore de tirer des
conclusions péremptoires et définitives. Les faits économiques,
financiers, structurels et institutionnels impliqués sont variés,
complexes et assez mal connus. L'histoire n'est pas maîtrisée
pour permettre une bonne connaissance des orientations et de la
praxis sociale et économique. Les statistiques demeurent rares et
celles qui sont disponibles restent encore très imparfaites. Enfin,
la politique d'ajustement se déroule dans une conjoncture internationale de crise et devrait se poursuivre jusqu'au début des années
quatre-vingt dix. Dans ces conditions, tout ce qu'il est possible
de faire consiste à dégager quelques enseignements qui aident
à lire la crise et à cerner les forces et les faiblesses de l'expérience d'ajustement. Cela en direction de l'élaboration de nouvelles
orientations pour un modèle qui s'approche davantage des options
socialistes et démocratiques proclamées de façon permanente
depuis les années soixante.
Les déséquilibres économiques et financiers des années
soixante-dix par leur ampleur et leur profondeur ont imposé
l'ajustement comme un passage obligé, un impératif pour retrouver la voie du développement et de la croissance. Les politiques
mises en place avec l'appui des institutions financières internationales, sont conçues dans une optique libérale et l'application
de leurs principes, semble-HI, devrait aboutir au règlement de
toutes les contradictions et assurer un retour vers une croissance
équilibrée et durable.
Les mesures drastiques prises dans le cadre du P.R.E.F. avaient
pour objectif de renforcer la production des biens et services,
d'améliorer l'efficacité des investissements, de restructurer le
secteur parapublic, d'assainir les finances publiques et de rétablir l'équilibre extérieur.
La cure « conservatrice» a conduit à la redéfinition des fonctions de l'Etat qui se désengage au profit de l'initiative privée et
au travers de nouvelles politiques que sont la N.P.A., la N.P.1. et
la Nouvelle Fiscalité. Cependant, si le parternalisme étatique
a fait souvent faillite et s'est avéré aujourd'hui inefficient comme
mode exclusif de régulation, le libéralisme non plus n'est pas
infaillible et ne saurait donc constituer une panacée. Dans ce
sens, J.C. Milleron observe que «lorsque sans résultats empiriques où à partir d'analyses théoriques sujettes à caution, le
190
libéralisme doctrinaire se présenteL:omme une panacée, il est
probablement inefficace et dans une large mesure dangereux
surtout lorsqu'il prétend apporter, au nom de jugements de valeur
non explicités, voire contestables, des solutions miracles aux
problèmes que connaissent nos économies» (2).
Cette politique d'ajustement se rapproche péniblement pour
l'instant des objectifs explicites qui lui étaient assignés. Nous avons
alors évalué ses résultats car il nous semble que le premier pas
vers la solution d'un problème est d'en admettre "existence. /1
faut en effet briser le fanatisme et les prétentions non fondées
de certains techniciens du développement lorsqu'il s'agit de bilans
précis comme c'est le cas après dix années d'expérimentation
d'une politique économique.
L'ajustement tel que pratiqué depuis bientôt une décennie,
ne s'est pas révélé aussi performant qu'on l'a souhaité que ce
soit en termes de redressement économique et financier, de coûts
sociaux et surtout de relance du développement. Les faits établissent largement que les objectifs majeurs sont imparfaitement réalisés. Le potentiel de production n'a été que très partiellement
restauré et le taux de croissance de l'économie demeure encore
assez faible. Les capacités du système productif à produire des
surplus sont amoindries par les mesures déflationnistes qui ont des
effets récessifs cumulatifs. L'endettement s'amplifie avec des
rééchelonnements périodiques. Les passages répétés devant les
Clubs de Paris et de Londres sont la conséquence d'un endettement insupportable. Cette permanence des rééchelonnements
produit des charges supplémentaires et engendre une perte progressive de crédit sur les places financières internationales. Enfin,
les mesures de freinage de la demande globale paralysent partiellement le fonctionnement de l'Administration Centrale sans réussir
à abaisser substanciellement les coûteuses consommations des
titulaires de hauts revenus.
Sur le plan social, la politique d'ajustement a occasionné des
coûts élevés et inégalement supportés par les populations. La
répartition du poids de l'ajustement est assez différenciée et se
réalise au détriment des titulaires de faibles revenus qui sont
soumis à une trop grande austérité par le biais de la vérité des prix.
Egalement, le sous-emploi et le chômage se développent subséquemment au ralentissement des activités productives et à la déflation des effectifs des entreprises parapubliques et de la Fonction
publique. Enfin, le pouvoir d'achat se détériore par suite d'un
mouvement conjugué de baisse des ressources tirées des cultures
de rente et de l'augmentation du prix de certains biens de première nécessité qui étaient jusqu'alors subventionnés.
Tous ces éléments établissent l'approfondissement des disparités et l'accentuation des distorsions au sein de la société. Ces
191
conséquences à la fOIs économiques et sociales démontrent
certaines limites de l'ajustement qui ne réalise pas encore une
expansion économique correctrice.
La crise de l'économie sénégalaise n'est point un mystère,
ni un cas particulier dans le système périphérique. Elle est une
crise de modèle de développement et du mode d'accumulation
basé sur les activités exportatrices agricoles et minières. Les
contradictions structurelles et institutionnelles ainsi que les tensions sociales que cette crise implique ne peuvent être réglées par
la seule « main invisible» ou les règles du marché avec lesquelles
on cherche à jouer comme s'il était de leur pouvoir d'arbitrer
harmonieusement les différents intérêts et d'opérer une allocation optimale des ressources qui soit socialement supportable.
Cette crise économique et financière appelle une stratégie
cohérente de modification du système productif, du mode de régulation économique et du modèle de répartition des revenus. Il
s'agira tout d'abord de développer prioritairement les activités
productives tournées vers le marché intérieur et qui ont à la fois
une forte valeur ajoutée et une capacité importante d'absorption
de la main-d'œuvre. C'est là une traduction concrète du principe
du «compter sur ses propres forces» qui est une réponse opérante au développement inégal et à la restructuration de l'ordre
économique et monétaire mondial.
Il faut mettre en place de nouveaux systèmes de régulation
et d'organisation économique qui utilisent de façon équilibrée les
vertus du marché et du plan, de l'Etat et de l'initiative privée.
La question est de trouver des formules performantes d'économie
mixte permettant une coopèration organique de l'Etat avec l'initiative privée. En d'autres termes, il faut trouver le moyen d'une
conciliation des avantages d'une planification rationnelle avec
le maintien d'un haut niveau de rendement individuel des acteurs
du jeu économique. C'est de la sorte que l'on sortira des naïvetés
développées sur le rôle de l'Etat. " faut bien admettre que l'Etat
n'est pas en soi porteur d'inefficacité et d'effets pervers et que
le désengagement de l'Etat n'entraîne pas comme par magie une
solution à tous les problèmes. Dans les pays en voie de développement, l'Etat se transforme en entrepreneur moins par idéologie
que par immaturité des structures et blocage des processus de
formation des marchés. La libéralisation ne peut être qu'une
composante d'une stratégie élaborée et conduite par l'Etat. Cela
procède des facteurs limitants déjà soulignés comme les contraintes structurelles et les divers blocages au processus de formation
des marchés et des entreprises. Ce sont ces facteurs qui expliquent le faible poids du secteur privé, l'absence d'entrepreneurs
nationaux dynamiques ayant les moyens financiers leur permettant
d'exploiter toutes les opportunités d'investissement, la défaillance
192
des petites et moyennes entreprises familiales, la réticence des
investisseurs privés étrangers et enfin l'inexistence ou la faiblesse
des marchés financiers. Il est alors aisé de comprendre que le libéralisme qui accorde au marché les vertus de mécanismes infaillible et qui donne naissance à un processus de formation de prix
fournissant des repères à toutes les décisions économiques et à
l'allocation des ressources et des facteurs, n'est pas suffisant pour
le redressement et la relance d'une économie caractérisée par le
retard des forces productives, la désarticulation et l'extraversion.
Par ailleurs, les principales questions qui se posent à ce type
d'économie sont essentiellement des questions d'organisation
avant d'être des problèmes de production et de répartition. Dans
ce contexte, on conçoit aisément que l'Etat soit un instrument
privilégié. Il doit, par sa politique économique, occuper certains
secteurs épicentriques et quelques « hauteurs dominantes et stratégiques de l'économie" en vue:
de résorber les faiblesses sectorielles et amorcer les mutations structurelles qui mettent le système productif dans de
meilleures conditions de production et de compétition;
de réaliser une planification plus rigoureuse pour régler les
questions relatives aux conditions d'une plus grande stabilité
sociale: répartition des revenus, lutte contre le chômage et
l'inflation, réorientation du procès du travail;
de négocier et de garantir une plus grande sécurité des investissements étrangers qui s'avèrent indispensables pour compenser les déficiences internes d'épargne.
Dans cette direction, l'Etat devient un instrument indispensable et fondamental de régulation. De même, il convient de
briser toutes les contraintes du passé et s'imposer de nouvelles
tâches économiques, une nouvelle politique de distribution et
de répartition des revenus par un contrôle du jeu des profits, des
rentes et des salaires. C'est ici qu'il faut se souvenir des options
socialistes et démocratiques qui commandent des compromis
dynamiques et novateurs entre capital et travail en vue d'aboutir
selon la formule d'Olof Palme à « une société plus douce pour
les faibles et plus exigeante pour les forts". Pour ce faire, il
importe de s'orienter résolument vers une démocratie économique
à la fois contractuelle et consensuelle qui s'articulerait autour
de négociations permanentes entre le monde du travail et le
patronat en vue d'aboutir au progrès social qui tienne évidemment compte de toutes les contraintes de l'entreprise. Seul un
tel cadre autorise l'augmentation de l'emploi, mais aussi un
accroissement des salaires qui soit supportable par les entreprises.
193
L'exacerbation de la concurrence et des difficultés au plan
mondial impose un véritable cc darwinisme» économique et la
nécessité de s'adapter ou de disparaître. Cette dimension brutale
et impérative de la nouvelle équation du développement implique
une modification de notre perception traditionnelle de l'entreprise.
Celle-ci en effet, loin de constituer un lieu de création et de distribution permanentes de rentes inamovibles de situation aux travailleurs, a plutôt besoin de la souplesse et de la flexibilité
nécessaires, pour se développer, affronter victorieusement la
concurrence ambiante, créer des emplois économiquement sains
et distribuer en conséquence des revenus stables.
1/ faut alors comprendre qu'aucun pays au monde ne peut
éternellement vivre au-dessus de ses moyens et distribuer des
richesses qu'il n'a pas produites; or, ces richesses se créent
dans l'entreprise et ceci dans les conditions imposées par une
concurrence environnante féroce et mortelle pour des pays trop
rigides socialement. De même, le patronat doit sortir de son
attentisme, de sa tendance prononcée à s'abriter derrière un
protectionnisme frileux et globalement inefficace, rompre avec ses
techniques artisanales de gestion pour se montrer agressif et
performant en vue de reconquérir le marché intérieur et s'ouvrir
de nouveaux créneaux à l'extérieur.
Ainsi, les ardeurs corporatistes des establishments syndical et
patronal solidement enracinés dans des combats d'arrière-garde
et dans une culture archaïque de lutte des classes doivent être
tempérés.
En conséquence, l'ajustement devrait alors se présenter, tout
au plus, comme une politique de régulation économique conjoncturelle et non comme une philosophie permanente de développement.
Par ailleurs, cette stratégie accroit ses chances de succès
si de nouvelles solidarités s'établissent avec l'extérieur et particulièrement avec la communauté financière internationale. Celle-ci
devrait s'impliquer davantage par la solution du problème de la
dette et la mobilisation de nouvelles ressources à des conditions
douces.
En effet, la nature et la profondeur des déséauilibres au'il
importe de résorber pour relancer la croissance et le développement sont telles qu'elles requièrent des politiques efficaces et
concertées de modifications structurelles sur le moyen et long
terme.
A l'intérieur, les divers obstacles inventoriés qui s'ajoutent
aux insuffisances théoriques et pratiques du modèle de référence
des politiques d'ajustement, constituent autant de problèmes qu'il
est impérieux de résoudre dans la perspective de la mise en œuvre
194
d'une stratégie de développement, laquelle devra être à la fois
nationale et populaire car s'appuyant simultanément sur:
l'utilisation des ressources et du génie du pays;
la confiance aux capacités d'organisation du processus du
développement des populations;
l'adaptation continuelle des objectifs et des moyens à l'environnement et aux ressources nationales disponibles.
Dans cette nouvelle orientation, J'Etat devrait jouer les premiers rôles tout en évitant d'être ce monstre qui paralyse le système social et institutionnel par excès d'intervention et d'assistance.
En conséquence, il faut agir et innover pour garder l'initiative
au plan économique et social et pour atteindre de nouvelles efficiences en comptant principalement et avant toute chose sur les
capacités créatrices du peuple sénégalais. Car il est bien évident
que le retour d'une conjoncture internationale favorable, avec
conséquemment l'instauration de nouvelles règles du jeu économique et financier mondial, ne profitera qu'aux pays qui auront
réglé une bonne part de leurs contradictions internes et auront
mis en place de nouveaux modèles de gestion et de régulation
socio-économique ainsi que des cadres institutionnels appropriés.
En définitive, quels que soient les orientations et les moyens
que met en place une société démocratique pour maîtriser son
développement, elle ne peut les faire accepter que si les objectifs
sont ressentis comme prioritaires par la majorité des populations.
Si les buts et les cheminements sont clairement perçus et acceptés, il s'installe un changement dans les attitudes et une plus
grande facilité à endurer les sacrifices et contraintes nécessaires.
Ce dynamisme est porteur de progrès économique et social,
d'innovation et de créativité car les acteurs économiques se
mettent au service de ce qui est, ou de ce qu'ils croient sincèrement être leur intérêt.
(1) Lionel Stoleru' L'ambition internationale, Editions du Seuil, octobre 1987.
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YUNG CHUL PARK: The variability of velocity. IMF Staff Papers, novembre 1970.
202
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE
7
Première partie
LA GESTION DU DEVELOPPEMENT DEPUIS L'INDEPENDANCE A LA CRISE DES ANNEES 70 . . . . . . . . . . . . . . . .
15
Chapitre 1 : Les structures de gestion du développement ..
19
Section 1 : L'Administration économique
19
Section 2: Réforme administrative et développement à la
base
,...................
30
Chapitre 2: Les politiques sectorielles
35
Section 1: Le secteur
d'accumulation
primaire
comme
premier
foyer
Section 2 : Forces et faiblesses du secteur industriel. . . . . .
37
58
Section 3: Hypertrophie et faible productivité du secteur
tertiaire
77
Section 4 : Les performances du secteur quaternaire. . . . ..
107
Chapitre 3 : Endettement et crise de paiements
113
Section 1 : Sur-endettement extérieur et durcissement des
conditions
115
Section 2 : Les Finances Publiques et le déficit budgétaire
structu rel
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
117
203
Deuxième partie
AJUSTEMENT ET SORTIE DE CRISE .... , . . . . . .. .. .. . . ..
123
Chapitre 4 : La décennie 80 ou la voie de l'ajustement structurel
125
Section 1 : Les causes profondes des déséquilibres macroéconomiques
126
Section 2: Les programmes d'ajustement comme réponse
aux déséquilibres
132
A) Les programmes appliqués et leurs performances. . . . ..
132
B) L'ajustement, une politique controversée
142
1 -
Le modèle de référence
143
2 -
Les limites théoriques et pratiques de la population
d'ajustement .. : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
147
Les coûts non monétaires et dimension sociale de
l'ajustement
156
Chapitre 5 : Au-delà de l'ajustement: une autre stratégie de
sortie de crise et de relance du développement
167
Section 1 : La réalité et les fondements
167
3 -
Section 2 : Les éléments d'une nouvelle stratégie de développement
. . . . . . ..
169
CONCLUSION
189
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
197
204
ACHEVE D'IMPRIMER
EN MAI 1990
SUR LES PRESSES
DE L'IMPRIMERIE PIREDDA
94500 CHAMPIGNY·3uR-MARNE
La profonde crise économique et financière qui affecte lévtrement le Sénégal procède fondamentatemen des Itmlt
Intrlnlqu el de l'épuisement du modèle d'accumulation basé lur la
rente aarlcole (arachide et coton) et minière (phMphate) • rente
prélevée et 1mproductlvemen
louée par une admlnl
peu
préparée au lendemain de l'Indépendance, è de fonctions de
gestion du dévelop-pement.
.
Le bilan qu88i exhaustif des politiques de développement
appliquées depuis 1980, montre clairement. qu'en dehonl des
facleurs exogènes ayant accéléré l'avènement de la cri e, le
système économique mis en place renfermait les germes profonds
et leI principaux mécenllMes qui ont conduit è la rupture des
équlllbres économiques et financiers des années 70.
Dan ce contexte, Il devenait Impératif de remettre en ordre
l'économie _égalai8e pour Juguler la mont6e des déséqUilibres
et promouvoir une croissance saine et durable. Au Plan
StablIlsation fi court terme de 1979-1980 ont succédé le Plan de Redres.ement Economique et Financier entre 1980-1 85 et actUellement
le Programme d'Ajustement à moyen et long terme pour la période
1985-1992. i l'ajustement est Inév"able, Il faut néanmoins ab rver
que certaines des orlenlellans et sa méthodologJe sant IUJeJteB
controverse.
A :et effet le te de pertinence du modèle claulque de
réNrence de l' Justement s'étant révélé défavorable BOU8 certains
aspects essentlel8, les recherches ont été menées dans le lien
d une approche non pas nécessairement altematlve mal. surtout
d accompagnement du pracesaua de l'ajustemen en rapport avec
1 spécificités ructurelles aln 1 que les ~ntra ntes Interne et
externes peasnt ur "économle sénégalaise.
Moustapha KASSE. professeur agrégé de sciences
économiques. enseigne dans plusieurs universités
et Ecoles nabonales supérieures africaines et dirige
le Centre de recherches économiques appliquées
(C.R.E.A.) de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar
(Sénégal).
Il est Vice Président de l'Association africaine
d'économie et de "Association des économistes
d'Afrique de IIOuest. .
ISBN 2·87693-035<-8
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