Qui a tué les Mayas « classiques

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L’Usine à GES n° 19 / février 2006 / Dossier
Qui a tué les Mayas « classiques » ?
Tout au long de l’histoire, les changements climatiques ont influé sur
les civilisations et ont fait disparaître celles qui n’ont pu s’adapter,
comme les Mayas de l’ère classique. Des exemples à méditer.
Si nous nous en étions souvenus, nous aurions pu célébrer, en 1997, le 500e
anniversaire de l’ultime acte de résistance du peuple maya. C’est l’année où
Charles Perrault termine « les Contes de la Mère l’Oye » (en 1697 donc) que
l’État d’Itza, dans l’actuel Guatemala, tombe sous les assauts des
conquistadores. Après avoir dominé pendant 4 500 ans une grande partie de
l’Amérique centrale (le sud-est du Mexique, l’ouest du Honduras et du
Salvador, le nord du Belize et du Guatemala) l’empire maya s’effondrait
définitivement. Exceptionnellement longue, son histoire n’a pas été un long
fleuve tranquille.
Le mystère de l’ère classique
Les érudits distinguent généralement trois périodes. La première s’étend de
2600 avant Jésus Christ à 250 après J.-C. Cette ère préclassique comprend
la naissance de la civilisation olmèque (vers - 2000), à laquelle les Mayas ont
beaucoup emprunté. De la fin du IIIe siècle de notre ère au Xe siècle, se situe
l’ère classique qui verra la construction de grandes cités, comme Tikal ou
Teotihuacán et le développement des échanges commerciaux. C’est à l’ère
postclassique qu’elles disparaissent, avant que ne leur succèdent de plus
petites principautés, comme la magnifique Chichen Itza, Uxmal ou Coba,
dont le rayonnement sera moindre que celui des métropoles disparues. Cette
époque s’achève avec le début de la conquête espagnole en 1520.
Contrairement à ce que ces quelques lignes pourraient laisser supposer,
l’histoire de cette fantastique civilisation, qui ne connaissait ni la roue ni les
outils en métal mais éleva tout de même des constructions gigantesques,
reste lacunaire. Ce qui n’a pas empêché deux géologues de récemment lever
l’un des mystères mayas les mieux gardés. Période florissante (l’empire
s’étend alors sur 400 000 km2 et compte environ 13 millions de sujets), l’ère
classique s’achève curieusement. À partir du milieu du VIe siècle, les cités
n’élèvent plus de grands monuments. Les vastes centres urbains sont
désertés. L’empire éclate vers 950. Que s’est-il passé ? Aucune grande
invasion ne semble avoir vaincu les prédécesseurs de Moctezuma II. Jusqu’à
présent, les spécialistes penchaient pour une conjonction de catastrophes :
guerres civiles, épidémies, trop grande dépendance à la monoculture, etc.
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Des sécheresses sans fin
En fait, révèlent Larry Peterson et Gerald Haug, dans un passionnant papier
paru, cet été, dans American Scientist, les Mayas « classiques » ont
succombé aux conséquences d’un changement climatique. L’hypothèse n’est
pas nouvelle. Dès 2000, l’archéologue amateur américain Richardson B. Gill
affirmait dans son livre (The Great Maya droughs) que des millions de mayas
avaient péri de faim et de soif à la suite de régulières et longues périodes de
sécheresse. Un bouleversement dans cette région où il peut pleuvoir jusqu’à
4 000 millimètres d’eau de pluie par an (six fois plus qu’à Paris !). Jusqu’à
présent, cette hypo- thèse n’était corroborée par aucun élément sérieux.
C’est chose faite grâce à Peterson et Haug. Au terme d’une véritable
enquête, les deux chercheurs estiment avoir accumulé suffisamment de
charges pour imputer au changement climatique la disparition, certes en
deux siècles, d’une des plus brillantes civilisations que le monde du Xe siècle
ait portées.
La carotte de Cariaco
Pour commencer, les deux géologues ont examiné des carottes de sédiments
prélevés dans le bassin de Cariaco. Situé entre la côte nord-est du Venezuela
et l’île de Tortuga, l’endroit est bien connu des spécialistes qui s’attachent à
remonter le temps. Cette dépression marine est, en effet, un véritable piège
à sédiments et à planctons. Du fait de son manque d’ouverture sur la haute
mer, les particules en suspension dans les rivières, les planctons tombent en
masse. Au fond, dans un environnement anoxique, les organismes se
décomposent extrêmement lentement. Les chercheurs peuvent donc plus
facilement qu’ailleurs reconstituer l’environnement marin et terrestre du
passé, et par extension le climat. La vitesse de sédimentation étant connue
(un mètre de sédiments par millier d’années), un échantillon est donc
parfaitement datable. L’enquête de Peterson et de Haug débute
véritablement en 1996. Cette année-là, le Joides Résolution, le navire de
forage de l’université du Texas, remonte une carotte de 170 m de long
prélevée dans le fond du bassin de Cariaco. Les deux chercheurs mesurent
les concentrations en fer et en titane, deux métaux présents en abondance
dans les roches continentales mais inexistants dans les restes des
organismes marins. Leur idée étant que les fortes concentrations révéleront
les périodes de plus fortes pluviométrie. À l’opposé, les strates pauvres en
métaux désigneront les périodes de sécheresse. Après examen d’échantillons
par fluorescence x à l’université de Brème, les deux limiers détectent deux
périodes pauvres en métaux. La première correspond au Petit Âge Glaciaire
(cf. L’Usine à GES n°4), une période s’étendant entre 1400 et 1850. Pas la
bonne. La seconde est plus intéressante puisqu’elle se situe entre 800 et l’an
1 000. Bonne pioche, mais insuffisante pour poser un diagnostic précis. Avec
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précaution, Larry Peterson et Gerald Haug emmènent leur échantillon à
Zurich. À l’institut de technologie suisse se trouve un appareil de
fluorescence x plus perfectionné que celui de Brème. Cette nouvelle analyse
(complétée par des datations au carbone 14 des restes des microorganismes) révèle que les Mayas ont été victimes de quatre longues vagues
de sécheresses, dans les années 760, 810, 860 et 910, qui, toutes, se sont
étendues sur plusieurs années. La première période semble ainsi avoir duré
une quarantaine d’années. Ce qui explique que malgré les grandes
compétences de leurs ingénieurs en hydraulique (les 10 000 habitants de la
ville de Tikal pouvaient vivre sur les réserves de la cité pendant 18 mois), les
métropoles mayas n’aient pas résisté à la surdité de Chac, le dieu de la pluie.
Pire que l’été 2003
De tels épisodes de modifications du climatiques à l’échelle régionales sont
fréquents dans l’histoire. Et certains sont soupçonnés d’avoir contribué à la
disparition d’autres civilisation que les mayas « classiques ». La
dendrochronologie (l’étude des anneaux de croissance des arbres) a
récemment permis de faire coïncider la disparition des Indiens Anasazi avec
les épisodes de fortes sécheresses ayant frappé le sud-ouest des États-unis
entre 1275 et 1300. De semblables cataclysmes ont fait disparaître l’empire
accadien de Mésopotamie il y a 4 200 ans, la civilisation Moche du Pérou, il y
a un millénaire et demi ou les Tihananacos de l’altiplano, il y a mille ans.
Quel rapport avec le changement climatique que nous annoncent les
scientifiques ? Pas forcément grand chose. À ceci près que le « global
warming » cher aux Américains provoquera à nouveau de semblables
épisodes, à côté duquel l’été 2003 ne semblera qu’un petit coup de chaleur.
Qu’on se le dise.
Volodia Opritchnik
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