DENIS GUÉNOUN, UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE, PARIS IV
Avant-propos
Dans l’œuvre de Valère Novarina, il est possible de distinguer deux
grands groupes de livres – distinction non exhaustive. D’une part, les écrits
poétiques et dramatiques, plus ou moins conçus en vue d’une présentation
théâtrale (avec toute la singularité du théâtre novarinien). D’autre part,
des ouvrages théoriques, plutôt pensés comme essais, qui n’appellent pas
directement la mise en scène (même si certains l’ont provoquée). Division
dont Novarina use lui-même en parlant de son travail. Mais il apparaît vite
que le clivage n’est pas net. D’abord, les propos de théorie sont puissamment
poétiques, et plus d’une fois dramatisés. Novarina théorise en poète, et
ce n’est pas affaire de présentation : l’énonciation des thèses, leurs liens,
leur sémantique comme leur syntaxe, au bout du compte toute l’activité de
penser s’y trouvent impliqués. Et par ailleurs, le théâtre de Novarina est
théorique de bout en bout. Tout ce qu’il manigance pour la scène peut être
lu comme jeu de propositions réflexives. En de multiples sens : parce que
cela regorge d’énoncés spéculatifs, généraux ou particuliers, d’affirmations
philosophiques. Et aussi parce que l’œuvre scénique s’avance dans une sorte
de second degré – ce qui ne la prive pas d’une force élémentaire –, proposant
une pensée en action et en espace, mais qui se voit toujours faire, et s’évalue,
se commente, faisant rarement entrer un personnage sans considérer qu’il
entre, ne livrant une action quelconque que dans l’annonce, l’interprétation,
la pensée du mode dans lequel elle se livre. Donc, poésie dramatique et
poème théorique sont tressés l’un dans l’autre, il n’est pas facile de les
démêler.
C’est une des raisons qui rendent l’activité théologique de Novarina
si singulière. Elle s’énonce, comme toute théorie dans cette œuvre, sur
un mode lyrique, ou anti-lyrique, souvent jetée dans le feu du jeu. De
sorte qu’il est difficile de démêler la théo- ou christo- logies novariniennes
de la vie de ses créatures étranges, qui la donnent à entendre par leur
incorporation multiple. Novarina pense le divin, et le rapport au divin, sur
le mode du poème en travail. On pourrait plaider que le vocable Dieu ne
peut s’y entendre que poétiquement : faute de ce transport poétique, le
mot est imprononçable, essentiellement inaudible (ce qui est une thèse).
Cela ne renvoie pas le terme, ni ce qu’il évoque, au statut d’image ou de
métaphore : les métaphores novariniennes sont toujours saisies (au sens
culinaire) dans une cuisante littéralité. Poétiques, à ce titre. Et par là très
fidèles à l’héritage du discours biblique – entre autres. L’action qui s’y
expose, même profane, même laïque, engage toujours un drame de la vie, au
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LITTÉRATURE
N° 176 – DÉCEMBRE 2014
“Litterature_176” (Col. : RevueLitterature) — 2014/11/17 — 11:13 — page 3 — #3
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