L'ouverture des frontières commerciales n'est un bien que si l'économie nationale est suffi-
samment développée pour faire face à la concurrence. Ainsi, dans bon nombre de pays du Sud,
les paysanneries sont acculées à la précarité, voire à la misère, parce que leurs productions ne
peuvent rivaliser avec les importations. Face à la question de la répartition des fruits de la libé-
ralisation, le FMI s'est longtemps appuyés sur les postulats de « l'économie des retombées » :
l'efficacité des marchés entraîne la croissance, celle-ci croissance profite à tous, y compris aux
pauvres. Pour Stiglitz, ce postulat est une dangereuse illusion ; de nombreux exemples mon-
trent que la croissance peut être accaparée par une catégorie donnée d'acteurs, que les retom-
bées sur les populations pauvres sont loin d'être systématiques, et qu'une action volontariste de
l'Etat est souvent nécessaire pour une répartition équitable des fruits de la croissance.
L'impact de l'application du postulat du libre marché est souvent aggravé par la précipitation
avec laquelle les réformes sont imposées et par l'absence de toute mesure d'accompagnement :
la théorie dit que le marché va faire émerger les acteurs nécessaires à son fonctionnement,
favoriser la concurrence, permettre une allocation optimale des ressources, et, sous entendu,
une répartition équitable des fruits de la croissance. Parmi divers autres exemples, Stiglitz
s'appuie sur celui du démantèlement des offices agricoles d'Afrique de l'Ouest pour démontrer
que cette théorie ne fonctionne pas, que, très vite, des monopoles privés peuvent se mettre en
place ; ces monopoles auront ensuite les moyens de manipuler le marché et les institutions,
pour préserver leurs intérêts propres et se pérenniser. Face à ces contradictions, la théorie du
libre marché ne se laisse pas déstabiliser et avance que les régulations par le marché ne se
font pas forcément sur le court terme, mais que à long terme, les équilibres se mettront en
place, les marchés seront efficaces, l'efficacité engendrera la croissance, et la croissance profi-
tera à tous. Ce qui conduit Stiglitz à ce jugement sévère : « tout impact négatif à court terme
n'est [pour les économistes du FMI] qu'une épreuve "nécessaire [...] et la souffrance et la dou-
leur deviennent [pour eux] des phases de la rédemption : elles prouvent qu'un pays est sur la
bonne voie ... « ....
Les réformes imposées par le FMI sont à « taille unique », sans prise en compte ni des spécifi-
cités des contextes nationaux, ni des positions ou aspirations des pays. Elles sont par ailleurs
strictement monétaires et économiques, ne prennent pas en compte les dimensions sociales et
politiques de l'environnement dans lequel elles sont appliquées et négligent totalement la
« puissance du changement systémique » liant l'économique, le social, le politique...
Au total, ces réformes débouchent sur des constats d'échec souvent très graves : la crise asiati-
que, la dégradation de la situation russe, les crises récentes en Amérique Latine ... Le plus
souvent, les pays pauvres ne protestent pas parce qu'ils n'ont pas le choix et qu'ils ont besoin
des ressources prêtées ou données par les institutions internationales. Mais l'hostilité et la
rancœur s'accumulent et sont renforcées encore face à l'hypocrisie de certaines mesures (ou-
verture commerciale imposée aux pays du Sud alors que nombre de pays du Nord maintien-
nent leurs protections et subventions).
Selon Stiglitz, la responsabilité de ces échecs est pour une bonne part, imputable aux institu-
tions internationales qui gouvernent la mondialisation, et principalement au FMI, la Banque
Mondiale se montrant davantage capable d'ouverture et d'évolution. Opacité, manque de
transparence, culture du secret, rigidité - « les procédures priment sur les questions de fonds »
-, sentiment d'infaillibilité, refus du regard extérieur - pas de recours à l'expertise extérieure -
caractérisent le FMI selon Stiglitz. La foi fanatique dans le pouvoir du marché, le rejet total de
l'Etat ont conduit l'institution à prôner une solution « taille unique » pour tous les pays, toutes
les situations, sans tenir aucun compte ni du contexte spécifique, ni de la position du pays à
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