UNE MER POUR DEUX ROYAUMES. LA MANCHE, FRONTIÈRE FRANCOANGLAISE
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ce qui suscite l’hostilité des armateurs français et anglais 11. Entre la France et
l’Angleterre, la première convention de ce type est conclue le 28 juin 1708.
Elle interdit à tous les bateaux, de guerre ou de commerce, « de courir sur
les bâtiments anglais qui pêcheront des harengs, maquereaux, huîtres, et
autres sortes de poissons frais depuis les Orcades jusqu’aux extremités de
l’Angleterre, les îles de Jerzey et de Grenezey comprises 12 ».
Pour être effi cace, un tel accord doit donc être étendu à l’ensemble
des puissances maritimes de la région, en particulier les ports fl amands
d’Ostende et Nieuport, nids de corsaires. Ostende, qui a reconnu pour
souverain Charles III d’Autriche
13, signe bientôt une convention, le
12 novembre 1708 14. En revanche, Nieuport reste soumis à la souverai-
neté de Philippe V d’Espagne, et certains corsaires de ce port refusent d’être
soumis aux accords franco-anglais :
« Je capitaine commandant la frégate L’Hannibal de Nieuport, certifi e
à tous capitaines de cette côte et autres à qui il appartiendra, que je ne
reconnais ni n’ai ordre de reconnaître l’accord fait entre les deux couronnes,
à l’égard des pêcheurs si tant est qu’il y en ait 15. »
Comme le montre cet exemple, le succès des accords diplomatiques
repose d’abord sur la collaboration des populations locales. Loin d’être
passives face à des décisions prises au plus haut niveau de l’État, elles jouent
un rôle direct dans les négociations durant tout le e siècle. En eff et, dans
la plupart des cas, les conventions prennent leur origine dans des accords
directement négociés entre les ports français et anglais. Dès février 1704,
la rumeur d’une trêve de pêche de la part de l’Angleterre circule ainsi à
Dieppe ; pour en savoir plus, le commissaire de la marine prend l’initiative
d’envoyer un bateau de pêche en Angleterre, dont le capitaine est chargé
d’aller rencontrer le maire de Rye ou d’Hastings. Arrivé dans ce dernier
port, James Capelain, le maître du bateau dieppois, s’entretient avec le
maire et les jurats pour savoir si la rumeur est fondée 16. Insistons sur l’ori-
ginalité de ce circuit de l’information : le pêcheur français ne va pas se
renseigner auprès du gouvernement français, mais dans une municipalité
11. Amendement à la convention du 17 août 1675, 11 septembre 1675, AN, Marine, B3 428, f° 304.
12. AMAE, CPA 226, f° 67 v°. Une décision similaire avait été prise côté anglais, dès le mois de mai,
par Josiah Burchett, secrétaire de l’Amirauté : « Traduction d’une déclaration du grand amiral
de la Grande Bretagne en faveur de la pêche », n. d., AMAE, CPA 226, f° 68 v°. On peut dater
cette convention de mai, car elle est annoncée à Dunkerque à la fi n de ce mois : Du Guay à
[ Pontchartrain], 26 mai 1708, ibid., f° 289.
13. Suite à la victoire alliée de Ramillies le 23 mai 1706, les armées du duc de Marlborough conquiè-
rent le Brabant et la Flandre. Ostende capitule en juillet 1706 : P J.-N., Histoire de la ville
d’Ostende et du port, Bruxelles, Hauman, 1843, p. 193-204.
14. « Liberté de la pêche dans toute l’étendue du Canal. Donné à Ostende le 12 novembre 1708 »
(imprimé), Service historique de la Marine, Vincennes, MS 0073, t. V, f° 161-163. Le texte manus-
crit se trouve aussi dans AN, Marine B3 155, f° 440 v° et dans Marine, B3 428, f° 298.
15. « Fait à bord de lad. frégate L’Hannibal en mer le 28 juin 1708. Signé Grinée », 28 juin 1708, AN,
Marine B3 155, f° 59.
16. Maire et jurats au duc de Nottingham, 2 mars 1704, NA, SP 34/3, f° 178.
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