L'INVENTION DE L'AUTRE
ESSAIS SUR LE DISCOURS ANTHROPOLOGIQUE
I
SUR LA NATURE DU DISCOURS
ANTHROPOLOGIQUE
1) Distance et connaissance. L'invention de la culture dans le discours anthropologique
A) Exotisme et esthétique du divers dans le projet anthropolgique
Michel Leiris:" A chaque pas de chaque enquête, une nouvelle porte s'ouvre, qui ressemble le plus
souvent à un abîme ou à une fondrière". Par cette ciation, il adresse une critique à l'ethnologie qui
veut tout savoir au pont de réifier l'autre dans une relation où l'observateur se retire.
Kilani s'interroge sur l'éventuelle nécessité de se pencher sur la notion de distance si importante en
anthropologie. La distance agit dans toute sa singularité, son opacité tel un révélateur de soi.
La distance entre l'autre et soi ne pourra jamais être totalement abolie. La notion du différent fait
prendre conscience que quelque chose n'est pas soi-même et donne le pouvoir de concevoir autre.
L'EXOTISME N'EST DONC PAS LA RECONFIGURATION DE L'AUTRE A PARTIR DU
MEME, CAR CE SERAIT LA ASSUREMENT SA PERTE, MAIS LA RECONNAISSANCE
FASCINEE DE SA DISTANCE.
Le travail de tout anthropologue est une médiation sur l'identité et la différence. Et Kilani de citer
Marie-Jeanne Borel:" L'Autre qui parle et pense, mon objet donc, ne parle ni ne pense comme moi.
Sinon ce ne serait pas mon objet. Mais je dois bien parler, penser comme lui, puisque je dis et pense
quelque chose, censé vrai, de ce qu'il dit ou pense. Sinon ce ne serait pas mon objet... ni le sien non
plus. Que pourrais-je bien rapporter à son sujet? Sans ce jeu de différence et d'identification il n'y
aurait pas de science de cela même qu'on veut connaître."
B) Traduction et connaissance: l'invention du possible
Discourir en anthropolgie rime toujours avec traduire. L'important est d'assurer le passage de la
culture indigène à la culture de l'observateur et du lecteur. La traduction n'est pas l'assimilation de
l'autre à soi, mais appréciation de distance entre soi et l'autre. Traduire ne veut pas dire "une simple
refonte de la façon dont les autres présentent les choses afin de les présenter en termes qui sont les
nôtres, mais une démonstration de la logique de leur présentation selon nos propres manière s de
nous exprimer." IL FAUT CONCEVOIR LA TRADUCTION NON EN TERME
D'EQUIVALENCE STRUCTURALE, MAIS PLUTOT DE FACON DYNAMIQUE, EN
TERMES D'INTERACTION ENTRE LES DIFFERENTS INTERLOCUTEURS D'UNE
SITUATION.
L'anthropologie ne dit pas que l'autre est égal à moi, mais plutôt que je ne suis pas l'autre et que je
me comprends en relation avec l'autre comme mon autre possible, par comparaison et par
différence... à travers l'invention de l'autre, justement, et selon une conception contrastante, non
symétrique, de l'identité. (Mondher Kilani).
Inventer l'autre, c'est se comprendre soi-même comme vivant dans un monde dont on peut, par
contraste avec celui de l'autre, dessiner les contours.
C) Expérience et écriture de l'altérité
L'anthropologue est historiquement et culturellement situé par les questions qu'il pose à son terrain
et par la manière dont il cherche à comprendre le monde, de la même façon que les réponses
données par les informateurs résultent elles-mêmes d'interprétations médiatisées par leur culture et
leur histoire.
D) Symétrie et réflexivité dans le discours anthropologique
Il ne consiste pas à poser a priori Eux et Nous comme égaux, mais questionner l'observateur dans la
manière de construire sa relation à l'autre, à l'observé. Kilani insiste sur le fait qu'iil "faudrait
réinventer une nouvelle forme de holisme qui ne soit plus conçue, comme on l'a fait jusqu'ici, en
terme de totalité culturelle juxtaposant des éléments épars, mais en terme de relation entre les
éléments, comme un espace global dont l'anthropologue fait partie. Relevant de l'espace partagé de
l'expérience de terrain, le tout n'est plus vu de l'extérieur, il est expérimenté de l'intérieur dans le
dessein d'en apprendre comment les gens construisent, changent et réadaptent leurs propres espaces
sociaux."
E) L'universalisme hiérarchique
C'est toujours à partir d'un lieu culturel que l'anthropologue projette l'universalisable. Mais il faut se
rendre attentif sur la dichotomie qui existe entre la Déclaration universelle des droits de l'homme qui
prêche l'égalité entre les hommes et l'uité du genre humain et la propoension universelle
universellement partagée par les cultures de séparer le Nous du Eux et d'affirmer que les hommes
sont membres de différentes espèces. Etablir des distinctions sociales et affirmer des relations non
égalitaires entre les hommes, les cultures, est l'attitude la mieux partagée par toutes les sociétés.
Durant l'époque médiévale, la découverte et le désir de l'autre ont été marques par la fascination de la
nouveauté et par son inscription dans l'extraordinaire, la bizzarerie, voire l'anomalie et la
monstruosité. Le voyageur de la Renaissance découvrait sur son chemin des femmes et des hommes
nus, des cannibales féroces et d'étranges créatures hybrides. La frontière entre lui et le sauvage ne
pouvait être aussi grande. Au Moyen-Age et à la Renaissance, la frontière entre Eux et Nous était
représenté par une ligne qui séparait la culture et la nature, l'homme et le monstre, le chrétien et
l'idolâtre.
Aux 19 et 20èmes siècles, lorsque le sauvage fut intégré à la généalogie de l'homme blanc et
considéré enfin comme un animal historique, il ne le fut qu'à titre d'une variante distante dans le
temps, qu'à titre de fossile vivant, d'un signe originel. Eux n'ont été incorporés dans l'histoire
universelle que pour être projetés dans la distance historique et sociale, et être assimilés à notre
propre passé. Dans la perspective moderne, l'Autre est ainsi un Nous différe.
Ce problème de frontières et de définition de la catégorie de l'étranger, auquel doit faire face le
discours anthropologique, est donc d'abord un problème idéologique avant d'être un problème
scientifique. Il relève avant tout d'une représentation sociale. Autrement dit, le civilisé, l'Européen, ou
plus généralement l'observateur de la société dominante, produit, par écart, l'idée du sauvage, du non-
civilisé, ou du primitif. C'est ainsi que l'anthropologue qui se contente d'affirmer que l'Autre est
semblable à moi occulte en même temps la différence culturelle la différence culturelle qu'il est bien
obligé de lui reconnaître par ailleurs et qui est au fondement même de son projet. Dès lors, la
promesse universaliste d'une humanité unifiée à égale et la profession de foi relativiste de l'égalité
entre la différence apparaissent comme fallacieuse dans leur principe même. Les deux font fi du
principe hiérarchique qui ordonne toujours entre eux les éléments constituant le tout et qui intrduit
l'asymétire.
F) L'exclusion des femmes ou les charmes du Nous masculin
L'universalisme est à l'origine d'un savoir global sur l'humanité.
G) La culture et la société: espaces de négociations et structures d'action
Il faut se défaire de la conception supra-organique de la culture, comme une réalité surplombant les
acteurs sociaux et guidant leurs actions. La culture est cette instance qui fournit les moyens de ces
interprétations que les gens partagent en commun. Cette nouvelle orientation valorise l'acteur comme
sujet et le chercheur comme interprète de l'autre. Le chercheur ne peut plus considérer son objet
comme quelque chose de déjà donné, mais il doit le construire dans le cadre des relations qui lient
les acteurs sociaux entre eux avec le chercheur.
La culture comme l'identité culturelle sont des lieux de négociations en effervescence continue,
comme ces espaces inscrits aussi bien dans l'histoire des acteurs sociaux que dans la temporalité qui
li l'observateur à ce qu'il enregistre.
2
Décrire ou évoquer?
Sur le mode de représentation en anthropologie
A) Crise de la représentation et représentation de la crise en anthropologie
La discipline traverse une période de crise que l'on peut résumer en ces termes: Peut-elle encore
prétendre représenter positivement la réalité de l'autre; ou au contraire ne doit-elle pas se contenter
de l'évoquer dans la reconstruction d'une expérience de soi?
B) Du terrain au texte ou la distance de l'écriture
Toute enquête ne peut se détacher d'une narration personnelle (écho du témoin). L'anthropologue
procède à la transfomration et au rapatriement de ses objets, sous la forme d'entités descriptives,
capables de les donner à lire et à voir à un public lointain, comme s'il y était. Le travail
anthropologique appartient à une double temporalité: le temps du terrain et le temps de l'écriture.
C) Savoir local, savoir global: sur la nature du savoir anthropologique
Le savoir anthropologique vise à extraire les données de leur temporalité pour les rapporter au
présent de la science et du lecteur occidental auquel il s'adresse en priorité (asymétrie entre pouvoir
local et pouvoir local car rencontre inégalitaire entre un centre et une périphérie).
D) Universalisme, comparaison, hiérarchie dans le discours anthropologique
C'est sur le socle d'une raison taxinomique, apparue en Europe au 18ème, que repose l'universalité
de la démarche anthropologique. Soutenu par une raison classificatoire qui répartit les diverses
humanités et les diverses temporalités selon la même échelle de ressemblance et de différences, le
travail de l'anthropologie consiste à rapporte les contenus empiriques observés à la positivité
historique du sujet observant.
Les anthropologues ont fait de la différence une vertu méthodologique, la fameuse règle de la
distanciation-dépaysement, dont ils n'ont jamais véritablement interrogé la nature ni la portée.
Pourtant, toute la question du fonement du discours anthropologique réside dans cette interrogation.
La comparaison que mène l'anthropologie ne peut se résumer à la dichotomie Eux et Nous. Elle est
entre Eux et Nous qui parlons d'Eux (Le paysan est plus parlé qu'il ne parle). La véritable nature du
travail anthropologique est un effort continuel d'explication et de distanciation par rapport aux
conditions mêmes de son existence.
Selon Kilani l'anthropologie n'est pas seulement le prétexte à une oeuvre littéraire ou à une
affirmation de soi, mais aussi à une discipline qui ne cesse de nous faire penser qu'il existe quelque
chose de réel, quelque chose d'important qu'on peut interroger et décrire. Sinon, serions-nous là
pour en débattre avec autant de passion?
3
Terrain, culture, texte.
Sur la construction de l'objet
anthropologique
A) Ce que le travail anthropologique veut dire
Tout d'abord, l'anthropologue possède un terrain choisi. Il y fait un apprentissage d'une culture, d'un
mode de pensée. Au temps du terrain succède le temps de l'écriture qui est une communication de
l'expérience des membres de la société dans laquelle le chercheur a vécu.
Il faut récuser l'idée qu'il y aurait une réalité - un terrain - qui existerait indépendamment du travail
de l'anthropologue et que le précèderait. Le terrain n'est pas une entité déjà là qui attend la
découverte et l'exploration.
La connaissance anthropologique est un travail de médiation sur la distance et la différence, et ce
travail commence tout de suite sur le terrain. Autrement dit, le terrain s'organise d'abord et
essentiellement comme un travail symbolique de construction de sens, dans le cadre d'une
interaction discursive, d'une négociation des points de vue entre l'anthropologue et ses informateurs.
B) Le terrain comme construction sémiotique ou la sémiotique du terrain
Le terrain sert à désigner aussi bien l'objet de recherche que le lieu où s'effectue cette recherche. Son
expérience garantit que la vérité se trouve dans le texte ethnographique (établissement d'un rapport à
l'autre) (attention de ne pas confondre objet à voir et acte de voir).
Kilani s'appuie sur l'exemple de Jeanne Favret-Saada pour dire que ce qui prime, c'est la
participation de l'anthroplogue à un ensemble d'actes communicatifs réglés, à un réseau
d'énonciation dans lequel on lui assigne une ou plusieurs positions (mettre l'anthropologue au défi
de dévoiler son identité..)
C) Le texte comme construction rhétorique ou la rhétorique du texte
La monographie est une analyse intensive et synthétique de la vie ordinaire, enregistrée par
l'anthropologue dans la langue indigène, durant un assez long séjour. Elle construit l'image unifiée
d'un anthropologue en symbiose avec une culture et des gens.
D) La fiction de la totalité ou l'ethnographie comme fiction
La monogrpahie doit créer chez le lecteur un sens de la totalité et de l'ordre.
Dans l'anthropologie d'hier, la conscience des risques d'une rapide extinction culturelle a fourni
l'élan et la justification à l'entreprise d'archivage des sociétés exotiques, à l'effort monographique par
conséquent. Aujourd'hui, le propos de l'anthropologie est plutôt de documenter minutieusement les
résistances, de raconter comment la tradition et l'identité ethnique se maintiennent ou se réélaborent,
comment des détournements de la logique dominante s'effectuent.
E) De la fiction à la connaissance
Si l'anthropologie est un dialogue, une méditation entre soi et l'autre, elle est aussi assurément une
volonté de connaissance et une intention méthodologique. Quelque chose existe avant qu'on ne
parle, quelque chose de la réalité de l'autre que l'on peut comprendre et interpréter et que l'on doit
rappoter au public d'ici.
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