1 LE CONTRAT DE LEASING ET LES PACTES COMMISSOIRES EXPRES ETENDU Par Madame M.T. KENGE NGOMBA TSHILOMBAYI Professeur à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa 2 Introduction Le droit positif congolais ne définit pas le contrat de leasing plus qu'il ne l'organise. Nous verrons d’abord qu’en tant que contrat, il peut être conclu par les parties en droit congolais (I), ensuite la définition et le régime juridique (II) et enfin la possibilité de l’introduction des pactes commissoires exprès dans ces contrats (III). I. DE LA LEGALITE DU CONTRAT LEASING EN DROIT CONGOLAIS DE D'après l'article 1er, du Livre III, du Code Civil Congolais « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres, à faire ou ne pas faire quelque chose ». Il résulte de cette définition que la volonté des individus ne peut faire une obligation que si elle prend la forme d'une (convention) d'un accord entre deux personnes : la personne qui s'oblige (le débiteur) et la personne envers laquelle le débiteur s'oblige (le créancier). Aux termes de l'article 33 alinéa 1 « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». C'est le principe de l'autonomie de la volonté qui procède d'une théorie de philosophie juridique suivant laquelle la volonté humaine est à elle-même sa propre loi, se crée sa propre obligation. Ce principe qui domine toute la réglementation des contrats dans le code comporte deux conséquences essentielles, à savoir que : - les particuliers peuvent faire tous les contrats qu'ils veulent et en régler librement les effets. Ils peuvent en déterminer le contenu et les variétés qu'ils désirent. C'est la liberté contractuelle. - les contractants sont liés de par leurs stipulations, comme par la loi. Aussi, le débiteur ne peut se dédire de son obligation. De plus, pour qu'une convention puisse être révoquée, il faut le consentement de toutes les parties. C'est le principe de la force obligatoire du contrat. 3 « Tiennent lieu de loi » signifie que chaque contractant est lié par le contrat comme il le serait si son obligation lui était imposée par la loi. Ceci implique que chaque contractant est tenu d'exécuter sa prestation sous peine d'y être contraint par la force publique. Si l'exécution directe n'est pas possible, il sera condamné à des dommages intérêts représentant le préjudice que l'inexécution cause au créancier. II. DEFINITION ET REGIME JURIDIQUE II. Définition et règles particulières du contrat de leasing Le droit positif congolais ne définit pas le contrat de leasing plus qu'il ne l'organise. 1. Définition du leasing La définition sera dégagée à partir du droit comparé. En droit français, le législateur définit le crédit bail comme une opération de location de biens d'équipement ou de matériel d'outillage acheté en vue de cette location par les entreprises qui en demeurent propriétaire et lorsque ces opérations quelle que soit leur qualification donnent au locataire la possibilité d'acquérir tout ou partie, les biens loués, moyennant un prix convenu tenant compte au moins pour partie des versements effectués à titre de loyers(Ordonnance n°67/837 du 28 septembre 1967 modifiant et complétant par la loi du 02 juillet 1968). Ainsi, trois personnes interviennent dans l’opération : Le fournisseur ou (un entrepreneur) qui vend le bien au crédit bailleur, un bien dés fois choisit par le preneur lui-même Le crédit-bailleur qui achète le bien désigné et le donne en location au preneur Le preneur 2. Régime juridique du contrat de leasing Selon l'article 7 du code civil, livre III, « Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils n’en n’aient pas, sont soumis à des règles générales qui sont l’objet du présent titre. 4 Les règles particulières à certains contrats sont établies sous les titres relatifs à chacun d'eux ». Le leasing est soumis aux règles générales du code civil, livre III sur les contrats. Le régime juridique s’articulera autour : − − − des parties et exécution du contrat des biens baillés des options liées à la fin du contrat. 2.1. Les parties au contrat de leasing et exécution des obligations L e c o n t r a t d e l e a s i n g e s t u n c o n t r a t synallagmatique mettant en relation le locataire d'une part et le bailleur du bien donné en leasing d'autre part, encore que les parties doivent bien entendu avoir la capacité de contracter. Suivant l'article 2 du LIII du code Civil Congolais « le contrat est synallagmatique ou bilatéral, lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres ». Dans ce contrat, chaque partie doit effectuer pour l'autre une certaine prestation. L'obligation de l'un a pour contrepartie, l'obligation de l'autre. La société de crédit-bail assume les obligations classiques du bailleur c’est-à-dire livrer la chose et garantir le preneur contre son fait personnel. Le preneur assume les obligations de tout locataire à savoir utiliser la chose conformément à sa destination contractuelle, assurer son entretien régulier et payer le loyer convenu. 2.2. Les biens baillés Ce sont en fait tous objets se situant dans le commerce, qu'ils soient meubles ou immeubles ayant le caractère de bien d'équipement. 2.3. La durée de l'opération Il faut admettre à ce sujet que la durée de l'opération est limitée ; mais le plus important est que cette durée soit inférieure à la durée de la vie é c o n o m i q u e d u b i e n l o u é , c ' e s t - à -d i r e , c o ï n c i d a n t a ve c s a d u r é e d'amortissement. Bien plus, c'est un contrat à exécution successive. Il comprend une période de location irrévocable durant laquelle le contrat ne peut être dénoncé par les parties, sauf le non respect d'une des clauses contractuelles telles que, à titre limitatif et non exhaustif la non livraison de la chose où le non paiement 5 du loyer. Ainsi, le paiement du loyer étant une clause d'exécution successive, il est payable mensuellement ou trimestriellement suivant l'accord des parties. pendant la durée du contrat, le matériel loué doit être entretenu. De façon générale, le prix de la location doit être fixé de manière à amortir la valeur du bien donné en bail sur la période de la location déterminée au contrat. Il faut noter que le bien demeure propriété de la société de leasing. Le principe selon lequel « en fait des meubles possession vaut titre »ne s'applique pas dans le cas où la possession est motivée par l'existence d'un contrat de leasing. L'utilisateur doit apposer sur le matériel loué une étiquette afin d'aviser les tiers et particulièrement ses créanciers de la situation juridique de ce matériel de sorte que ce matériel ne soit pas compté dans le patrimoine de l'entreprise. 2.4. Les options liées à la fin du contrat A la fin du contrat, trois possibilités s'offrent au locataire : − la restitution de la chose à l'organisme de crédit qui en est le propriétaire ; − la conclusion d'un nouveau contrat de location moyennant une redevance moins élevée ; − - la levée de l'option de l'achat qui lui est accordée par le contrat et l'acquisition de la chose louée pour sa valeur résiduelle elle-même déterminée par les conditions particulières du contrat. III. DE L’INTRODUCTION DES PACTES COMMISSOIRES DANS LE CONTRAT DE LEASING 1. Position du problème Comme on le remarque, sur le plan économique, le crédit-bail est une opération de crédit, mais juridiquement, il prend la forme d’un contrat de 6 location financière appelé contrat de leasing. C’est pour cette raison qu’il faut protéger le crédit-bailleur, qui investit, contre certains aspects juridiques de droit commun des contrats car le crédit-bail tient à la fois du crédit de financement et du contrat de location. Il s’agira notamment des aspects relatifs au recours obligatoire au juge en cas d’absence de clauses contraires lorsque le preneur n’arrive plus à exécuter ses obligations et cela pour obtenir la résolution ou résiliation du contrat. En effet, Il ressort de l'article 82 du Code Civil Congolais, LIII que Les contrats synallagmatiques sont conclus sous condition résolutoire tacite. Cet article dispose : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour les cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle le contrat n’a point été exécuté, a le choix, ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. » Ainsi, il y a: L’ obligation de ne faire prononcer la résolution que par le juge La soumission au pouvoir d’appréciation du juge quant à la prononciation de la résolution La soumission au pouvoir du juge d’accorder des délais de grâce. Tout ceci ne protège pas le crédit-bailleur qui évolue dans un monde de célérité des affaires et qui doit pouvoir protéger le bien qu’il ait donné en crédit-bail et le récupérer sans délai. En outre, si le preneur décidait de remettre le bien, il doit le restituer en bon état : les longues procédures judiciaires et le pouvoirs souverains du juges peuvent prolonger les délais de mauvaise utilisation. 2. Solution : étendu pacte commissoire exprès a. Résiliation de plein droit en droit 7 comparé En droit français, selon l'article 1737 du Code Civil, la fin du contrat de leasing intervient de plein droit et sans qu'il soit nécessaire de donner congé à l'expiration de la durée pour laquelle, il a été prévu. Le bail prend en outre fin pour d'autres causes très diverses notamment la destruction de la chose louée et l'inexécution de ses engagements par l'une ou l'autre des parties. La seconde cause implique un désaccord entre les parties, auquel cas la réalisation de la restitution du matériel qui devrait avoir lieu immédiatement peut poser problème. b. Consécration conventionnelle de la résolution de plein droit dans le contrat de leasing en droit congolais 1. Notion et portée commissoire exprès du pacte L’article 82 du code civil, livre III n'étant pas d'ordre public, il est de doctrine et de jurisprudence constantes que les parties peuvent y déroger et insérer dans leur contrat une clause expresse. En effet, les parties peuvent retirer le caractère judiciaire de la résolution et rendre celle-ci plus ou moins automatique. Ainsi, les parties peuvent prévoir et réglementer elles-mêmes l’éventualité de l’anéantissement du contrat pour inexécution, dans une clause résolutoire qu’on appelle « pacte commissoire exprès ». Ce pacte commissoire express peut être simple ou étendu. • Le pacte commissoire express simple se contente de stipuler sans plus que le contrat sera résolu de plein droit à défaut par l'une des parties de remplir ses obligations. o Le pouvoir d'appréciation du juge quant à la gravité du manquement commis par l'une des parties et quant à la possibilité d'accorder des délais pour l'exécution de l'obligation est supprimé. o Dès qu'il y a inexécution, la résolution intervient de plein droit et le juge est tenu de la prononcer. o Son intervention ne peut avoir lieu qu'en cas de contestation : savoir par exemple si l'inexécution est réalisée ou pas ; savoir 8 si l'invocation du cas fortuit est fondée ou pas ; sur ces éléments le juge conserve son pouvoir d'appréciation. Mais dès que les conditions d'application de l'article 82 sont réunies (mise en demeure, inexécution), la résolution intervient de plein droit. o En conséquence Le juge se contente de prononcer la résolution. Celle-ci doit donc être prononcée en justice. Mais, il ne lui appartient pas de l'accorder ou de ne pas l'accorder. Il est tenu de la prononcer. L'obligation de la mise en demeure se maintient. En effet, malgré ce pacte, le créancier, reste donc libre de poursuivre la résolution ou de demander l'exécution au débiteur, car le pacte commissoire express simple est fait à son profit. C'est seulement quant il demande la résolution que le juge est obligé de la prononcer. C'est-à-dire que le débiteur n'est pas fondé à invoquer sa propre inexécution pour obtenir sur la base du pacte, la résolution du contrat et donc sa libération totale. Ce serait un moyen trop commode pour lui de se soustraire à son engagement. • Le pacte commissoire express étendu, les parties sont encore plus explicites et facilitent d'avantage les conditions d'application de la résolution. Ici en effet, les parties stipulent qu'en cas d'inexécution, le contrat sera résolu de plein droit, sans sommation ni autre formalité. En conséquence o L’article 82 est entièrement écarté ; o L'obligation de la mise en demeure tombe ; o Le recours aux tribunaux est écarté ; o Si les tribunaux interviennent, c’est non pour prononcer la résolution mais pour la constater et prononcer les condamnations qui s'imposent telles que prévues par l’accord des parties. o Il a été jugé à cet effet que « le pacte commissoire… peut également avoir pour objet de déroger à ce texte(article 82 9 CCLIII) et d’entraîner la résolution du contrat de plein droit, soit en suite d’une manifestation de volonté du créancier, soit même sans mise en demeure ou sommation par le seul jeu de l’avènement de la condition. (Elis., 13 juin 1914, Jur. Col., 1925, p. 182 ; Léo., 19 septembre 1933, in R.J.C.B. 1933, p. 250). En cas de pacte commissoire exprès, la manifestation de la volonté de résoudre le contrat suffit, sans mise en demeure préalable ou commandement préalable (Léo, 22 janvier 1929, Jur. Col., 19301931). 3. Fondement de l’introduction des pactes commissoires dans le contrat de leasing − L’absence de caractère d’ordre public de l’article 82 du code civil, livre III : l’article 82 susvisé n’est pas d’ordre public et il est admis que les parties peuvent y déroger. − L’antécédent légal : Ce genre de pacte commissoire exprès est des fois prévue par la loi elle-même pour certains contrats et ce ne sera pas une innovation quand ’il s’agit souvent des affaires commerciales qui aspirent à une particulière célérité ou d’opérations portant sur des denrées périssables qui s’accordent mal au recours à la justice. En effet, l’article 334 du code civil, livre III dispose : « En matière de vente de denrées et effets mobiliers, la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation au profit du vendeur, après l’expiration du terme convenu pour le retirement. » A propos de cet article, il a été jugé « que cet article crée en cette matière une condition résolutoire tacite qui opère, en vertu de la loi, par la seule échéance du terme ». (Cour d’Appel d’Elisabethville, 09 janvier 1915, Jur. Col. 1925, p. 312).Dans ce cas, l’article 82du code civil, livre III est entièrement écarté : il n’ y a ni mise en demeure ni recours au tribunal. − La liberté contractuelle : Le code civil, livre III permet aux parties de conclure librement les contrats et d’y insérer les clauses. En effet, l'article 33 alinéa 2 du CCLIII stipule que « les conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties. C'est dire que les contrats conclus par les parties restent irrévocables pour elles tant qu'elles n'ont pas été amenées à en modifier les éléments par un nouvel accord des volontés. Ainsi : 10 De même qu'une loi ne peut être abrogée que par une autre loi, de même, les parties restent liées par leur contrat jusqu'à ce qu'un nouvel accord entre elles viennent détruire le premier L'article 33 alinéa 3 ajoute que « les parties doivent les exécuter de bonne fol ».Ceci signifie que les parties doivent faire montre de loyauté lorsqu'elles ont volontairement conclu. − La force obligatoire du contrat à l’égard du juge : les clauses du contrat s’impose au juge une fois les parties les ont insérées au contrat. Ainsi, le contrat s'impose au juge en ce sens qu'il est obligé d'appliquer le contrat tel qu'il a été voulu par les parties. Il n'a pas le droit d'en modifier les clauses valables sous aucun prétexte (par exemple que ces clauses seraient contraires à l'équité). Cette force obligatoire s'impose tellement au juge que la Cour Suprême de Justice a décidé que « la convention avenue entre parties faisant la loi qui les régit, dans l'interprétation et l'exécution de leurs obligations, l'arrêt qui méconnaît ce principe prévu à l'article 33 doit être cassé sur ce point ». (CSJ, 3 Avril 1979, Bull arrêts 1977, p.65). EN CONCLUSION Pour éviter l'implication du juge dans la résolution du contrat, il importe d'introduire dans le contrat de leasing un pacte commissoire exprès étendu. L’intérêt pratique de cette clause n’est pas à démontrer car elle permet d’éviter les inconvénients plus ou moins inhérents à l’intervention judiciaire que sont: les frais à engager, l’attente plus ou moins longue ainsi que le relatif aléa quant à l’issue de l’instance. La célérité du monde des affaires y trouvera son compte. L’objectif à atteindre étant d’assurer l’équilibre des parties au contrat de leasing: • le locataire est protégé par le caractère irrévocable de la location dont il bénéficie, les équipements ont été achetés à sa demande ; • le crédit bailleur doit pouvoir, grâce à cette clause récupérer avec le moins de difficultés possibles le bien. : ce pouvoir de 11 récupération est donc indispensable à cet équilibre du contrat. Il faut donc l’affranchir de toute lourdeur judiciaire et de toute intervention du juge qui peut être va se trouver devant une nouvelle matière.