Éditorial
Gouverneur de la
Banque de France
La crise économique avait mon-
tré l’importance des politiques
conjoncturelles. L’après-crise pose
aujourd’hui la question de la crois-
sance de long terme, donc des ré-
formes structurelles qui peuvent la
susciter.
Pourtant le conjoncturel n’est pas
absent de nos esprits. À l’heure où
notre pays a subi un choc, celui des
événements tragiques du 13 no-
vembre 2015, dont les conséquences
pourraient aussi se mesurer au plan économique, quelle
réponse la société doit-elle apporter ? Davantage de sé-
curité, certainement, mais aussi davantage de croissance
et de cohésion sociale, gages de sécurité économique, au
moyen de politiques cohérentes.
         
mobilisation à la mesure. Elle est indispensable, et devra
actionner tous les leviers économiques disponibles, qu’ils
soient monétaires, budgétaires ou structurels, mais aussi
institutionnels. Se mobiliser pour rétablir durablement la
croissance, c’est combiner une politique conjoncturelle pour
préserver et soutenir la reprise en cours, et des réformes
structurelles pour augmenter le potentiel de croissance.
Sur le plan conjoncturel, l’outil monétaire est nécessaire. Il
est déjà largement exploité, ce qui permet aux entreprises

que l’Europe ait connues, avec des crédits à taux bas, y
compris sur des durées longues. C’est important car con-
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à court terme la croissance et l’emploi, mais aussi per-

d’innovation qui créeront la croissance de demain. Des
travaux comme ceux de Philippe Aghion ont montré que
l’innovation ne dépendait pas seulement des politiques
de long terme mais aussi du conjoncturel. Ainsi les en-
        
réduisent immédiatement leurs dépenses de recherche et
       -
ment néfastes à long terme.
La mobilisation, c’est ma conviction, doit être globale. Elle
ne saurait être uniquement monétaire. L’outil monétaire
fait déjà beaucoup ; il ne peut pourtant pas tout.
Sur les plans structurel et prudentiel, des outils sont mobi-
lisables. La politique monétaire, par exemple, n’améliorera
-
prises qu’au travers des réactions du système bancaire

notamment des règles prudentielles auxquelles il est as-

augmentés de fonds propres. L’instauration possible de
coussins contracycliques de fonds propres est à cet égard
une avancée.
Les réactions dépendent aussi des réformes structurel-
les, car les rigidités de toutes sortes – rigidités des taux
d’épargne réglementés, rigidités sur le marché du travail
ou sur le marché des biens et services – freinent la crois-
sance de la sphère réelle. Les pays qui ont entrepris de
telles réformes structurelles favorisant l’innovation, y
compris dans une conjoncture défavorable – je pense en
particulier à la Suède des années 1990 et à l’Allemagne

sont compatibles avec le modèle social européen.
-

       -
tique contracyclique, soucieuse de favoriser les investisse-
ments utiles à long terme. Par exemple, les estimations de
Philippe Aghion montrent qu’une politique budgétaire

deux points par an sur la productivité du travail.
La mobilisation ne saurait non plus être seulement d’ordre
économique. Se mobiliser, c’est gagner deux cohérences :
celle des divers instruments économiques entre eux – je
l’ai souligné – mais aussi celle de l’équité et de la cohé-
sion sociales. Le débat sur les inégalités a pris d’ailleurs
une importance croissante dans les travaux économiques
ces dernières années. La mobilité intergénérationnelle est




France prend sa part à ce combat en agissant au quoti-
dien pour une plus forte inclusion bancaire, via la ga-
rantie du droit au compte, en protégeant les consomma-

          

Mobiliser tous ces leviers de façon cohérente et simul-

»
L’Association d’économie nancière (AEF)
organise un lien étroit et régulier entre les milieux
de la recherche nancière et les professionnels
de la nance, de la banque et de l’assurance.
La Lettre de l’AEF 3 janvier 2016
François Villeroy de Galhau

ASSOCIATION
D ECONOMIE
FINANCIERE
Entretien avec…
Philippe Aghion
Professeur d’économie à l’université
Harvard et titulaire de la Chaire
« Économie des institutions,
de l’innovation et de la croissance »
au Collège de France
ASSOCIATION
D ECONOMIE
FINANCIERE

Les politiques
monétaires
contracycliques
favorisent les
secteurs inno-
vants et donc la
croissance. »
2

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       
-
-
      

    
économistes considèrent que ces deux domaines ne
sont que peu liés entre eux sauf à considérer qu’il
convient de mener des politiques économiques
-
tefois surprendre et, de fait, des travaux récents1 ont
mis en évidence des liens entre volatilité macroéco-
nomique et performances à long terme
des économies. Dans un article publié
en 2010 dans le Journal of Monetary Eco-
nomics2, j’ai ainsi montré avec plusieurs
collègues que la volatilité macroécono-
mique conduit les entreprises à subir des

qui entraîne la baisse ou l’annulation
de programmes d’investissement de
productivité et donc handicape la crois-
sance future. Les pays possédant un sys-

égard les plus touchés.
-
   
      

Philippe Aghion : 
peut en avoir. Une politique monétaire contracy-


entreprises de continuer leurs investissements de
productivité. On peut même penser que, de ce fait, la
tentation de réduire ces investissements par antici-
pation d’une récession disparaîtrait du fait de l’assu-

        

   
productivité pourrait tout à fait être encouragée en
accordant aux entreprises qui investissent en R & D
     -
      
en période d’expansion. En fait, plusieurs instru-
ments sont envisageables. Il importe toutefois de
bien prendre en compte les réactions des agents
concernés et les mécanismes de transmission. Si on
prend l’exemple de la politique monétaire, il faut
tenir compte du fait que son action n’impacte les

       
changements de politique monétaire. Les aspects
de régulation du système bancaire sont
donc également déterminants. C’est
pourquoi dans mes travaux en cours3,
   
pour comprendre comment la politique
de régulation macroéconomique peut
favoriser la croissance à long terme.
     


  Mon analyse de la politique
-
       
keynésiens et libéraux.
  G. et 

The American Economic Review

  P.,  A. et
 K. (2010), « Volatility and Growth: Credit
Constraints and the Composition of Investment »,
Journal of Monetary Economics
  P. et  E. (2013), « Cyclical
Macroeconomic Policy, Financial Regulation and
Bank for international
selements
3
Les nouvelles
règles de
fonds propres, si
elles permettent
bien de limiter
les risques de
crise nancière,
peuvent avoir un
effet négatif sur
la croissance à
long terme. »
Les politiques budgétaires contracycliques
   
d’innovation de se poursuivre en dépit de la conjonc-
ture de telle façon que les économies restent sur leur
trajectoire de croissance à long terme au lieu d’en
dévier. Elles devraient donc cibler en particulier les
     
  
Cela implique bien évidemment de repenser ces


exprimer en termes structuraux.
Ce changement conduirait naturellement à repen-
-
tingue les pays menant des politiques procycliques
et contracycliques. Les résultats de nos analyses em-
piriques vont dans ce sens. En particulier, nous mon-
trons pour quinze pays industriels de l’Organisation
de Coopération et de Développement Économiques

de la productivité du travail dans l’industrie est
     
    
et tangibilité des actifs. Plus l’équilibre
budgétaire est sensible à l’écart de pro-
duction (output gap), plus la croissance de
la productivité du travail est importante
dans les secteurs les plus innovants, ceux
qui possèdent le moins d’actifs tangibles.
      


-
      

 Ici aussi, nos résul-
tats sont parfaitement clairs. Nous mon-
trons que plus les politiques monétaires
sont contracycliques, c’est-à-dire plus elles se tra-
duisent par des baisses de taux d’intérêt en période
de récession et de hausse de taux en période d’ex-
pansion, plus elles favorisent la croissance dans les

à des chocs de liquidité. Ces secteurs sont ceux qui
disposent le moins d’actifs tangibles susceptibles de
servir de garanties aux prêteurs et sont en général les

politique monétaire contracyclique doit absolument
jouer dans les deux sens. En période d’expansion
importante, il importe d’augmenter les taux d’intérêt
pour éviter une mauvaise allocation des ressources
      


 
     
        
-
     
 -

   L’entrée en application des

fonds propres, a pour objet de limiter les risques pris

viennent s’en adjoindre d’autres qui peuvent obérer
la croissance. Des ratios de fonds propres plus éle-

à une distorsion dans la distribution de crédit aux
entreprises sur fond de rationnement. Se pose éga-

monétaire contracyclique. De fait, sur la base de
comparaisons internationales, nous montrons que
l’augmentation des ratios de fonds propres impo-
        
distribution aux industries possédant le plus d’actifs
tangibles. Ceci se fait au détriment des entreprises
fortement innovantes qui en possèdent le moins. Ces
-
tique monétaire contracyclique sur ces
mêmes entreprises. Dans les deux cas,
elles conduisent à réduire le potentiel
de croissance de l’économie.
Cependant, nous montrons égale-
ment qu’une procyclicité de la distri-
bution de crédit – moins de crédit en
période de récession et plus en période
      
plus particulièrement la distribution
de crédits aux entreprises innovantes
sensibles aux chocs de liquidité. L’ins-
tauration de coussins contracycliques
de fonds propres qui vise à réduire



soutenir la croissance. Par contre, elle ne semble pas


En résumé, ces nouvelles règles de fonds propres

-
sance à long terme. On a donc ici à faire en quelque
sorte à un arbitrage macroéconomique en stabi-

l’instauration des coussins contracycliques permet

politique monétaire plus agressive.
      
-

Nous estimons que la politique

2 points par an sur la productivité du travail. Pour ce
L’innova-
tion favorise
une croissance
plus forte asso-
ciée à une plus
grande mobilité
sociale, et donc
inclusive. »
4

entre 0,5 et 1,5 point. Quant aux nouvelles mesures
de réglementation bancaire, leur impact conduirait
à redistribuer environ 2,5 points de croissance de
productivité du travail des industries possédant peu
d’actifs tangibles vers celles en détenant le plus. Cet

car il comprend les interactions entre régulation ban-
caire et politique monétaire. Ces calculs sont bien
entendu des ordres de grandeur mais s’ils doivent
être relativisés pour des raisons méthodologiques,
ils pointent malgré tout clairement la direction.

   


    
     
-
     
-

-

    -
ment un point très important et qui est
d’actualité en ce qui concerne la France. On entend
souvent dire que les politiques de réformes struc-
turelles qui visent à améliorer le fonctionnement
des marchés, en particulier le marché du travail et
celui des biens et services, ne peuvent être menées

d’aggraver la situation économique et le chômage.
Il faudrait donc les réserver aux années de vaches
grasses. Ce raisonnement est dangereux car ces ré-
formes indispensables à la croissance à long terme
de l’économie, et donc in ne au bien-être des popu-
lations, pourraient ne jamais être entreprises. Mais
surtout, l’examen des pays menant avec constance
les politiques de réformes structurelles, quel que soit
le cycle économique, nous montre au contraire leur
complémentarité. L’exemple de la Suède est à ce titre
particulièrement riche d’enseignements. À partir des
années 1990, ce pays a engagé des réformes du mar-
ché du travail et des biens et services en favorisant
délibérément l’innovation, un cap qu’il maintient


L’économie suédoise est redevenue performante et

Mais nous touchons ici à un point important qui
sort du strict champ de l’économie pour entrer dans
le champ de l’économie politique au sens large. En
Suède, ces réformes et leur application font l’ob-
jet d’un consensus politique. En France, il semble
qu’un tel consensus soit hors de portée, comme le





-
      

-
-
     -

   Mes travaux
     -
ner et de relativiser ce débat. En deux
mots, qu’observons-nous ? D’abord,
les comparaisons internationales nous
montrent que les pays dans lesquels
on observe les plus grandes disparités
de revenus (États-Unis, Royaume-Uni,
Italie, France…) sont aussi ceux dans
lesquels la mobilité intergénérationnelle
est la plus faible. Donc ce sont les pays
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la plus déterminante pour les enfants, ce qui consti-
tue un indice de l’importance des rentes. Autre ensei-
gnement, dans les pays à forte croissance et innova-
tion, l’écart entre les 1 % des personnes aux revenus
les plus élevés et les autres se creuse. En revanche,
les écarts de revenus dans le reste de la population
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entre innovation et mobilité sociale, lié au processus
de destruction créatrice, c’est-à-dire le fait que les
dernières innovations rendent les innovations précé-
        
innovateurs étaient fortement récompensés (par des
rentes temporaires, qui diminuent au cours du temps
à cause de l’imitation et de la destruction créatrice)
mais sans que l’inégalité au sens large augmente. Au
total, l’innovation génère une croissance plus forte
associée à une plus grande mobilité sociale. Les poli-
tiques de croissance orientées sur l’innovation per-
-
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Cet entretien a été réalisé suite à l’intervention
de Philippe Aghion au symposium organisé par
l’Association d’économie nancière, à la Banque de
France, le 25 septembre 2015.
5
Actualités 
Revue d’économie nancière
L’importance prise par les pays émergents dans
les échanges mondiaux de marchandises depuis
une trentaine d’années a transformé le système
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considérables se déplacent entre pays développés
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Les déséquilibres de balances des paiements ont
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les politiques monétaires menées par les banques
centrales depuis 2009, et en particulier aux États-
Unis, ont alimenté les craintes d’une guerre des
monnaies.
Alors que le grand jeu des devises est en pleine
évolution, la Revue d’économie nancière entend
dresser un état des lieux de la situation actuelle
et avancer des solutions. Le dollar est-il menacé ?
Quels sont les rapports de force ? Quels sont les ar-
rangements institutionnels capables d’assurer une
-
tions sur lesquelles se sont penchés les auteurs,
universitaires, banquiers et hauts fonctionnaires.
En plus de ce thème principal, ce numéro pro-

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qui pose la question de la crédibilité des banques
centrales suite à leurs nouvelles pratiques induites
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Rapport moral sur l’argent dans le monde
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Le Rapport moral sur l’argent dans le monde fournit chaque année une large
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modèles et de nouveaux comportements. Ainsi l’ubérisation et, plus géné-
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breuses activités, et la responsabilité écologique est intégrée dans grand
nombre de démarches. Les initiatives se développent et sont de nature à
transformer les modèles d’entreprises : ntech, économie sociale et solidaire.
Les critères de l’investissement responsable et la prise en compte de leur
impact social se généralisent chez de nombreux acteurs, tant en France qu’à
l’étranger.
Ces évolutions porteuses de progrès interviennent paradoxalement
dans un contexte plus noir, celui du terrorisme, dont l’existence constitue
-
cement mais aussi par son impact, ainsi qu’en raison des impératifs de la
prévention.
Une conférence sera organisée par l’AEF lors de la parution de cet ouvrage.
Rapport Moral sur l’Argent dans le Monde
2015-2016
TITRE À VENIR
TEXTE À VENIR
Rapport Moral sur
l’Argent dans le Monde
2015-2016
PROGRÈS ET TENSIONS
Nouveaux modèles d’entreprise
Don – Partage
Investissement à impact social
Terrorisme
GRP : rapport⊕moral JOB : RM15⊕pgspeciales DIV : 01⊕couv⊕exterieure p. 1 folio : 1 --- 26/11/015 --- 15H44
Rapport Moral sur l’Argent dans le Monde
2015-2016
©Images.com/Getty Images :
Tech handshake.
Ce rapport annuel est
réalisé par l’Association
d’économie financière,
avec le soutien
de la Caisse des Dépôts.
Prix : 31 A
ISBN 978-2-916920-85-6
9
782916 920856
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