
France : quel impact de la
crise en Russie ?
Axelle LACAN
axelle.lacan@credit-agricole-sa.fr
Tania SOLLOGOUB
tania.sollogoub@credit-agricole-sa.fr
Le grand projet eurasien de Vladimir Poutine
Confronté à ce danger, « l’ex-nouveau prési-
dent » Poutine opte en 2013 pour une stratégie
de capitalisme d’État. Cela se traduit par une
affirmation de l’État dans tous les secteurs
stratégiques, mais aussi par un projet de société
conservateur et un retour de thèmes nationalistes,
autour d’une ambition géopolitique eurasienne –
que la révolution pro-européenne de l’Ukraine va
cependant faire avorter.
Tandis qu’elle s’affirme dans la sphère politique,
cette stratégie est un échec économique, car elle
ne réussit pas à stimuler l’investissement, contraint
par une corruption qui n’a cessé de s’accroître, y
compris dans les périodes de croissance.
L’accélération de la crise fin 2014…
La crise ukrainienne et la chute du pétrole
arrivent donc dans un contexte de stagnation
de la croissance qui s’annonçait durable. Elles
font basculer la Russie dans la récession en la
privant des deux principaux moteurs d’activité : la
consommation des ménages (frappée par les
sanctions qui assèchent le crédit bancaire) et la
contraction en valeur des exportations. À cela
s’ajoute la crise géopolitique dont l’impact sera
sans doute profond sur les comportements d’in-
vestissement : Dans ce contexte, les sorties de
capitaux atteignent des niveaux records (152 Mds
USD en 2014), le rouble chute et les spreads
souverains s’écartent. La Banque centrale aug-
mente les taux et dépense en vain 76 Mds USD
pour stabiliser le rouble. Elle finit par abandonner
l’ancrage du change. Début 2015, la perte du
statut investment grade (Standard, puis Moody’s)
ne fait qu’accentuer cette volatilité monétaire.
… Et pour 2015 : la stagflation
Les conséquences de la crise du change (et de
l’embargo sur les importations alimentaires)
sont rapides sur l’inflation (16,6% en février
dernier) et sur la croissance : la récession devrait
se situer entre -3 et -5% cette année, et tous les
secteurs confrontés au retournement de la
consommation seront particulièrement touchés.
Les banques, frappées de plein fouet par les
sanctions occidentales, sont très fragiles et dépen-
dantes de l’aide de la Banque centrale. Mais
surtout, le dilemme de la stagflation complique la
tâche de la Banque centrale (des taux élevés pour
défendre la sphère monétaire, mais qui cassent
l’activité…). Seules bonnes nouvelles, l’excédent
courant augmente et la dette extérieure diminue.
L’État affiche aussi sa volonté d’aider les
entreprises et banques systémiques, en faisant
appel à ses fonds souverains. En fait, il s’apprête à
nationaliser et à monétiser une partie de la dette
privée, ce qui laisse penser que l’environnement
inflationniste va être durable (surtout dans un
contexte d’insuffisantes capacités de production).
Moscou a-t’il les moyens d’une telle politique ?
Oui, car les réserves de change restent impor-
tantes (385 Mds USD), notamment au regard de la
dette à court terme. Le profil souverain russe n’est
certes plus investment grade, mais il n’est pas
encore menaçant, d’autant que la dette publique
reste inférieure à 15%. La Russie est donc très
fragile, mais n’est pas dans la situation de risque
de solvabilité des années 1990.
Et ensuite ? La grande glaciation ?
En bref, Moscou peut donc vivre sous sanc-
tion, mais mal. Après la phase de récession (sous
réserve du prix du pétrole et d’une stabilisation de
la situation géopolitique à terme), la Russie
retrouvera la mécanique qui l’a conduit à la stag-
nation : en effet, le gouvernement ne semble pas
en mesure de proposer un programme de réfor-
mes structurelles qui puissent relancer l’inves-
tissement, d’autant que la stratégie économique
est aujourd’hui dominée par des considérations
politiques (la composition des dépenses budgétai-
res en témoigne, orientée autour des dépenses
sociales et militaires).
La crise a évidemment de grandes implications
politiques. Pour l’instant, la popularité du président
est au plus haut, resserrée par l’idéal nationaliste
et la sensation de forteresse assiégée. Mais il va
falloir entretenir cela et camoufler le relatif échec
du projet eurasien. Cette situation est dangereuse
pour V. Poutine et conduit à un renforcement de
l’autoritarisme. Elle change aussi le rapport de
l’État avec l’oligarchie, la liberté d’action de cette
dernière étant vouée à être réduite.
En conclusion, la crise russe a donc des impli-
cations majeures pour le pays, car elle touche à
tous les équilibres : économiques, politiques et
sociaux. Mais elle impacte aussi l’Europe, au
moins parce que la géopolitique à ses frontières de
l’Est a sans doute durablement changée.
Un effet globalement limité sur le
commerce extérieur, mais attention à
quelques segments
La crise russe aura un impact négatif sur le
commerce extérieur français. D’autant que la
situation initiale de la balance commerciale, au
sens de la balance des biens et services, est
assez défavorable. La balance des biens est
déficitaire depuis 2005. Certes, ce déficit se réduit
sur la période récente, mais ce tassement s’ex-
plique principalement par la contraction des