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Apériodique 15/67 5 mars 2015
FRANCE Quel impact de la crise en Russie ?
La crise russe se diffuse à l’économie
française via plusieurs canaux de trans-
mission, avec un impact plus ou moins
direct et donc plus ou moins immédiat sur
l’activité. Le commerce extérieur est bien
sûr affecté, via l’effet négatif sur les expor-
tations et les importations, de biens comme
de services. Les flux d’investissement
directs seraient, à l’inverse, peu impactés
par cette situation.
Un autre effet, plus insidieux, et pourtant
peut-être plus puissant, transitera par une
dégradation de la confiance et un attentisme
plus marqué des agents.
Enfin, n’oublions pas qu’à défaut d’en être
l’origine, la baisse du prix du pétrole a joué
un rôle d’accélérateur dans la crise russe.
Ce repli des prix du Brent a un effet
favorable sur l’activité française, qui transite
par un effet positif à la fois sur le pouvoir
d’achat des ménages et sur les marges des
entreprises.
Que peut-on esrer pour la Russie ?
Les origines de la crise
La brutalité de la crise économique russe est
liée aux chocs externes (géopolitique et prix du
pétrole), mais ceux-ci ont surtout amplifié une
mécanique de ralentissement de la croissance,
dont les causes sont dans le modèle de
croissance lui-même : cette économie souffre
d’une insuffisance de capacités de production,
liée à un déficit d’investissements.
Après 2009, la Russie ne retrouve pas les niveaux
de croissance qu’elle avait avant la crise. Par
ailleurs, la principale composante du PIB reste la
consommation des ménages (dont ont profi
beaucoup d’investisseurs, dans l’automobile ou la
grande distribution, par exemple), soutenue par
une forte progression des salaires réels. Tout
concourt alors à cette hausse des revenus : le
crédit, la politique sociale active de l’État
(notamment en direction des retraités), le contexte
démographique (la baisse de population explique
un taux de chômage très faible, de l’ordre de 5%),
et jusqu’à l’an dernier, la désinflation.
Cependant avec cette poussée de la consom-
mation et la hausse du PIB par habitant, la
croissance se déforme : les Russes consomment,
ils voyagent, ils importent (et l’excédent courant,
logique pour un grand pays énergétique, ne cesse
de se contracter, signalant les premiers symptô-
mes d’une « maladie hollandaise »). Mais les
Russes n’investissent pas assez, et surtout dans
les infrastructures. Cela conduit à une dégradation
de la compétitivité et peu à peu, de la croissance
potentielle, ramenée à 1,3%. Les niveaux de
productivité sont à 40% de ceux des États-Unis, et
la Russie est donc installée dans une économie de
rente, bien plus que dans un processus de
transition. Le ralentissement de la croissance
devient flagrant en 2012, et cela entraîne une
perte de popularité de Vladimir Poutine ; car le
contrat social, depuis quinze ans, était fondé sur la
progression des revenus
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-5
0
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20
2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Taux de croissance du PIB (% a/a)
Brésil Chine Inde Russie
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Axelle LACAN
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Le grand projet eurasien de Vladimir Poutine
Confronté à ce danger, « l’ex-nouveau prési-
dent » Poutine opte en 2013 pour une stratégie
de capitalisme d’État. Cela se traduit par une
affirmation de l’État dans tous les secteurs
stratégiques, mais aussi par un projet de société
conservateur et un retour de tmes nationalistes,
autour d’une ambition géopolitique eurasienne
que la volution pro-européenne de l’Ukraine va
cependant faire avorter.
Tandis qu’elle s’affirme dans la sphère politique,
cette stratégie est un échec économique, car elle
ne réussit pas à stimuler l’investissement, contraint
par une corruption qui n’a cessé de s’accroître, y
compris dans les périodes de croissance.
L’accélération de la crise fin 2014…
La crise ukrainienne et la chute du pétrole
arrivent donc dans un contexte de stagnation
de la croissance qui s’annonçait durable. Elles
font basculer la Russie dans la récession en la
privant des deux principaux moteurs d’activité : la
consommation des ménages (frappée par les
sanctions qui assèchent le crédit bancaire) et la
contraction en valeur des exportations. À cela
s’ajoute la crise géopolitique dont l’impact sera
sans doute profond sur les comportements d’in-
vestissement : Dans ce contexte, les sorties de
capitaux atteignent des niveaux records (152 Mds
USD en 2014), le rouble chute et les spreads
souverains s’écartent. La Banque centrale aug-
mente les taux et dépense en vain 76 Mds USD
pour stabiliser le rouble. Elle finit par abandonner
l’ancrage du change. Début 2015, la perte du
statut investment grade (Standard, puis Moody’s)
ne fait qu’accentuer cette volatilité monétaire.
Et pour 2015 : la stagflation
Les conséquences de la crise du change (et de
l’embargo sur les importations alimentaires)
sont rapides sur l’inflation (16,6% en février
dernier) et sur la croissance : la récession devrait
se situer entre -3 et -5% cette année, et tous les
secteurs confrontés au retournement de la
consommation seront particulièrement touchés.
Les banques, frappées de plein fouet par les
sanctions occidentales, sont très fragiles et dépen-
dantes de l’aide de la Banque centrale. Mais
surtout, le dilemme de la stagflation complique la
tâche de la Banque centrale (des taux élevés pour
défendre la sphère monétaire, mais qui cassent
l’activité…). Seules bonnes nouvelles, l’excédent
courant augmente et la dette extérieure diminue.
LÉtat affiche aussi sa volon d’aider les
entreprises et banques systémiques, en faisant
appel à ses fonds souverains. En fait, il s’apprête à
nationaliser et à monétiser une partie de la dette
privée, ce qui laisse penser que l’environnement
inflationniste va être durable (surtout dans un
contexte d’insuffisantes capacités de production).
Moscou a-t’il les moyens d’une telle politique ?
Oui, car les réserves de change restent impor-
tantes (385 Mds USD), notamment au regard de la
dette à court terme. Le profil souverain russe n’est
certes plus investment grade, mais il n’est pas
encore menaçant, d’autant que la dette publique
reste inférieure à 15%. La Russie est donc très
fragile, mais n’est pas dans la situation de risque
de solvabilité des années 1990.
Et ensuite ? La grande glaciation ?
En bref, Moscou peut donc vivre sous sanc-
tion, mais mal. Après la phase de récession (sous
réserve du prix du pétrole et d’une stabilisation de
la situation géopolitique à terme), la Russie
retrouvera la mécanique qui la conduit à la stag-
nation : en effet, le gouvernement ne semble pas
en mesure de proposer un programme de for-
mes structurelles qui puissent relancer l’inves-
tissement, d’autant que la stratégie économique
est aujourd’hui dominée par des considérations
politiques (la composition des dépenses budgétai-
res en témoigne, orientée autour des dépenses
sociales et militaires).
La crise a évidemment de grandes implications
politiques. Pour l’instant, la popularité du président
est au plus haut, resserrée par l’idéal nationaliste
et la sensation de forteresse assiégée. Mais il va
falloir entretenir cela et camoufler le relatif échec
du projet eurasien. Cette situation est dangereuse
pour V. Poutine et conduit à un renforcement de
l’autoritarisme. Elle change aussi le rapport de
l’État avec l’oligarchie, la liberté d’action de cette
dernière étant vouée à être réduite.
En conclusion, la crise russe a donc des impli-
cations majeures pour le pays, car elle touche à
tous les équilibres : économiques, politiques et
sociaux. Mais elle impacte aussi l’Europe, au
moins parce que la géopolitique à ses frontières de
l’Est a sans doute durablement changée.
Un effet globalement limité sur le
commerce extérieur, mais attention à
quelques segments
La crise russe aura un impact négatif sur le
commerce extérieur français. D’autant que la
situation initiale de la balance commerciale, au
sens de la balance des biens et services, est
assez défavorable. La balance des biens est
déficitaire depuis 2005. Certes, ce déficit se réduit
sur la période récente, mais ce tassement s’ex-
plique principalement par la contraction des
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importations, dans un contexte de stagnation de
l’activité économique et par un reflux des achats
énergétiques, compte tenu de la baisse du prix du
baril (-5,7 % pour le Brent par rapport à 2012, en
euros).
L’érosion des parts de marché françaises à
l’exportation est une illustration de la faiblesse du
commerce extérieur français. Certes, tous les
grands pays de la zone euro ont perdu des parts
de marché, compte tenu notamment de la concur-
rence grandissante de certains pays émergents.
Mais la dégradation de la position française a été
plus rapide, pénalisée par l’évolution dynamique
des coûts de production.
Alors quel sera l’ampleur de l’impact négatif de
la crise russe sur un commerce extérieur déjà
fragile ?
L’impact sur la balance des biens
Les exportations de biens
En préalable, rappelons que la France a un indice
de diversification (indice Herfindhal) de ses expor-
tations élevé, à plus de 94%, ce qui signifie que les
exportations françaises sont destinées à une
multitude de partenaires, limitant les risques en
cas de tensions avec l’un de ses partenaires.
Qu’est-ce qu’un indice de diversification-
pays ?
L'indice de diversification-pays évalue la répar-
tition des exportations d'un pays entre ses
différents partenaires commerciaux. Plus il
est élevé, plus les exportations sont diversifiées
entre une multitude de partenaires. Au contrai-
re, plus il est faible, plus les exportations sont
concentrées entre un petit nombre de par-
tenaires
Le niveau élevé de l’indice de diversification-pays
est un élément rassurant sur le plan macro-
économique. Tout comme la part des exportations
vers la Russie dans les exportations totales. La
Russie est la dixième destination des expor-
tations françaises et représente 1,6% des
exportations totales de biens (cf. graphique pa-
ge suivante). Toutefois, bien que cette part puisse
apparaître comme faible, le recul des exportations
vers la Russie a expliqué, en 2013, à hauteur de
0,3% la contraction des exportations françaises
observée sur l’année.
-4
-3
-2
-1
0
1
2
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13
% PIB France : balance des biens et
services
Balance des biens Balance des services
Balance commerciale
Source : EIU, CA S.A.
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10
0
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92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14
Grands pays de la zone euro : part
dans les exportations mondiales
France Italie
Espagne Allemagne (éch. dr.)
Source : OCDE, Crédit Agricole S.A.
En %
En %
93,2%
93,4%
93,6%
93,8%
94,0%
94,2%
94,4%
94,6%
00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13
France : indice de
diversification pays
Source : Crédit Agricole S.A.
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Il convient donc d’analyser les impacts secto-
riels. D’autant que s’ils sont plus aigus, ils
peuvent, par effet de contagion à d’autres secteurs
amont et aval, toucher l’ensemble de l’économie.
Un focus est ici présenté sur les trois secteurs
exportateurs ayant le poids le plus important dans
le total des exportations à destination de la Russie,
à savoir :
Les autres matériels de transport (13,2% des
exportations françaises vers la Russie) ;
Les produits médicinaux et pharmaceutiques
(11,1%) ;
Les machines et appareils électriques (8,2%).
Il est pertinent de regarder si, sur l’un de ces
secteurs, le poids de la Russie est suffisamment
élevé pour rendre dangereuse l’exposition à la
crise russe.
Dans le secteur des « autres matériels de
transport », l’Allemagne est le premier client de
la France, avec 29% des exportations destinées
à ce pays. Les États-Unis sont notre deuxième
client (9%), puis arrivent la Chine (8%) et le
Royaume-Uni (4%). La Russie ne représente
que 2% des exportations françaises d’autres
matériels de transport.
Pour les « produits médicinaux et pharma-
ceutiques », la Belgique arrive en te et
représente 18% des exportations françaises sur
ce segment, devant l’Allemagne (11%), les
États-Unis (7%) et l’Italie (5%). Seules 3% de
nos exportations de produits dicinaux et
pharmaceutiques sont à destination de la
Russie.
0%
2%
4%
6%
8%
10%
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14%
16%
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-0,4%
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0,4%
0,5%
0,6%
France : top 20 principaux importateurs et
contribution à la croissance des exports en 2013
Contribution à la croissance Poids dans exports tot. (dr.)
Source : UN Comtrade, CA S.A.
13,2% 11,1% 8,2%
0%
2%
4%
6%
8%
10%
12%
14%
Autres matériels
de transport Prod. médicinaux
et
pharmaceutiques
Machines et
appareils
électriques, nda
% exports France : top 3 des exportations
vers la Russie
Source : UN Comtrade, Crédit Agricole S.A.
29%
9% 8%
4%
2%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
AllemagneEtats-Unis Chine Roy.-Uni Russie
Autres matériels de transport :
top 4 marchés destinataires
Source : UN Comtrade,Crédit Agricole S.A.
% des exportations totales du secteur
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Enfin, concernant le marcdes « machines et
appareils électriques », les clients principaux
de la France sont l’Allemagne (20%), l’Italie
(6%), l’Espagne (6% également) et les États-
Unis (5%). La Russie arrive encore assez loin
derrière, en ne représentant que 3% des
exportations françaises.
L’impact direct sur les exportations de biens
resterait donc relativement limi.
Il convient toutefois de dépasser l’analyse de ces
quelques données, plutôt rassurantes sur un plan
macro-économique.
L’activité de certaines entreprises, qui ont
orienté une part importante de leurs ventes
vers la Russie, sera impactée, avec des
impacts sur leur profitabilité et donc sur les
capacités d’investissement.
L’embargo sur les produits agro-alimentaires
européens pèse également sur certaines filiè-
res. L’effet néfaste est double. Il porte à la fois
sur les volumes d’exportations, via la baisse de
la demande adressée à la France (perte d’un
client) et sur les prix. Les pays de l’Est, la
Pologne notamment, ne peuvent plus écouler
leur production vers la Russie et se tournent
donc vers d’autres marchés, notamment vers
ceux important initialement des produits fran-
çais. Cet excès d’offre et cette concurrence
accrue ont un effet baissier sur les prix,
18%
11%
7% 5% 3%
0%
5%
10%
15%
20%
Belg. Allem. Etats-Unis Italie Russie
Produits médicinaux et
pharmaceutiques :
top 4 des marchés destinataires
Source : UN Comtrade, Crédit Agricole S.A.
% des exportations totales du secteur
20%
6% 6% 5%
2%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
Allem. Italie Espagne Etats-Unis Russie
Machines et appareils électriques :
top 4 marchés destinataires
Source : UN Comtrade, Crédit Agricole S.A.
% des exportations totales du secteur
1 / 11 100%