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MARDI 4 NOVEMBRE 2014 dossier |7
chez Air France. Le groupe voit néanmoins
sa compétitivité augmenter face à ses con-
currents basés en zone dollar, telles les com-
pagnies du Golfe.
A l’inverse, les entreprises qui fabriquent
dans la zone euro et exportent en dehors
sont gagnantes : la baisse de l’euro fait fon-
dre leurs factures et gonfle leurs marges.
Leurs produits paraissent moins chers que
ceux en dollars : leur « compétitivité prix »
augmente. Selon les calculs du CEPII, un
euro 10 % plus faible gonfle la valeur des ex-
portations de 7,5 % en moyenne.
Les premiers à profiter de cet effet sont les
groupes du luxe, de l’aéronautique et de
l’agroalimentaire haut de gamme (vin). Pour
Airbus, 10 centimes d’euro de moins, pen-
dant au moins un an, représente une hausse
de 1 milliard d’euros du résultat opération-
nel. Chez Pernod Ricard, on estime qu’une
hausse de 1 % du dollar améliore le résultat
d’exploitation de 16 millions d’euros.
Ces effets doivent néanmoins être nuan-
cés. D’abord, parce que les entreprises se
« couvrent » des variations de change, ce
qui en limite l’impact à la hausse comme à
la baisse.
De plus, sur certains créneaux de niche,
celles-ci ont peu d’effet sur les ventes. « Nous
vendons des compresseurs à air sur mesure à
des industriels, ils ne nous en achètent pas
plus quand l’euro baisse », témoigne ainsi
Laurent Vronski, directeur général de la PME
Ervor. Enfin, les PME qui n’exportent pas, ou
uniquement dans la zone euro, sont elles
aussi peu concernées.
LES CONSOMMATEURS
EN PROFITERONT-ILS AUSSI ?
A première vue, pas vraiment. « La dépré-
ciation de l’euro est une mauvaise nouvelle
pour les ménages », explique Daniel Gérino,
président de Carlton Selection. Facture d’es-
sence, prix des produits fabriqués en Chine,
fruits exotiques… En renchérissant le prix
des produits importés, en particulier celui
des matières premières, elle pénalise le
pouvoir d’achat.
La baisse de l’euro équivaut, en somme, à
un transfert de la valeur des consomma-
teurs vers nos exportateurs, aiment dire les
économistes. D’autant que, depuis la crise,
les dépenses des ménages sont déjà plom-
bées par le taux de chômage élevé (10,2 %) et
la moindre progression des salaires.
Mais, par chance, la baisse de la monnaie
unique observée depuis six mois s’accompa-
gne aussi d’une chute des cours du pétrole.
« Pour l’instant, cela en estompe largement
l’effet négatif sur la consommation », expli-
que Patrick Artus, chef économiste de Na-
tixis. En revanche, les coûts d’un séjour aux
Etats-Unis ou à Londres, eux, sont nette-
ment plus élevés qu’il y a six mois… « Si cela
incite les Français à passer leurs vacances en
Bretagne plutôt qu’à l’étranger, c’est ça de ga-
gné pour notre industrie touristique », sourit
un conseiller de Bercy.
CELA VA-T-IL RELANCER LA CROISSANCE
ET NOTRE COMPÉTITIVITÉ ?
Les défenseurs de l’euro faible assurent
qu’une dépréciation apportera un précieux
bol d’air à nos exportateurs, qui relanceront
leurs investissements et embaucheront,
contribuant ainsi à relancer la croissance.
Cette méthode n’a-t-elle pas déjà fait ses
preuves entre 1945 et 1982, chaque fois que
les gouvernements pratiquaient la fameuse
« dévaluation compétitive » ?
De fait, selon la direction générale du Tré-
sor, une dépréciation de 10 % de l’euro face à
l’ensemble des devises gonflerait notre PIB
de 0,6 point au bout d’un an. Un petit coup
de pouce bienvenu, surtout à l’heure où la
France peine à sortir de la stagnation.
D’autant que si elle se prolonge, la baisse des
cours du pétrole allégera aussi notre facture
énergétique et, donc, notre déficit commer-
cial. « Mais il ne faut pas en attendre des mi-
racles pour autant, car cela ne résoudra pas
tous nos problèmes », prévient M. Parisot, de
Aurel BGC. Loin de là.
Le succès de nos grands groupes à l’inter-
national, tels que LVMH ou Airbus, offre en
effet un portrait très peu fidèle de notre
tissu économique, composé surtout de
PME. La France recense aujourd’hui
120 699 entreprises exportatrices seule-
ment, contre 207 920 en Italie et 306 612 en
Allemagne. « Comme notre industrie a
fondu ces trente dernières années, les effets
d’une dépréciation sont bien moins impor-
tants qu’avant », explique M. Artus. De fait,
les exportations hors zone euro, les seules
qui bénéficient de la baisse de l’euro, ne re-
présentent que 11 % du PIB.
Ce n’est pas tout : nos principaux concur-
rents sur les marchés internationaux sont
aujourd’hui, et de plus en plus, nos voisins
européens. « L’Espagne nous grignote des
parts de marché sur le segment des biens in-
termédiaires depuis la crise », explique
Eric Dor, de l’Iéseg.
Pour regonfler notre compétitivité face à
l’Allemagne ou l’Espagne, il ne faudra donc
pas trop compter sur la dépréciation de
l’euro, mais s’attaquer plutôt aux faiblesses
structurelles de notre économie. En particu-
lier celles à l’origine de la désindustrialisa-
tion : insuffisance de l’investissement dans
l’innovation, coûts de production trop éle-
vés au regard du niveau de gamme de nos
produits, taille trop petite de nos PME…
« Seuls des réformes de longue haleine peu-
vent résoudre ces problèmes, estime
M. Vronski, également vice-président de
Croissance Plus. Il ne faudrait pas que la
Résultat : malgré ces disparités, le PIB de
la zone euro prise dans son ensemble est
quasi insensible à la dépréciation de l’euro.
Mais là aussi, la baisse des cours du pétrole
change complètement la donne. Comme
elle réduit la facture énergétique, l’impact
sur la croissance européenne devient, cette
fois, nettement positif. Selon les calculs de
Natixis, si le pétrole se stabilise à 83 dollars
le baril, et l’euro à 1,27 dollar, le PIB de la
zone euro gagnera 0,25 point. Toujours ça
de pris.
De son côté, la Société générale estime que,
du fait de la baisse des prix de l’énergie, l’in-
flation de la zone ne devrait être que de
0,8 % en 2015, contre 1 % estimé précédem-
ment. Et elle pourrait baisser plus encore. Au
grand dam de la BCE, qui bataille depuis des
mois contre les prix trop bas… p
baisse de l’euro soit un prétexte pour repous-
ser encore les efforts. »
L’IMPACT EST-IL LE MÊME
DANS LES AUTRES PAYS DE LA ZONE EURO ?
Non, bien sûr. Tout dépend, en fait, de la
taille du secteur industriel du pays et de sa
spécialisation. L’Irlande, le Portugal et la
Grèce, dont l’industrie exportatrice est,
comme en France, spécialisée sur le moyen
de gamme, profiteront nettement de la dé-
préciation de l’euro. L’Allemagne, beaucoup
moins : sa puissante industrie, spécialisée
sur le haut de gamme, est moins sensible
aux variations des changes. Tout comme
l’Italie, dont, contrairement aux idées re-
çues, la production a beaucoup monté en
gamme ces dernières années. Pour l’Espa-
gne, les effets sont plus incertains.
pour se protéger des fluctua-
tions des devises, les entreprises
disposent d’une batterie d’ins-
truments financiers qui jouent le
rôle d’assurance.
Première possibilité, la plus
simple, réaliser une couverture
sur le marché des changes à
terme. Imaginons une entre-
prise X. Elle remporte une com-
mande de 100 000 dollars, mais
doit accorder un crédit de trois
mois à son acheteur. Si la mon-
naie américaine baisse par rap-
port à l’euro pendant cette durée,
l’entreprise sera perdante lors de
la conversion des 100 000 dol-
lars en euros.
Notre entreprise va donc se
couvrir auprès d’une banque
(moyennant une commission),
en lui vendant « à terme » les
100 000 dollars de sa créance.
Cela lui permet de figer pour un
temps donné (trois mois dans
notre exemple) le prix du dollar.
Quelle que soit l’orientation
des monnaies, l’entreprise est
donc certaine de récupérer la
contre-valeur en euros de ses
100 000 dollars. « Elle sécurise
ainsi son chiffre d’affaires. Mais si,
entre-temps, le dollar grimpe, elle
ne profitera pas de la hausse »,
explique Yves Simon, professeur
à Paris-Dauphine.
Pour éviter cet inconvénient, les
banques ont créé des produits dé-
rivés, appelés « options » (d’achat
ou de vente), qui permettent aux
sociétés de se protéger sur le
même schéma que précédem-
ment, tout en ayant la possibilité
de jouer à la hausse ou la baisse
l’évolution des devises.
Imaginons que notre entre-
prise X ait cette fois choisi une
option de vente de dollars en
euros et que le dollar grimpe de
5 % au cours de ces trois mois.
Elle va vendre son option et récu-
pérer 105 000 dollars (au lieu des
100 000), somme dont il faut
toutefois déduire le coût du pro-
duit financier. Car, comme tou-
tes les assurances, cette protec-
tion coûte cher, surtout si l’entre-
prise intervient sur des mon-
naies de pays émergents.
Rassurant
« En une année, le coût peut at-
teindre 3 % à 4 % du montant des
transactions, voire bien plus.
En 2013, un exportateur européen
devait, par exemple, abandonner
10 % de la valeur de son contrat
pour se protéger des fluctuations
du real brésilien », explique Phi-
lippe Dupuy, professeur à Greno-
ble Ecole de management.
Et celui-ci de noter que les en-
treprises françaises ont tendance
à se prémunir davantage que les
groupes étrangers. « Elles cou-
vrent entre 75 % et 100 % de leurs
flux financiers. C’est sûrement
rassurant, mais pas forcément né-
cessaire. Plutôt que de dépenser
des sommes importantes dans
des produits dérivés, les directions
feraient mieux d’étoffer leurs
équipes chargées de cette ques-
tion, cela leur permettrait d’opti-
miser leur politique de change »,
souligne-t-il.
« Manier les options est un art
difficile, abonde Alain Girardeau-
Montaut, responsable du risque
de change chez Dassault Aviation
et président de la commission
sur les risques à l’Association
française des trésoriers d’entre-
prise. C’est pourquoi, c’est généra-
lement l’affaire de deux ou trois
personnes dans une entreprise. »
A côté de ces produits finan-
ciers, les sociétés ont d’autres
possibilités. D’abord, elles peu-
vent agir sur leur bilan, en em-
pruntant en dollars, par exem-
ple, la même somme (et à même
échéance) que la créance. Si le
dollar baisse, la valeur en euros
du contrat certes diminue, mais
celle de la dette aussi. C’est donc
un jeu à somme nulle.
Ensuite, les multinationales
ont pris l’habitude de centraliser
les dettes et créances de chacune
de leurs filiales en un seul en-
droit. « L’objectif de cette opéra-
tion est que les flux de ces filiales
se compensent entre eux, expli-
que Yves Simon, et créent ainsi
une couverture naturelle. » p
frédéric cazenave
Contre le risque de change, les produits dérivés
Des effets contradictoires et un bénéfice mitigé sur la croissance
SOURCES : BLOOMBERG ; CEPII ; LE MONDE
De 0,3 % à 0,6 %
IMPACT D’UNE BAISSE DE L’EURO
SUR LE PIB FRANÇAIS LA PREMIÈRE ANNÉE
1,1
1,2
1,3
1,4
1,5
COURS DE L’EURO EN DOLLARS DEPUIS LE 1ER JANVIER 2010
L’euro à la baisse
1er janvier 2010 2012 2013 20142011 30 octobre 2014
1,25
DÉPRÉCIATION
DE L’EURO
Baisse du prix
des produits
exportés
Hausse
de la compétitivité-prix
des exportations
Hausse
des exportations
Hausse des prix
des produits
importés
Baisse
des importations
Hausse du prix
de certains produits
de consommation
(ex. : essence)
Baisse
de la consommation
EFFETS DIRECTS EFFETS INDIRECTS EFFET POSITIF EFFET NÉGATIF
Hausse des coûts
de production
pour certaines entreprises
Baisse des exportations
EFFETS D’UNE DÉPRÉCIATION DE 10 % DE L’EURO, FACE À L’ENSEMBLE
DES MONNAIES, SUR LES EXPORTATIONS D’UNE ENTREPRISE
FRANÇAISE, SELON SON SECTEUR D’APPARTENANCE, EN %
Conséquences sur l’économie française
Effets de la dépréciation de la monnaie unique
Véhicules à moteur, remorques
Autres équipements de transport
Machines et appareils électriques
Agriculture et activités liées
Matériel de précision, médical
et optique
Textiles
Machines et équipements
Métaux élémentaires
Produits plastiques
+ 8,4
+ 7,7
+ 7,6
+ 7,2
+ 7
+ 6,3
+ 6
+ 5,8
+ 5,6
EFFETS MOYENS D’UNE DÉPRÉCIATION DE 10 % DE L’EURO
SUR LES EXPORTATIONS D’UNE ENTREPRISE FRANÇAISE, SELON
LE PAYS OU LA ZONE DE DESTINATION DE SES EXPORTATIONS, EN %
ROYAUME-
UNI
ÉTATS-UNIS OCDE CHINE PAYS À BAS
REVENUS
+ 8,6 + 9,2
+ 7 + 5,7 + 5,7
PAR CHANCE,
LA DÉPRÉCIATION
DE LA MONNAIE
UNIQUE
S’ACCOMPAGNE
D’UNE CHUTE
DES COURS
DU PÉTROLE