Hayek et Myrdal :
la route de la servitude ou la route de la liberté ?
Hayek et Myrdal ont reçu conjointement le prix Nobel d'économie en 1974. Un extrait de
l'annonce officielle de l'Académie royale des Sciences nous apprend qu'ils ont commencé
leurs recherches en théorie économique pure dans les mêmes champs de spécialisation :
la théorie des fluctuations économiques et la théorie monétaire. Par la suite, ils ont tous
deux élargi leurs discours théoriques afin d'inclure les phénomènes considérés exogènes
par la plupart des économistes. Le prix leur a été décerné en grande partie pour leurs
analyses pénétrantes de l'interdépendance des phénomènes économiques, sociaux et
institutionnels.
Nous voulons ici tenter de comparer et de choisir rationnellement entre les discours de
ces deux prestigieux économistes. Pour ce faire, nous allons présenter une reconstruction
schématique portant sur les explications des changements aux niveaux économiques,
sociaux et institutionnels qui sont apparus dans l'évolution de nos sociétés dites avancées
et sur les prédictions touchant leurs futurs possibles.
Nous voyons que pour Hayek, à cause de l'intervention et de la planification étatique,
nous sommes passés de l'Etat libéral à l'Etat providence. Cette troisième voie entre le
libéralisme et le totalitarisme est pour lui utopique et, si rien n'est changé, nous conduit
vers la servitude. Mais un effort de planification de type hayékien peut nous faire
retrouver le chemin de la liberté.
Par contre, pour Myrdal, à cause de crises internationales, de facteurs technologiques et
du comportement rationnel des agents eux-mêmes, nous nous sommes éloignés
progressivement de l'économie libérale. L'intervention étatique n'a fait que créer une
certaine justice et une certaine harmonie nous faisant évoluer inconsciemment vers l'Etat
providence, ce qui pour lui est un progrès manifeste, malgré ses problèmes évidents. Pour
ce qui est de l'avenir, un retour à l'Etat libéral est utopique. Mais par une planification
myrdalienne, l'Etat providence peut être rationalisé et simplifié, et nous pouvons espérer
arriver à un désengagement de l'Etat, à une décentralisation des décisions, à une véritable
démocratie.
Nous allons en premier lieu expliciter ces visions contradictoires des routes de la liberté
ou de la servitude. Par la suite, nous tenterons de trouver des critères permettant
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d'effectuer un choix entre ces deux discours. Partant de l'analyse de certains des concepts
clefs employés nous conclurons à l'impossibilité de choisir au seul niveau empirique.
Nous dirons donc qu'il existe une incommensurabilité au moins partielle entre ces deux
discours, et qu'un choix ne peut se faire qu'en fonction des valeurs et des philosophies
sociales sur lesquelles ils reposent. Nous proposerons finalement que nous sommes en
présence d'une situation similaire en science économique chaque fois que le choix doit se
faire entre des discours provenant de paradigmes ou programmes de recherches
différents.
Hayek : la route de la servitude ou la route de la liberté ?
Partant de La Route de la servitude de Hayek, nous reconstruirons le discours théorique
suivant :
Le passage de l'Etat libéral à l'Etat providence
Hayek considère que les fondements du libéralisme se retrouvent en particulier dans
l'institution des marchés libres qui, théoriquement, permet à tous d'être libres de produire,
d'acheter et de vendre tout ce qui peut être produit et vendu, et aux prix déterminés par les
forces du marché. Donc tous les efforts de contrôle de prix et de quantités d'un bien en
particulier enlèvent à la concurrence son pouvoir de coordination effective et de guide
fiable des actions individuelles. Le principe fondamental du libéralisme est donc
d'employer, autant que faire se peut, les forces spontanées de la société et le moins
possible la coercition.
Il n'y a pas de facteurs objectifs hors de notre contrôle qui rendent inéluctable l'abandon
des marchés libres et nécessitent son remplacement par des interventions de l'Etat.
Il est dénué de fondement de croire que la technologie tend à éliminer la concurrence. La
conclusion que les avantages de la production de masse doivent inévitablement détruire la
concurrence doit aussi être rejetée. L'efficacité des grands établissements n'est pas
démontrée. La tendance vers le monopole ne provient pas de facteurs technologiques
mais bien de la collusion entre les entreprises, et des politiques gouvernementales la
favorisant au lieu de la prohiber.
La tendance à la planification ne résulte pas non plus de faits objectifs car la complexité
croissante de l'appareil économique n'exige pas la planification afin d'éviter le chaos ; au
contraire le chaos n'est évité que par la concurrence.
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L'explication fondamentale de l'abandon des marchés libres provient du mythe
rationaliste de la planification et de l'engineering social. Il provient du refus au niveau
moral d'accepter les réponses données par le marché aux problèmes économiques
fondamentaux de toute société, et de cette fausse croyance que la planification est
nécessaire pour éviter le chaos dans nos sociétés devenues si complexes.
Ce ne sont donc pas des nécessités objectives, mais des politiques gouvernementales et le
mythe de la planification provenant du rationalisme et favorisant l'engineering social qui
ont résulté dans la constitution de l'Etat providence.
L'Etat providence, l'impossibilité d'une troisième voie
L'Etat providence est rationalisé par ceux qui le promeuvent comme une troisième voie
entre le marché libre et le totalitarisme, mais en fait il n'existe pas de troisième voie. Le
socialisme démocratique, cette grande utopie des dernières générations, est impossible.
De plus, il produit des effets fondamentalement pervers car on ne peut combiner la
concurrence et la planification sans que le système ne cesse d'opérer comme un guide
efficace dans l'allocation des ressources.
La tendance croissante dans cet Etat est de toute nécessité de s'appuyer sur la coercition
administrative et la discrimination ainsi que la promotion des contrôles directs et la
création d'institutions monopolistes. Donc, même si les buts sont louables, les instruments
employés pour y arriver sont incompatibles avec une société libre.
Ce socialisme démocratique voulu par l'Etat providence est précaire, instable, et miné par
les contradictions internes. Il produit partout des résultats non prévus qui nous font
progresser sur la route de la servitude.
La planification de l'utopie ? Vers un renouveau du libéralisme
Il ne s'agit pas pour le libéral d'accepter le système tel qu'il est, la règle du laisser-faire lui
est étrangère. Il s'agit de créer délibérément un système où la concurrence fonctionnera
d'une façon aussi bénéfique que possible. Pour sortir de cette sorte de servitude, il nous
faut planifier un renouveau de l'Etat libéral.
C'est bien de l'engineering social basé sur les principes suivants :
Il faut remplacer la planification en vigueur dans l'Etat providence qui est contre la
concurrence et tend à la détruire par une planification de la concurrence qui la rendra
effective.
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Il faut faire usage le plus possible des forces de la concurrence comme moyen de
coordonner les efforts humains et non laisser les choses telles qu'elles sont. Là où la
concurrence effective peut être créée, c'est la meilleure façon de guider les efforts
individuels.
La planification de l'Etat est aussi nécessaire afin de créer et de soutenir les institutions
pré requises au bon fonctionnement d'un système concurrentiel, entre autres : l'institution
de la monnaie, un système d'information que les entreprises privées ne peuvent pas
produire complètement, et un ensemble de lois appropriées.
Dans le cas de nécessité de contrôle des externalités telles que les problèmes
environnementaux résultant de la pollution croissante, l'Etat doit aussi intervenir afin de
trouver un substitut à la régulation par le mécanisme des prix. De plus, il n'y a pas de
tabous contre des restrictions aux méthodes de production à condition que ces restrictions
affectent tous les producteurs potentiels également et qu'ils ne soient pas employés pour
contrôler de façon indirecte les prix et les quantités. Des limites aux heures de travail sont
acceptables ainsi qu'un système extensif de services sociaux.
Nous devons donc réaliser que le renouveau du système libéral n'est pas affaire de laisser-
faire. Il requiert une transformation de toute la société par une planification étatique
créant les institutions nécessaires à la concurrence et proposant des politiques
économiques qui lui sont compatibles. Seulement, dans les cas où cela s'avère impossible,
d'autres modes de gestion économique sont envisagés.
Ce libéralisme est le système idéal parce qu'il est le seul pouvant gérer efficacement la
société tout en soutenant à long terme une véritable démocratie.
Myrdal : la route de la liberté ou la route de la servitude ?
Nous référant à Beyond the Welfare State de Myrdal nous avons reconstruit le discours
théorique suivant :
Le passage de l'Etat libéral à l'Etat providence
Pour Myrdal, le marché libre décrit par la théorie libérale est une situation idéalisée qui
n'a jamais existé dans sa pureté théorique. Au départ, seul existait un Etat quasi libéral,
avec pauvreté de masse, grande rigidité sociale et très grande inégalité des opportunités.
Nous nous sommes éloignés de plus en plus de cette conception théorique et de son
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incarnation historique à cause de multiples facteurs : des facteurs internationaux tels que
les guerres, la grande crise des années trente et la fin du système de l'étalon-or, des
facteurs technologiques. Les changements technologiques produisant des économies
d'échelles et donc une baisse des coûts de production font en sorte que la grandeur
optimale des firmes dans un marché déterminé met en péril les pré requis de la
conception traditionnelle de la concurrence pure.
(...) des facteurs de rationalité économique. Nonobstant les changements technologiques,
les agents ont trouvé à leur avantage économique de s'unir, de se regrouper avec d'autres
pour pouvoir influencer le marché que ce soit au niveau des entreprises ou des
travailleurs. Cette rationalité des agents n'est autre que celle postulée par le libéralisme ;
elle s'exprime non seulement dans la recherche de collusion mais plus profondément dans
le refus d'accepter les solutions données par les forces aveugles du marché.
L'interaction de tous ces facteurs devient un processus cumulatif typique de causalité
circulaire si cher à Myrdal et résulte dans la possibilité pour les agents économiques
d'influencer les marchés. Nous pouvons dire que les courbes d'offre et de demande ainsi
que les prix ont perdu progressivement leurs caractères de conditions données et
objectives postulées par la théorie libérale (ce qu'ils n'ont jamais eu totalement dans la
réalité) pour devenir des entités politiques.
Dans cette vision l'intervention de l'Etat n'est pas responsable de la fin des marchés libres
L'Etat n'a pas le choix, les changements sont irréversibles. Il n'y a pas de retour possible
aux marchés libres. Nous ne pouvons rendre les gens moins rationnels et moins
sophistiqués. Un retour vers le libéralisme exigerait une "déséducation" de la population.
Etant donné cette impossibilité d'un retour en arrière il n'y a eu qu'une seule solution
possible, soit accepter la tendance à l'organisation des marchés et prendre des mesures
afin de réguler son cours dans l'intérêt public afin que l'ordre et l'équité soient protégés,
ce qui a impliqué historiquement la constitution de l'Etat providence.
L'Etat providence : la possibilité de la troisième voie
Nous faisons face à un système économique où de plus en plus la négociation collective
remplace le marché. A la limite tous les prix et les salaires, en fait toutes les courbes
d'offre et de demande sont en un sens politiques. Etant donné l'inégalité des rapports de
force dans la structure des marchés, les résultats peuvent s'avérer néfastes pour la société
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