L`échec scolaire, une souffrance à déchiffrer

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I N F O R M AT I O N S
GÉNÉRALES
Le diagnostic de deux pédopsychiatres
L’échec scolaire, une souffrance
à déchiffrer
LE QUOTIDIEN – Pour 60 % des
élèves du primaire, cela se passe
très bien, pour 15 % très mal et,
entre les deux, il reste une population intermédiaire, 25 %, qui n’est
pas en mesure de faire des études
secondaires dans de bonnes conditions. Ce diagnostic du Haut
Conseil de l’Education (HCE),
dans un rapport remis au chef de
l’Etat le 27 août, est-il le vôtre ?
Dr GABRIEL WAHL – J’y vois
une photographie d’ensemble.
Mais gardons-nous de faire reposer l’analyse de l’échec scolaire
sur une problématique collective,
sociale et culturelle. Seule la dimension individuelle doit prévaloir. Autrement dit, les difficultés
scolaires des 15 % plus 25 %
d’élèves du primaire n’ont pas la
même origine. Pour les uns, il en
va de la famille, pour d’autres du
social, quelques-uns sont dyslexiques, etc.
Cette mauvaise note attribuée à
l’école primaire par le HCE s’expliquerait-elle par la baisse de
la scolarisation à 2 ans, qui est
passée de 35,3 % en 2000 à
24,5 % en 2005-2006, en raison
de la réduction des effectifs des
enseignants en maternelle ?
Il s’agit probablement d’un éclairage des problèmes rencontrés
min de l’école pour s’en protéger.
Au Canada et dans les pays scandinaves, des actions de prévention sont mises en place : on
prend du temps pour résoudre
les conflits, par exemple, et on
ne renvoie jamais dos à dos victimes et agresseurs. Il s’ensuit
des résultats immédiats, comparativement aux classes où rien
n’est fait.
AFP
L’élève confronté à des
difficultés en classe est un
enfant qui souffre. Problèmes
spécifiques d’apprentissage,
hyperactivité, précocité
ou déficiences intellectuelles,
anxiété, surmenage,
dépressions,
dysfonctionnement du
comportement, cannabis,
autisme, schizophrénie,
épilepsies, maltraitance :
les causes de l’échec scolaire
sont le plus souvent
associées à un trouble
médical ou psychologique.
Pour les Drs Claude MadelinMitjaville et Gabriel Wahl,
pédopsychiatres, ce sujet
majeur, enjeu politique par
excellence, qui préoccupe
les parents et interpelle
la psychiatrie infantile,
nécessite la mobilisation
de tous. Dans un ouvrage
intitulé « les Echecs scolaires,
comprendre et prévenir »*,
riche en aides au diagnostic
étiologique, ils ouvrent
les chemins d’une école
retrouvée, où l’élève n’a plus
peur d’être grondé, car de sa
souffrance on l’a délivré.
Quant à ceux qui ont décroché,
trop nombreux pour se retrouver tous dans des écoles spécialisées dans le traitement de la
grande difficulté scolaire**, que
leur proposez-vous pour tout de
suite et maintenant ?
La première chose à ne pas faire
est de les considérer comme une
entité homogène. Là encore, le
préalable à toute aide, nécessairement personnalisée, est d’effectuer
un bilan, de tenter de comprendre
la cause des difficultés scolaires à
l’origine du décrochage.
Pour 60 % des élèves du primaire tout va bien, mais 15 % ont de gros problèmes et 25 % des difficultés
par certains enfants, mais je ne
parlerai pas d’un facteur essentiel
pour saisir le sens des échecs de
chacun des élèves en difficulté.
Je signalerai que de nombreux
psychiatres sont opposés à une
entrée précoce en maternelle,
l’estimant plutôt néfaste. Et, à ma
connaissance, sur la période
considérée, 2000/2005-2006, la
diminution de la scolarisation à
2 ans n’a pas entraîné une aggravation du nombre des échecs scolaires. Ma propre conviction de
psychiatre d’enfants me porte à
dire que le problème n’est pas exclusivement pédagogique, mais
aussi médical.
Neuf sur dix des jeunes en difficulté à l’école présentent des
troubles médicaux, psychiatriques,
biologiques ou psychologiques
identifiés, rapportez-vous dans
votre ouvrage. Quelles sont les affections les plus répandues, à tel
point qu’en psychiatrie de l’enfant
l’échec scolaire constitue le principal motif de consultation ?
D’une part, les troubles spécifiques de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, dyspraxie,
dysphasie, dyscalculie) ; d’autre
part, le déficit attentionnel, que
l’on rencontre chez les hyperactifs et les sujets présentant des
troubles des conduites et du comportement (attitude oppositionnelle), ainsi que les phobies et les
obsessions. En fait, nous arrivons
à une prévalence de l’ordre de
Le stress pré-rentrée
Le cortisol est l’hormone du stress. Pour évaluer l’anxiété et le stress des enfants qui entrent à l’école primaire, rien de plus simple que de mesurer leur
niveau de cortisol avant et après ce grand moment. C’est ce qu’ont fait le Dr Julie Turner-Cobb, et son équipe de Bath (Grande-Bretagne). La mesure réalisée
six mois avant l’entrée à l’école devait servir de base de comparaison, les chercheurs s’attendant à ce que le niveau monte dans les premiers jours de
classe puis redescende dans les mois suivants. Ils ont donc été plus qu’étonnés de constater que le niveau de cortisol était déjà très haut six mois avant le
jour J. Faute de pouvoir expliquer cette anticipation si longue pour de jeunes
enfants, ils n’ont pu que conjecturer que le stress des parents devait se communiquer à leur progéniture.
Recherche subventionnée par l’Esrc (Economic and Social Research Council) :
www.esrc.ac.uk.
20 % de troubles psychologiques,
dont une partie seulement entraîne des difficultés scolaires.
Une étude du Dr Yves Blanchon
(CHU Saint-Etienne) portant sur
115 redoublants ou triplants en
cours préparatoire (1990-1994)
fait apparaître, quant à elle, une
cause médicale, psychiatrique ou
psychologique plausible chez neuf
élèves sur dix. Autrement dit,
chaque échec réclame impérativement une recherche individuelle
pour en connaître les tenants et
les aboutissants. L’explication collective ne suffit pas à elle seule.
IL FAUT DISPENSER
EN FACULTÉ
UN ENSEIGNEMENT
SUR L’ÉCHEC
SCOLAIRE
Peut-on dire que l’échec scolaire
serait une maladie qui ne dit pas
son nom, une maladie non déclarée ?
C’est à la fois un problème politique, social, culturel, linguistique et médical. En conséquence, l’échec scolaire ne peut
pas être considéré comme une
maladie en tant que telle, mais
comme pouvant relever d’un
trouble médical ou psychologique authentique.
Qui réaliserait les bilans médicaux pour élèves en difficulté ou
avant toute décision de redoublement que vous recommandez,
sachant que certains départements comptent 1 médecin pour
16 000 jeunes ?
Effectivement, nous allons nous
heurter à des obstacles insupportables. Dans certains centres
de consultation en pédopsychiatrie, les délais d’attente dépassent les 12 mois. En ce qui
concerne l’exécution des bilans
médicaux, elle implique le généraliste, pour le dépistage initial,
associé au médecin scolaire et à
l’infirmière scolaire.
Quelle formation préconisezvous pour tous les acteurs ?
Pour les médecins, la formation
actuelle est tout à fait insuffisante.
Il faut dispenser systématiquement en faculté un enseignement
sur l’échec scolaire, avec ses
causes et ses remèdes. Les enseignants, pour leur part, doivent
être initiés au dépistage. Il
importe de faire passer dans les
Instituts de formation des
maîtres ( Infm) la notion que les
causes de l’échec scolaire sont
multiples. Elles ne relèvent pas
toutes d’une compréhension psycho-affective ou psycho-familiale.
En second lieu, le pédagogue doit
être familiarisé avec l’idée d’un bilan complet proposé aux parents
d’enfants en difficulté, conduit
par le généraliste, le médecin scolaire ou le pédopsychiatre.
Ne craignez-vous pas de nourrir
ce qui pourrait être perçu
comme une médicalisation, ou
une psychiatrisation de l’échec
scolaire ?
Vous soulevez là l’un des problèmes cruciaux qu’il faut résoudre. Il nous faut essayer de
nous délivrer d’antagonismes
conceptuels qui font que les sociologues se méfient de la psychiatrie, les enseignants aussi,
tandis que les psychiatres se gaussent éventuellement de l’approche psycho-sociologique. Il est
donc nécessaire de confronter à
la fois nos connaissances et nos
croyances afin de dépasser ces
clivages absurdes. C’est ce à quoi
s’emploie l’Arpe (Association de
recherche pluridisciplinaire sur
l’échec scolaire) que je préside.
La prévention passe aussi par la
suppression de la violence à
l’école. Mais comment rompre ce
que vous appelez « l’angélisme
de l’autruche » ?
Le problème de la violence grave
et de la violence ordinaire est
sous-estimé dans sa réalité et ses
conséquences. Environ un cinquième des absentéismes scolaires en est la conséquence : les
victimes ne prennent plus le che-
En somme, l’échec à l’école devrait être entendu comme un
chapitre de la médecine***?
Evidemment. La médecine et la
psychiatrie peuvent apporter des
remèdes, en complément d’une
approche sociale et pédagogique.
> PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE ROY
* Editions Odile Jacob, 350 p.,
21,50 euros, en librairie le 6 septembre.
** Les maîtres E, qui enseignent dans ces
écoles spécialisées, sont au nombre de
7 449 sur 320 103 enseignants du
primaire.
*** « Même pas grave ! L’échec scolaire, ça
se soigne », Dr Olivier Revol,
pédopsychiatre, et Josée Blanc-Lapierre
(éd. Lattès, 2006).
Ce qu’il faudrait
faire
Dans leur livre, les Drs Madelin-Mitjaville et Wahl font de nombreuses
recommandations pour lutter
contre l’échec scolaire, concrètes
ou plus utopiques :
– établir un bilan pluridisciplinaire,
médical et neuropsychologique,
pour tout élève en difficulté ou
avant une décision de redoublement ;
– apporter une aide personnalisée ;
– cesser de considérer l’échec
comme une faute morale ;
– instaurer dans les IUFM un module sur l’échec intégrant la sociologie, la psychologie, la neuropsychologie et la psychiatrie ;
– recourir à l’orthopédagogie ;
– rompre avec l’élitisme et le caractère monolithique de l’Education
nationale ;
– donner un rôle de premier plan à
la médecine scolaire et à la médecine générale ;
– valoriser la compétence pédagogique ;
– en finir avec le monoïdéisme du
« tout familial » : l’échec a d’autres
causes, de nature sociale, environnementale, psychiatrique ou biologique ;
– combattre la violence et la pauvreté : un million de moins de
18 ans vivent sous le seuil de pauvreté (Insee) ;
– donner plus de moyens financiers
aux zones d’éducation prioritaire.
MARDI 4 SEPTEMBRE 2007 - N° 8207 - LE QUOTIDIEN DU MEDECIN - www.quotimed.com - 11
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