N° 4- 2002 Octobre 2002 L’ARABOPHONIE N° 4 L’Arabophonie Revue pluridisciplinaire semestrielle à comité de lecture scientifique ISBN : 979-10-91040-00-6 0 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Sommaire : Historique des Arabes : La période Abbassidde. La langue arabe à l’époque du déclin. La langue arabe à l'époque Abbasside. 1 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Historique des Arabes LA PÉRIODE ABBASSIDE M. Jamal ASMI D.E.A. en Linguistique Générale Docteur en Traduction Juridique A- Caractéristiques de la dynastie abbasside Les Abbassides, descendants de l’oncle du Prophète, » Abu AL-Abbas » prétendaient, en raison de leur parenté avec Mohamed, avoir plus de droit au Califat que les membres de la famille Omeyyade. Leur arrivée au pouvoir est imputée, comme nous l’avons déjà signalé, à un affranchi d’origine iranienne nommé Abus Musli1, celui-ci exploite le mécontentement régnant dans les provinces orientales, et les rivalités entre tribus arabes au Maghreb, pour mettre fin au règne des Omeyyades en Iran et en Iraq, et prépare ainsi l’environnement politique et sociale à Abus Al Abbas, qui est proclamé aussitôt calife dans la grande mosquée de Koufra (en Iraq 750 après J.-C.). Installée en Iraq avec Bagdad2 pour capitale, la dynastie Abbasside s’appuie sur les Iraniens (auteurs de cette révolution) qui jouèrent le rôle principal dans l’administration. Le règne de cette dynastie se perpétua jusqu’en 1260. Avec le califat abbasside, l’empire se transforme en monarchie supranationale, et perd une grande part de son caractère arabe. À un pouvoir militaire, fondé sur l’organisation tribale de la péninsule arabique, succède le système des milices régulières, où l’élément étranger, iranien, turc ou africain, finit par l’emporter. L’armée, d’instrument de conquête, se transforme en instrument de pouvoir du califat pour devenir, la propriété personnelle du calife. L’élément arabe se fond désormais dans une masse beaucoup plus grande de convertis, habitués depuis des millénaires à un despotisme oriental dont le calife abbasside apparaît comme l’héritier naturel. Le premier siècle du califat abbasside marque le début d’une époque d’extraordinaire prospérité pour le monde arabe, dont les relations commerciales, facilitées par un bon réseau routier et un service régulier de postes, s’étendent jusqu’à la mer Baltique, l’Extrême-Orient et l’Atlantique. Les grands califes que sont Anglo-saxons, Haroun Al Rachid, Al-Mamun savent s’entourer de ministres et de fonctionnaires compétents, assainissent les finances, encouragent les sciences et les arts, tout en matant les révoltes périodiques des chiites et 1- SOURDEL Dominique, “Histoire des arabes », Que sais-je N°1627.1976., pp. 47-49. 2- Abo Al-Abbas avait adopté Anbar pour capitale, ville persane sur les bords de l'Euphrate, ancien grenier d'approvisionnement pour les guerres contre les romains; et c'est en 762 que le deuxième calife Abbasside fonde Bagdad et la prend pour capitale. Voir : Hurat Claud, Histoire des littératures arabes, Paris, Armand Colin, 1972, pp. 289-291. 2 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE des kharidjites et en triomphant des luttes au sein de la dynastie elle-même. Les nouvelles conquêtes sont rares. En revanche, les territoires périphériques connaissent des tendances centrifuges : Espagne, où s’est constitué le califat omeyyade de Cordoue, partie occidentale du Maghreb, où un descendant d’Ali, Idris, fonde une principauté indépendante (789-926), enfin Ifriqiya (Tunisie et partie orientale de l’Algérie), où Ibrahim ibn al-Aghlab, lieutenant d’Harun al-Rachid, fonde une dynastie autonome qui réussit à contrôler la Sardaigne, la Sicile (totalement conquise en 909) et provisoirement une partie de l’Italie du Sud. Au cours de son deuxième siècle d’existence, le califat abbasside entre progressivement en décadence. Le pouvoir central, sans cesse menacé par les milices étrangères, ne peut résister à l’évolution des régions périphériques vers l’autonomie. Ainsi, l’histoire politique des pays dont les souverains et une fraction croissante de la population étaient musulmans se scinda en une série d’évolutions régionales, marquées par l’ascension et la chute de dynasties dont le pouvoir rayonnait à partir de leur capitale jusqu’à des frontières qui, dans l’ensemble, n’étaient pas clairement définies. A. Hourani estime que cette décadence progressive n’est pas surprenante. Il en tire la conclusion que : « Avoir si longtemps conservé dans le cadre d’un seul empire de si nombreux pays aux traditions et aux intérêts différents avait été un remarquable exploit. On y serait difficilement parvenu sans la force de la conviction religieuse, qui avait créé un groupe dirigeant efficace en Arabie occidentale, puis établi une alliance d’intérêts entre lui et un secteur toujours plus ample des sociétés sur lesquelles il régnait. Ni militairement, ni administrativement, les ressources du califat abbasside n’étaient telles qu’il pût se permettre de maintenir éternellement l’unité politique d’un empire qui s’étendait de l’Asie centrale à l’Atlantique ». Ainsi, à partir du IXe siècle, le monde arabo-musulman ne s’incarnait plus dans une entité politique unique. Il est à signaler, à cet égard, que l’autorité de cette entité politique n’a pas été absolue aux yeux de certains historiens. A. Hourani considère que « même à l’apogée de leur puissance, les califes abbassides n’eurent qu’une autorité concrète limitée. Elle s’exerçait essentiellement sur les villes et les campagnes fertiles qui les entouraient ; les lointaines régions de montagne et de steppe restaient pratiquement insoumises… Pour administrer ses provinces éloignées, le Calife dut octroyer à ses gouverneurs le pouvoir de collecter l’impôt et d’en consacrer une partie à l’entretien de forces armées locales ». C’est de cette manière que se développèrent des dynasties locales chacune dotée de ses propres centres de pouvoir. Ces dynasties sont réparties, d’après A. Hourani, sur trois zones : La première zone comprenait l’Iran et l’Irak du Sud; après le Xe siècle, sa principale capitale continua assez longtemps à être Bagdad : cette ville était située au coeur d’une riche région agricole et d’un vaste réseau de liaisons commerciales، et jouissait de l’influence et du prestige accumulés pendant des siècles sous le règne des califes abbassides. La seconde zone réunissait l’Égypte, la Syrie et l’Arabie occidentale son centre politique se trouvait au Caire, la ville qu’avaient construite les Fatimides au sein d’une vaste campagne fertile et au cœur d’un système commercial reliant le monde de l’océan Indien à celui de la Méditerranée. La troisième zone recouvrait le Maghreb et les régions musulmanes de l’Espagne, qu’on appelait al-Andalus; on n’y trouvait pas une métropole unique mais plusieurs, 3 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE localisées dans des régions agricoles prospères et sur des sites qui permettaient de contrôler le commerce entre l’Afrique et telle ou telle partie du monde méditerranéen. Nous ne tenterons nullement ici de retracer en détail l’histoire de toutes les dynasties, mais il faut du moins clarifier la dynamique générale des événements qui a entraîné, durant plusieurs siècles, la dislocation de l’empire Abbasside. Cette dislocation, comme nous allons démontrer au chapitre suivant, continue à déchaîner, jusqu’à nos jours, les passions des musulmans en général, et des Arabes en particulier, et d’empreindre leur présent de nostalgie et de regret obsédant. Elle continue également à susciter des débats cherchant à déceler les facteurs qui ont conduit à la dispersion de cet empire. B- Le morcellement de l’empire : les principautés et les dynasties 1- Principautés dans la zone orientale a- Les principautés persanes Les Tahirides (820-872) Cette principauté fut fondée par Tahir Ibn Hussein d’origine persane, général en chef de l’armée du Calife au temps d’Al-Mamoun. Il conduisit la révolte contre Al-Amine (de mère Arabe) et accéléra la succession d’Al-Mamoun (de mère persane). Les Tahirides avaient choisi Naichapour comme capitale, ils avaient largement rétabli l’ordre dans leur pays et contribué à son développement économique. Ils demeurèrent fidèles au Calife et lui payèrent une redevance annuelle jusqu’à leur renversement par les Saffarides. Les Saffarides (868-902) Sous le commandement d’un cavalier redoutable appelé Yacoub Assamais, les Saffarides avaient profité d’un léger mécontentement social pour arracher le pouvoir à leurs adversaires par la force. Leur chef voulait même conquérir Bagdad qu’il tenta d’assaillir mais son armée subit une sanglante défaite en 879. C’était seulement pour s’en débarrasser et le faire taire que le Calife lui reconnut les provinces du Khorassan. Les Samanides (902-998) Les Samanides régnaient sur la Perse et une partie de l’Asie centrale. Placés sous l’autorité du Calife, ils choisirent successivement comme capitale Samarkand puis Boukhara. A l’époque de l’Émir Ismaïl Ibn Ahmed, le pays avait connu une grande prospérité. Cette dynastie contribua considérablement au développement scientifique si bien que Samarkand et Boukhara furent de grands centres de rayonnement et des pôles d’attraction d’étudiants et de chercheurs, sous la conduite d’éminents savants comme Ibn Sina (Avicenne) et Baïrouni. Après le décès de l’Emir Ismaïl, la division s’installa au sein de la famille princière et ce fut le début de leur déclin. Les Boueihydes (945-1055) Les Boueihydes, originaires des rives de la mer Caspienne, étaient des soldats aguerris qui entrèrent en révolte en 933 et envahirent les territoires de l’Est. Leur chef Mouiz Al-Dawla fit son entrée à Bagdad en 945. Le Calife Al-Moustakfi lui décerna le 4 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE titre d’Emir des Emirs, ce qui mena à l’instabilité, à la confusion et au rétrécissement du pouvoir du Calife. En fait, l’entrée des Boueihydes à Bagdad marque une nouvelle phase dans l’histoire des Abbassides. A ce sujet A. Hourani souligne : « Désormais, la réalité du pouvoir dans les régions centrales de l’empire reviendrait à d’autres dynasties soutenues par des élites militaires, mais elles continueraient à reconnaître le califat des Abbassides, qui pourraient en certaines périodes réaffirmer un résidu d’autorité »3. Les Safavides (1502-1736) La dynastie safavide réalisa l’unification de la Perse en 1501 et établit le chiisme comme religion officielle. Le chef safavide Ismaïl réunit sous son commandement plusieurs tribus chiites turkmènes. Il monta sur le trône en 1502, se proclama premier chah de Perse. La Perse des Safavides, durant cette période, fut menacée par les invasions de l’Empire ottoman, à l’ouest, et par les Ouzbeks, à l’est, ainsi que par les guerres internes entre tribus turkmènes. Cependant, à partir du règne du chah Abbas Ier, la paix s’installa. La capitale fut déplacée à Ispahan, un gouvernement centralisé fut instauré et une nouvelle force militaire fut créée afin de réduire la puissance des nomades turkmènes. Les qualités d’homme d’État d’Abbas Ier le Grand firent de l’État safavide une grande puissance. Ce nouvel ordre dura sans opposition jusqu’au XVIIIe siècle, lorsque les Afghans envahirent l’Iran et prirent Ispahan. En 1732, Nader Chah devint régent du dernier Safavide et il mit fin à la dynastie en 1736. b- Les principautés turques Les Ghaznavides (962-1186) Ce sont des soldats turcs dont le chef Sebketkine (un ancien capitaine des gardes des émirs samanides de Boukhara et de Samarkand) se révolta contre le pouvoir des Samanides et s’installa en 962 à Ghazni (Afghanistan oriental), et en fit la capitale de son royaume. Cette capitale donna son nom à la dynastie ghaznavide. Ils étendirent leur principauté au Pakistan, au Khorasan et au nord de l’Inde. Le dernier souverain ghaznavide fut renversé en 1186. Les Saljukides (1055-1113) Les Saljukides forment une population d’origine turque habitant le désert situé entre la Chine et la Mer Caspienne. Ils s’appuyaient sur une armée turque et adhéraient à l’Islam sunnite. Ils prirent le pouvoir à Bagdad en 1055 en tant que souverains de fait sous la suzeraineté des Abbassides, régnèrent sur l’Iran, l’Irak et l’essentiel de la Syrie. Ils ne revendiquaient pas le titre de calife. Parmi les termes dont on s’est servi pour désigner les monarques de cette dynastie et d’autres ultérieures, le plus commode est de retenir celui de « sultan », qui signifie en gros « détenteur du pouvoir ». En réalité, les Abbassides n’exerçaient plus qu’une très lointaine autorité religieuse sur le monde islamique, et les sultans seldjoukides contrôlaient la totalité du pouvoir politique. 3- Albert Hourani, op-cit, Paris, éditions du Seuil, 1990, pp. 46-65. 5 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE c- La principauté hamdanide (929-1003) Les Hamdanides sont membres d’une tribu arabe dont le chef Hamdane ibn Hamdoun avait, en réaction à l’influence turque sur le califat, instauré un pouvoir autonome à Mossoul (en Irak). Les Hamdanides à l’époque de Nacer addawla et son frère Saïf Addawala lancèrent vainement des attaques contre les Turcs à Bagdad pour en débarrasser le Calife. Ils acquièrent une puissance et une renommée sous le règne de Saïf Addawala qui annexa la région d’Alep en Syrie à son autorité. d- La dynastie mongole (1256-1336) La zone orientale fut, au cours du XIIIe siècle, perturbée par l’irruption dans le monde musulman d’une dynastie mongole musulmane venue d’Extrême-Orient, avec une armée levée dans les tribus mongoles et turques des steppes d’Asie centrale. Elle conquit l’Iran et l’Irak et mit fin au califat abbasside de Bagdad : le sultan mongol Hulagu s’empara de Bagdad le 10 février 1258 et fit exécuter le dernier calife. Il ordonna la destruction de Bagdad et de sa très riche bibliothèque. Une branche de la famille royale régna sur l’Iran et l’Irak pendant près d’un siècle (1256-1336), au cours duquel elle se convertit à l’Islam. Par ailleurs, la dernière grande invasion d’une armée levée dans les tribus d’Asie centrale est celle du sultan mongol Tamerlan. Celui-ci occupe l’Inde en 1398, et s’empare de Delhi, qu’il pille. En 1401, il prend la Syrie aux Mamlouks, mettant Damas à sac, et massacre la population de Bagdad. Cette dernière passe en 1534 sous domination ottomane. 2-Principautés dans la zone occidentale Deux siècles après la disparition de Mohamed, le monde arabo-Islamique a posé les bases de son unité culturelle, religieuse, linguistique. Le pouvoir, cependant, est éclaté. De l’est vers l’ouest, Bagdad, Le Caire et Cordoue sont les sièges d’autant de califats dont les frontières comme les subdivisions ne sont pas définitives. Dans la zone occidentale, on peut citer les principautés suivantes : a- Les principautés des Omeyyades d’Espagne (756-1492) Il faut rappeler que les musulmans avaient conquis l’Andalousie en 711 à l’époque du Calife Al Walid ibn Abdul Malik et sous le commandement du gouverneur de l’Afrique du Nord Ibn Nouçair et son général Tarik ibn Ziade. Après la chute des Omeyyades et l’instauration du Califat abbasside, l’Andalousie va se séparer du pouvoir abbasside et former un État indépendant sous l’autorité de Adurrahmane Addakhil. Ce dernier, qui avait échappé au massacre des Omeyyades par les Abbassides, accompagné d’un groupe de partisans, défit en 756 le gouverneur Youssouf al-Fihri et se fit proclamer Émir d’al-Andalus dans la grande Mosquée de Cordoue. Cet Émir remporta la victoire contre les soldats de Charlemagne qui ont traversé les Pyrénées pour lui lancer des attaques surprises. Cependant, le califat omeyyade de Cordoue se scinda dans les premières années du XIe siècle en un certain nombre de petits royaumes, ce qui permit aux États chrétiens qui avaient survécu dans le Nord de l’Espagne d’entreprendre leur grande expansion vers le sud. Leur poussée fut mise en échec, comme nous l’avons dit auparavent, par l’apparition successive en Maghreb de deux dynasties : les Almoravides d’abord, puis les 6 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Almohades, qui s’appuyaient sur les Berbères de l’Atlas et dont l’empire comprit à son apogée le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la partie musulmane de l’Espagne (1130-1269). En fait, suite aux attaques successives, la reconquête poussa les Portugais et les Espagnols vers les côtes marocaines. En 1415, les Portugais sont à Ceuta. Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille reprennent la ville de Grenade en 1492. Ainsi prit fin la présence multiséculaire des musulmans en Espagne. b- Les principautés en Égypte Les Tulunides (868-905) La sécession du Maghreb occasionné par l’affaiblissement du pouvoir du calife de Bagdad en Afrique du Nord, soumise à l’influence des Omeyyades d’Espagne, poussa les Abbassides, qui voulait conserver l’Égypte, à envoyer dans celle-ci Ahmad Ibn Tulun, un officier turcoman, pour y prendre la direction. Celui-ci se déclara vite indépendant et refusa de payer tribut au calife al-Mutamid, qui envoya des troupes pour le châtier. Une contre-offensive amena Ibn Tulun en Syrie, qu’il occupa, et qui resta pendant près de six siècles sous l’influence du Caire. En 905, l’armée abbasside reprend l’Égypte aux Tulunides, auxquels succèdent, en 935, les Ikhchidites, autre dynastie turque. Ceux-ci ne peuvent résister à la puissance fatimide, qui s’étend depuis 909 sur l’ensemble du Maghreb. En 969, l’Égypte et la Syrie sont totalement conquises par les Fatimides. Les Fatimides (909-1171) Les Fatimides sont des Ismaéliens qui prétendaient descendre de l’Imam Ismaël ibn Jaafar As-Sadiq (7ème Imam), un descendant direct de l’Imâm Ali et de Fatima, la fille du Prophète. Le leader ismaélien Ubaïd Allah Saïd fuya le pouvoir abbasside en Syrie et s’installa au Maghreb. Il y trouva un bon accueil et il fut proclamé Calife à Kutamah après avoir chassé les Aghlabides en 909. Il ne tarda pas à conquérir tout le Maghreb y compris la Libye, et construisit au sud de Tunis une ville à laquelle il donna son nom Al-Mahdyyah qui fut la capitale de la dynastie. Après leur installation en Tunisie, les Fatimides avaient tenté à plusieurs reprises de s’emparer de l’Égypte ; quatre tentatives échouèrent. A cette époque, l’Égypte était gouvernée par un prince ikhchidide jouissant de la confiance du Calife abbasside. Après la mort de Kafour, le dernier prince ikhchidide, la situation politique commença à se détériorer en Égypte. La dernière tentative d’invasion fatimide devait aboutir sans beaucoup de peine. Après son entrée à Fostat, le général Djauhar fit tracer, au nord, l’enceinte du Caire et poser les fondements du palais royal. Il fit construire la Mosquée Al Azhar dont le nom est tiré de Fatima Az-Zahra, la fille du prophète. Cette mosquée devint une université qui continua, jusqu’à nos jours, d’enseigner la théologie islamique et la grammaire de la langue arabe classique. Les forces fatimides poussèrent plus loin les limites de leur empire en annexant la Palestine, le Sud de la Syrie et l’Ouest de l’Arabie. Les Fatimides continuèrent de régner jusqu’en 1171, mais furent à cette date renversés par les Ayyubides. Les Ayoubides (1169-1250) La dynastie des Ayoubides est une dynastie musulmane d’origine kurde (XIIeXIIIe siècles). Elle tient son nom de Nedjm ed-Din Ayoub, le père de Salah al-Din, connu en Occident sous le nom de Saladin. Ce dernier naquit en 1128 à Takrit en Iraq. Cette 7 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE dynastie, fondée par Saladin, régna sur l’Égypte de 1169 à 1252, sur la Syrie jusqu’en 1260 et sur une partie de l’Arabie occidentale jusqu’en 1229. En fait, Saladin se trouva, durant son règne, confronté aux problèmes qui assaillaient alors le monde musulman : la restauration de l’orthodoxie sunnite face aux Fatimides (chiites Ismaïliens d’Égypte) et la lutte contre les Croisés. Le Caire fut pris en 1167 et Jérusalem, aux mains des Croisés, capitula en 1187 peu après la victoire de Hattin. Après sa mort en 1193, ses trois enfants et ses proches se mirent à se disputer sa succession. Son frère Al-Adel l’avait emporté sur les enfants de Saladin en raison de l’expérience acquise et des combats menés avec ce dernier. Al-Adel avait partagé le royaume entre ses enfants qui régnaient, après sa mort, sur l’Egypte, la Syrie, le nord de l’Irak et la majeure partie de la Palestine. Ces dissensions amenèrent le dernier Sultan de la dynastie ayyoubide, Assalîh à constituer une armée de mercenaires connus sous le nom de Mamlouks, la plupart d’origine turque, afghane, kurde, caucasienne. Cette armée mis fin en 1250 au règne des Ayyoubides. Les Mamlouks (1250-1517) Les Mamlouks régnèrent sur l’Égypte pendant plus de deux siècles (1250-1517). Ils dominèrent également la Syrie à partir de 1260, et prirent le contrôle des villes saintes de l’Arabie occidentale. Les États créés par les Croisés en Syrie et en Palestine furent définitivement détruits par les Mamlouks. En fait, les Mamlouks firent de l’Égypte la principale puissance de la Méditerranée orientale. Prétendant à un rôle dominant dans l’Islam, ils accrurent le prestige attaché à l’Égypte en installant au Caire le califat abbasside (qui avait échappé aux Mongols)4. Cependant, Ils ne purent empêcher la conquête ottomane. Le 20 mai 1516, les Ottomans emportaient à Mardj Dabiq, près de la ville syrienne d’Alep, une victoire décisive sur les troupes du sultan Ghauri — lequel devait trouver la mort dans cette bataille. En 1517, Sélim Ier conquit l’Égypte. Le pays fut alors soumis à l’autorité d’un représentant turc, (portant le titre de Pacha), mais les Mamlouks demeuraient gouverneurs des provinces (portant le titre de Bey). Au XVIIIe siècle, ils disposaient à nouveau de facto du pouvoir, l’autorité du pacha n’étant plus que nominale. En 1766, Ali Bey, qui avait pris la tête des Mamlouks, se révolta contre Constantinople, proclamant l’indépendance égyptienne. Durant sa campagne d’Égypte (1798-1801), Napoléon Bonaparte dut à son tour affronter la résistance des Mamlouks, poursuivant leurs chefs jusqu’en Syrie. La puissance des Mamlouks en Égypte fut définitivement brisée en 1811 par Mohamed Ali. Après qu’ils eurent tenté de le renverser, il fit massacrer 470 chefs Mamlouks. 3-Les principautés au Maghreb L’État rostomide (780-909) L’État rostomide fut fondé en Algérie par Ibn Rostom. La ville de Tahart (Tiaret) était sa capitale. Ce fut un État indépendant basé sur un système d’organisation sociopolitique conforme à la doctrine kharidjite. Dans ce système, l’autorité suprême revient à 4- Il convient de noter que le Calife abbasside était investi d’un simple pouvoir symbolique, limité à quelques cérémonies religieuses. Le Califat s’est poursuivi en Egypte jusqu’à la chute des Mamlouks provoquée par les Ottomans en 1517. 8 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE l’Imâm, lequel s’appuie sur un conseil de consultation (choura) composé d’hommes de science et de bonnes mœurs. Cet État fut renversé par les Fatimides en 909. Les Idrissides (788-985) C’est le premier État chiite dans l’histoire de l’Islam5. Il fut fondé au Maghreb (Maroc) en 788 par Idriss Ier6, qui fuit les Abbassides à l’époque du Calife Al-Hadi en 791. Le fondateur fut liquidé sur ordre du Calife mais la dynastie continua sous l’autorité de son fils Idris II qui entreprit de construire la ville de Fès afin de la prendre comme capitale. Le territoire de l’État s’étendait à tout le Maroc et à la partie Ouest de l’Algérie. Les Aghlabides (800-909) Cette principauté, installée à Tunis par le Calife Haroun Ar-rachid, avait principalement pour mission de mater les révoltes berbères et de contrer éventuellement les attaques lancées par les Idrissides contre les territoires de l’État abbasside. La principauté fut confiée à Ibn Al-Aghlab qui fit face à plusieurs révoltes berbères. Après le décès de ce dernier, le pouvoir a faibli à cause des dissensions intestines des membres de la famille et surtout de la présence de ministres chiites qui avaient facilité la prise de pouvoir par les Fatimides. La dynastie al moravide (1056-1147) Les Almoravides sont des berbères musulmans. Leur dynastie, qui venait des confins désertiques du Sud marocain, régna sur l’Afrique du Nord et l’Espagne aux XIe et XIIe siècles. Leur chef Yusuf ibn Tachfine, fondateur, vers 1060, de la ville de Marrakech, réalisa, entre 1063 et 1082, l’unification du Maroc et de l’Ouest algérien. En 1086, il fut appelé en Espagne par les princes musulmans des principautés indépendantes, que menaçaient les progrès de la reconquête chrétienne. Le 2 novembre 1086, Ibn Tachfine battait à Zallaka Alphonse VI d’Espagne, qui avait enlevé Tolède aux musulmans l’année précédente. Entre 1090 et 1094, Ibn Tachfine, en conquérant les principautés indépendantes, rétablit l’unité de l’Espagne musulmane. Les souverains almoravides, se déclarant princes des musulmans, reconnaissaient cependant le califat abbasside. Dès 1121, cependant, la puissance almoravide fut déstabilisée par le soulèvement des Al Mohades au Maroc. En 1147, ces derniers renversaient les Almoravides, qui maintinrent toutefois un royaume aux Baléares, jusqu’en 1202. La dynastie al mohade (1147-1269) Les Al Mohades sont des insurgés berbères qui occupaient le haut Atlas succédant aux Almoravides. Se voulant réformateur, Ibn Toumert prêche la pureté, le rigorisme et l’unicité de Dieu, d’où le nom Al Mohades (Monothéistes). En 1147, Abdul Moumen succéda à Ibn Toumert. Il organisa le pays et le dota de moyens militaires dont une flotte considérable. Cependant, les luttes de succession vont provoquer l’effondrement de l’Empire. Les chrétiens d’Espagne, toujours à l’affût, n’attendent que la première occasion pour fondre sur les musulmans. Dès le déclin de l’Empire, les chrétiens relancèrent les attaques contre les territoires musulmans de l’Andalousie. Leurs victoires se succèdent face à des princes versés dans la dépravation. 5- Philippe Hitti, op.cit, p. 524. 6- Membre de la famille d'Hussein (fils cadet de Ali ibn Abi Talib et Fatima, petit-fils du prophète Mohamed, considéré comme le second imam du chiisme). 9 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE La bataille de Las Navas de Tolosa en 1212 et la perte de contrôle des routes sahariennes annoncent la fin de l’Empire des Al Mohades. Les Mérinides (1269-1492) Dès 1269, le Maghreb (Maroc) passe aux mains d’une tribu berbère des hauts plateaux, les Mérinides. Abou Youssef Yacoub, premier Sultan de la dynastie mérinide jeta les bases d’un Islam orthodoxe et se lança corps et âme dans le Jihad contre les chrétiens en révolte en Espagne. Il parvint à ralentir leur progression vers le sud. Le troisième souverain mérinide, Abul-Hassan, surnommé le Sultan noir (né d’une mère abbasside) régna de 1331 à 1349, période au cours de laquelle il construisit un Empire berbère qui s’étend de Tunis jusqu’aux rivages de l’Atlantique. Très affaiblis, les Mérinides furent incapables de repousser les attaques chrétiennes, et sont définitivement chassés d’Espagne. De nouvelles dynasties succédèrent aux Marinides. D’abord, les Saadides (1511-1628), puis les Alaouïtes, qui régnèrent à partir de 1631 et sont toujours au pouvoir aujourd’hui. 4- La dynastie zaydite au Yémen En 898, mettant à profit la faiblesse du pouvoir abbasside, l’imam Yahya ibn Husayn, fonde au Yémen une dynastie chiite zaydite. Le zaydisme représente une branche modérée du chiisme7 : selon les Zaydites, l’Imam devait être le membre le plus digne de la famille du prophète qui fût prêt à s’opposer aux souverains illégitimes. Ils ne reconnurent pas Mohamed Al Baqir, en qui la majorité de la communauté chiite voyait le cinquième imam, mais à sa place son frère Zayd (d’où leur nom). La dynastie zaydite a régné au Yémen, à Sanaa, jusqu’à la proclamation de la république en 1962. Comme on peut le constater, durant le demi-millénaire qui sépare les débuts de la désintégration de l’Empire abbasside de la prise de pouvoir ottomane, le processus d’ascension et de chute des dynasties se répéta de multiples fois. Cependant, pour expliquer le phénomène, Nizam al-Mulk8, souligne : « Une dynastie pouvait perdre la sagesse et la justice dont Dieu l’avait dotée, et le monde était alors précipité dans le chaos, jusqu’à ce qu’un nouveau monarque, destiné au trône par Dieu et doué des qualités nécessaires, apparaisse enfin ». Par ailleurs, la tentative la plus systématique pour expliquer pourquoi les dynasties tombaient victimes de leurs propres faiblesses fut celle d’Ibn Khaldun9. Son analyse met l’accent sur la solidarité du groupe dirigeant dans la prise et la conservation du pouvoir. Cette solidarité se dissolvait peu à peu sous l’influence de la vie urbaine, et le monarque commençait à chercher ses appuis ailleurs : « Un souverain ne peut obtenir le pouvoir qu’avec l’aide des hommes de son propre peuple […] il les envoie combattre ceux qui se révoltent contre sa dynastie. Il les fait entrer massivement dans ses services administratifs, il les nomme vizirs, il les charge de la collecte de l’impôt. Ils l’aident à affermir son autorité et prennent part à toutes ses affaires importantes. » 7- Albert Hourani, op-cit, édition du Seuil, 1990, p. 66. Voir également : Alain Gresh, Effervescence au proche-orient : des mots pour comprendre , Le Monde ŝƉůŽŵĂƟƋƵĞ͕ ũƵŝůůĞƚϮϬϬϱ͕ ƉƉ͘ ϭϰ-15. 8- Nizam Al-Mulk, the Book of Government or Rules for Kings, traduction française de C. Schefer [que nous reprenons ici], Traité du gouvernement, Paris, Sindbad, 1985, p. 38-39. 9- Abd al-Rahman Ibn Khaldoun, Muqaddima, Le Caire; traduction anglaise de F. Rosenthal, The Muqaddimah, Londres, 1958, t. I, P. 372. 10 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE « Il en va ainsi tant que dure la première phase d’une dynastie, mais, quand approche la seconde phase, le souverain manifeste son indépendance à l’égard de son propre peuple : il veut toute la gloire pour lui seul, et en écarte brutalement ses compagnons. […] Par conséquent, ils deviennent ses ennemis, et pour les empêcher de prendre le pouvoir il a besoin d’autres amis, d’une autre origine que lui, afin de s’en servir contre son peuple ». « De plus, avec le temps, le monarque cesse de maintenir la shari’a, fondement de la prospérité urbaine et de son pacte avec la population des villes. Ceux qui l’entourent succombent au désir de luxe et de dépenses somptuaires qui saignent à l’excès les ressources du peuple, et les sujets du souverain tombent à leur tour dans cette apathie qui submerge les gens quand ils perdent le contrôle de leurs propres affaires et deviennent l’instrument d’autres personnes et leurs dépendants.»10. C- La fragilité du pouvoir durant la période des Abbassides Les Omeyyadess furent vaincus, comme nous l’avons vu antérieurement, par une coalition de chiites et de sunnites, déçus du régime Omeyyade. Les rebelles étaient menés par la famille des Abbassides. Depuis 718 environ, les Abbassides avaient comploté pour s’emparer du califat, envoyant des agents dans les différentes parties de l’Empire musulman pour semer la révolte contre les Omeyyades. En 747, ils avaient suffisamment de soutiens pour fomenter une rébellion dans le nord de l’Iran, qui entraîna la chute du califat Omeyyade trois ans plus tard. Après la prise du pouvoir par les Abbassides, ces derniers poursuivirent les Omeyyades partout où ils se trouvaient et les liquidèrent. À la fin du IXe siècle, les califes abbassides commencèrent progressivement à perdre le contrôle de leurs gardes de Bagdad. Ils n’avaient plus de pouvoir réel et ne furent plus que des hommes de paille à la merci des chefs militaires. Ainsi, la faiblesse du pouvoir abbasside favorisa des mouvements d’insurrection à travers toutes les provinces de l’empire. Les insurgés (Chiites, Kharijites, autres groupes de musulmans et de convertis non arabes) accusèrent les Abbassides de laxisme religieux et d’indifférence envers leurs demandes de fraternité totale dans la communauté musulmane. Cela étant, le règne des Abbassides connut plusieurs rébellions. Parmi les plus importantes, figurent11 : 1- Troubles en Péninsule arabique a- Les rébellions chiites à Médine La Médine fut, durant cette période, le théâtre de plusieurs rébellions. En 785, les Chiites partisans d’Ali se révoltèrent contre l’autorité abbasside. Cette insurrection fut violement matée à « Fakh » (un ruisseau près de La Mecque) par l’armée du calife abbasside conduite sous le commandement d’Ibn Al-Mansour12. 10- Ibid., p. 148 ; trad. angl., t. I, p 300. 11- Souyouti, “histoire des Califes” pp. 383-465. Voir aussi André Miquel : “l’Islam et sa civilisation », op-cit, p. 244-245. 12- E. de Zambaur, Manuel de généalogie et de chronologie pour l’histoire de l’Islam, Le Caire, édition AlBarig, 1968, p 65. Voir également au sujet des rébellions alaouites : Philippe Hitti, op-cit, p. 356. 11 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Le chef de cette rébellion Idris Ibn Abdallah réussit à échapper aux massacres perpétrés par l’armée susmentionnée. Il s’installa au Maghreb (Maroc) où il instaura une dynastie au nom des Idrissides en 794. b- La rébellion des Kharidjites (Yémen) Les Kharidjites n’avaient pas tardé à reprendre leur révolte du côté du Yémen contre les Abbassides sous le commandement de Toraif Acharibi vers l’an 810, mais sans succès. 2- Troubles en Iran a- Les révoltes de Khorassan (Iran) Plusieurs révoltes éclatèrent à Khorassan dans la zone orientale de l’empire abbasside : les révoltes de Sinbad Al-Majoussi en 755, de Istasis en 767, d’Ibn Allaith en 813. La politique des autorités abbassides face à ces révoltes se traduisit par des massacres sanglants13. b- Le massacre des Barmécides ou (Iran) Les Barmécides ou sont les membres d’une tribu chiite persane issue de Khaled Barmek qui fut une figure de proue de la dynastie abbasside. Jusqu’en 803, le pouvoir administratif fut confié à Yahia ibn Khalid, le chef de l’illustre tribu des Barmécides Cependant, l’influence des Barmécides ne cessa de grandir et ils devinrent de ce fait encombrants. Lorsque le Calife apprit leur implication dans des manœuvres sournoises, il fit exécuter leur chef Ibn Yahia et emprisonna son père et ses trois frères qui moururent tous en prison14. 3- Troubles en Irak a- Le mouvement des Zott (Irak) Les Zottes sont des Tziganes et des métis qui ont saisi l’opportunité des guerres pour s’emparer des régions marécageuses alentour de Bassora (en Irak) où ils semèrent le désordre. Renforcés par des esclaves fugitifs, ils y pratiquaient le banditisme, interceptaient le commerce, frappaient, pillaient et massacraient les marchands qui venaient à Bagdad de Bassora, de l’Inde et de la Chine. Cette population avait fui la misère de l’Inde pour venir s’installer dans la région. Ce mouvement fut neutralisé par l’armée du calife AlMouatacim en 839. b- La révolte des Qarmates (Irak) Les Qarmates sont des membres de la secte ismaélienne. Cette secte croit que l’imamat s’était perpétué dans la descendance d’Ismaël fils de Jaafar As-sadek, un descendant direct de l’Imâm Ali et de Fatima. Ils pratiquaient un syncrétisme religieux qui intègre athéisme et polythéisme. 13- Philippe Hitti, op-cit, p. 356. 14- Ibid, pp. 359-362. 12 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Le nom du mouvement est tiré de son fondateur Hamdan Qarmat qui déclara publiquement le mouvement à Koufa en l’an 900. Il construisit une maison qu’il baptisa « Dar al Hijra », maison de l’immigration et imposa cinquante prières par jour. Cette secte apparut à Bahreïn vers l’an 900, elle se dota d’une puissante milice et entra en guerre avec l’armée du Calife Al-Muktafi Billah. Il y eut plusieurs batailles au cours desquelles la secte infligea des pertes à l’armée du Calife à Bassora. Elle perpétra des massacres parmi les pèlerins à La Mecque, et pilla la Kaaba. Ils avaient emporté les objets en or, la pierre noire et le voile qui couvrait la Kaaba. Le chef de la secte avait gardé la pierre noire pendant vingt ans. Elle ne fut restituée que sous le règne d’Al-Muti Lillah après que la secte eut été neutralisée15. c- La révolte des Zenjs (Irak du Sud) Avec le déclin de la puissance abbasside, à partir de la seconde moitié du IXe siècle, se multiplient les révoltes politico-religieuses. En fait, l’autorité du calife abbasside fut sérieusement menacée par une rébellion massive et prolongée des esclaves noirs qui travaillaient dans les plantations sucrières et les marais salants de l’Irak du Sud, la terrible révolte des Zenjs (868-883)16. Cette révolte, selon Hitti, fut la plus sanglante durant le règne des abbassides. Elle se solda par un demi million de victimes17. 4- Dissidences fatimides En fait, quand la puissance fatimide déclina et fut finalement renversée par les Ayyoubides، les communautés chiites se contractèrent, mais elles continuèrent à exister dans d’autres régions au Moyen-orient, et à se diviser davantage en plusieurs branches. Ainsi, dans les montagnes du littoral syrien, on vit apparaître la communauté des Nusayris. Chassés du sud de l’Irak, ils se réfugient dans le djebel Ansariyé et la région de Lattaquié. Ces derniers se voulaient être les héritiers de l’enseignement initiatique : « Dieu Un était inexprimable, mais il émanait de Lui une hiérarchie d’êtres, et Ali était l’incarnation du plus haut d’entre eux (d’où le nom d’Alaouites dont on les désigne souvent.»18. Cette communauté a une base familiale. Ces familles se sont regroupées en clans (achîra) qui, aux termes d’alliances et de solidarités de voisinage, ont formé des tribus (qabîla). Ces tribus se sont à leur tour organisées en quatre fédérations à la tête desquelles se trouve un conseil, le Majlis al Milli19. Considérés comme les parias de l’Islam par la majorité sunnite du pays, les Alaouites subirent persécutions et humiliations. Pour échapper à leurs adversaires, ils pratiquèrent alors la « taqiya », c’est à dire la dissimulation de la foi ainsi que la « difâ », posture de défense lorsque la communauté devait lutter pour sa survie. Ce comportement explique en partie aujourd’hui la cohésion de cette communauté. Le mandat français20 sera la chance de la communauté. Appliquant le vieil adage « diviser pour régner » qui réussit si bien aux Anglais au Moyen-Orient, la France se présente en effet en protectrice des minorités. 15- Philippe Hitti, op-cit, pp. 517-518. 16- Albert Hourani, op-cit, édition du Seuil, 1990, p. 61. 17- Philippe Hitti, op-cit, p. 543. 18- Albert Hourani, op-cit, Paris, Seuil, 1990, p. 251. 19- Jean-Michel Staebler, “Géopolitique de la Syrie », juin 1998. 20- En 1920, la Société des Nations (SDN) confie à la France un mandat sur la Syrie et le Liban, lequel doit rapidement aboutir, en théorie, à l’indépendance de ces deux territoires. 13 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE La communauté entrevoit alors l’affirmation de son identité dans un cadre d’autonomie mais l’État souverain alaouite ne verra cependant jamais le jour21. Cependant, cette communauté réussit à s’emparer du pouvoir en Syrie après le coup d’État militaire opéré en 1970 par Hafez al-Assad (issu de cette communauté)22. a- Les Yazidis Ils avaient une religion composée d’éléments empruntés à la fois au christianisme et à l’Islam. Ils croyaient que le monde avait été créé par Dieu mais était maintenu par une hiérarchie d’êtres subordonnés, et que les humains s’amélioraient graduellement dans des vies successives. D’après le dictionnaire Al-Mounjed, les Yazidis accordent, dans leur croyance, un grand privilège au diable23, car ils croient que tout ce qu’il y a de mauvais sur la terre vient de lui, et par conséquent, pour gagner sa faveur, et se protéger contre sa colère il faut le considérer avec le respect dû à Dieu. Ils signèrent ainsi un pacte divin avec le diable. Les Yazidis, continuèrent, jusqu’à nos jours, à exercer les mêmes pratiques religieuses dans leurs régions en Syrie, et en Irak. b- Les Mandéens Ils préservaient aussi les vestiges d’antiques traditions religieuses. Ils croyaient que l’âme humaine montait, par une illumination interne, jusqu’à sa réunion avec l’Être Suprême. Comme on peut le constater, il y eut plusieurs dissidences chez les chiites Fatimides. Cependant, les deux mouvements de dissidence les plus importants furent les mouvements des Druzes et des Nizarites. c- Les Druzes Ils sont membres d’une secte musulmane née après la mort du 6ème Calife fatimide Al-Hakim (1021). Ce dernier fut un personnage bizarre. Il mena une politique dure à l’égard des Sunnites. Il persécuta les juifs et les chrétiens, détruisit les églises et les synagogues24. Selon l’historien égyptien Mohammad ANAN, l’époque d’Al-Hakim est « l’époque la plus étrange de l’histoire de l’Égypte musulmane, voire de toute l’histoire de l’Islam, une période de terreur caractérisée par la démesure et la contradiction, à la fois étonnante et révoltante »25. En fait, au début de l’an 1017, un groupe d’adeptes chiites avait senti en Al-Hakim un penchant profond à se considérer comme un dieu venu sur terre sous une forme humaine, avec en lui l’esprit divin qui se manifeste à chaque époque dans un être humain. 21- Voir, Alain Chouet, l'espace tribal alaouite à l'épreuve du pouvoir, Revue Maghreb-Machrech, la Documentation Française, Paris, 1996. 22- Patrick SEALE, “A-Assad”͕ ĠĚŝƟŽŶůŵĂƚďŽƵĂƚ͕ ĞLJƌŽƵƚŚ͕ ϭϵϵϰ͕ Ɖ͘ Ϯϭ͘ 23- Dictionnaire Al-Mounjed, édition Dar El-Mashreq, Beyrouth, 1975, P. 750. 24- Joseph Azzi, Entre la raison et le Prophète : essai sur la religion des Druzes , éditions Jacques Bertoin, 1992, pp. 45-53. 25- Mohammad Anan, Al-Hakim et les mystères du chiisme fatimide, édition de la commission des auteures, des traducteurs et des éditeurs, Égypte, 1959, p. 104. 14 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Ad-Darazi fut le premier à propager la nouvelle prédication26, d’où le nom de druzisme. Le fanatisme des druzes alla jusqu’à « maudire Adam, Noé et tous les prophètes, Mohamed et Ali, et jusqu’à profaner les mosquées et mettre en doute les préceptes du Coran. Al-Hakim avait interdit la prière et le sermon dans les mosquées, le pèlerinage à La Mecque et avait profané la Kaaba ».27 La population du Caire se révolta quand elle découvrit le caractère extrémiste et sectaire des enseignements dispensés par les adeptes d’Al-Hakim : les druzes croient dans la transmigration des âmes, et ne prient pas dans les mosquées : ils se rassemblent, jusqu’à nos jours, tous les jeudis soirs pour la prière et l’enseignement religieux, dans des bâtiments discrets en dehors des villages druzes28. Pour protéger leur religion et garder leurs enseignements secrets, ils font leur dévotion comme des musulmans quand ils se trouvent parmi des musulmans et comme des chrétiens lorsqu’ils sont en présence de chrétiens29. Les druzes ont été politiquement dominés par l’Empire ottoman du XVIe siècle à 1918. Ils ont obtenu une autonomie virtuelle en s’opposant farouchement aux forces envoyées par le sultan ottoman pour les soumettre. En 1860, un conflit éclata avec les maronites (chrétiens syriens), au cours duquel plusieurs milliers de maronites furent tués et beaucoup exilés. L’événement entraîna l’intervention des puissances européennes, puis la création d’un régime spécial pour le mont Liban30. Les druzes vivent actuellement dans les régions montagneuses du Liban, de Syrie du Sud et d’Israël. La guerre civile qui a ravagé le Liban à partir de 1975, se solda par des milliers de victimes de toutes les parties en lice. En Syrie, les druzes commencèrent en 1920 à négocier avec le gouvernement français qui contrôlait ce pays sous mandat de la Société des Nations. Le 4 mars 1921, un accord fut conclu, qui accordait l’autonomie à la région du plateau syrien de Jabal alDuruz (montagne des druzes). En avril 1925, les Druzes demandèrent un entretien au gouvernement français pour discuter de la rupture de l’accord. Le 11 juillet 1925, le général Maurice Sarrail, hautcommissaire pour le mandat français, ordonna à ses adjoints de Damas de convoquer les représentants druzes. À leur arrivée, ils furent emprisonnés et exilés par les Français dans la lointaine oasis de Palmyre, ce qui précipita la révolte druze et déclencha les conflits d’indépendance de la Syrie et du Liban. Par ailleurs, l’accession au pouvoir en 1970 de l’alaouite Hafez Al-Assad, mit définitivement fin aux manœuvres politiques des Druzes : « Certains de leurs chefs furent liquidés, d’autres emprisonnés ou exilés »31. 26- Albert Houourani, op-cit, édition du Seuil, 1990, p. 205. 27- Joseph Azzi, op. cit., p.63. 28- Joseph Azzi, op. cit., p.179. Voir également : Albert Hourani, op.cit, éditions du Seuil, 1990, p. 251. 29- Joseph Azzi, op. cit., p.148. 30- Albert Hourani, op.cit, éditions du Seuil, 1990, p. 369. 31- Van Dam Nicolas (ancien ambassadeur hollandais en Égypte), اﻟﺼـ ـﺮاع ﻋﻠﻰ اﻟﺴ ــﻠﻄﺔ ﰲ ﺳــﻮرﻳﺎ, (la lutte pour le pouvoir en Syrie), 2ème édition, Librairie Madbouli, Égypte, 1995, pp. 84-103. 15 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE En Israël, les Druzes forment une minorité au sein de la population israélienne. Quand Israël établit le service militaire en 1956, il était supposé être obligatoire pour tout homme arabe et palestinien. En raison de la résistance par les Palestiniens chrétiens et musulmans, l’État d’Israël renonça à l’idée de faire appliquer la conscription et tous les hommes arabes étaient automatiquement exemptés du service militaire. La situation des Druzes est différente. Les autorités israéliennes décidèrent de contraindre seize leaders druzes à signer un accord sur le service militaire obligatoire pour les Druzes. Depuis lors, les hommes druzes ont droit au service militaire. Les femmes druzes, contrairement aux israéliennes n’y ont pas droit32. d- Les Nizarites Les Ismaéliens « nizarites » reconnurent, au cours du XIe siècle, l’Imam Fatimide Nizar, fils aîné d’Al-Muntasir, comme calife alors que celui-ci avait été renversé par le Chef des armées qui plaça sur le trône fatimide le fils cadet de Al-Muntasir, Al-Mustaali. Suite à cet événement, les Nizarites se séparèrent des califes-imams du Caire, et déclenchèrent une révolte en Alexandrie. Cette révolte fut violement réprimée par l’armée d’Al-Mustaali. Cela étant, Ils fuirent l’Égypte, et s’installèrent en Iran et en Syrie où ils fondèrent un État indépendant. Cette dissidence doit être mentionnée, car c’est d’elle que naquit la communauté des fidèles de l’Agha Khan33 au XIXe siècle que l’on identifie aujourd’hui avec les Ismaéliens. Les Nizarites continuèrent leur violence en assassinant le Grand Vizir du calife abbasside. Il s’ensuivit toute une série d’assassinats de sultans, d’émirs, de vizirs, de muftis, de cadis et même de plusieurs chefs francs. Cette violence n’était certes pas nouvelle et s’inscrivait dans les usages du temps. La légende raconte que les combattants nizarites étaient drogués au hachisch, « là est d’ailleurs l’origine du mot « assassin » 34. Les armées nazirites réussirent à étendre leur pouvoir sur l’Azerbaïdjan, le Khurasan et la Syrie jusqu’à la soumission en 1256 à Hulagu, le petit-fils du Mongol Gengis Khan35. En réalité, ces multiples rébellions, révoltes, séditions, soulèvements et insurrections ont ébranlé la force et l’unité des Abbassides. Le pouvoir central de Bagdad va céder à une sorte de décentralisation très poussée. On assista peu à peu à la naissance de principautés plus ou moins indépendantes. La soumission au pouvoir central avait un caractère purement symbolique. 32- Sergeiy Sandler, Focus sur les réfractaires israéliens et la résistance non violente à l'occupation israélienne, journée internationale pour les Objecteurs de Conscience, Publications de l'IRG (Internationale des résistant(e)s à la guerre), Londres, 15 mai 2003. 33- Agha Khan (1800-ϭϴϴϭͿƌĞĕŽŝƚůĞƟƚƌĞĚĞĐŚĂŚĚΖ/ƌĂŶĞŶϭϴϭϴ͘ ŶϭϴϰϬ͕ ŝůs'enfuit en Inde après une tentative avortée de prise du pouvoir en Iran. Aujourd’hui, c’est l’Aga Khan qui dirige la principale communauté ismaélienne présente en Iran, en Afghanistan, au Tadjikistan, en Inde, au Pakistan, etc. Voir à ce sujet : Philippe Hitti, op-cit, p. 521. 34- Gérard Challiand et Arnaud Blin, “histoire du terrorisme de l’antiquité à Al Qaida », éditions Bayard, 2004, p. 296. 35- Philippe Hitti, op-cit, p. 519. Voir également : Gérard Challiand et Arnaud Blin, histoire du terrorisme de l’antiquité à Al Qaida , éditions Bayard, 2004, pp. 81-84, aussi, p. 296. 16 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Elle se manifestait dans l’utilisation d’une monnaie portant le nom du Calife, la prière pour ce dernier dans les mosquées et le versement d’une redevance annuelle au budget central. En dehors de cela, chaque principauté était autonome, dotée d’une administration et d’une armée autonome. Par ailleurs, on ne peut parler de la violence, durant la période des Abbassides, sans mettre l’accent sur les monstrueuses tueries commises par les troupes du sultan mongol Hulagu lors de la prise de Bagdad en 1258. En fait, lorsque les Mongols arrivèrent aux portes de Bagdad, après quelques accrochages avec l’armée musulmane, le ministre chiite Al Alqami (qui établit des relations secrètes avec les Mongols et complota contre le Calife) proposa au Calife sa médiation pour une réconciliation. Il contacta les chefs Mongols, obtint leur confiance et des promesses en ce sens que le roi Mongol n’avait pas de visées hégémoniques, qu’il comptait marier sa fille au fils du Calife Abu Bakr et qu’il n’avait nullement l’intention de renverser le Calife. Le ministre demanda au Calife de lui répondre pour épargner le sang des musulmans. Le Calife sortit au devant des Mongols accompagnés d’une foule de notables et invita les savants à assister à la conclusion du pacte. Ils furent tous passés au fil de l’épée y compris le Calife et les membres de sa famille36. C’était une calamité sans précédent pour l’Islam et les musulmans ; la destruction de Bagdad fut l’un des épisodes les plus noirs de l’histoire de l’Islam et le prélude à la conquête mongole qui allait bouleverser de fond en comble le Moyen-Orient par les destructions, les massacres et la ruine des villes. Seul un membre de la famille abbasside échappa au désastre et se réfugia au Caire assurant à la dynastie une survie symbolique jusqu’à 1517(cf. plus haut). 36- Voir à ce sujet : Philippe Hitti, op-cit, p. 563. 17 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE La langue arabe à l’époque du déclin M. Jamal ASMI D.E.A. en Linguistique Générale Docteur en Traduction Juridique La période qui s'étend du XIII au XVIIIème siècle est celle d'un déclin civilisationnel qui a touché tous les domaines de la vie intellectuelle, politique, littéraire, scientifique, ...etc.; Ce déclin était plus ou moins marqué selon les régions. En fait, l'entrée des Mongols (37) à Bagdad et à Damas en 1258 marque la dislocation politique de l'empire musulman : "cette invasion a brisé définitivement l'unité culturelle du monde arabo-islamique" (38). Ainsi, la Perse avait eu peu à peu son histoire à elle; la domination musulmane en Espagne se maintenait jusqu'à la fin du XVème siècle avec les "Nasrides de Grenade" (39); le Maroc n'a pas connu de pénétration étrangère puissante avant le protectorat français; le reste du monde musulman a passé peu à peu sous la domination des Turcs (Ottomans) jusqu'au moment où la colonisation européenne les a supplantés ici ou là. C'est donc l'époque de l'ascension des turcs et de leur hégémonie dans l'histoire de l'Islam en général, et des Arabes en particulier. L'empire ottoman, qui a duré six siècles, s'est formé par étapes (40). Il s'est étendu d'abord à l'Asie Mineure et aux Balkans (Constantinople en 1453, Vienne en 1529). L'Ouest musulman leur a échappé jusqu'en 1517, date à laquelle les Ottomans se sont emparés de la Syrie, de l'Arabie, et de l'Égypte; jusque là, ces trois régions étaient gouvernées par les Sultans Mamelouk (41). La poussée turque ne s'est arrêtée qu'aux abords du Maroc. En 1520 l'empire Ottoman s'étendait des portes de Vienne au Nil, de Bagdad à Tunis et Alger. La période qui commence alors et qui s'étend jusqu'à la fin du 19ème siècle "embrasse les siècles les plus sombres non seulement de l'histoire politique des Arabes, mais aussi de l'histoire de leur langue" (42). (37) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.100. "En 1258 la ville de Bagdad était mise à sac par les hordes mongoles qui avaient commencé à pénétrer en Iran au début du XIIIème siècle, après avoir envahi la Chine en 1211. L'armée mongole poursuivit alors le mouvement de conquête vers l'Ouest; elle envahit la Syrie ĞŶϭϮϲϬ͕ ŵĂŝƐĐĞƩ ĞĂƌŵĠĞĚƵƚƐΖĂƌƌġƚĞƌĂƵdžƉŽƌƚĞƐĚĞů'Egypte". (38) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.101. (39) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.86. (40) SOURDEL Dominique, "L'Islam, op-cit., PP.32-33. (41)Selon SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., PP.102-103) les Mamelouks sont, à l'origine, des esclaves turcs recrutés par le souverain Ayyoubide AL-SALIH (en Égypte) pour résister aux attaques des croisés menées par Louis IX. Ces esclaves, qui détenaient l'armée en Egypte, avaient revendiqué pour eux-mêmes le pouvoir ; c'est ainsi qu'en 1250, ils réussirent à l'emporter, et à nommer leur chef Baybors Sultan de l'Egypte. Les Mamelouks avaient envahi la Syrie, après y avoir chassé les mongols ; et ils ont obtenu, également la soumission des Ismaïliens en Arabie. (42) FUCK J., op-cit., P.192. 18 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE En fait, la vie intellectuelle, durant cette période, était bien terne. A partir de XIème siècle, le pouvoir autant politique que militaire, tant dans l'Orient que dans l'Occident, était aux mains de souverains non-arabes : berbères à l'Ouest (au Maghreb), Turcs ou Kurdes à l'Est (Perse-Iraq), Mamelouks en Égypte, Syrie, Arabie. Ces souverains "ne contrariaient pas les activités intellectuelles, mais ne les suscitaient pas" (43). Cet assoupissement de la culture et de la science, durant cette période, est dû, également, aux guerres ininterrompues entre ces différents royaumes à travers le monde arabe ; et aux affrontements avec les chrétiens en Espagne et les Croisés au Proche Orient. En réalité, cette situation s'est aggravée à partir du XIIIème siècle, lors de l'invasion Mongole qui a mis fin à toutes sortes d'activités littéraire, scientifique en arabe, en détruisant les centres culturels et les bibliothèques dans les régions arabes envahies : "Cette épouvantable catastrophe a plongé les intellectuels dans le désarroi. La civilisation réelle que patronnèrent les souverains mongols s'est développée surtout en langue Persane" (44). Cette situation atteint ses limites les plus sombres avec la domination ottomane pendant laquelle les régions arabes soumises à cette autorité turque connaissaient une stagnation intellectuelle, dont elles ne devaient sortir qu'au XIXème siècle : "La peau de chagrin se resserre encore avec la domination ottomane, qui sonnera vraiment le glas d'une culture profonde et désintéressée. La situation de la Mésopotamie est pitoyable, et la splendide cité de Bagdad est reléguée au rang de gros village" (45). Ces bouleversements qui affectaient les régions islamiques, durant des siècles, avaient touché profondément la langue arabe : "Le coup le plus grave qui l'avait atteinte, avait été son éviction des affaires administratives, juridiques et politiques. Elle avait été détrônée dans ces emplois par la langue Turque, qui de plus en plus s'infiltrait comme langue commune entre tous les peuples de l'empire Ottoman" (46). Ainsi l'empire musulman de langue arabe se rétrécit : à partir de la prise de Grenade en 1492 et l'expulsion des Maures (47), la langue arabe est disparue de l'Espagne où "l'usage de la langue arabe ainsi que des noms arabes fut interdit. C'est la fin de l'Espagne musulmane arabisée" (48). Il en est de même pour le persan qui se substituait à l'arabe dans les régions orientales : "une renaissance active du persan utilisé désormais pour la poésie épique comme la prose profane. Le contrecoup de ces transformations linguistiques atteignait même des régions arabophones où vivait désormais une aristocratie militaire à peine arabisée" (49). Pareillement au Maghreb, où la langue arabe avait toujours été en opposition très nette avec les dialectes ; ceux-ci "avaient donné naissance à un nouveau langage poétique (50), (le Maloun : poème d'arabe altéré), qui a joui d'une popularité croissante au Maroc à partir du Xème siècle jusqu'au XVIème siècle. (43) FAOURI H., op-cit., P.861. (44) WIET.G, op-cit., P.244. (45) WIET.G, op-cit., P.244. (46) COHEN Marcel, "Mélanges", op-cit., P.99. (47) On entend par Maures, selon SOURDEL Dominique, ("Histoire des Arabes, op-cit., P.87), les musulmans de l'Espagne qui ont choisi l'exil en Afrique, car ils ont refusé de se convertir au christianisme. (48) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.87. (49) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.95. (50) E.I., op-cit., P.590. 19 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Dans ces conditions l'activité littéraire en langue arabe, dans les pays arabophones qui ont subi la domination des sultans ottomans, était descendue à son niveau le plus bas; cela est imputé essentiellement à la négligence de ces sultans, qui ne s'intéressaient pas particulièrement à la sauvegarde de la langue arabe. Pour ce qui est des aspects lexicologiques qui marque l'évolution de la langue, à savoir, le néologisme, l'emprunt, ...etc. Ch. PELLAT (51) souligne : "Le monde arabe replié sur lui-même n'a guère besoin de mots nouveaux, mais la langue de la conversation se charge d'une foule de vocables turcs et persans, notamment empruntés à la terminologie administrative; par contrecoup, par paresse aussi, certains d'entre eux passent dans l'arabe qu'ils encombrent inutilement". En conclusion à ce qui précède, on peut constater que l'hégémonie mongole, persane et turque ne supprime pas radicalement l'arabe qui reste la langue religieuse et même officielle dans des différentes parties du domaine islamique, en Afrique du Nord, en Syrie et en Égypte,...etc. La langue arabe est demeurée, durant cette période, dans une sorte de pénombre ; réellement les œuvres de qualité font défaut. Toutefois, il ne s'agit pas d'une éclipse à proprement parler, "car les œuvres sont abondantes, mais elles sont en perte de vitalité" (52). Dans ce sens M. SOURDEL souligne : "la vie intellectuelle n'était pas morte pour autant, même si les belles-lettres proprement dit ne donnèrent pas lieu à des œuvres remarquables" (53). En réalité, ce manque de vitalité est dû au fait que "le monde arabe, où la vie intellectuelle ne consistait plus guère, depuis près de trois siècles, qu'à commenter les enseignements anciens, n'avait alors qu'une très faible élite de lettrés capables d'utiliser la langue arabe littéraire. Les parlers populaires y variaient d'une extrémité à l'autre" (54). Cet état de stagnation et de décadence de la langue arabe a exhorté "des occidentaux arabes ou arabophiles à tenter de sauver ce qui peut l'être encore" (55). De ces linguistes nous citons quelques uns dont les ouvrages sont enseignés, de nos jours, dans les facultés de lettres à travers le monde arabe : - Ibn MLIK (1274); ses œuvres sur la grammaire arabe sont composées en vers, pour faciliter l'apprentissage de cette grammaire. - Ibn JRUM (1323); sa célébrité repose sur son abrégé de grammaire connu sous le nom de Al-JURUMIYAH, que l'on apprend par cœur maintenant dans les écoles de bien des pays arabes. - Ibn MANOUR (1311); il a élaboré un dictionnaire gigantesque (56) : Lisan-AL ARAB. - AS-SAYOUI (1505) : parmi ses principales compilations, on peut citer AL-MUZHIR (Encyclopédie Linguistique et Littéraire) (57). (51) PELLAT Charles, op-cit., P.46. (52) AL-MOUNGED FI L-LUGA (Le sauveur en langue arabe) dictionnaire élaboré par l'équipe linguistique du "centre de recherche oriental à Beyrouth", Beyrouth, 1986, PP.466-467; Voir également à ce sujet M. HUART Cl., "histoire des langues", op-cit., PP.320-403. (53) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.104. (54) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., P.107. (55) PELLAT Charles, "Étude sur l'histoire socio-culturelle de l'islam", Londres, 1976, PP.649-656. (56) Ce dictionnaire a fait l'objet d'une analyse et de recherches linguistiques sur ordinateur au Centre de ZĞĐŚĞƌĐŚĞƐĞƚĚΖƉƉůŝĐĂƟŽŶůŝŶŐƵŝƐƟƋƵĞƐăůΖƵŶŝǀ ĞƌƐŝƚĠĚĞE ĂŶĐLJ//͕ ϭϵϳ ϯ ͖ ǀ ŽŝƌĠŐĂůĞŵĞŶƚăĐĞƚégard Cahiers du CRAL, n°23, 1973, Nancy. 20 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE La langue arabe à l'époque Abbasside M. Jamal ASMI D.E.A. en Linguistique Générale Docteur en Traduction Juridique Les Abbassides, descendants de l'oncle du Prophète, "Abu AL-Abbās" prétendaient, en raison de leur parenté avec Mohamad, avoir plus de droit au Califat que les membres de la famille Omayyade. Leur arrivée au pouvoir est imputée à un affranchi d'origine iranienne nommé Abu Muslim (58), celui-ci exploite le mécontentement régnant dans les provinces orientales, et les rivalités entre tribus arabes au Maghreb, pour mettre fin au règne des Omayyades en Iran et en Iraq, et prépare ainsi l'environnement politique et sociale à Abu Albbas, qui est proclamé aussitôt calife dans la grande mosquée d'Al-Koufa (en Iraq 750 après J.C.). Installée en Iraq avec Bagdad (59) pour capitale, la dynastie Abbasside s'appuie sur les Iraniens (auteurs de cette révolution) qui jouèrent le rôle principal dans l'administration. Le règne de cette dynastie se perpétua jusqu'en 1260. Ce règne de cinq siècles (750-1260) se divise en deux phases, l'une d'ascension et d'épanouissement qui comprend les VIIIème et IXème siècles, appelée (60) la centralisation, l'autre de dissémination de durcissement, cette phase dite "la dispersion" s'annonce déjà avec le calife AL-MAMUN (813) et commence avec le calife AL MUTAWAKIL (861), elle sera marquée jusqu'à la chute des Abbassides par un déclin progressif. Nous allons passer en revue l'état de la langue arabe et son évolution linguistique durant les deux phases de cette période. 1- La période de La centralisation (VIIème et IXème siècle) : Le changement de dynastie ouvre une nouvelle période dans l'histoire de la langue arabe ; celle-ci connaît son âge d'or sous le règne des Abbassides. On peut découvrir l'éclat de cette langue, au cours de cette période, à travers les deux aspects suivants. A) Les sciences de la langue : Les Arabes et leurs disciples non-arabes ont voué une sorte de culte à la langue arabe, langue dans laquelle, d'après eux, Dieu a exprimé sa parole éternelle. De bonne heure, on s'est mis à l'étude de cette langue dont on a codifié les règles et réuni le vocabulaire. Un groupe remarquable de grammairiens et de lexicographes entre en activité ; leurs travaux remplissent encore d'admiration tous ceux qui aiment la langue arabe. (57) Pour plus de renseignements sur d'autres ouvrages linguistiques, voir WIET.G, op-cit., PP.246-247; également ABD EL-JALIL, op-cit., PP.206-216. (58) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., PP.47-49. (59) Abo AL-ABBAS avait adopté Anbar pour capital, ville Persane sur les bords de l'Euphrate, ancien grenier d'approvisionnement pour les guerres contre les romains; et c'est en 762 que le deuxième calife Abbasside fonde Bagdad et la prend pour capitale. Voir HUART Cl., op-cit., PP.289-291. (60) Voir Abd-EL-JALIL, op-cit., P.85. 21 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Il est incontestable que le souci de la pureté de la langue et de la codification de ces lois domine fortement des esprits : des éléments non-arabes se convertissaient à l’Islam ; il leur fallait réciter le Coran (61) ; et celui-ci devait être préservé de toute altération ; et puis tous, arabes et non-arabes avaient besoin, pour bien comprendre ce livre, de bien connaître la langue dans laquelle il avait été révélé. Il semble donc sûr que les sciences de la langue arabe, autrement dit les études linguistiques dérivent d'un souci religieux. Pour préserver la langue de toute altération par la masse, et pour éviter toute falsification du texte ou du sens du Coran ; il fallait connaître avec certitude les règles de la grammaire et le sens des vocables. Il fallait des preuves à l'appui de ces règles et de ce sens ; d'où la campagne fervente des linguistes à la recherche des textes anciens et de vieille poésie ; d'où les stages prolongés dans les tribus dites de purs arabes dont la langue est censée être restée sans altération, cette langue bédouine avait été jusqu'à la fin du 8ème siècle "la source éternellement fraîche à laquelle grammairiens et philosophes puisaient leur connaissance de la langue correcte" (62). Toutefois tout cela ne va pas sans abus, sans faux et sans supercheries. Le principe de l'infaillibilité des bons bédouins en sera la grande cause car "les dialectes bédouins euxmêmes paraissaient au 9ème siècle rudes et mal dégrossis" (63). Malgré cela une grande partie de ces linguistes continue à imposer comme règle possible de langage toutes les tournures et toutes les expressions employées par ces bédouins. On aboutit d'une part à des discussions grammaticales sans fin ; et d'autre part, la masse considérable de termes réunis, met en évidence les avantages et les inconvénients d'une langue arabe riche à en être accablante, confuse, encombrée de synonymes et de mots archaïques dont plusieurs n'étaient plus compris. Cette situation a fait naître les deux fameuses écoles linguistiques (64) : 1- L'école de Koufa : la marque particulière de l'école de Koufa serait un certain archaïsme étroit, et l'adoption aveugle du principe du bédouinisme, exploité et défendu avec un fanatisme littéraliste et systématique. A cette école appartient ces deux célèbres linguistes : AL-KISA'I (d'origine Perse), qui nous a laissé un ouvrage intitulé (" )رﺳﺎﻟﺔ ﻓﻲ ﻟﺤﻦ اﻷﻣﺔÉpître sur les fautes du peuple"; et AL-ANBARI, il a composé un livre sur les mots ayant des sens opposés (65). 2- L'école de Bassrah : les linguistes de cette école seraient les représentants d'un esprit apparemment plus logique et plus critique. Beaucoup moins enclins à se fier à tous les dires des bédouins, ils semblaient plus mesurés et plus attachés à la spéculation et au raisonnement. Le maître de cette école est Sibawayh (d'origine Perse). Celui-ci est le disciple du premier grammairien arabe (AL-ALIL); son œuvre capitale porte le titre de AL-KITAB (le livre, par excellence); c'est l'exposé systématique de la grammaire arabe. A l'égard de Sibawayh, M.G.WIET (66) souligne : "la codification des problèmes grammaticaux a été résolue d'une façon parfaite dès Sibawayh. On n'y a rien ajouté de capital et ce phénomène a de quoi nous plonger dans l'étonnement". (61) PELLAT Charles, op-cit., P.32. (62) FUCK J., op-cit., P.131. (63) FUCK J., op-cit., P.123. (64) E.I., op-cit., P.588. (65) En tout ce qui concerne cette école, voir PELLAT Charles, op-cit., PP.33-34. (66) WIET.G, op-cit., P.67. 22 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE En réalité ces deux écoles avaient patronné les premiers débats linguistiques dans l'histoire de la langue arabe ; et ont mis en route les sciences de la langue. Ainsi se dessine un fait d'une importance majeure sur lequel HUART. (67) a justement attiré l'attention : "La grammaire arabe devient une science grâce aux efforts des deux écoles de Bara et de Koufa... La langue arabe, organe officiel de l'empire, est de plus en plus étudiée par des étrangers désireux d'assimiler son mécanisme : d'où l'origine des recherches savantes qui, sous l'impulsion de ces grands maîtres, vont bientôt formuler ce chef-d'œuvre d'agencement logique que présente cette grammaire". Ainsi, après avoir fixé les règles grammaticales de la langue arabe, les linguistes, au cours de cette période, ont essayé d'inventorier le lexique général de cette langue; d'où la naissance de la science de la lexicographie. Cette science, dont l'activité se développait très rapidement, se matérialisait dans des œuvres (dictionnaires, encyclopédies, ...etc); celles-ci sont en usage jusqu'à nos jours. Les principales (68) de ces volumineuses œuvres sont : Kitab al-Ain de AL-ALIL ben Ahmed et les monographies de vocabulaires spécialisés de Al-AMAI. B) La langue des sciences : Le contact des Arabes avec les peuples conquis n'a pas tardé à leur révéler que ces peuples non seulement avaient une civilisation matérielle susceptible de rendre la vie plus agréable, mais encore possédaient des connaissances, un savoir que les Arabes ignoraient. Or, les Arabes selon DOZY (69), "se firent instruire par leurs nouveaux sujets, et se mirent à étudier avec ardeur des arts et des sciences qui leur avaient été étrangers. Une révolution complète s'opéra dans leurs idées comme dans leurs mœurs, et leur idiome devait nécessairement ressentir le contre-coup de ce brusque passage d'une vie demi barbare à une civilisation fort raffinée. Il s'appauvrit d'un côté et s'enrichit de l'autre". En effet, l'exemple de la Syrie fourni par WEIT (70) illustre le niveau de progrès scientifique qu'atteignaient ces pays conquis : "Dès avant le IVème siècle, les Syriens connaissaient l'histoire grecque et s'étaient imprégnés de la pensée hellénique : ils avaient passé en Syriaque les livres scientifiques et philosophiques. L'œuvre d'Aristote avait été traduite par les Syriens et c'est par ces derniers qu'elle fut introduite dans la vie intellectuelle de l'Islam". Il est de même pour d'autres peuples et d'autres civilisations (71) : le Pehlevi fournit un bon contingent de notions nouvelles ; c'est ainsi que prennent naissance l'astronomie, la médecine, la mathématique. L'Inde fournit de son côté également des notions mathématiques et philosophiques. Dans ces conditions, un mouvement de traduction très vivant a été introduit dans l'activité littéraire et intellectuelle des Arabes (72) "Dès le début du IXème siècle, la civilisation arabe naissante est littéralement submergée par un flot de traduction d'ouvrages (67) HUART Cl., op-cit., P.291. (68) PELLAT Charles, op-cit., P.35; voir également (Les encyclopédies dans le monde arabe), in Étude sur l'histoire socioculturelle de l'Islam VIIème-XVème siècle, Paris, 1976, PP.632-648. (69) K z͕ Η^ƵƉƉůĠŵĞŶƚĂƵdžĚŝĐƟŽŶŶĂŝƌĞƐĂƌĂďĞƐΗ͕ϮğŵĞĠĚŝƟŽŶ͕ >ĞLJĚĞ͕ ϭϵϮϳ ͕ W͕͘ s ͘ (70) WIET G, op-cit., P.74. (71) HOLT.P.M. et LEWIS Bernard, "Les sciences", in Encyclopédie générale de l'Islam, Cambridge, 1970, P.57; voir également, HUART Cl., op-cit., PP.278-319. (72) WIET.G, op-cit., P.74. 23 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE persans, indiens et particulièrement grecs". Ceci dit, les califes (73) ont compris la valeur de la civilisation antique et avaient la volonté de l'intégrer à la culture arabe. C'est alors qu'ils ont fondé à Bagdad l'Académie de la Sagesse qui devint bientôt le centre d'une vie scientifique active. En fait, durant cette période, "la vie culturelle pris dans les domaines les plus divers dans la poésie, la philologie, la théologie et dans l'accueil fait à l'hellénisme oriental, un tel essor que cette période peut être considérée comme l'âge d'or de la langue arabe" (74). Cette activité traductionnelle avait nécessité l'emploi de termes idiomes pour exprimer des notions nouvelles pour les Arabes, mais précis, rigoureux, concrets la plus part du temps, corrigeant le flou sémantique et la multiplicité des synonymes qui sont justement recherchés, dans la littérature, pour obtenir un style coloré ou redondant. La langue arabe, selon DOZY (75), a évolué rapidement pour s'adapter aux nouveaux besoins : "On laissa tomber cette surabondance de mots qui encombrent l'arabe littéral; c'était peut-être un tiers de la langue, et ces mots exprimaient principalement des idées bédouines, pour ainsi dire, sans compter que plusieurs d'entre eux n'avaient, à aucune époque, été d'un usage général; par contre, on forme plus ou moins régulièrement, selon le génie de la langue, des termes nouveaux pour désigner des objets et des idées inconnus auparavant". Quant à l'emprunt aux langues étrangères, les traducteurs arabes n'ont pas hésité en cas de nécessité à "arabiser" des termes étrangers. A titre d'exemple le mot philosophie rendu par (Falasfa) duquel on a dérivé le verbe "Falsafa". A en croire M. Shihabi "il paraît que les termes scientifiques qui ont été intégrés, à cette époque, dans la langue arabe, se chiffrent par plusieurs milliers" (76). C'est ainsi que les scientifiques ont introduit une terminologie variée dans la langue arabe et ont enrichi le lexique de cette langue par de nombreux vocables ; ce qui a mis en évidence sa faculté à l'adaptation et à l'évolution pour être une langue de toutes les sciences. 2 : La période de la dispersion : L'autorité des califes Abbassides commence dès le milieu du IXème siècle à connaître le déclin. La faiblesse de cette autorité est due, principalement aux difficultés financières consécutives aux expéditions coûteuses que le pouvoir avait été obligé de mener contre les révoltés divers; et aux dépenses somptuaires de la Cour (77). Dans ces conditions les différents chefs des contrées musulmanes s'isolent et se rendent indépendants dans leurs gouvernements. Ces chefs s'appuyaient sur le nombre de leurs hommes et sur l'immensité de leurs richesses. Suite à cette situation, on voit surgir de plusieurs petites dynasties locales autonomes; on a ainsi, selon M. Abd-El-JALIL (78) : "à l'Est de Bagdad les Tahirides (820-872), les Saffarides (867-903), les Samanides (874), les (73) D'après SOURDEL Dominique, ("Histoire des Arabes", P.52) : deux règnes méritent d'être particulièrement mentionnés ici : d'abord celui de AL RACHID, qui semble avoir été le premier à demander à l'empereur byzantin de lui envoyer des ouvrages scientifiques ; puis celui de AL MAMOUN, qui est le premier à encourager les traductions d'ouvrages philosophiques grecs. (74) FUCK J., op-cit, P.97. (75) DOZY, II-III. (76) Al SHIHABI Musstafa, "Al-mustalaat al-ilmiyya» (la terminologie scientifique), Le Caire, 1955, P.21. (77) SOURDEL Dominique, "Histoire des Arabes", op-cit., PP.53-60; voir également FUCK J., op-cit., P.173. (78) ABD-EL-JALIL J.M., op-cit., P.153. 24 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE Buwayides (932-1055), les Gaznavides (962-1186), les Saljuquides (1037-1194); à l'Ouest de Bagdad les Hamadanides de Syrie (929-1003), en Égypte les Tulunides (868-905), puis après un étroite et nouveau rattachement de l'Egypte à Bagdad, les Ikshidides (935-969), puis les Fatimides (969-1171) et enfin les Ayyubides jusqu'à l'avènement des mamelouks en 1250". Avec cette décomposition de l'empire Abbasside -achevée en 936- en une douzaine de royaumes indépendants, commence pour la langue arabe une nouvelle période. En fait, l'émancipation nouvellement obtenue de la domination de Bagdad, a eu des conséquences d'une grande portée dans le domaine de cette langue. Les parlers de chaque pays se réunirent alors en un groupe de dialectes qui, par des points communs en phonologie, morphologie, syntaxe et vocabulaire s'écartait plus ou moins nettement de chaque autre groupe dialectal. Ces dialectes régionaux d'Iraq, de Mésopotamie, de Syrie, d'Égypte, d'Afrique du nord et d'Espagne déteignirent sur la langue des gens cultivés et lui confièrent, dans chaque pays un coloris provincial si caractéristique que MUQUADDASI (79) (dans sa relation de voyage écrite en 985), pouvait, à travers sa description du monde musulman, risquer l'essai de caractériser chaque province par ses particularités de langue. Il ressort, également de l'ouvrage de MUQUADDASI, qu'à son époque, dans tous les pays arabophones, la langue de la conversation dans les hautes classes avait souffert considérablement des intrusions des dialectes locaux, et que la langue arabe la plus pure s'entendait dans les régions Iraniennes où l'on portait un grand intérêt à l'étude de la grammaire. Selon l'E.I (P.588), la langue classique, vers l'année 912, cesse d'être en usage dans la conversation de la bonne société, dans les cours de la justice et les collèges, et se figea sous la forme d'un langage littéraire; s'en tenir aux règles de la grammaire était considéré comme un signe de pédanterie et d'affectation. En même temps, le vieil engouement pour les Bédouins commence à disparaître, et leur langue -qui avait beaucoup évolué entre temps- a cessé d'être considérée comme un modèle de pureté arabe. En fait, la langue arabe classique n'était plus parlée que dans les occasions littéraires. Le statut de cette langue, comme unique langue littéraire du monde musulman restait incontestée, car l'unité culturelle de l'empire était maintenue. Elle connaissait alors une large expansion ; désormais tous les pays participaient à la culture de la littérature arabe plus fortement qu'à l'époque où le centre de Bagdad jouait le premier rôle, selon ABD El-JALIL (80) "Bagdad ne cesse pas d'être un centre; mais elle n'est cependant plus la ville qui attire les regards de tout l'empire musulman. L'instabilité et l'insécurité générale sont loin d'avoir étouffé l'activité littéraire et le travail intellectuel ; la décentralisation a stimulé, au contraire, les esprits et les ambitions. Les Xème et XIème siècles virent se multiplier les centres littéraires avec les capitales régionales des dynasties de l'Asie, de la Syrie, de l'Égypte et de l'Espagne" (81). Au sujet de ces centres Weit souligne : "avec le craquement de l'empire califien, la scène s'agrandit, les centres culturels augmentent ... et grâce à l'émulation, nous assistons à une amplification de la vie culturelle, avec des princes soucieux de leur prestige" (82). (79) MUQUADDASI, "Kitab Asn at-taqasim Fi marifat al-aqalim" (La meilleure division pour la connaissance des climats), cité par PELLAT Charles, op-cit., PP.157-158; voir également l'E.I., op-cit., P.589. (80) ABD EL-JALIL, op-cit., P.154. (81) De tous ces centres régionaux le plus célèbre est celui d'ALEP, avec la dynastie des Hamadanides et son célèbre prince Seïf- ed daula. Autour de ce prince nous trouvons les plus grands noms de l'époque tant au point de vue des lettres que de la pensée. Voir HUART Cl., "Histoire des langues", op-cit., P.91. (82)WIET.G, op-cit., P.138. 25 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE En fait, les frontières n'opposaient aucune barrière aux linguistes, aux écrivains, aux savants ; ceux-ci parcouraient le monde islamique d'un bout à l'autre et pourvoyaient à un échange actif des idées ; cette situation a conservé à la langue arabe son caractère classique, et en a fait la langue culturelle de toutes les contrées musulmanes. Plusieurs linguistes se sont distingués, à cette époque, en raison de la remarquable valeur linguistique de leurs œuvres ; nous en citons à titre d'exemple : -AL Qali (967) né en Arménie, disciple des maîtres de Bagdad, s'est fixé en Espagne où il a écrit les "Amali" études lexicographiques sur des sujets variés (Coran, contes anciens,...etc) accompagnées de citations poétiques (83). - Az-Zamaari : mort en 1143, il est d'origine Persane; il a rédigé de magnifiques ouvrages dont le plus célèbre est intitulé (AL-Mufassal). Un livre sur la grammaire arabe (84). Ainsi, la langue arabe continue à être le véhicule du savoir, la langue des poètes et des savants, mais à partir du 10ème siècle "cette langue est devenue une langue écrite qui avait laissé derrière elle toutes les étapes de la croissance et n'était plus susceptible d'aucun développement vivant. Elle était devenue classique et la beauté archaïque de ces formes éclipsait la rude pauvreté des dialectes bédouins contemporains (85). (83) Cet ouvrage est enseigné, de nos jours, dans les facultés de lettres de plusieurs pays arabes. (84) Pour d'autres exemples voir : HUART Cl.,op-cit., PP.243-319; Idem : ABD-EL-JALIL, op-cit., PP.157-200; Idem : MANTRAN Robert, "les grandes dates de l'Islam", op-cit., PP.49-56-60. (85) FUCK J., op-cit., P.137. 26 N° 4- 2002 L’ARABOPHONIE 27