Milgram : la soumission à l'autorité
Professeur de psychologie expérimentale à l’université de Yale (Etats Unis) Stanley Milgram a
mené une série d’expériences révélatrices.
Elles sont consignées dans “Soumission à l’autorité” (1975, Calmann-Lévy).
Voici la plus célèbre.
Un individu recruté par petites annonces est prié, dans le cadre de prétendues recherches scientifiques sur la
mémoire, d’infliger à un “élève” des punitions de plus en plus sévères, en l’occurence des décharges électriques
allant de 15 à 450 volts. Un acteur professionnel tient le rôle de l’élève; on lui lit une série de mots dont il doit se
souvenir. Quand il se trompe "l’expérimentateur” lui envoie une décharge électrique.
"L’élève” gémit à 75 volts; à 110 volts il supplie qu’on le libère; à 295 volts sa seule réaction est un véritable cri
d’agonie. Il est précisé que les décharges ne sont pas “mortelles” et qu’elles ne laisseront pas de lésions durables
mais qu’il faut les infliger sans pitié pour que l’élève fasse l’effort de se souvenir.
"L'expérimentateur" vit un conflit intense et dramatique. D’un côté, la souffrance manifeste de "l’élève" l’incite à
s’arrêter; de l’autre un “professeur”, autorité légale vis-à-vis de laquelle il se sent engagé, lui enjoint de continuer.
Chaque fois qu’il hésite à administrer une décharge, il reçoit l’ordre de poursuivre. Pour se tirer de cette situation
insoutenable, il doit donc rompre avec l’autorité.
Mais qui ose le faire? quand? et dans quel cas?
A l’époque où Milgram a lancé son expérience on pensait que seuls des pervers (2 à 3 % de la
population) iraient jusqu’aux décharges les plus fortes. En réalité près des deux tiers des
“expérimentateurs” administrèrent les chocs les plus élevés. Ils
avaient été recrutés dans toutes les catégories sociales, pas dans
les bas-fonds. C’était la confirmation effrayante des thèses
d’Hannah Arendt sur la banalité du mal : les bourreaux nazis
étaient des gens tout-à-fait normaux qui disaient n’avoir obéi
qu’aux ordres. La plupart des “expérimentateurs” se justifièrent
après coup en faisant remarquer qu’ils n’étaient que des
exécutants.
Alors tous tortionnaires ? Non tout de même.
Pour finir sur une note plus optimiste remarquons deux choses : Quand le “professeur” discutait avec un
autre “professeur” et qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux, "l'expérimentateur” retrouvait sa liberté
de jugement et refusait de poursuivre l’expérience. Moralité : pour rompre avec l’autorité il suffit d’y
trouver une faille, de la mettre en contradiction avec elle-même.. Ensuite plus du tiers des
“expérimentateurs” ont refusé de poursuivre une expérience “scientifique” qu’ils jugeaient immorale par
ses méthodes. Enfin il suffirait apparemment de populariser l’expérience pour diffuser sa mise en garde.
C’est ce qui fit Henry Verneuil dans son film “I comme Icare” (1979) avec Yves Montand.
C’est la transposition dans un pays imaginaire du meurtre du président J.F. Kennedy. Le procureur Henry Volney
(Yves Montand) refuse les conclusions de l’enquête officielle. Il découvre les dessous de la conspiration. Son
enquête le mène à un laboratoire où un professeur mène une expérience sur “l’apprentissage de la mémoire par la
douleur”.
C’est l’expérience de Milgram.
Elle sert en réalité à mesurer la résistance à la servitude face à la
hiérarchie. Le professeur explique que "63% des sujets sont obéissants,
c'est à dire qu'ils acceptent totalement le principe de l'expérience et vont
jusqu'à 450 volts…"
Le procureur (Y. Montand) conclut : "…ce qui signifie que dans un pays
civilisé, démocratique et libéral, les 2/3 de la population sont capables
d'exécuter n'importe quel ordre provenant d'une autorité supérieure…" Ainsi des gens ordinaires
deviendront facilement des bourreaux s’ils sont convaincus qu’il faut torturer. Et une fois placés devant