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GLOBALISATION FINANCIERE ET SUPERVISION
PRUDENTIELLE
CHRISTIANE RUBEIZ Chargée denseignement à la FGM
INTRODUCTION
La globalisation financière peut se définir comme un processus dinterconnexion des marchés de
capitaux aux niveaux national et international, conduisant à lémergence dun marché unifié de
largent à léchelle planétaire
1
; elle est « l’émergence d’un marché financier mondial, non
seulement intégré mais aussi global, caractérisé par un mouvement de décloisonnement, de
déréglementation et surtout de désintermédiation, sous l’influence de risques croissants sur les
taux de change et les taux d’intérêt, et voué à répondre à des besoins internationaux de
financement inédits » (Lalucq A. [2006]).
La globalisation financière a amplement contrib à la croissance mondiale et a eu
incontestablement des effets bénéfiques pour léconomie mondiale (les entreprises se financent
plus facilement et au meilleur prix croissance plus forte et meilleur niveau de vie grâce à un
investissement plus efficace des ressources, etc.). Les banques de leur part, ont tiré parti des
mutations financières et technologiques, et sont devenues les principaux acteurs de cette
globalisation. De nouvelles formes de régulation dites prudentielles se sont imposées, de
nouveaux métiers ont émergé, de plus en plus liés aux marchés financiers. Par ailleurs, cette
globalisation financre a eu pour conséquence négative de permettre la propagation de la crise à
lensemble du système financier. La crise que traverse aujourdhui léconomie globale a mis en
évidence la nécessité dune nouvelle gouvernance mondiale, tant économique pour limiter la
durée et lampleur de la récession, que monétaire et financière pour éviter, ou tout du moins
limiter, les crises futures. Toutefois, lune des conséquences de cette crise a été pour les banques
de devoir encaisser de lourdes pertes du fait de la dévaluation de certains de leurs actifs.
Cependant, celles-ci étant aujourdhui les premiers intervenants sur les marchés financiers, la
question se pose de leur part de responsabilité dans la crise actuelle; si elles sont des victimes
passives des effets négatifs de la globalisation financière ou responsables. Néanmoins, la crise
financière a révélé la défaillance de lensemble des modes de régulation dans la sphère bancaire
et financière, à noter:
- La réglementation prudentielle qui na pas suffi à prévenir la crise,
- La discipline de marché qui na pas envoyé de signaux dalerte,
- Le contrôle interne dont la faiblesse a rejailli au cours de plusieurs scandales (affaire Jérôme
Kerviel auprès de la SGBL, escroquerie Madoff, etc.).
1
PLIHON D. (2007), « Les enjeux de la mondialisation », Les grandes questions économiques et sociales, Tome 3,
La Découverte, coll. Repères.
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La crise actuelle pose beaucoup de questions en ce qui concerne la régulation du système
bancaire et financier à savoir, la façon de protéger les banques dune crise dilliquidité sans
provoquer trop daléa moral, la manière de réformer larchitecture des dispositifs de supervision
et faire face aux crises systémiques, la possibilide limiter la procyclicité des normes
prudentielles ainsi que limplication davantage des banques centrales en matière de stabilité
financière. Les défis posés par la globalisation financière exigent une supervision renforcée et
transversale du secteur bancaire et financier. La supervision prudentielle est devenue un thème
dune grande actualiet un champ de réflexion important pour la recherche économique et
bancaire; toutefois, la crise financière mondiale initiée en 2007 et encore en cours en 2010, a
montré avec acuilimportance de ce sujet.
Nous adopterons la démarche suivante: après avoir rappelé lorigine et lévolution de la
globalisation financre (Partie I), nous examinerons les séquelles de la crise et la réforme de la
régulation financière (Partie II), et enfin, nous évoquerons les dimensions de lapproche
macroprudentielle de la surveillance financière (Partie III).
Lorigine et lévolution de la globalisation financière
La globalisation financière prend racine dans les réformes de politique monétaire engagéess les
années derégulation financière qui consacrent un retournement de valeur en faveur des détenteurs
du capital: « leffondrement de lURSS et la crise asiatique de 1997 consacrent la tentative de
projection mondiale du capitalisme grâce à lexpansion de la valeur actionnariale. La globalisation
financière connaît cependant certaines fragilités et dysfonctionnements, le dernier étant la crise des
subprimes, auxquels une nouvellegulation peut remédier » (Aglietta, Morin et Plihon [2007]).
La mondialisation nest que le résultat dun processus nécessaire, dune dynamique inrente au
capitalisme, entamée bien avant la construction des Etat-nations (Braudel et Wallerstein [1979]),
dont trois configurations peuvent être dégagées:
Linternationalisation est le stade préliminaire à la mondialisation dont louverture sur
létranger reste lexception car limitée à certains types dactivités (exportations de matières
premières rares, de produits de luxe) et à certaines zones géographiques. Les échanges de
biens et services constituent sa dimension dominante majeure--les investissements à
létranger sont donc naturellement tournés vers leur développement.
La mondialisation consacre le pouvoir des entreprises qui plutôt que de commercer à
létranger, sy implantent: les firmes multinationales suivent une logique de comtitivité
(non plus de productivité) qui exacerbe la compétition entre les nations mais minimise la
pertinence de la nationalité du territoire en tant que tel. La mondialisation et la
déréglementation simultanées du paysage financier international ont entraî une
globalisation du marché financier en le décloisonnant pour tendre vers un marché unif
couvrant, fonctionnant à léchelle mondiale.
La globalisation, gie par les institutions financières privées et décuplée à des nouvelles
technologies de linformation et de la communication, se caracrise par la liberté des
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mouvements de capitaux dont la logique propre échappe parfois à celle de léconomie elle: « la
logique financre borde de la dimension financière pour sétendre aux autres dimensions
réelles de léconomie, cest-dire celle de la production et des échanges […] La gestion des
firmes se calque sur la gestion de portefeuilles des banques dinvestissement » (Michalet [2004]).
Cest dans le domaine de la finance que la globalisation des marchés est la plus poussée avec une
mobilité quasi-parfaite des flux financiers à léchelle de la planète (Plihon [2007]). Le volet
financier de la globalisation comporte trois dimensions:
Géographique (mobilides capitaux d’un pays à un autre),
Fonctionnelle (le marché de capitaux était compartimenté: marché monétaire, marché boursier, etc.),
Temporelle (les marchés fonctionnent aujourd’hui 24h/24h et en temps réel).
Les flux financiers forment le secteur le plus bouleversé par l’interopérabilité mondiale et les
technologies de l’information, d’où leur rôle important dans les phénomènes de mondialisation
ennéral.
La crise financière actuelle est une remise en question de la fiabilité du système mis en place
avec la globalisation financière. La financiarisation de l’économie subordonne la sphère
économique à la sphère financière et résulte de décisions politiques (libéralisation des marchés
financiers à partir des années 80), accompagnée de la déréglementation des circuits de
financement, de la suppression de l’encadrement quantitatif du crédit ainsi que de la disparition
du contrôle des changes. Ce processus sest aussi réalisé au travers de la désintermédiation
(possibilité pour les agents économiques de financer leurs besoins directement sur les marchés
financiers par lémission dactions ou dobligations au travers de la cotation des sociétés en
Bourse), de lapparition de nouveaux instruments financiers et de la modernisation des places
financières (généralisation de linformatique et mise en place de la cotation).
La plupart des systèmes financiers ont été profondément modifiés à partir des années 80 aussi
bien dans les pays développés que dans de nombreux pays en développement. De sa part,
Bourguinat (1992) a analysé ces mutations à partir de trois composantes qui sont à la racine du
phénomène de la globalisation financière, à savoir, la déréglementation, la désintermédiation et
le décloisonnement, doù lexpression « 3D »
2
:
La réglementation est la suppression des règlements et contrôles sur les prix des services
bancaires afin de permettre une circulation plus fluide des flux financiers,
La désintermédiation
3
est laccès direct des entreprises aux financements par émission de
titres plutôt que par endettement auprès des acteurs institutionnels
4
. Par conséquent, la
désintermédiation répond, selon Bourguinat (1992), à trois grands principes:
o La partition des emprunts en petits titres de faible valeur (fonds ou investisseurs
individuels),
o Le renouvellement régulier afin dassurer des emprunts en période longue,
2
Certains auteurs ajoutent a posteriori un 4ème D (Dématérialisation) par l’intermédiaire du développement rapide
des technologies de l’information dans les années 90.
3
Le grand inspirateur de ce 2ème D est Hicks J.R. via sa théorie d’économie de marché financier.
4
Cet accès direct est historiquement apparu en début des années 80 où les créances douteuses s’accumulaient et les
banques (pour assainir leur bilan) ont transformé les prêts contractés auprès d’elles en produits financiers qu’elles
revendent à des particuliers à des fonds de pension.
4
o La délimitation au rôle dintermédiaire, quitte à reprendre le papier émis si elle ne
trouve pas dacquéreur (i.e. en cas dinsuffisance de liquidité sur le marché),
Le décloisonnement est la suppression des divisions classiques entre banques de dépôt et
banque de retrait (i.e. entre compte à vue et compte à terme, entre banques et assurances,
entre marché de court et long terme); doù une concentration et un repositionnement des
acteurs traditionnels. Au niveau international, cela se traduit par la libre circulation des
capitaux permis par labolition du contle des changes et la suppression des mesures qui
éviteraient la mondialisation des banques.
Lélimination de certaines barrières structurelles entre banque dinvestissement et banque de
dépôt a favorila fluidité du crédit, des initiateurs de prêts aux émetteurs de titres de dette et il
en est résulune concurrence accrue au sein du secteur financier et une stimulation de
linnovation financre. Les innovations financières qui captent la liquidité oisive fragilisent les
structures financières vu que le nombre d’engagements s’élève alors que la quantité de monnaie
demeure inchangée; cette situation augmente le risque d’une propagation en chaîne de défauts
(Brossard [1998]). Ce qui amplifie l’ampleur de la crise est le recours de la banque aux
innovations financières, à la marchéisation de son bilan (Nasica [1997], Brossard [2001], Sinapi
[2004]). En effet, le caractère « entreuprenariale » de l’institution financière va l’inciter à créer
de nouveaux produits afin de réaliser des profits: « L’idée retenue ici est qu’à mesure que les
institutions financières innovent, le système financier évolue, en imaginant de nouvelles façons
de financer le comportement maximisateur des autres institutions » (Nasica [1997]).
Suite à la crise des crédits hypothécaires américains en Août-Septembre 2008, Bourguinat et
Briys (2009) recommandent de s’attacher au « génome de la finance » au sens de
« l’enchaînement des maillons élémentaires du matériel nétique de ce secteur » du fait de sa
sophistication croissante et des chaînes d’opérations longues et arborescentes
5
. Ces techniques
souvent généralisées en dehors même du secteur immobilier sont très puissantes mais elles sont
fragilisées dès que se posent des problèmes de liquidité qui en perturbent le refinancement. Dans
ce cas, les risques classés hors-bilan remontent dans les livres des banques et en compromettent
la solvabilité; les chaînes d’opérations sont si longues et compliquées qu’on ne sait plus in fine
qui porte le risque. Elles créent du risque moral ou moral hazard--les banques qui pensent
pouvoir fragmenter et transférer le risque peuvent être moins attentives. Tout cela milite pour
une mise à plat du mécanisme et pour le séquençage d’un génome de la finance qui devient lui-
même de moins en moins aisément contrôlable.
La titrisation a permis aux banques de rendre liquides les actifs financiers et elle leur a offert de
nouvelles opportunités (de l’octroi de crédits, à leur reconditionnement puis à leur cession sous
forme de titres)
6
. La titrisation a donné aux banques la possibilité de ne plus faire apparaître le
risque de crédit à leur bilan mais de le transférer à d’autres investisseurs: la valorisation
d’instruments structurés complexes est devenue un véritable défi.
5
Ce génome crée un nouveau risque de système (apparu en 2007) qui tient aux formes extrêmes prises par la titrisation
de la 2èmenération: à partir notamment des déris de crédit synthétiques (CDOs ou Colletarized Debt Obligations)
et qui permet aux établissements hypothécaires et aux banques de transférer le risque de crédit en les fragmentant
presque à l’infini. Pour ce faire, ils compactent ces créances par blocs qui servent d’adossement à des portefeuilles
d’obligations (qui eux-mêmes sont démembrés par tranches classées par ordre de risque croissant); ce sont ces
obligations qui sont ensuite souscrites par les banques, les fonds spéculatifs, les OPCVM un peu partout dans le monde.
6
BANQUE DE FRANCE (2010), « Crise financière: origines et dynamiques », Les grandes étapes de la crise
financière, Chapitre 1, janvier, p. 9.
5
Dans ce modèle de financement, les deux parties de la transaction ne sont pas prédisposées à vérifier la
qualité des actifs créant un problème d’aléa moral:
Les émetteurs de prêts parce qu’ils prévoient de transférer le risque de crédit à d’autres
investisseurs,
Les acquéreurs de prêts qui envisagent de les restructurer parce qu’ils savent que les acheteurs
finaux se fient surtout à la notation attribuée à l’actif sous-jacent.
Les asymétries d’information altèrent donc chaque étape du processus et constituent une
puissante source de contagion. De surcroît, un tel système ne peut fonctionner que si chaque
intervenant de marché (impliqué dans ce processus) a en permanence accès à la liquidité. De sa
part, Fisher (1933) considérait que l’ampleur de la Grande Dépression était due en partie au lourd
endettement et à la détresse financière qui en sultait. Ce phénomène correspond à la notion
d’accélérateur financier, i.e. comment un développement sur le marché du crédit entraîne une
propagation et une amplification des chocs (Kiyotaki et Moore [1997]; Bernanke, Gertler et
Gilchrist [1999]); d’où un lien étroit entre les facteurs financiers et le déroulement du cycle. On
trouve une présentation de ce lien dans les travaux de Minsky où l’instabili financière
conditionne la conjoncture économique; sa particulariréside dans le processus de fragilisation
financière qui est totalement endogène, où il tend à lier le degré de fragilité financière des
économies au cycle des affaires et à associer une crise financière à son retournement. L’analyse
de Minsky se place dans un contexte d’essor économique et de mutation du système financier
principalement liée à la déréglementation (permettant la mise en place d’innovations financières)
et au décloisonnement (traduisant le dépassement des compartiments préexistants à l’intérieur
des marchés nationaux).
Léconomie est entrée dans une période deuphorie caractérisée par une perte de contact avec la
réalité, générée par la spéculation et nourrie par le crédit bancaire (et donc laccroissement du
levier financier); la solvabilité des firmes est donc amoindrie: « On peut également sinterroger
sur lautre pilier de la fragilisation financière: la liquidité de léconomie. En effet, lintervention
bancaire et le développement des sociétés par actions ont pu réduire la liquidité de léconomie
en captant de la liquidité oisive. Il en résulterait un accroissement de la vitesse de circulation
dans la mesure où lon peut financer un revenu monétaire global plus important avec la même
quantité de monnaie centrale » (Minsky [1982]). La liquidation dactifs impliquerait un cycle
à la Fisher (1933); alors sensuivra les conséquences décrites par la dette déflation: une vente en
catastrophe des actifs, une déflation, un alourdissement de la dette, des défauts de paiement et
une fragilisation des bilans (Schéma n° 1).
Schéma n° 1: La crise financière selon lapproche Fisherienne et lapproche Minskienne
Source: BOUTOUIZERA A. & KHENNICHE Y. (2010), « Crise financière actuelle: une tentative dexplication
postkeynésienne », extrait de « La crise 3 ans après quels enseignements? », Université de Bourgogne, Laboratoire
dEconomie et de Gestion, 9 février, p. 15.
Déflation
Pertes
Endettement
Baisse des prix
Vente en catastrophe
Contraction de la masse monétaire
Remboursement
Minsky
Fisher
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