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Le Courrier de l’algologie (2), no1, janvier/février/mars 2003
Mise au point
Mise au point
dans la physiopathologie de l’hallu-
cinose, la réorganisation n’est pas
l’apanage des lésions nerveuses, et
peut aussi être obtenue par des sti-
mulations nociceptives répétitives.
Les fibres qui n’ont été que partiel-
lement lésées sont plus volontiers
source de douleurs car il persiste à
leur extrémité des nocicepteurs qui
peuvent être sensibilisés, et qui, de
fait, “alimentent” en influx anor-
maux les neurones centraux déjà
spontanément réactifs.
Les conséquences neurochimiques
sont multiples et affectent les noci-
cepteurs résiduels, les cellules du
ganglion rachidien et les neurones
centraux. Les cytokines pro-inflam-
matoires produites par les cellules de
Schwann contribuent, avec la volée
d’influx afférents, à ces altérations.
Initialement, on note dans les affé-
rences une élévation du taux de syn-
thèse des structures constitutives de
l’axone (tubuline, actine, GAP-43),
avec des exceptions (neurofilament),
une diminution du taux de synthèse
de certaines molécules informatives
(tachykinines,CGRP,somatostatine)
ainsi que de leurs enzymes de fabri-
cation, et une augmentation du taux
de synthèse d’autres neurotransmet-
teurs (galanine, VIP, NO, NPY, PA-
CAP et, dans les afférences fines,
CCK). La densité des récepteurs si-
tués sur les afférences est aussi per-
turbée, avec diminution de celle des
récepteurs aux opioïdes et au NPY,
augmentation de celle des récepteurs
à la CCK sur les fibres fines et éléva-
tion de celle des récepteurs au NPY
et à la CCK sur les grosses afférences.
Dans le ganglion rachidien, la densité
des fibres ß-adrénergiques croît. On
note aussi des modifications concer-
nant les diverses variétés de canaux
sodiques, puisque le nombre des
canaux sensibles à la tétrodotoxine
augmente alors que celui des canaux
résistants diminue ; ces canaux anor-
maux s’accumulent dans le névrome,
ce qui, avec l’invasion de canaux
mécano-sensibles et de fibres adré-
nergiques, contribue à son hyperex-
citabilité. Dans la corne postérieure
de la moelle, certaines altérations cor-
respondent à celles de la terminaison
des afférences, d’autres concernent
les deutoneurones et d’autres, enfin,
les interneurones et les fibres des-
cendantes. La dégénérescence des af-
férences s’accompagne, outre les va-
riations citées précédemment des
taux de neurotransmetteurs, d’une
perte des récepteurs à localisation
présynaptique : ainsi y a-t-il une
chute modeste de la densité des ré-
cepteurs ß2-adrénergiques et une
chute plus prononcée (environ 50 %),
et pratiquement réversible en quelques
semaines, de la densité des récepteurs
opioïdes µ et . Si le taux des enké-
phalines reste quasi inchangé, celui
des dynorphines s’élève considéra-
blement pendant les premiers jours
et cela semble être le fait de l’ex-
pression anormale de la protéine c-
fos, induite par la décharge d’influx
concomitante de la section. Les ré-
cepteurs postsynaptiques à la CCK
voient leur nombre s’élever, de même
que les récepteurs AMPA aux acides
aminés excitateurs. Quant aux mo-
noamines des voies descendantes,
leur taux est variable dans les axoto-
mies, où le métabolisme de la séro-
tonine est accru.
Les conséquences électrophysiolo-
giques,qui résultent des anomalies
citées précédemment, consistent pour
l’essentiel en une électrogenèse anor-
male, aussi bien au site de lésion que
sur les relais d’aval, et en une altéra-
tion des contrôles physiologiques de
la transmission nociceptive.
Témoignant de connexions anor-
males, les altérations touchent de
nombreux réflexes. L’amplitude et
le décours des réflexes moteurs
mono- et polysynaptiques à point de
départ somatique sont perturbés. La
vasodilatation cutanée qui fait habi-
tuellement suite à une stimulation no-
ciceptive est remplacée par une vaso-
constriction. Chez des amputés sans
douleur, la réponse sympathique à
destinée musculaire est exagérée lors
de variations thermiques, alors que le
sympathique à destinée cutanée pré-
sente une réactivité normale (9). L’at-
ténuation du potentiel de racine pos-
térieure qui, dans les conditions habi-
tuelles, joue un rôle inhibiteur, est
concomitante de la réorganisation so-
matotopique médullaire. L’inhibition
postsynaptique due aux fibres A est
diminuée. Enfin, les structures inhi-
bitrices du tronc cérébral deviennent
excitatrices pour les neurones médul-
laires, du moins après rhizotomie.
Les fibres nerveuses en cours de re-
pousse sont, au bout de quelques
jours, le siège d’une hyperactivité
qui concerne tous les types de fibres.
L’hyperactivité spontanée est va-
riable selon les espèces animales. Elle
concerne en premier les fibres myé-
linisées, pour lesquelles elle atteint
un maximum deux semaines après la
section, affectant environ 25 % des
afférences, avant de décroître sans ja-
mais disparaître totalement. L’acti-
vité spontanée de la majorité des
fibres myélinisées est de type ryth-
mique, par trains d’ondes survenant
à des fréquences supérieures à 20 Hz.
Les fibres amyélinisées sont concer-
nées plus tardivement, leur activité
restant plus soutenue et devenant pré-
dominante après le premier mois.
Elle est plus arythmique. L’environ-
nement physico-chimique du né-
vrome a son importance dans cette
activité spontanée puisqu’un né-
vrome “protégé” est pratiquement in-
actif. À cette hyperactivité spontanée
s’ajoute une plus grande sensibilité à
de multiples stimulations. Les fibres
myélinisées réagissent aux stimula-
tions mécaniques de façon limitée ou,
pour certaines d’entres elles, avec une
postdécharge prononcée. Les fibres
amyélinisées sont extrêmement sen-
sibles aux changements de leur envi-
ronnement physico-chimique et mé-
tabolique avec, en particulier, une
réactivité exagérée aux agents ß-adré-
nergiques. Leur excitabilité est ac-
crue par le froid alors que celle des
fibres myélinisées l’est par la chaleur.
Les cellules ganglionnaires,qui ont
spontanément des potentialités de
pacemaker, sont également le siège
d’une électrogenèse anormale, spon-
tanée et provoquée, en général de
type arythmique.