
De la nature aux images de la nature---------------------------------------------------- 3 9 
de pouvoir observer synchroniquement des sociétés « au travail >> dans un 
même écosystème. Ce n'est, on s'en doute, guère possible. Le moyen 
d'avoir une idée de cela consiste, avec tous les défauts que la méthode 
peut comporter, à analyser les corpus linguistiques pour repérer ce qui est 
nommé ou non nommé, ce qui est l'objet ou non de constructions 
syntagmatiques. L'observation diachronique est évidemment plus facile 
mais beaucoup moins intéressante car les grilles culturelles se situent à des 
niveaux différents, donc non immédiatement comparables. L'intersection 
entre un écosystème naturel et un système culturel conditionne une ou 
des images dont chacune possède une certaine probabilité de se produire 
et qui s'enracine dans l'intentionnalité des divers acteurs. A chaque 
image est lié un risque qui entretient des rapports étroits avec ce qu'on 
néglige, autrement dit avec les lacunes. L'intention, toujours partiale, 
découpe ce qui lui paraît utile dans un ensemble non entièrement connu, 
d'où le risque. Toute culture génère du risque par le fait même qu'elle 
est incapable de tout prendre en compte. Comment le pourrait-elle 
d'ailleurs puisqu'elle se projette dans un ensemble de choses qu'elle ne 
connaît que par les images partielles qu'elle a construites ? On se 
souviendra de cette expérience dénommée « Biosphère 2 » qui a été une 
tentative de créer un ensemble d'écosystèmes habités par quelques 
scientifiques pendant plusieurs mois et complètement isolés du reste de la 
planète. Que l'expérience ait été partiellement un échec n'est pas le 
problème. Celui-ci est ailleurs. Il est dans le fait que les difficultés 
rencontrées dans ce modèle réduit résultent de la non prise en compte de 
certains facteurs ignorés à l'origine de l'expérience. Même si la cause du 
manque d'oxygène semble avoir été élucidée après coup, d'autres 
questions n'ont pas été résolues. L'intérêt de cette expérience n'en 
demeure pas moins d'une portée considérable puisque grâce à elle, il a 
été possible de mettre en évidence les lacunes de notre connaissance de la 
nature. 
Ce qui, en tout cas, va de soi, mais il faut le répéter car ce n'est ni 
compris ni vraiment accepté, c'est qu'aucune société, aucun groupe ne 
cherche véritablement à connaître ce qu'il est convenu d'appeler «la 
nature ». La relation est toujours d'utilisation, d'appropriation, de prise 
en compte à travers une intention d'usage et non pas à travers une 
volonté de connaissance : c'est le fameux « arraisonnement » de la nature 
dont parle Heidegger". L'arraisonnement a pour objectif de dériver les 
forces, les énergies, les matières mais absolument pas de comprendre 
indépendamment de toute utilisation. C'est le mode de dévoilement de la 
technique. L'intention est toujours, dans un système culturel, de 
retrouver, sous forme d'un gain, le coût consenti. Cela revient à dire, 
contrairement à ce que l'on entend fréquemment, qu'il n'y a pas de 
connaissance pure qui serait complètement détachée de toute 
préoccupation utilitaire. L'existence même d'une  culture rend caduque 
4. Martin Heidegger, Essais et conférences, TEL Gallimard, Paris, 1958, p. 26.