CNRD Éditions - RGI nº 18 - Schelling - 170 x 240 - 10/9/2013 - 15 : 53 - page 238
a pu dire que l’œuvre de Schelling s’y est brisée ; mais l’idée reste cruciale pour
tout un pan de la philosophie ultérieure.
Les lecteurs de Schelling savent qu’il a toujours insisté sur le problème de la
présentation philosophique et annoncé l’accomplissement de la philosophie dans
l’art, notamment dans la poésie. Dès « Le plus ancien programme systématique
de l’idéalisme allemand » (1796), qu’on attribue parfois à Schelling6, et avant tout
dans Le Système de l’idéalisme transcendantal (1800), Schelling affirme que « l’art
est le seul et le véritable organe de cette philosophie »7. La raison doit s’accomplir
dans la poésie. En outre, cette poésie philosophique doit s’accompagner d’une
mythologie de la raison qui s’adresse au peuple tout entier. D’après Schelling, nous
ne connaissons pas encore cette nouvelle mythologie, mais nous l’attendons du
destin futur du monde. Nous savons cependant qu’elle sera plus que l’œuvre d’un
homme unique : elle sera l’œuvre d’un « esprit supérieur, envoyé du ciel » et
représentant toute une humanité. Une dizaine d’années plus tard, dans les projets
pour les Âges du monde – contemporains de Clara – Schelling espère : « Peut-être
est-il encore à venir, ce chantre du plus grand poème héroïque, embrassant dans
son esprit […] ce qui fut, ce qui est et ce qui sera8. » Mais Schelling recule devant
6. C’est l’interprétation de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy dans L’Absolu littéraire.
Théorie de la littérature du romantisme allemand, Paris, Seuil, 1978, p. 40. Le fragment établit que
« l’acte suprême de la raison, celui par lequel elle embrasse toutes les idées, est un acte esthétique,et
que vérité et bonté ne sont sœurs qu’unies dans la beauté – le philosophe doit avoir autant de force
esthétique que le poète. » ; « La poésie reçoit ainsi une plus haute dignité, elle redevient à la fin ce
qu’elle était au commencement – l’éducatrice de l’humanité ; car il n’y a plus de philosophie, il n’y a
plus d’histoire, la poésie [Die Dichtkunst] survivra seule à tout le reste des sciences et des arts. En
même temps revient l’idée que la grande masse devrait avoir une religion sensible. Ce n’est pas
seulement la grande masse mais le philosophe aussi qui en a besoin. Monothéisme de la raison et du
cœur, polythéisme de l’imagination et de l’art, voilà ce qu’il nous faut. […] Nous devons avoir une
nouvelle mythologie, mais cette mythologie doit être au service des idées, elle doit devenir une mytho-
logie de la raison. Les idées, avant que nous les ayons rendues esthétiques, c’est-à-dire mythologiques,
n’ont aucun intérêt pour le peuple, et inversement, une mythologie, avant d’être rationnelle, est un
objet de honte pour le philosophe. […] Un esprit supérieur, envoyé du ciel, doit fonder cette nouvelle
religion parmi nous, elle sera la dernière et la plus grande œuvre de l’humanité. » (Ibid., p. 54.)
7. F. W. J. von Schelling, System des transzendentalen Idealismus, Meiner, Hamburg, 2000, 299-300.
(OA Originalausgabe 475. SW III, 627-628.) Traduction française : Système de l’idéalisme transcen-
dantal, traduction de Paul Grimblot, Paris, Librairie Philosophique de Ladrange, 1842, p. 366 : « Il
est évident que l’art est le seul et le véritable organe de cette philosophie […] L’art est donc ce qu’il
y a de plus élevé pour le philosophe, parce qu’il lui ouvre le sanctuaire où brûlent en une flamme
unique, dans une union originelle et éternelle, le particulier dans la nature et dans l’histoire, et ce qui
doit se fuir éternellement dans la vie, dans l’action, et dans la pensée. »
8. « Peut-être est-il encore à venir, ce chantre du plus grand poème héroïque, embrassant dans
son esprit […] ce qui fut, ce qui est et ce qui sera. Mais le temps n’est pas encore venu. Nous ne
devons pas méconnaître notre temps. En annonciateurs de ce temps à venir, nous ne voulons pas
cueillir son fruit avant qu’il ne soit mûr, ni non plus méconnaître le nôtre. Notre temps est encore
celui de la lutte. Le but de la recherche n’est pas encore atteint ; la science doit être encore portée et
accompagnée par la dialectique, comme la parole par le rythme. Nous ne pouvons pas être les narrateurs
mais seulement les chercheurs, pesant le pour et le contre de toutes les opinions jusqu’à ce que l’opinion
juste tienne bon, indubitable, à jamais enracinée » (Schelling, Die Weltalter. Erstes Buch. Die Vergan-
genheit. Druck I (1811),dans F.W.J. Schelling, Ausgewählte Schriften,Band 4, op. cit., p. 221 ; Schelling,
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