CNRD Éditions - RGI nº 17 - L’Herméneutique littéraire et son histoire : Peter Szondi - 170 x 240 - 9/4/2013 - 10 : 27 - page 46
L’historisation des catégories donne la toile de fond des analyses de Szondi, mais,
chez lui, cette historisation est brisée. Les références qui complètent d’emblée
l’inspiration hégélienne indiquent qu’il s’agira d’une dialectique fragmentée : Benja-
min, Adorno, le jeune Lukács, les « trois modèles qu’il s’était donnés dès le début
et qui […] l’accompagneront jusqu’à la fin de sa vie et lui serviront de référence
constante et implicite »3. Or ces trois-là revendiquent, chacun à sa façon, la fécon-
dité de l’instrument dialectique, mais en restant fidèle au primat du fragment sur
le système4. Leur Hegel est corrigé par le romantisme d’Iéna5. La pente philoso-
phique à laquelle Szondi entend échapper en se servant de certains philosophèmes
sans jamais assumer une philosophie, il ne la rencontre que trop souvent autour
de lui : avec la montée en généralité, on perd vite le contenu. C’est ce qu’il compare
au vol d’Icare et qu’il cherche à éviter dans sa propre histoire de la philosophie
du tragique en passant rapidement des positions de principe à des études de cas6.
La technique abrupte du collage et du montage de citations vient corriger le risque
d’une perte de l’objet. Mais dès la partie doctrinale, ce sont des extraits des
théoriciens eux-mêmes, à peine commentés, qui donnent les aspects essentiels de
leur conception du tragique.
D’un autre côté, les études sur Hölderlin ou Celan se réclament pour leur
compte d’une lecture serrée des textes, pratiquant une herméneutique philologique
explicitement revendiquée. Le texte sur la connaissance philologique, utilisé comme
préface aux Études sur Hölderlin, fonde épistémologiquement la démarche, contre
une naïveté qui regarderait insuffisamment la particularité des textes, mais aussi
contre les prétentions d’une herméneutique philosophique. Il se réfère à cette
occasion à l’herméneutique de Schleiermacher, à laquelle il consacrera un de ses
derniers articles. L’herméneutique introduit une distance que l’interprétation cher-
che à parcourir sans jamais l’abolir : le retour obstiné au texte y contredit7.
p. 267-511. Szondi a consacré un cours à Hegel en 1960/61, 1961/62, 1962, 1964/65 (c’est ce dernier
qui a été édité).
3. Comme le rappelle Jean Bollack en introduisant aux échanges publiés dans L’Acte critique, p. 10,
ainsi que la discussion générale, avec Heinz Wismann, qui revient sur le rapport de Szondi à la
philosophie, ibid., p. 255-264.
4. Une note au commencement de l’Essai sur le tragique le précise : « “Dialectique” et “dialecti-
quement” désignent dans toute l’étude suivant l’usage de Hegel, mais sans les implications de son
système, les éléments et processus suivants : unité des opposés, renversement de l’un en son contraire,
auto négation de soi, scission de soi », Schriften 1, p. 159, note 8.
5. Comme Szondi, Lukács et Benjamin ont intensément pratiqué l’œuvre de Schlegel au début de
leur formation. Szondi en fait la remarque dans Poetik und Geschichtsphilosophie II, p. 126.
6. Versuch über das Tragische, dans Schriften 1, p. 200. Pierre Judet de La Combe, qui défend
comme Szondi la pertinence malgré tout du concept de tragique, procède de façon voisine, Les tragédies
grecques sont-elles tragiques ? Théâtre et théorie, Paris, Bayard, 2010 (les pages 24-34 renvoient à l’essai
de Szondi).
7. Voir la bonne formulation de Gianluca Garelli dans l’étude qu’il consacre à l’Essai sur le tragique :
« L’ermeneutica è l’arte di porre una distanza, la quale certo verrà ridotta in qualche modo dall’atto
interpretativo, ma che da questo verrà costantemente riconfermata, in nome dell’irriducibilità del
testo », G. Garelli, “Ermeneutica filologica e Saggio sul Tragico. Note su Peter Szondi”, Itinerari, 1997,
p. 25-60, ici p. 33.
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