Quelle est la démarche clinique appropriée devant une fièvre

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ENSEIGNEMENT
Quelle est la démarche clinique appropriée
devant une fièvre prolongée inexpliquée
chez un vieillard ?
What is the appropriate clinical approach in the case of
unexplained prolonged fever in an elderly adult ?
Jean-Pierre BOUCHON
« Rien n’es t jamais perdu tan t qu’il res te quelque
chose à trouver » (P. Dac).
« L’établissement d’un diagnostic précis est un éta blissement de premier ordre » (P. Dac).
« La fièvre n’est pas due à un déficit en Rocéphine ® »
(un -très bon- généraliste chargé de résumer
en une phr as e-c hoc une s éan ce de F M C
consacrée aux infections).
Tablea u 1 : Fréque nces res pect ive s des différente s étio lo g ie s de s fièv re s p ro lo ng ée s inex pliqué es (F PI ) che z les
sujets âgés (SA) et les adultes jeunes (AJ)
(Travail de Knockaert (4), le plus récent, reprenant des tra va ux plus a nciens de Es po s ito , de Barrier. Hig h (3 ) a fa it
une sorte de méta-analyse de ces 3 séries, ce qui est assez
dis cuta ble co m pte tenu des ép o que s très diffé rente s des
publications.
Table 1 : Respective frequencies in the different etiologies of unex p l ained pro lon ged fever (FPI) in the o ld er adults (SA) and youn ger
adults (AJ).
ême si elle est critiquable, il n’y a pas de raison de ne pas appliquer au sujet âgé (SA) la
définition de la fièvre prolongée inexpliquée
donnée pour l’adulte jeune (AJ), définition inchangée
depuis 1961 : «tout état fébrile persistant au-dessus de
38°3 C, plus de trois semaines et dont la cause n’est
pas déterminée aprè s une sem aine d’ hospitalisa tion,
est une fièvre prolongée inexpliquée (FPI)». Ce que les
anglo-saxons appellent «fever of unknown origin».
Les problèmes posés par ces FPI chez les SA sont souvent complexes. Pour les résoudre, il faut faire preuve
en même temps d’un «esprit interniste» et d’un «esprit
gériatrique», ce qui n’est pas un pléonasme.
Ce n’est pas la liste des étiologies qui va différencier le
SA de l’AJ. On re trouve à peu de chos es près le s
mê mes catégories dans les de ux groupes. Le s différences se situent à d’autres niveaux :
- Les fréquences respectives des étiologies des FPI ne
sont pas les mêmes (tableau 1)
M
SA :Infections : 35 %
. Abcès intra-abdominaux 12 %
. Endocardite 10 %
. Tuberculose 6 %
Maladies systémiques : 28 %
. Horton 19 %
Cancers et hémopathies : 19 %
. Lymphomes 10 %
. Cancers 9 %
Divers : 9 %
Indéterminé : 9 %
AJ/PA : Infections ➚
Maladies dysimmunitaires ➴
Cancers et hémopathies ➙
Thermopathomimie➴
Jean-Pierre Bouchon, Service d’Accueil des Urgences, Hôpital de la PitiéSalpétrière, 75013 Paris, France. Tél., Fax.: 01 42 17 72 63.
Auteur Correspondant : Pr Jean-Pierre Bouchon, Hôpital Charles Foix,
La Revue de Gériatrie, Tome 27, N°9 NOVEMBRE 2002
Article reçu le 19.02.2002 - Accepté le 21.06.2002.
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Qu elle es t la démarche cliniqu e app rop riée devan t un e fièvre prolo ngée inexp liqu ée ch ez un vieillard ?
- L’ interrogatoire e t l’exa men clinique qui re stent les
pièces maît re sses du dia gnostic sont, pour de nombreux motifs, plus difficiles, plus sujets à caution chez
les SA.
- L’idée, asse z juste, qu’ il faut faire vite chez la PA,
incite parfois (s ouvent ?) à donner des m édicame nts
modifiant le tableau clinique avant même d’avoir fait
une enquêt e corre ct e (a ntibiotiques, a nti-infla mm atoires, corticoïdes).
Il faut clairement expliquer, clamer haut et fort que la
plupart des FPI le sont faute d’un interrogatoire et d’un
examen clinique rigoureux d’une part et de que lques
examens complémentaires simples d’autre part.
• Avez-vous des particularités alimentaires ?
• De quelle origine êtes-vous ?
• Quel métier avez-vous exercé ?
• Avez-vous des animaux chez vous ?
• Tabagisme ? Le «je ne fume pas», le «je n’ai jamais
fum é» n’ ont pas la m ême signification que le «je ne
fume plus» (quelquefois depuis une semaine suite à une
hémoptysie !).
• Avez-vous é té transfusé ? C erta ines interventions
(orthopédie, urologie) sont parfois très hémorragiques
et le vieillard ne sait pas toujours qu’il l’a été.
• Y a-t-il eu des malades dans votre entourage récemment ?
• Que prenez-vous, qu’avez-vous pris comme médicaments ?
. Ceux qui décapitent la maladie causale.
. Ceux qui masquent la fièvre.
. Ceux qui pe uvent en donne r (il n’y a pa s que les
jeunes qui sont sous progestatif).
. Ceux qui masquent certains signes : l’amiodarone qui
tout en donnant une hyperthyroïdie empêche la tachycardie.
. Ceux qu’on a sans ordonnance.
• Y a-t-il eu une porte d’entrée infectieuse, dentaire par
exe mple, encore que chez le vieillard ce s oit plutôt
l’absence de soins dentaires qui domine !
• Comment est apparue cette fièvre, brutalement, progressivement, en premier ou précédée d’autres symptômes ? La fièvre apparue après dix jours d’alitement
pour lombalgie aiguë a plus de chance d’être liée à une
phlébite qu’à une spondylodiscite.
L’INTERROGATOIRE ___________________________
Le gériatre sait :
- Que l’interrogatoire est nécessairement long, les antécéde nts étant souvent d’auta nt plus nombreux que la
personne est plus âgée.
- Q ue le te mp s p ass ant , la fa tigue joue e t que les
réponses deviennent moins précises.
- Que les troubles de mémoire sont fréquents, portant
sur les fa its réce nts . Ainsi, le vieillard peut-il donner
tous les détails d’une pathologie remontant à quarante
ans alors qu’il est incapable de décrire le début de sa
maladie récente, les médicaments pris, etc...
- Q u’ u ne s ur dit é m é c on nue pe ut en t ra în e r des
réponses erronées à des questions précises.
- Qu’ il faut parfois em ployer dans cet interrogatoire
un e «te rminologie » a ncie nne , p érimé e , inconn ue
d’ailleurs des jeunes médecins. Si l’on prend l’exemple
de la tuberculose, qui sait encore parle r de «la tache
aux poumons» et l’interpréter à sa juste valeur, «le point
de pleurite», le «séjour de six mois à la campagne», le
«séjour en preventorium», le «H» «bleu» ou le «H» «rouge»
sur la pancarte (recherche de BK négative ou positive
après hom ogé néisation des cra cha ts) , le «pneum o»,
«l’ ext ra-pleural», le t raitem ent par «perfusion» ( l’acide
para-amino-salicylique) ? Qui sait que la Streptomycine
est apparue en 1947, l’Isoniazide en 1952, qui se souvient du Trecator® , du Trevintix® ? Et l’on pourrait dire
la même chose pour la maladie de Bouillaud, la syphilis, etc...
En retour, le gériatre n’oubliera pas :
• De s ’en quérir non pas du m a is de s métie rs. Le
patient âgé a trop tendance à citer le plus valorisant ou
le dernier ou celui exercé le plus longtemps.
• De poser à son malade des questions sur sa sexualité
(il y a des vieillards qui ont des rapports exposant à des
risques de MST), ses habitudes vis-à-vis de l’alcool, des
drogues.
L’EXAMEN CLINIQUE __________________________
Le gériatre sait que :
• Tout ce qu’il trouve à l’examen clinique est loin d’être
en rapport avec la maladie fébrile actuelle : cet oedème
d’un membre inférieur est en rapport avec une phlébite
d’il y a vingt ans , cet te fibr illat ion a uricula ire es t
ancienne.
• Tous le s s ouffles syst olique s é jectionnels irra diant
dans les vaisseaux du cou ne sont pas des souffles de
L’interniste n’oubliera pas quant à lui de poser
un certain nombre de questions :
• Jardinez-vous ? Vous êtes-vous promené en forêt ?
• Avez-vous voyagé à l’étranger récemment ? (les vieux
voyagent de plus en plus et de plus en plus loin).
• Quel est l’état de vos vaccinations ?
La Revue de Gériatrie, Tome 27, N°9 NOVEMBRE 2002
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Qu elle est la déma rche cliniqu e ap prop riée d evan t u ne fièvre p rolo ng ée inexp liq uée ch ez un vieillard ?
rétrécissement aortique : souffles athéromateux banaux
du SA (bien sûr, sans I.A., sans disparition de B2).
• Le m inuscule ganglion perdu da ns la graisse e st
devenu évident.
• Un pouls périphérique a disparu.
• Une pleurésie est apparue.
• Etc...
Mais l’interniste dira que s’ils ne sont pas hémodynamiquement significatifs, ils n’en traduisent pas moins
des valves anormales, susceptibles d’être le siège d’une
endocardite infectieuse.
LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES __________
Tous les deux se rejoignant pour dire que si fièvre
et souffle systolique sont fréquents chez les SA, l’endocardite l’est moins mais que le médecin est là pour se
méfier et appliquer les règles !
I ls se re joigne nt auss i p our re cherche r un can cer
colique devant une endocardite ou une se pt icém ie à
Streptococcus Bovis, pour palpe r soigneusem ent les
artères temporales.
Le gériatre sait que :
• Chez le SA, il faut aboutir rapidement à un diagnostic
car le vieillard malade, fatigué, anorexique, alité, fébrile
( catabolisant ses muscles) va vite êt re e xposé à des
com plications qui vont , e n m odifiant le table au clinique, en surimposant leurs signes à ceux de la maladie
initiale, rendre le diagnostic encore plus difficile.
• A l’extrême, il faut presque considérer la fièvre prolongée... comme une urgence. Il ne faut pas attendre
que le vieillard ne soit plus en état de subir un examen
complémentaire pour le demander ou ne soit plus en
état de subir une intervention chirurgicale qui aurait été
réalisable trois semaines plus tôt.
• Mais on ne peut pas tout faire en quelques jours à un
vieillard fatigué, fragile, et l’hospitalisation est en ellemême un facteur aggravant de pathologies préalables,
cérébrales dégénératives notamment.
• Préparer un grand vieillard à une coloscopie, adresser
un vieillard à un examen scanner avec injection alors
qu’il a une clairance de créatinine faible, tout cela peut
être mal supporté, voire dangereux (rappelons au passage l’inocuité de l’int errogat oire et de l’exa men clinique : bien faits, ils n’ont jamais tué qui que ce soit...).
L’interniste sait aussi que le diagnostic tient parfois
à peu de choses :
• L’auscultation cardiaque, surface de sthétoscope par
surface de sthétoscope, à tous les foyers, en décubitus
latéral, penché en avant, à la recherche de la petite
I.A., du petit frottement.
• L’examen de la peau, centimètre carré par centimètre
carré, sans oublier les recoins, les ongles, les phanères.
• L’examen de toutes les aires ganglionnaires, y compris épitrochléennes (le «ganglion de l’interniste»).
L’inte rniste n’oubliera pas que confusion + fièvre =
ponction lombaire. Le gériatre non plus, même s’il sait
qu’il risque plus s ouvent de se trouver en pré sence
d’une fiè vre d’origine X + une confusion liée à la
décompensation d’une maladie d’Alzheimer sinon tout
sim plement à un globe urinaire chez une vieille personne fébrile alitée !
Et pour terminer ce chapitre de l’examen clinique, c’est
le moment de rappeler ce tte règle d’or interniste :
l’examen clinique devant une FPI (comme l’interrogatoire et comme certains des examens complémenta ires init iaux, on le ve rra ci-de ss ous) , d oit ê tre
ré pé té ré gulière ment. Pendant que l’on attend de
nouvea ux e xa mens com pléme nta ires (re nde z-vous
et/ou résultats), la clinique peut s’être modifiée !
• Le souffle diastolique est apparu.
• La rate devient palpable.
Le gériatre sait aussi que :
• Si la chondrocalcinose peut donner de la fièvre sans
arthrite, la fréquence de la chondrocalcinose radiologique
est telle à cet âge qu’elle perd de la valeur d’orientation.
• I l en est de mêm e de la trop fréquente présence à
l’ECB U de la vieille femm e de coliba cille s pour les
incriminer systématiquement dans la fièvre observée.
• A la numérat ion formule sanguine d’un vieilla rd
fébrile, 2 000 polynucléaires neutrophyles avec disparition des éosinophiles ont autant de valeur pour un diagnostic d’infection bactérienne que 30 000.
• La plupart des tuberculoses des SA ont pour origine
un BK rest é quie scent da ns un endroit que lconque
depuis la primo-infection remontant parfois à plusieurs
dizaines d’années. Il sait penser systématiquement à la
t ube rculo se à ch aque fois qu’il ne c om pre nd pa s
quelque chose en gériatrie (j’exagère un peu !) et il sait
se poser la que stion : pourquoi ce BK se met-il, cinquante ans après, à faire des petits ? Immuno-dépres-
Ecrire tout cela à propos d’une FPI n’est pas
enfoncer des portes ouvertes. C’est rappeler
qu’à l’époque de l’Evidence Based Medicine,
p our trou ver des p re uves, fau t-il e ncore les
avoir correctement recherchées. Il y a moins
de fièvres ine xplicabl es q ue d e fiè vres inexpliquées.
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Qu elle es t la démarche cliniqu e app rop riée devan t un e fièvre prolo ngée inexp liqu ée ch ez un vieillard ?
POUR EN SAVOIR PLUS _______________________
sion mais de quelle origine : dénutrition psychogène,
so m a t iqu e, s oc ia le ? Hé m op a t hie ? C a nc e r ?
Traitement corticoïde ?
• Dans une maladie de Horton sous corticoïdes, cette
fièvre qui (ré)apparaît, cette CRP, cette VS qui remontent : insuffisance du traitement ? Non, tuberculose !
• Chez ce cancéreux du poumon droit, cette pleurésie
gauche : métastase ? Non, tuberculose !
• L’unicité n’est pas toujours la règle en gériatrie.
A – Articles généraux «internistes»
1.
2.
P ie tte J.C h, We c hsc le r B, P ie tte A .M. F iè vre s a u long c ours de
l’adulte. In : Godeau P., Herson S., Piette J.Ch. : Traité de Médecine, 3e
édition (pp 89-98) – Flammarion Médecine Sciences Edit., Paris, 1996
Rousset H, Lucht F. Fièvres prolongées inexpliquées. In : Rousset H,
Vital-Durand D, Dupond J.L. : Diagnostics difficiles en Médecine Interne,
2e édition (pp 357-380), Maloine Edit., Paris, 1999.
B – Articles généraux «gériatriques»
3. Hig h K.P . Fe ver on un kno wn origin. In : H az zard W.R, Bla ss J.P ,
E ttin ger W. H , H a lte r J .B, O usla nde r J. G. : Princ iple s o f G e ria tric
Medicine and Gerontology, 4 th edition (pp 1448-1451), Mc Graw Hill,
New York, 1999
4. Knockaert D.C, Vanneste L.J, Bobbaers H.J. Fever of unknown origin in elderly patients. J Am Geriatr Soc 1993;41:1187-92.
Mais l’interniste sait qu’il faut répéter les examens complémentaires simples initiaux :
• Cet te radiographie thoracique était norma le il y a
deux semaines ; une nouvelle montre que la miliaire est
apparue.
- Cette numération ne montrait qu’une petite anémie.
Dix jours après, les blastes sont là.
Il connaît aussi les maladies rares qui ne sont pas familières au gériatre, le dernie r anticorps pointu, le seul
endroit en France où se fait telle ou telle recherche.
Alors ? Alors, quand, chez un SA, le gériatre bute sur
une FPI , qu’il appe lle donc un int ernist e et quand
l’interniste, chez un SA, bute sur une FPI, qu’il appelle
donc un gériatre !
Q.C.M. _________________________________________
TRAITEMENT D’ÉPREUVE, TRAITEMENT SANS
PREUVE ________________________________________
A - Chez le viei lla rd , un e e ndo ca rdite avec
hémoculture positive à Streptococcus Bovis est
souven t ass ociée à (une se ule repon se exacte,
laquelle ?) :
a - Une tuberculose.
b - Un cancer colique.
c - Un myélome.
d - Un SIDA.
e - Un cancer bronchique.
Il y a des cas où, malgré les explorations bien choisies,
les avis multiples pris, l’état du patie nt laisse penser
qu’il faut tenter quelque chose : suivant le cas, traitement a ntibiot ique, t raitement anti-tube rculeux, traitement corticoïde. C’est une décision difficile à prendre.
Elle ne peut être prise qu’après une révision collégiale
du dossier et un dernier réexamen complet du patient
(«qu’a-t-on pu oublier ?»). C’est dire qu’une fois ce traitem ent e ntrep ris , avec le cons ente me nt éclairé du
patient, de son entourage, la surveillance devra continuer d’être attentive. ■
B - Chez le vieillard (une seule réponse fausse,
laquelle ?) :
a - Une fièvre prolongée ine xpliquée e st une fièvre
durant depuis plus de 3 semaines, au-dessus de 38°3,
sans cause déterminée après une semaine d’hospitalisation.
b - Les causes de fièvre prolongée sont les mêmes que
chez l’adulte jeune mais avec des fréquences respectives différentes.
c - Tout souffle systolique éjectionnel irradiant dans les
vaisseaux du cou est synonyme de rétrécissement de la
valve aortique.
d - Même si les méningites ne sont pas la cause la plus
fréquent e des confusions fébrile s, l’ adage «confusion
fébrile = PL» reste valable.
e - La thermopathomimie reste rarissime.
RÉPONSES
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