CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC1 Numéro 14 RACINES • Pr Guy GOODWIN Tempéraments et risque de dépression : nouvelles données MISE AU POINT • Dr Yann LE STRAT Traiter la dépression bipolaire : enjeux et perspectives CONNEXIONS • Pr Hugo THÉORET ISSN 1774-430X - 09ST000BF/00-09 Le système de neurones miroirs chez l’homme C1 CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC2 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page1 Numéro 14 ÉDITORIAL L’imagerie fonctionnelle, à la vitesse du cerveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2 • Pr Sylvain BAILLET, PhD Professeur associé de Neurologie, Directeur Scientifique du Programme de Magnétoencéphalographie, Hôpital Froedtert & Medical College of Wisconsin, Milwaukee, États-Unis MISE AU POINT Traiter la dépression bipolaire : enjeux et perspectives 3 ................................................................. • Dr Yann LE STRAT INSERM, Unité 675, Faculté de Médecine Xavier-Bichat, Paris RACINES Tempéraments et risque de dépression : nouvelles données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4 • Pr Guy GOODWIN Département de Psychiatrie, Université d’Oxford, Royaume-Uni QUESTIONS DE PRATIQUE Cannabis et dépression 6 .................................................................................................................... • Pr Jean COSTENTIN Unité de Neuropsychopharmacologie, Faculté de Médecine & Pharmacie de Rouen Unité de Neurobiologie Clinique, CHU Charles Nicolle, Rouen PARCOURS DE VIE Une bioœnographie médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8 • Pr Marc-Louis BOURGEOIS Neuropsychiatre et docteur en Psychologie, Bordeaux CAS CLINIQUE Dépression au cours d’une maladie de Parkinson 10 ........................................................................ • Dr Pierre CESARO Service de Neurologie et INSERM U841 NPI, CHU Henri Mondor, Université Paris XII, Créteil IMAGERIE La magnétoencéphalographie : MEG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12 • Dr Isabelle MASSAT, MD, PhD Pédopsychiatre, chercheur qualifié du FNRS, Université Libre de Bruxelles, Belgique Clinique de Neuropédiatrie, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique CONNEXIONS Le système de neurones miroirs chez l’homme 14 ............................................................................ • Pr Hugo THÉORET, PhD Département de Psychologie, Université de Montréal, Canada CONGRÈS PSY 3e Congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle 16 ........................................ • Dr Frédéric KOCHMAN (Lille) • Dr HASSAN Rahioui (Paris) Dr Laurent JACQUESY (Annecy) • Dr Thierry BOTTAI (Martigues) CULTURE PSY Cinéma et troubles de l’humeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 • Dr Christian GAY Clinique du Château, Garches VISIONS « Autoportrait » de Pierre-Marie Tardat 21 .......................................................................................... • Ce tableau vu par… Dr Jean AUDET Psychiatre, Angoulême Conseillers scientifiques : Dr Frédéric KOCHMAN et Dr Jean-Albert MEYNARD Ce numéro est dédié au Docteur Jean AUDET, brusquement décédé. Il était impliqué depuis des années dans la réalisation de cette revue où, à la croisée de son immense culture picturale et de son regard sur les hommes, il nous livrait avec enthousiasme et acuité, son interprétation de nombreuses œuvres dans le cadre de la rubrique « Visions ». Dans ce numéro paraît le fruit de l’un de ses derniers regards… ARDIX Médical, toute la Rédaction ainsi que Frédéric KOCHMAN et Jean-Albert MEYNARD s’associent à la douleur de ses proches. 1 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page2 L’imagerie fonctionnelle, à la vitesse du cerveau Pr Sylvain BAILLET, PhD Professeur associé de Neurologie, Directeur Scientifique du Programme de Magnétoencéphalographie, Hôpital Froedtert & Medical College of Wisconsin, Milwaukee, États-Unis Vingt ans après les premières images par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), où en est-on aujourd’hui ? Les techniques se sont affinées, ont gagné en sensibilité et spécificité, et ont permis d’ouvrir un nou-veau champ de connaissances, au carrefour de l’anatomie, de la physiologie et des sciences physiques et mathématiques : la cartographie fonctionnelle cérébrale humaine. Comme souvent, ces avancées remarquables apportent de nouveaux questionnements. Ainsi par exemple, il n’est pas rare qu’une région du cerveau soit impliquée dans des processus fonctionnels multiples. Langage, mémoire et attention se partagent parfois les mêmes structures cérébrales. Avec ce type de résultats, c’est le principe même de cartographie fonctionnelle qu’il conviendrait de revisiter en le précisant. Par ailleurs, la plupart des études font état de résultats obtenus sur de petits échantillons de sujets, de l’ordre de la douzaine. Paradoxe : c’est trop, et trop peu à la fois. Trop, car il s’agit d’extraire des résultats moyens d’un groupe de sujets étudiés dont l’anatomie et la géométrie cérébrales varient de manière considérable entre individus. Cette disparité est en partie compensée par des techniques de mise en correspondance anatomiques sophistiquées mais qui restent à standardiser. Trop peu, car si un échantillon minimal de 1000 personnes est nécessaire pour qu’un sondage d’opinion soit considéré comme significatif, que peut-il en être de l’étude de fonctions complexes comme l’apprentissage ou l’empathie ? Là aussi, les recherches sont très actives et ont permis la mise au point de techniques de classement des réponses cérébrales au sein d’un groupe d’individus. En clinique, se pose comme toujours le dilemme de la sensibilité et de la spécificité de la neuroimagerie, aussi bien à l’échelle collective en tant qu’outil d’appréciation de l’effet d’un traitement sur un groupe de patients, qu’à l’échelon individuel en tant qu’aide à l’établissement du diagnostic. Une meilleure identification de la chronométrie des activations et des interactions entre régions cérébrales devrait permettre de lever l’ambiguïté sur leurs spécificités fonctionnelles et leurs dysfonctionnements. L’imagerie cérébrale électro - Numéro 14 2 magnétique par magnétoencéphalographie (MEG) permet d’accéder à l’activité électrique des grands ensembles de neurones à l’échelle de la milliseconde. L’article du Dr Isabelle Massat résume bien l’état de l’art de cette technique non invasive, née des applications de la physique quantique et de la supraconductivité. Avec la MEG, il devient envisageable de suivre à la trace l’activité cérébrale qui s’écoule entre la perception d’une consigne et l’exécution d’une réponse. Aux États-Unis et au Japon, les examens MEG pour la localisation de l’origine des crises d’épilepsie et la cartographie fonctionnelle en bordure de tumeurs cérébrales sont remboursés par les systèmes de santé… Le "temps cérébral", cette échelle temporelle de l’activité neuronale de masse au sein des grands systèmes cérébraux, devient donc accessible, et ce, sous différents aspects. Tout d’abord, la chronométrie des réponses cérébrales met en évidence la cascade temporelle des traitements mentaux mis en jeu dans des tâches variées. L’évaluation quantitative de ces réponses constitue une bibliothèque de nouveaux biomarqueurs du cerveau sain ou malade, au cours du développement ou en réponse à un traitement. Ainsi, il a été récemment démontré que les réponses cérébrales auditives mesurées en MEG constituaient un marqueur quantitatif d’effets thérapeutiques chez des patients dépressifs1. Mais l’accession aux processus cérébraux en temps réel offre d’autres perspectives d’évaluation clinique, pour la plupart encore peu explorées. Les rythmes cérébraux de base, par exemple, forment une signature de l’activité oscillatoire neuronale massive normale ou pathologique au sein de notre cerveau. Certaines pathologies, comme la dépression ou les accidents vasculaires cérébraux en phase post-aiguë, se manifestent en effet par un fort ralentissement des activités neuronales oscillatoires liées à leurs physiopathologies respectives. La MEG, par l’identification de ces régimes oscillants anormaux et de leurs origines anatomiques, est un outil de pointe à même de répondre à ces défis. Référence 1 • Tollkötter M, Pfleiderer B, Sörös P, Michael N. Effects of antidepressive therapy on auditory processing in severely depressed patients: a combined MRS and MEG study. J Psychiatr Res. 2006;40:293-306. CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page3 Traiter la dépression bipolaire : enjeux et perspectives Dr Yann LE STRAT INSERM, Unité 675, Faculté de Médecine Xavier-Bichat, Paris Les épisodes dépressifs survenant dans le cadre d’un trouble bipolaire constituent un enjeu thérapeutique particulièrement difficile. D’une part, parce que ces épisodes sont particulièrement fréquents, et notamment plus fréquents que les épisodes de manie ou d’hypomanie. D’autre part, parce que la symptomatologie dépressive, qu’elle soit contemporaine de l’épisode ou même résiduelle à son décours, est un facteur essentiel du handicap lié au trouble bipolaire. Enfin, parce que la prise en charge thérapeutique de ces épisodes est complexe, les recommandations ayant constamment évolué au cours des 10 dernières années. Pourtant, cette prise en charge thérapeutique de la dépression est une des clés du pronostic du trouble bipolaire. Les 3 grandes possibilités thérapeutiques à ce jour sont les thymorégulateurs et les antidépresseurs en monothérapie ou bien l’association de ces deux classes. Les traitements de première ligne restent les thymorégulateurs, qu’il s’agisse des molécules de première génération (lithium), des antiépileptiques ou, plus récemment, de certains antipsychotiques associés ou non à un traitement antidépresseur. Attention au virage… sous antidépresseurs Le traitement par antidépresseur seul est fréquemment prescrit, en dépit de l’absence d’étude randomisée en double aveugle de qualité satisfaisante ayant montré leur intérêt, du moins en monothérapie. Le risque de virage maniaque ou hypomaniaque ainsi que l’accélération des cycles sont particulièrement bien démontrés dans le cas d’un traitement par antidépresseur seul, ce qui rend cette modalité thérapeutique plus hasardeuse. Les traitements associant thymorégulateurs et antidépresseurs représentent toutefois la modalité la plus utilisée par les prescripteurs. L’adjonction d’un traitement antidépresseur est notamment utile en cas de dépression ayant résisté à un traitement par thymorégulateur à posologie et durée réputées efficaces. Le choix du traitement antidépresseur repose alors à la fois sur le profil d’efficacité et de tolérance de celui-ci. Les traitements tricycliques, par exemple, majorent nettement le risque de virage maniaque, et bénéficient de peu d’essais cliniques ayant montré leur efficacité dans le cadre de la dépression bipolaire. De même, les 2 études portant sur les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline suggèrent une augmentation du risque de virage en comparaison à d’autres traitements anti dépresseurs. Ces données rendent la prescription de ces 2 types de molécule plus aléatoire1. La piste glutamatergique Des travaux récents ont montré que le lithium et d’autres thymorégulateurs étaient susceptibles de modifier l’activité de certains récepteurs glutamatergiques, ce qui sous-tend en partie leurs effets neuroprotecteurs2. Il est tentant de spéculer que des antidépresseurs ayant une activité directe et spécifique sur la voie glutamatergique, ou indirecte sur la neuroplasticité et la neurogenèse, seraient susceptibles d’avoir des effets antidépresseurs non seulement additifs, mais également synergiques. À ce titre, une enquête a été mise en place en France pour évaluer non seulement l’efficacité de ce type de traitement, mais également les risques de virages hypomaniaques ou maniaques sous bithérapie centrée sur la voie glutamatergique. Les résultats préliminaires semblent prometteurs, tant sur le plan de la tolérance et de l’efficacité que sur la diminution du risque de virage, et pourraient constituer une avancée significative dans la prise en charge de la dépression bipolaire. Références 1 • Salvi V, Fagiolini A, Swartz HA, Maina G, Frank E. The use of antidepressants in bipolar disorder. J Clin Psychiatry. 2008;69:1307-1318. 2 • Sourial-Bassilious N, Rydelius PA, Aperia A, Aizman O. Glutamate-mediated calcium signaling; a potential target for lithium action. Neuroscience. 2009 Apr 9. [Epub ahead of print]. 3 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page4 Tempéraments et risque de dépression : nouvelles données Pr Guy GOODWIN Département de Psychiatrie, Université d’Oxford, Royaume-Uni Le médecin grec Claude Galien avait déjà identifié 4 tempéraments désignés selon les humeurs qui leur étaient associées : sanguin, mélancolique, colérique et flegmatique. Il pensait alors que la force de ces tempéraments pouvait déterminer la susceptibilité d’une personne à présenter des troubles somatiques, comportementaux ou émotionnels particuliers. Peut-être en raison de leur origine antique, l’acceptation de la validité de tels mécanismes demeure curieusement négligée par la psychiatrie contemporaine. Le tempérament est une dimension mesurable de la personnalité, hautement héritable. Les autoévaluations d’attitudes, de traits et d’expériences mettent en évidence de nombreuses dimensions au sein desquelles émerge systématiquement un tempérament dénommé, par Hans Eysenck, neuroticisme. Le neuroticisme caractérise la tendance de certains individus à développer ruminations et tristesse. Eysenck lui-même supposait que les éléments caractéristiques de cette personnalité prédisposaient aux « troubles névrotiques ». Les études modernes d’héritabilité, s’appuyant sur des essais standardisés comparant des jumeaux monozygotes (génétiquement identiques) et dizygotes (partageant 50 % de gènes communs), ont confirmé les théories d’Eysenck sur la vulnérabilité anxieuse et dépressive. Ken Kendler et ses collaborateurs ont établi que le neuroticisme et une histoire familiale émaillée de dépressions et d’antécédents d’abus et de négligences sont les facteurs clés du développement ultérieur d’épisodes dépressifs majeurs (habituellement secondaires à des difficultés personnelles). Près de la moitié des dépressions survenant au cours du suivi peuvent être attribuées à ces facteurs de risque identifiables. Risque relatif de survenue d’un épisode dépressif majeur dans les 2 prochains mois Hommes Femmes 35 Très faible neuroticisme (2 DS sous la moyenne) Faible neuroticisme (1 DS sous la moyenne) 30 25 Neuroticisme moyen (Moyenne) Neuroticisme important (1 DS au-dessus de la moyenne) Neuroticisme très important (2 DS au-dessus de la moyenne) 20 15 10 5 0 Aucune Minime Modérée- Modérée+ Sévère Aucune Minime Modérée- Modérée+ Sévère Importance de l’exposition au long cours à des événements stressants de la vie Figure 1. Risque de survenue d’un épisode dépressif majeur au sein d’un échantillon de la population (n = 7517) selon le sexe, le degré de neuroticisme et l’intensité des événements stressants de la vie1. Numéro 14 4 L’impact du neuroticisme sur le risque de dépression est illustré par la Figure 1. Cet impact a également été démontré dans une étude prospective de population à plus long terme2. Cet essai a également montré que la dimension de tempérament connue sous le nom d'introversion/extraversion, mesurée au même moment, n'a pas d'effet sur le risque de dépression : le neuroticisme est plutôt spécifique. Néanmoins, ces études sont exclusivement phénoménologiques. Supposons qu’un haut score de neuroticisme soit simplement le reflet d’une tendance globale anxieuse et dépressive. Sa capacité à prédire les épisodes cliniques peut avoir un intérêt pragmatique, mais les sceptiques pourraient arguer que ce concept ne fait pas foncièrement avancer la question des troubles de l’humeur et représente un intérêt heuristique plutôt limité. Le neuroticisme a-t-il des fondements génétiques ? Au cours de ces dernières années, de sérieux efforts ont été consacrés à la compréhension des bases biologiques de la personnalité et notamment à celles du neuroticisme. Les fondements génétiques du neuroticisme ont même été analysés à partir d’un modèle animal. Lorsque des souris sont placées en milieu ouvert, elles développent différents niveaux d’activités exploratoires. Ces traits de comportement semblent hérités et sont liés au niveau d’anxiété éprouvée à l’extérieur du lieu de vie habituel. Il a été possible d’étudier les bases génétiques de ces traits complexes et il s’avère qu’un locus situé sur le chromosome 1, immédiatement accolé au gène gr2 (un régulateur du signal de la protéine G), est associé à une activité exploratoire accrue en milieu ouvert. Il est très intéressant de constater que ce même locus a été incriminé chez l’homme dans une étude sur le neuro ticisme réalisée sur des fratries concordantes et discordantes ayant des scores élevés ou faibles pour ce trait3. Il s’agit là du premier exemple d’une homologie génétique vraie (synthénie) concernant un trait de comportement CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page5 donné retrouvé à la fois chez l’homme et l’animal. Cette découverte passionnante doit toutefois être relativisée du fait de la très petite taille de l'effet. La variabilité génétique individuelle semble être à l’origine de moins de 1 % des variations de traits comme le neuroticisme. La question de l’intérêt de ces modèles dans l’avancée de nos connaissances en neurobiologie reste en suspens. Toutefois, la neurobiologie peut également être abordée selon d’autres dimensions (au niveau systémique) et nos travaux les plus récents à Oxford ont montré que les jeunes n’ayant jamais souffert de troubles de l’humeur mais qui présentent un niveau élevé de neuroticisme, présentent des biais émotionnels subconscients dans leur façon d’analyser les informations. Nous avons comparé les réponses neuronales de groupes de volontaires se différenciant par des scores élevés ou bas de neuroticisme (respectivement N-haut et N-bas) durant la présentation de visages heureux ou angoissés, en nous basant sur les données de l’IRM fonctionnelle (IRMf). Le groupe N-haut a présenté une augmentation linéaire de l’activation du gyrus fusiforme latéral droit (parfois désigné comme « aire de reconnaissance des visages ») et du gyrus temporal médian gauche, corrélée à l’intensité d’angoisse exprimée par les visages, tandis que le groupe N-bas présentait un effet inverse. Le groupe N-haut se caractérisait également par des réponses d’activation plus intenses au niveau de l’amygdale droite et dans d’autres zones cérébrales4. De telles données amènent à penser que les cerveaux des individus N-haut sont prédisposés à traiter les informations d’ordre social positives et négatives selon des modalités particulières. Au-delà de l’analyse subconsciente apparemment automatique de l’expression des visages, nous avons également retrouvé d’importantes différences au cours de la catégorisation et de l'extraction de la mémoire des mots négatifs ou positifs associés à des traits de personnalité (par exemple : honnêteté, impolitesse). Les volontaires N-haut ont présenté des réponses plus importantes que celles des N-bas dans le cortex pariétal supérieur droit, spécifiquement lors de la catégorisation des termes négatifs. De plus, les scores de neuroticisme étaient positivement corrélés avec l’activation neuronale du cortex cingulaire antérieur gauche durant la catégorisation des mots négatifs, alors qu’ils étaient inversement corrélés dans la même région lors de la restitution mnésique de ces mêmes mots (Figure 2)5. Ces résultats suggèrent que des différences dans le traitement de l'information émotionnelle se mani festent dans les principaux circuits neuronaux, en fonction de la vulnérabilité à la dépression. Bien que des aspects purement neurocognitifs soustendent la vulnérabilité à la dépression et que les études d’IRMf indiquent clairement l’existence d’un substratum cérébral, il existe également d’autres facteurs permettant de relier neuroticisme et dépression. Des sujets adultes N-haut mais sans antécédent dépressif présentent un taux de cortisol plus élevé 30 minutes après leur réveil que celui Figure 2. A : Activation du cortex cingulaire antérieur en IRMf. 1. Corrélation positive avec le neuroticisme pendant la catégorisation des mots négatifs. 2. Corrélation négative avec le neuroticisme lors de la reconnaissance des mots négatifs. 3. Aire de chevauchement de 1 et 2. B : Pourcentage de modification du signal BOLD (Blood Oxygen Level Dependent : signal dépendant du niveau d’oxygénation cérébrale utilisé en IRMf) dans l’aire de chevauchement pour les patients N-haut (noir) et N-bas (blanc), pendant la catégorisation et la restitution des mots négatifs (moyenne ± erreur standard)5. *p < 0,05. des sujets N-bas6. Cette différence n’a pas été constatée chez les jeunes, suggérant que, même s’ils ne développent pas une dépression, les sujets N-haut tendent à développer une dysrégulation de leur axe hypothalamo-hypophysocorticosurrénalien à partir de la trentaine. Conclusion Il ressort de ces données que le trait de neuroticisme pourrait traduire un risque de dépression, non seulement par le biais d'une amplification des symptômes, mais aussi par l'intermédiaire de particularités neurobiologiques sousjacentes qui affectent la façon dont l'émotion est traitée dans le cerveau. Le neuroticisme est un important facteur de risque de dépression qu’il est facile d’identifier. Nous devrions explorer les moyens d’en faire une cible rationnelle dans la prévention de la dépression chez le sujet jeune. Références 1 • Kendler KS, Kuhn J, Prescott CA. The interrelationship of neuroticism, sex, and stressful life events in the prediction of episodes of major depression. Am J Psychiatry. 2004;161:631-636. 2 • Kendler KS, Gatz M, Gardner CO, Pedersen NL. Personality and major depression: a Swedish longitudinal, population-based twin study. Arch Gen Psychiatry. 2006;63:1113-1120. 3 • Fullerton J, Cubin M, Tiwari H, et al. Linkage analysis of extremely discordant and concordant sibling pairs identifies quantitative-trait loci that influence variation in the human personality trait neuroticism. Am J Hum Genet. 2003;72:879-890. 4 • Chan SW, Goodwin GM, Harmer CJ. Highly neurotic never-depressed students have negative biases in information processing. Psychol Med. 2007;37:1281-1291. 5 • Chan SW, Harmer CJ, Goodwin GM, Norbury R. Risk for depression is associated with neural biases in emotional categorisation. Neuropsychologia. 2008;46:28962903. 6 • Portella MJ, Harmer CJ, Flint J, Cowen P, Goodwin GM. Enhanced early morning salivary cortisol in neuroticism. Am J Psychiatry. 2005;162:807-809. 5 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page6 Cannabis et dépression Pr Jean COSTENTIN Unité de Neuropsychopharmacologie, Faculté de Médecine & Pharmacie de Rouen Unité de Neurobiologie Clinique, CHU Charles Nicolle, Rouen La toxicomanie cannabique a pris une allure pandémique en Europe. En France, leader européen de la consommation de cette drogue, l’OFDT (Office Français des Drogues et des Toxicomanies) dénombre près de 1 500 000 usagers réguliers du cannabis avec plus de 500 000 usagers quotidiens et multiquotidiens. Dans le chanvre indien (marijuana) ou sa résine (haschisch, shit) actuellement en circulation, le taux du principe actif majeur, le tétrahydrocannabinol (THC), s’est accru d’un facteur 3 à 8 au cours des dernières décennies. Ces produits n’ont plus grand-chose à voir avec les « moquette », « fumette », « herbe », « chichon » qui ont édifié la fallacieuse mythologie de ce que certains se sont appliqués à qualifier de « drogue douce ». Ce phénomène est aggravé par certains modes de consommation (pipe à eau = chicha, shilom, bang, bong…) qui permettent, sur un temps très court (celui d’une inhalation correspondant à la capacité vitale, soit 4 litres de fumée), d’apporter 100 fois plus de THC à l’organisme que la simple aspiration d’une bouffée d’un « joint » ou « pétard ». Des conséquences sous-estimées L’importance du problème est également majorée par le rajeunissement des premiers usagers : au collège, entre la 5e et la 3e, 300 000 enfants s’en sont déjà approchés ! Or, plus tôt l’essayer, c’est plus vite l’adopter et plus intensément se détériorer… En effet, le cerveau de l’adolescent est en pleine maturation. Le THC vient interférer malencontreusement avec la prolifération des ramifications axonales (« sprouting ») et avec l’élagage des connectivités non fonctionnelles (« pruning »). Par son exceptionnelle lipophilie (il est plus de 10 000 000 fois plus soluble dans les graisses que dans l’eau), le THC traverse aisément la barrière hémato encéphalique et se dissout dans la bicouche lipidique des membranes neuronales. Aussi, il ne se désorbe de ses sites de stockage lipidiques que sur un temps très long, passant alors, « au retour » et au long cours, à faibles concentrations, devant les récepteurs CB1 neuronaux qu’il avait intensément stimulés « à l’aller ». Pour les fonctions modulées par les endocannabinoïdes et pour lesquelles existent des « récepteurs de réserve », les faibles concentrations de THC issues de cette lente désorption suffisent à exercer un effet maximal particulièrement rémanent. Numéro 14 6 Par exemple, dans l’hippocampe, où des récepteurs CB1 sont associés aux terminaisons des neurones cholinergiques originaires du septum (neurones septohippocampiques), il suffit d’occuper seulement 1‰ de ces récepteurs CB1 par le THC pour réduire de 50 % la libération d’acétylcholine (dont on sait le rôle majeur dans l’édification de la mémoire à court terme). Transmission dopaminergique et plaisir La stimulation des récepteurs CB1 active les neurones dopaminergiques mésoaccumbiques qui représentent une composante essentielle du « circuit de récompense »1. Cette stimulation est essentiellement liée à une inhibition de la libération de GABA (acide gamma-aminobutyrique ; un médiateur inhibiteur) et à une augmentation de la libération de glutamate (un médiateur activateur). Toutes les drogues, par des mécanismes primaires qui peuvent différer, accroissent la concentration extracellulaire de dopamine dans la partie « shell » du noyau accumbens. La dopamine libérée dans la partie « shell » du noyau accumbens stimule les récepteurs dopaminergiques des types D2 et D3, stimulation à laquelle est associée une sensation de plaisir. La recherche d’une stimulation intense se confond avec la démarche toxicomaniaque. À l’opposé, l’arrêt de cette stimulation s’accompagne d’une diminution de la concentration extracellulaire de dopamine et d’une moindre stimulation des récepteurs dopaminergiques. À la sensation de plaisir fait suite celle du déplaisir, d’autant plus intense que le plaisir l’avait été, du moins lors des premiers usages. L’absence de plaisir, le déplaisir, s’apparentent à la dépression, qui comporte en outre la conviction que jamais plus le plaisir ne sera éprouvé et qu’ainsi, ce grand vide est définitif. CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page7 Certaines actions du THC s’amenuisent au cours d’un usage chronique à dose élevée, et le plaisir lui-même s’efface tandis que le besoin s’accroît, au point de devenir tyrannique. En effet, la stimulation intense et durable des récepteurs CB1 suscite leur désensibilisation (« down regulation »). Non seulement le THC perd sa capacité d’activer la voie dopaminergique, mais les endocannabinoïdes eux-mêmes (substances endogènes préposées à la stimulation des récepteurs CB1, tels l’anandamide ou le 2-arachidonoylglycérol…) deviennent inopérants. THC et dépression Le tonus endocannabinoïdergique, en stimulant les récepteurs CB1, est au service d’une stimulation de l’humeur. Certaines dépressions pourraient être dues à une insuffisance de cette transmission. Pour maintenir les endocannabinoïdes plus longtemps et à une plus haute concentration à proximité des récepteurs CB1, 2 stratégies sont testées : l’inhibition du/des système(s) de leur capture cellulaire ou l’inhibition d’une enzyme assurant leur inactivation, la FAAH (fatty acid amide hydrolase). Le recours au THC pour pallier cette éventuelle défaillance de la transmission endocannabinoïdergique, pire qu’une fausse bonne idée, est une vraie mauvaise idée. Le THC, en effet, stimule intensément (haute affinité et grande activité intrinsèque pour les récepteurs CB1) et durablement (à défaut de système enzymatique cérébral d’inactivation et de système de capture) les récepteurs CB1. Ces récepteurs, ubiquistes, participent à une multitude de fonctions cérébrales pour en ajuster subtilement le fonctionnement. L’intrusion massive de THC rompt avec la subtilité des mécanismes de régulation de l’activité synaptique. Le THC ne mime pas les effets des endocannabinoïdes, il les caricature et agit dans le cerveau à la manière d’un « éléphant dans un magasin de porcelaine » : non content de stimuler les récepteurs CB1 de façon inopportune, il désensibilise ceux qui participent à des fonctions pour lesquelles il n’existe pas de récepteurs de réserve. Trois circonstances en relation avec les récepteurs CB1 sont susceptibles d’altérer la fonction du système dopaminergique mésoaccumbique et, partant, le circuit de récompense, débouchant ainsi sur des manifestations dépressives : 1) la désensibilisation des récepteurs CB1, provoquée par une consommation chronique de THC ; 2) l’arrêt d’une consommation chronique de THC ; 3) le blocage des récepteurs CB1, ce qui explique le retrait du marché du rimonabant, associé à la survenue de troubles dépressifs, dont des suicides. Diverses études épidémiologiques ont établi l’existence de relations entre la consommation de cannabis et les troubles dépressifs et/ou les tentations ou tentatives de suicide2, 3. Marie Choquet, exploitant les questionnaires remplis par les jeunes Français lors des Journées d’Appel Pour la Défense (JAPD) a constaté une forte corrélation entre la consommation de cannabis de certains d’entre eux et l’incidence de pensées ou de tentatives de suicide4. Rompre l’engrenage L’enchaînement des faits pourrait être le suivant : un adolescent « tristounet », introverti, dont l’élan vital est en sommeil, concentré qu’il est sur des ruminations douloureuses, un mentisme débilitant, vient à rencontrer le cannabis. Il en éprouve alors un mieux remarquable (l’effet « planète ») qui l’incite, très logiquement, à en user abondamment et fréquemment, bref, à en abuser. Ce faisant, il désensibilise les récepteurs CB1 à l’origine de l’effet recherché et, bientôt, s’engage dans une poursuite infernale en accroissant les doses pour tenter de rattraper un effet auquel il ne parvient plus à accéder. Cela évolue jusqu’au moment où il ne ressent plus les effets qu’il recherchait avec le THC. Ses endocannabinoïdes sont également devenus inopérants et les troubles thymiques réapparaissent, plus intenses qu’ils n’étaient primitivement. Lors de la consultation, où l’adolescent viendra exprimer sa douleur morale et souvent l’anxiété vive qui l’accompagne, il sera très important de mettre à jour la consommation de cannabis qui les a fait naître ou aggravées. À défaut, on ajouterait à l’addiction cannabique, celle qui ne manquerait pas de s’instaurer avec une prescription de benzodiazépines. Conclusion Les troubles dépressifs et la suicidalité qui se sont accrus chez nos jeunes procèdent, au moins pour partie, de leur consommation débridée de cannabis, selon les mécanismes que l’on vient de voir. Cela ne résume pas, hélas, les méfaits psychiques de cette drogue5. Références 1 • Lupica CR, Riegel AC, Hoffman AF. Marijuana and cannabinoid regulation of brain reward circuits. Br J Pharmacol. 2004;143:227-234. 2 • Pedersen W. Does cannabis use lead to depression and suicidal behaviours? A population-based longitudinal study. Acta Psychiatr Scand. 2008;118:395-403. 3 • Chabrol H, Mabila JD, Chauchard E. Influence of cannabis use on suicidal ideations among 491 high-school students. Encephale. 2008;34:270-273. 4 • Choquet M. In: Chabrol H, Choquet M, Costentin J. Le cannabis et ses risques à l’adolescence. Paris : Éditions Ellipses, 2006:142 p. 5 • Costentin J. Halte au cannabis. Paris : Éditions Odile Jacob, 2006:225 p. 7 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page8 Une bioœnographie médicale Pr Marc-Louis BOURGEOIS Neuropsychiatre et docteur en Psychologie, Bordeaux “An analogy between good claret and the best qualities of the French mind… there is a taste of sound Bordeaux in all the happiest manifestations of that fine organ, and that, correspondingly, there is a touch of French reason, French completeness, in a glass of Pontet-Canet.” Henry James, 1884 Décidément, cette étiquette me colle à la peau (Bordeaux cru Bourgeois). On n’échappe pas à la géographie, ni au vin, si on s’installe à Bordeaux… Quand on a passé le meilleur de son enfance à quelques encablures de la perfide Albion et que l’on doit aux godons sa liberté, on ne peut qu’être anglophile ou même anglomane comme le furent et le sont encore les aristos du bouchon à Bordeaux (descen dants des Chartrons). Bordeaux : « Sud du Nord et Nord du Sud », Bordeaux - Quai des Chartrons ayant appartenu pen dant 3 siècles à la Couronne d’Angleterre, du remariage d’Aliénor d’Aquitaine en 1152 avec Henri II (couronné roi d’Angleterre en 1154) jusqu’à la bataille de Castillon en 1453). Commerce déjà florissant du Claret ; l’âge d’or au XIIIe siècle avec le commerce triangulaire… Les méandres d’une vocation J’ai quitté le nord de l’Hexagone pour l’Hôpital Maritime de Rochefort, puis l’École de Santé Navale à Bordeaux, de trop nombreuses décennies après Victor Segalen (18781920), Médecin de Marine, ethnographe, sinologue, et surtout écrivain et poète, parrain éponyme de mon Université Bordeaux 2 (Sciences de la Vie). Il ne restait pratiquement plus de bateaux dans le port et la France était réduite à un petit hexagone (pour Saint Simon, au XVIIIe siècle, le Port de la Lune était comparable à celui d’Istanbul). Quelques années après, destination Marseille, pour étudier la médecine tropicale au Pharo. Campagne d’été : les ancres de marine fièrement cousues sur la manche, on embarque au Poulmic sur l’aviso Yser. Le médecin principal propose d’essayer un suppositoire Numéro 14 8 antiémétique contre le mal de mer. Mer du Nord, force 8, les matelots ont l’air d’assurer, moi je suis malade et j’essaie le suppo… Résultat : pendant des heures, la « gueule ou verte » avec protrusion de la langue et un étrange état d’indiffé rence angoissée et d’apathie complète sur ma bannette. J’apprendrai plus tard qu’il s’agissait d’une crise « stémétilienne » ! Première garde en Réanimation : arrive en urgence un jeune Navalais, raide comme une planche avec un trismus : un tétanos de plus ? Non, un malencontreux essai d’automédication par neuroleptique (thiopropérazine ?). Plus tard, je devais longuement étudier les dyskinésies dites tardives des neuroleptiques ! Ayant renoncé, sur injonction de mes maîtres d’internat, au seul souci de voyager, je suis resté à quai (à l’exception d’un périple qui me permit de découvrir une Inde splendide et trouble). J’ai donc fait de la médecine, avec des « patrons », modèles d’identification professionnelle, auxquels nous attachaient des liens filiaux : Jean Rivière (endocrinologue), Robert Castaing, le Pyrénéen pionnier de la réanimation médicale et ses collaborateurs dont René Chevais, les clés à molette plein les poches de blouse pour bricoler les appareils de respiration artificielle (dilemme : quand débrancher pour libérer un appareil ?). Dans ce service, j’ai pris des gardes pendant 10 ans jusqu’à être déprimé par le bruit machinal des respirations nocturnes des Engstrom et des Sabatier-Fourès, et aussi d’avoir échoué à maintenir en vie une récente fiancée… Après un internat très polyvalent, nous voici en neuropsychiatrie au Centre Jean Abadie avec CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page9 Paul Delmas-Marsalet, Michel Bergouignan, Marc Blanc et les autres… Le clinicat durait alors 7 ans ! recracher). Que préférez-vous : rive droite (Merlot) ou rive gauche (Cabernet Sauvignon), ou bien encore, en amont, le Sauternes (Sémillon) avec ses 5 communes ? Une expertise déjà reconnue Le vin, c’est aussi un discours riche en épithètes et en sensations. « La plus hygiénique des boissons » (Pasteur). Le vin médecin : les neurologues bordelais ont réussi à montrer les effets bénéfiques du Bordeaux dans la prévention des maladies démentielles type Alzheimer (Étude Paquid)1, probablement grâce au resvératrol, aux anthocyanines et autres antioxydants. La grappe de raisin sert même dans les thérapies, elle est l’instrument essentiel des exercices de Mindfulness ! En 1977-1978, longue année sabbatique à Palo Alto (Stanford), San Franscico pour la psychiatrie bien sûr, mais la qualité essentielle qu’on me reconnût fut l’expertise des vins de Bordeaux pour laquelle on me sollicita régulièrement afin de comparer nos produits aux vertus des vallées Napa, Sonoma, Alexander… Aussi m’appelait-on parfois Docteur Bordeaux ! Autour des bouteilles, de solides amitiés : Donald Laub, chirurgien d’exception, plasticien qui transformait en femmes tous les cow-boys de l’Ouest, catholique fervent et rigolard, avec l’équipe de la HBIGDA* (devenue WPATH*), Norman Fisk, Paul Walker, Judy van Maasdam, etc. De retour à Bordeaux, nous avons continué avec Jacques Baudet, puis Vincent Casoli (chirurgiens), Patrick Roger (endocrinologue) dans le cadre du programme TransGender lors du congrès de la HBIGDA qui s’est tenu à Bordeaux en 1983. À l’Université, enseignement de la psychiatrie, de la psychologie médicale (et de la sexologie médicale pendant 16 ans). Au CHU, psychiatrie générale et psychiatrie de liaison ; au CHS, psychiatrie de secteur. Naguère, la psychanalyse était encore un passage obligé : une tranche à Bordeaux, puis une tranche à Paris, les voies ferrées convoyant vers la capitale nombre de touristes du divan… Les neurosciences viendront plus tard… Dans le Sud-Ouest, les amitiés sont solides, durables, fraternelles, ponctuées d’événements rugbystiques, tauromachiques et culinaires. Il faut tenir les dégustations et les verbaliser. J’ai fait mes études et ma formation dans ce domaine avec Jean-Claude Bérouet, l’alchimiste du Pétrus et autres élixirs de longue vie, avec Franck Dubourdieu, le « Parker » bordelais, qui renonça à la médecine pour l’agronomie et l’œnologie, ainsi qu’avec de nombreux autres complices… *Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association, devenue World Professional Association for Transgender Health. Référence 1 • Orgogozo JM, Dartigues JF, Lafont S, et al. Wine consumption and dementia in the elderly: a prospective community study in the Bordeaux area. Rev Neurol (Paris). 1997;153:185-192. In burdigala veritas Bibliographie Bordeaux, la ville des 3 M (Montaigne, Montesquieu, Mauriac). Le fleuve immense, aux confluents de la Garonne et de la Dordogne, labouré par le mascaret, où l’on pêchait encore le caviar (le créa), la lamproie, l’alose, les anguilles et autres délices fluviaux. Le galloromain Ausone, qui fut consul des Gaules et poète (son poème à la Garonne et à la Moselle), célébrait déjà cette civilisation des plaisirs de bouche. Il fallait y apprendre les sortilèges du terroir, les herbiers des cépages et les caprices de la météorologie au gré des millésimes. • Bourgeois ML. Une brève histoire de la psychiatrie à Bordeaux. Ann Med Psychol. 2005;163:351-356. • Bourgeois ML. Victor Segalen (1878-1919), parrain éponyme de l'Université de Bordeaux II. Une esquisse pathobiographique. Ann Med Psychol. 1997;155:288-292. • Dubourdieu F. Les bons bordeaux : 1 500 crus abordables. Bordeaux, Mollat : 2003. • Dubourdieu F. Les grands bordeaux de 1899 à nos jours : notations, longévité. Bordeaux, Mollat : 2007. L’œnopsychiatrie, ses élites et ses zélotes : Stuart Montgomery, dont les hippocampes connaissent mieux la route des vins du Médoc que l’IGN ! Nancy Andreassen, écumant systématiquement le Médoc, étape par étape, 8 vignobles par jour pendant 1 semaine, avec des rating scales : « I am very serious about wine » et surtout Michel Dierick, flamand de Gand, qui mérite plus que tout autre le titre d’œnopsychiatre, goûteur incomparable et encyclopédie vivante des meilleurs crus… Les références bibliographiques : Cock et Feret, Clive Oates, Peynaud, Dubourdieu, plutôt que Parker, le Vidal® des vins ! Les essais en double aveugle (loi Evin plutôt qu’Huriet), les dégustations verticales et horizontales (mais il faut 9 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page10 Dépression au cours d’une maladie de Parkinson Dr Pierre CESARO Service de Neurologie et INSERM U841 NPI, CHU Henri Mondor, Université Paris XII, Créteil La dépression est extrêmement fréquente au cours de la maladie de Parkinson. Elle peut révéler la maladie. Elle semble associée à une altération spécifique des neurotransmissions dopaminergique et noradrénergique, sans altération sérotoninergique. Un état d’« humeur dépressive transitoire » accompagne volontiers les états « off » et correspond à une forme de fluctuation non motrice. Les agonistes dopaminergiques ont un intérêt thérapeutique sur ces fluctuations, comme dans certaines formes de dépression chez le sujet parkinsonien. mouvements anormaux involontaires de la tête et des 4 membres. Simultanément, son syndrome dépressif s’aggrave, avec apparition d’idées suicidaires et d’idées de jalousie vis-à-vis de son épouse. Un traitement antidépresseur est alors introduit. Présentation clinique En 1998, Monsieur P., 58 ans, consulte pour un enraidissement douloureux du bras droit. À cette époque, on constate un tremblement de repos distal, une rigidité segmentaire de tout le membre avec diminution du Trois semaines plus tard, le patient voit son humeur balancement à la marche et une discrète akinésie distale s’améliorer ainsi que son état moteur. Les blocages de la main. L’amélioration importante des complets ont disparu. Après le symptômes après administration de déjeuner, il présente une discrète 300 mg par jour de lévodopa a conduit période akinétique mais conserve à poser le diagnostic de maladie de En état « off », l’examen néanmoins des mouvements dyskinéParkinson idiopathique. clinique révèle une tiques de la tête et des membres du Patron d’une petite entreprise de maçonhumeur dépressive : côté droit. En revanche, les idées nerie, le patient a poursuivi son activité suicidaires ont disparu et l’appétit s’est visage triste, faciès amélioré avec une stabilisation ponprofessionnelle. Au cours de l’année 2002, des fluctuations motrices apparenfermé, élocution dérale. Une évaluation est alors raissent, justifiant l’augmentation de la rare, réactivité lente, proposée en hospitalisation de jour. Le dose quotidienne de lévodopa à 600 mg. patient est convoqué après un sevrage faible motivation vis-à- nocturne de tout médicament antiEn octobre 2004, les bureaux de son vis des interlocuteurs. parkinsonien. En état « off », le score entreprise sont cambriolés, divers UPDRS* moteur est à 42/108 et documents et une importante somme 1 heure après la prise de 250 mg de d’argent sont dérobés. À la suite de cette lévodopa, on constate une amélioration spectaculaire, le agression et à des difficultés matérielles, le patient se score s’abaissant à 24… Mais cette dose entraîne des renferme. Une insomnie de fin de nuit s’installe, dyskinésies marquées, notamment au niveau de la tête et accompagnée d’une perte d’appétit et surtout d’une de la main droite. difficulté importante à marcher, écrire et assurer certains travaux manuels qu’il pratiquait habituellement avec ses En état « off », l’examen clinique révèle une humeur ouvriers. La posologie de lévodopa est alors augmentée à dépressive : visage triste, faciès renfermé, élocution rare, 800 mg par jour en 4 prises. réactivité lente, faible motivation vis-à-vis des interlocuteurs. Au contraire, à la suite du déblocage moteur, le visage du L’état moteur du patient ne s’améliore que de façon limitée, patient devient mobile, souriant et sa parole rapide, avec avec apparition d’effets « off » très fréquents, comportant des propos nettement plus positifs. En conséquence, des blocages moteurs quasi complets, empêchant l’association de 600 mg de lévodopa administrée de façon notamment la déambulation. De plus, environ 1 heure progressive avec 250 mg de piribédil lui est proposée. après les prises de médicaments, le patient présente des Numéro 14 10 “ “ CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page11 Trois mois après cette modification du traitement, le score UPDRS moteur est à 18/108 et son épouse constate une amélioration de l’humeur sur l’ensemble de la journée, une augmentation de l’appétit avec la reprise de 5 kg et une meilleure qualité de sommeil. Mme P. a d’ailleurs l’impression que le changement du traitement antiparkinsonien a exercé un effet antidépresseur. *Unified Parkinson Disease Rating Scale. Références 1 • Althaus A, Becker OA, Spottke A, et al. Frequency and treatment of depressive symptoms in a Parkinson’s disease registry. Parkinsonism Relat Disord. 2008;14:626-632. 2 • Remy P, Doder M, Lees A, Turjanski N, Brooks D. Depression in Parkinson’s disease: loss of dopamine and noradrenaline innervation in the limbic system. Brain. 2005;128:1314-1322. 3 • Frisina PG, Haroutunian V, Libow LS. The neuropathological basis for depression in Parkinson’s disease. Parkinsonism Relat Disord. 2009;15:144-148. 4 • Lemke MR, Brecht HM, Koester J, Reichmann H. Effects of the dopamine agonist pramipexole on depression, anhedonia and motor functioning in Parkinson’s disease. J Neurol Sci. 2006;248:266-270. 5 • Muzerengi S, Contrafatto D, Chaudhuri KR. Non-motor symptoms: identification and management. Parkinsonism Relat Disord. 2007;13:S450-S456. COMMENTAIRE Selon une étude récente, la fréquence des symptômes dépressifs au cours de la maladie de Parkinson varie entre 25 et 70 %, quel que soit le stade1. Il peut s’agir d’une dépression de type réactionnel, consécutive à l’annonce du diagnostic, à une aggravation motrice, à la perte d’un emploi ou à des événements familiaux… Dans le cas de notre patient, le facteur déclenchant de la dépression est certainement le stress provoqué par le cambriolage et les difficultés financières. Dans certains cas, une dépression de type mélancolique, voire une dépression associée à des idées délirantes, peut apparaître, sans cause apparente. Chez les patients parkinsoniens atteints simultanément de psychose maniaco-dépressive, il est fréquent de constater une aggravation motrice contemporaine de l’état dépressif, réagissant peu aux traitements dopaminergiques, et inversement, lors des phases maniaques, une amélioration motrice, sans augmentation du traitement médical antiparkinsonien. Il est donc légitime de considérer que l’humeur entraîne chez ce patient parkinsonien, une modification majeure de l’intensité des signes. Parfois, au début de la maladie, le diagnostic de dépression est posé en première intention et c’est seulement lors du suivi de cette dépression que l’examen neurologique révèle la maladie de Parkinson. On sait aujourd’hui que les états dépressifs sont associés à des modifications de la transmission aminergique centrale. Certains arguments font penser que les patients parkinsoniens déprimés présentent des altérations neurochimiques spécifiques. Une étude utilisant l’imagerie par émission de positons (PET-Scan), comparant 2 cohortes de parkinsoniens déprimés et non déprimés, a mis en évidence une altération spécifique de la transmission dopaminergique et noradrénergique, sans altération sérotoninergique2. Ces résultats sont corroborés par une récente étude post mortem réalisée sur des cerveaux de patients parkinsoniens déprimés (n = 11) et non déprimés (n = 9). Cet essai montre l’intégrité relative des voies de la sérotonine, qui contraste avec des lésions majeures des voies de la dopamine et de la noradrénaline3. Certains agonistes dopaminergiques peuvent exercer un effet antidépresseur, notamment les agonistes D3 (piribédil, pramipexole, voire ropinirole). Des essais cliniques de traitement de la dépression par certains agonistes comme le pramipexole chez des parkinsoniens ont validé ces effets4. Il convient de distinguer un état dépressif authentique, avec les signes d’une dépression mélancolique, et une « humeur dépressive transitoire », bien que les symptômes apparents soient identiques. En effet, il est fréquent de constater chez les parkinsoniens fluctuants, que les états « off » s’accompagnent, en plus de l’aggravation motrice majeure, d’une humeur dépressive qui, d’ailleurs, sera modifiée de façon « instantanée » par la prise d’un traitement dopaminergique : il s’agit alors d’une forme de fluctuation non motrice5. De même, des variations de l’humeur ont été observées chez les patients porteurs de stimulation cérébrale profonde. Un cas très caractéristique a été publié, où la stimulation électrique du noyau subthalamique s’accompagnait de façon instantanée d’une humeur dépressive, l’humeur se normalisant quelques minutes après l’arrêt de la stimulation. À l’inverse, la stimulation électrique provoque chez certains sujets l’apparition d’un rire et d’une humeur joviale. Très certainement, Monsieur P. a présenté une dépression réactionnelle, secondaire au cambriolage. Le traitement antidépresseur a été efficace à la fois sur les symptômes dépressifs et sur l’état moteur. En revanche, 2 années plus tard, des fluctuations motrices importantes ont été accompagnées de variations de l’humeur de courte durée avec une tristesse en état « off » et une restauration de l’humeur en état « on ». Il s’agit clairement de fluctuations motrices qui peuvent s’accompagner de troubles douloureux, végétatifs ou de l’humeur. Il est probable que le traitement par un agoniste dopaminergique possédant une demi-vie longue, a permis de « lisser » les fluctuations motrices, de diminuer l’intensité des dyskinésies, et d’améliorer globalement l’humeur du patient. 11 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page12 La magnétoencéphalographie : MEG Dr Isabelle MASSAT, MD, PhD Pédopsychiatre, chercheur qualifié du FNRS, Université Libre de Bruxelles, Belgique Clinique de Neuropédiatrie, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique Les techniques de neuroimagerie fonctionnelle, dont les applications dans le domaine des neurosciences cognitives connaissent un essor considérable, tentent d’esquisser des cartographies spatio-temporelles des processus neuronaux durant la réalisation de tâches diverses. Elles diffèrent essentiellement par leur pouvoir de résolution. En recherche, si l’imagerie par résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (IRMf) constitue une méthode de choix pour analyser avec précision (de l’ordre de 1 à 2 mm) la distribution anatomique tridimensionnelle des réseaux cérébraux impliqués dans différents processus, elle ne permet pas une résolution temporelle suffisante pour explorer en finesse la chronologie des activations neuronales, celles-ci se déroulant à l’échelle de quelques dizaines de millisecondes (ms) lors des tâches cognitives. nence dans de l’hélium liquide à -269 °C. Positionnés à proximité de la tête, ils détectent des variations rapides de champs magnétiques produits par des réseaux de neurones activés au cours d’une tâche considérée. N’étant pas en contact direct avec le scalp, cela impose une immobilisation du sujet pendant la durée des enregistrements. Les champs magnétiques enregistrés par les capteurs MEG résultent de la sommation des effets des courants électriques générés par l’activité de 10 000 à 1 million de neurones, en activité synchronisée et concentrés dans quelques millimètres Une technique encore peu répandue La magnétoencéphalographie (MEG) ouvre des perspectives très prometteuses pour l’exploration dynamique du cerveau1. Totalement non invasive, elle peut fournir la séquence chronologique des processus neuronaux, grâce à son excellente résolution temporelle (de l’ordre de la milliseconde, similaire à celle des potentiels évoqués en EEG). La MEG enregistre, à la surface du scalp, l’activité électromagnétique liée aux courants ioniques « primaires » engendrés par l’activité des neurones cérébraux. Ces champs magnétiques étant extrêmement faibles (un milliard de fois plus faibles que le champ magnétique terrestre), ils nécessitent une instrumentation très sensible et sophistiquée. Trois cent six détecteurs sont ainsi disposés sur un casque couvrant la totalité du scalp. Des capteurs ultrasensibles La MEG doit son développement à la mise au point par les physiciens, dans les années 70, des capteurs de champs magnétiques ultrasensibles à base de supraconducteurs (SQUID : Supraconducting QUantum Interference Device)2. Les propriétés supraconductrices des SQUIDs nécessitent qu’ils soient maintenus à basse température, immergés en perma- Numéro 14 12 Figure 1. Réponse magnétique évoquée par la stimulation du nerf médian droit. En haut, apparition de la première réponse corticale 20 millisecondes après le stimulus (N20m). Les contours rouges indiquent le champ magnétique sortant du crâne et les bleus, le champ magnétique entrant dans le crâne. La flèche verte illustre la projection en surface du dipôle de courant équivalent (DCE) traduisant le mieux la distribution de champ magnétique enregistrée par la MEG. En bas, superposition du DCE correspondant au N20m et de l'IRM structurelle du sujet. La région corticale à l'origine de cette réponse est localisée au niveau du cortex sensitif primaire (circonvolution pariétale ascendante). CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page13 cubes de cortex. Cet ensemble de neurones se comporte comme un dipôle électrique dont la direction est donnée par l’orientation principale des dendrites (soit perpendiculairement à la surface corticale). Les activités enregistrées en surface proviennent de neurones pyramidaux du ruban cortical dont l’arborescence dendritique présente une architecture en colonne. Les enregistrements MEG sont donc cantonnés à la surface corticale, l’inves tigation des structures cérébrales plus profondes restant plus difficilement accessible. Les variations de champs magnétiques étant infinitésimales, l'appareil et le sujet doivent être confinés dans une chambre blindée afin de les protéger des autres sources d’activité électromagnétique de l’environnement. Lorsque l’on présente au sujet une tâche cognitive, l’activité neuronale est non seulement très faible, mais elle est noyée dans une activité spontanée qui résulte de diverses sources (rythmes cérébraux physiologiques, phénomènes pathologiques...). Pour atténuer ce « parasitage » et extraire les composantes spécifiques de l'activité cérébrale explorée, on procède à de multiples essais d’une même expérience pour pouvoir les superposer et augmenter ainsi le rapport signal/bruit. Seule l’activité synchronisée avec le stimulus est amplifiée. Le signal obtenu après moyennage des signaux enregistrés représente la « réponse évoquée » (champ magnétique évoqué). Cela suppose que les réactions cérébrales soient reproductibles d'un essai et d’un sujet à l'autre, ce qui est vrai pour les réponses sensorielles mais plus hypothétique pour les processus cognitifs. Bien que possédant la capacité de localiser les activités cérébrales, la MEG reste moins contributive que l’IRMf sur le repérage spatial. Il est possible de combiner les enregistrements MEG de l’activité cérébrale à des coupes anatomiques fines acquises en IRM (recalage) pour visualiser avec le plus de précision possible le décours temporel et les informations neuroanatomiques tridimensionnelles des activités mentales explorées. La MEG peut également être couplée à l’EEG qui enregistre des variations d’origine extracellulaire (courants secondaires). Ces 2 techniques dont les sensibilités sont diamétralement opposées selon l’orientation radiale ou tangentielle du champ électromagnétique, sont complémentaires. Les indications cliniques actuelles de la MEG sont proches de celles de l’EEG. Bien que ses performances soient supérieures pour la localisation spatiale, la MEG n’est toutefois pas un examen de routine clinique : peu d’hôpitaux ou centres de recherche en possèdent (seulement 2 en France), le coût d’achat et de fonctionnement limitant actuellement son développement. Par ailleurs, cette technique fait appel à des modélisations mathématiques et informatiques très complexes qui nécessitent un personnel spécialisé. Son usage se répand néanmoins, constituant notamment un outil de choix dans la stratégie opératoire des neurochirurgiens pour localiser certains foyers épileptogènes. Des perspectives prometteuses La MEG permet également d’explorer la distribution de réseaux neuronaux fonctionnellement interdépendants dans des régions cérébrales éloignées, de mesurer leurs relations temporelles, de tester des hypothèses d’anomalies de connectivité… Investiguée chez les sujets sains ou malades, elle offre de nouvelles perspectives de recherche pour la compréhension de la plasticité cérébrale, l’organisation spatiale et temporelle des processus impliqués dans le développement du cerveau, son vieillissement, la conscience, le sommeil, les processus dégénératifs (maladies de Parkinson, d’Alzheimer) ainsi que les pathologies psychiatriques (schizophrénie, autisme, dépression, déficits attentionnels…). De nombreux protocoles de recherche sont en cours… et nous réservent probablement des résultats excitants dans les prochaines années. Références 1 • Ioannides AA. Magnetoencephalography as a research tool in neuroscience: state of the art. Neuroscientist. 2006;12:524-544. 2 • Cohen D. Magnetoencephalography: detection of the brain's electrical activity with a superconducting magnetometer. Science. 1972;175:664-666. Figure 2. . Stimulation électrique du nerf médian droit avec intervalle entre les stimuli de 5 secondes. La première réponse apparaît au niveau du cortex sensitif primaire controlatéral à la stimulation, 20 ms après le stimulus. Ensuite, trois régions cérébrales distinctes s'activent à partir de 60 ms post-stimulus : les cortex sensitifs secondaires contro- et ipsilatéraux à la stimulation, ainsi que le cortex pariétal postérieur controlatéral à la stimulation. 13 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page14 Le système de neurones miroirs chez l’homme Pr Hugo THÉORET, PhD Département de Psychologie, Université de Montréal, Canada La découverte de « neurones miroirs » dans le cortex prémoteur du singe macaque et d’un système similaire de simulation motrice chez l’homme a contribué à définir les fondements neuronaux du comportement social. De nombreuses études récentes suggèrent en effet qu’un système appariant l’observation et l’exécution d’actions serait impliqué dans une grande variété de comportements allant de la compréhension de l’action à l’empathie. Il est, de plus, proposé que des anomalies structurelles et fonctionnelles dans le système de neurones miroirs pourraient expliquer une partie des aspects sociaux des troubles du spectre autistique. que les mécanismes de simulation expliquant la reconDès la fin du XIXe siècle, William James suggérait que « la représentation mentale d’un mouvement sollicite jusqu’à un naissance d’actions pourraient être impliqués dans de certain point le mouvement auquel elle est associée » nombreux comportements sociaux tels que l’empathie, (traduction libre)1. Il faudra attendre plus d’un siècle pour que définie ici comme la capacité à comprendre les actions, des données empiriques confirment la prémonition de James sensations et émotions d’autrui. et qu’un mécanisme de simulation (ou résonance) motrice, Avenanti et al.5 ont par exemple démontré, à l’aide de la par lequel un mouvement observé est représenté dans les stimulation magnétique transcrânienne, que la simple structures motrices correspondantes de l’observateur, soit observation d’une aiguille pénétrant la mis à jour. À la fin des années 90, l’équipe main d’un modèle humain provoquait du neurophysiologiste italien Giacomo une modulation de l’activité du cortex Rizzolatti rapportait l’existence, dans le Des mesures corrésensorimoteur de l’observateur similaire cortex prémoteur du singe macaque, de lationnelles ont à celle associée à l’expérience de cette cellules nerveuses répondant à la fois à l’exécution d’une action et à sa douleur. De plus, des mesures corrédémontré que plus simple observation2, 3. Par exemple, un lationnelles ont démontré que plus l’observateur était même neurone pouvait décharger lorsque l’observateur était empathique (tel que empathique, plus la le singe saisissait une arachide et lorsqu’il déterminé par des échelles d’empathie observait passivement un congénère ou standardisées), plus la modulation neumodulation neuroun expérimentateur humain faire de ronale était importante. Des données nale était impormême devant lui. Il a rapidement été similaires ont été rapportées par Singer suggéré par Rizzolatti et al.2 que ces tante. et son équipe6, qui ont utilisé l’imagerie neurones miroirs seraient à la base de la par résonance magnétique fonctionnelle compréhension d’actions, où le geste (IRMf) pour enregistrer l’activité cérébrale observé est compris parce que sa représentation, visuelle ou de participants recevant une stimulation douloureuse ou auditive, sollicite les structures qui seraient utilisées si l’individu observant un être cher dans la même situation. Il fut exécutait lui-même le mouvement. démontré dans cette étude que les composantes affectives du réseau neuronal associées à la perception de la douleur De la reconnaissance de l’action à l’empathie (insula et cortex cingulaire antérieur) étaient activées dans les 2 conditions. Ici encore, le niveau d’activation de ces Plusieurs études récentes suggèrent l’existence d’un méstructures était corrélé avec les scores individuels aux canisme de résonance motrice chez l’homme, semblable échelles d’empathie. Même chez l’enfant, chez qui un à celui observé chez le singe. À l’aide de techniques SNMh a été observé7, l’activité de la partie operculaire du d’imagerie cérébrale, de nombreuses similitudes anatomi gyrus frontal inférieur est corrélée à diverses mesures ques et fonctionnelles ont été observées entre le réseau de d’empathie lors de l’observation passive d’expressions neurones miroirs du singe et le réseau neuronal humain émotionnelles du visage8. Prises dans leur ensemble, ces associé à l’observation et à l’exécution d’actions. Ce données et de nombreuses études comparables militent « système de neurones miroirs humains » (SNMh) serait en faveur d’une théorie de l’empathie impliquant en partie situé dans la région operculaire du gyrus frontal inférieur et la partie rostrale du lobule pariétal inférieur4. Il a été proposé le système moteur et, plus généralement, le SNMh. Numéro Numéro 9 14 14 14 “ “ CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page15 Neurones miroirs et troubles autistiques Conclusion De nombreuses fonctions réputées pour être sous-tendues par le SNMh, telles l’imitation et l’empathie, sont déficitaires dans les Troubles du Spectre Autistique (TSA). Il a donc été suggéré qu’une altération des mécanismes de résonance motrice pourrait être associée aux symptômes sociaux caractérisant les TSA9. Une des démonstrations les plus convaincantes du lien TSA-SMNh vient d’une étude en IRMf où les patrons d’activation cérébrale présents chez des enfants avec un TSA durant une tâche d’imitation d’expressions faciales étaient comparés à ceux observés chez des enfants non-TSA10. Bien qu’aucune différence n’ait été mise en évidence dans la réalisation de la tâche d’imitation, seuls les enfants ayant un développement normal démontraient une activité accrue dans la région operculaire du gyrus frontal inférieur. De plus, l’activité dans cette région était négativement corrélée à la sévérité de la dysfonction sociale : plus l’enfant présentait des déficits d’ordre social, moins la composante frontale du SNMh était activée. Ces données soulignent le lien entre le comportement social et le SNMh et supportent l’hypothèse voulant que les individus présentant un TSA aient de la difficulté à « lire » l’état émotionnel d’autrui en raison d’une incapacité à activer de façon adéquate les régions cérébrales généralement sollicitées lorsqu’ils ressentent eux-mêmes une émotion. Un système de simulation anormal tel que décrit ici n’est probablement qu’un des nombreux processus neuronaux atypiques impliqués dans la symptomatologie du TSA. En effet, l’hypothèse TSA-SMNh n’exclut pas la possibilité que des processus cognitifs divers participent à la physiopathologie complexe du TSA, et un SMNh déficitaire ne peut expliquer à lui seul la totalité des symptômes sociaux y étant associés. Toutefois, il importe de mieux comprendre le rôle du SNMh dans le comportement social normal et pathologique puisque le développement d’un marqueur neurophysiologique de certains symptômes comportementaux liés au TSA pourrait grandement favoriser un diagnostic plus précis. En plus des dysfonctions fonctionnelles, il apparaît que des altérations structurelles touchent les principales régions du SNMh chez l’individu atteint de TSA. Par exemple, Hadjikhani et al.11 rapportent une diminution significative de l’épaisseur corticale dans le gyrus frontal inférieur et le lobule pariétal inférieur, les mêmes régions sous-activées lors de l’observation d’expressions faciales10. Toujours en accord avec les données fonctionnelles, il existe une corrélation significative entre le degré d’amincissement cortical et la sévérité des symptômes sociaux. Il semblerait donc que les déficits neurophysiologiques observés dans les régions miroirs soient dus à des anomalies structurelles à l’origine d’interactions anatomofonctionnelles complexes. Ces dernières pourraient expliquer en partie la grande variabilité des symptômes sociocomportementaux observés dans les TSA. Références 1 • James W. The principles of psychology. New York: Holt, 1890. 2 • Gallese V, Fadiga L, Fogassi L, Rizzolatti G. Action recognition in the premotor cortex. Brain. 1996;119:593-609. 3 • Rizzolatti G, Fadiga L, Gallese V, Fogassi L. Premotor cortex and the recognition of motor actions. Brain Res Cogn Brain Res. 1996;3:131-141. 4 • Rizzolatti G, Craighero L. The mirror-neuron system. Annu Rev Neurosci. 2004;27:169-192. 5 • Avenanti A, Bueti D, Galati G, Aglioti SM. Transcranial magnetic stimulation highlights the sensorimotor side of empathy for pain. Nat Neurosci. 2005;8:955960. 6 • Singer T, Seymour B, O'Doherty J, Kaube H, Dolan RJ, Frith CD. Empathy for pain involves the affective but not sensory components of pain. Science. 2004;303:1157-1162. 7 • Lepage JF, Théoret H. The mirror neuron system: grasping others’ actions from birth? Dev Sci. 2007;10:513-523. 8 • Pfeifer JH, Iacoboni M, Mazziotta JC, Dapretto M. Mirroring others’ emotions relates to empathy and interpersonal competence in children. Neuroimage. 2008;39:2076-2085. 9 • Williams JH, Whiten A, Suddendorf T, Perrett DI. Imitation, mirror neurons and autism. Neurosci Biobehav Rev. 2001;25:287-295. 10 • Dapretto M, Davies MS, Pfeifer JH, et al. Understanding emotions in others: mirror neuron dysfunction in children with autism spectrum disorders. Nat Neurosci. 2006;9:28-30. 11 • Hadjikhani N, Joseph RM, Snyder J, Tager-Flusberg H. Anatomical differences in the mirror neuron system and social cognition network in autism. Cereb Cortex. 2006;16:1276-1282. 12 • Théoret H, Halligan E, Kobayashi M, Fregni F, Tager-Flusberg H, PascualLeone A. Impaired motor facilitation during action observation in individuals with autism spectrum disorder. Curr Biol. 2005;15:R84-R85. 13 • Oberman LM, Hubbard EM, McCleery JP, Altschuler EL, Ramachandran VS, Pineda JA. EEG evidence for mirror neuron dysfunction in autism spectrum disorders. Brain Res Cogn Brain Res. 2005;24:190-198. 14 • Bernier R, Dawson G, Webb S, Murias M. EEG mu rhythm and imitation impairments in individuals with autism spectrum disorder. Brain Cogn. 2007;64:228-237. Prises dans leur ensemble, ces études militent en faveur d’un lien entre un SNMh hypoactif et certains symptômes caractéristiques des TSA. Cette hypothèse est renforcée par la constatation du fait que même l’observation passive d’un mouvement intransitif de la main produit une activation sensorimotrice moindre chez des individus avec TSA12, 13. De surcroît, leur habileté imitative s’avère corrélée avec le niveau d’activité du cortex sensorimoteur14. 15 15 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page16 3e Congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle Le 3e congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle (International Society for Interpersonal Psychotherapy [ISIPT]) s’est déroulé à la Columbia University de New York du 27 au 29 mars 2009. Cette 3e conférence internationale consacrée à la TIP a réuni plus de 400 participants durant 4 jours. Parmi les thèmes abordés, d’intéressantes communications ont porté notamment sur la TIP chez l’adolescent, l’aménagement des rythmes sociaux, le counselling interpersonnel ainsi que sur les implications de l’attachement et de la mentalisation sur la TIP. La Thérapie Interpersonnelle (TIP) est une forme de psychothérapie très récente dans l’histoire de la psychiatrie puisqu’elle a été formalisée dans les années 19701. Elle est étonnamment très peu connue en France, souvent confondue avec une thérapie de soutien, et de ce fait, très peu pratiquée. Or les méta-analyses consacrées à l’évaluation de l’efficacité des traitements dans les troubles de l’humeur, placent cette psychothérapie parmi les plus efficaces avec la psychothérapie cognitive et comportementale2,3. La TIP est une psychothérapie brève et structurée, basée sur le lien interactif et indissociable entre la dépression et l’environnement social et relationnel du sujet. Cette psychothérapie se base sur « l’ici et maintenant » et se fixe sur l’évaluation précise du lien interactif entre une forme de dysfonctionnement interpersonnel (par exemple un conflit conjugal) associée à la dépression, l’une potentialisant l’autre. La Thérapie Interpersonnelle pour Adolescents (TIP-A) Dr Frédéric KOCHMAN EPSM Agglomération Lilloise Depuis le début des années 1990, la TIP a été adaptée à la problématique des troubles de l’humeur juvéniles. Cette psychothérapie, de par sa brièveté (12 à 16 entretiens), son caractère dynamique, son interactivité réclamant un investissement actif du patient (sous la forme de jeux de rôle par exemple) est particulièrement adaptée à cette classe d’âge. Meredith Gunlicks a présenté une étude comparative entre TIP-A et traitement classique, réalisée auprès de 63 adolescents déprimés âgés de 12 à 18 ans4. L’étude visait également à repérer les facteurs prédictifs d’efficacité de la TIP-A. La TIP-A se révéla être une thérapie très efficace, rapide et parfaitement acceptée par les jeunes patients. Deux facteurs interpersonnels furent très prédictifs de l’efficacité de cette psychothérapie : les conflits mère-adolescents ainsi que les mauvaises relations avec les camarades d’école. Laura Mufson, qui est à l’origine de la TIP-A, développe actuellement une forme de thérapie interpersonnelle et familiale consacrée aux préadolescents dépressifs. Avec sa consœur Laura Dietz, elle a présenté au cours de ce congrès une étude ouverte menée auprès de 16 préadolescents (âgés de 9 à 12 ans) et de leur famille5. La particularité de cette approche fut de réunir le préadolescent ainsi que ses parents, afin de se focaliser sur les dysfonctionnements interpersonnels parents-enfants. Cet abord psychothérapeutique familial fut suivi jusqu’à la fin par 88 % des familles et permit une amélioration clinique très significative des jeunes patients. La TIP se montra aussi efficace que la TIP associée à un traitement antidépresseur. Une étude randomisée et contrôlée est en cours afin de valider l’efficacité de cette nouvelle entité psychothérapeutique familiale. Numéro 14 16 Références 1 • Weissman MM. Cognitive therapy and interpersonal psychotherapy: 30 years later. Am J Psychiatry. 2007;164:693-696. 2 • Bottai T. Traitement non médicamenteux de la dépression. Presse Med. 2008;37:877-882. 3 • Frank E, Kupfer DJ, Thase ME, et al. Two-year outcomes for interpersonal and social rhythm therapy in individuals with bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatry. 2005;62:996-1004. 4 • Gunlicks-Stoessel M. The impact of interpersonal functioning on treatment for adolescent depression: IPT-A versus treatment as usual in school-based health clinics. ISIPT 3rd Conference, New York, march 2009. 5 • Dietz LJ, Mufson L, Brent D. Family based IPT (FB-IPT) for depressed preadolescents: an open treatment trial. ISIPT 3rd Conference, New York, march 2009. Depuis 5 ans, des psychiatres français formés à la TIP par le professeur Myrna Weissmann (cofondatrice de cette nouvelle psychothérapie) et son équipe de la Columbia University de New York se sont regroupés en une association consacrée à la promotion de cette approche psychothérapique, l’association Creatip*. *Le Cercle de Recherche et d’Études Appliquées à la Thérapie Interpersonnelle (CREATIP) regroupe aujourd’hui l’ensemble des thérapeutes français désirant se former et s’investir dans cette nouvelle forme de psychothérapie. L’association vient de rédiger un livre consacré à la TIP actuellement sous presse et propose une formation à l’exercice de la TIP. Vous pouvez consulter le site de l’association : http://www.creatip.fr.st et nous contacter : [email protected] CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page17 © Comstock® 3e Congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle Le counselling interpersonnel en médecine générale Dr Hassan RAHIOUI Psychiatre, Hôpital Henri Ey, Paris Les médecins généralistes sont de plus en plus souvent confrontés à la gestion de problèmes de santé mentale. Dans leur volonté de prendre en charge les troubles psychiques mineurs, ils sont à la recherche de techniques thérapeutiques adaptées à leur pratique. Dans cette optique, le counselling interpersonnel (CIP) constitue une modalité thérapeutique taillée sur mesure pour une pratique en médecine de ville. Le CIP représente une approche moins contraignante que la Psychothérapie Interpersonnelle dont elle provient, les consultations étant moins nombreuses et de plus courte durée. En effet, le CIP consiste en un traitement relativement court de 6 consultations, chacune d'entres elles ayant un but très explicite et précis : évaluation, prise de conscience de l'interaction entre les relations interpersonnelles et les symptômes psychologiques, identification des facteurs de stress et aide au patient pour les aborder de manière positive, bilan et conclusion du traitement. Bibliographie • Judd FK, Piterman L, Cockram AM, McCall L, Weissman MM. A comparative study of venlafaxine with a focused education and psychotherapy program versus venlafaxine alone in the treatment of depression in general practice. Hum Psychopharmacol. 2001;16:423-428. • Judd F, Weissman M, Davis J, Hodgins G, Piterman L. Interpersonal counselling in general practice. Aust Fam Physician. 2004;33:332-337. • Weissman MM. Interpersonal counselling for stress and distress in primary care: a treatment manual. Available at: [email protected]. . Dans un but didactique, nous allons prendre parmi les états de détresse, l’exemple de la dépression dans sa forme légère à modérée comme style d’application du CIP en médecine générale. Counselling interpersonnel et dépression Première consultation : adhésion du patient au traitement À la première consultation, relativement la plus longue, le médecin généraliste (MG) évalue l'aptitude du patient à accepter le CIP et lui explique en quoi consiste ce traitement. Le but est d’établir une relation thérapeutique et de compléter l’examen physique et psychiatrique ainsi que les analyses complémentaires à la recherche de troubles physiques et/ou psychiatriques. Il s’agit également d’introduire directement l’idée de la relation existant entre les symptômes de détresse, en l’occurrence les symptômes dépressifs, et le stress que vit actuellement le patient. Le praticien cherchera ensuite à explorer sa situation interpersonnelle et sociale lui permettant d’offrir au patient l’opportunité de recevoir de l’aide pour ses problèmes. Deuxième consultation : détermination du ou des domaines spécifiques des problèmes interpersonnels Cette étape sera consacrée à l’inventaire interpersonnel où il s’agit de passer en revue le fonctionnement social du sujet, ses relations passées et actuelles, son mode d’entrée en relation avec autrui, les aspects satisfaisants et non satisfaisants de ses relations, ses attentes et ses déceptions envers ses relations. Cette consultation doit également déterminer si le sujet rencontre des difficultés à s’affirmer, à se confronter aux autres, et s’il s’autorise, par exemple, à exprimer ses colères. Les symptômes dépressifs sont alors reliés aux expériences problématiques interpersonnelles actuelles décrites par le patient et les objectifs sont définis dans 1 des 4 domaines problématiques interpersonnels : - deuil pathologique : quelqu’un d’important est peut-être décédé provoquant une peine prolongée et compliquée ; - conflits interpersonnels : peut-être s’agit-il d’une lutte avec un être significatif dont les attentes ne sont pas réciproques ; - transitions de rôle : changements dans la vie menant à un changement dans son propre rôle interpersonnel et dans le sens de soi dans un nouveau contexte ; - déficit interpersonnel : souffrance liée à un isolement social important. L’esprit de cette approche interpersonnelle estime qu’un deuil non résolu, une transition inachevée, une dispute qui ne trouve pas d’issue ou un isolement social qui dure peuvent provoquer par dysfonction prolongée de la relation investie, l’émergence d’un trouble dépressif. Troisième, quatrième et cinquième consultations : analyse du ou des principaux domaines de stress spécifiques L’objectif de ces visites est d’aider le patient à mieux gérer les aires spécifiques de stress. Cela est atteint par une clarification continue du problème et en évoquant les étapes qui pourraient aider le patient à mieux faire face au problème. Le travail à domicile pour accélérer le processus du changement est suggéré pour chaque domaine. Sixième et dernière consultation : bilan et conclusion du traitement Cette visite, planifiée 2 semaines après le 5e entretien, peut être prévue plus tôt si le patient pense avoir atteint plus précocement ses objectifs. Dans cette séance, le MG devrait revenir sur le cheminement accompli durant les 6 semaines passées dans le domaine du stress spécifique, évaluer l’état actuel du patient et discuter explicitement de la fin du CIP qui est l’objectif majeur de cette rencontre. Par la suite, bien que le travail à domicile se poursuive dans le domaine problématique tel qu’il a été expliqué au cours des visites 3-5, le MG doit aborder le sujet de la terminaison du CIP et susciter les réactions du patient. 17 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page18 Attachement, mentalisation et leur implication dans la thérapie interpersonnelle Dr Laurent JACQUESY Psychiatre, Annecy La 3e conférence de l’International Society for Interpersonal PsychoTherapy (ISIPT) s’est ouverte par l’intervention fondamentale de Peter Fonagy qui a repris sur un mode tant clinique, expérimental que théorique, les apports des théories fondatrices de la thérapie au regard des travaux de recherche récents. L’attachement De façon générale, les êtres humains ont besoin de créer des liens affectifs privilégiés avec d’autres personnes, basés au départ sur le besoin de sécurité de l’enfant qui va constituer l’attachement, comme l’a décrit John Bowlby. Ces liens sont à double sens, avec un lien particulier de l’adulte à l’enfant dont il « prend soin » et de l’enfant à l’adulte, de façon réciproque. Ces liens ne sont pas interchangeables à partir d’un certain niveau de développement de l’enfant et participent à la régulation de la maturation du système nerveux de l’enfant. L’attachement va permettre de réguler les états d’angoisse et de réduire l’inconfort. Ces liens sont également fondamentaux dans la constitution qualitative des liens sociaux à venir. Différentes expériences ont été menées chez des enfants pour essayer de repérer les réactions relationnelles en rapport avec la séparation et la venue d’un inconnu, notamment en termes d’inconfort, voire de stress. Trois principaux types de réaction permettent de différencier : - les enfants ayant une gestion sécurisante, recherchant la proximité de la mère et facilement calmés à son contact ; - les « évitants » ne semblant pas gênés par la séparation, et ne recherchant pas significativement le contact maternel ; - les enfants stressés lors de la séparation, mais non rassurés par le retour de la mère (il s’agit alors souvent d’enfants victimes de mauvais traitements, négligences de soins, abus sexuels ou violences). La peur paradoxale du parent entraîne une recherche de contact qui va, du fait du comportement inadapté du parent, amener à encore plus d’angoisse. Les troubles des conduites (chez les enfants désorganisés) et de l’humeur (chez les évitants) sont manifestement plus importants que chez les autres. De même, les réactions Selon le type de gestion relationnelle de la mère, sécurisante ou non, le risque de sentiment d’insécurité chez l’enfant passe de 21 % à 73 %. Selon le niveau de sécurisation du père, il passe de 18 % à 56 %. Les mécanismes neurobiologiques impliqués utilisent les voies dopaminergiques corticolimbiques, comme dans les processus d’addiction. De façon surprenante, il existe également un lien avec le taux d’ocytocine circulante. Numéro 14 18 affectives et comportementales sont disproportionnées de façon significative chez ces enfants désorganisés. Le meilleur prédicteur se situe dans la qualité relationnelle parents-enfant dans les 24 premiers mois, plus encore que les maltraitances tardives. L’évolution chez l’adulte se situe dans la logique de ce que l’individu a ressenti enfant : des relations de qualité, sécurisantes, favorisent des relations amicales plus stables et cohérentes, un meilleur sentiment de sécurité à l’adolescence (estime de soi, confiance, sentiments positifs, capacité de résilience, compétences sociales) et une meilleure capacité à chercher les solutions de résolution lors des conflits, d’où un cercle vertueux de maîtrise affective à l’âge adulte. Ce profil correspond également à une attente positive vis-à-vis des pairs, d’où une facilitation des initiatives sociales. A contrario, un attachement de mauvaise qualité, insécurisant, amplifie la teneur anxiogène des événements et conduit à un excès de recherche d’aide, ce qui peut aggraver la mauvaise qualité relationnelle, entraîner le refus ou le retrait des aidants potentiels, et entretenir ainsi, tant l’incapacité sociale que l’appréhension relationnelle anxieuse. Au total, on peut aisément faire le lien entre la qualité de la gestion affective et l’alliance thérapeutique à attendre. La thérapie, pour sa part, agit sur la cohérence, améliore le sentiment de sécurité et réduit l’appréhension relationnelle anxieuse des patients. La mentalisation La mentalisation est une forme de gestion imaginative de perception et d’interprétation des comportements sociaux. L’implication de ce processus dans la thérapie interpersonnelle correspond aux capacités de mise en place de changements qui nécessitent une mentalisation centrée sur le contexte social, via la discussion des liens actuels ou passés et la création d’un environnement social stable et sécurisant, parfois par l’intermédiaire du lien thérapeutique. À travers l’activation de liens relationnels, le thérapeute induit, par des techniques spécifiques, la relance ou la création de cette mentalisation nécessaire, qui a comme fonction de transformer les émotions douloureuses en une réflexion visant à restimuler les attaches affectives, voire de repenser et d’inhiber ainsi partiellement l’impact des expériences traumatiques antérieures. CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page19 © Comstock® 3e Congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle Actualités sur les thérapies interpersonnelles avec aménagement des rythmes sociaux (TIPARS) Dr Thierry BOTTAI CH de Martigues - Membre de CREATIP Lors du 3e congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle (ISIPT), différentes communications ont porté sur la TIPARS et sur les troubles bipolaires. Stefanie Hlastala de Seattle a rapporté les résultats d’une étude préliminaire ouverte évaluant les effets d’une TIPARS adaptée aux adolescents ayant un trouble bipolaire (TIPARS-A ou IPSRT-A). Les troubles bipolaires commencent fréquemment à l’adolescence et entraînent, en sus de la symptomatologie, une altération majeure du fonctionnement à un âge critique de la vie ainsi qu’un risque suicidaire accru. La spécificité de la TIPARS-A porte sur 1 à 2 séances de psychoéducation familiale durant la phase initiale et sur la résolution de conflits spécifiques de l’adolescence durant la phase intermédiaire (autonomisation par rapport aux parents, gestion des relations amoureuses initiales, gestion des conflits de groupe d’adolescents et gestion des conflits avec les parents concernant les traitements). La spécificité porte également sur l’acceptation de la maladie. Douze adolescents souffrant de troubles bipolaires de type I ou II ont été inclus durant un épisode dépressif ou maniaque, avec traitement médicamenteux, pendant 20 semaines. Un seul a quitté l’étude 4 semaines avant la fin pour entrer au lycée. Tous ont présenté une amélioration statistiquement significative à la fin de l’étude sur les échelles de manie, de dépression et sur les échelles globales. Constatation très intéressante, tous les adolescents ont été très satisfaits de la thérapie, ont considéré que la thérapie les avait aidé à se sentir mieux, et recommanderaient cette thérapie à un ami. Holly Swartz, de l’équipe d’Ellen Frank à Pittsburgh qui a mis au point la TIPARS, a rapporté des données préliminaires concernant les dépressions dans les troubles bipolaires de type II en monothérapie chez 17 patients sans médicaments. À 12 semaines, 41 % des patients avaient bien répondu à la TIPARS. Les autres ont bénéficié d’une adjonction de lamotrigine. À la 20e semaine, 53 % avaient bien répondu et 29 % étaient en rémission complète. Ces résultats sont confirmés par d’autres données préliminaires et semblent très prometteurs dans certaines configurations cliniques. Tina Goldstein de Pittsburgh a mené une étude pilote multicentrique (Pittsburgh & Seattle) destinée à évaluer les effets d’une TIPARS-A chez des adolescents à risque (de trouble bipolaire) sur une petite cohorte. Les résultats préliminaires montrent un bénéfice net sur la régularisation des rythmes sociaux et les relations interpersonnelles, y compris avec leurs proches atteints de trouble bipolaire, et une amélioration de la qualité du sommeil mesurée par actimétrie. Maree Inder d’Otago en Nouvelle-Zélande a présenté un travail de facilitation du sentiment de Soi chez les patients atteints de trouble bipolaire à partir de la TIPARS, dont la finalité est une La TIPARS ou IPSRT est un aménagement de la thérapie interpersonnelle (TIP) pour les troubles bipolaires. La dépression des troubles bipolaires ayant longtemps servi de forme type de description, il est légitime d’utiliser une forme de psychothérapie ayant prouvé son efficacité. Cependant, la spécificité des troubles bipolaires réside dans l’instabilité chronobiologique retrouvée dans la symptomatologie des épisodes et dans la cyclicité de la pathologie. La thérapie interpersonnelle a donc été renforcée par un autre objectif qui vise à régulariser les rythmes sociaux et combattre l’instabilité. Les 4 objectifs principaux de la TIPARS sont : la psychoéducation, la résolution des problèmes interpersonnels (conflits, deuil, changement de rôle ou isolement), la régularisation des rythmes sociaux et le deuil d’un avenir indemne. La TIPARS reste une thérapie brève, en une vingtaine de séances, avec 3 phases (initiale, intermédiaire et de terminaison), mais est souvent complétée par une thérapie de maintenance. meilleure acceptation du diagnostic et une amélioration de l’observance thérapeutique. Le travail a été articulé autour de verbatim de patients en TIPARS. La clarification et la résolution de conflits interpersonnels (ou autrement dit, le travail sur les relations objectales externes qui permet une meilleure construction égoïque du Soi) permettent le travail du deuil d’un avenir indemne et une meilleure acceptation des soins. Enfin, l’équipe de Pittsburgh a également présenté une variante de la TIPARS développée pour des groupes de patients hospitalisés ou ambulatoires ne pouvant accéder à une TIPARS individuelle pour des raisons de coûts. Les sessions de groupe sont centrées sur l’histoire du trouble (rythmicité des épisodes en lien avec les événements relationnels), l’inventaire interpersonnel, les stratégies de communication interpersonnelles, le deuil d’un avenir indemne, la psychoéducation et l’importance des routines quotidiennes. La thérapie de groupe se déroule sur 12 semaines, avec du travail individuel à domicile. Une extension a été proposée en maintenance. Les premiers résultats semblent encourageants et facilitent la jonction entre traitement hospitalier et ambulatoire. En conclusion, la TIPARS, psychothérapie récente (2005) pour les troubles bipolaires montre une efficacité dans les troubles bipolaires en permettant une résolution plus rapide des épisodes dépressifs, un allongement des intervalles libres, une amélioration de la régularité du style de vie, une amélioration du fonctionnement psychosocial et occupationnel et une meilleure observance. Des variantes se développent et semblent prometteuses. 19 CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page20 Cinéma et troubles de l’humeur Dr Christian GAY Clinique du Château, Garches Un vaste sujet qui, dans ce court article, se limitera à l’impact des films chez les patients et ce, dans une finalité informative. Il est hors de propos de lister l’intégralité des films se référant à des troubles de l’humeur du fait de leur nombre, ce thème constituant une véritable mine pour les scénaristes qui se sont laissés aller à toutes sortes d’excès. Big fish de Tim Burton est son film le plus abouti. On retrouvait déjà, dans ses films antérieurs, des personnages hors normes, hauts en couleur, excessifs, mais sans la poésie et la profondeur de Big Fish qui fait référence à la générosité, l’optimisme, l’imaginaire, l’authenticité, la spontanéité, la sensibilité et l’affectivité. Cette lecture du film est celle des patients, qui ne se Ces films peuvent servir retrouvent pas obligatoirement dans le personnage mais certainement dans la de supports de discus- tonalité de l’histoire. La vision que sion avec l’entourage Tim Burton nous offre a probablement été influencée par son expérience qui peut se montrer, personnelle de ce trouble. Ces dernières années, plusieurs films faisaient référence à ce trouble, en écho à l’importante communication entretenue autour de cette pathologie. “ tout du moins dans un premier temps, très in tolérant face à cette maladie. Le cinéma : une démarche vers l’acceptation de la pathologie ? C’est dans cette dernière catégorie de films que les patients se retrouvent le mieux et accèdent à 2 objectifs : celui de la compréhension et celui de l’acceptation. Ces films peuvent servir de supports de discussion avec l’entourage qui peut se montrer, tout du moins dans un premier temps, très intolérant face à cette maladie. Cet abord subtil de la maladie, à la fois humaniste et poétique, permet de ne pas enfermer le trouble dans un cadre restreint. Les patients se sont ainsi appropriés 2 films qui illustrent remarquablement ce qu’est l’ostracisme face à la nonconformité. Numéro 14 20 “ Trois catégories de films peuvent être regroupées : • les films se référant à la maladie de manière explicite, le scénario étant construit autour de la maladie bipolaire. C’est le cas, par exemple, de Mr Jones ou de Ça se soigne ? ; • les œuvres qui utilisent la maladie bipolaire comme un sous-bassement du scénario : Une femme sous influence, The hours, Michael Clayton, Two Lovers, King of California) ; • les films, plus subtils, qui, sans faire directement allusion à la maladie, abordent la problématique du tempérament hors norme, en particulier la notion de différence et de discrimination. Le deuxième film, souvent cité par les patients eux-mêmes, est Respiro d’Emanuele Crialese qui narre l’histoire d’une jeune mère, Grazia, sur l’île de Lampedusa. Ce film, comme le précédent, traite de l’incompréhension et de l’intolérance. Frank Capra avait déjà abordé ce thème dans L’extravagant Mr Deeds, où le personnage interprété par Gary Cooper devient la cible d'avocats véreux convoitant sa fortune et de journalistes peu scrupuleux. Positiver le regard des autres Ces 3 films abordent le tempérament bipolaire sous un angle positif, permettant ainsi d’avoir un autre regard sur la maladie et de faciliter une discussion autour du trouble, sans faire pour autant référence à la maladie mentale. Ils constituent ainsi une étape de la psycho-éducation en facilitant l’acceptation de la pathologie. Le visionnage de ces films avec l’entourage n’est pas inutile car il contribue à une meilleure compréhension du tempérament. CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC3 « Autoportrait » de Pierre-Marie Tardat Ce tableau vu par… Dr Jean AUDET Psychiatre, Angoulême « Ô dangereusement de son regard la proie », écrit Paul Valéry dans « La Jeune Parque ». Telle est la première pensée qui vient à l’esprit devant cette œuvre. Que voit-on lorsqu’on regarde son reflet dans le miroir ? L’autoportrait désigne, dans l’art de représenter le corps humain, le genre le plus spécifiquement narcissique qui consiste, pour un artiste, à se prendre pour modèle. Cet effet pictural n’apparaît vraiment comme tel qu’avec la dialectique introduite par le jeu des miroirs entre le réel et l’imaginaire. Mais le miroir ne suffit pas, il faut qu’avec lui naisse et s’épanouisse une image hautement valorisée du corps et du geste qui le représente. À première vue, domine une impression de vide et de transparence. Notre regard traverse l’image sans rencontrer de matière pour s’arrêter, comme s’il manquait la troisième dimension, celle qui permet de faire corps, de donner de la consistance. Ce visage est dominé par ces yeux immenses qui regardent le monde avec perplexité. La vacuité du regard interroge. Y a-t-il quelque chose à voir ? Quelques traits noirs, économie de moyens, délimitent l’espace et donnent une certaine consistance au nez. La bouche, délicatement ourlée, paraît neutre. Pour le reste, le visage est caché par une sorte de grillage fait de coulures de peinture noire. Sur la tête, cette pelote désordonnée de fils de fer rouge donne l’impression d’une couronne d’épines. Remarquons également, au centre du tableau, un repentir, sorte d’effacement par une masse blanche, comme pour faire disparaître une croix noire qui pourrait majorer l’aspect christique. Cette tête semble empalée sur un pieu noir, artifice qui permet, en l’absence de cou, de se tenir bien droite. « Je me révèle mais ne montre rien de moi », semble dire l’artiste. Se montrer et se cacher à la fois, ne rien laisser paraître de sa vie intérieure, rester le plus neutre possible, voici ce qu’arrive à exprimer le peintre. Même le support, qui paraît fin et fragile comme une feuille de papier à cigarette, ne résisterait pas à un coup de vent. La force de cet autoportrait vient surtout du fait de sa facture qui ne ressemble à rien de ce qui a été fait par ses illustres prédécesseurs et qui laisse une grande part de mystère ouvrant la porte à de nombreuses conjectures. Comment ne pas penser, devant cette image spéculaire, à tout l’inconscient qui est derrière cette autoreprésentation. L’artiste n’a, bien sûr, aucun souvenir de sa première confrontation au miroir alors qu’il avait entre 6 et 18 mois, et l’étonnement puis la jubilation rencontrés alors. De ce stade, si bien décrit par Lacan, et qui lui a permis de se structurer, il y a probablement ici une sorte de réminiscence. Visiblement, l’artiste se cherche encore, comme s’il voulait en vain se libérer d’une sorte d’enfermement (tous ces traits noirs évoquant des barreaux, symbolisent-ils une prison intérieure ?) afin d’atteindre la plénitude de son art, de sa vie. Nous serions curieux de voir le même autoportrait dans 10 ans, dans 20 ans... La vision de l’artiste… « La toile est, pour moi, un tampon qui accueille mes émotions éphémères et les fixe telle une empreinte. Cet autoportrait est le berceau de réflexions personnelles et paradoxales sur ma condition d’artiste. La technique effilée, dont le geste reflète légèreté et sensualité, traduit ici une certaine violence et une sensation d’étouffement. Ces sentiments sont accentués par les aplats de noir, qui cernent le portrait et lui donnent une apparence figée. À l’opposé, des nuances dégradées donnent un effet aéré et offrent des possibilités d’ouverture et de liberté au personnage… Isolé dans son atelier, l’artiste se retrouve souvent cloisonné dans sa créativité plastique. Pourtant grâce à l’expressivité dont il fait preuve, il apparaît souvent comme un être libre… » Nous tenons à remercier Pierre-Marie Tardat d’avoir bien voulu se prêter à l’exercice. Contact : [email protected] 21 CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC4 ISSN 1774-430X - 09ST000BF/00-09 www.psylink.com