Culture Psy (1.4 Mo)

publicité
CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC1
Numéro 14
RACINES
• Pr Guy GOODWIN
Tempéraments et risque de dépression : nouvelles données
MISE AU POINT • Dr Yann LE STRAT
Traiter la dépression bipolaire : enjeux et perspectives
CONNEXIONS
• Pr Hugo THÉORET
ISSN 1774-430X - 09ST000BF/00-09
Le système de neurones miroirs chez l’homme
C1
CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC2
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page1
Numéro 14
ÉDITORIAL
L’imagerie fonctionnelle, à la vitesse du cerveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2
• Pr Sylvain BAILLET, PhD
Professeur associé de Neurologie, Directeur Scientifique du Programme de Magnétoencéphalographie,
Hôpital Froedtert & Medical College of Wisconsin, Milwaukee, États-Unis
MISE AU POINT
Traiter la dépression bipolaire : enjeux et perspectives
3
.................................................................
• Dr Yann LE STRAT
INSERM, Unité 675, Faculté de Médecine Xavier-Bichat, Paris
RACINES
Tempéraments et risque de dépression : nouvelles données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4
• Pr Guy GOODWIN
Département de Psychiatrie, Université d’Oxford, Royaume-Uni
QUESTIONS DE PRATIQUE
Cannabis et dépression
6
....................................................................................................................
• Pr Jean COSTENTIN
Unité de Neuropsychopharmacologie, Faculté de Médecine & Pharmacie de Rouen
Unité de Neurobiologie Clinique, CHU Charles Nicolle, Rouen
PARCOURS DE VIE
Une bioœnographie médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8
• Pr Marc-Louis BOURGEOIS
Neuropsychiatre et docteur en Psychologie, Bordeaux
CAS CLINIQUE
Dépression au cours d’une maladie de Parkinson
10
........................................................................
• Dr Pierre CESARO
Service de Neurologie et INSERM U841 NPI, CHU Henri Mondor, Université Paris XII, Créteil
IMAGERIE
La magnétoencéphalographie : MEG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12
• Dr Isabelle MASSAT, MD, PhD
Pédopsychiatre, chercheur qualifié du FNRS, Université Libre de Bruxelles, Belgique
Clinique de Neuropédiatrie, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique
CONNEXIONS
Le système de neurones miroirs chez l’homme
14
............................................................................
• Pr Hugo THÉORET, PhD
Département de Psychologie, Université de Montréal, Canada
CONGRÈS PSY
3e Congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle
16
........................................
• Dr Frédéric KOCHMAN (Lille) • Dr HASSAN Rahioui (Paris)
Dr Laurent JACQUESY (Annecy) • Dr Thierry BOTTAI (Martigues)
CULTURE PSY
Cinéma et troubles de l’humeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20
• Dr Christian GAY
Clinique du Château, Garches
VISIONS
« Autoportrait » de Pierre-Marie Tardat
21
..........................................................................................
• Ce tableau vu par… Dr Jean AUDET
Psychiatre, Angoulême
Conseillers scientifiques : Dr Frédéric KOCHMAN et Dr Jean-Albert MEYNARD
Ce numéro est dédié au Docteur Jean AUDET, brusquement décédé. Il était impliqué depuis des années dans la réalisation de
cette revue où, à la croisée de son immense culture picturale et de son regard sur les hommes, il nous livrait avec enthousiasme
et acuité, son interprétation de nombreuses œuvres dans le cadre de la rubrique « Visions ». Dans ce numéro paraît le fruit de
l’un de ses derniers regards… ARDIX Médical, toute la Rédaction ainsi que Frédéric KOCHMAN et Jean-Albert MEYNARD
s’associent à la douleur de ses proches.
1
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page2
L’imagerie fonctionnelle, à la vitesse
du cerveau
Pr Sylvain BAILLET, PhD
Professeur associé de Neurologie, Directeur Scientifique du Programme de
Magnétoencéphalographie, Hôpital Froedtert & Medical College of Wisconsin,
Milwaukee, États-Unis
Vingt ans après les premières images par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf), où en est-on aujourd’hui ?
Les techniques se sont affinées, ont gagné en sensibilité et
spécificité, et ont permis d’ouvrir un nou-veau champ de
connaissances, au carrefour de l’anatomie, de la physiologie
et des sciences physiques et mathématiques : la cartographie
fonctionnelle cérébrale humaine.
Comme souvent, ces avancées remarquables apportent de
nouveaux questionnements. Ainsi par exemple, il n’est pas
rare qu’une région du cerveau soit impliquée dans des
processus fonctionnels multiples. Langage, mémoire et
attention se partagent parfois les mêmes structures
cérébrales. Avec ce type de résultats, c’est le principe même
de cartographie fonctionnelle qu’il conviendrait de revisiter en
le précisant. Par ailleurs, la plupart des études font état de
résultats obtenus sur de petits échantillons de sujets, de
l’ordre de la douzaine. Paradoxe : c’est trop, et trop peu à
la fois.
Trop, car il s’agit d’extraire des résultats moyens d’un groupe
de sujets étudiés dont l’anatomie et la géométrie cérébrales
varient de manière considérable entre individus. Cette
disparité est en partie compensée par des techniques de
mise en correspondance anatomiques sophistiquées mais
qui restent à standardiser.
Trop peu, car si un échantillon minimal de 1000 personnes
est nécessaire pour qu’un sondage d’opinion soit considéré
comme significatif, que peut-il en être de l’étude de fonctions
complexes comme l’apprentissage ou l’empathie ? Là aussi,
les recherches sont très actives et ont permis la mise au point
de techniques de classement des réponses cérébrales au
sein d’un groupe d’individus. En clinique, se pose comme
toujours le dilemme de la sensibilité et de la spécificité de la
neuroimagerie, aussi bien à l’échelle collective en tant qu’outil
d’appréciation de l’effet d’un traitement sur un groupe de
patients, qu’à l’échelon individuel en tant qu’aide à l’établissement du diagnostic.
Une meilleure identification de la chronométrie des activations
et des interactions entre régions cérébrales devrait permettre
de lever l’ambiguïté sur leurs spécificités fonctionnelles et
leurs dysfonctionnements. L’imagerie cérébrale électro -
Numéro 14
2
magnétique par magnétoencéphalographie (MEG)
permet d’accéder à l’activité électrique des grands ensembles
de neurones à l’échelle de la milliseconde. L’article du
Dr Isabelle Massat résume bien l’état de l’art de cette
technique non invasive, née des applications de la physique
quantique et de la supraconductivité. Avec la MEG, il devient
envisageable de suivre à la trace l’activité cérébrale qui
s’écoule entre la perception d’une consigne et l’exécution
d’une réponse. Aux États-Unis et au Japon, les examens
MEG pour la localisation de l’origine des crises d’épilepsie
et la cartographie fonctionnelle en bordure de tumeurs
cérébrales sont remboursés par les systèmes de santé…
Le "temps cérébral", cette échelle temporelle de l’activité
neuronale de masse au sein des grands systèmes cérébraux,
devient donc accessible, et ce, sous différents aspects. Tout
d’abord, la chronométrie des réponses cérébrales met
en évidence la cascade temporelle des traitements mentaux
mis en jeu dans des tâches variées. L’évaluation quantitative
de ces réponses constitue une bibliothèque de nouveaux
biomarqueurs du cerveau sain ou malade, au cours du
développement ou en réponse à un traitement. Ainsi, il a été
récemment démontré que les réponses cérébrales auditives
mesurées en MEG constituaient un marqueur quantitatif
d’effets thérapeutiques chez des patients dépressifs1. Mais
l’accession aux processus cérébraux en temps réel offre
d’autres perspectives d’évaluation clinique, pour la plupart
encore peu explorées. Les rythmes cérébraux de base,
par exemple, forment une signature de l’activité oscillatoire
neuronale massive normale ou pathologique au sein de notre
cerveau. Certaines pathologies, comme la dépression ou les
accidents vasculaires cérébraux en phase post-aiguë, se
manifestent en effet par un fort ralentissement des activités
neuronales oscillatoires liées à leurs physiopathologies
respectives. La MEG, par l’identification de ces régimes
oscillants anormaux et de leurs origines anatomiques, est un
outil de pointe à même de répondre à ces défis.
Référence
1 • Tollkötter M, Pfleiderer B, Sörös P, Michael N. Effects of antidepressive therapy on
auditory processing in severely depressed patients: a combined MRS and MEG study.
J Psychiatr Res. 2006;40:293-306.
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page3
Traiter la dépression bipolaire :
enjeux et perspectives
Dr Yann LE STRAT
INSERM, Unité 675, Faculté de Médecine Xavier-Bichat, Paris
Les épisodes dépressifs survenant dans le cadre d’un trouble bipolaire constituent un
enjeu thérapeutique particulièrement difficile. D’une part, parce que ces épisodes
sont particulièrement fréquents, et notamment plus fréquents que les épisodes de
manie ou d’hypomanie. D’autre part, parce que la symptomatologie dépressive, qu’elle
soit contemporaine de l’épisode ou même résiduelle à son décours, est un facteur
essentiel du handicap lié au trouble bipolaire. Enfin, parce que la prise en charge
thérapeutique de ces épisodes est complexe, les recommandations ayant constamment évolué au cours des 10 dernières années.
Pourtant, cette prise en charge thérapeutique de la
dépression est une des clés du pronostic du trouble
bipolaire. Les 3 grandes possibilités thérapeutiques à ce
jour sont les thymorégulateurs et les antidépresseurs en
monothérapie ou bien l’association de ces deux classes.
Les traitements de première ligne restent les thymorégulateurs, qu’il s’agisse des molécules de première
génération (lithium), des antiépileptiques ou, plus récemment, de certains antipsychotiques associés ou non à un
traitement antidépresseur.
Attention au virage… sous antidépresseurs
Le traitement par antidépresseur seul est fréquemment
prescrit, en dépit de l’absence d’étude randomisée en
double aveugle de qualité satisfaisante ayant montré leur
intérêt, du moins en monothérapie. Le risque de virage
maniaque ou hypomaniaque ainsi que l’accélération des
cycles sont particulièrement bien démontrés dans le cas
d’un traitement par antidépresseur seul, ce qui rend cette
modalité thérapeutique plus hasardeuse.
Les traitements associant thymorégulateurs et antidépresseurs représentent toutefois la modalité la plus utilisée par
les prescripteurs. L’adjonction d’un traitement antidépresseur est notamment utile en cas de dépression ayant
résisté à un traitement par thymorégulateur à posologie et
durée réputées efficaces.
Le choix du traitement antidépresseur repose alors à la fois
sur le profil d’efficacité et de tolérance de celui-ci. Les
traitements tricycliques, par exemple, majorent nettement
le risque de virage maniaque, et bénéficient de peu d’essais
cliniques ayant montré leur efficacité dans le cadre de la
dépression bipolaire. De même, les 2 études portant sur
les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline suggèrent une augmentation du risque de
virage en comparaison à d’autres traitements anti dépresseurs. Ces données rendent la prescription de ces
2 types de molécule plus aléatoire1.
La piste glutamatergique
Des travaux récents ont montré que le lithium et d’autres
thymorégulateurs étaient susceptibles de modifier l’activité
de certains récepteurs glutamatergiques, ce qui sous-tend
en partie leurs effets neuroprotecteurs2. Il est tentant de
spéculer que des antidépresseurs ayant une activité directe
et spécifique sur la voie glutamatergique, ou indirecte sur
la neuroplasticité et la neurogenèse, seraient susceptibles
d’avoir des effets antidépresseurs non seulement additifs,
mais également synergiques.
À ce titre, une enquête a été mise en place en France pour
évaluer non seulement l’efficacité de ce type de traitement,
mais également les risques de virages hypomaniaques ou
maniaques sous bithérapie centrée sur la voie glutamatergique. Les résultats préliminaires semblent prometteurs,
tant sur le plan de la tolérance et de l’efficacité que sur la
diminution du risque de virage, et pourraient constituer une
avancée significative dans la prise en charge de la
dépression bipolaire.
Références
1 • Salvi V, Fagiolini A, Swartz HA, Maina G, Frank E. The use of antidepressants in bipolar
disorder. J Clin Psychiatry. 2008;69:1307-1318.
2 • Sourial-Bassilious N, Rydelius PA, Aperia A, Aizman O. Glutamate-mediated calcium
signaling; a potential target for lithium action. Neuroscience. 2009 Apr 9. [Epub ahead
of print].
3
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page4
Tempéraments et risque de dépression :
nouvelles données
Pr Guy GOODWIN
Département de Psychiatrie, Université d’Oxford, Royaume-Uni
Le médecin grec Claude Galien avait déjà identifié 4 tempéraments désignés selon
les humeurs qui leur étaient associées : sanguin, mélancolique, colérique et
flegmatique. Il pensait alors que la force de ces tempéraments pouvait déterminer la
susceptibilité d’une personne à présenter des troubles somatiques, comportementaux
ou émotionnels particuliers. Peut-être en raison de leur origine antique, l’acceptation
de la validité de tels mécanismes demeure curieusement négligée par la psychiatrie
contemporaine.
Le tempérament est une dimension mesurable de la
personnalité, hautement héritable. Les autoévaluations
d’attitudes, de traits et d’expériences mettent en évidence
de nombreuses dimensions au sein desquelles émerge systématiquement un tempérament dénommé, par
Hans Eysenck, neuroticisme. Le neuroticisme caractérise la tendance de certains individus à développer
ruminations et tristesse. Eysenck lui-même supposait que
les éléments caractéristiques de cette personnalité
prédisposaient aux « troubles névrotiques ». Les études
modernes d’héritabilité, s’appuyant sur des essais standardisés comparant des jumeaux monozygotes (génétiquement
identiques) et dizygotes (partageant 50 % de gènes
communs), ont confirmé les théories d’Eysenck sur la
vulnérabilité anxieuse et dépressive. Ken Kendler et ses
collaborateurs ont établi que le neuroticisme et une histoire
familiale émaillée de dépressions et d’antécédents d’abus et
de négligences sont les facteurs clés du développement
ultérieur d’épisodes dépressifs majeurs (habituellement
secondaires à des difficultés personnelles). Près de la moitié
des dépressions survenant au cours du suivi peuvent être
attribuées à ces facteurs de risque identifiables.
Risque relatif de survenue d’un épisode dépressif
majeur dans les 2 prochains mois
Hommes
Femmes
35
Très faible neuroticisme
(2 DS sous la moyenne)
Faible neuroticisme
(1 DS sous la moyenne)
30
25
Neuroticisme moyen
(Moyenne)
Neuroticisme important
(1 DS au-dessus de la moyenne)
Neuroticisme très important
(2 DS au-dessus de la moyenne)
20
15
10
5
0
Aucune
Minime
Modérée- Modérée+
Sévère
Aucune
Minime
Modérée- Modérée+
Sévère
Importance de l’exposition au long cours à des événements stressants de la vie
Figure 1. Risque de survenue d’un épisode dépressif majeur au sein d’un
échantillon de la population (n = 7517) selon le sexe, le degré de
neuroticisme et l’intensité des événements stressants de la vie1.
Numéro 14
4
L’impact du neuroticisme sur le risque de dépression est
illustré par la Figure 1.
Cet impact a également été démontré dans une étude
prospective de population à plus long terme2. Cet essai a
également montré que la dimension de tempérament
connue sous le nom d'introversion/extraversion, mesurée
au même moment, n'a pas d'effet sur le risque de
dépression : le neuroticisme est plutôt spécifique.
Néanmoins, ces études sont exclusivement phénoménologiques. Supposons qu’un haut score de neuroticisme soit
simplement le reflet d’une tendance globale anxieuse et
dépressive. Sa capacité à prédire les épisodes cliniques
peut avoir un intérêt pragmatique, mais les sceptiques
pourraient arguer que ce concept ne fait pas foncièrement
avancer la question des troubles de l’humeur et représente
un intérêt heuristique plutôt limité.
Le neuroticisme a-t-il des fondements génétiques ?
Au cours de ces dernières années, de sérieux efforts ont
été consacrés à la compréhension des bases biologiques
de la personnalité et notamment à celles du neuroticisme.
Les fondements génétiques du neuroticisme ont même été
analysés à partir d’un modèle animal. Lorsque des souris
sont placées en milieu ouvert, elles développent différents
niveaux d’activités exploratoires. Ces traits de comportement semblent hérités et sont liés au niveau d’anxiété
éprouvée à l’extérieur du lieu de vie habituel. Il a été
possible d’étudier les bases génétiques de ces traits
complexes et il s’avère qu’un locus situé sur le chromosome 1, immédiatement accolé au gène gr2 (un régulateur
du signal de la protéine G), est associé à une activité
exploratoire accrue en milieu ouvert.
Il est très intéressant de constater que ce même locus a
été incriminé chez l’homme dans une étude sur le neuro ticisme réalisée sur des fratries concordantes et discordantes
ayant des scores élevés ou faibles pour ce trait3. Il s’agit là
du premier exemple d’une homologie génétique vraie
(synthénie) concernant un trait de comportement
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page5
donné retrouvé à la fois chez l’homme et l’animal.
Cette découverte passionnante doit toutefois être relativisée du fait de la très petite taille de l'effet. La variabilité
génétique individuelle semble être à l’origine de moins de
1 % des variations de traits comme le neuroticisme. La
question de l’intérêt de ces modèles dans l’avancée de nos
connaissances en neurobiologie reste en suspens.
Toutefois, la neurobiologie peut également être abordée
selon d’autres dimensions (au niveau systémique) et nos
travaux les plus récents à Oxford ont montré que les jeunes
n’ayant jamais souffert de troubles de l’humeur mais qui
présentent un niveau élevé de neuroticisme, présentent des
biais émotionnels subconscients dans leur façon d’analyser
les informations.
Nous avons comparé les réponses neuronales de groupes
de volontaires se différenciant par des scores élevés ou bas
de neuroticisme (respectivement N-haut et N-bas) durant
la présentation de visages heureux ou angoissés, en nous
basant sur les données de l’IRM fonctionnelle (IRMf). Le
groupe N-haut a présenté une augmentation linéaire de
l’activation du gyrus fusiforme latéral droit (parfois désigné
comme « aire de reconnaissance des visages ») et du gyrus
temporal médian gauche, corrélée à l’intensité d’angoisse
exprimée par les visages, tandis que le groupe N-bas
présentait un effet inverse. Le groupe N-haut se
caractérisait également par des réponses d’activation plus
intenses au niveau de l’amygdale droite et dans d’autres
zones cérébrales4. De telles données amènent à penser
que les cerveaux des individus N-haut sont prédisposés
à traiter les informations d’ordre social positives et
négatives selon des modalités particulières.
Au-delà de l’analyse subconsciente apparemment automatique de l’expression des visages, nous avons également retrouvé d’importantes différences au cours de la
catégorisation et de l'extraction de la mémoire des mots
négatifs ou positifs associés à des traits de personnalité
(par exemple : honnêteté, impolitesse).
Les volontaires N-haut ont présenté des réponses plus
importantes que celles des N-bas dans le cortex pariétal
supérieur droit, spécifiquement lors de la catégorisation des
termes négatifs. De plus, les scores de neuroticisme étaient
positivement corrélés avec l’activation neuronale du cortex
cingulaire antérieur gauche durant la catégorisation des
mots négatifs, alors qu’ils étaient inversement corrélés dans
la même région lors de la restitution mnésique de ces
mêmes mots (Figure 2)5.
Ces résultats suggèrent que des différences dans le
traitement de l'information émotionnelle se mani festent dans les principaux circuits neuronaux, en
fonction de la vulnérabilité à la dépression.
Bien que des aspects purement neurocognitifs soustendent la vulnérabilité à la dépression et que les études
d’IRMf indiquent clairement l’existence d’un substratum
cérébral, il existe également d’autres facteurs permettant
de relier neuroticisme et dépression. Des sujets adultes
N-haut mais sans antécédent dépressif présentent un taux
de cortisol plus élevé 30 minutes après leur réveil que celui
Figure 2. A : Activation du cortex cingulaire antérieur en IRMf. 1.
Corrélation positive avec le neuroticisme pendant la catégorisation des
mots négatifs. 2. Corrélation négative avec le neuroticisme lors de la
reconnaissance des mots négatifs. 3. Aire de chevauchement de 1 et 2.
B : Pourcentage de modification du signal BOLD (Blood Oxygen Level
Dependent : signal dépendant du niveau d’oxygénation cérébrale utilisé
en IRMf) dans l’aire de chevauchement pour les patients N-haut (noir)
et N-bas (blanc), pendant la catégorisation et la restitution des mots
négatifs (moyenne ± erreur standard)5. *p < 0,05.
des sujets N-bas6. Cette différence n’a pas été constatée
chez les jeunes, suggérant que, même s’ils ne développent
pas une dépression, les sujets N-haut tendent à développer
une dysrégulation de leur axe hypothalamo-hypophysocorticosurrénalien à partir de la trentaine.
Conclusion
Il ressort de ces données que le trait de neuroticisme
pourrait traduire un risque de dépression, non seulement
par le biais d'une amplification des symptômes, mais aussi
par l'intermédiaire de particularités neurobiologiques sousjacentes qui affectent la façon dont l'émotion est traitée
dans le cerveau. Le neuroticisme est un important facteur
de risque de dépression qu’il est facile d’identifier. Nous
devrions explorer les moyens d’en faire une cible rationnelle
dans la prévention de la dépression chez le sujet jeune.
Références
1 • Kendler KS, Kuhn J, Prescott CA. The interrelationship of neuroticism, sex, and
stressful life events in the prediction of episodes of major depression. Am J Psychiatry.
2004;161:631-636.
2 • Kendler KS, Gatz M, Gardner CO, Pedersen NL. Personality and major depression:
a Swedish longitudinal, population-based twin study. Arch Gen Psychiatry.
2006;63:1113-1120.
3 • Fullerton J, Cubin M, Tiwari H, et al. Linkage analysis of extremely discordant and
concordant sibling pairs identifies quantitative-trait loci that influence variation in the
human personality trait neuroticism. Am J Hum Genet. 2003;72:879-890.
4 • Chan SW, Goodwin GM, Harmer CJ. Highly neurotic never-depressed students have
negative biases in information processing. Psychol Med. 2007;37:1281-1291.
5 • Chan SW, Harmer CJ, Goodwin GM, Norbury R. Risk for depression is associated
with neural biases in emotional categorisation. Neuropsychologia. 2008;46:28962903.
6 • Portella MJ, Harmer CJ, Flint J, Cowen P, Goodwin GM. Enhanced early morning
salivary cortisol in neuroticism. Am J Psychiatry. 2005;162:807-809.
5
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page6
Cannabis et dépression
Pr Jean COSTENTIN
Unité de Neuropsychopharmacologie, Faculté de Médecine & Pharmacie de Rouen
Unité de Neurobiologie Clinique, CHU Charles Nicolle, Rouen
La toxicomanie cannabique a pris une allure pandémique en Europe. En France, leader
européen de la consommation de cette drogue, l’OFDT (Office Français des Drogues et
des Toxicomanies) dénombre près de 1 500 000 usagers réguliers du cannabis avec plus
de 500 000 usagers quotidiens et multiquotidiens.
Dans le chanvre indien (marijuana) ou sa résine (haschisch,
shit) actuellement en circulation, le taux du principe actif
majeur, le tétrahydrocannabinol (THC), s’est accru d’un
facteur 3 à 8 au cours des dernières décennies. Ces
produits n’ont plus grand-chose à voir avec les « moquette »,
« fumette », « herbe », « chichon » qui ont édifié la
fallacieuse mythologie de ce que certains se sont
appliqués à qualifier de « drogue douce ».
Ce phénomène est aggravé par certains modes de
consommation (pipe à eau = chicha, shilom, bang, bong…)
qui permettent, sur un temps très court (celui d’une
inhalation correspondant à la capacité vitale, soit 4 litres
de fumée), d’apporter 100 fois plus de THC à l’organisme que la simple aspiration d’une bouffée d’un « joint »
ou « pétard ».
Des conséquences sous-estimées
L’importance du problème est également majorée par le
rajeunissement des premiers usagers : au collège, entre la
5e et la 3e, 300 000 enfants s’en sont déjà approchés ! Or,
plus tôt l’essayer, c’est plus vite l’adopter et plus
intensément se détériorer… En effet, le cerveau de
l’adolescent est en pleine maturation. Le THC vient
interférer malencontreusement avec la prolifération
des ramifications axonales (« sprouting ») et avec
l’élagage des connectivités non fonctionnelles
(« pruning »).
Par son exceptionnelle lipophilie (il est plus de
10 000 000 fois plus soluble dans les graisses que dans
l’eau), le THC traverse aisément la barrière hémato encéphalique et se dissout dans la bicouche lipidique
des membranes neuronales. Aussi, il ne se désorbe de
ses sites de stockage lipidiques que sur un temps très
long, passant alors, « au retour » et au long cours, à
faibles concentrations, devant les récepteurs CB1
neuronaux qu’il avait intensément stimulés « à l’aller ».
Pour les fonctions modulées par les endocannabinoïdes
et pour lesquelles existent des « récepteurs de réserve »,
les faibles concentrations de THC issues de cette
lente désorption suffisent à exercer un effet maximal
particulièrement rémanent.
Numéro 14
6
Par exemple, dans l’hippocampe, où des récepteurs
CB1 sont associés aux terminaisons des neurones
cholinergiques originaires du septum (neurones septohippocampiques), il suffit d’occuper seulement 1‰ de
ces récepteurs CB1 par le THC pour réduire de 50 % la
libération d’acétylcholine (dont on sait le rôle majeur
dans l’édification de la mémoire à court terme).
Transmission dopaminergique et plaisir
La stimulation des récepteurs CB1 active les neurones
dopaminergiques mésoaccumbiques qui représentent une
composante essentielle du « circuit de récompense »1.
Cette stimulation est essentiellement liée à une inhibition
de la libération de GABA (acide gamma-aminobutyrique ;
un médiateur inhibiteur) et à une augmentation de la
libération de glutamate (un médiateur activateur).
Toutes les drogues, par des mécanismes primaires qui
peuvent différer, accroissent la concentration extracellulaire de dopamine dans la partie « shell » du noyau
accumbens.
La dopamine libérée dans la partie « shell » du noyau
accumbens stimule les récepteurs dopaminergiques des
types D2 et D3, stimulation à laquelle est associée une
sensation de plaisir. La recherche d’une stimulation intense
se confond avec la démarche toxicomaniaque.
À l’opposé, l’arrêt de cette stimulation s’accompagne
d’une diminution de la concentration extracellulaire de
dopamine et d’une moindre stimulation des récepteurs
dopaminergiques. À la sensation de plaisir fait suite
celle du déplaisir, d’autant plus intense que le plaisir
l’avait été, du moins lors des premiers usages.
L’absence de plaisir, le déplaisir, s’apparentent à la
dépression, qui comporte en outre la conviction que jamais
plus le plaisir ne sera éprouvé et qu’ainsi, ce grand vide est
définitif.
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page7
Certaines actions du THC s’amenuisent au cours d’un
usage chronique à dose élevée, et le plaisir lui-même
s’efface tandis que le besoin s’accroît, au point de devenir
tyrannique. En effet, la stimulation intense et durable des
récepteurs CB1 suscite leur désensibilisation (« down
regulation »). Non seulement le THC perd sa capacité
d’activer la voie dopaminergique, mais les endocannabinoïdes eux-mêmes (substances endogènes préposées
à la stimulation des récepteurs CB1, tels l’anandamide ou
le 2-arachidonoylglycérol…) deviennent inopérants.
THC et dépression
Le tonus endocannabinoïdergique, en stimulant les
récepteurs CB1, est au service d’une stimulation de
l’humeur. Certaines dépressions pourraient être dues à une
insuffisance de cette transmission.
Pour maintenir les endocannabinoïdes plus longtemps et
à une plus haute concentration à proximité des récepteurs
CB1, 2 stratégies sont testées : l’inhibition du/des
système(s) de leur capture cellulaire ou l’inhibition d’une
enzyme assurant leur inactivation, la FAAH (fatty acid amide
hydrolase).
Le recours au THC pour pallier cette éventuelle défaillance
de la transmission endocannabinoïdergique, pire qu’une
fausse bonne idée, est une vraie mauvaise idée. Le THC,
en effet, stimule intensément (haute affinité et grande
activité intrinsèque pour les récepteurs CB1) et
durablement (à défaut de système enzymatique cérébral
d’inactivation et de système de capture) les récepteurs
CB1. Ces récepteurs, ubiquistes, participent à une
multitude de fonctions cérébrales pour en ajuster
subtilement le fonctionnement. L’intrusion massive de
THC rompt avec la subtilité des mécanismes de
régulation de l’activité synaptique. Le THC ne mime
pas les effets des endocannabinoïdes, il les caricature et
agit dans le cerveau à la manière d’un « éléphant dans un
magasin de porcelaine » : non content de stimuler les
récepteurs CB1 de façon inopportune, il désensibilise ceux
qui participent à des fonctions pour lesquelles il n’existe
pas de récepteurs de réserve.
Trois circonstances en relation avec les récepteurs CB1
sont susceptibles d’altérer la fonction du système
dopaminergique mésoaccumbique et, partant, le circuit
de récompense, débouchant ainsi sur des manifestations dépressives :
1) la désensibilisation des récepteurs CB1, provoquée
par une consommation chronique de THC ;
2) l’arrêt d’une consommation chronique de THC ;
3) le blocage des récepteurs CB1, ce qui explique le
retrait du marché du rimonabant, associé à la survenue de troubles dépressifs, dont des suicides.
Diverses études épidémiologiques ont établi l’existence de
relations entre la consommation de cannabis et les troubles
dépressifs et/ou les tentations ou tentatives de suicide2, 3.
Marie Choquet, exploitant les questionnaires remplis par
les jeunes Français lors des Journées d’Appel Pour la
Défense (JAPD) a constaté une forte corrélation entre la
consommation de cannabis de certains d’entre eux et
l’incidence de pensées ou de tentatives de suicide4.
Rompre l’engrenage
L’enchaînement des faits pourrait être le suivant : un
adolescent « tristounet », introverti, dont l’élan vital est en
sommeil, concentré qu’il est sur des ruminations
douloureuses, un mentisme débilitant, vient à rencontrer le
cannabis. Il en éprouve alors un mieux remarquable (l’effet
« planète ») qui l’incite, très logiquement, à en user
abondamment et fréquemment, bref, à en abuser. Ce
faisant, il désensibilise les récepteurs CB1 à l’origine de
l’effet recherché et, bientôt, s’engage dans une poursuite
infernale en accroissant les doses pour tenter de rattraper
un effet auquel il ne parvient plus à accéder. Cela
évolue jusqu’au moment où il ne ressent plus les effets qu’il
recherchait avec le THC. Ses endocannabinoïdes sont
également devenus inopérants et les troubles thymiques
réapparaissent, plus intenses qu’ils n’étaient primitivement.
Lors de la consultation, où l’adolescent viendra exprimer
sa douleur morale et souvent l’anxiété vive qui
l’accompagne, il sera très important de mettre à jour la
consommation de cannabis qui les a fait naître ou
aggravées. À défaut, on ajouterait à l’addiction cannabique,
celle qui ne manquerait pas de s’instaurer avec une
prescription de benzodiazépines.
Conclusion
Les troubles dépressifs et la suicidalité qui se sont accrus
chez nos jeunes procèdent, au moins pour partie, de leur
consommation débridée de cannabis, selon les
mécanismes que l’on vient de voir. Cela ne résume pas,
hélas, les méfaits psychiques de cette drogue5.
Références
1 • Lupica CR, Riegel AC, Hoffman AF. Marijuana and cannabinoid regulation of brain
reward circuits. Br J Pharmacol. 2004;143:227-234.
2 • Pedersen W. Does cannabis use lead to depression and suicidal behaviours? A
population-based longitudinal study. Acta Psychiatr Scand. 2008;118:395-403.
3 • Chabrol H, Mabila JD, Chauchard E. Influence of cannabis use on suicidal ideations
among 491 high-school students. Encephale. 2008;34:270-273.
4 • Choquet M. In: Chabrol H, Choquet M, Costentin J. Le cannabis et ses risques à
l’adolescence. Paris : Éditions Ellipses, 2006:142 p.
5 • Costentin J. Halte au cannabis. Paris : Éditions Odile Jacob, 2006:225 p.
7
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page8
Une bioœnographie médicale
Pr Marc-Louis BOURGEOIS
Neuropsychiatre et docteur en Psychologie, Bordeaux
“An analogy between good claret and the best qualities of the French mind…
there is a taste of sound Bordeaux in all the happiest manifestations of that
fine organ, and that, correspondingly, there is a touch of French reason,
French completeness, in a glass of Pontet-Canet.”
Henry James, 1884
Décidément, cette étiquette me colle à la peau (Bordeaux
cru Bourgeois). On n’échappe pas à la géographie, ni au
vin, si on s’installe à
Bordeaux…
Quand on a passé le
meilleur de son enfance à quelques encablures de la perfide
Albion et que l’on doit
aux godons sa liberté,
on ne peut qu’être
anglophile ou même
anglomane comme le
furent et le sont encore
les aristos du bouchon
à Bordeaux (descen dants des Chartrons).
Bordeaux : « Sud du
Nord et Nord du Sud »,
Bordeaux - Quai des Chartrons
ayant appartenu pen dant 3 siècles à la Couronne d’Angleterre, du remariage
d’Aliénor d’Aquitaine en 1152 avec Henri II (couronné roi
d’Angleterre en 1154) jusqu’à la bataille de Castillon en
1453). Commerce déjà florissant du Claret ; l’âge d’or au
XIIIe siècle avec le commerce triangulaire…
Les méandres d’une vocation
J’ai quitté le nord de l’Hexagone pour l’Hôpital Maritime de
Rochefort, puis l’École de Santé Navale à Bordeaux, de
trop nombreuses décennies après Victor Segalen (18781920), Médecin de Marine, ethnographe, sinologue, et
surtout écrivain et poète, parrain éponyme de mon
Université Bordeaux 2 (Sciences de la Vie). Il ne restait
pratiquement plus de bateaux dans le port et la France était
réduite à un petit hexagone (pour Saint Simon, au XVIIIe
siècle, le Port de la Lune était comparable à celui
d’Istanbul). Quelques années après, destination Marseille,
pour étudier la médecine tropicale au Pharo.
Campagne d’été : les ancres de marine fièrement cousues
sur la manche, on embarque au Poulmic sur l’aviso Yser.
Le médecin principal propose d’essayer un suppositoire
Numéro 14
8
antiémétique contre le mal de mer. Mer du Nord, force 8,
les matelots ont l’air d’assurer, moi je suis malade et
j’essaie le suppo…
Résultat : pendant des
heures, la « gueule ou verte » avec protrusion
de la langue et un
étrange état d’indiffé rence angoissée et
d’apathie complète sur
ma bannette. J’apprendrai plus tard
qu’il s’agissait d’une
crise « stémétilienne » !
Première garde en
Réanimation : arrive
en urgence un jeune
Navalais, raide comme
une planche avec un
trismus : un tétanos
de plus ? Non, un malencontreux essai d’automédication
par neuroleptique (thiopropérazine ?). Plus tard, je devais
longuement étudier les dyskinésies dites tardives des
neuroleptiques !
Ayant renoncé, sur injonction de mes maîtres d’internat, au
seul souci de voyager, je suis resté à quai (à l’exception d’un
périple qui me permit de découvrir une Inde splendide
et trouble). J’ai donc fait de la médecine, avec des
« patrons », modèles d’identification professionnelle,
auxquels nous attachaient des liens filiaux : Jean Rivière
(endocrinologue), Robert Castaing, le Pyrénéen pionnier
de la réanimation médicale et ses collaborateurs dont
René Chevais, les clés à molette plein les poches de blouse
pour bricoler les appareils de respiration artificielle
(dilemme : quand débrancher pour libérer un appareil ?).
Dans ce service, j’ai pris des gardes pendant 10 ans
jusqu’à être déprimé par le bruit machinal des respirations
nocturnes des Engstrom et des Sabatier-Fourès, et
aussi d’avoir échoué à maintenir en vie une récente
fiancée… Après un internat très polyvalent, nous voici
en neuropsychiatrie au Centre Jean Abadie avec
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page9
Paul Delmas-Marsalet, Michel Bergouignan, Marc Blanc
et les autres… Le clinicat durait alors 7 ans !
recracher). Que préférez-vous : rive droite (Merlot) ou rive
gauche (Cabernet Sauvignon), ou bien encore, en amont,
le Sauternes (Sémillon) avec ses 5 communes ?
Une expertise déjà reconnue
Le vin, c’est aussi un discours riche en épithètes et en
sensations. « La plus hygiénique des boissons » (Pasteur).
Le vin médecin : les neurologues bordelais ont réussi à
montrer les effets bénéfiques du Bordeaux dans la
prévention des maladies démentielles type Alzheimer
(Étude Paquid)1, probablement grâce au resvératrol, aux
anthocyanines et autres antioxydants. La grappe de raisin
sert même dans les thérapies, elle est l’instrument essentiel
des exercices de Mindfulness !
En 1977-1978, longue année sabbatique à Palo Alto
(Stanford), San Franscico pour la psychiatrie bien sûr, mais
la qualité essentielle qu’on me reconnût fut l’expertise des
vins de Bordeaux pour laquelle on me sollicita régulièrement
afin de comparer nos produits aux vertus des vallées Napa,
Sonoma, Alexander… Aussi m’appelait-on parfois Docteur
Bordeaux ! Autour des bouteilles, de solides amitiés :
Donald Laub, chirurgien d’exception, plasticien qui
transformait en femmes tous les cow-boys de l’Ouest,
catholique fervent et rigolard, avec l’équipe de la HBIGDA*
(devenue WPATH*), Norman Fisk, Paul Walker, Judy van
Maasdam, etc. De retour à Bordeaux, nous avons continué
avec Jacques Baudet, puis Vincent Casoli (chirurgiens),
Patrick Roger (endocrinologue) dans le cadre du
programme TransGender lors du congrès de la HBIGDA
qui s’est tenu à Bordeaux en 1983.
À l’Université, enseignement de la psychiatrie, de la
psychologie médicale (et de la sexologie médicale pendant
16 ans). Au CHU, psychiatrie générale et psychiatrie de
liaison ; au CHS, psychiatrie de secteur. Naguère, la
psychanalyse était encore un passage obligé : une tranche
à Bordeaux, puis une tranche à Paris, les voies ferrées
convoyant vers la capitale nombre de touristes du divan…
Les neurosciences viendront plus tard…
Dans le Sud-Ouest, les amitiés sont solides, durables,
fraternelles, ponctuées d’événements rugbystiques,
tauromachiques et culinaires. Il faut tenir les dégustations
et les verbaliser. J’ai fait mes études et ma formation dans
ce domaine avec Jean-Claude Bérouet, l’alchimiste du
Pétrus et autres élixirs de longue vie, avec Franck
Dubourdieu, le « Parker » bordelais, qui renonça à la
médecine pour l’agronomie et l’œnologie, ainsi qu’avec de
nombreux autres complices…
*Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association, devenue
World Professional Association for Transgender Health.
Référence
1 • Orgogozo JM, Dartigues JF, Lafont S, et al. Wine consumption and dementia in the
elderly: a prospective community study in the Bordeaux area. Rev Neurol (Paris).
1997;153:185-192.
In burdigala veritas
Bibliographie
Bordeaux, la ville des 3 M (Montaigne, Montesquieu,
Mauriac). Le fleuve immense, aux confluents de la Garonne
et de la Dordogne, labouré par le mascaret, où l’on pêchait
encore le caviar (le créa), la lamproie, l’alose, les anguilles
et autres délices fluviaux. Le galloromain Ausone, qui fut
consul des Gaules et poète (son poème à la Garonne et à
la Moselle), célébrait déjà cette civilisation des plaisirs de
bouche. Il fallait y apprendre les sortilèges du terroir, les
herbiers des cépages et les caprices de la météorologie au
gré des millésimes.
• Bourgeois ML. Une brève histoire de la psychiatrie à Bordeaux. Ann Med Psychol.
2005;163:351-356.
• Bourgeois ML. Victor Segalen (1878-1919), parrain éponyme de l'Université de
Bordeaux II. Une esquisse pathobiographique. Ann Med Psychol. 1997;155:288-292.
• Dubourdieu F. Les bons bordeaux : 1 500 crus abordables. Bordeaux, Mollat : 2003.
• Dubourdieu F. Les grands bordeaux de 1899 à nos jours : notations, longévité. Bordeaux,
Mollat : 2007.
L’œnopsychiatrie, ses élites et ses zélotes : Stuart
Montgomery, dont les hippocampes connaissent mieux la
route des vins du Médoc que l’IGN ! Nancy Andreassen,
écumant systématiquement le Médoc, étape par étape,
8 vignobles par jour pendant 1 semaine, avec des rating
scales : « I am very serious about wine » et surtout Michel
Dierick, flamand de Gand, qui mérite plus que tout autre le
titre d’œnopsychiatre, goûteur incomparable et encyclopédie vivante des meilleurs crus… Les références
bibliographiques : Cock et Feret, Clive Oates, Peynaud,
Dubourdieu, plutôt que Parker, le Vidal® des vins ! Les
essais en double aveugle (loi Evin plutôt qu’Huriet), les
dégustations verticales et horizontales (mais il faut
9
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page10
Dépression au cours d’une maladie
de Parkinson
Dr Pierre CESARO
Service de Neurologie et INSERM U841 NPI, CHU Henri Mondor, Université Paris XII, Créteil
La dépression est extrêmement fréquente au cours de la maladie de Parkinson. Elle peut
révéler la maladie. Elle semble associée à une altération spécifique des neurotransmissions dopaminergique et noradrénergique, sans altération sérotoninergique. Un état
d’« humeur dépressive transitoire » accompagne volontiers les états « off » et correspond
à une forme de fluctuation non motrice. Les agonistes dopaminergiques ont un intérêt
thérapeutique sur ces fluctuations, comme dans certaines formes de dépression chez le
sujet parkinsonien.
mouvements anormaux involontaires de la tête et des
4 membres. Simultanément, son syndrome dépressif
s’aggrave, avec apparition d’idées suicidaires et d’idées de
jalousie vis-à-vis de son épouse. Un traitement antidépresseur est alors introduit.
Présentation clinique
En 1998, Monsieur P., 58 ans, consulte pour un enraidissement douloureux du bras droit. À cette époque, on
constate un tremblement de repos distal, une rigidité
segmentaire de tout le membre avec diminution du
Trois semaines plus tard, le patient voit son humeur
balancement à la marche et une discrète akinésie distale
s’améliorer ainsi que son état moteur. Les blocages
de la main. L’amélioration importante des
complets ont disparu. Après le
symptômes après administration de
déjeuner, il présente une discrète
300 mg par jour de lévodopa a conduit
période akinétique mais conserve
à poser le diagnostic de maladie de
En état « off », l’examen néanmoins des mouvements dyskinéParkinson idiopathique.
clinique révèle une tiques de la tête et des membres du
Patron d’une petite entreprise de maçonhumeur dépressive : côté droit. En revanche, les idées
nerie, le patient a poursuivi son activité
suicidaires ont disparu et l’appétit s’est
visage triste, faciès amélioré avec une stabilisation ponprofessionnelle. Au cours de l’année
2002, des fluctuations motrices apparenfermé,
élocution dérale. Une évaluation est alors
raissent, justifiant l’augmentation de la
rare, réactivité lente, proposée en hospitalisation de jour. Le
dose quotidienne de lévodopa à 600 mg.
patient est convoqué après un sevrage
faible motivation vis-à- nocturne de tout médicament antiEn octobre 2004, les bureaux de son
vis des interlocuteurs.
parkinsonien. En état « off », le score
entreprise sont cambriolés, divers
UPDRS* moteur est à 42/108 et
documents et une importante somme
1 heure après la prise de 250 mg de
d’argent sont dérobés. À la suite de cette
lévodopa, on constate une amélioration spectaculaire, le
agression et à des difficultés matérielles, le patient se
score s’abaissant à 24… Mais cette dose entraîne des
renferme. Une insomnie de fin de nuit s’installe,
dyskinésies marquées, notamment au niveau de la tête et
accompagnée d’une perte d’appétit et surtout d’une
de la main droite.
difficulté importante à marcher, écrire et assurer certains
travaux manuels qu’il pratiquait habituellement avec ses
En état « off », l’examen clinique révèle une humeur
ouvriers. La posologie de lévodopa est alors augmentée à
dépressive : visage triste, faciès renfermé, élocution rare,
800 mg par jour en 4 prises.
réactivité lente, faible motivation vis-à-vis des interlocuteurs.
Au contraire, à la suite du déblocage moteur, le visage du
L’état moteur du patient ne s’améliore que de façon limitée,
patient devient mobile, souriant et sa parole rapide, avec
avec apparition d’effets « off » très fréquents, comportant
des propos nettement plus positifs. En conséquence,
des blocages moteurs quasi complets, empêchant
l’association de 600 mg de lévodopa administrée de façon
notamment la déambulation. De plus, environ 1 heure
progressive avec 250 mg de piribédil lui est proposée.
après les prises de médicaments, le patient présente des
Numéro 14
10
“
“
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page11
Trois mois après cette modification du traitement, le score
UPDRS moteur est à 18/108 et son épouse constate une
amélioration de l’humeur sur l’ensemble de la journée, une
augmentation de l’appétit avec la reprise de 5 kg et une
meilleure qualité de sommeil. Mme P. a d’ailleurs l’impression que le changement du traitement antiparkinsonien
a exercé un effet antidépresseur.
*Unified Parkinson Disease Rating Scale.
Références
1 • Althaus A, Becker OA, Spottke A, et al. Frequency and treatment of depressive
symptoms in a Parkinson’s disease registry. Parkinsonism Relat Disord.
2008;14:626-632.
2 • Remy P, Doder M, Lees A, Turjanski N, Brooks D. Depression in Parkinson’s
disease: loss of dopamine and noradrenaline innervation in the limbic system.
Brain. 2005;128:1314-1322.
3 • Frisina PG, Haroutunian V, Libow LS. The neuropathological basis for depression
in Parkinson’s disease. Parkinsonism Relat Disord. 2009;15:144-148.
4 • Lemke MR, Brecht HM, Koester J, Reichmann H. Effects of the dopamine
agonist pramipexole on depression, anhedonia and motor functioning in
Parkinson’s disease. J Neurol Sci. 2006;248:266-270.
5 • Muzerengi S, Contrafatto D, Chaudhuri KR. Non-motor symptoms: identification
and management. Parkinsonism Relat Disord. 2007;13:S450-S456.
COMMENTAIRE
Selon une étude récente, la fréquence des symptômes
dépressifs au cours de la maladie de Parkinson varie entre
25 et 70 %, quel que soit le stade1. Il peut s’agir d’une
dépression de type réactionnel, consécutive à l’annonce du
diagnostic, à une aggravation motrice, à la perte d’un emploi
ou à des événements familiaux… Dans le cas de notre
patient, le facteur déclenchant de la dépression est
certainement le stress provoqué par le cambriolage et les
difficultés financières. Dans certains cas, une dépression de
type mélancolique, voire une dépression associée à des idées
délirantes, peut apparaître, sans cause apparente.
Chez les patients parkinsoniens atteints simultanément de
psychose maniaco-dépressive, il est fréquent de constater
une aggravation motrice contemporaine de l’état dépressif,
réagissant peu aux traitements dopaminergiques, et
inversement, lors des phases maniaques, une amélioration
motrice, sans augmentation du traitement médical
antiparkinsonien. Il est donc légitime de considérer que
l’humeur entraîne chez ce patient parkinsonien, une
modification majeure de l’intensité des signes. Parfois, au
début de la maladie, le diagnostic de dépression est posé en
première intention et c’est seulement lors du suivi de cette
dépression que l’examen neurologique révèle la maladie de
Parkinson.
On sait aujourd’hui que les états dépressifs sont associés à
des modifications de la transmission aminergique centrale.
Certains arguments font penser que les patients parkinsoniens déprimés présentent des altérations neurochimiques
spécifiques. Une étude utilisant l’imagerie par émission de
positons (PET-Scan), comparant 2 cohortes de parkinsoniens
déprimés et non déprimés, a mis en évidence une altération
spécifique de la transmission dopaminergique et noradrénergique, sans altération sérotoninergique2. Ces résultats
sont corroborés par une récente étude post mortem réalisée
sur des cerveaux de patients parkinsoniens déprimés
(n = 11) et non déprimés (n = 9). Cet essai montre l’intégrité
relative des voies de la sérotonine, qui contraste avec des
lésions majeures des voies de la dopamine et de la
noradrénaline3.
Certains agonistes dopaminergiques peuvent exercer un effet
antidépresseur, notamment les agonistes D3 (piribédil,
pramipexole, voire ropinirole). Des essais cliniques de
traitement de la dépression par certains agonistes comme le
pramipexole chez des parkinsoniens ont validé ces effets4.
Il convient de distinguer un état dépressif authentique, avec
les signes d’une dépression mélancolique, et une « humeur
dépressive transitoire », bien que les symptômes apparents
soient identiques. En effet, il est fréquent de constater
chez les parkinsoniens fluctuants, que les états « off »
s’accompagnent, en plus de l’aggravation motrice majeure,
d’une humeur dépressive qui, d’ailleurs, sera modifiée
de façon « instantanée » par la prise d’un traitement
dopaminergique : il s’agit alors d’une forme de fluctuation
non motrice5.
De même, des variations de l’humeur ont été observées chez
les patients porteurs de stimulation cérébrale profonde. Un
cas très caractéristique a été publié, où la stimulation
électrique du noyau subthalamique s’accompagnait de façon
instantanée d’une humeur dépressive, l’humeur se
normalisant quelques minutes après l’arrêt de la stimulation.
À l’inverse, la stimulation électrique provoque chez certains
sujets l’apparition d’un rire et d’une humeur joviale.
Très certainement, Monsieur P. a présenté une dépression
réactionnelle, secondaire au cambriolage. Le traitement
antidépresseur a été efficace à la fois sur les symptômes
dépressifs et sur l’état moteur. En revanche, 2 années plus
tard, des fluctuations motrices importantes ont été
accompagnées de variations de l’humeur de courte durée
avec une tristesse en état « off » et une restauration de
l’humeur en état « on ». Il s’agit clairement de fluctuations
motrices qui peuvent s’accompagner de troubles douloureux,
végétatifs ou de l’humeur. Il est probable que le traitement
par un agoniste dopaminergique possédant une demi-vie
longue, a permis de « lisser » les fluctuations motrices, de
diminuer l’intensité des dyskinésies, et d’améliorer
globalement l’humeur du patient.
11
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page12
La magnétoencéphalographie : MEG
Dr Isabelle MASSAT, MD, PhD
Pédopsychiatre, chercheur qualifié du FNRS, Université Libre de Bruxelles, Belgique
Clinique de Neuropédiatrie, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique
Les techniques de neuroimagerie fonctionnelle, dont les applications dans le domaine des
neurosciences cognitives connaissent un essor considérable, tentent d’esquisser des
cartographies spatio-temporelles des processus neuronaux durant la réalisation de tâches
diverses. Elles diffèrent essentiellement par leur pouvoir de résolution.
En recherche, si l’imagerie par résonance magnétique
nucléaire fonctionnelle (IRMf) constitue une méthode de
choix pour analyser avec précision (de l’ordre de 1 à 2 mm)
la distribution anatomique tridimensionnelle des réseaux
cérébraux impliqués dans différents processus, elle ne permet
pas une résolution temporelle suffisante pour explorer en
finesse la chronologie des activations neuronales, celles-ci se
déroulant à l’échelle de quelques dizaines de millisecondes
(ms) lors des tâches cognitives.
nence dans de l’hélium liquide à -269 °C. Positionnés à
proximité de la tête, ils détectent des variations rapides de
champs magnétiques produits par des réseaux de neurones
activés au cours d’une tâche considérée. N’étant pas en
contact direct avec le scalp, cela impose une immobilisation
du sujet pendant la durée des enregistrements.
Les champs magnétiques enregistrés par les capteurs MEG
résultent de la sommation des effets des courants électriques
générés par l’activité de 10 000 à 1 million de neurones, en
activité synchronisée et concentrés dans quelques millimètres
Une technique encore peu répandue
La magnétoencéphalographie (MEG) ouvre des
perspectives très prometteuses pour l’exploration
dynamique du cerveau1. Totalement non invasive, elle
peut fournir la séquence chronologique des processus
neuronaux, grâce à son excellente résolution
temporelle (de l’ordre de la milliseconde, similaire à celle
des potentiels évoqués en EEG). La MEG enregistre, à la
surface du scalp, l’activité électromagnétique liée aux
courants ioniques « primaires » engendrés par l’activité des
neurones cérébraux. Ces champs magnétiques étant
extrêmement faibles (un milliard de fois plus faibles que
le champ magnétique terrestre), ils nécessitent une
instrumentation très sensible et sophistiquée. Trois cent
six détecteurs sont ainsi disposés sur un casque couvrant
la totalité du scalp.
Des capteurs ultrasensibles
La MEG doit son développement
à la mise au point par les
physiciens, dans les années 70,
des capteurs de champs magnétiques ultrasensibles à base de
supraconducteurs (SQUID : Supraconducting QUantum Interference
Device)2.
Les propriétés supraconductrices des SQUIDs nécessitent
qu’ils soient maintenus à basse
température, immergés en perma-
Numéro 14
12
Figure 1. Réponse magnétique évoquée par la stimulation du nerf médian
droit.
En haut, apparition de la première réponse corticale 20 millisecondes
après le stimulus (N20m). Les contours rouges indiquent le champ
magnétique sortant du crâne et les bleus, le champ magnétique entrant
dans le crâne. La flèche verte illustre la projection en surface du dipôle
de courant équivalent (DCE) traduisant le mieux la distribution de champ
magnétique enregistrée par la MEG.
En bas, superposition du DCE correspondant au N20m et de l'IRM
structurelle du sujet. La région corticale à l'origine de cette réponse est
localisée au niveau du cortex sensitif primaire (circonvolution pariétale
ascendante).
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page13
cubes de cortex. Cet ensemble de neurones se comporte
comme un dipôle électrique dont la direction est donnée par
l’orientation principale des dendrites (soit perpendiculairement
à la surface corticale).
Les activités enregistrées en surface proviennent de neurones
pyramidaux du ruban cortical dont l’arborescence dendritique
présente une architecture en colonne. Les enregistrements
MEG sont donc cantonnés à la surface corticale, l’inves tigation des structures cérébrales plus profondes restant plus
difficilement accessible.
Les variations de champs magnétiques étant infinitésimales,
l'appareil et le sujet doivent être confinés dans une chambre
blindée afin de les protéger des autres sources d’activité
électromagnétique de l’environnement. Lorsque l’on présente
au sujet une tâche cognitive, l’activité neuronale est non
seulement très faible, mais elle est noyée dans une activité
spontanée qui résulte de diverses sources (rythmes cérébraux
physiologiques, phénomènes pathologiques...). Pour atténuer
ce « parasitage » et extraire les composantes spécifiques
de l'activité cérébrale explorée, on procède à de multiples
essais d’une même expérience pour pouvoir les superposer
et augmenter ainsi le rapport signal/bruit. Seule l’activité
synchronisée avec le stimulus est amplifiée. Le signal obtenu
après moyennage des signaux enregistrés représente la
« réponse évoquée » (champ magnétique évoqué). Cela
suppose que les réactions cérébrales soient reproductibles
d'un essai et d’un sujet à l'autre, ce qui est vrai pour les
réponses sensorielles mais plus hypothétique pour les
processus cognitifs.
Bien que possédant la capacité de localiser les activités
cérébrales, la MEG reste moins contributive que l’IRMf sur
le repérage spatial. Il est possible de combiner les enregistrements MEG de l’activité cérébrale à des coupes
anatomiques fines acquises en IRM (recalage) pour visualiser
avec le plus de précision possible le décours temporel et les
informations neuroanatomiques tridimensionnelles des
activités mentales explorées. La MEG peut également être
couplée à l’EEG qui enregistre des variations d’origine
extracellulaire (courants secondaires). Ces 2 techniques dont
les sensibilités sont diamétralement opposées selon l’orientation radiale ou tangentielle du champ électromagnétique, sont
complémentaires.
Les indications cliniques actuelles de la MEG sont proches de
celles de l’EEG. Bien que ses performances soient supérieures
pour la localisation spatiale, la MEG n’est toutefois pas un
examen de routine clinique : peu d’hôpitaux ou centres de
recherche en possèdent (seulement 2 en France), le coût
d’achat et de fonctionnement limitant actuellement son
développement. Par ailleurs, cette technique fait appel à
des modélisations mathématiques et informatiques très
complexes qui nécessitent un personnel spécialisé. Son
usage se répand néanmoins, constituant notamment un outil
de choix dans la stratégie opératoire des neurochirurgiens
pour localiser certains foyers épileptogènes.
Des perspectives prometteuses
La MEG permet également d’explorer la distribution de
réseaux neuronaux fonctionnellement interdépendants dans
des régions cérébrales éloignées, de mesurer leurs relations
temporelles, de tester des hypothèses d’anomalies de
connectivité…
Investiguée chez les sujets sains ou malades, elle offre de
nouvelles perspectives de recherche pour la compréhension de la plasticité cérébrale, l’organisation spatiale
et temporelle des processus impliqués dans le développement
du cerveau, son vieillissement, la conscience, le sommeil, les
processus dégénératifs (maladies de Parkinson, d’Alzheimer)
ainsi que les pathologies psychiatriques (schizophrénie,
autisme, dépression, déficits attentionnels…). De nombreux
protocoles de recherche sont en cours… et nous réservent
probablement des résultats excitants dans les prochaines
années.
Références
1 • Ioannides AA. Magnetoencephalography as a research tool in neuroscience: state
of the art. Neuroscientist. 2006;12:524-544.
2 • Cohen D. Magnetoencephalography: detection of the brain's electrical activity with
a superconducting magnetometer. Science. 1972;175:664-666.
Figure 2. . Stimulation électrique du nerf médian droit avec intervalle
entre les stimuli de 5 secondes. La première réponse apparaît au niveau
du cortex sensitif primaire controlatéral à la stimulation, 20 ms après le
stimulus. Ensuite, trois régions cérébrales distinctes s'activent à partir
de 60 ms post-stimulus : les cortex sensitifs secondaires contro- et
ipsilatéraux à la stimulation, ainsi que le cortex pariétal postérieur
controlatéral à la stimulation.
13
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page14
Le système de neurones miroirs
chez l’homme
Pr Hugo THÉORET, PhD
Département de Psychologie, Université de Montréal, Canada
La découverte de « neurones miroirs » dans le cortex prémoteur du singe macaque et d’un
système similaire de simulation motrice chez l’homme a contribué à définir les fondements
neuronaux du comportement social. De nombreuses études récentes suggèrent en effet
qu’un système appariant l’observation et l’exécution d’actions serait impliqué dans une
grande variété de comportements allant de la compréhension de l’action à l’empathie. Il
est, de plus, proposé que des anomalies structurelles et fonctionnelles dans le système
de neurones miroirs pourraient expliquer une partie des aspects sociaux des troubles du
spectre autistique.
que les mécanismes de simulation expliquant la reconDès la fin du XIXe siècle, William James suggérait que « la
représentation mentale d’un mouvement sollicite jusqu’à un
naissance d’actions pourraient être impliqués dans de
certain point le mouvement auquel elle est associée »
nombreux comportements sociaux tels que l’empathie,
(traduction libre)1. Il faudra attendre plus d’un siècle pour que
définie ici comme la capacité à comprendre les actions,
des données empiriques confirment la prémonition de James
sensations et émotions d’autrui.
et qu’un mécanisme de simulation (ou résonance) motrice,
Avenanti et al.5 ont par exemple démontré, à l’aide de la
par lequel un mouvement observé est représenté dans les
stimulation magnétique transcrânienne, que la simple
structures motrices correspondantes de l’observateur, soit
observation d’une aiguille pénétrant la
mis à jour. À la fin des années 90, l’équipe
main d’un modèle humain provoquait
du neurophysiologiste italien Giacomo
une modulation de l’activité du cortex
Rizzolatti rapportait l’existence, dans le
Des mesures corrésensorimoteur de l’observateur similaire
cortex prémoteur du singe macaque, de
lationnelles ont
à celle associée à l’expérience de cette
cellules nerveuses répondant à la fois
à l’exécution d’une action et à sa
douleur. De plus, des mesures corrédémontré que plus
simple observation2, 3. Par exemple, un
lationnelles ont démontré que plus
l’observateur était
même neurone pouvait décharger lorsque
l’observateur était empathique (tel que
empathique, plus la
le singe saisissait une arachide et lorsqu’il
déterminé par des échelles d’empathie
observait passivement un congénère ou
standardisées), plus la modulation neumodulation neuroun expérimentateur humain faire de
ronale était importante. Des données
nale était impormême devant lui. Il a rapidement été
similaires ont été rapportées par Singer
suggéré par Rizzolatti et al.2 que ces
tante.
et son équipe6, qui ont utilisé l’imagerie
neurones miroirs seraient à la base de la
par résonance magnétique fonctionnelle
compréhension d’actions, où le geste
(IRMf) pour enregistrer l’activité cérébrale
observé est compris parce que sa représentation, visuelle ou
de participants recevant une stimulation douloureuse ou
auditive, sollicite les structures qui seraient utilisées si l’individu
observant un être cher dans la même situation. Il fut
exécutait lui-même le mouvement.
démontré dans cette étude que les composantes affectives
du réseau neuronal associées à la perception de la douleur
De la reconnaissance de l’action à l’empathie
(insula et cortex cingulaire antérieur) étaient activées dans
les 2 conditions. Ici encore, le niveau d’activation de ces
Plusieurs études récentes suggèrent l’existence d’un méstructures était corrélé avec les scores individuels aux
canisme de résonance motrice chez l’homme, semblable
échelles d’empathie. Même chez l’enfant, chez qui un
à celui observé chez le singe. À l’aide de techniques
SNMh a été observé7, l’activité de la partie operculaire du
d’imagerie cérébrale, de nombreuses similitudes anatomi gyrus
frontal inférieur est corrélée à diverses mesures
ques et fonctionnelles ont été observées entre le réseau de
d’empathie
lors de l’observation passive d’expressions
neurones miroirs du singe et le réseau neuronal humain
émotionnelles
du visage8. Prises dans leur ensemble, ces
associé à l’observation et à l’exécution d’actions. Ce
données et de nombreuses études comparables militent
« système de neurones miroirs humains » (SNMh) serait
en faveur d’une théorie de l’empathie impliquant en partie
situé dans la région operculaire du gyrus frontal inférieur et
la partie rostrale du lobule pariétal inférieur4. Il a été proposé
le système moteur et, plus généralement, le SNMh.
Numéro
Numéro
9 14
14 14
“
“
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page15
Neurones miroirs et troubles autistiques
Conclusion
De nombreuses fonctions réputées pour être sous-tendues
par le SNMh, telles l’imitation et l’empathie, sont déficitaires
dans les Troubles du Spectre Autistique (TSA). Il a donc été
suggéré qu’une altération des mécanismes de résonance
motrice pourrait être associée aux symptômes sociaux
caractérisant les TSA9. Une des démonstrations les plus
convaincantes du lien TSA-SMNh vient d’une étude en IRMf
où les patrons d’activation cérébrale présents chez des
enfants avec un TSA durant une tâche d’imitation d’expressions faciales étaient comparés à ceux observés chez des
enfants non-TSA10. Bien qu’aucune différence n’ait été mise
en évidence dans la réalisation de la tâche d’imitation, seuls
les enfants ayant un développement normal démontraient une
activité accrue dans la région operculaire du gyrus frontal
inférieur. De plus, l’activité dans cette région était négativement
corrélée à la sévérité de la dysfonction sociale : plus l’enfant
présentait des déficits d’ordre social, moins la composante
frontale du SNMh était activée. Ces données soulignent le lien
entre le comportement social et le SNMh et supportent
l’hypothèse voulant que les individus présentant un TSA aient
de la difficulté à « lire » l’état émotionnel d’autrui en raison d’une
incapacité à activer de façon adéquate les régions cérébrales
généralement sollicitées lorsqu’ils ressentent eux-mêmes une
émotion.
Un système de simulation anormal tel que décrit ici n’est
probablement qu’un des nombreux processus neuronaux
atypiques impliqués dans la symptomatologie du TSA. En
effet, l’hypothèse TSA-SMNh n’exclut pas la possibilité
que des processus cognitifs divers participent à la physiopathologie complexe du TSA, et un SMNh déficitaire ne
peut expliquer à lui seul la totalité des symptômes
sociaux y étant associés. Toutefois, il importe de mieux
comprendre le rôle du SNMh dans le comportement social
normal et pathologique puisque le développement d’un
marqueur neurophysiologique de certains symptômes
comportementaux liés au TSA pourrait grandement favoriser
un diagnostic plus précis.
En plus des dysfonctions fonctionnelles, il apparaît que
des altérations structurelles touchent les principales
régions du SNMh chez l’individu atteint de TSA. Par
exemple, Hadjikhani et al.11 rapportent une diminution
significative de l’épaisseur corticale dans le gyrus frontal
inférieur et le lobule pariétal inférieur, les mêmes régions
sous-activées lors de l’observation d’expressions
faciales10. Toujours en accord avec les données
fonctionnelles, il existe une corrélation significative
entre le degré d’amincissement cortical et la sévérité
des symptômes sociaux. Il semblerait donc que les
déficits neurophysiologiques observés dans les régions
miroirs soient dus à des anomalies structurelles à
l’origine d’interactions anatomofonctionnelles complexes. Ces dernières pourraient expliquer en partie la
grande variabilité des symptômes sociocomportementaux observés dans les TSA.
Références
1 • James W. The principles of psychology. New York: Holt, 1890.
2 • Gallese V, Fadiga L, Fogassi L, Rizzolatti G. Action recognition in the premotor
cortex. Brain. 1996;119:593-609.
3 • Rizzolatti G, Fadiga L, Gallese V, Fogassi L. Premotor cortex and the recognition
of motor actions. Brain Res Cogn Brain Res. 1996;3:131-141.
4 • Rizzolatti G, Craighero L. The mirror-neuron system. Annu Rev Neurosci.
2004;27:169-192.
5 • Avenanti A, Bueti D, Galati G, Aglioti SM. Transcranial magnetic stimulation
highlights the sensorimotor side of empathy for pain. Nat Neurosci. 2005;8:955960.
6 • Singer T, Seymour B, O'Doherty J, Kaube H, Dolan RJ, Frith CD. Empathy for
pain involves the affective but not sensory components of pain. Science.
2004;303:1157-1162.
7 • Lepage JF, Théoret H. The mirror neuron system: grasping others’ actions from
birth? Dev Sci. 2007;10:513-523.
8 • Pfeifer JH, Iacoboni M, Mazziotta JC, Dapretto M. Mirroring others’ emotions
relates to empathy and interpersonal competence in children. Neuroimage.
2008;39:2076-2085.
9 • Williams JH, Whiten A, Suddendorf T, Perrett DI. Imitation, mirror neurons and
autism. Neurosci Biobehav Rev. 2001;25:287-295.
10 • Dapretto M, Davies MS, Pfeifer JH, et al. Understanding emotions in others: mirror
neuron dysfunction in children with autism spectrum disorders. Nat Neurosci.
2006;9:28-30.
11 • Hadjikhani N, Joseph RM, Snyder J, Tager-Flusberg H. Anatomical differences in
the mirror neuron system and social cognition network in autism. Cereb Cortex.
2006;16:1276-1282.
12 • Théoret H, Halligan E, Kobayashi M, Fregni F, Tager-Flusberg H, PascualLeone A. Impaired motor facilitation during action observation in individuals with
autism spectrum disorder. Curr Biol. 2005;15:R84-R85.
13 • Oberman LM, Hubbard EM, McCleery JP, Altschuler EL, Ramachandran VS,
Pineda JA. EEG evidence for mirror neuron dysfunction in autism spectrum
disorders. Brain Res Cogn Brain Res. 2005;24:190-198.
14 • Bernier R, Dawson G, Webb S, Murias M. EEG mu rhythm and imitation
impairments in individuals with autism spectrum disorder. Brain Cogn.
2007;64:228-237.
Prises dans leur ensemble, ces études militent en faveur d’un
lien entre un SNMh hypoactif et certains symptômes
caractéristiques des TSA. Cette hypothèse est renforcée par
la constatation du fait que même l’observation passive d’un
mouvement intransitif de la main produit une activation
sensorimotrice moindre chez des individus avec TSA12, 13.
De surcroît, leur habileté imitative s’avère corrélée avec le
niveau d’activité du cortex sensorimoteur14.
15 15
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page16
3e Congrès de la Société Internationale
de Thérapie Interpersonnelle
Le 3e congrès de la Société Internationale de Thérapie Interpersonnelle (International
Society for Interpersonal Psychotherapy [ISIPT]) s’est déroulé à la Columbia University de
New York du 27 au 29 mars 2009. Cette 3e conférence internationale consacrée à la TIP
a réuni plus de 400 participants durant 4 jours.
Parmi les thèmes abordés, d’intéressantes communications ont porté notamment sur la
TIP chez l’adolescent, l’aménagement des rythmes sociaux, le counselling interpersonnel
ainsi que sur les implications de l’attachement et de la mentalisation sur la TIP.
La Thérapie Interpersonnelle (TIP) est une forme de psychothérapie très récente dans l’histoire de la psychiatrie puisqu’elle
a été formalisée dans les années 19701. Elle est étonnamment
très peu connue en France, souvent confondue avec une
thérapie de soutien, et de ce fait, très peu pratiquée. Or les
méta-analyses consacrées à l’évaluation de l’efficacité des
traitements dans les troubles de l’humeur, placent cette
psychothérapie parmi les plus efficaces avec la psychothérapie
cognitive et comportementale2,3.
La TIP est une psychothérapie brève et structurée, basée sur
le lien interactif et indissociable entre la dépression et l’environnement social et relationnel du sujet. Cette psychothérapie se
base sur « l’ici et maintenant » et se fixe sur l’évaluation précise
du lien interactif entre une forme de dysfonctionnement
interpersonnel (par exemple un conflit conjugal) associée à la
dépression, l’une potentialisant l’autre.
La Thérapie Interpersonnelle pour Adolescents (TIP-A)
Dr Frédéric KOCHMAN EPSM Agglomération Lilloise
Depuis le début des années 1990, la TIP a été adaptée à la
problématique des troubles de l’humeur juvéniles. Cette
psychothérapie, de par sa brièveté (12 à 16 entretiens), son
caractère dynamique, son interactivité réclamant un investissement
actif du patient (sous la forme de jeux de rôle par exemple) est
particulièrement adaptée à cette classe d’âge.
Meredith Gunlicks a présenté une étude comparative entre TIP-A
et traitement classique, réalisée auprès de 63 adolescents déprimés
âgés de 12 à 18 ans4. L’étude visait également à repérer les facteurs
prédictifs d’efficacité de la TIP-A. La TIP-A se révéla être une
thérapie très efficace, rapide et parfaitement acceptée par les jeunes
patients. Deux facteurs interpersonnels furent très prédictifs de
l’efficacité de cette psychothérapie : les conflits mère-adolescents
ainsi que les mauvaises relations avec les camarades d’école.
Laura Mufson, qui est à l’origine de la TIP-A, développe actuellement une forme de thérapie interpersonnelle et familiale consacrée
aux préadolescents dépressifs. Avec sa consœur Laura Dietz, elle
a présenté au cours de ce congrès une étude ouverte menée
auprès de 16 préadolescents (âgés de 9 à 12 ans) et de leur famille5.
La particularité de cette approche fut de réunir le préadolescent
ainsi que ses parents, afin de se focaliser sur les dysfonctionnements interpersonnels parents-enfants. Cet abord psychothérapeutique familial fut suivi jusqu’à la fin par 88 % des familles et
permit une amélioration clinique très significative des jeunes
patients. La TIP se montra aussi efficace que la TIP associée à un
traitement antidépresseur. Une étude randomisée et contrôlée est
en cours afin de valider l’efficacité de cette nouvelle entité
psychothérapeutique familiale.
Numéro 14
16
Références
1 • Weissman MM. Cognitive therapy and interpersonal psychotherapy: 30 years later.
Am J Psychiatry. 2007;164:693-696.
2 • Bottai T. Traitement non médicamenteux de la dépression. Presse Med.
2008;37:877-882.
3 • Frank E, Kupfer DJ, Thase ME, et al. Two-year outcomes for interpersonal and
social rhythm therapy in individuals with bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatry.
2005;62:996-1004.
4 • Gunlicks-Stoessel M. The impact of interpersonal functioning on treatment for
adolescent depression: IPT-A versus treatment as usual in school-based health
clinics. ISIPT 3rd Conference, New York, march 2009.
5 • Dietz LJ, Mufson L, Brent D. Family based IPT (FB-IPT) for depressed preadolescents: an open treatment trial. ISIPT 3rd Conference, New York, march 2009.
Depuis 5 ans, des psychiatres français formés à la TIP
par le professeur Myrna Weissmann (cofondatrice de
cette nouvelle psychothérapie) et son équipe de la
Columbia University de New York se sont regroupés en
une association consacrée à la promotion de cette
approche psychothérapique, l’association Creatip*.
*Le Cercle de Recherche et d’Études Appliquées à la Thérapie
Interpersonnelle (CREATIP) regroupe aujourd’hui l’ensemble des
thérapeutes français désirant se former et s’investir dans cette
nouvelle forme de psychothérapie. L’association vient de rédiger
un livre consacré à la TIP actuellement sous presse et propose une
formation à l’exercice de la TIP. Vous pouvez consulter le site de
l’association : http://www.creatip.fr.st et nous contacter :
[email protected]
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page17
© Comstock®
3e Congrès de la Société Internationale
de Thérapie Interpersonnelle
Le counselling interpersonnel en médecine générale
Dr Hassan RAHIOUI Psychiatre, Hôpital Henri Ey, Paris
Les médecins généralistes sont de plus en plus souvent confrontés à la gestion de problèmes de
santé mentale. Dans leur volonté de prendre en charge les troubles psychiques mineurs, ils sont à
la recherche de techniques thérapeutiques adaptées à leur pratique. Dans cette optique, le
counselling interpersonnel (CIP) constitue une modalité thérapeutique taillée sur mesure pour
une pratique en médecine de ville.
Le CIP représente une approche moins contraignante que la
Psychothérapie Interpersonnelle dont elle provient, les consultations
étant moins nombreuses et de plus courte durée. En effet, le CIP
consiste en un traitement relativement court de 6 consultations,
chacune d'entres elles ayant un but très explicite et précis :
évaluation, prise de conscience de l'interaction entre les relations
interpersonnelles et les symptômes psychologiques, identification
des facteurs de stress et aide au patient pour les aborder de
manière positive, bilan et conclusion du traitement.
Bibliographie
• Judd FK, Piterman L, Cockram AM, McCall L, Weissman MM. A comparative study
of venlafaxine with a focused education and psychotherapy program versus
venlafaxine alone in the treatment of depression in general practice. Hum
Psychopharmacol. 2001;16:423-428.
• Judd F, Weissman M, Davis J, Hodgins G, Piterman L. Interpersonal counselling in
general practice. Aust Fam Physician. 2004;33:332-337.
• Weissman MM. Interpersonal counselling for stress and distress in primary care: a
treatment manual. Available at: [email protected].
.
Dans un but didactique, nous allons prendre parmi les états de
détresse, l’exemple de la dépression dans sa forme légère à
modérée comme style d’application du CIP en médecine générale.
Counselling interpersonnel et dépression
Première consultation : adhésion du patient
au traitement
À la première consultation, relativement la plus longue, le
médecin généraliste (MG) évalue l'aptitude du patient à
accepter le CIP et lui explique en quoi consiste ce traitement. Le but est d’établir une relation thérapeutique et
de compléter l’examen physique et psychiatrique ainsi
que les analyses complémentaires à la recherche de
troubles physiques et/ou psychiatriques. Il s’agit également
d’introduire directement l’idée de la relation existant entre
les symptômes de détresse, en l’occurrence les symptômes
dépressifs, et le stress que vit actuellement le patient. Le
praticien cherchera ensuite à explorer sa situation interpersonnelle et sociale lui permettant d’offrir au patient
l’opportunité de recevoir de l’aide pour ses problèmes.
Deuxième consultation : détermination
du ou des domaines spécifiques des problèmes
interpersonnels
Cette étape sera consacrée à l’inventaire interpersonnel où il
s’agit de passer en revue le fonctionnement social du sujet,
ses relations passées et actuelles, son mode d’entrée en
relation avec autrui, les aspects satisfaisants et non
satisfaisants de ses relations, ses attentes et ses déceptions
envers ses relations. Cette consultation doit également
déterminer si le sujet rencontre des difficultés à s’affirmer,
à se confronter aux autres, et s’il s’autorise, par exemple, à
exprimer ses colères. Les symptômes dépressifs sont alors
reliés aux expériences problématiques interpersonnelles
actuelles décrites par le patient et les objectifs sont définis
dans 1 des 4 domaines problématiques interpersonnels :
- deuil pathologique : quelqu’un d’important est peut-être
décédé provoquant une peine prolongée et compliquée ;
- conflits interpersonnels : peut-être s’agit-il d’une lutte avec
un être significatif dont les attentes ne sont pas réciproques ;
- transitions de rôle : changements dans la vie menant à un
changement dans son propre rôle interpersonnel et dans le
sens de soi dans un nouveau contexte ;
- déficit interpersonnel : souffrance liée à un isolement social
important.
L’esprit de cette approche interpersonnelle estime qu’un
deuil non résolu, une transition inachevée, une dispute qui
ne trouve pas d’issue ou un isolement social qui dure
peuvent provoquer par dysfonction prolongée de la relation
investie, l’émergence d’un trouble dépressif.
Troisième, quatrième et cinquième consultations :
analyse du ou des principaux domaines de stress
spécifiques
L’objectif de ces visites est d’aider le patient à mieux gérer
les aires spécifiques de stress. Cela est atteint par une
clarification continue du problème et en évoquant les étapes
qui pourraient aider le patient à mieux faire face au
problème. Le travail à domicile pour accélérer le processus
du changement est suggéré pour chaque domaine.
Sixième et dernière consultation :
bilan et conclusion du traitement
Cette visite, planifiée 2 semaines après le 5e entretien, peut
être prévue plus tôt si le patient pense avoir atteint plus
précocement ses objectifs. Dans cette séance, le MG
devrait revenir sur le cheminement accompli durant les
6 semaines passées dans le domaine du stress spécifique,
évaluer l’état actuel du patient et discuter explicitement de
la fin du CIP qui est l’objectif majeur de cette rencontre.
Par la suite, bien que le travail à domicile se poursuive dans
le domaine problématique tel qu’il a été expliqué au cours
des visites 3-5, le MG doit aborder le sujet de la terminaison
du CIP et susciter les réactions du patient.
17
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page18
Attachement, mentalisation et leur implication
dans la thérapie interpersonnelle
Dr Laurent JACQUESY Psychiatre, Annecy
La 3e conférence de l’International Society for Interpersonal PsychoTherapy (ISIPT) s’est ouverte
par l’intervention fondamentale de Peter Fonagy qui a repris sur un mode tant clinique, expérimental
que théorique, les apports des théories fondatrices de la thérapie au regard des travaux de
recherche récents.
L’attachement
De façon générale, les êtres humains ont besoin de créer des
liens affectifs privilégiés avec d’autres personnes, basés au
départ sur le besoin de sécurité de l’enfant qui va constituer
l’attachement, comme l’a décrit John Bowlby.
Ces liens sont à double sens, avec un lien particulier de
l’adulte à l’enfant dont il « prend soin » et de l’enfant à l’adulte,
de façon réciproque. Ces liens ne sont pas interchangeables
à partir d’un certain niveau de développement de l’enfant et
participent à la régulation de la maturation du système
nerveux de l’enfant. L’attachement va permettre de
réguler les états d’angoisse et de réduire l’inconfort.
Ces liens sont également fondamentaux dans la constitution
qualitative des liens sociaux à venir.
Différentes expériences ont été menées chez des enfants
pour essayer de repérer les réactions relationnelles en rapport
avec la séparation et la venue d’un inconnu, notamment en
termes d’inconfort, voire de stress. Trois principaux types de
réaction permettent de différencier :
- les enfants ayant une gestion sécurisante, recherchant la
proximité de la mère et facilement calmés à son contact ;
- les « évitants » ne semblant pas gênés par la séparation, et
ne recherchant pas significativement le contact maternel ;
- les enfants stressés lors de la séparation, mais non rassurés
par le retour de la mère (il s’agit alors souvent d’enfants
victimes de mauvais traitements, négligences de soins, abus
sexuels ou violences). La peur paradoxale du parent entraîne
une recherche de contact qui va, du fait du comportement
inadapté du parent, amener à encore plus d’angoisse.
Les troubles des conduites (chez les enfants désorganisés)
et de l’humeur (chez les évitants) sont manifestement plus
importants que chez les autres. De même, les réactions
Selon le type de gestion relationnelle de la mère, sécurisante
ou non, le risque de sentiment d’insécurité chez l’enfant passe
de 21 % à 73 %. Selon le niveau de sécurisation du père, il
passe de 18 % à 56 %. Les mécanismes neurobiologiques
impliqués utilisent les voies dopaminergiques corticolimbiques, comme dans les processus d’addiction. De
façon surprenante, il existe également un lien avec le taux
d’ocytocine circulante.
Numéro 14
18
affectives et comportementales sont disproportionnées de
façon significative chez ces enfants désorganisés. Le meilleur
prédicteur se situe dans la qualité relationnelle parents-enfant
dans les 24 premiers mois, plus encore que les maltraitances
tardives.
L’évolution chez l’adulte se situe dans la logique de ce que
l’individu a ressenti enfant : des relations de qualité,
sécurisantes, favorisent des relations amicales plus stables
et cohérentes, un meilleur sentiment de sécurité à l’adolescence (estime de soi, confiance, sentiments positifs, capacité
de résilience, compétences sociales) et une meilleure capacité
à chercher les solutions de résolution lors des conflits, d’où
un cercle vertueux de maîtrise affective à l’âge adulte. Ce profil
correspond également à une attente positive vis-à-vis des
pairs, d’où une facilitation des initiatives sociales.
A contrario, un attachement de mauvaise qualité, insécurisant, amplifie la teneur anxiogène des événements et
conduit à un excès de recherche d’aide, ce qui peut aggraver
la mauvaise qualité relationnelle, entraîner le refus ou le retrait
des aidants potentiels, et entretenir ainsi, tant l’incapacité
sociale que l’appréhension relationnelle anxieuse.
Au total, on peut aisément faire le lien entre la qualité de la
gestion affective et l’alliance thérapeutique à attendre. La
thérapie, pour sa part, agit sur la cohérence, améliore
le sentiment de sécurité et réduit l’appréhension
relationnelle anxieuse des patients.
La mentalisation
La mentalisation est une forme de gestion imaginative
de perception et d’interprétation des comportements
sociaux. L’implication de ce processus dans la thérapie
interpersonnelle correspond aux capacités de mise en place
de changements qui nécessitent une mentalisation centrée
sur le contexte social, via la discussion des liens actuels ou
passés et la création d’un environnement social stable et
sécurisant, parfois par l’intermédiaire du lien thérapeutique.
À travers l’activation de liens relationnels, le thérapeute induit,
par des techniques spécifiques, la relance ou la création
de cette mentalisation nécessaire, qui a comme fonction
de transformer les émotions douloureuses en une réflexion
visant à restimuler les attaches affectives, voire de repenser
et d’inhiber ainsi partiellement l’impact des expériences
traumatiques antérieures.
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page19
© Comstock®
3e Congrès de la Société Internationale
de Thérapie Interpersonnelle
Actualités sur les thérapies interpersonnelles
avec aménagement des rythmes sociaux (TIPARS)
Dr Thierry BOTTAI CH de Martigues - Membre de CREATIP
Lors du 3e congrès de la Société Internationale de Thérapie
Interpersonnelle (ISIPT), différentes communications ont porté
sur la TIPARS et sur les troubles bipolaires.
Stefanie Hlastala de Seattle a rapporté les résultats d’une étude
préliminaire ouverte évaluant les effets d’une TIPARS adaptée
aux adolescents ayant un trouble bipolaire (TIPARS-A ou
IPSRT-A). Les troubles bipolaires commencent fréquemment
à l’adolescence et entraînent, en sus de la symptomatologie,
une altération majeure du fonctionnement à un âge critique de
la vie ainsi qu’un risque suicidaire accru.
La spécificité de la TIPARS-A porte sur 1 à 2 séances de
psychoéducation familiale durant la phase initiale et sur la
résolution de conflits spécifiques de l’adolescence durant la
phase intermédiaire (autonomisation par rapport aux parents,
gestion des relations amoureuses initiales, gestion des conflits
de groupe d’adolescents et gestion des conflits avec les
parents concernant les traitements). La spécificité porte
également sur l’acceptation de la maladie. Douze adolescents
souffrant de troubles bipolaires de type I ou II ont été inclus
durant un épisode dépressif ou maniaque, avec traitement
médicamenteux, pendant 20 semaines. Un seul a quitté
l’étude 4 semaines avant la fin pour entrer au lycée. Tous ont
présenté une amélioration statistiquement significative à la fin
de l’étude sur les échelles de manie, de dépression et sur les
échelles globales. Constatation très intéressante, tous les
adolescents ont été très satisfaits de la thérapie, ont considéré
que la thérapie les avait aidé à se sentir mieux, et
recommanderaient cette thérapie à un ami.
Holly Swartz, de l’équipe d’Ellen Frank à Pittsburgh qui a mis
au point la TIPARS, a rapporté des données préliminaires
concernant les dépressions dans les troubles bipolaires
de type II en monothérapie chez 17 patients sans
médicaments. À 12 semaines, 41 % des patients avaient bien
répondu à la TIPARS. Les autres ont bénéficié d’une adjonction
de lamotrigine. À la 20e semaine, 53 % avaient bien répondu
et 29 % étaient en rémission complète. Ces résultats sont
confirmés par d’autres données préliminaires et semblent très
prometteurs dans certaines configurations cliniques.
Tina Goldstein de Pittsburgh a mené une étude pilote
multicentrique (Pittsburgh & Seattle) destinée à évaluer les
effets d’une TIPARS-A chez des adolescents à risque (de
trouble bipolaire) sur une petite cohorte. Les résultats
préliminaires montrent un bénéfice net sur la régularisation des
rythmes sociaux et les relations interpersonnelles, y compris
avec leurs proches atteints de trouble bipolaire, et une
amélioration de la qualité du sommeil mesurée par actimétrie.
Maree Inder d’Otago en Nouvelle-Zélande a présenté un travail
de facilitation du sentiment de Soi chez les patients atteints de
trouble bipolaire à partir de la TIPARS, dont la finalité est une
La TIPARS ou IPSRT est un aménagement de la thérapie
interpersonnelle (TIP) pour les troubles bipolaires. La
dépression des troubles bipolaires ayant longtemps servi
de forme type de description, il est légitime d’utiliser une
forme de psychothérapie ayant prouvé son efficacité.
Cependant, la spécificité des troubles bipolaires réside
dans l’instabilité chronobiologique retrouvée dans la
symptomatologie des épisodes et dans la cyclicité de la
pathologie. La thérapie interpersonnelle a donc été
renforcée par un autre objectif qui vise à régulariser les
rythmes sociaux et combattre l’instabilité.
Les 4 objectifs principaux de la TIPARS sont : la psychoéducation, la résolution des problèmes interpersonnels
(conflits, deuil, changement de rôle ou isolement), la
régularisation des rythmes sociaux et le deuil d’un avenir
indemne. La TIPARS reste une thérapie brève, en une
vingtaine de séances, avec 3 phases (initiale, intermédiaire et de terminaison), mais est souvent complétée
par une thérapie de maintenance.
meilleure acceptation du diagnostic et une amélioration
de l’observance thérapeutique. Le travail a été articulé autour
de verbatim de patients en TIPARS. La clarification et la
résolution de conflits interpersonnels (ou autrement dit, le travail
sur les relations objectales externes qui permet une meilleure
construction égoïque du Soi) permettent le travail du deuil d’un
avenir indemne et une meilleure acceptation des soins.
Enfin, l’équipe de Pittsburgh a également présenté une variante
de la TIPARS développée pour des groupes de patients
hospitalisés ou ambulatoires ne pouvant accéder à une
TIPARS individuelle pour des raisons de coûts. Les sessions
de groupe sont centrées sur l’histoire du trouble (rythmicité des
épisodes en lien avec les événements relationnels), l’inventaire
interpersonnel, les stratégies de communication interpersonnelles, le deuil d’un avenir indemne, la psychoéducation et
l’importance des routines quotidiennes. La thérapie de groupe
se déroule sur 12 semaines, avec du travail individuel à
domicile. Une extension a été proposée en maintenance. Les
premiers résultats semblent encourageants et facilitent la
jonction entre traitement hospitalier et ambulatoire.
En conclusion, la TIPARS, psychothérapie récente (2005) pour
les troubles bipolaires montre une efficacité dans les
troubles bipolaires en permettant une résolution plus rapide
des épisodes dépressifs, un allongement des intervalles libres,
une amélioration de la régularité du style de vie, une amélioration du fonctionnement psychosocial et occupationnel et une
meilleure observance. Des variantes se développent et
semblent prometteuses.
19
CulturePsy_14_int_:Mise en page 1 12/05/09 14:53 Page20
Cinéma et troubles de l’humeur
Dr Christian GAY
Clinique du Château, Garches
Un vaste sujet qui, dans ce court article, se limitera à l’impact des films chez les patients
et ce, dans une finalité informative. Il est hors de propos de lister l’intégralité des films se
référant à des troubles de l’humeur du fait de leur nombre, ce thème constituant une
véritable mine pour les scénaristes qui se sont laissés aller à toutes sortes d’excès.
Big fish de Tim Burton est son film le plus abouti. On retrouvait
déjà, dans ses films antérieurs, des personnages hors normes,
hauts en couleur, excessifs, mais sans la poésie et la
profondeur de Big Fish qui fait référence à la générosité,
l’optimisme, l’imaginaire, l’authenticité, la spontanéité, la
sensibilité et l’affectivité. Cette lecture du
film est celle des patients, qui ne se
Ces films peuvent servir retrouvent pas obligatoirement dans le
personnage mais certainement dans la
de supports de discus- tonalité de l’histoire. La vision que
sion avec l’entourage Tim Burton nous offre a probablement
été influencée par son expérience
qui peut se montrer, personnelle de ce trouble.
Ces dernières années, plusieurs films faisaient référence à ce
trouble, en écho à l’importante communication entretenue
autour de cette pathologie.
“
tout du moins dans un
premier temps, très in tolérant face à cette
maladie.
Le cinéma : une démarche
vers l’acceptation de la pathologie ?
C’est dans cette dernière catégorie de films que les patients se
retrouvent le mieux et accèdent à 2 objectifs : celui de la
compréhension et celui de l’acceptation.
Ces films peuvent servir de supports de discussion avec
l’entourage qui peut se montrer, tout du moins dans un premier
temps, très intolérant face à cette maladie. Cet abord subtil de
la maladie, à la fois humaniste et poétique, permet de ne pas
enfermer le trouble dans un cadre restreint.
Les patients se sont ainsi appropriés 2 films qui illustrent
remarquablement ce qu’est l’ostracisme face à la nonconformité.
Numéro 14
20
“
Trois catégories de films peuvent être
regroupées :
• les films se référant à la maladie de
manière explicite, le scénario étant
construit autour de la maladie bipolaire.
C’est le cas, par exemple, de Mr Jones
ou de Ça se soigne ? ;
• les œuvres qui utilisent la maladie
bipolaire comme un sous-bassement du
scénario : Une femme sous influence, The
hours, Michael Clayton, Two Lovers, King
of California) ;
• les films, plus subtils, qui, sans faire
directement allusion à la maladie,
abordent la problématique du tempérament hors norme, en particulier la notion
de différence et de discrimination.
Le deuxième film, souvent cité par les
patients eux-mêmes, est Respiro
d’Emanuele Crialese qui narre l’histoire
d’une jeune mère, Grazia, sur l’île de
Lampedusa. Ce film, comme le précédent, traite de l’incompréhension et de
l’intolérance. Frank Capra avait déjà
abordé ce thème dans L’extravagant Mr Deeds, où le
personnage interprété par Gary Cooper devient la cible
d'avocats véreux convoitant sa fortune et de journalistes peu
scrupuleux.
Positiver le regard des autres
Ces 3 films abordent le tempérament bipolaire sous un angle
positif, permettant ainsi d’avoir un autre regard sur la maladie
et de faciliter une discussion autour du trouble, sans faire pour
autant référence à la maladie mentale. Ils constituent ainsi une
étape de la psycho-éducation en facilitant l’acceptation de la
pathologie. Le visionnage de ces films avec l’entourage n’est
pas inutile car il contribue à une meilleure compréhension du
tempérament.
CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC3
« Autoportrait » de Pierre-Marie Tardat
Ce tableau vu par…
Dr Jean AUDET
Psychiatre, Angoulême
« Ô dangereusement de son
regard la proie », écrit Paul Valéry
dans « La Jeune Parque ». Telle
est la première pensée qui vient à
l’esprit devant cette œuvre. Que
voit-on lorsqu’on regarde son
reflet dans le miroir ? L’autoportrait
désigne, dans l’art de représenter
le corps humain, le genre le plus
spécifiquement narcissique qui
consiste, pour un artiste, à se
prendre pour modèle. Cet effet
pictural n’apparaît vraiment
comme tel qu’avec la dialectique
introduite par le jeu des miroirs
entre le réel et l’imaginaire. Mais le miroir ne suffit pas, il faut qu’avec lui naisse et s’épanouisse
une image hautement valorisée du corps et du geste qui le représente.
À première vue, domine une impression de vide et de transparence. Notre regard traverse l’image
sans rencontrer de matière pour s’arrêter, comme s’il manquait la troisième dimension, celle qui
permet de faire corps, de donner de la consistance. Ce visage est dominé par ces yeux immenses
qui regardent le monde avec perplexité. La vacuité du regard interroge. Y a-t-il quelque chose à
voir ? Quelques traits noirs, économie de moyens, délimitent l’espace et donnent une certaine
consistance au nez. La bouche, délicatement ourlée, paraît neutre. Pour le reste, le visage est
caché par une sorte de grillage fait de coulures de peinture noire. Sur la tête, cette pelote
désordonnée de fils de fer rouge donne l’impression d’une couronne d’épines. Remarquons
également, au centre du tableau, un repentir, sorte d’effacement par une masse blanche, comme
pour faire disparaître une croix noire qui pourrait majorer l’aspect christique. Cette tête semble
empalée sur un pieu noir, artifice qui permet, en l’absence de cou, de se tenir bien droite.
« Je me révèle mais ne montre rien de moi », semble dire l’artiste. Se montrer et se cacher à la
fois, ne rien laisser paraître de sa vie intérieure, rester le plus neutre possible, voici ce qu’arrive à
exprimer le peintre. Même le support, qui paraît fin et fragile comme une feuille de papier à
cigarette, ne résisterait pas à un coup de vent. La force de cet autoportrait vient surtout du fait de
sa facture qui ne ressemble à rien de ce qui a été fait par ses illustres prédécesseurs et qui laisse
une grande part de mystère ouvrant la porte à de nombreuses conjectures.
Comment ne pas penser, devant cette image spéculaire, à tout l’inconscient qui est derrière cette
autoreprésentation. L’artiste n’a, bien sûr, aucun souvenir de sa première confrontation au miroir
alors qu’il avait entre 6 et 18 mois, et l’étonnement puis la jubilation rencontrés alors. De ce stade,
si bien décrit par Lacan, et qui lui a permis de se structurer, il y a probablement ici une sorte de
réminiscence. Visiblement, l’artiste se cherche encore, comme s’il voulait en vain se libérer d’une
sorte d’enfermement (tous ces traits noirs évoquant des barreaux, symbolisent-ils une prison
intérieure ?) afin d’atteindre la plénitude de son art, de sa vie. Nous serions curieux de voir le
même autoportrait dans 10 ans, dans 20 ans...
La vision
de l’artiste…
« La toile est, pour
moi, un tampon
qui accueille mes
émotions
éphémères et les
fixe telle une
empreinte.
Cet autoportrait est
le berceau de
réflexions
personnelles et
paradoxales sur ma
condition d’artiste.
La technique
effilée, dont
le geste reflète
légèreté et
sensualité, traduit
ici une certaine
violence et une
sensation
d’étouffement.
Ces sentiments
sont accentués par
les aplats de noir,
qui cernent le
portrait et lui
donnent une
apparence figée.
À l’opposé, des
nuances dégradées
donnent un effet
aéré et offrent des
possibilités
d’ouverture et de
liberté au
personnage…
Isolé dans son
atelier, l’artiste se
retrouve souvent
cloisonné dans sa
créativité
plastique.
Pourtant grâce à
l’expressivité dont
il fait preuve, il
apparaît souvent
comme un être
libre… »
Nous tenons à remercier
Pierre-Marie Tardat
d’avoir bien voulu
se prêter à l’exercice.
Contact :
[email protected]
21
CulturePsy_14_couv:Mise en page 1 12/05/09 14:43 PageC4
ISSN 1774-430X - 09ST000BF/00-09
www.psylink.com
Téléchargement