III
Or, dans un passé récent, on a déjà beaucoup discuté le concept her-
dérien de la culture qui a surtout joué un rôle important dans les
années 1980 lors de la découverte de la culture populaire européenne de
l'époque moderne, précisément aussi dans le dialogue entre des recherches
allemandes et françaises. Ce faisant, on a toujours souligné à quel point
Herder était déjà tributaire d'un concept large de la culture qui - comme
il l'écrit
—
conçoit « la culture elle-même comme une suite nécessaire de tel
ou tel mode de vie » (Herder, Idées, liv. 8, p. 82). La culture n'est donc pas
encore réduite chez lui à la culture intellectuelle selon le modèle ultérieur
de la bourgeoisie cultivée, mais ouverte au « quotidien » et à « la vie ».
De fait, Herder est attaché à un regard anthropogéographique. Ce
regard considère les facteurs naturels et environnementaux comme au
moins aussi déterminants pour former les caractéristiques culturelles d'un
peuple que la langue ou la tradition. La culture est pour lui la diversité des
formes d'expression d'une « âme du peuple » où l'histoire et la mémoire,
les styles de pensée et les formes linguistiques se cristallisent avant tout
dans des formes spécifiques de la « poésie populaire » : dans des chants,
des contes et des légendes, comme pratique esthético-mentale de
l'inscription et de la transmission de ce qui est finalement aussi un savoir.
L'anthropologie de Herder apparaît ainsi comme une association élégante
de discours de son temps, issu de l'Europe entière et portant sur l'histoire
culturelle, la géographie, la linguistique et la psychologie des peuples. Ce
sont leurs motivations singulières qu'il cherche à associer dans la perspec-
tive d'une image universelle de l'homme et du peuple.
Je voudrais ici aborder une autre dimension du concept herdérien de
la culture qui recueille moins d'attention : la question de la consistance his-
torique et sociale de la culture. Quelle homogénéité ou hétérogénéité,
quelle identité des cultures devons-nous nous représenter ? La réponse de
Herder est particulièrement révélatrice précisément du processus d'anthro-
pologisation scientifique de notre image du monde — aussi parce qu'elle
apparaît tout à fait contradictoire.
D'un côté en effet, Herder attribue à la culture des qualités quasi « sys-
témiques » : l'authenticité historique, le caractère ethnique, l'homogénéité
sociale, une grande capacité de se couper des autres peuples et cultures. La
culture a ainsi toujours été présente dans l'histoire comme idée et comme
pratique. Elle apparaît universelle, mais ne se trouve que sous des formes
chaque fois spécifiques comme un Ken de la pensée et de l'action humai-
nes hérité, tribal,
collectif,
marquant des limites extérieures, un lien exis-
tant dans un domaine déterminé et à une époque déterminée, valable seu-
lement pour un « peuple » déterminé — une « culture » à côté d'autres
« cultures ». Ainsi Herder caractérise les peuples comme des « collectivités
culturelles aussi originelles que naturelles », qui sont et restent les véhicules
de l'histoire et de la culture. Avec cette mystification de la génétique histo-