à « leur infliger une cruelle blessure ». Que va-
t-il sortir de ce brouet infâme dans lequel ont
macéré d’hétéroclites Histoires, cultures, civi-
lisations, religions, patries, nations, etc. ? Le
nationalisme ? n’en parlons pas : il est syno-
nyme de « fascisme ». Le communisme ? trop
tard : Soljenitsyne est passé par là ; et Taylor est
obligé d’en parler dans une notule en bas de
page… La monarchie ? pas question ; l’hon-
neur ne peut être sauvé : « Avec le passage de
l’honneur à la dignité est venue une politique
d’universalisme mettant en valeur l’égale di-
gnité de tous les citoyens, et le contenu de
cette politique a été l’égalisation des droits et
des attributions. Ce qu’il faut éviter à tout prix
est l’existence de citoyens de « première » et
de « seconde classe ». (p. 56). Cette politique
de reconnaissance égalitaire s’est développée
dans une seconde direction : la politique de la
différence. « Tout le monde devrait être re-
connu en fonction de son identité unique. […
] Avec la politique d’égale dignité, ce qui est
établi est censé être universellement le même,
un ensemble identique de droits et de privi-
lèges (sic !) ; avec la politique de différence, ce
que l’on demande de reconnaître, c’est l’iden-
tité unique de cet individu ou de ce groupe, ce
qui le distingue de tous les autres » (p. 57). Les
deux politiques, fondées sur le même principe
du respect égal, entrent ainsi en conflit. « Le
reproche que la première politique fait à la se-
conde est de violer le principe de non-discri-
mination. La seconde reproche à la première
de nier toute identité en imposant aux gens un
moule homogène qui ne leur est pas adapté. »
(p. 63). Taylor s’en tire par une pirouette qui
constitue un véritable aveu d’impuissance :
« toutes les sociétés deviennent de plus en plus
multiculturelles et, dans le même temps, plus
perméables » (p. 86). À ses yeux, la « politique
de reconnaissance » ne saurait maintenir une
distinction entre le public et le privé, laissant
à chacun ses croyances, ses attachements dans
la sphère personnelle, à la condition qu’elle ne
vienne pas empiéter dans la sphère publique
des cultures d’immigration. La politique doit
s’incliner devant toutes les formes de minori-
tés, leur « reconnaître » une sacro-sainte « éga-
lité », une identique « dignité ».
Toutes les cultures se valent
Telle est « l’exigence » du multicultura-
lisme : « de reconnaître, tous tant que nous
sommes, la valeur égale des différentes cul-
tures, c’est-à-dire non seulement de les laisser
survivre, mais encore de reconnaître leur mé-
rite » (p. 87). Sait-on, en réalité, de qui l’on
parle et qui exige cette fameuse reconnais-
sance ? Pas vraiment. Nous sommes dans un
dilemme. Premier cas : une personne X, ap-
partenant à une culture C1 exige qu’une cul-
ture C2 reconnaisse sa culture comme d’égale
valeur, mais à son détriment (puisqu’il s’agit
de les considérer comme égales). Alors les
personnes de la culture C2 ne peuvent plus
« reconnaître » leur propre culture,
puisqu’elles sont en conflit. Dans le second
cas, plus difficile, la personne X s’adapte à la
culture C2, alors elle abandonne sa culture
C1, mais c’est justement ce que l’on cherche
à éviter. La seule solution miraculeuse de cette
équation est bien la formule C1 = C2. Mais
alors où sont passées les identités culturelles
que chacun entend revendiquer ? Si C1 diffère
de C2, et c’est une réalité, le problème de
l’exigence du respect devient une réelle im-
possibilité. Et le multiculturalisme est un leurre
ou une supercherie…
Faut-il, maintenant, considérer que « toutes
les cultures sont égales » ? Bien entendu Tay-
Classement : 3Cc19 ** cf. le glossaire PaTer version 1.1 •04/ 2012
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