Chemin de fer de Lisieux à Orbec : petit guide du promeneur et du
touriste / par Amédée Tissot
DE LISIEUX A ORBEC
I
AVANT-PROPOS
La vallée de l'Orbiquet, aux deux extrémités Nord-Ouest et Sud-Est de laquelle s'élèvent les villes de
Lisieux et d'Orbec, n'est pas seulement une des plus charmantes, des plus plantureuses et des plus riches de
toute la belle Normandie, si fréquemment visitée par les touristes français et étrangers ; elle est aussi l'une des
plus intéressantes et des plus curieuses au quadruple point de vue industriel, agricole, historique et
archéologique.
Nulle part ailleurs, sur un espace restreint de moins de 20 kilomètres, l'artiste ne découvre plus de sites
pittoresques, plus de frais et gracieux paysages ; — nulle part ailleurs, l'économiste ne compte un plus grand
nombre d'usines, de fabriques et de centres industriels ; — nulle part ailleurs, l'historien et l'archéologue ne
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retrouvent plus de vestiges et plus de souvenirs des temps passés.
C'est cette contrée qui peut, ainsi que le fait remarquer M. Raymond Bordeaux, défrayer plusieurs catégories
d'amateurs ; c'est cette vallée progressive et industrieuse, l'activité contemporaine a trouvé assez d'espace
pour s'exercer sans disputer le sol aux monuments, et trop de travail productif pour songer à démolir ; c'est ce
pays privilégié, en un mot, que la nouvelle ligne d'intérêt local dont vient de
s'enrichir la carte des chemins de fer,
traverse dans toute son étendue, et permet à tous de connaître et d'admirer.
Nous sommes bien loin du temps l'Almanach de Lisieux pour l'année 1787 contenait la note suivante :
«Messageries de Lisieux à Orbec.
Il part de chez le sieur d'Algot, rue et fauxbourg d'Orbec, tous les Mardis, une Voiture, portant personnes et
marchandises, et repart d'Orbec le Mercredi et arrive à Lisieux le même jour. »
«Le prix des places est de 24 sous par personne, et, pour les paquets, 6 deniers par livre. »
Nous ne sommes déjà plus à l'époque moins éloignée l'honnête Harang, qu'on accusait de lenteur, réalisait
pourtant, sur ses devanciers, un progrès réel et sensible, en accomplissant deux fois dans le même jour,
le trajet
de Lisieux à Orbec
La locomotive franchit aujourd'hui, en 45 minutes, les 19 kilomètres qui séparent les deux villes, s'arrêtant
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néanmoins sept fois dans son parcours : à Glos, à Mesnil-Guillaume, à Saint-Martin-de-Mailloc, à Saint-Pierre-de-
Mailloc, à La Chapelle-Yvon, à Saint-Martin-de-Bienfaite, à Orbiquet-Launay.
Avec le chemin de fer, le trajet de Lisieux à Orbec a cessé d'être un voyage ; il est devenu une simple
promenade, une véritable excursion ; promenade agréable et facile, excursion rapide, intéressante et peu
coûteuse.
En publiant le petit livre que nous offrons aujourd'hui au public, notre intention est d'y ajouter un attrait de
plus : la rendre instructive. Rappeler aux promeneurs et aux excursionnis
tes les faits qui se sont accomplis sur les
divers points du panorama qui se déroule devant eux, évoquer les souvenirs du passé ; retracer sommairement
l'histoire des vieux monuments disséminés dans ce riant paysage, celle des familles qui les ont bâtis, habités et
illustrés
; présenter enfin les renseignements topographiques, statistiques, industriels, etc., etc, sur chacune des
communes traversées par la voie ferrée, parfois même sur quelques-
unes de celles environnantes, nous semble
être tout à la fois agréable et utile, ajouter un charme de plus au tableau déjà charmant dont se réjouissent les
yeux.
On a dit : «Connaître son pays, c'est apprendre à l'aimer.
» C'est cette parole qui nous a surtout inspiré l'idée
de ce petit livre. Si modeste qu'il s
oit, nous serions heureux qu'il contribuât pour une part, si minime qu'elle puisse
être, à réaliser cette parole bonne et sage ; nous nous tiendrions suffisamment récompensé du labeur
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qu'il nous a coûté s'il parvenait à faire connaître notre pays à ceux-
qui l'habitent et qui l'aiment instinctivement,
en même temps qu'à le faire aimer de ceux-qui ne l'habitent pas et qui ne le connaissent que peu ou point.
La part la plus large, sinon la part entière, de ce résultat désiré, serait assurémen
De Caumont et Louis Du Bois, à MM. Raymond Bordeaux, de Formeville, Ch. Vasseur, Arthème Pannier, Lacour,
dont les intéressants travaux nous ont fourni de nombreux renseignements ; ainsi qu'à MM. Marie-Cardine,
inspecteur de l'enseignement primaire ; Marsaudout, ngénieur civil, constructeur de la voie ; Delaunay, agent-
voyer ; Delamarre, maire de Bienfaite ; Thieulin, chef d'institution à Orbec, qui nous ont donné des détails
précieux avec une affectueuse obligeance, pour laquelle nous les prions d'agréer ici l'expression de notre vive
gratitude.
Lisieux, 20 mai 1873.
II
Concession de la ligne. Formation de la Société anonyme conces-
sionnaire. Travaux. Détails statistiques. Exploitation.
L'ouverture, en 1855, de la voie ferrée de Paris à Cherbourg, passant par Bernay et Lisieux, laissant Orbec
isolée dans les terres, à 10 kilomètres sur la gauche, porta un coup funeste à cette dernière ville, jusqu'alors
prospère et florissante.
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L'industrie drapière, le commerce des laines et des frocs, dont elle était autrefois et depuis longtemps un des
centres les plus importants de la contrée, émigrèrent peu à peu et se transportèrent à Lisieux ou à Bernay, près
du chemin de fer, qui offrait pour les approvisionnements une économie sensible, une rapidité incontestable, en
même temps qu'il ouvrait aux transactions commerciales des débouchés nouveaux, et leur assurait un
développement considérable.
A l'activité, au mouvement, à la vie d'un
e cité industrielle et commerçante, succédèrent l'inaction, l'immobilité,
le marasme. La halle d'Orbec, si abondamment approvisionnée de frocs, de flanelles et de molletons, si
fréquentée par tous les fabricants et négociants du Lieuvin, fut désertée ; le
marché hebdomadaire du mercredi,
si animé, ne fut plus suivi que par les cultivateurs, les marchands de bestiaux et les bouchers.
Le centre naguère industriel et agricole à la fois, resta simplement centre agricole.
Les fabriques de rubans, les p
apeteries, les tanneries, demeurées à Orbec et aux environs, bien qu'ayant une
réelle importance, étaient insuffisantes pour ramener là, dans cette rûche abandonnée de ses plus fécondes
abeilles, cette animation incessante, ce va-et-vient continuel de voyageurs et de colis, qui font la prospérité des
villes en même temps que les fortunes particulières.
Orbec, déshéritée d'un chemin de fer, n'était plus que l'ombre d'elle-même !
Cela dura ainsi dix années, au moins, pendant lesquelles un groupe d'hommes d'intelligence et de coeur,
influents par leur honorabilité et par leur fortune,
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cherchèrent tous les moyens de remédier à ce déplorable état de choses, et de rendre à Orbec sa prospérité
d'autrefois.
A la tête de ce groupe était M. Hélix
d'Hacqueville, ancien procureur du roi à Lisieux, sous le gouvernement de
Juillet, membre du Conseil général du Calvados, et le descendant de l'une des plus anciennes familles du pays.
M. d'Hacqueville conçut l'idée de relier la ville d'Orbec à celle
de Lisieux, et à la ligne de Paris à Cherbourg, au
moyen d'une voie ferrée traversant l'industrieuse vallée de l'Orbiquet, et il prit l'initiative de sa réalisation avec
autant de résolution que de générosité, en faisant, dès 1867, étudier le terrain à se
s frais, et en faisant rédiger un
avant-projet par M. Cordier, ingénieur civil.
Le projet de M. d'Hacqueville fut accueilli avec un enthousiasme facile à comprendre par la population
d'Orbec, qui s'associa dès lors, avec une louable ardeur, aux efforts de son dévoué représentant au Conseil du
département.
Nous n'avons pas à rappeler ici toutes les démarches qui furent faites, toutes les conférences, toutes les
discussions, toutes les délibérations qui eurent lieu ; il suffit de les résumer, en disant qu'elles aboutirent à un
heureux résultat, puisque le projet est aujourd'hui réalisé.
En vertu d'une délibération du Conseil Général du Calvados, en date du 29 août 1868, M. le Préfet du
Département, passait avec M. Watel, constructeur de chemins de fer à Paris, un traité qui assurait à ce dernier
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la concession d'un chemin de fer d'intérêt local de Lisieux à Orbec, par St-Martin-de-Bienfaite, la Chapelle-
Yvon,
Saint-Pierre-de-Mailloc, Saint-Martin-de-Mailloc, le Mesnil-Guillaume, Glos et St-Jacques-de-Lisieux.
Aux termes de cette concession, la ville d'Orbec, dans le cas les indemnités de terrain excéderaient la
somme de 250,000 fr., devait contribuer pour moitié dans l'excédant, sans que la part à sa charge pût dépasser
15,000 fr. conformément à une délibération du Conseil Municipal, du 11 août 1868.
Le Concessionnaire devait recevoir une subvention de 60,000 fr. par kilomètre, savoir : 15,000 fr. de l'Etat,
45,000 fr. du Département.
Ces subventions, dont le chiffre total s'élevait à 720,000 fr., devaient être payés, savoir
: 360,000 fr. en 1870,
et 360,000 fr. en 1871.
Dans la subvention départementale était comprise une somme de 80,000 fr. votée par les Conseils
Municipaux des villes de Lisieux et d'Orbec, savoir : Lisieux, 30,000 fr. ; Orbec, 50,000 fr.
Ajoutons, de suite, que la commune de St-Martin-de-Mailloc a contribué, pour une somme de 2,500 fr., à la
construction de la ligne. C'est la seule des communes traversées qui ait voté une subvention.
La durée de la concession est celle fixée pour la grande ligne de Paris à Cherbourg et doit, par conséquent,
finir le 1er janvier 1957.
L'enquête d'utilité publique qui suivit la signature du traité de concession et l'acceptation par M. Watel du
cahier des charges, se termina par un procès-verbal favorable de la Commission d'enquête, en date du 10 août
1869.
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Le 30 août de la même année, le Conseil général du Calvados approuva la convention passée entre M. le
Préfet du Département et M. Watel.
Le Conseil Général des Ponts-et-Chaussées émit un avis favorable le 20 janvier 1870.
Enfin, l'Empereur rendit, le 30 avril 1870, un décret qui déclarait d'utilité publique l'établissement d'un chemin
de fer d'Orbec à Lisieux, et qui allouait, à cet effet, au département du Calvados, une subvention de 241,650 fr.,
payable en huit termes semestriels, dont le premier terme serait payé le 15 janvier 1872.
Le 12 mai 1870, une Société anonyme, sous la dénomination de Compagnie du chemin de fer de Lisieux à
Orbec, se constituait en l'étude de MeMocquard, pour l'exploitation dudit chemin, au capital de cinq cents mille
francs, divisé en mille actions de cinq cents francs chacune, et sous l'administration de MM.
Frédéric-Luc-Hélix d'Hacqueville, propriétaire, membre du Conseil général du Calvados, demeurant à Orbec ;
Napoléon-Joseph, marquis de Colbert-Chabannais, député, demeurant à Saint-Julien-de-Mailloc ;
Pierre Méry-Samson, manufacturier, demeurant à Lisieux ;
Adolphe Moissard, maire de la commune d'Orbec, y demeurant ;
Jules Piel, notaire, demeurant à Orbec ;
Louis-Joseph Watel, propriétaire, entrepreneur de travaux publics, demeurant à Paris, rue Chauveau-
Lagarde,
14.
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Le siége social était et est resté rue Chauveau-Lagarde, 14.
Cependant, le Concessionnaire n'avait attendu ni l'entier accomplissement des formalités administratives, ni la
formation définitive de la Société anonyme, pour se mettre à l'oeuvre.
Aussitôt après la signature de la convention passée entre lui et M. le Préfet du Calvados, M. Marsaudout,
ingénieur civil, chargé du projet définitif, avait commencé les études.
Six mois après, c'est-à-dire dans les premiers mois de 1869, il se rendait entrepreneur des travaux et les
commençait.
L'émission à 292 fr. 50 c. de 4,500 obligations, aujourd'hui cotées à la Bourse de Paris, permettait de
poursuivre ces travaux avec une grande activité.
Malheureusement, les événements de 1870-1871 obligèrent de les suspendre pendant une année environ.
Repris après la guerre, ils ont été menés à bien par la Compagnie, malgré les difficultés financières
rencontrées par le Département, qui dut ajourner jusqu'au 26 août 1872 le premier paiement de la subvention,
alors que l'entreprise avait reçu son exécution depuis 1869.
Votée en même temps que les lignes de Falaise à Condé, de Caen à Courseulles et de Mézidon à Dives, la
ligne de Lisieux à Orbec, terminée à la fin d'avril 1873, a été livrée la première à l'exploitation.
Dans l'origine, cette ligne ne devait avoir que 16 kilomètres, parce qu'on avait projeté de l'embrancher à Glos,
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sur la grande ligne de Paris à Cherbourg. Mais, un arrêté ministériel interdit expressément d'établir des passages
à niveau sur des voies directes,
ce qui aurait eu lieu pour l'embranchement projeté, et, dès lors, la Compagnie de
l'Ouest ne pouvait consentir à ce que cet embranchement se fit ailleurs que dans la gare même de Lisieux. C'est
pour cette raison que la Compagnie du chemin de fer de Lisieux à Orbec a été obligée de prolonger sa ligne
parallèlement à celle de Paris à Cherbourg, sur une longueur de près de 3 kilomètres.
Le chemin de fer d'intérêt local de Lisieux à Orbec a donc une étendue réelle et totale de 18 kilomètres 750
mètres.
Les courbes qu'il décrit sont peu nombreuses, et leur rayon varie de 800 à 1,000.
Les rampes ne dépassent pas 12 millimètres par mètre.
Les ponts et ponceaux établis tant pour l'écoulement des eaux que pour le passage des piétons, ont été
véritablement prodigués, en même temps qu'un grand nombre de passages particuliers ont été ménagés pour
faciliter l'exploitation des propriétés riveraines. On n'y compte pas moins de 45 passages à niveau, tant
particuliers que publics.
Presque tous les terrains traversés par la voie ont été acquis à l'amiable, et les indemnités réglées de gré à
gré. Trois ou quatre propriétaires seulement ont amené la Compagnie devant le jury d'expropriation.
Ces terrains ont coûté environ de 15 à 16,000 fr. par kilomètre.
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La construction de la voie a nécessité 276,000 mètres cubes de terrassements.
Les travaux d'art, maçonnerie, etc., etc., ont entraîné une dépense de 185,000 fr. environ.
En somme, l'établissement de la ligne, y compris les rails, les traverses et leur mise en place, aura coûté
environ 2,400,000 francs.
Trois stations intermédiaires entre Lisieux et Orbec sont établies : à Mesnil-Guillaume, à la Chapelle-
Yvon, à
St-Martin-de-Bienfaite. On y reçoit et on y dépose les voyageurs et les marchandises.
Il y a, en outre, trois arrêts mais pour les voyageurs seulement à Glos, à St-Martin-de-Mailloc, à
Orbiquet-Launay.
L'arrêt de Glos pourra ultérieurement être con
verti en station et recevoir, par conséquent, les marchandises, si
l'expérience en démontre l'utilité.
Il y a régulièrement trois trains montants et trois trains descendants.
Un ou plusieurs trains supplémentaires sont organisés pour les jours de marché et de foires. Il en sera établi
d'autres toutes les fois que les circonstances le réclameront.
Les machines employées par la Compagnie ont toutes la force de 18 chevaux.
Le service est assuré par un matériel qui répond à tous les besoins.
Il est fait à la gare de Lisieux par les employés de la
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Compagnie de l'Ouest, à laquelle, à cet effet, la Compagnie de Lisieux à Orbec paie une redevance annuelle.
A la gare d'Orbec et aux stations et arrêts intermédiaires, le service est fait par des agents spéciaux,
appartenant à la Compagnie de Lisieux à Orbec.
Le directeur de la Compagnie est M. Hélix d'Hacqueville, administrateur délégué par le Conseil
d'Administration de la Société anonyme.
Le directeur de l'exploitation est M. Guyet, ingénieur civil.
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