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Chemin de fer de Lisieux à Orbec : petit guide du promeneur et du
touriste / par Amédée Tissot
DE LISIEUX A ORBEC
I
AVANT-PROPOS
La vallée de l'Orbiquet, aux deux extrémités — Nord-Ouest et Sud-Est — de laquelle s'élèvent les villes de
Lisieux et d'Orbec, n'est pas seulement une des plus charmantes, des plus plantureuses et des plus riches de
toute la belle Normandie, si fréquemment visitée par les touristes français et étrangers ; elle est aussi l'une des
plus intéressantes et des plus curieuses au quadruple point de vue industriel, agricole, historique et
archéologique.
Nulle part ailleurs, sur un espace restreint de moins de 20 kilomètres, l'artiste ne découvre plus de sites
pittoresques, plus de frais et gracieux paysages ; — nulle part ailleurs, l'économiste ne compte un plus grand
nombre d'usines, de fabriques et de centres industriels ; — nulle part ailleurs, l'historien et l'archéologue ne
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retrouvent plus de vestiges et plus de souvenirs des temps passés.
C'est cette contrée qui peut, ainsi que le fait remarquer M. Raymond Bordeaux, défrayer plusieurs catégories
d'amateurs ; c'est cette vallée progressive et industrieuse, où l'activité contemporaine a trouvé assez d'espace
pour s'exercer sans disputer le sol aux monuments, et trop de travail productif pour songer à démolir ; c'est ce
pays privilégié, en un mot, que la nouvelle ligne d'intérêt local dont vient de s'enrichir la carte des chemins de fer,
traverse dans toute son étendue, et permet à tous de connaître et d'admirer.
Nous sommes bien loin du temps où l'Almanach de Lisieux pour l'année 1787 contenait la note suivante :
« Messageries de Lisieux à Orbec.
Il part de chez le sieur d'Algot, rue et fauxbourg d'Orbec, tous les Mardis, une Voiture, portant personnes et
marchandises, et repart d'Orbec le Mercredi et arrive à Lisieux le même jour. »
« Le prix des places est de 24 sous par personne, et, pour les paquets, 6 deniers par livre. »
Nous ne sommes déjà plus à l'époque moins éloignée où l'honnête Harang, qu'on accusait de lenteur, réalisait
pourtant, sur ses devanciers, un progrès réel et sensible, en accomplissant deux fois dans le même jour, le trajet
de Lisieux à Orbec
La locomotive franchit aujourd'hui, en 45 minutes, les 19 kilomètres qui séparent les deux villes, s'arrêtant
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néanmoins sept fois dans son parcours : à Glos, à Mesnil-Guillaume, à Saint-Martin-de-Mailloc, à Saint-Pierre-deMailloc, à La Chapelle-Yvon, à Saint-Martin-de-Bienfaite, à Orbiquet-Launay.
Avec le chemin de fer, le trajet de Lisieux à Orbec a cessé d'être un voyage ; il est devenu une simple
promenade, une véritable excursion ; promenade agréable et facile, excursion rapide, intéressante et peu
coûteuse.
En publiant le petit livre que nous offrons aujourd'hui au public, notre intention est d'y ajouter un attrait de
plus : la rendre instructive. Rappeler aux promeneurs et aux excursionnistes les faits qui se sont accomplis sur les
divers points du panorama qui se déroule devant eux, évoquer les souvenirs du passé ; retracer sommairement
l'histoire des vieux monuments disséminés dans ce riant paysage, celle des familles qui les ont bâtis, habités et
illustrés ; présenter enfin les renseignements topographiques, statistiques, industriels, etc., etc, sur chacune des
communes traversées par la voie ferrée, parfois même sur quelques-unes de celles environnantes, nous semble
être tout à la fois agréable et utile, ajouter un charme de plus au tableau déjà charmant dont se réjouissent les
yeux.
On a dit : « Connaître son pays, c'est apprendre à l'aimer. » C'est cette parole qui nous a surtout inspiré l'idée
de ce petit livre. Si modeste qu'il soit, nous serions heureux qu'il contribuât pour une part, si minime qu'elle puisse
être, à réaliser cette parole bonne et sage ; nous nous tiendrions suffisamment récompensé du labeur
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qu'il nous a coûté s'il parvenait à faire connaître notre pays à ceux-là qui l'habitent et qui l'aiment instinctivement,
en même temps qu'à le faire aimer de ceux-là qui ne l'habitent pas et qui ne le connaissent que peu ou point.
La part la plus large, sinon la part entière, de ce résultat désiré, serait assurément due aux regrettés savants
De Caumont et Louis Du Bois, à MM. Raymond Bordeaux, de Formeville, Ch. Vasseur, Arthème Pannier, Lacour,
dont les intéressants travaux nous ont fourni de nombreux renseignements ; ainsi qu'à MM. Marie-Cardine,
inspecteur de l'enseignement primaire ; Marsaudout, ngénieur civil, constructeur de la voie ; Delaunay, agentvoyer ; Delamarre, maire de Bienfaite ; Thieulin, chef d'institution à Orbec, qui nous ont donné des détails
précieux avec une affectueuse obligeance, pour laquelle nous les prions d'agréer ici l'expression de notre vive
gratitude.
Lisieux, 20 mai 1873.
II
Concession de la ligne. — Formation de la Société anonyme concessionnaire. — Travaux. — Détails statistiques. — Exploitation.
L'ouverture, en 1855, de la voie ferrée de Paris à Cherbourg, passant par Bernay et Lisieux, laissant Orbec
isolée dans les terres, à 10 kilomètres sur la gauche, porta un coup funeste à cette dernière ville, jusqu'alors
prospère et florissante.
[p. 5]
L'industrie drapière, le commerce des laines et des frocs, dont elle était autrefois et depuis longtemps un des
centres les plus importants de la contrée, émigrèrent peu à peu et se transportèrent à Lisieux ou à Bernay, près
du chemin de fer, qui offrait pour les approvisionnements une économie sensible, une rapidité incontestable, en
même temps qu'il ouvrait aux transactions commerciales des débouchés nouveaux, et leur assurait un
développement considérable.
A l'activité, au mouvement, à la vie d'une cité industrielle et commerçante, succédèrent l'inaction, l'immobilité,
le marasme. La halle d'Orbec, si abondamment approvisionnée de frocs, de flanelles et de molletons, si
fréquentée par tous les fabricants et négociants du Lieuvin, fut désertée ; le marché hebdomadaire du mercredi,
si animé, ne fut plus suivi que par les cultivateurs, les marchands de bestiaux et les bouchers.
Le centre naguère industriel et agricole à la fois, resta simplement centre agricole.
Les fabriques de rubans, les papeteries, les tanneries, demeurées à Orbec et aux environs, bien qu'ayant une
réelle importance, étaient insuffisantes pour ramener là, dans cette rûche abandonnée de ses plus fécondes
abeilles, cette animation incessante, ce va-et-vient continuel de voyageurs et de colis, qui font la prospérité des
villes en même temps que les fortunes particulières.
Orbec, déshéritée d'un chemin de fer, n'était plus que l'ombre d'elle-même !
Cela dura ainsi dix années, au moins, pendant lesquelles un groupe d'hommes d'intelligence et de coeur,
influents par leur honorabilité et par leur fortune,
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cherchèrent tous les moyens de remédier à ce déplorable état de choses, et de rendre à Orbec sa prospérité
d'autrefois.
A la tête de ce groupe était M. Hélix d'Hacqueville, ancien procureur du roi à Lisieux, sous le gouvernement de
Juillet, membre du Conseil général du Calvados, et le descendant de l'une des plus anciennes familles du pays.
M. d'Hacqueville conçut l'idée de relier la ville d'Orbec à celle de Lisieux, et à la ligne de Paris à Cherbourg, au
moyen d'une voie ferrée traversant l'industrieuse vallée de l'Orbiquet, et il prit l'initiative de sa réalisation avec
autant de résolution que de générosité, en faisant, dès 1867, étudier le terrain à ses frais, et en faisant rédiger un
avant-projet par M. Cordier, ingénieur civil.
Le projet de M. d'Hacqueville fut accueilli avec un enthousiasme facile à comprendre par la population
d'Orbec, qui s'associa dès lors, avec une louable ardeur, aux efforts de son dévoué représentant au Conseil du
département.
Nous n'avons pas à rappeler ici toutes les démarches qui furent faites, toutes les conférences, toutes les
discussions, toutes les délibérations qui eurent lieu ; il suffit de les résumer, en disant qu'elles aboutirent à un
heureux résultat, puisque le projet est aujourd'hui réalisé.
En vertu d'une délibération du Conseil Général du Calvados, en date du 29 août 1868, M. le Préfet du
Département, passait avec M. Watel, constructeur de chemins de fer à Paris, un traité qui assurait à ce dernier
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la concession d'un chemin de fer d'intérêt local de Lisieux à Orbec, par St-Martin-de-Bienfaite, la Chapelle-Yvon,
Saint-Pierre-de-Mailloc, Saint-Martin-de-Mailloc, le Mesnil-Guillaume, Glos et St-Jacques-de-Lisieux.
Aux termes de cette concession, la ville d'Orbec, dans le cas où les indemnités de terrain excéderaient la
somme de 250,000 fr., devait contribuer pour moitié dans l'excédant, sans que la part à sa charge pût dépasser
15,000 fr. conformément à une délibération du Conseil Municipal, du 11 août 1868.
Le Concessionnaire devait recevoir une subvention de 60,000 fr. par kilomètre, savoir : 15,000 fr. de l'Etat,
45,000 fr. du Département.
Ces subventions, dont le chiffre total s'élevait à 720,000 fr., devaient être payés, savoir : 360,000 fr. en 1870,
et 360,000 fr. en 1871.
Dans la subvention départementale était comprise une somme de 80,000 fr. votée par les Conseils
Municipaux des villes de Lisieux et d'Orbec, savoir : Lisieux, 30,000 fr. ; Orbec, 50,000 fr.
Ajoutons, de suite, que la commune de St-Martin-de-Mailloc a contribué, pour une somme de 2,500 fr., à la
construction de la ligne. C'est la seule des communes traversées qui ait voté une subvention.
La durée de la concession est celle fixée pour la grande ligne de Paris à Cherbourg et doit, par conséquent,
er
finir le 1 janvier 1957.
L'enquête d'utilité publique qui suivit la signature du traité de concession et l'acceptation par M. Watel du
cahier des charges, se termina par un procès-verbal favorable de la Commission d'enquête, en date du 10 août
1869.
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Le 30 août de la même année, le Conseil général du Calvados approuva la convention passée entre M. le
Préfet du Département et M. Watel.
Le Conseil Général des Ponts-et-Chaussées émit un avis favorable le 20 janvier 1870.
Enfin, l'Empereur rendit, le 30 avril 1870, un décret qui déclarait d'utilité publique l'établissement d'un chemin
de fer d'Orbec à Lisieux, et qui allouait, à cet effet, au département du Calvados, une subvention de 241,650 fr.,
payable en huit termes semestriels, dont le premier terme serait payé le 15 janvier 1872.
Le 12 mai 1870, une Société anonyme, sous la dénomination de Compagnie du chemin de fer de Lisieux à
e
Orbec, se constituait en l'étude de M Mocquard, pour l'exploitation dudit chemin, au capital de cinq cents mille
francs, divisé en mille actions de cinq cents francs chacune, et sous l'administration de MM.
Frédéric-Luc-Hélix d'Hacqueville, propriétaire, membre du Conseil général du Calvados, demeurant à Orbec ;
Napoléon-Joseph, marquis de Colbert-Chabannais, député, demeurant à Saint-Julien-de-Mailloc ;
Pierre Méry-Samson, manufacturier, demeurant à Lisieux ;
Adolphe Moissard, maire de la commune d'Orbec, y demeurant ;
Jules Piel, notaire, demeurant à Orbec ;
Louis-Joseph Watel, propriétaire, entrepreneur de travaux publics, demeurant à Paris, rue Chauveau-Lagarde,
14.
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Le siége social était et est resté rue Chauveau-Lagarde, 14.
Cependant, le Concessionnaire n'avait attendu ni l'entier accomplissement des formalités administratives, ni la
formation définitive de la Société anonyme, pour se mettre à l'oeuvre.
Aussitôt après la signature de la convention passée entre lui et M. le Préfet du Calvados, M. Marsaudout,
ingénieur civil, chargé du projet définitif, avait commencé les études.
Six mois après, c'est-à-dire dans les premiers mois de 1869, il se rendait entrepreneur des travaux et les
commençait.
L'émission à 292 fr. 50 c. de 4,500 obligations, aujourd'hui cotées à la Bourse de Paris, permettait de
poursuivre ces travaux avec une grande activité.
Malheureusement, les événements de 1870-1871 obligèrent de les suspendre pendant une année environ.
Repris après la guerre, ils ont été menés à bien par la Compagnie, malgré les difficultés financières
rencontrées par le Département, qui dut ajourner jusqu'au 26 août 1872 le premier paiement de la subvention,
alors que l'entreprise avait reçu son exécution depuis 1869.
Votée en même temps que les lignes de Falaise à Condé, de Caen à Courseulles et de Mézidon à Dives, la
ligne de Lisieux à Orbec, terminée à la fin d'avril 1873, a été livrée la première à l'exploitation.
Dans l'origine, cette ligne ne devait avoir que 16 kilomètres, parce qu'on avait projeté de l'embrancher à Glos,
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sur la grande ligne de Paris à Cherbourg. Mais, un arrêté ministériel interdit expressément d'établir des passages
à niveau sur des voies directes, ce qui aurait eu lieu pour l'embranchement projeté, et, dès lors, la Compagnie de
l'Ouest ne pouvait consentir à ce que cet embranchement se fit ailleurs que dans la gare même de Lisieux. C'est
pour cette raison que la Compagnie du chemin de fer de Lisieux à Orbec a été obligée de prolonger sa ligne
parallèlement à celle de Paris à Cherbourg, sur une longueur de près de 3 kilomètres.
Le chemin de fer d'intérêt local de Lisieux à Orbec a donc une étendue réelle et totale de 18 kilomètres 750
mètres.
Les courbes qu'il décrit sont peu nombreuses, et leur rayon varie de 800 à 1,000.
Les rampes ne dépassent pas 12 millimètres par mètre.
Les ponts et ponceaux établis tant pour l'écoulement des eaux que pour le passage des piétons, ont été
véritablement prodigués, en même temps qu'un grand nombre de passages particuliers ont été ménagés pour
faciliter l'exploitation des propriétés riveraines. On n'y compte pas moins de 45 passages à niveau, tant
particuliers que publics.
Presque tous les terrains traversés par la voie ont été acquis à l'amiable, et les indemnités réglées de gré à
gré. Trois ou quatre propriétaires seulement ont amené la Compagnie devant le jury d'expropriation.
Ces terrains ont coûté environ de 15 à 16,000 fr. par kilomètre.
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La construction de la voie a nécessité 276,000 mètres cubes de terrassements.
Les travaux d'art, maçonnerie, etc., etc., ont entraîné une dépense de 185,000 fr. environ.
En somme, l'établissement de la ligne, y compris les rails, les traverses et leur mise en place, aura coûté
environ 2,400,000 francs.
Trois stations intermédiaires entre Lisieux et Orbec sont établies : à Mesnil-Guillaume, à la Chapelle-Yvon, à
St-Martin-de-Bienfaite. On y reçoit et on y dépose les voyageurs et les marchandises.
Il y a, en outre, trois arrêts — mais pour les voyageurs seulement — à Glos, à St-Martin-de-Mailloc, à
Orbiquet-Launay.
L'arrêt de Glos pourra ultérieurement être converti en station et recevoir, par conséquent, les marchandises, si
l'expérience en démontre l'utilité.
Il y a régulièrement trois trains montants et trois trains descendants.
Un ou plusieurs trains supplémentaires sont organisés pour les jours de marché et de foires. Il en sera établi
d'autres toutes les fois que les circonstances le réclameront.
Les machines employées par la Compagnie ont toutes la force de 18 chevaux.
Le service est assuré par un matériel qui répond à tous les besoins.
Il est fait à la gare de Lisieux par les employés de la
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Compagnie de l'Ouest, à laquelle, à cet effet, la Compagnie de Lisieux à Orbec paie une redevance annuelle.
A la gare d'Orbec et aux stations et arrêts intermédiaires, le service est fait par des agents spéciaux,
appartenant à la Compagnie de Lisieux à Orbec.
Le directeur de la Compagnie est M. Hélix d'Hacqueville, administrateur délégué par le Conseil
d'Administration de la Société anonyme.
Le directeur de l'exploitation est M. Guyet, ingénieur civil.
III
LISIEUX : Renseignements. — Ses monuments. — Ses maisons antiques.
— Son histoire.
Lisieux, chef-lieu d'arrondissement du Calvados, à 191 kilomètres Ouest-Nord-Ouest de Paris, et à 46
kilomètres Est de Caen, est la tête de ligne du chemin de fer d'intérêt local que nous allons suivre.
Nous commencerons donc par lui consacrer quelques pages.
Bâtie au point où la vallée d'Orbec vient s'unir à la vallée de la Touques, pour n'en plus former qu'une qui se
prolonge, toujours verdoyante et plantureuse, sous ce dernier nom, jusqu'à la mer, à Trouville, Lisieux est dans
une situation des plus agréables. Les frais coteaux qui l'entourent, semés de maisons de campagnes et de
jardins qui se détachent au milieu de plants de pommiers vigoureux, offrent à l'oeil de charmants tableaux.
C'est une ville essentiellement industrielle. Les manufactures de toiles cretonnes, de draps, frocs, flanelles,
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molletons, couvertures, tissus en fil, en poil de boeuf, dits Thibaudes, rubans de fil, bonneterie, peignes à tisser, y
sont nombreuses et importantes. On y compte aussi des blanchisseries de toiles, des filatures de coton, des
draperies, des teintureries, des tanneries, des fabriques de produits chimiques. Il s'y fait, en outre, un commerce
très-considérable de fruits, de volailles, de bestiaux, de cidre, de beurre et de fromages ; produits qui sont en
grande partie dirigés sur Paris ou exportés en Angleterre.
Il se tient à Lisieux plusieurs foires importantes : le mercredi des Cendres, le 6 avril, le 11 juin (8 jours), le 30
er
juin, le 1 août, le 16 octobre.
La population de Lisieux est de 13,121 habitants, mais il convient d'ajouter à ce chiffre celui de 7,660, auquel
s'élève la population de deux communes limitrophes, Saint-Jacques et Saint-Désir, qui sont, bien qu'ayant leur
administration municipale particulière, les véritables faubourgs de la ville.
Lisieux est entourée par un large boulevard élevé en grande partie sur les anciens fossés qui protégeaient la
cité, au moyen-âge, et auquel aboutissent un grand nombre de rues, dont les principales sont la Grande-Rue, qui
traverse la ville de l'est à l'ouest, la rue Pont-Mortain, qui s'étend du nord au sud, et qui, avec le prolongement de
la rue d'Alençon, aboutit à la gare du chemin de fer.
Les hôtels y sont nombreux et généralement confortables ; les plus importants sont : l'hôtel de France, sur le
boulevard Pont-l'Evêque ; l'hôtel de Normandie, rue au Char ; l'hôtel d'Espagne, l'hôtel du Commerce, l'un et
l'autre dans la Grande-Rue ; l'hôtel du Maure, rue de Livarot.
[p. 14]
me
Il y a, à Lisieux : deux imprimerie typographiques : celle de M Lajoye-Tissot, dont l'origine remonte au XVII
me
siècle et qui est constamment restée dans la même famille ; celle de M veuve Piel, crée en 1832 ; — cinq
me
imprimeries lithographiques : M Lajoye-Tissot, MM. Putel, Mack, Poutrel et Gachot ; — cinq librairies : MM.
Beau-Rabot, Rupalley, Bosquain, Grente, Leblond ; — deux journaux paraissant deux fois par semaine : le
LEXOVIEN, journal de Lisieux, fondé en 1816 (le mercredi et le samedi soir) ; le JOURNAL DE LISIEUX ET DE PONTL'ÉVÊQUE (le mardi et vendredi soir).
e
La salle de spectacle, bâtie en 1794 avec les démolitions d'une ancienne église, dédiée à Saint-Germain, qui
s'élevait sur l'emplacement de la vaste place Saint-Pierre, est en mauvais état et aurait besoin de nombreuses
réparations pour devenir confortable.
En revanche, Lisieux possède un charmant Alcazar, situé rue Petite-Couture, où, pendant les soirées d'été,
des artistes choisis chantent des romances, des chansonnettes et jouent des vaudevilles, des comédies, des
opérettes.
Le bureau central du chemin de fer, d'où partent les omnibus pour la gare, est situé place Saint-Pierre.
La poste aux lettres est rue du Bouteiller.
Les voyageurs qui désirent louer des voitures, pour quelques excursions aux environs, en trouveront chez M.
Papillon, carrossier, Grande-Rue, chez Mme Gallot, Grande-Rue, M. Primois, place Saint-Pierre, Mme Deschamps,
rue du Gaz.
Le voyageur qui s'arrête à Lisieux ne saurait se dispenser de visiter ses églises, ses monuments et quelquesunes
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de ses rues qui ont conservé leur physionomie du moyen-âge.
L'ÉGLISE CATHÉDRALE, dédiée à Saint-Pierre, attire tout d'abord l'attention.
Classée depuis 1840 au nombre des monuments historiques de France, d'après les plans et dessins de Piel
(Louis-Alexandre, né à Lisieux en 1807, mort à Bosco (Piémont) en 1841), cette église à 110 mètres de longueur
sur 27 mètres 67 de largeur, et 20 mètres de hauteur. La tour du sud, qui est la plus élevée, à 70 mètres 40
centimètres.
Commencée par l'évêque Herbert, qui occupa le siège épiscopal de Lisieux de 1022 à 1049, elle fut construite
en grande partie par l'évêque Arnoult (1141-1182), agrandie et terminée par Jourdain Duhommet, qui fut évêque
de 1201 à 1218.
C'est un des édifices les plus remarquables et les plus complets qui reste, en France, de la deuxième moitié
du XIIe siècle, c'est-à-dire, de l'époque que les archéologues appellent l'époque de transition.
On ignore, dit la Statistique monumentale de M. de Caumont, le nom de l'architecte qui a construit ce beau
monument, mais la similitude de caractères qui existe entre certaines parties de l'église Saint-Pierre et les
cathédrales de Sens et de Cantorbéry, bâties vers la même époque par Guillaume de Sens, porte à attribuer à ce
célèbre architecte une grande part dans l'édification de la cathédrale de Lisieux.
L'église Saint-Pierre a la forme d'une croix latine. Elle se compose, à l'intérieur, d'une longue nef avec bascôtés, accompagnés de chapelles ; d'un transept dont chaque bras est flanqué, à l'Orient, d'un collatéral ;
[p. 16]
enfin d'un choeur avec déambulatoire, autour duquel rayonnent plusieurs chapelles.
e
La chapelle de la Vierge, placée derrière le choeur, a été élevée dans la première moitié du XV siècle par
l'évêque Pierre Cauchon, en expiation de la sentence inique qu'il avait prononcée contre Jeanne d'Arc Elle
mesure 17 mètres 20 centimètres de longueur sur 6 mètres 88 centimètres de largeur. Elle est décorée de
charmantes boiseries dans le style Louis XV, qui fermaient autrefois les trois travées du choeur les plus
rapprochées du transept.
Les six grands tableaux appliqués sur les murs latéraux du transept étaient autrefois dans le choeur. Ils sont
l'oeuvre d'un peintre rouennais, Lemonnier, qui jouissait au siècle dernier d'une grande réputation. L'un de ces
tableaux porte la date de 1774.
Dans une des chapelles qui rayonnent autour du choeur, celle qui se trouve à l'extrémité du collatéral Sud, on
remarque un tableau représentant le Martyre de saint Sébastien. Ce tableau, qui décorait une des salles de
l'ancien palais épiscopal, a été estimé, en 1760, 5,000 livres, somme considérable pour l'époque.
PALAIS ÉPISCOPAL. — L'ancien palais épiscopal, affecté aujourd'hui aux services des tribunaux, de la prison,
de la bibliothèque et du musée, a été élevé, en 1680, par l'évêque Léonor II de Matignon, au lieu et place du
vieux palais qu'avait fait construire l'évêque Arnoult, et sur l'emplacement même de l'antique château féodal des
évêques de Lisieux.
On y remarque : un escalier monumental en pierre,
[p. 17]
d'une seule volée et d'une grande hardiesse d'exécution. La rampe, en fer forgé et embouti, offre, dans sa partie
supérieure, les lettres L et M entrelacées.
LA SALLE DU SYNODE, aujourd'hui salle d'audience du Tribunal civil, qui mesure 43 m. 33 c. de longueur sur 9
m. 35 c. de largeur, était autrefois décorée d'une belle tapisserie représentant les chasses de François Ier, et d'un
grand portrait équestre de Louis XIV.
LA CHAMBRE ROUGE, maintenant chambre du conseil, est ornée de deux tableaux, l'un représentant Jupiter
allaité par la chèvre Amalthée ; l'autre, le portrait en pied du duc de Bourgogne ; les murs étaient autrefois revêtus
de tapisseries, représentant la prise de Troie et la suite des chasses de François Ier.
LA CHAMBRE DORÉE, dont le luxe rivalisait avec les plus somptueux appartements de nos rois, était jadis
réservée aux personnages de distinction que recevaient les évêques. Le plafond à caissons, couvert de peintures
polycrômes en camaïeu, et au centre duquel est un grand médaillon renfermant les divers attributs de l'épiscopat
et l'écusson de Léonor II de Matignon, fait l'admiration des étrangers. Sur une belle cheminée en bois, sculptée
récemment par un artiste Lexovien, Léonard, est un tableau du peintre Jacques Stella, représentant la
Découverte du Feu. Au-dessus des portes sont peints des sujets empruntés à l'histoire sainte : Tobie conduit par
l'archange Raphael ; le Faux Prophète Balaam ; les Hébreux recueillant la manne dans le Désert.
LE MUSÉE, créé en 1837, et auquel on accède par le Jardin public, renferme quelques tableaux remarquables,
notamment celui d'Hippolyte Flandrin, représentant
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Jésus bénissant les petits enfants ; Tobie ensevelissant les Morts, par Dubuffe ; les Pestiférés, de Carrache ;
l'Enlèvement de Proserpine et l'Aréthuse, de Boulongne ; les Etats de Blois, de Gué ; une Vue de la Vallée
d'Auge, de Coignard ; Jean Le Hennuyer, évêque de Lisieux, sauvant les protestants du massacre de la SaintBarthélemy, de Gosse ; une Scène flamande, de Téniers ; un Portrait de M. Guizot, de Heusse : un Ecce Homo,
attribué à Murillo ; un Portrait de Bonaparte, premier Consul, de Robert Fleury.
Le Musée possède, en outre : des bas-reliefs qui ont servi de modèles pour les sculptures de l'arc-de-triomphe
de l'Etoile ; ce sont : les batailles d'Aboukir et des Pyramides, deux grandes renommées, une partie de la frise ; la
réduction en plâtre du fronton de la Madeleine. Le modèle, également en plâtre, du Lion, de Barye, se trouve
sous le vestibule d'entrée de la salle des Concerts, qui forme une dépendance de l'Hôtel-de-Ville.
La BIBLIOTHÈQUE, créée également en 1837, et dont le premier fond provient des anciennes bibliothèques du
chapitre de la cathédrale, du grand séminaire et des anciens couvents de la ville, compte aujourd'hui environ
12,000 volumes.
Elle est ouverte tous les jours, de 1 à 4 heures.
Le Musée n'est ouvert que le dimanche, de 1 à 4 heures.
LE JARDIN PUBLIC, qui s'étend au nord du Palais épiscopal, et qui a été livré au public en 1837, occupe
l'emplacement d'une partie des jardins de l'ancien évêché, lesquels avaient été dessinés, dit-on, par le célèbre
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Le Nôtre, et étaient ornés de bassins, de cascades et de statues.
Le jardin actuel, dessiné à la française, offre deux vastes pelouses entourées de plates-bandes symétriques,
et séparées par un bassin circulaire orné d'un jet d'eau ; le tout encadré à l'est et à l'ouest par deux belles allées
de maronniers, et au nord par une terrasse sur laquelle s'élèvent les bâtiments renfermant le Tribunal de
commerce, le Greffe civil, le Musée et la Bibliothèque. De cette terrasse, on jouit d'une vue magnifique sur la
vallée de la Touques et sur les riches coteaux qui l'enserrent à droite et à gauche.
L'EGLISE SAINT -JACQUES. Cette église a été élevée sur l'emplacement d'un ancien temple dédié à la Vierge et
à Saint-Jacques, consacré le 1er juin 1130, lequel avait été lui-même élevé sur les ruines d'une ancienne
chapelle, placée sous l'invocation de Saint-Maur, en 1030.
La première pierre de l'église actuelle fut posée en 1496 ; cinq ans suffirent pour son achèvement, mais elle
ne fut solennellement dédiée que le 1er juin 1540.
Elle eut pour architecte Guillaume Samaison, qui, bien qu'il ne prît que la qualification de maître maçon, n'en
était pas moins un architecte habile, ainsi que le prouve la construction même de Saint-Jacques.
Cet édifice appartient à l'ordre ogival tertiaire. L'architecture extérieure est peu ornementée, mais l'intérieur est
léger et élégant.
On y remarque trois magnifiques verrières du XVIe siècle, représentant le Crucifiement, la Grande prostituée
Babylone, et la Légende de la vie de saint Jacques ; un
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tableau fort curieux daté de 1681 et au bas duquel on lit cette légende : Comment les reliques de monsieur saint
Ursin furent apportées par miracle en cette église l'an 1055, par les soins de Hugo, évêque de Lisieux ; les
boiseries de l'orgue, composées en style fleuri du XVe siècle et exécutées par M. Léonard, sculpteur à Lisieux ;
les stalles, style Louis XIV, provenant de l'abbaye du Val-Richer.
L'EGLISE SAINT -DÉSIR. Cette église ne date que de 1768 ; elle est élevée sur l'emplacement de l'ancienne
chapelle des Dames Bénédictines bâtie par Mlle de Matignon, et qui s'écroula.
L'extérieur n'a rien de caractéristique, mais l'intérieur est assez harmonieux. On y remarque une très-belle
sculpture de plein relief représentant un ange suspendu planant au-dessus du maître-autel, et un Christ en bois
sculpté, également d'un véritable mérite.
Les principaux monuments sont : l'Hôtel-de-Ville, jolie construction en brique et pierre, du XVIIe siècle ; —
er
l'Hospice, fondé vers 1672 par l'évêque Léonor I de Matignon ; — le Séminaire, élevé par le même évêque en
1653, sur l'emplacement d'une maison appelée le Manoir de Cocquainvilliers assis en la paroisse de SaintGermain de Lisieux, en la rue du Bouteiller ; — le Collège, fondé par l'évêque Léonor II de Matignon.
Les vieilles et curieuses maisons sont nombreuses à Lisieux. On comprend que nous ne pouvons en donner
la description ; aussi nous bornons-nous à les signaler à
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l'attention par le numéro qu'elles portent dans chaque rue.
Rue aux Fêvres : n° 17, dite maison de la Salamandre, que le crayon de MM. Challamel et Verdier a fait
connaître à tous les artistes et à tous les archéologues ; n° 19, dit Manoir Formeville, non moins remarquable que
la précédente. — Grande-Rue : n°s 3, 22, 34, 35, 39, 41, 43, 50, 57 (manoir Chopin), 59, 61, 63, 65, 67, 97, 99
(manoir de l'Image), 135, 155, 174, 201. — Rue Pont-Mortain : 4 (maison de la Fleur de Lis), 41, 47. — Rue au
Char : 3, 19, 24, 28. — Rue Saint-Jacques : 4 et 8. — Rue des Boucheries : 5, 26, 28, 30, 45, 49, 51, 52, 53, 61,
64, 68, 90. — Rue de la Paix : 8, 9, 10, 18, 21, 24, 27. — Rue d'Orbiquet : 10. — Rue d'Ouville : 2, 13. — Place
du Marché-aux-Boeufs : 12. — Rue du Marché-aux-Chevaux : 21. — Rue Petite-Couture : 12. — Rue du
Bouteiller : 32. — Rue de Caen : 56, 87, 101. — Place Hennuyer : n° 11, la maison qui fait l'angle de ladite place
et de la rue du Bouteiller ; la maison qui fait l'angle de la même place et de la rue de la Chaussée (ancien manoir
canonial).
LISIEUX, Noviomagus Lexoviorum, Lexovium, Lixuvium, Lisovium, remonte à la plus haute antiquité. César,
dans ses Commentaires, nous apprend qu'elle était ceinte de murailles, gouvernée par un sénat et par un
magistrat nommé Vergobret. Elle était la capitale du Lexubii ou Lexovii, dont le territoire, d'une étendue assez
considérable, avait pour limites : au nord, l'Océan, entre l'Orne et la Seine ; à l'est, la Rille ; au sud, une partie du
Perche et de l'Orne.
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L'an 56 avant J.-C., cette contrée fut soumise à la domination romaine par Titurnius Sabinus, l'un des
lieutenants de César, Lorsque cinq années après toute la Gaule se souleva, les Lexovii prirent part au
soulèvement général et envoyèrent à Vercingetorix un secours de 3,000 hommes. La prise d'Alesia par les
Romains mit fin à cette lutte. Sous le règne d'Auguste, le territoire des Lexovii fut compris dans la province
lyonnaise, et Lisieux fut du nombre des soixante cités qui, l'an 12 avant J.-C., élevèrent en mémoire de Rome et
d'Auguste le fameux autel de Lyon.
Deux cents ans plus tard, sous Dioclétien, qui divisa la province lyonnaise en deux parties portant le même
nom, Noviomagus fut comprise dans la seconde lyonnaise, et le territoire des Lexovii fut resserré entre
l'embouchure de la Seine et celle de la Dives.
La seconde lyonnaise fut elle-même divisée un siècle plus tard, mais le territoire des Lexovii ne fut point
démembré, et cette dernière circonscription subsista jusqu'en 1790.
Vers le IVe siècle après J.-C., sous le règne d'Honorius, le nom de Civilas Lexoviorum fut substitué à celui de
Noviomagus.
C'est probablement vers la fin de ce même siècle, lors de la dernière invasion des Saxons, en 383, que fut
détruite Noviomagus Lexoviorum, qui s'élevait à deux kilomètres au nord-ouest de la ville actuelle, et dont les
ruines ont été découvertes en 1770 par l'ingénieur Hubert, chargé de la construction de la route n° 13 de Paris à
Cherbourg.
Quant à la ville actuelle, son origine est inconnue. Cependant, des découvertes récentes de chaussées et de
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ruines romaines sur lesquelles elle est assise, d'un vaste cimetière gallo-romain, donnent à penser que les
habitants de Noviomagus, pour résister aux invasions des barbares, s'étaient construit quelque castrum sur un
point encore ignoré de la cité, autour duquel les maisons se groupèrent peu à peu et finirent par faire de Lisieux,
au moyen-âge, une place de guerre assez importante.
Sous le règne de Charles-le-Chauve (840-877), Lisieux était au nombre des 120 cités où étaient établis des
ateliers monétaires. Les monnaies frappées à Lisieux portaient : LIXOVIIS CIVIS.
Le territoire lexovien, fréquemment exposé aux excursions des Normands, pris et pillé par Rollon, fit partie de
la portion de la Neustrie, que Charles-le-Simple dut lui céder en 912.
En 1047, les troupes de Lisieux, du Lieuvin et de la Vallée d'Auge faisaient partie de l'armée de Henri Ier et de
Guillaume-le-Conquérant, qui battit aux Val-des-Dunes, près Caen, les rebelles qui s'étaient soulevés contre
l'autorité du duc de Normandie.
Pendant les années 1061, 62 et 63, tout le pays de Lisieux fut ravagé par Ernauld d'Echauffour, qui se
vengeait ainsi du duc Guillaume qui l'avait dépouillé de ses domaines.
er
En 1135, sous l'évêque Jean I , qui avait fait entourer la ville de murailles, Geoffroy de Plantagenet, comte
d'Anjou, et Guillaume, duc de Poitiers, qui avaient épousé la querelle d'Etienne de Blois, mirent le siège devant
Lisieux. La guerre dura six ans, pendant lesquels la famine fut telle dans le Lieuvin qu'on en vint à manger de la
er
chair humaine. En 1141, l'évêque Jean I n'ayant plus l'espoir d'être soutenu, remit la place à Geoffroy.
[p. 24]
e
Depuis cette époque jusqu'au commencement du XIII siècle, Lisieux ne fut le théâtre d'aucun événement
politique important. En 1204, Philippe-Auguste voulant réunir la Normandie à la couronne de France, en vertu de
la sentence prononcée contre Jean-Sans-Terre, assiégea notre ville, que l'évêque du Hommet lui remit.
Pendant la guerre de Cent-Ans, Lisieux fut souvent prise et ravagée par les Anglais et par les Français tour à
tour.
Après la réunion de la Normandie à la France, en 1450, elle fut troublée par les guerres de la Ligue, du Bien
public, et par celles de religion.
La cathédrale fut pillée par les protestants, en 1562 ; mais grâce à l'énergie du capitaine-gouverneur de la
ville, Guy de Longchamp, seigneur de Fumichon, et des officiers municipaux, la ville ne fut le théâtre d'aucun
drame sanglant.
Lisieux, qui avait pris parti pour la Ligue, et où les ligueurs normands s'étaient réfugiés après avoir été battus
près de Falaise, fut assiégée par Henri IV, qui s'en empara après un siège de trois jours.
Reprise par les ligueurs, elle se rendit de nouveau, après un siège d'un jour, au seigneur de Fervaques, qui
commandait pour Henri IV.
Sous le règne de Louis XIII, en 1650, Lisieux prit parti pour la Fronde, sous l'inspiration de son évêque,
Matignon, qui fit fermer les portes de la ville au duc d'Harcourt, venu pour s'en emparer. Mais elle ne tarda pas à
se soumettre.
Lisieux, comme tout le reste de la France, d'ailleurs, accepta les principes de la révolution de 1789 ; mais elle
ne s'écarta pas des bornes de la modération pendant les fatales années qui suivirent.
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Toute entière adonnée à l'industrie des draps et des toiles, elle a considérablement grandi et prospéré depuis
le commencement de ce siècle, et notamment depuis une trentaine d'années.
La guerre de 1870-1871 a suspendu momentanément son activité commerciale. Les troupes du prince de
Mecklembourg s'avancèrent sur son territoire après la défaite du Mans et occupèrent quarante-deux communes
de son arrondissement, d'où elles menaçaient incessamment la ville. L'attitude de la population, la bonne
contenance de la garde nationale, qui formait, avec les francs-tireurs Lipowski, la seule force armée de la ville, en
imposèrent pendant quelques jours à l'ennemi, qui se disposait à la bombarder et qui l'eut infailliblement prise si
la nouvelle de la signature de l'armistice ne fût parvenue au moment même où ses colonnes se mettaient en
marche. Les Allemands durent s'éloigner en exprimant le regret de n'avoir pu tirer de la ville une rançon de
1,800,000 francs et de n'avoir pu faire fusiller, pendre ou mutiler certains des habitants qui leur avaient été
désignés comme entretenant dans la population les sentiments patriotiques de résistance.
Parmi les évêques qui ont illustré l'antique siège de Lisieux, nous citerons : Fréculfe (832-850), qui a écrit deux
volumes de chroniques ; — Herbert (1022-1050), qui jeta les fondements de la cathédrale ; — Hugues (10501077), dont l'auteur du Gesta Normamorum fait un pompeux éloge ; — Jean Ier (1107-1141), qu'Orderic Vital
signale comme un prélat fort instruit et qui embellit la ville de plusieurs monuments ; — Arnulphe (1141-1182), qui
a laissé quelques ouvrages qui sont
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imprimés et dont saint Bernard fait un éloge honorable ; — Gui de Harcourt (1303-1336), qui fonda le collège de
Lisieux, à Paris ; — Nicolas Oresme (1377-1382), qui a laissé des traductions d'Aristote et de Pétrarque, un livre
sur la communication des idiomes, et enfin un Traité des monnaies, publié il y a quelques années par M.
Wolowski ; — Thomas Bazin (1447-1474), qui fit accepter la capitulation entre Henri VI et Charles VII, laquelle
détermina la soumission au roi de France des autres évêques de Normandie et des principales villes. Il a laissé
divers ouvrages, écrits en latin, dont les plus remarquables sont une Histoire de Charles VII et de Louis XI, et un
Mémoire justificatif en faveur de Jeanne-d'Arc, publié par M. Quicherat dans le livre intitulé Procès de la
Pucelle ; — Jean Le Hennuyer (1559-1578), grand aumônier sous Henri II, François II, Charles IX et Henri III,
confesseur de Catherine de Médicis ; — Guillaume du Vair (1617-1621), jurisconsulte profond et éloquent,
premier président au parlement d'Aix et chancelier de France sous Louis XIII ; — Philippe Cospéau (1635-1646),
l'un des disciples les plus distingués de l'illustre Juste Lipse ; — Léonor II de Matignon (1677-1714), qui fit bâtir le
séminaire, le collège, les deux hôpitaux, restaurer et embellir le palais épiscopal.
Lisieux a vu naître : Le Huen (Nicolas), auteur de l'A B C des langues grecque, chaldaïque, arabique, etc., et
d'un Voyage à Jérusalem, in-4°, imprimé à Lyon en 1488 ; — Michel Marescot, médecin de Henri IV ; — Marin,
inventeur de l'arquebuse ou fusil à vent ; — le P. Zacharie, capucin, prédicateur célèbre sous Louis XII ;
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— Pierre Vattier, médecin de Gaston d'Orléans, orientaliste distingué ; — Louis Thirel, poète couronné au Palinod
de Rouen et aux puis de Dieppe et de Douai ; — Lange, médecin distingué au XVIIe siècle ; — le P. Anselme,
capucin, prédicateur renommé ; — Jean Le Fèvre, ouvrier tisserand, astronome, membre de l'Académie des
sciences ; — Jean Le Prevost, chanoine, auteur de la Vie des SS. Patrons du Diocèse de Lisieux ; — Loisel de
Boismare, avocat, auteur du Dictionnaire du droit des Tailles ; — François-Jean de Graindorge d'Orgeville, baron
de Mesnil-Durand, tacticien distingué, auteur de divers ouvrages longtemps estimés ; — Jacques-Louis-César
de Mesnil-Durand, tacticien distingué, auteur de divers ouvrages longtemps estimés ; — Jacques-Louis-César
Jardin, collaborateur du Courrier en 1794 ; — Jean-Baptiste-Christophe Grainville, auteur de traductions en prose
de poètes latins, italiens et espagnols ; — Antoine-Charles Lebret de Saint-Martin, auteur du Journal du
Palais ; — Louis-Charles Vierne, écrivain spirituel et rédacteur du journal le Patriote, auteur d'un abrégé de
l'histoire de la Révolution française ; — Louis-Alexandre Piel, dominicain, architecte, littérateur ; — Louis Du Bois,
auteur d'une foule d'ouvrages sur l'histoire de Normandie, et d'une histoire de Lisieux ; — le baron François
er
Rosay, maréchal de camp, adjudant-major général des chasseurs à pied de la garde impériale (1 empire) ; — le
baron de La Fosse, maréchal de camp, qui se distingua à l'attaque de Lérida ; — Jean-Lambert FournetBrochaye, manufacturier, qui a contribué au développement considérable de l'industrie des draps et des toiles, à
Lisieux ; — Charles Le Myre de Vilers, général de brigade, qui se distingua à Alger et à Anvers.
Il y a à Lisieux une Société d'Emulation, une Société
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d'Horticulture et de Botanique ; une Société historique ; — deux cercles, dont l'un, dit Salon littéraire, est situé rue
du Bouteiller, et l'autre, dit Cercle du Commerce, est installé rue Petite-Couture.
IV
La Gare. — Les Prés de Beuvillers. — Les Quatre-Sonnettes. — JeanMarie. — L'Usine d'Orival. — Les Pavements. — L'Eglise de
Beuvillers. — Le Manoir. — L'Usine Laniel. — Aspect de Glos.
Ce n'est point un voyage que nous allons entreprendre, — vous le savez déjà, — c'est une simple excursion,
une véritable promenade, mais une promenade ravissante. Ce n'est point un chemin que nous allons parcourir,
c'est l'allée charmante d'un parc que nous allons suivre ; — parc immense et magnifique, accidenté de sites
pittoresques, jalonné de châteaux et de maisons antiques, de maisons de campagne modernes et de clochers
rustiques, de fermes et d'usines ; traversé dans toute sa longueur par une rivière limpide à laquelle huit ou neuf
petits ruisseaux babillards apportent l'eau des coteaux voisins, après avoir sillonné la vallée en entretenant
partout la fraîcheur, sans cesser d'alimenter les moulins tapageurs et de prêter aux machines à vapeur un
concours efficace. C'est, en un mot, un splendide panorama qui va se dérouler sous vos yeux enchantés.
Tenez, nous voici dans la gare, qui est commune à celle de Paris à Cherbourg, les deux Compagnies du
chemin de fer de l'Ouest et de Lisieux à Orbec s'étant entendues à cet effet. Jetez autour de vous un rapide
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coup-d'oeil. Le tableau n'est-il pas déjà des plus agréables et des plus séduisants ?
A votre gauche, ce long ruban jaunâtre que vous apercevez à travers les éclaircies que laissent, de place en
place, les maisons qui la bordent et dont l'ensemble forme le quartier, dit les Maisons-Rouges, c'est l'ancienne
route d'Orbec, à laquelle la voie ferrée va faire une concurrence redoutable ; c'est cette route là qu'un homme
connu dans tout le pays, le brave père Harang, a parcouru, deux fois par jour, pendant 61 ans ; ce qui, à 40
kilomètres par jour, représente pour les 61 ans un parcours total de 891,200 kilomètres, ou à peu près 22 fois la
circonférence de la terre.
Au-dessus, ces maisonnettes et ces jardinets qui grimpent et s'étagent en amphithéâtre sur le flanc du côteau,
c'est tout un quartier nouveau de la ville de Lisieux, le quartier des Terres-Noires, que dominent le cimetière
commun à la ville et à la commune Saint-Jacques, et la coquette habitation du colonel Humbert, gracieusement
ouverte aux promeneurs du dimanche.
Devant vous, la vallée d'Orbec qui commence et que nous allons suivre dans toute sa longueur. Presque tous
les terrains qui se trouvent à gauche de la voie appartiennent maintenant à la Compagnie de l'Ouest, qui en a fait
l'acquisition, il y a quelques années déjà, dans le but de donner un développement considérable à la gare de
Lisieux, dont l'importance a, depuis longtemps, dépassé les prévisions.
Tout le vaste espace où les locomotives circulent et se croisent sur un réseau serré de rails qui s'entremêlent
les uns dans les autres, était naguère encore une verdoyante
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prairie qu'on appelait les Près-de-Beuvillers, probablement parce qu'ils dépendaient du territoire de la commune
Saint-Jacques. Les Prés-de-Beuvillers étaient, au Sud de la ville, ce que le Grand-Jardin était au Nord : le rendezvous, dans la saison d'été, des promeneurs, des enfants et des amateurs de bains froids. Là, les familles
venaient le dimanche s'asseoir sur l'herbe touffue, après une promenade le long de la chaussée qui borde la
rivière, dite la chaussée de Beuvillers, où elles cueillaient des fleurs champêtres, tandis que les enfants jouaient
sous leurs yeux, courant bruyamment les uns après les autres, ou lançant dans les airs leurs écoufles, car c'est
ainsi que, dans le pays, on appelle les cerfs-volants. Il y avait là sur la rivière, un endroit, dit les Quatre-Ormes, où
tous les amateurs de la natation venaient faire la coupe ou la planche, et piquer des têtes à discrétion.
A droite, ce sont les hauteurs de Beuvillers, que couronnait autrefois un pavillon affectant la forme chinoise, et
dont les antiques paravants avaient sans doute fourni le modèle à l'architecte. On l'appelait le Pavillon des
Quatre-Sonnettes ; il dominait un petit bois, aujourd'hui défriché, où dans les mois d'avril et de mai les gamins de
la ville et des faubourgs allaient cueillir des porions (plante de la famille des Amaryllidacées), dont ils faisaient de
gros bouquets qu'ils rapportaient, enfilés à de longues baguettes, en criant joyeusement : qui veut des porions
pour deux liards ? Deux liards, c'était le prix du gros bouquet.
Dans ce coin touffu, où vous apercevez trois ou quatre bâtiments noirs et blancs, coiffés de casques de tuiles
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brunes, il y avait autrefois une guinguette fameuse, aimée des grands buveurs de cidre. C'était la guinguette à
Jean Marie, et elle était si fréquentée qu'elle avait donné son nom au chemin du Sap et de Beuvillers, par lequel
on y accédait. Il se débitait là des tonneaux de purée octobrale, comme aurait dit Rabelais, s'il eût été Normand, à
faire rougir le célèbre Grandgousier lui-même.
Le populaire Jean Marie, comme le pavillon des Quatre-Sonnettes, comme le bois de Beuvillers, n'existe plus
depuis longtemps déjà, mais le chemin subsiste toujours. Il ne conduit plus à la guinguette, mais bien à
l'importante usine que vous voyez là, bordant la voie ferrée, et dont la haute cheminée s'aperçoit de Glos, c'est-àdire d'une distance de près de 5 kilomètres.
C'est l'usine d'Orival, l'une des plus grandes et des plus belles manufactures de France pour la filature du lin,
le tissage de ces toiles cretonnes si renommées, qui forment, depuis un temps immémorial, une des branches les
plus importantes de l'industrie lexovienne.
C'est une usine modèle, sur laquelle, si vous le voulez bien, cher lecteur, je puis, en attendant le signal du
départ, vous donner quelques détails statistiques intéressants.
Commencé en 1858 par M. Fournet, cet établissement fut définitivement mis en marche le 10 avril 1860. Il
occupe aujourd'hui 980 personnes, dont 550 femmes et 90 enfants de 12 à 16 ans.
Le nombre des métiers à filer est de 40, dont 26 à filer à mouillé et 14 à filer à sec.
Il y a 354 métiers à tisser fonctionnant tous dans la même salle.
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On y dépense annuellement 1,100,000 kilog. de lins bruts, produisant en fils divers (depuis le n° 8 jusqu'au n°
20) 30,000 paquets, qui, blanchis, représentent un poids moyen par an de 750,000 kilog., et servent à
confectionner, en moyenne, 22,000 pièces de toiles.
Le nombre des chaudières à vapeur est de 5 ; celui des machines à vapeur, de 6. Ces dernières, réunies dans
une même salle, ont une force nominale de 340 chevaux.
Le chauffage des chaudières consomme, chaque jour, dix tonnes de charbon.
L'éclairage au gaz en absorbe 800 kilog. dans le même espace de temps.
M. Fournet, l'honorable industriel, qui a créé ce remarquable établissement, n'a rien négligé pour l'intérêt moral
et le bien-être matériel de la nombreuse population ouvrière qu'il devait occuper.
Ainsi, il existe à Orival un fourneau économique, une caisse de secours mutuels, une école et une salle
d'asile, où près de 250 enfants reçoivent l'instruction gratuite et obligatoire. Dans l'atelier de tissage, où près de
350 hommes sont constamment réunis, il a fait établir, d'après les renseignements fournis par M. le général
Morin, directeur du Conservatoire des Arts et Métiers de Paris, un système de ventilation des plus remarquables,
qui protège efficacement les ouvriers contre les funestes effets d'une agglomération aussi considérable.
Son petit-fils et son successeur, M. Paul Duchesne-Fournet, fait en ce moment même forer un puits pour
obtenir une eau jaillissante, qui complétera d'une manière curieuse l'aménagement déjà si remarquable de ce
vaste établissement.
Vous voyez que j'avais bien raison de dire que l'usine d'Orival était une usine modèle.
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J'ajoute qu'elle a, à Livarot, une annexe qui n'est pas non plus sans importance, puisqu'elle occupe, tant à la
filature qu'au tissage et au blanchissage, environ 150 ouvriers.
Si l'on compte encore les individus occupés au tissage à la main, et dont le nombre ne s'élève pas à moins de
600, on voit que la manufacture d'Orival entretient, en somme, une moyenne de 1,730 ouvriers : toute la
population d'une petite ville.
C'est donc avec raison qu'elle est considérée comme la plus importante de la contrée, et même comme l'une
des plus considérables de France.
Mais le sifflet de la locomotive résonne dans la vallée ; le train se met en marche et nous éloigne de cette
ruche ouvrière. Regardons maintenant tantôt à droite, tantôt à gauche, et permettez-moi de vous signaler ce que
nous apercevons de plus remarquable et de plus intéressant, comme sites et comme monuments, et de vous
redire les souvenirs historiques ou autres que rappellent les communes que nous allons traverser
successivement.
Pour franchir cette première partie de la vallée que nous avons indiquée sous le nom de Prés de Beuvillers, la
ligne de Lisieux à Orbec s'avance côte à côte de la ligne de Paris à Cherbourg sur une longueur de 860 mètres
environ. Cette première fraction de son parcours a été cédée à la Compagnie de Lisieux à Orbec par celle de
l'Ouest qui, pour des raisons de prudence et de sécurité, qu'il est facile d'apprécier, n'a pas consenti à ce que la
voie d'intérêt local s'embranchât sur la voie principale, à Glos, comme le proposait la Compagnie concessionnaire
de cette dernière.
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Si court que soit le temps employé à parcourir ces 860 mètres, pendant lesquels la locomotive semble prendre
son élan pour franchir les 20 kilomètres qui séparent Lisieux d'Orbec, nous pouvons remarquer à notre gauche,
bordant le côté gauche également de l'ancienne route, une construction pittoresque, coiffée d'un ample toit de
tuiles rouges qui semble l'écraser. C'est ce qu'on appelle les Pavements.
Est-ce un château ? Est-ce un manoir ? Est-ce une antique ferme ?
On ne sait trop. Les archéologues déclarent ne savoir quel titre lui donner.
Quoiqu'il en soit, voici la description que M. Raymond Bordeaux a faite de ce singulier bâtiment, qui date du
e
XVI siècle :
« L'habitation principale présente un premier étage en bois, jeté en encorbellement sur un rez-de-chaussée de
pierres blanches ; des poutres énormes, décorées de têtes fantastiques, qui semblent vouloir engloutir dans leur
énorme gueule l'extrémité des corniches à moulures de la Renaissance, forment l'encorbellement. Puis, audessus, un toit en forme d'auvent s'avance entre le premier étage et le rez-de-chaussée, pour abriter ces
sculptures. De vastes lucarnes dépassent les toitures déjà très-saillantes. Des tuiles rouges, clouées comme de
l'essente, revêtent en certains endroits la façade. Ces poutres travaillées, ces têtes fantastiques qui saisissent
entre leurs dents crochues les extrémités des faisceaux de moulures, les lucarnes immenses, les ravalements en
tuile ; tout cela forme le caractère commun de la plupart des maisons anciennes de Lisieux et des châteaux du
Pays-d'Auge ; mais aux
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Pavements, la physionomie des constructions locales a paru plus fortement accentuée qu'ailleurs. Cette
habitation, semi-féodale et semi-rustique, doit à l'ampleur de ses toitures beaucoup de l'apparence du châlet
suisse.
Les deux portes qui donnent accès dans la maison ont de beaux chambranles à sculptures gothiques. Leur
arc surbaissé est garni de feuilles de chardon et d'un de ces bouquets, ou crosse végétale, que les archéologues
anglais nomment filials.
Deux écussons sont sculptés dans le couronnement de ces portes : l'un porte une roue comme pièce
principale, avec peut-être la date de 1561 en chef. L'autre paraît avoir été armorié d'un chevron et d'un chef
chargé d'un T accosté de deux roues. »
Ce premier écusson a permis à M Ch. Vasseur d'indiquer le nom du personnage auquel on doit cette
construction. « La roue d'or à huit raies sur champ d'azur, dit notre savant concitoyen, appartient à la famille de
La Reue, laquelle concourut avec les Le Valois à l'édification de l'église Saint-Jacques. Cette famille, d'origine
lexovienne, s'illustra dans la magistrature. En rapprochant des dates le style du monument, on peut, sans
témérité, en attribuer la construction à Thomas de La Reue, conseiller en court lais et lieutenant-général du bailli
d'Evreux. »
Le même blason se retrouve dans l'une des clefs de voûte de l'église Saint-Jacques, parmi ceux de plusieurs
notables bourgeois de Lisieux, qui avaient contribué, par leurs largesses, à la construction de l'édifice.
Pendant que nos regards sont attirés par le monument
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bizarre que nous venons d'indiquer, la vapeur nous a rapprochés d'un viaduc réservé pour le passage d'un
chemin qui descend du côteau de droite pour rejoindre la grande route. Ce chemin, c'est celui de Beuvillers, dont
nous allons parcourir le territoire sur une étendue de 1505 mètres.
L'église que nous apercevons au sommet du côteau, au-dessus de nos têtes, couronnant une briqueterie
importante tout nouvellement installée, c'est l'église de Beuvillers. Elle est de date récente (1863), et s'élève un
peu au-dessous de l'emplacement qu'occupait l'ancienne église, dont la construction, très-ancienne, remontait,
d'après M. Arthème Pannier, à la période romane.
A l'intérieur, comme à l'extérieur de cet antique et curieux édifice, les murs avaient conservé leur litre funèbre
d'écussons. Ces blasons, qui ont été relevés avec soin par M. Ch. Vasseur, étaient ceux de la famille de
Franqueville.
Ce sont probablement les seuls vestiges qui aient été conservés de cette église. Car le maître autel, l'un des
plus riches de l'ancien diocèse de Lisieux, le rétable, qui datait de Louis XIV, le tabernacle, « oeuvre de patience
e
et de goût du XV siècle, » qui avait appartenu à l'ancienne abbaye de Notre-Dame-du-Pré, à Saint-Désir, les
statues de sainte Cécile, en pierre, du XVe siècle, de sainte Radégonde, en bois, du règne de Louis XIII, les deux
petits autels latéraux, et l'arc triomphal qui les surmontait harmonieusement, tout cela n'a pas trouvé place dans
l'église nouvelle, et est dispersé, sans doute anéanti, aussi bien que les six pierres tombales qui se voyaient dans
le choeur, et dont l'une avait conservé, en partie du moins, son inscription gothique.
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Beuvillers, qu'on prononce Beuvillers, et qu'on devrait écrire ainsi, comme l'écrivaient d'Anville, dans sa Carte
du Diocèse de Lisieux, et l'auteur du Pouillé général de l'archevêché de Rouen, en 1648, Beuvillers vient d'un mot
roman, Buef (boeuf), et d'un mot latin villare, ce qui veut dire village des boeufs.
C'est une petite commune du premier canton de Lisieux, qui ne comptait autrefois que 42 feux. Elle est
aujourd'hui plus importante. L'établissement de diverses usines y a attiré une population ouvrière qui anime cette
riche partie de la vallée d'Orbec.
Elle a une superficie de 446 hectares et une population de 570 habitants.
La patronne de Beuvillers est sainte Anne, et la fête communale ou l'assemblée a lieu le dimanche qui suit le
26 juillet.
Beuvillers était autrefois un fief relevant de l'évêché de Lisieux.
e
Au XVI siècle, ce fief appartenait à la famille d'Osmont. Guillaume d'Osmont l'échangea en 1640, avec Jean
le Michault, qui obtint cinq ans plus tard des lettres de noblesse et le titre d'écuyer. Son fils aîné, (l'aîné de dix-huit
enfants), Guillaume, fut seigneur de Beuvillers ; mais il décéda, laissant pour héritière sa soeur Françoise Le
Michault, qui avait épousé Jacques de Franqueville, en 1653.
e
La famille de Franqueville posséda le fief de Beuvillers jusqu'à la fin du XVIII siècle. Claude-Jean-Baptiste de
Franqueville, n'ayant eu qu'une fille, cette terre passa dans les mains de Joseph-Laurens de Grieu, dont la fille,
Marie-Claude de Grieu, épousa Pierre-Brunot-Emmanuel
[p. 38]
Estièvre, marquis de Trémauville, qui existaient encore en 1816 et qui furent les parrains de la cloche que
contenait le clocher de l'ancienne église de Beuvillers.
Le manoir féodal de Beuvillers était situé dans le fond de la vallée. Il n'en reste plus qu'une poterne flanquée
de deux tourelles que l'on aperçoit à gauche non loin de l'ancienne route.
Voici la description que donne de cette sorte de tête de pont, dont l'effet est si pittoresque au milieu de cette
fraîche vallée, M. Raymond Bordeaux, dans son Excursion archéologique aux environs de Lisieux.
« Le rez-de-chaussée est bâti en damier de pierres et de briques alternativement rouges et vertes ; le premier
étage est en bois, recouvert d'essentes disposées en dessins variés. Un escalier à vis, contenu dans une des
tourelles, mène dans une chambre haute placée au-dessus de la porte, où existe, à peu près complet, un
superbe pavage en carreaux de terre cuite, dont dont l'émail jaune et vert est d'une rare fraîcheur encore. Des
fleurons de la Renaissance décorent chacun de ces pavés, tous semblables de dessin, mais tantôt bruns avec
des fleurons verts, tantôt rouges avec des fleurons jaunes. Ces pavés sont disposés quatre par quatre pour
composer des rosaces, et les rosaces alternent de manière que le plancher de la chambre présente un échiquier
rouge et vert, couleurs qui se remarquent aussi dans l'appareil de la maçonnerie. »
Ces jolis pavés émaillés, dont parle M. R. Bordeaux, venaient de la fabrique du Pré-d'Auge, autrefois si
renommée.
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Cette remarquable tête de pont, à laquelle on a conservé dans le pays le nom de Manoir de Beuvillers, est
aujourd'hui convenablement restaurée, et offre un charmant aspect.
A peine a-t-on aperçu cet intéressant débris de l'architecture du moyen âge, que le chemin de fer s'encaisse et
ne laisse plus voir que le côteau de droite, couvert d'une riche plantation de pommiers.
Mais bientôt le terrain s'abaisse au niveau de la voie et permet au voyageur de découvrir à sa gauche
l'importante usine de M. Laniel, et les villages de Beuvillers et de Grais, qui se succèdent sans distinction
perceptible, bordant les deux côtés de l'ancienne route.
Ces deux agglomérations ne forment en réalité qu'une cité ouvrière, presque exclusivement habitée par les
ménages occupés dans l'usine Laniel. Mais elles offrent cette particularité que l'une, celle qui est la plus
rapprochée de la ville, fait partie de la commune de Beuvillers, tandis que l'autre appartient à la commune de
Saint-Jacques. Il résulte de cette délimitation bizarre que la voie ferrée qui, au sortir de la gare, parcourt 860
mètres sur le territoire de la commune Saint-Jacques, traverse la commune de Beuvillers sur une étendue de
1,505 mètres, à l'extrémité de laquelle elle se retrouve sur la commune Saint-Jacques, pendant 538 mètres.
Franchissant ensuite le ruisseau de Carrelet, qui descend des hauteurs de Beuvillers, et un passage à niveau
commun à la ligne d'Orbec et à la ligne de Cherbourg, près duquel veille un garde-barrière, le train rase à
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gauche une usine à usage de moulin à foulon, qui depuis deux ans a été transformée en fabrique d'apprêts.
Plus loin, du même côté, des toiles blanches étendues sur l'herbe verte de la prairie comme une nappe
immense et immaculée, nous révèlent la présence d'une blanchisserie, dont on aperçoit en effet les bâtiments audessous d'un charmant vallon, ménagé entre deux mamelons du côteau que l'oeil ne se lasse point d'admirer.
La voie ferrée s'abaisse un instant pour franchir la ferme dite des Ursulines, plantée de vigoureux pommiers.
Puis, se séparant de la ligne de l'Ouest, qui remonte vers l'Est, tandis qu'elle continue d'avancer vers le Sud, la
ligne d'Orbec se dégage des haies qui la bordent et qui sont crénelées de nombreuses barrières réservées pour
l'accès des propriétés riveraines, et permet au voyageur de découvrir le coteau sur lequel se dresse le village de
Glos.
Le coup-d'oeil dont on jouit alors est des plus pittoresques, et véritablement digne des pinceaux d'un
paysagiste.
L'église s'élève majestueusement au sommet de ce côteau, et la flèche de son clocher se dresse au-dessus
de tous les côteaux voisins, se détachant vivement sur le fond azuré du ciel.
Au pied de ce mamelon, qui forme dans la vallée un renflement considérable, est une usine alimentée par un
cours d'eau descendant des hauteurs de Villers, à droite, et dont on aperçoit la roue verdâtre et humide tourner
lentement.
A côté, une nouvelle blanchisserie, dont les toiles étendues semblent une immense tache blanche surele
parquet de la vallée.
Traversant ensuite les fermes dites le Fief de Bray, à
[p. 41]
gauche, et la Brairie, à droite, le train ralentit sa marche et s'arrête un instant pour déposer ou recevoir les
voyageurs.
Profitons de ce temps d'arrêt pour dire quelques mots de la commune sur laquelle nous nous trouvons, et que
nous allons traverser sur une longueur de 1,951 mètres
V
GLOS. — Renseignements géographiques, géologiques et industriels.
— Son histoire. — Son église. — L'auberge du Grand-Saint-Laurent. —
L'aqueduc romain. — Le manoir de la Vallée. — Un autre manoir.
— Les bruyères de Glos. — Le château de Coq.
GLOS, commune du premier canton de Lisieux, à 5 kilomètres de cette ville, traversée par la route d'Orbec, et
arrosée par l'Orbiquet et la rivière de Saint-Paul-de-Courtonne, a une superficie de 1,284 hectares, et une
population de 955 habitants.
L'agglomération d'une partie de la population sur les deux côtés de la route d'Orbec, forme un joli village, dans
une situation pittoresque, au sommet d'une colline presque entièrement faite de sable, qui sépare la vallée
d'Orbec du vallon plus sauvage au fond duquel est située Courtonne-la-Meurdrac.
Le chemin de fer de Paris à Cherbourg passe en tranchée dans ce village.
Le sol de cette commune, généralement sablonneux, offre aux géologues et aux conchyliologistes
d'intéressants sujets d'étude. Il appartient au Coralien supérieur, et se compose : 1° de terre végétale ; 2° de
sable jaune-rouge dans sa partie supérieure, et jaune dans sa partie inférieure ;
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il est parsemé de débris de trigonies et autres coquilles, et renferme cinq bancs d'un grès quartzeux à ciment
calcaire, qui contient des lignites et des trigonies. Le premier de ces bancs contient, de plus, des oolites brunes,
et entre le même banc et celui qui le suit, on trouve une espèce de minerai de fer mélangé de sable ferrugineux
sable vert ;
calcaire lithographique,
et sable vert ; 3° deux bancs de grès semblables aux précédents ; 4° calcaire lithographique, de médiocre qualité
et de petite épaisseur ; 5° deux couches de calcaires à oolithes blanches.
M. le docteur Emile Goubert a donné une note sur le gisement de Glos, et, avec la collaboration du docteur
Zittel, une description des fossiles qui s'y rencontrent. Ces deux notes ont été publiées par le Journal de
Conchyliologie (1861).
On exploite à Glos ces carrières de sables et de calcaires à grain terreux, désignés dans le pays sous le nom
de pierre à chaux.
La rivière de Saint-Paul-de-Courtonne alimente plusieurs moulins à blé.
Il y a à Glos deux usines importantes ; l'une à usage de filature de laine avec tissage, occupant une
quarantaine d'ouvriers, appartient à MM. Bazin et Peulevey, manufacturiers à Lisieux ; l'autre à usage de filature
de laine également, mais avec une foulonuerie, employant 50 ouvriers, appartient à M. Thouet, de Glos.
GLOS, Glocium (dans une charte de 1284), Glotto (dans une pièce qui existe dans l'Inventaire du trésor des
Chartes), Gloz, Glots, Glos-sur-Orbiquet, Glos-sur-Lisieux (dans Cassini), était autrefois une des sept baronnies
qui composaient le comté de Lisieux et relevaient par conséquent de la juridiction de l'évêque.
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Un seigneur de Glos prit part à la conquête de l'Angleterre en 1066.
En 1220, Robert de Glos, fils de Philippe, donna à la Maison-Dieu de Lisieux plusieurs redevances qui lui
étaient faites à Glos.
Il existe dans l'inventaire du Trésor de Chartes une obligation de l'évêque et du chapitre de Lisieux, pour
plusieurs acres de terre et divers droits aux paroisses de Glos (Glotto) et Cordebugle (Cornububali), et autres pris
à ferme du Roi.
Le curé de cette commune, dit M. Louis Du Bois, avait le droit, dont l'origine est inconnue, de dire la messe
armé, botté et éperonné, au maître-autel de la cathédrale, sur un coin duquel il déposait son faucon. Ce privilége
avait probablement pour origine quelque service rendu à l'évéché, par un ancien curé de Glos, à l'époque où les
ecclésiastiques se livraient à l'exercice de la chasse et de la guerre.
Glos possédait autrefois un château fort ; mais il n'en reste plus aucun vestige, sinon, peut-être, une motte
féodale qu'on remarque au-dessous de l'église, près de la rivière d'Orbec ; c'est près de cette motte que la
tradition fixe l'emplacement de ce château.
Cette partie du territoire Lexovien semble avoir été le théâtre de luttes sanglantes, ainsi que le donne à penser
la découverte faite, en 1859, d'une grande quantité de médailles des règnes de Philippe de Valois, Jean Le Bon,
er
Charles V, Louis I et Louis II, et de boulets en pierre, entassés dans une ancienne carrière de marne, divisée en
plusieurs galeries.
L'ÉGLISE de Glos, qui s'élève au sommet de la colline,
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est une des plus anciennes et des plus intéressantes des environs de Lisieux. Sa construction paraît remonter
aux premières années du XIe siècle.
L'intérieur offre un riche mobilier : on y remarque de belles boiseries qui datent de Louis XIV ; des stalles, dont
e
les accoudoirs sont rares et curieux ; un lutrin, très-remarquable, style Louis XV ; un bénitier du XVI siècle ; un
très-beau chemin de croix moderne.
L'église de Glos a pour patron saint Laurent. — La fête communale, ou l'assemblée, a lieu dans les premiers
jours d'août.
L'AUBERGE qui a pour enseigne : Au Grand-Saint-Laurent, et qui se trouve au sud de l'église, de l'autre côté du
cimetière, était autrefois une chapelle dédiée au saint, dont l'auberge a gardé le nom.
AQUEDUC ROMAIN. — En 1848, M, le docteur Billon a découvert, à Glos, sur le penchant d'un coteau qui
domine à gauche la route d'Orbec, un peu en deçà du pont, un aqueduc romain très-bien conservé, qui portait à
la cité des Lexovii l'eau prise à une source voisine.
Dans la prairie, entre l'église et l'Orbiquet, on remarque une ancienne construction en bois, près de laquelle
s'élève un colombier de forme circulaire : c'est un ancien manoir, dit Manoir de la Vallée, qui appartenait autrefois
à la famille de Franqueville, dont nous avons déjà parlé à l'article Beuvillers.
Lorsque, se dirigeant vers Orbec, le train s'éloigne de l'endroit où il s'arrête à Glos, nous laissons à notre
gauche une ancienne construction en bois d'une certaine
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importance, qui s'élève à l'angle d'un chemin, et dont le premier étage est bâti en encorbellement. C'est une
construction du XVe siècle, qui a dû appartenir à quelque communauté religieuse, peut-être à une communauté
d'Ursulines, dont le nom est resté à une propriété que nous avons signalée déjà en venant de Beuvillers.
Puis la voie longe à droite un côteau, tantôt aride, tantôt planté de jeunes et vigoureux pommiers, au sommet
duquel s'étendent, formant un plateau très-élevé, les Bruyères de Glos, bien connues des botanistes, et où
croissent des plantes rares, dont un Lexovien, M. Durand-Duquesnay, a dressé un catalogue raisonné, inséré
dans l'unique Bulletin des travaux de la Société d'Emulation de Lisieux, publié en 1846.
Le train s'engage au milieu d'un véritable verger, planté de nombreux et verts pommiers, au milieu desquels, à
mi-côte, à droite, s'élève une maison en pierres, qu'on dit provenir des ruines d'un ancien manoir que la tradition
désigne sous le nom de Château de Coq. Ce château, dont on voyait encore quelques vestiges des murs de
fondation, il y a une vingtaine d'années, aurait, toujours d'après la tradition restée dans le pays, été détruit par les
Anglais, après la bataille de Formigny (15 avril 1450), qui les força d'abandonner la Normandie.
Après avoir franchi un passage à niveau surveillé par un garde-barrière, le convoi sort un instant des
pommiers qui masquaient la vue, et l'on découvre, à droite, un long rideau de peupliers qui traverse la vallée et à
l'extrémité duquel on aperçoit, près de la voie ferrée, une masse noirâtre entourée d'arbres verts de haut jet :
c'est le château de Mesnil-Guillaume.
Longeant à gauche un ruisseau qui vient de ce château,
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et à droite le côteau, cette fois dénudé, presque aride, la ligne de fer rase le château, franchit un nouveau
passage à niveau flanqué de la maison du garde-barrière, et arrive à la station de Mesnil-Guillaume, d'où nous
apercevons devant nous, à droite, l'église de cette commune autour de laquelle sont groupées quelques maisons
propres et coquettes, en briques et couvertes en ardoises, et à gauche, sur la route de terre, l'agglomération de
maisons et d'usines qui forme le village de Mesnil-Guillaume.
VI
MESNIL-GUILLAUME : Renseignements géographiques et industriels.
— Le Château. — L'Église.
MESNIL-GUILLAUME, commune du premier canton de Lisieux, à 7 kilomètres de cette ville ; traversée par la
route de Lisieux à Orbec, sa superficie est de 385 hectares, et sa population de 384 habitants.
Les usines les plus importantes sont : une filature de laine, occupant 25 à 30 ouvriers ; une manufacture de
draps, qui occupe 45 ouvriers, appartenant l'une et l'autre à M. Eugène Adeline, négociant à Lisieux ; une
papeterie, où 20 ouvriers sont employés, et qui appartient à M. Auguste Dubos ; une usine pour effilochage, qui
emploie 6 personnes.
MESNIL-GUILLAUME, Mesnillus Guillelmi, était autrefois une seigneurie dépendant du doyenné d'Orbec et de la
sergenterie de Moyaux.
LE CHATEAU, que nous avons aperçu il n'y a qu'un
[p. 47]
instant, est un des plus importants et des plus remarquables de la contrée. Il est formé de quatre corps de logis,
avec une cour carrée au milieu, comme beaucoup d'habitations seigneuriales du temps de Henri IV et de Louis
XIII. L'architecture, mélangée de briques et de pierres, produit un effet harmonieux. Les colombages verticaux
e
e
sont chargés d'ornements dans le goût de ceux des maisons des XV et XVI siècles, qu'on remarque à Lisieux.
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A la fin du XV siècle, la terre de Mesnil-Guillaume appartenait à Guillaume de Trousseauville, chevalier, et
seigneur de Giverville et de Morainville, en Lieuvin.
e
Au XVI siècle, elle appartenait à la famille Le Valois, dont nous avons eu occasion de parler lorsque nous
avons signalé l'église Saint-Jacques-de-Lisieux.
Au XVIIe siècle, elle était passée à la famille de Mailloc.
Elle appartient aujourd'hui à M. de Margeot de Saint-Ouen.
L'ÉGLISE de Mesnil-Guillaume, dont l'origine est fort ancienne, a été agrandie vers 1852 ou 1853. En 1856, on
e
a transporté le clocher, qui se trouvait élevé sur l'arc triomphal, et qui datait du XV siècle, sur la partie construite
pour l'agrandissement.
On y remarque une statue de saint Hildevert, évêque, qui date du moyen-âge, et quelques restes de pavage
en carreaux émaillés.
Elle est placée sous l'invocation de Notre-Dame.
A la hauteur de la station de Mesnil-Guillaume, l'Orbiquet se rapproche sensiblement de la voie ferrée pour
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s'en éloigner presque aussitôt par un brusque détour et reprendre son cours sinueux vers le milieu de la vallée.
En s'éloignant de la station, le convoi s'engage au milieu de plantureux vergers, plantés de pommiers à droite
et à gauche, au sortir desquels il entre sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Mailloc et du canton
d'Orbec, et retrouve de frais et verdoyants herbages qu'il traverse, laissant à gauche un groupe d'usines, dont
nous parlerons tout à l'heure, et dont les hautes cheminées, noircies par la fumée, se détachent sur le coteau qui
borde la route de terre.
Après avoir franchi un passage à niveau, nous retrouvons de nouveaux vergers que nous laissons bientôt
derrière nous, et nous découvrons, à notre droite, l'église de Saint-Martin-de-Mailloc, qui s'élève sur le versant du
coteau, au pied duquel se trouve la gare qui porte le nom de cette commune.
C'est la première station que nous rencontrons avec gares pour les voyageurs et pour les marchandises.
VII
SAINT-MARTIN-DE-MAILLOC : Renseignements géographiques et
industriels. — Son histoire et son église. — Saint-Denis-de-Mailloc. —
Les Allemands. — La Barricade. — Les Melons.
SAINT-MARTIN-DE-MAILLOC, commune du canton d'Orbec, à 12 kilomètres de cette ville et à 8 kil. de
Lisieux. Sa superficie est de 717 hectares et sa population de 627 habitants.
Les fabriques que nous avons laissées sur notre gauche depuis le Mesnil-Guillaume et qui sont toutes sur le
territoire
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de Saint-Martin-de-Mailloc, sont au nombre de sept, savoir : deux moulins à foulon, l'un, appartenant à MM.
Langlais et Angée, de Lisieux, et occupant 6 ouvriers ; l'autre, appartenant à Mme veuve Modeste Samson, 3
ouvriers ; — effilochage de tissus de soie et laine, à Mme veuve Bardel, 8 ouvriers ; — dégraissage de laines, à M.
Casimir Samson, 4 ouvriers ; — deux fabriques de tuiles, briques, etc., l'une, à M. Letellier, 6 ouvriers ; l'autre, à
M. Jumel, 6 ouvriers ; — une fabrique de ciment, à M. Mulet, 2 ouvriers.
SAINT -MARTIN-DE -MAILLOC, Sanctus Martinus de Valle Auribecci, Saint-Martin du Val-d'Orbec, n'a laissé dans
l'histoire de notre contrée aucune trace importante, encore bien que le vocable de la paroisse puisse donner à
penser que son origine remonte aux temps mérovingiens.
En 1864, on y a découvert des sépultures qui datent de cette époque reculée.
Son église, qui date, au plus, de la dernière moitié du XVe siècle, n'offre rien de remarquable.
La tour, qui s'élève en avant du portail, a été bâtie en 1862.
Sur le coteau de gauche, en face l'église de Saint-Martin-de-Mailloc, on aperçoit un clocher, dont la couleur
sombre tranche vivement sur la verdure qui l'environne de tous côtés ; c'est l'église de Saint-Denis-de-Mailloc.
La commune de Saint-Denis-de-Mailloc étant réunie, pour le culte, à celle de Saint-Julien-de-Mailloc, cette
église n'est pas desservie, mais elle est conservée avec soin par les habitants. La porte est précédée d'un
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porche assez remarquable en charpente, qui date de la fin du XVe siècle. Le choeur et la nef remontent à
l'époque romane.
Cette paroisse dépendait de l'élection de Lisieux et de la sergenterie d'Orbes.
La commune de Saint-Martin-de-Mailloc a été visitée par les Allemands le 23 janvier 1871. Ils étaient au
nombre de 14 ; ils n'y séjournèrent pas, mais tous les jours il en revint d'Orbec un pareil nombre. Cela dura ainsi
jusqu'au 15 février, époque à laquelle ils s'éloignèrent définitivement.
Le 13 février, ils voulurent frapper la commune d'une indemnité de 16,458 fr. 75 c., mais le Conseil Municipal
refusa de la payer. Ils avaient précédemment requis de l'avoine ; sur le refus des habitants, ils fouillèrent de fond
en comble les maisons du maire et de l'adjoint, mais sans résultat.
A Saint-Denis-de-Mailloc, une barricade avait été élevée sur la route d'Orbec ; quelques coups de feu y furent
échangés sans autre résultat qu'un cheval tué.
C'est à Saint-Martin-de-Mailloc qu'on aperçoit pour la première fois, depuis Lisieux, des terres labourées, un
petit champ d'abord, sur la droite, à la suite du bâtiment de la gare, puis des champs des deux côtés.
Cela dure ainsi quelques minutes, mais la ligne se retrouve bientôt au milieu des herbages. La vallée semble
s'élargir, et le côteau de droite offre un aspect de plus en plus charmant. A gauche la route de terre est garnie de
maisons proprettes ; on dirait la rue d'une ville, tant
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les habitations sont rapprochées les unes des autres.
Mais bientôt la locomotive franchit un passage à niveau avec garde-barrière ; la rivière se rapproche de la voie
en décrivant de capricieux contours, et l'on découvre, à gauche, à travers les hauts pins et les marronniers qui en
masquent les détails, la masse du château de Mailloc ; à droite, et au sommet du côteau, l'église de Saint-Pierrede-Mailloc, dont le clocher se dessine sur le fond azuré du ciel.
Longeant l'Orbiquet, la voie passe au milieu des champs labourés, destinés, pour la plupart, à la culture des
melons, dont il se fait dans ces parages un commerce très-important ; l'espèce que l'on cultive de préférence est
Honfleur,
le melon dit de Honfleur, ou gros maraîcher ; on en récolte 200 à 250 mille par année, qui représentent une
valeur de 120 à 150 mille francs.
Nous nous rapprochons du château de Mailloc, dont nous découvrons entièrement la façade occidentale, et
dont nous ne sommes guère séparés que par l'Orbiquet.
Puis le convoi ralentit sa marche et finit par s'arrêter à la station, située à l'angle du chemin qui descend de
l'église de Saint-Pierre-de-Mailloc pour gagner la vallée.
VIII
Saint-Pierre-de-Mailloc : Renseignements géographiques. — L'église.
— Le château de Mailloc. — Les seigneurs de Mailloc. — La chapelle
de Mailloc. — La Saint-Gourgon.
SAINT-PIERRE-DE-MAILLOC, commune du canton d'Orbec, à 9 kilomètres de cette dernière ville et à 11
kilomètres de Lisieux ; elle a une superficie de 468 hectares et une population de 670 habitants.
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La commune de Saint-Pierre-de-Mailloc, qui occupe le sommet du coteau sur la rive gauche de l'Orbiquet, n'a
pas d'établissements industriels ; c'est une commune purement agricole.
Il se tient à Saint-Pierre-de-Mailloc, le 16 décembre, une foire pour le commerce des bestiaux.
SAINT -PIERRE-DE -MAILLOC, Sanctus Petrus de Colle, Saint-Pierre-du-Tertre jusqu'en 1729.
Son église, dont quelques parties remontent aux XIIe et XIIIe siècles, n'a rien de bien remarquable.
A l'intérieur, on y voit un assez joli rétable de l'époque Louis XIV ; — un tableau représentant le martyr de saint
Laurent, à l'un des angles duquel est peint un écusson : de gueules aux deux fasces d'or ; deux autres tabeaux,
peints sur bois, représentant, l'un, la vierge, l'autre, le christ, tous deux encadrés dans une riche bordure
artistement sculptée. A gauche, en entrant dans la chapelle, on lit l'inscription suivante :
« Ceux qui entreront dans cette chapelle sont invités d'y dire un Ave Maria, pour le salut de Mme la marquise
de Portes, qui l'a fait rétablir dans cet espoir, en 1814. »
LE CHATEAU DE MAILLOC, que nous avons aperçu tout à l'heure, est un édifice considérable dans le style du
XVIIe siècle. Flanqué de quatre grosses tours rondes, peut-être plus anciennes, que baignaient autrefois des
fossés, il est bâti en pierre de taille, sans sculptures.
Ce château, dont nous allons indiquer bientôt les anciens propriétaires, appartient aujourd'hui à M. le marquis
de Colbert-Chabannais, ancien député au Corps
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législatif, qui y a fait faire des réparations considérables.
L'intérieur offre de vastes pièces. Voici la description qu'en donne M. Raymond Bordeaux :
« Admis à pénétrer dans l'intérieur, nous fûmes promptement rassurés sur le sort de ce château monumental,
car les goûts artistiques des maîtres étaient partout manifestés. Dans la salle à manger, à côté de beaux
e
dressoirs de la fin du XVI siècle, des tableaux de prix étaient suspendus. De superbes moutons, oeuvre du
pinceau d'Ommeganck, nous arrêtèrent d'abord. Le grand salon est presque un musée ; les murs sont revêtus de
tapisseries à personnages d'une belle conservation. Au pied de ce riche spécimen des ameublements d'autrefois,
est placée une bibliothèque. Nous ne pûmes la juger qu'à travers les vitrines ; mais, au premier coup d'oeil, la
physionomie extérieure des livres nous fit comprendre à qui nous avions affaire. Les volumes d'ancien maroquin
e
à nerfs s'y mêlaient avec des reliures en vélin, vêtement ordinaire des éditions de Hollande au XVII siècle. Des
tranches dorées attestaient l'exquise condition de ces exemplaires, sur le dos desquels brillaient souvent les
chiffres et la couleuvre héraldique des Colbert D'antiques reliures à compartiments étalaient çà et là leur plat
historié à nos yeux, excités, d'ailleurs, par les titres inscrits au dos de ces volumes. Aux endroits les moins
intéressants de la tapisserie étincelaient des peintures flamandes ; puis, sur les meubles, dans l'intérieur
desquels nous apercevions de grands ouvrages à figures, étaient rangés des statuettes en bronze antique, des
objets d'art que nous eussions voulu contempler un à un.
Les parties supérieures du château réservaient à nos appétits archéologiques un autre aliment. Nous
trouvions
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sous nos pieds une collection complète de pavés émaillés, variés de grandeur, de couleur et de dessin. Un
escalier avait toutes ses marches garnies de petits carreaux à rosaces, les unes bleues, les autres rouges et
jaunes. Dans maintes parties du château, il restait des vestiges de ces riches décorations. » (Excursion dans la
vallée d'Orbec.)
Le château de Mailloc est aujourd'hui l'une des habitations les plus luxueuses de la contrée.
Mailloc était une des plus anciennes baronnies ; c'était le chef-lieu d'un fief très-considérable, entouré de
quatre paroisses de ce nom : Saint-Martin, Saint-Denis, Saint-Julien et Saint-Pierre-de-Mailloc, à cause
desquelles, dit M. Raymond Bordeaux, on appelait l'Hôtel des Quatre-Maillots, l'habitation que le seigneur du fief
possédait à Rouen, rue des Maillots. Trois maillets formaient les armes parlantes de cette ancienne famille dont le
nom se prononce Maillo.
« La famille des seigneurs de Mailloc, dit M. Ch. Vasseur, remonte à la plus haute antiquité. Jean de Mailloc
suivit le duc Robert de Normandie en Terre-Sainte. Les Rôles de l'Échiquier relatent, à l'année 1180, le nom de
Roger de Mailloc. Henri de Mailloc figure sur la liste des tenanciers des fiefs militaires du commencement du XIIIe
siècle. Mais il est impossible d'établir une filiation entre ces divers personnages. On retrouve encore des
e
e
e
descendants de cette famille pendant les XIV , XV et XVI siècles. Il existe, aux Archives du Calvados, un aveu
rendu le 29 août 1551 par Jean de Mailloc au cardinal d'Annebault, évêque de Lisieux, pour la terre de
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Mailloc ayant titre de Baronnie, et l'un des membres du comté de Lisieux. Nous transcrivons un droit curieux
relaté dans cet aveu ; Et lui appartient la haquenée ou mule sur laquelle est monté ledit seigneur Evêque le jour
de son entrée à Lisieux, en lui aidant à descendre près la croix Saint-Ursin, à la sujétion lui servir ledit jour
d'écuyer tranchant. Tenu ledit fief du comté de Lisieux à foy et hommage et relief, avec 40 jours de garde à la
porte d'Orbec audit Lisieux en temps de guerre.
La baronnie de Mailloc fut érigée en marquisat en 1693, en faveur de Gabriel-René de Mailloc, fils de Gabriel
Mailloc et de Renée de Créquy. Le premier marquis de Mailloc mourut sans postérité, le 11 octobre 1724, et sa
veuve, Claude-Lydie d'Harcourt, se fit adjuger le marquisat de Mailloc, qui passa plus tard au duc d'Harcourt, son
frère, gouverneur général de Normandie. Si nous en croyons les inscriptions des cloches de Saint-Julien et de
Saint-Martin, ce serait le duc d'Harcourt qui aurait vendu la terre de Mailloc à la famille d'Houdetot, qui a dû la
posséder jusqu'à la Révolution. Le marquis de La Place, le fameux savant de l'Empire, posséda le château de
Mailloc, et c'est de lui que l'acquit M. le marquis de Porte, beau-père de M. de Colbert, qui le possède
maintenant. »
En portant les yeux sur le côteau toujours riant qui longe la vallée à gauche, nous apercevons sur le bord de la
e
route de terre une petite chapelle : c'est la chapelle de Mailloc, dont la construction remonte tout au plus au XV
siècle. Cette chapelle, dédiée à Notre-Dame, est sur le territoire de Saint-Julien-de-Mailloc.
C'est là que le 8 septembre se tient une Assemblée,
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la Saint-Gourgon, célèbre dans toute la contrée. On y consomme une énorme quantité des melons cultivés dans
les champs environnants, avec force libations de cidre, de café et d'eau-de-vie.
Quant à la dénomination de saint Gourgon donnée à cette fête patronale, on n'en connaît pas le motif. Le saint
de ce nom n'est l'objet d'aucun culte dans le pays.
Au sortir de la station de Saint-Pierre-de-Mailloc, la vallée, toujours charmante, s'élargit. Le convoi franchit un
ruisseau et nous apercevons, dispersés au milieu des bouquets de pommiers, l'église et les maisons qui forment
le village de la Chapelle-Yvon, sur l'ancienne route d'Orbec.
IX
LA CHAPELLE-YVON : Renseignements géographiques et industriels.
— Son histoire. — Son église. — Le Besnerey. — Le paysage.
LA CHAPELLE-YVON, commune du canton d'Orbec, à 7 kilomètres de cette ville et à 13 kilomètres de
Lisieux. Sa superficie est de 697 hectares et sa population de 625 habitants. Elle est arrosée par l'Orbiquet et une
autre petite rivière, qui prend sa source à Tordouet.
Il n'y a pas moins de neuf établissements industriels à la Chapelle-Yvon, et ils occupent en moyenne 120 à
150 ouvriers. Ce sont : quatre filatures de laines, dont deux appartiennent à M. Dutheil aîné, une à M. Georges
Dutheil, et l'autre à M. Martin ; — trois moulins à foulon, dont deux sont à M. Haimet, le troisième à M. Aubry ; —
une filature de coton, appartenant à M. Puval, qui occupe à elle seule 60 ou 70 ouvriers.
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C'est la seconde station, sur la ligne, avec gare pour voyageurs et pour marchandises.
LA CHAPELLE -YVON, Capella-Yvonis, tire son surnom de quelque seigneur du moyen âge, qui s'appelait Ivo,
mais qui n'a laissé aucune trace dans l'histoire de la contrée.
C'était autrefois un fief de Haubert. Il appartenait, en 1562, à maître Pierre des Hayes ; en 1581, à Jacques
des Hayes, sieur de Gassart. Depuis le XVIIe siècle jusqu'à la révolution, on le trouve en la possession de la
famille de Chaumont de Quitry, baron d'Orbec.
L'ÉGLISE de la Chapelle-Yvon remonte, dans son ensemble, à la période romane ; mais le choeur et le
clocher, en charpente, datent du XVe siècle.
L'intérieur n'a rien de bien remarquable, sinon une statue de la Renaissance représentant la Vierge avec
l'Enfant-Jésus, vêtu d'une longue robe, et pressant dans ses mains une colombe.
Aux fenêtres ogivales, il reste quelques fragments de vitraux, bordure de la Renaissance, cartels entourés
d'amours et autres motifs, et un petit sujet fort décoloré, représentant le martyre de saint Blaise.
Cette église est placée sous le patronage de Notre-Dame.
La fête patronale se célèbre le 15 août.
Une ordonnance royale du 22 juin 1825 a réuni à la commune de la Chapelle-Yvon une autre commune,
nommée le Besnerey, dont le fief fut successivement possédé : en 1431, par Antoine de Castillon ; en 1469, par
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Guéroudin de Franqueville, sieur de Collandon, à Glos ; en 1562, par maistre Nicolas de La Personne ; en 1648,
par François de Moges, sieur de Préaux ; en 1677, par René de Moges, son fils, conseiller au Grand Conseil. Au
e
XVIII siècle, la famille de Trevet succéda, à la famille de De Moges, et à l'époque de la Révolution elle passa à
celle des Despériers de Fresnes, qui en est encore propriétaire actuellement.
L'église du Besnerey a été démolie et son mobilier transporté dans celle de la Chapelle-Yvon.
La commune de la Chapelle-Yvon n'a pas été occupée par les Prussiens pendant la guerre de 1870-1871 ;
mais, elle a été plusieurs fois visitée par eux, notamment les 22, 23 et 26 janvier et plus souvent encore pendant
l'armistice. Ils ont réclamé une contribution de guerre de 16,326 fr. 25 c., menaçant de prendre des otages si
cette contribution n'était pas payée au temps et lieu indiqués. C'était pendant l'armistice ; sur les réclamations des
autorités, le Sous-Préfet de Lisieux télégraphia à Bordeaux pour protester contre cette violation des conditions de
l'armistice. Le colonel prussien, qui commandait à Orbec, reçut des ordres, et la somme demandée ne fut pas
payée.
Dès que le train s'éloigne de la gare de la Chapelle-Yvon, pour se diriger vers Orbec, il franchit un pont sous
lequel passe un chemin vicinal, laissant à droite une usine tout en briques rouges et couverte en ardoises ; — à
gauche une maison de ferme, qui a tout l'aspect d'un vieux manoir et dont l'un des pignons regarde obliquement
la voie qui le touche presque.
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Le chemin vicinal, au-dessus duquel nous venons de passer, est le chemin qui conduit à Tordouet, et cette
commune est assez importante pour que nous lui consacrions quelques lignes.
Tordouet, située sur le sommet d'un coteau au pied duquel serpente un ruisseau qui lui a donné son nom
(Tortus, tort, sinueux, Ductus, douet, ruisseau), a un superficie de 676 hectares et une population de 896
habitants.
Avant l'invention du tissage mécanique, Tordouet avait une population de 1,400 habitants, qui fabriquaient ces
gros draps ou frocs, en tissu croisé, qu'on désignait plus particulièrement encore sous le nom de Tordouet et dont
e
il se faisait, dès le XIV siècle, un commerce considérable avec la Basse-Normandie et la Bretagne.
La manufacture d'étoffes de Tordouet était régie par les statuts de la manufacture de Lisieux, comme celle de
Fervaques.
Il y a aujourd'hui trois filatures de laines et on n'y compte plus qu'une centaine de métiers à tisser.
L'EGLISE de Tordouet, placée sous le patronage de saint Michel, est surmontée d'une très-belle tour romane
octogone, qui date du XIe siècle et qui domine de la façon la plus pittoresque les maisons groupées autour d'elle
et les multiples vallons environnants.
L'intérieur de cette église est décoré avec goût ; on remarque, à l'entrée du choeur, six belles stalles du XVIIe
siècle provenant des Mathurins de Lisieux ; — deux jolis autels avec rétables Louis XIV ; — une belle piscine
ogivale, trilobée, à double cuvette, du XIIIe siècle ; — le maître-autel, accompagné d'un grand rétab<ATTillisible>
à colonnes torses, style Louis XIV, travail exécuté avec
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autant de goût que d'habileté par M. Léonard, sculpteur à Lisieux.
Au-dessous de l'église, à l'extrême pointe du coteau se trouve, bâti sur une motte importante, le manoir de
Tordouet ; avec son pignon garni d'un lierre vigoureux, et l'eau qui baigne ses bases, le manoir produit un effet
pittoresque au milieu du pays boisé qui l'environne.
Pendant l'occupation prussienne, en 1871, le 13 février, la commune de Tordouet fut frappée d'une réquisition
de 25,520 francs, par un lieutenant nommé Von Werder, du 11e hussards de Westphalie. Cette somme devait
être payée le 15 ; mais, sur les réclamations de l'instituteur de la commune, qui s'était rendu à Orbec, chez le
colonel commandant la contrée, il fut reconnu que la commune de Tordouet ne se trouvait pas dans la zone, et
qu'elle ne devait pas payer. La somme ne fut pas payée, en effet. Tordouet en fut quitte pour 400 kil. de foin et
500 k. de paille, le tout d'une valeur de 160 francs environ.
Revenons maintenant au chemin de fer que nous avons quitté depuis un instant.
Nous retrouvons toujours sur notre gauche l'Orbiquet que nous avons perdu de vue après avoir dépassé la
station de Saint-Pierre-de-Mailloc ; il continue de décrire dans la vallée les plus capricieux méandres,
disparaissant un instant pour reparaitre quelques mètres plus loin, revenir sur lui-même et s'éloigner de nouveau.
Plus nous avançons, plus la vallée paraît fraîche, plus les coteaux sont riants, plus la vue est gracieuse et
charmante.
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Puis nous découvrons dans le lointain, à droite, le clocher de l'église de Bienfaite, qui domine un dôme de
sombre verdure, et, à gauche, la double rangée de maisons proprettes et d'usines, qui forment, dans la traversée
de cette commune, une véritable rue que ne dédaignerait point une ville.
Plus nous approchons de Bienfaite, plus le paysage semble s'embellir, et lorsque le train s'arrête à la gare, les
yeux sont enchantés du panorama que la nature leur offre.
X
SAINT-MARTIN-DE-BIENFAITE : Renseignements géographiques et
industriels. — Son Histoire. — La famille de Chaumont-Quitry. —
Le Château. — L'Église. — Le Pain de Sucre. — Les réquisitions
prussiennes. — Le château Godfard. — Le village de Saint-Maur.
— De Bienfaite à Orbiquet-Launay.
SAINT-MARTIN-DE-BIENFAITE, commune du canton d'Orbec, à 5 kilomètres de cette ville et à 15 kil. de
Lisieux. Arrosée par l'Orbiquet et par le ruisseau de la Cressonnière, sa superficie est de 698 hectares et sa
population de 703 habitants.
Cette commune est l'une des plus agréables et des plus importantes du canton d'Orbec et même de
l'arrondissement de Lisieux. La moitié de la population est occupée dans les usines établies sur son territoire, et
qui sont au nombre de huit, non compris deux moulins à blé, savoir : quatre filatures et carderies de laines,
appartenant à MM. Lebuquet, Auguste ; Dutheil, Frédéric ; Chéradame et Mme veuve Boquié ; — une usine pour
constructions mécaniques, appartenant à M. Lebourgeois, Isidore, ; — une usine à gaz, dirigée par M. Fouché.
L'industrie de cette commune a changé complètement
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de nature depuis cinquante ans. Au lieu des filatures que nous venons d'indiquer, il n'y avait que des moulins à
foulon pour les frocs, dont la fabrication était alors presque exclusivement concentrée dans le canton d'Orbec, et
que les fabricants apportaient au marché de cette ville, où les marchands de Lisieux et de Bernay se rendaient
chaque mercredi, et y enlevaient les 1,500 ou 1,800 pièces exposées.
Bienfaite était, à cette époque, un véritable faubourg d'Orbec, sa population qui, vers le milieu du siècle
dernier, était de 800 âmes, était plus considérable encore au moyen âge.
BIENFAITE, Benefacta, Bonefacta, Bienfaicte, était la résidence des seigneurs barons d'Orbec. Les seigneurs
de Bienfaite qui prirent part à la conquête de l'Angleterre et qui accompagnèrent le duc Robert en Palestine,
er
avaient pour auteur Gilbert, comte d'Eu et de Brionne, fils de Geoffroi, enfant naturel de Richard I , duc de
Normandie. Ils sont, dit M. Ch. Vasseur, la souche de la famille de Clare et contractèrent les plus riches alliances.
En 1301, Philippe-le-Bel accorda par lettres patentes à Etienne, sire de Bienfaite, pour la récompense de ses
services, que toutes les choses qu'il avait en sa baronnie d'Orbec fussent tenues par un franc-fief de Haubert.
Vers 1450, Marie de Bienfaite porta cette terre dans la famille d'Orbec, branche collatérale issue des comtes
de Brionne, en épousant Jean d'Orbec.
En 1495, Charles VIII accorda à David, baron d'Orbec et de Bienfaite, l'extinction d'une rente due à son
domaine et vicomté d'Orbec, sur les cens de la baronnie d'Orbec.
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Louis d'Orbec, sieur de Bienfaite, était l'un des principaux chefs de la troupe protestante qui, en mai 1562,
commit des dévastations dans l'église cathédrale de Lisieux.
La terre de Bienfaite appartenait au commencement de ce siècle à la famille de Chaumont-Quitry, dont
plusieurs historiens font remonter l'origine jusqu'aux comtes du Vexin, qui appartenaient aux rois de la première
race.
Dans la salle des Croisades, à Versailles, on voit l'écusson de Hugues de Chaumont, à la date de 1202.
Plusieurs Chaumont de Quitry se distinguèrent par les armes sous les derniers Valois et sous les Bourbons,
tels que : Jean de Chaumont-Quitry, maréchal de camp, en 1589 ; — Philippe de Chaumont, comte de Quitry,
maréchal de camp, en 1637 ; — Guy de Chaumont, marquis de Quitry, maréchal de camp, en 1669, tué au
passage du Rhin, le 12 juin 1672 ; — Henri de Chaumont-Quitry, également maréchal de camp, mort en 1678.
En 1704, le 20 février, une demoiselle de Chaumont-Quitry fut inhumée dans l'église de Bienfaite, ainsi qu'il
appert d'un acte qui se trouve dans les archives de la mairie de cette commune, ainsi conçu :
« Nous prestre soussigné, curé de Saint-Martin-de-Bienfaite, avons inhumé en notre église sous le banc de
haut et puissant seigneur messire Guy de Chaumont, nouveau converti à la foi, baron d'Orbec et baron encore
seigneur et patron de Bienfaite, le corps de haute et puissante dame Louise de Chaumont, soeur de mondit sieur
et seigneur d'Orbec et dudit Bienfaite, et épouse de messire Gédéon de Rofuge, haut et puissant seigneur
chevalier comte Coërme, laquelle dame
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Louise de Chaumont a été inhumée de notre consentement et bon vouloir par messire Charles d'Assy, curé de
Benéré notre cher et ancien confrère et voisin assisté encore de messieurs les curés du Rhoncerai, de Tordouet,
de la Chapelle-Yvon, avec nos vicaires, tous redevants et dépendants étant à la nomination de mondit sieur le
marquis d'Orbec, frère de ladite défunte. En foi de quoi nous avons signé ce présent après avoir nous-même
administré tous les sacrements à la haute et puissante dame Louise de Chaumont, nouvelle convertie à la foi
catholique, apostolique et romaine, que nous avons enterrée comme dit est ci-dessus ce mercredi 20e février
1704.
Signé : Jean d'Anctoville, curé de Bienfaite. »
Il résulte de ce document que la famille de Chaumont-Quitry était restée protestante jusqu'au XVIIIe siècle.
Quant au curé d'Anctoville, il desservit la paroisse de Saint-Martin-de-Bienfaite depuis le mois de juin 1703
jusqu'en décembre 1708.
En 1790, le Tribunal civil, qui devait siéger à Orbec, en vertu du décret du 4 février, ayant été définitivement
placé à Lisieux, où il fut installé le 13 novembre de la même année, la ville d'Orbec fit tous ses efforts pour
conserver cet important établissement. Une pétition fut adressée à l'Assemblée constituante ; cette pétition avait
été rédigée par Chs de Chaumont-Quitry, qui fut envoyé à Paris comme député d'Orbec, avec Langueneur du
Long-Champ.
Guy-Charles-Victor, comte de Chaumont-Quitry, né à Bienfaite, le 7 mars 1768, auteur d'opuscules politiques
et littéraires, imprimés in-8°, et d'une traduction en vers des Odes d'Horace, restées manuscrites, est mort à
Saint-Jacques-de-Lisieux le 23 mai 1841.
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Jacques — Gui — Georges — Charles — François, comte de Chaumont-Quitry, né à Bienfaite le 7 septembre
1770, frère du précédent, et auteur de quelques brochures politiques, est mort à Paris le 4 janvier 1844.
Pendant la révolution, ces deux frères s'étaient associés et avaient créé à Evreux une imprimerie qu'ils firent
valoir avec succès pendant quelques années.
Sous le second empire, un descendant de cette ancienne famille a exercé les fonctions de chambellan de
Napoléon III.
Les armes de la maison de Chaumont-Quitry sont : écartelé de fleurs de lys d'or sans nombre, au lambel d'or
sur un champ d'azur. Deux sauvages pour support avec leurs masses. Un lion d'or grimpant portant un drapeau
semé de fleurs de lys d'or sur un champ d'azur ; autrement semé de France et les armes de Hongrie.
LE CHATEAU DE BIENFAITE présente une grande façade sans ressauts, dit M. Charles Vasseur, construite en
briques avec chaînages de pierres à refents et toits brisés à la Mansard. Cependant, à l'angle Sud-Ouest, se
trouve une tour ronde, de diamètre moyen, qui m'a paru, de loin, avoir les caractères du règne de Henri III. Ce
e
serait donc le reste d'un édifice antérieur, construit au XVI siècle, lorsque le château-fort fut définitivement
abandonné.
De ce château-fort, il reste une motte assez élevée, de forme ovale irrégulière, dont l'esplanade peut mesurer
50 pieds dans son plus grand diamètre. Au-dessous paraît avoir été l'enceinte du château, à peu près carrée.
Ces vestiges occupent l'extrémité du cap formé par le vallon de la Cressonnière, à sa jonction avec la vallée au
Sud de
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e
l'église. M. de Caumont les a décrits dans le 5 volume de son Cours d'antiquités. Cette motte féodale est
désignée dans le pays sous le nom de Pain de Sucre.
e
L'ÉGLISE de Bienfaite, sous l'invocation de Saint-Martin, est un édifice assez vaste, bâti d'un seul jet, au XV
siècle ; elle est située sur la pente du côteau, presque en face du château.
La nef et le choeur sont éclairés par huit belles fenêtres tres flamboyantes.
Le choeur a conservé un de ces magnifiques rétables si richement taillés, au temps de Louis XIV, par les
huchers du Pays-d'Auge.
L'un des petits autels, dans le style Louis XIV, a été sculpté par M. Léonard, de Lisieux.
e
La cuve baptismale, octogone, avec des arcatures dessinées au trait, semble remonter au XV siècle, comme
la construction de l'église elle-même.
M. l'abbé Loir, curé de Bienfaite, président de la Société historique, de Lisieux, possède une riche collection de
documents historiques sur l'ancien diocèse de Lisieux.
Pendant l'invasion prussienne, la commune de Saint-Martin-de-Bienfaite fut occupée, du 11 au 21 février, par
un escadron de dragons mecklembourgeois, fort de 116 hommes. Ils y firent des réquisitions en pain, viande,
avoine, paille, foin et transports, pour une somme évaluée à 3,212 fr.
Ils frappèrent en outre cette commune d'une indemnité de 18,453 fr. 75 c. ; mais cette indemnité ne leur fut
point payée. Ils emmenèrent alors deux ôtages :
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M. Dutheil, alors président de la commission municipale et M. le comte de Noinville. M. Dutheil fut conduit Orbec,
chez le colonel commandant la contrée, et renvoya presque immédiatement, mais sous la condition qu'il réunirait
son conseil pour aviser aux moyens de se procurer la somme demandée ; M. le comte de Noinville fut gardé par
eux pendant trois jours, et conduit à Brogli et à Bernay, sans toutefois qu'il ait eu à subir de mauvais traitements.
De la gare de Bienfaite, bâtie au milieu d'un site charmant, au débouché dans la vallée d'un petit vallée
délicieux qui s'ouvre sur la droite, et dont le château semble garder l'entrée, on aperçoit au sommet du côteau de
gauche, longeant la route de terre, les ruines d'une ancienne construction. Ce sont les derniers vestiges d'un
vieux château-fort, qu'on désigne sous le nom de château Godefard. C'était très-vraisemblablement un poste
avancé de la place d'Orbec, qui, avec le château de Bienfaite défendait l'accès de la vallée et protégeait la ville.
On n'a pas de renseignements sur cette ancienne forteresse ; mais il est à remarquer que ce nom de
Godefard était aussi celui d'un château situé aux abords de Lisieux à l'Est, non loin de la route de Paris.
A 3 kilomètres de Bienfaite, se trouve le village de Saint-Maur, où il existait, avant la révolution, une chapelle
placée sous l'invocation du saint dont le village conservé le nom. Au commencement de ce siècle, ce village
renfermait à lui seul un tiers de la population de commune. Tous les habitants étaient tisserands et fabriquaient
une partie des frocs qui alimentaient la hall
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d'Orbec, Chassés de leurs habitations par le progrès industriel, ces tisserands sont allés demander du travail là
où le tissage mécanique leur en a procuré. La population de Saint-Maur n'entre plus que pour un septième dans
la population de la commune.
Non loin de Bienfaite, se trouve aussi la Cressonnière, petite commune d'une superficie de 458 hectares,
peuplée de 193 habitants, et dont l'église, élevée sur un mamelon, domine un vallon pittoresque, arrosé par une
petite rivière qui approvisionne une importante papeterie, et donne son nom à la commune.
L'église n'offre rien de particulier sous le rapport architectural ; elle date du XVIe siècle.
On remarque seulement dans le choeur deux pierres tombales, avec inscriptions, sur l'une desquelles est
gravé un blason chargé de 7 besans ou tourteaux rangés 3, 3, 1, avec la devise : A qui tiens-je ? Ce sont les
armes de la célèbre famille de Melun.
A peu de distance de l'église, au fond du vallon, on aperçoit un vieux bâtiment en pierre dont la construction
e
e
remonte à la fin du XV siècle ou au commencement du XVI ; c'est ce qui reste de l'ancien château de la
Cressonnière. On y voit encore des ouvertures surmontées d'ogives en accolade ; ces débris sont aussi entourés
de douves, autrefois remplies d'eau vive.
Le château moderne que l'on voit bâti sur une éminence, et couronné de bois, au milieu d'un parc dessiné à
l'anglaise, appartient à M. le comte de Noinville.
Laissant à gauche l'église et le château de Bienfaite, et un délicieux côteau boisé, la voie ferrée franchit un
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ruisseau qui, après avoir alimenté l'étang du château, fait mouvoir un moulin ; elle traverse une partie du bourg au
sortir duquel elle s'enfonce au milieu des cours et des vergers, dont les plantations vigoureuses ferment toute
perspective et ne laissent plus voir que quelques maisons de ferme rapprochées, propres et silencieuses.
Mais le décor change bientôt, et nous nous retrouvons dans la vallée considérablement élargie, qui semble
former un cirque immense fermé par des côteaux dont les hauteurs sont couronnées de bois.
Puis, à peine les yeux ont-ils le temps d'admirer ce ravissant tableau, qu'un nouveau rideau de pommiers vient
en masquer la vue.
Peu à peu le rideau s'éclaircit, au fur et à mesure que le convoi gravit une rampe, la plus importante que nous
ayons encore rencontrée, et au milieu de laquelle nous trouvons, sur notre gauche, en contre-bas de la voie, sous
laquelle passe un chemin vicinal, le charmant châlet de Launay, appartenant à M. d'Hacqueville, et à notre droite,
un vallon étroit et boisé dont l'aspect rude, un peu sauvage, tranche sensiblement avec celui que nous venons de
voir à Bienfaite. La voie passe à la hauteur du toit de la maison du garde de M. d'Hacqueville.
La ligne a coupé une partie du parc de Launay, qu'elle traverse dans une tranchée assez profonde dont les
hauteurs, à droite, sont abritées par un bois.
Là, l'entrepreneur a trouvé dans l'ouverture de la tranchée, un instant très-large, le ballast nécessaire au
remblai de la rampe que nous venons de gravir.
Franchissant cette tranchée, qui offre l'aspect d'une carrière, et dont une partie sera prochainement remplie, la
voie traverse de nouveaux vergers, toujours frais, au
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milieu desquels nous trouvons l'arrêt d'Orbiquet-Launay, placé sur la gauche, à l'angle d'un chemin affreusement
rapide qui gravit le côteau boisé que nous avons à notre droite.
XI
ORBIQUET-LAUNAY : La famille d'Hacqueville. — D'Orbiquet-Launay
à Orbec. — Panorama de cette ville.
Bien qu'Orbiquet-Launay ne soit point une commune ayant une administration municipale particulière, mais un
véritable faubourg d'Orbec, dont l'histoire se confond nécessairement avec celle de la ville, nous ne pouvons
nous dispenser de nous y arrêter un instant, et de consacrer quelques lignes à l'ancienne famille qui possède
depuis si longtemps la terre de Launay, et dont nous avons aperçu tout à l'heure l'habitation charmante, en ce
moment attristée par des deuils récents et cruels, auxquels s'associent tous ceux qui connaissent l'honorable M.
d'Hacqueville, conseiller général de ce canton.
La famille d'Hacqueville a été féconde en magistrats. Originaire de l'Artois, elle s'établit à Paris dans le cours
du XIVe siècle.
Le premier personnage de ce nom que nous ayons trouvé est Jean d'Hacqueville, qui fut député par la ville de
Paris, en 1463, vers Louis XI, alors résidant dans son fameux château de Plessis-les-Tours ; il avait épousé en
1416 Marie Viole, dont il eut deux enfants : Jacques et Denis.
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Jacques d'Hacqueville épousa Gilette Hennequin, qui lui donna Raoul d'Hacqueville, sieur d'Ons-en-Bray.
Denis d'Hacqueville, sieur de Vaires, fut la souche des sieurs de Vaires, de Garges, d'Attichy et de Pompone,
du surnom d'Hacqueville.
Raoul d'Hacqueville sieur d'Ons-en-Bray, épousa Anne Mistercolle, et laissa un fils Pierre d'Hacqueville, qui fut
Conseiller au Parlement de Paris et Président aux Requêtes du Palais.
Il mourut en 1563, laissant de sa première femme, Marie Burgensis, fille du célèbre Louis Burgensis, premier
médecin du roi Charles XI, un fils nommé André.
André d'Hacqueville fut aussi Conseiller au Parlement de Paris, puis Maître des Requêtes ; il jouissait d'une
grande célébrité sous les rois Charles IX et Henri III. En 1591, le duc de Mayenne l'obligea d'accepter une charge
de Président au Parlement, dont il se démit lorsque Henri IV fut entré dans la capitale. Il mourut le 15 mai 1610, à
l'âge de 78 ans, et fut inhumé dans l'église Saint-Séverin.
Il avait épousé Anne Hennequin, dont il en avait eu quatre enfants : Jerôme, Charles et deux filles.
Jerôme d'Hacqueville, sieur d'Ons-en-Bray, fut d'abord Conseiller au Parlement de Paris, puis Président aux
Requêtes du Palais, ensuite Quatrième Président et enfin Louis XIII le nomma Premier Président, après la mort
de Nicolas de Verdun, en 1627. Il mourut l'année suivante, le 4 novembre, et fut inhumé dans l'église des BlancsManteaux, où l'on voyait son tombeau et son épitaphe.
Charles d'Hacqueville, devint évêque de Soissons et mourut le 28 janvier 1623.
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Duquel de ces vénérables magistrats descendait l'unique héritière et représentante de la famille d'Hacqueville
qui, le 26 novembre 1663, épousait Luc Hélix, sieur de Launay ?
C'est ce que nous ne sommes point encore parvenu à découvrir. Toujours est-il qu'elle apporta son nom à Luc
Hélix, et que leur descendance n'a plus cessé de le porter.
Cette famille Hélix n'était, d'ailleurs, ni moins ancienne, ni moins recommandable, si elle était moins puissante
et moins célèbre.
Dès 1403, il est fait mention de Hélix, curé d'Orbec, nommé par l'abbé du Bec, ainsi que nous l'apprend M. E.
Lacour, auquel nous empruntons également ce qui suit.
Par lettres-patentes du 8 avril 1609, le duc de Bourbon nommait aux fonctions de secrétaire ordinaire de sa
maison Guillaume Hélix, sieur d'Orville, assesseur au baillage d'Orbec (ce nom d'Orville venait du fief d'Orville,
abbaye de Friardel, fief que cette famille possède encore). Cette charge de secrétaire de la maison de Condé est
restée héréditaire dans la maison Hélix, jusqu'en 1789 ; elle était devenue purement honorifique.
En 1616, Diane d'Estrées, veuve de Jean de Montluc, maréchal de France, comte de Balaguy, conservait à
Hélix, sieur de Launay, la charge de Conseiller au Baillage d'Orbec, vacante par la démission de Gabriel Hélix,
son père, qui se retirait à la Grande-Chartreuse de Grenoble où il mourut.
Le 31 août 1788, Jean-Luc-Guillaume Hélix-d'Hacqueville, écuyer, Conseiller du Roi et de Monsieur, leur
avocat au Baillage d'Orbec, prenait part à une assemblée des notables convoqués par la municipalité d'Orbec. Il y
prit la parole et décida l'assemblée à voter une invitation
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à l'assemblée provinciale, pour demander au Roi le rétablissement des us, coutumes et priviléges de la province,
le retour des magistrats, la restitution de la justice, la convocation prochaine des Etats de la province et l'ordre de
convocation des Etats généraux du royaume.
Le 16 mars 1789, il assista à Evreux à la réunion des trois ordres pour l'élection des Etats-Généraux. Il fut élu
secrétaire de cette réunion, et ce fut lui qui rédigea les cahiers.
Le fils de Jean-Luc-Jacques-Guillaume-Hélix d'Hacqueville remplit à Orbec les fonctions de maire, de 1815 à
1830, et son passage a laissé dans cette ville des souvenirs qui ne sont pas effacés, et qu'y entretient, par une
administration bienveillante et éclairée, son fils, Frédéric-Luc-Hélix d'Hacqueville, aujourd'hui maire d'Orbec,
conseiller général du Calvados et président honoraire du tribunal civil de Lisieux.
En s'éloignant de l'arrêt d'Orbiquet-Launay, la ligne longe à gauche un chemin dont elle n'est séparée que par
une haie, et s'engage au milieu de cours plantées de pommiers, et limitées par des haies qui masquent la vue
des deux côtés.
Laissant à droite une briqueterie, elle décrit une légère courbe, et l'on aperçoit, se dressant au milieu de la
voie, le clocher de l'église d'Orbec.
Peu à peu les haies qui bornaient l'horizon s'éloignent ou s'abaissent, les toits des maisons, rouges et bleus,
apparaissent, dominés à droite par l'élégant campanile du clocher de l'Hospice, qui se dessine sur une large
éclaircie laissée dans les bois qui couronnent le coteau.
[p. 74]
Le panorama de la ville d'Orbec, vu de ce point, offre le plus agréable aspect.
Le train continuant sa marche passe au ras de maisons coquettes et paisibles, franchit quelques petits
chemins pleins d'ombre et de fraîcheur, et s'arrète enfin dans la gare d'Orbec, après avoir traversé l'ancienne
route départementale de Rouen à Falaise, sur le côté droit de laquelle elle est établie.
XII
ORBEC : Renseignements géographiques et industriels. — L'Eglise. —
L'Hôtel-Dieu. — Le Couvent des Augustines. — Josias Bérault. —
Les Capucins. — L'Hôtel-de-Ville. — Le Bonnet-Carré. — Histoire
d'Orbec. — Les hommes célèbres du canton.
ORBEC, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Lisieux, à 20 kil. S-E de cette ville, 68 kil. de Caen, et 193
kil. de Paris, est dans une situation des plus heureuses et des plus agréables, au fond d'une vallée plantureuse,
silonnée d'eaux vives qui entretiennent à la fois la fraîcheur et la fertilité, entourée de côteaux couverts de
pommiers et dont les hauteurs sont couronnés de bois.
Bien que son activité commerciale et industrielle ne soit plus aussi considérable qu'au siècle dernier et même
qu'au commencement de celui-ci, cette jolie petite ville a néanmoins encore une certaine importance. On n'y
compte pas moins de 16 établissements industriels occupant plusieurs centaines d'ouvriers. Ce sont : une
fabrique de rubans de fil et fil et coton : à M. Conard ; — quatre
[p. 75]
filatures de laine : à M. Martin (la Madeleine), à M. Dutheil (Beauvoir), à M. Labiche (Boulogne), à M. Dubos fils
(Friardel) ; — trois foulonneries, à M. Thouroude fils (Orbec), à M. Jourdain (Boulogne), à M. Fournet
(Launay) ; — deux fabriques d'effilochage de déchets de laine : à MM. Brezot et Laprestey jeune ; — deux
blanchisseries de toiles : à MM. Galopin et Lamare ; — une papeterie, pour papiers d'emballage : à MM. Dubos et
Guilbert ; — deux tanneries : à Mme veuve Colas et à M. Leroux ; — une usine, pour fabrication et réparation de
machines : à M. Brezot.
Il se tient à Orbec plusieurs foires : le premier mercredi de juillet (Foire aux Laines) ; — le 26 août ; — le
mercredi le plus près du 1er octobre (Foire des Vendanges) ; — le 7 novembre (Foire aux Poulains).
Le marché hebdomadaire a lieu le mercredi.
La population de la ville d'Orbec est de 3,219 habitants, sa superficie de 1,009 hectares.
Le canton, dont Orbec est le chef-lieu, a une superficie totale de 15,874 hectares 12 ares 96 centiares ; sa
population est de 11,976 habitants ; le montant des rôles des contributions s'élève à 259,024 francs.
Orbec n'a pas de boulevards, pas de promenades proprement dites ; mais les campagnes avoisinantes en
tiennent lieu et y suppléent avantageusement, car il y a dans les environs une foule de sites charmants ; les plus
fréquentés sont ceux qu'on désigne sous les noms de le Câble et le Point de Vue.
Elle est traversée par deux routes départementales : de Rouen à Falaise, et de Honfleur à Orléans.
La Grande-Rue, qui très-vraisemblablement a suivi le tracé de l'ancienne voie romaine de Lisieux, et qui
partage
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la ville en deux, s'appelait autrefois le Pavé du Roy. C'est au milieu de cette large voie que s'élevaient les halles,
où les tisserands apportaient naguère les frocs, les molletons, les tordouets recherchés par les négociants de
Bernay et de Lisieux.
A l'étage supérieur, qui régnait au-dessus de ces halles, était la Cohue, salle commune réservée pour les
délibérations des habitants.
Vers 1850, l'administration municipale a fait abattre cet antique et disgracieux monument en bois ; et, elle a fait
édifier dans les quartiers neufs, à l'ouest de la Grande-Rue, un coquet Hôtel-de-Ville.
Orbec possède plusieurs hôtels : l'Hôtel de France, Grande-Rue ; — l'Hôtel de Lisieux, Grande-Rue, à l'entrée
de la ville du côté de la route de Lisieux ; — l'Hôtel du Maure ; — l'Hôtel de Normandie.
Il y a à Orbec deux notaires : MM. Lemaitre et Moutier ; — deux maisons de banque : MM. Henri Picard et fils,
me
rue des Pompes ; Jules Picard, rue de Bernay ; — une librairie : M Lilman, Grande-Rue ; — un marchand de
journaux : M. Delisle, rue de l'Ecole ; — un établissement de bains, rue Couture.
Orbec possède un théâtre ; — un bureau télégraphique (service de jour limité).
L'administration municipale s'occupe de créer une bibliothèque et un musée.
La poste aux lettres est rue Saint-Remi.
On peut se procurer des voitures, chez M. Dumoulin, Hôtel de France, où descend la diligence qui fait le
service de Lisieux à Orbec par la route de terre.
Les monuments à visiter à Orbec sont : l'Eglise paroissiale,
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l'Hôtel-Dieu, le couvent des Augustines, l'Hôtel-de-Ville et quelques maisons particulières.
L'EGLISE d'Orbec, dont nous avons aperçu le clocher en venant d'Orbiquet, a subi, dans ces derniers temps,
des réparations très-importantes, dont elle avait un besoin urgent. Sa construction n'est pas homogène : ses
diverses parties appartiennent à des époques différentes. L'intérieur se décompose en une nef centrale, flanquée
de deux collatéraux de largeur inégale : au midi, une chapelle en transept ; au nord, une chapelle irrégulière et
une tour massive.
Cette irrégularité de plan produit à l'intérieur un aspect peu agréable ; mais, il y a de curieux détails.
Les fenêtres ogivales flamboyantes ont conservé quelques notables fragments de leurs magnifiques verrières ;
le maître-autel, style Louis XIV, presque identique à celui de l'église de Bienfaite, et probablement fait par le
même ouvrier, est d'une très-belle exécution ; il est décoré d'un bon tableau représentant l'ensevelissement de
Jésus-Christ, entouré d'un cadre sculpté, à angles rentrants concaves.
L'ancien maître-autel, qui est maintenant dans la chapelle du sud, est également du style Louis XIV. Il est, dit
M. Raymond Bordeaux, décoré d'un tableau malheureusement très-altéré par des retouches grossières, mais il
peut avoir quelque intérêt pour l'histoire de la peinture provinciale au XVIIe siècle. Il est signé : 1644. G. RUGÉ,
pingebat, et représente la communion de saint Jerôme.
On remarque au milieu du choeur une mosaïque sur laquelle on lit l'inscription suivante : Locus in quo stas,
terra sancta est (Le lieu où vous êtes est une terre sainte.)
[p. 78]
e
Le choeur est entouré d'une grille en fer forgé contourné, du XVIII siècle.
La sacristie renferme deux statues du moyen-âge, l'une de saint Louis, l'autre de saint Eloi, et une chasuble
dont les broderies sont du XVIe siècle.
Il y a trois pierres tombales dans l'église d'Orbec, la chapelle du Sud, et à l'extrémité du collatéral, devant
l'autel. Les épitaphes gravées sur deux de ces pierres indiquent la sépulture de deux membres de la famille du
Merle, l'un mort en 1700, l'autre en 1738.
L'inscription de la troisième est complètement effacée, mais on sait que cette tombe est celle de M. Claude de
La Pilette, lieutenant civil et criminel au bailliage d'Orbec.
Les boiseries de l'orgue, dans le style de la Renaissance, et celles de la porte du Nord, en style gothique,
méritent l'attention.
L'église d'Orbec est placée sous l'invocation de Notre-Dame. Les curés étaient à la nomination de l'abbé du
Bec-Hellouin ; mais les seigneurs d'Orbec y avaient une chapelle particulière, dédiée à Saint-Jean, dont ils
s'étaient réservé le patronage.
L'HOTEL-DIEU offre un intérêt particulier. Commencé en 1400, ainsi que l'indique un plan qui existe encore
dans les archives de l'établissement, il date véritablement du XVIe siècle.
La façade, qui se développe sur la grande rue, est construite en briques et appuyée sur deux contreforts trèssaillants.
La porte est une ogive obtuse à deux voussures en retraite et biseautées. Au milieu de la corniche sculptée
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en relief qui la domine, on remarque un blason du XVe siècle, parti au premier de deux fasces et d'un pièce
ondulée en pointe ; au deuxième, peut-être d'un lion. A droite est un autre blason incliné sur le flan dextre ; il est
soutenu par deux anges, sommé d'un casque à lambrequins et meublé des mêmes pièces que la première
partition du précédent. A l'autre extrémité de la frise, on remarque des personnages en ronde-bosse, dont l'un
debout.
La nef de la chapelle est dans des proportions restreintes ; elle est partagée dans sa hauteur par un plancher
qui forme une vaste tribune ouvrant sur le choeur avec une balustrade à fuseaux au-dessous de laquelle règne
une frise sculptée de rinceaux. Ces sculptures, qui portent le cachet du règne d'Henri II, sont d'une bonne
exécution. L'escalier à vis, construit en briques, qui conduit à cette tribune, est des plus curieux.
Le choeur est en pierre de taille et garni de fenêtres flamboyantes. Les voutes, à arceaux prismatiques, sont
reçues par des faisceaux de colonnettes coupées par des niches avec consoles et dais gothiques veufs de leurs
statues. Deux des clefs de voûte portent des figures singulièrement groupées, où l'on reconnaît les instruments
de la passion.
Le poinçon du chevet est surmonté d'un très-bel épi en plomb, du XVIe siècle, qui mérite de fixer l'attention.
Le clocher, en forme de pyramide octogone et à deux étages, est remarquable par sa grâce et sa légèreté.
Cette chapelle est dédiée à saint Remi. La nomination du titulaire appartenait à l'évêque de Lisieux.
L'hospice qui, sous le titre d'Hôtel-Dieu-Saint-Remi,
[p. 80]
existait dès le 8 avril 1366, dit M. Louis Du Bois, était presqu'entièrement détruit en 1649 ; il fut rétabli, en 1654,
grâces aux libéralités de Paul Lecesne, curé d'Orbec, et du conseiller Gahory qui, par son testament, légua les
droits qu'il avait sur la marque des cuirs de la ville d'Orbec, du Sap, de Montreuil-l'Argilé et de Chambrais-Broglie.
L'Hospice d'Orbec fut érigé en Hôpital Général des Pauvres Renfermés par lettres patentes d'octobre 1690.
LE COUVENT des Augustines occupait l'emplacement, en partie du moins, où s'élève aujourd'hui l'Hôtel-deVille. Il ne reste plus de ce Couvent que l'église qui sert maintenant de Halles, et dont l'architecture, très-simple et
e
sans sculptures, ne remonte pas au-delà de la fin du XVI siècle, bien que ses fenêtres soient ogivales.
C'est dans cette église qu'on déposa les restes de l'un des plus illustres jurisconsultes normands, Josias
Bérault, né à Laigle en 1563. Avocat au Parlement de Rouen et conseiller à la table de marbre, Josias Bérault
vint demeurer à la Vespière, village qui forme en quelque sorte un faubourg d'Orbec. C'est là qu'il travailla à ses
Commentaires de la Coutume de Normandie, dont les avocats du temps et même ceux qui ont exercé longtemps
encore après l'abolition de la Coutume faisaient des citations journalières.
La publication de cet ouvrage remarquable fut saluée par les éloges rimés de tous les poètes de l'époque. En
tête de la seconde édition, on écrivit au-dessous du portrait
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de l'auteur, gravé par Gaultier, les vers suivant qui portent la date de 1614 :
La plume et le burin combattent pour ton livre,
Et te donnent un rang parmi les beaux esprits ;
Mais le graveur se plaint que les traits de son cuivre
Dureront moins que ceux de tes doctes écrits.
« La prédiction s'accomplit pendant deux siècles, M. Raymond Bordeaux ; il y avait longtemps, en
e<ATTtextecoupe> que la planche burinée par Gaultier avait cessé de fournir des épreuves, que les éditions des
commentaires de Bérault se succédaient encore chez les libraires. »
Les Dames Augustines occupent aujourd'hui l'employement de l'ancien Couvent des Capucins, lequel avait
bâti, en 1646, par la famille de Melun.
Ce Couvent était situé à l'entrée de la ville sur la route de Lisieux. Les jardins s'élevaient en amphithéâtre
jusqu'à la maison construite avec un préau central entouré d'un cloître. Derrière, se trouvait un vieux verger, puis
un bois percé de larges allées, qui occupe le sommet du coteau ; le tout entouré de murs.
C'est là que les dames religieuses ont établi un pensionnat où elles reçoivent les jeunes filles, pensionnaires
ou externes.
Au haut de la rue de Geôle, sur le versant du côte qui domine la ville à l'est, se trouve l'emplacement de
l'ancien château d'Orbec, qui fut considérable.
On remarque deux enceintes circulaires, l'une à côté de l'autre. Celle qui touche à la ville était de forme ovale
et mesurait 45 toises à son plus grand diamètre, du nord au sud ; elle présente encore des fossés profonds et
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pans de murs ; l'autre, située plus haut, est désignée dans un ancien plan d'Orbec, dressé en 1791, sous le nom
de Bonnet-Carré. Elle était séparée de la précédente par un fossé profond.
« Les rues d'Orbec, dit M. Charles Vasseur, sont encore bordées de vastes hôtels du XVIIe ou du XVIIIe siècle,
sévères comme les magistrats du bailliage auquel ils servirent de demeure. Malheureusement trop vastes pour
les habitudes rétrécies de notre époque, ils auront bientôt disparu. »
On comprend que nous ne pouvons les décrire ici, et que nous devons nous borner à indiquer seulement les
principaux.
Signalons d'abord, dans la Grande-Rue, une maison de bois de la fin du XVIe siècle, sur la façade de laquelle
on lit la date de 1568. Sur l'un des poteaux corniers de cette maison, on voit une enseigne représentant un
apothicaire préparant ses drogues dans un mortier. Les entre-colombages sont garnis de tuiles inclinées ; les
sablières étaient couvertes de fleurons, d'oves et de godrons ; les poteaux se chargeaient de larges feuillages
disposés en consoles. La lucarne, non moins artistement décorée, n'a plus de couronnement.
e
La maison voisine date du XV siècle ; elle est sans sculptures, mais ses moulures, encore bien profilées,
méritent d'être remarquées.
A droite, en montant la rue de Geôle, la maison qu'occupait le docteur Douis était celle où les personnages de
distinction qui passaient ou séjournaient à Orbec faisaient leur résidence.
[p. 83]
Rue du Petit-Four, il existe encore quelques maisons du XVe siècle.
A l'ouest de la Grande-Rue, dans la partie comprise entre cette voie et la gare du chemin de fer, il existe
encore une tourelle de pierre, octogone, ornée sous le lamier d'une frise de feuillages gothiques fortement
fouillés. Des pinacles feuillagés font contre-forts sur les angles. Les baies, largement ouvertes, sont carrées,
entourées d'une gorge où l'on a ménagé des guirlandes du même genre. Le toit était pyramidal et couvert des
e
ardoises. Cette tourelle, qui date du XV siècle, dépendait d'une maison en bois assez importante qui a subi des
modifications au XVIIe siècle.
Orbec n'a jamais eu ni fossés, ni remparts, ni portes
ORBEC, Orbeccum, Auribeccum ou Aureum Rostru<ATTtextecoupe> tire son nom de sa situation
topographique. Selon M. Louis Du Bois, ce nom viendrait de ora, bord, rive et de beccum, bec, ruisseau. Selon M.
E. Lacour, il serait formé de deux mots celtiques : or, hauteur, colline, montagne, et beek, ruisseau. L'une et
l'autre de ces étymologies s'appliquent également à Orbec, située sur la rive droite de l'Orbiquet et s'étageant sur
la pente assez raide du coteau qui limite la vallée de ce côté de la rivière.
C'est une ville fort ancienne. Plusieurs objets d'origine celtique ou gauloise y ont été trouvés, il y quelques
années.
Mais on y en a recueilli une foule d'autres de l'époque de la domination romaine.
On sait, d'ailleurs, que le territoire d'Orbec était traversé
[p. 84]
par une voie romaine allant de Lillebonne au Mans.
Dès le Xe siècle, sa vicomté était importante, et ses barons figurèrent dans les guerres du moyen-âge ; ils
accompagnèrent le duc Guillaume à la conquête de l'Angleterre en 1066, et le duc Robert à celle de la TerreSainte, en 1099.
Les seigneurs d'Orbec prirent part aux troubles qui désolèrent la Normandie de 1119 à 1124.
En 1130, Roger d'Orbec fonda une léproserie sous l'invocation de sainte Marie-Madeleine, et que pour cette
dernière raison on désigna sous le nom de la Madeleine. Elle était située au Sud et à très-petite distance de la
ville, presque au sommet des collines formant le versant gauche de la vallée, et ses dépendances, qui n'avaient
pas moins de 14 acres, étaient traversées par un ruisseau, à l'eau seule duquel les malades devaient laver leur
linge.
En 1153, Robert, comte de Montfort-sur-Risle, ayant fait prisonnier son oncle Valeran, qu'il avait attiré à
Bernay, sous le prétexte d'avoir avec lui une conférence, le fit enfermer dans le château d'Orbec jusqu'à ce qu'il
lui eût restitué ce château de Montfort, dont il s'était iniquement emparé. Les soldats de Valeran mirent le siège
devant le château d'Orbec, mais ils l'abandonnèrent après trois mois d'efforts, et Valeran dut remettre le château
de Montfort à son neveu.
Vers 1216, Isabelle d'Orbec, qui avait reçu quelques années auparavant certains droits sur la terre d'Orbec et
qui avait épousé en secondes noces le comte de Pembrock, traita avec Philippe-Auguste et s'engagea à lui
remettre le château d'Orbec et à maintenir dans le service
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de France ses deux fils Guillaume et Richard.
En 1322, Philippe-le-Bel donna, pour apanage, à Robert d'Artois, le comté de Beaumont-le-Roger, auquel il
annexa la suzeraineté sur Orbec, qualifiée de baronnie, appartenant à Etienne de Bienfaite.
Par suite d'un mariage, ces biens étant passés aux mains de Charles-le-Mauvais, le roi Jean lui céda, en
1352, entr'autres domaines, le comté de Beaumont-le-Roger, la vicomté de Pont-Audemer avec Orbec, etc. pour
les tenir à titre de « pairie sous un échiquier avec les mêmes prérogatives que celui de Normandie. »
La terre d'Orbec et d'autres domaines furent confisqués en 1378 sur Charles-Mauvais. L'année suivante
Dugesclin s'en empara et fit démolir les forts qui s'élevaient au-dessous du château et dont il reste encore les
souterrains, sous la rue de Geôle et sous quelques maisons et jardins avoisinants.
Saint-Louis érigea la terre d'Orbec en baronnie.
Confisquée par le roi d'Angleterre, après son invasion en Normandie, elle fut restituée en 1419 à Pierre
d'Orbec.
Guy d'Orbec suivit Charles VIII dans son expédition en Italie, et il se comporta si bien à la bataille de Fornoue,
le 6 juillet 1495, que le roi le fit chevalier de sa main et lui octroya 1,000 livres, ce qui était alors une somme
importante. Plus tard, il obtint de Louis XII la création de deux marchés par semaine et de deux foires par an au
bourg de Bienfaite.
Louis d'Orbec, sieur de Bienfaite et bailli d'Evreux fut l'un des principaux chefs de la troupe protestante qui, en
1562, fit le pillage de la cathédrale de Lisieux.
La ville d'Orbec avait à cette époque une importance
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presque aussi considérable que Lisieux : elle fut imposée, par l'édit du 28 mars 1568, à 2,000 livres, tandis que
Lisieux l'était à 3,000 et Bernay à 1,000 seulement.
Deux siècles plus tard, en 1768, lors du Don Gratuit, la proportion était bien différente : Lisieux était taxée à
9,400 livres, et Orbec à 2,100.
Les assises de la vicomté d'Orbec, par suite de quelques calamités publiques ou d'épidémies, se tinrent à
Meulles en 1546, à Chambrais-Broglie en 1582, et à Lisieux en 1590.
En 1612, il ne restait de la puissante maison d'Orbec, que deux filles : Louise et Esther.
Louise avait épousé, en 1600, Jean du Merle, seigneur de la Motte ; Esther épousa Jean de Bouquetot,
seigneur du Breuil. Les terres de la Baronnie furent partagées entre les deux soeurs, dont les descendants prirent
conjointement le titre de Barons d'Orbec. La famille du Merle en a joui jusqu'à la Révolution ; elle est encore
représentée aujourd'hui par M. le comte du Merle, qui habite le château de La Vespière.
Esther d'Orbec n'eut qu'une fille, nommée Louise, qui épousa Henri de Chaumont, baron de Lesques, dont la
descendance mâle subsiste encore.
Orbec fut favorisée de casernes, en 1712 ; — d'une conservation des hypothèques, en 1771 ; — d'un grenier
à sel, en 1787.
Par lettres patentes du mois d'avril 1775, enregistrées au Parlement de Rouen, le 14 novembre suivant, Louis
XVI donna à Monsieur (Louis-Stanislas-Xavier, son frère, depuis Louis XVIII) les domaines de Falaise et d'Orbec,
en remplacement de ceux de Saint-Sylvain, Le Thuit et Alençon, en Cotentin.
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Lors de la création des Bailliages, par Philippe-Auguste, la vicomté d'Orbec dépendait du Bailliage d'Evreux.
En 1789, cette ville avait un Gouverneur, un Bailliage royal, composé de 208 communes, dont 108
ressortissaient à Orbec et 40 à Bernay ; — 3 Vicomtés royales : Moyaux, le Sap et Folleville ; — 16 HautesJustices ressortissant par appel à Orbec.
Il y avait 24 avocats plaidants à ce Bailliage, dont, en 1787, M. Desperriers de Fresnes, chevalier de SaintLouis, était lieutenant-général civil et criminel.
La Révolution de 1789 fit perdre à la ville d'Orbec ses établissements civils et religieux. Le tribunal civil qui, par
suite du décret du 4 février 1790, devait y siéger, fut définitivement installé à Lisieux.
Le tribunal de commerce lui-même, accordé à Orbec, par un décret du 14 juillet 1791, fut bientôt transporté à
Lisieux, qui devint ainsi le siège des principaux établissements du district.
Pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, Orbec a fourni aux armées de nombreux volontaires, dont
les noms ont été conservés dans la Notice historique sur la ville et les environs d'Orbec, publiée par M. E. Lacour
en 1867 ; notice que nous prenons plaisir à signaler aux touristes désireux de posséder, sur cette partie de la
Normandie, des renseignements plus détaillés que ceux que nous pouvons leur offrir ici.
Pendant l'invasion prussienne de 1870-1871, Orbec fut occupée par une colonne de l'armée du prince de
Mecklembourg, forte de 1500 à 1800 hommes, qui y entra le 21 janvier 1871, à 4 heures du soir.
En pénétrant dans la ville, ils firent, pour intimider la
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population, de nombreuses décharges de mousqueterie ; mais, grâce à l'irrégularité de leur tir, ils n'atteignirent
qu'un sieur Peyraud (Claude-Marie), teinturier, qui rentrait à son domicile, et qui dut, menacé de l'amputation,
garder le lit pendant longtemps.
Ils arrêtèrent quatre gardes-nationaux qui avaient tiré sur eux, et comme ces hommes n'avaient ni uniforme, ni
képi, ils furent fusillés le 24 janvier au matin. Leurs cadavres, gardés à vue par des sentinelles, restèrent deux
jours exposés sur le lieu de l'exécution. Ces malheureuses victimes sont : Turbot, ouvrier peintre, père de quatre
enfants ; Bacon, propriétaire, marié, sans enfants ; Houlette, blanchisseur, père de quatre enfants ; Cauvain fils,
célibataire.
Dans la nuit qui précéda leur entrée, les Prussiens dévalisèrent presque entièrement la maison du sieur
Querey, limonadier, et violèrent ses deux nièces, jeunes filles d'une bonne conduite. Après une enquête faite par
le prévôt de l'armée, deux des coupables ont été passés par les armes, selon la rigueur des lois militaires.
Les Allemands ont fait à Orbec de nombreuses réquisitions : 1,160 kilog. de pain, 580 kilog. de viande, 4,800
kilog. d'avoine, 300 kilog. de café, 400 kilog. de bougie, 200 kilog. de sucre, 300 litres de cognac, 18 peaux de
cuirs, sans compter les réquisitions de chevaux et de voitures.
Ils ont frappé la ville de deux contributions : la première de 40,000 fr., payée le 22 janvier ; la seconde, de
44,498 fr. 75 c., payée le 16 février.
Pour assurer le paiement de cette première indemnité, ils emmenèrent en ôtage jusqu'à Bernay MM. Leroy,
président de la commission municipale ; J. Piel, vice-président ;
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Moissard et Duval, conseillers municipaux, et Granval, notable.
Conduits sous escorte et laissés sans nourriture, ces cinq citoyens ont montré la plus louable énergie dans
cette triste circonstance. Ils furent relâchés après le paiement des 40,000 fr., qui eut lieu le soir.
Les soldats prussiens, véritables voleurs en uniforme, quittèrent Orbec le 5 mars, emportant des fers à cheval,
des montres, des bijoux, des objets mobiliers, et une somme de 284 fr. 90 c., prise dans la caisse du bureau de
l'octroi.
Le canton d'Orbec a vu naître les personnages suivants, distingués à divers titres : FROMAGE DE FEUGRÈS, né
à Viette, le 31 décembre 1770, professeur à Lisieux, puis à l'école d'Alfort, et enfin vétérinaire en chef de la
gendarmerie de la garde impériale, mort en 1812 ; — le marquis de FOLLEVILLE, né à Folleville, conseiller au
e
Parlement, de Rouen, fut député du Calvados, en 1815 ; — FOURNET (René), né à Meulles. Chasseur dans la 16
demi-brigade d'infanterie légère, il assistait, le 5 juillet 1799, au combat de Mascarata. Cerné par un grand
nombre d'insurgés, ce courageux soldat refusa de se rendre et se défendit avec intrépidité, jusqu'au moment où il
tomba criblé sous les coups de feu de la mousqueterie ennemie ; — GUILLAUME, surnommé de Poitiers, né à
Préaux, archidiacre de Lisieux, auteur d'une Histoire de Guillaume-le-Conquérant ; — HUBERT (François-CharlesJoseph), né à Orbec, le 3 février 1774 conseiller à la Cour impériale de Rouen, de 1811 à 1842 ; membre et
président de la Société d'Agriculture de la Seine-Inférieure, aux travaux de laquelle il prit une part très-active ; —
Mme DE LA
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CALPRENÈDE (Madeleine-Lyée de Tonnancourt, dame de), née à Orbec au commencement du XVIIe siècle,
épousa de La Calprenède, auteur de romans et de pièces de théâtre, que les satires de Boileau ont fait connaitre.
Elle écrivit elle-même divers ouvrages en prose et en vers ; — TURREAU DE LINIÈRES (Louis), né à Orbec, en
1760. Avocat à Sens, il fut nommé administrateur du département de l'Yonne, en 1790. Membre de la Convention
nationale, il vota la mort du Roi sans appel ni sursis. Après le 9 thermidor, il devint l'ennemi des Terroristes et fit
décréter l'arrestation et la mise en jugement de Fouquier-Tinville. Chargé par les Conventionnels de la direction
de la force armée contre les sections de Paris, il contribua, disent les mémoires de Las Cases, a faire donner, en
vendémiaire 1795, le commandement au général Bonaparte, dont il avait apprécié le caractère énergique et
l'éminente capacité ; — LE DANOIS DE LA SOISIÈRE (André-Bazile), savant jurisconsulte, né à Orbec en 1750, mort
en 1826 ; — ETIENNE (Jean d'), né à Cernay, le 25 mars 1725, officier du génie au service du comte de
Schaumbourg-Lippe, auteur de deux ouvrages, intitulés : l'un, Traité des Mines, à l'usage des jeunes militaires ;
l'autre, Mémoire sur la découverte d'un Ciment impénétrable à l'eau. Mort le 22 juin 1798.
XIII
ENVIRONS D'ORBEC : les Sources de l'Orbiquet ; — la FolletièreAbenon ; — l'Abbaye de Friardel ; — La Vespière et l'ermitage de
Mervilly. — La Croix-au-Lyonnais. — La croix de fer.
En nous arrêtant dans la gare d'Orbec, nous pourrions à la rigueur considérer comme terminée l'excursion que
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nous avons entreprise ; mais, il nous semble néanmoins qu'elle ne serait pas complète, si nous ne la poussions
jusqu'aux sources même de cette charmante rivière, dont nous n'avons pas cessé de longer la rive gauche
depuis notre départ de Lisieux, et qui, en contribuant puissamment à la fertilité de la vallée, rend aussi à
l'industrie de précieux services ; et si nous ne conduisions le lecteur aux ruines des anciens prieurés de Friardel
et de Saint-Christophe de Mervilly, si intéressantes pour l'archéologue et l'historien.
Que le lecteur veuille donc bien nous accompagner encore quelques instants.
Nous avons 5 kilomètres à faire pour gagner la commune de la Folletière-Abenon, sur le territoire de laquelle
se trouvent les sources de l'Orbiquet. Bien qu'il nous faille gravir, en partie, le côteau qui ferme la vallée à notre
droite, la route n'est pas pénible et nous ne cessons d'avoir sous les yeux un agréable paysage.
Ça et là, dans les vergers en côte qui bordent le chemin, nous rencontrons d'énormes blocs de grès. Puis, sur
le revers du côteau, regardant le couchant, nous apercevons le clocher de la petite église de la Folletière, dont la
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construction remonte au XII siècle, sinon même au XI , c'est-à-dire, à l'époque romane.
Passons devant le portail qu'ombrage un if d'un âge vénérable ; voyez-vous là, à quelques mètres, au midi,
une touffe épaisse d'arbres de haut jet. Approchez : c'est là, au fond de ce trou taillé en entonnoir, cachée par les
grands arbres, que jaillit l'une des sources de l'Orbiquet. On y peut descendre par un escalier de pierre menagé
pour les curieux et les amateurs d'eau limpide et fraîche.
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Descendons maintenant le côteau, au pied duquel nous allons pénétrer dans un pré dont nous voyons d'ici les
haies qui le limitent. C'est là qu'est la source principale de l'Orbiquet ; l'eau sort abondante de la craie verte qui
forme le fond du sol, et s'étend en une vaste nappe, pour s'écouler ensuite et faire mouvoir les deux moulins que
nous venons de rencontrer.
Le trouvère Pierre d'Abenon, qui vivait au XIIe siècle, et qui tirait son nom de cette paroisse, a dû souvent,
dans ses chants, faire allusion à ces sources limpides, et à ce paysage si pittoresque.
FRIARDEL est une petite commune de 294 habitants, plus rapprochée d'Orbec que la Folletière, car elle n'est
qu'à 3 kilomètres de la ville, à l'extrémité d'un plateau qui règne sur le côteau que nous avons laissé à droite de la
voie de fer.
C'est au fond d'un vallon dominé par ce plateau couvert de bruyères, que se trouvent l'église et les bâtiments
de l'ancien prieuré de Friardel
Ce prieuré conventuel, de l'ordre des chanoines réguliers de saint Augustin, était placé sous le vocable de
saint Cyr. Il avait été fondé vers la fin du XIIe siècle, ou au commencement du XIIIe, par Isabelle d'Orbec et Gilbert
de Saussaye, son mari.
La chapelle de ce couvent est très-intéressante à visiter. Les murs de la nef offrent à l'intérieur des fresques
curieuses et de nombreux écussons, dont la Statistique monumentale de M. de Caumont a publié plusieurs
dessins.
En face le portail, s'élève un bâtiment, long de 18 mètres environ, construit en bois, avec tuiles entre les
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colombages, formant des dessins variés. Ce bâtiment, qui date du XVe siècle, et celui moins ancien et de moitié
moins grand, qui s'y relie, sont les seules constructions qui, avec la chapelle, restent de ce prieuré important. Ils
étaient autrefois ornés de tableaux, bonnes copies d'après les grands maîtres, et notamment d'après le célèbre
peintre italien L'Albane.
LA VESPIÈRE, Vesperia, Wasperia, Guespere, est une commune de 400 habitants, beaucoup plus rapprochée
encore d'Orbec que la Folletière et Friardel, car elle n'en est éloignée que d'un kilomètre. C'est à vrai dire un
faubourg d'Orbec. Dès le XVIIe siècle, la plupart des magistrats du bailliage y avaient fixé leur résidence.
Près de l'église, aujourd'hui supprimée, mais toujours entretenue avec soin, au milieu d'un parc frais et
charmant, arrosé par de nombreux cours d'eau clairs et limpides, s'élève une grande et belle habitation moderne.
C'est le château de M. le comte du Merle, dont les ancêtres, seigneurs de la Vespière, accompagnèrent
Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, Robert-Courte-Heuze et Robert d'Artois en Palestine, le roi Jean à la
bataille de Poitiers. L'un d'eux, Guy du Merle, fut élu évêque de Lisieux, en 1267 ; un autre, Foulques du Merle,
fut du nombre des 119 barons normands qui, en 1423, défendirent le mont Saint-Michel, assiégé par les Anglais.
La famille du Merle est, comme on voit, une des plus anciennes et des plus distinguées du pays. Ses armes
sont : écu de gueules à trois quintes feuilles d'argent, posés en fasce, deux en chef, une en pointe.
C'est sur le territoire de la Vespière que se trouve le
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fief de Mervilly, appartenant aujourd'hui à M. de Graveron, dont l'habitation, de construction moderne, est
entourée de plantations d'arbres à feuillages persistants.
C'est là aussi que se trouvait l'ermitage de Mervilly, devenu plus tard prieuré, sous la dénomination de prieuré
de Saint-Christophe-de-Mervilly, et dont il reste encore, cachée sous le feuillage, une partie de la petite chapelle,
transformée en poulailler.
Malgré sa proximité d'Orbec, Mervilly était autrefois un véritable désert, où de pauvres ermites, fuyant le
monde, étaient venus s'établir, comme d'autres s'étaient établis aux environs de Bernay, à Plasnes.
Touché de compassion, pour ces pauvres ermites, un seigneur des environs, Jean de Thannay, leur fit don,
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au XIII siècle, d'un vaste terrain, bornant celui où ils avaient élevé leurs refuges et qu'ils avaient eu la précaution
d'entourer d'un fossé.
La charte de donation existe encore dans les archives de l'hôpital de Lisieux.
En échange de ce don gracieux, Jean de Thaunay demandait tant seulement des prières aux ermites.
Deux ans après, Jourdain du Hommet, évêque de Lisieux, disposait, comme d'un bénéfice, de l'ermitage qui
avait alors 40 acres, et l'incorporait à la Maison-Dieu de Lisieux,
Au XIVe siècle, le curé de la Vespière, jaloux des produits de l'ermitage qui recevait de nombreux pélerins,
pénétra dans la chapelle en brisant la porte et s'empara de la collecte de la journée. Un procès s'en suivit ; le curé
de la Vespière le perdit ; mais, ses successeurs renouvelèrent ses prétentions, sans plus de succès toutefois.
Pour mettre fin à toutes ces contestations, les religieux
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Mathurins firent ériger l'ermitage en prieuré. C'était faire de la chapelle un lieu régulier, échappant à la juridiction
de l'ordinaire et aux prétentions des curés de la Vespière.
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Au XVII siècle, sous la réforme, le prieuré tomba en commande ; un prêtre séculier du diocèse de Lisieux,
Michel Le Boctey, qui en était en possession en 1606, le remit aux religieux de la Maison-Dieu, auxquels il resta
jusqu'en 1790.
A cette époque, le prieur, Le P. Loyer, fit à l'Assemblée nationale la déclaration exigée pour les bénéfices
ecclésiastiques.
Le prieuré consistait alors, dit cette déclaration, en terres de labour, et deux cours en herbe et plantées : dans
la première cour, une chapelle nouvellement bâtie, ayant quatre croisées, un contretable de bois, quatre
chandeliers en bois, une croix. Les ornements étaient fort modestes et se composaient d'une chasuble, deux
aubes, deux nappes d'autel et une bourse. Le calice seul était d'argent.
La maison était occupée moitié par le fermier, moitié par le prieur.
Peu de temps après cette déclaration, le prieuré de Saint-Christophe était confisqué et vendu comme bien
national.
Au Sud-Est de la ville d'Orbec, à l'embranchement des chemins de Vimoutiers et du Sap, on remarque une
grosse pierre taillée à huit pans, ayant à son centre une perforation de forme carrée.
C'est le pied d'une croix, brisée pendant la révolution, qui a donné à la rue qui conduit à ce point le nom qu'elle
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porte encore aujourd'hui : la rue Croix-au-Lyonnais, appelée par corruption Croix-au-Lyonet.
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Il y a sur cette croix une intéressante légende ; mais comme cette légende a été racontée par M. le D Lacroix,
ancien maire d'Orbec, dans une brochure vendue au profit de l'Hospice de cette ville, nous nous abstenons d'en
parler autrement que pour engager nos lecteurs à acheter cette brochure et à accomplir ainsi, en se procurant
une satisfaction, un acte charitable.
Dans l'unique Bulletin des travaux de la Société d'Émulation de Lisieux, publié en 1846, alors que cette
Société n'était point encore devenue exclusivement agricole et ne dédaignait pas de s'occuper d'histoire, de
sciences naturelles et de littérature, l'honorable M. Hélix d'Hacqueville, alors procureur du roi à Lisieux, a raconté
une autre légende des environs d'Orbec, qui a pour titre la Croix de fer.
Cette croix se trouve à la limite des départements de Calvados et de l'Eure, à l'entrée de la plaine de SaintGermain-la-Campagne, au bord du chemin d'Orbec ; Courtonne-la-Ville. A quelques centimètres au-dessous du
bras de la croix, se développe un cartouche, en forme de coeur, contenant l'inscription suivante :
« ANTOINE. LE. PAIGE. ESCVIER. A. DONNÉ. CETTE. CROIX. PRIEZ. DIEV. POUR. LE. REPOS. DE. SON. AME. IL. DÉCÉDA.
LE. SIXIESME. DE. MAY. 1657. »
Plus bas, est un écusson contenant les armoiries du donateur ; elles sont d'azur au chevron d'or, cantonné à
trois coquilles d'argent posées deux et un.
Nous avons le regret de ne pouvoir reproduire ici le touchant récit de M. d'Hacqueville ; nous ne pouvons,
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malheureusement, que le résumer, pressés que nous sommes et par le temps et par le peu d'étendue de ce petit
livre.
Un soir de printemps de l'année 16...., un habitant de Thiberville, qui venait souvent à Orbec, fut tué d'un coup
de feu sur le chemin de Courtonne-la-Ville, dans le hameau même de la Pagerie, qu'habitait Le Paige.
Ce dernier, au bruit du coup de feu, était sorti armé de sa gentilhommière, où il avait bientôt rapporté le blessé,
qui succomba sans avoir repris connaissance.
Le Paige, qu'on savait être en mauvaise intelligence depuis longtemps avec l'homme assassiné, fut accusé
d'être l'auteur du meurtre.
Le Parlement de Rouen le condamna à la peine de mort.
Un seul homme douta de la culpabilité du malheureux Le Paige, ce fut son avocat. Aussitôt l'audience levée, il
courut à l'auberge où les témoins les plus acharnés contre Le Paige étaient descendus, et surprit la conversation
de deux d'entre eux. Une nouvelle instruction eut lieu, qui amena la condamnation à la potence des deux
criminels, et un arrêt de renvoi de Le Paige, déclaré innocent.
Conservant un amour et un respect profonds pour la miséricorde divine, qui avait permis que son innocence
fût merveilleusement reconnue, Antoine Le Paige ordonna par son testament l'érection, au lieu même où le crime
avait été commis, de la croix que nous venons d'indiquer. Pieusement cachée pendant la tourmente
révolutionnaire, cette croix fut remise en 1802 à la place où elle est encore aujourd'hui.
FIN
TABLE
I. Avant-Propos
1
II. Concession de la ligne. — Formation de la Société anonyme concessionnaire. — Travaux. — Détails
Statistiques. — Exploitation
4
III. Lisieux : Renseignements. — Ses Monuments. — Ses Maisons antiques. — Son Histoire
12
IV. La Gare. — Les Prés de Beuvillers. — Les Quatre-Sonnettes. — Jean Marie. — L'Usine d'Orival. — Les
28
Pavements. — L'Église de Beuvillers. — Le Manoir. — L'Usine Laniel. — Aspect de Glos
V. Glos : Renseignements géographiques et industriels. — Son Histoire. — Son Eglise. — L'Auberge du
Grand-Saint-Laurent. — L'Aqueduc romain. — Le Manoir de la Vallée. — Un autre Manoir. — Les Bruyères 41
de Glos. — Le Château de Coq
VI. Mesnil-Guillaume : Renseignements géographiques et industriels. — Le Château. — L'Eglise
46
VII. Saint-Martin-de-Mailloc : Renseignements géographiques et industriels. — Son Histoire et son Eglise. —
48
Saint-Denis-de-Mailloc. — Les Allemands. — La Barricade. — Les Melons
VIII. Saint-Pierre-de-Mailloc : Renseignements géographiques. — L'Eglise. — Le Château de Mailloc. — Les
51
Seigneurs de Mailloc. — La Chapelle de Mailloc. — La Saint-Gourgon
[100]
IX. La Chapelle-Yvon : Renseignements géographiques et industriels. — Son Histoire. — Son Eglise. — Le
56
Besnerey. — Le Paysage
X. Saint-Martin-de-Bienfaite : Renseignements géographiques et industriels. — Son Histoire. — La Famille
de Chaumont-Quitry. — Le Château. — L'Eglise. — Le Pain de Sucre. — Les Réquisitions prussiennes. — 61
Le Château de Godfard. — Le village de Saint-Maur. — De Bienfaite à Orbiquet-Launay
XI. Orbiquet-Launay : La Famille d'Hacqueville. — D'Orbiquet-Launay à Orbec. — Panorama de cette ville 70
XII. Orbec : Renseignements géographiques et industriels. — L'Eglise. — L'Hôtel-Dieu. — Le Couvent des
Augustines. — Josias Bérault. — Les Capucins. — L'Hôtel-de-Ville. — Le Bonnet carré. — Histoire
74
d'Orbec. — Les Hommes célèbre du Canton
XIII. Les Environs d'Orbec : Les Sources de l'Orbiquet. — La Folletière-Abenon. — Le Prieuré de
Friardel. — La Vespière. — L'Ermitage de Mervilly. — La Croix-au-Lyonnais. — La Croix-de-Fer
90
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