Extrait - Librinova

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JACQUES BLANCHET
Philosophies d’Orient
et d’Occident
La pensée chinoise peut-elle coloniser le monde ? De Confucius
à Deleuze
© JACQUES BLANCHET, 2016
ISBN numérique : 979-10-262-0857-0
Courriel : [email protected]
Internet : www.librinova.com
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Il existe une grande différence entre les philosophies d'Orient et
d'occident.
D'ailleurs il serait plus facile de comparer les philosophies orientales
de l'Inde et de la Chine à la philosophie grecque de L’Antiquité qu'à la
philosophie occidentale contemporaine. En effet on trouve, par exemple
chez les Stoïciens et les Epicuriens des modèles de vie qui ne sont pas
tellement éloignés de ceux que préconise Confucius. Là où la différence
s'est instaurée c'est à partir du pragmatisme d'Aristote, de !'Idéalisme de
Platon puis ensuite du rationalisme de Descartes, lesquels ont conduit la
pensée occidentale vers une conceptualisation de plus en plus poussée et de
plus en plus abstraite pour aboutir à de véritables cathédrales théoriques
comme celle de Hegel.
Les philosophies orientales ne sont pas à proprement parler des
philosophies. Deleuze avait l'habitude de dire que c'étaient des préphilosophies qui avaient plus de points communs avec les religions et les
éthiques qu'avec la pensée rationnelle par concepts abstraits.
Qu'il s'agisse du Bouddhisme, du Shintoïsme, du Confucianisme, du
Taoïsme et des légistes, ce que recherche le penseur ce n’est pas une
méthode rationnelle pour transformer le monde par son activité savante,
mais c'est une attitude de l'esprit qui lui permet d'obtenir une certaine
qualité de vie, qui le met à l'abri des tentations de l'existence et qui, en lui
apportant la sagesse voulue, lui assure aussi une certaine forme de
bonheur, un bonheur qui est beaucoup plus une autolimitation du plaisir
qu'une satisfaction obtenue en modifiant le monde pour le rendre plus
agréable. Par exemple Confucius se refuse à distinguer les fins et les
moyens, car il estime que ce serait mutiler la réalité et perturber le cours
normal des choses. Or toute les sciences et techniques occidentales sont
fondées sur le découplage entre les projets et les mesures prises pour les
réaliser.
La philosophie chinoise est une philosophie de la relation et non du
concept.
Ce n'est pas une ontologie et la question de l'Unité ou de la Totalité
chère à Parménide ne s'est jamais posée. Ce n'est pas non plus le vaste
questionnement sur l'être et sa nature, auquel se sont livrés les philosophes
grecs et que Heidegger appelait de ses vœux. Confucius vit dans
l'immanence la plus complète, ce qui n'exclue pas la transcendance qu'il
trouve dans la « voie », la volonté sacrée du ciel et de la terre. Les choses
ne sont pas; elles se transforment en permanence et les contraires finissent
par devenir complémentaires, car aucune opposition n'est définitive. Le
sage doit attendre et être vigilant. Il ne doit pas «forcer» la nature, comme
le fait la technique (ainsi que Heidegger l'a montré), mais suivre la voie
que le ciel lui indique. La philosophie ne connaît pas la dialectique, telle
que l'a conçue Hegel car cette dernière est la lutte des contraires. Or les
contraires n'existent pas en Chine. Ce qui existe c'est l'évolution.
En fait, le Confucianisme date du IIIème siècle avant J.C. et a été peu
modifié depuis lors, de sorte qu'on se demande si les Chinois actuels ne
sont pas obligés de faire le grand écart entre une pensée qui est une
métaphysique de la nature et une activité matérielle, industrieuse, qui pour
devenir efficace a été obligée de découvrir la nature, la qualité, la structure
et la composition des choses.
Il n'en reste pas moins que certains philosophes français, notamment,
se rapprochent de la pensée chinoise, comme par exemple Gilles Deleuze
et Félix Guattari qui prennent en compte beaucoup plus les flux de la vie
que les réalités du monde. Comme quoi malgré des différences d'approche
les pensées peuvent finir par se rejoindre. Néanmoins il est peu probable
que la pensée chinoise exerce une profonde influence sur celle de
l'Occident qui, en matière de philosophie a atteint un degré de
sophistication assez remarquable. Néanmoins comme l'a montré le
dialogue qui s'est instauré entre régis Debray et Zhao Tingyang, la Chine
peut nous amener à penser autrement et à considérer que le rationalisme
triomphant n'est pas la fin de l'histoire.
Il est clair qu’une pensée, aussi élaborée soit-elle a besoin de se
confronter avec celles des autres civilisations qui, depuis longtemps ont
appris à vivre différemment et donc à considérer le monde autrement.
Finalement c'est peut-être Confucius qui avait raison: savoir attendre,
être vigilant et profiter des opportunités quand elles se présentent: c'est
peut-être cela le secret de la réussite chinois.
Introduction
Les printemps et les automnes de Confucius
Confucius, le chinois le plus célèbre, est né le 28 septembre de l'an 551
avant Jésus-Christ dans le royaume de Lu. {Shan Sa. Le printemps et les
automnes de Confucius in YuDan. Paris. Belfond 2012).
D'après les « Mémoires historiques » de Sima Tan et Sima Qian {Ier
siècle av. J.C.) l'enfant était très attendu. L'épouse de son père mit au
monde neuf filles. C'est Yan, la deuxième concubine, qui donna naissance
à Confucius, ce fils tant désiré. Elle l'appela Qiu, du nom de la montagne
où elle était allée se recueillir avant de tomber enceinte. Confucius gardera
toute sa vie une intimité réelle avec la nature, les montagnes, les rivières...
La famille de Confucius descend de l'antique dynastie impériale des
Shang (instaurée vers 1765 av. J.C.). Le père de Confucius, un lettré qui
pratiquait les arts martiaux fut conseiller royal dans le Royaume de Lu. A
la naissance de Confucius, il avait soixante-dix ans. Il mourut trois ans
plus tard laissant sa famille dans le besoin.
L'époque était troublée. L'Empire de la dynastie Zhou se désagrégea et
on vit apparaître de nombreux royaumes qui étaient en permanence en
conflit entre eux pour des questions territoriales (Qi, Song, Jin, Qin, Chu...)
Le royaume de Lu, bien que pris en étau entre les royaumes
combattants (Qi et Song) choisit la neutralité, la non-belligérance et se mit
à cultiver les lettres, les arts et la musique. Confucius étudia, pour sa part,
les trois cents chapitres des codes rituels et les trois mille compositions
musicales de la dynastie Zhou ; au royaume de Lu, il était considéré
comme un lettré érudit et il entreprit de prêcher l'ordre, la modestie, la
compassion, l'harmonie et surtout la paix.
Mais il est bientôt obligé de quitter le royaume de Lu et il se rend dans
les différents royaumes voisins où il est accueilli avec enthousiasme,
véritablement vénéré, mais systématiquement écarté du pouvoir. A
soixante-huit ans, il retrouve son pays natal, le royaume de Lu où il ne
parvient pas à imposer ses idées morales et politiques. Il meurt à l'âge de
soixante-treize ans sans savoir qu'il avait été l'homme qui devait marquer
le plus l'histoire de la Chine et inspirer, pendant plus de deux millénaires,
la pensée de l'Orient chinois.
La philosophie chinoise ancienne et classique
Pour comprendre la mentalité chinoise d'aujourd'hui, il nous semble
nécessaire de rappeler les grands traits de la philosophie ancienne et
classique de ce pays, depuis Confucius jusqu'à cette période marquée par le
communisme qui a fait vaciller l'ensemble des manières de penser du
peuple, sans pour autant les faire disparaître. Aucun régime aussi brutal
soit-il ne peut effacer en quelques années un état d'esprit qui a mis des
siècles pour s'imposer. Dès lors que la propagande et la violence eurent
disparu, ce sont les anciens réflexes mentaux qui réapparurent. Ils sont
toujours bien vivants. Ils n'ont pas été anéantis car ils appartiennent en
propre à l'âme chinois qui, s'opposant éternellement à toute invasion
extérieure les a peu à peu édifiés et sanctifiés sur son propre territoire et à
son propre usage.
Les idéologies sont éphémères. Elles ne peuvent anéantir en quelques
années des traditions, des us et coutumes séculaires.
L'histoire de la Chine est, en fait, très tourmentée; elle est constituée de
périodes de construction, de déconstruction, voire de chaos, suivies de
renaissances magnifiques et que l'on nomme le» cycle dynastique». Il n'y a
jamais eu de disparition de la civilisation chinoise même dans les temps
les plus difficiles, mais seulement des désintégrations temporaires avant
reconstitution quasiment à l'identique. Une histoire immobile en quelque
sorte, une histoire qui fait du « sur-place ». Ce processus si souple et si
particulier a conféré à la Chine des capacités exceptionnelles de
résilience » (Jean-François Susbielle. USA-Chine. La guerre programmée.
Paris. First. 2006).
La pensée chinoise. Ses différentes approches.
La pensée chinoise est accessible à un Occidental malgré d'inévitables
difficultés d'interprétation, même si l'on a toujours tendance à convoquer
des catégories occidentales pour décrypter les enseignements des sages qui
nous sont rapportés. Il faut donc être très prudent pour traduire leur pensée
et s'efforcer de la pénétrer de l'intérieur comme si on était à leur place
(Nicolas Zufferey. La pensée chinoise. Paris. Marabout).
Malgré tout, l'exercice est peut-être moins difficile qu'on ne le croit
pour qui a, dans son enfance, approché de vieux paysans dont la mentalité
était certainement proche de celle de Confucius et souvent, en relisant les
pensées de ce grand sage, nous nous sommes dit que sa façon d'envisager
les choses, de penser la vie et la manière de se comporter n'était peut-être
pas si différente de celle qu'il nous a été donné de connaître. Confucius
vivait dans une société purement rurale et attachait la plus grande attention
au retour des saisons qui rythmait le déroulement des travaux agricoles. Il
connaissait bien la terre que les familles du village cultivaient. Il scrutait
le ciel pour prévoir les changements de temps et savait interpréter les
présages qui lui étaient adressés. Il était en communion, en symbiose avec
la nature et participait de cette modestie, cette retenue, cette discrétion
propre à tous ceux qui comprennent qu'ils ont affaire à des phénomènes qui
les dépassent. De là provient cette tendance à diviniser les forces naturelles
et cela se retrouve dans toutes les civilisations primaires. De là aussi, cet
amour de l'ordre et de l'harmonie et donc aussi cette croisade permanente
menée en faveur de la stabilité sociale, car tout débordement est gros de
périls futurs.
Finalement, dans la mentalité paysanne quels que soient les lieux et les
temps, il y a certainement des constances remarquables parce que en
réalité, la nature est partout la même.
Malgré tout, dans le cas de la Chine se manifestent des traits
particuliers tenant au temps et à l'espace ainsi qu'au fait que pendant trois
millénaires il y a eu peu de contacts et d'influences réciproques entre
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