339_356_Lettre du terrain - Banque de données en santé publique

Santé publique 2004, volume 16, no2, pp. 339
LETTRES
DU TERRAIN
Parcours et témoignages
d’infirmières…
Careers and accounts of nurses
L. Fond-Harmant (1)
Ce numéro de « Santé publique » nous conduit à explorer les diverses
dimensions du métier d’infirmière dans une problématique générale de santé
publique. Nous voyons que les composantes de la profession d’infirmières, de la
fonction qu’elles occupent, du rôle qu’elles jouent sont fortement liées à l’histoire
sociale et à ces évolutions. Pour illustrer ces changements, les lettres du terrain
qui suivent exposent quelques parcours biographiques : ils représentent des
trajectoires professionnelles, des témoignages d’infirmières… Ils sont le produit
d’un regard sur ce métier qui se transforme peu à peu parce que le rapport au
monde médical change de l’intérieur… le bio-médical montre ses limites dans un
monde complexe où la dimension sociale est sans cesse présente, parfois
violente lorsqu’elle met en exergue les inégalités et l’hétérogénéité des
populations et des situations.
Les entretiens et le texte qui suivent rappellent que l’histoire singulière des
individus est toujours liée à l’histoire collective d’une société. La formation des
personnes joue un rôle déterminant dans les évolutions possibles. Pour les
professionnels de santé, la formation à la santé publique et au développement
social joue un rôle majeur dans les changements progressifs du système de santé
et de son organisation de travail… C’est la formation qui trans-forme et façonne
peu à peu de nouvelles pratiques professionnelles. C’est le processus
d’apprentissage qui dé-forme, re-forme, dé-construit et re-construit l’appropriation
de nouveaux concepts et trans-forme ainsi, progressivement, la vision du monde.
La multiplicité de ces histoires singulières est présentée ici sous la forme de
cinq entretiens et texte courts qui constituent cinq parcours professionnels. Ils ont
tous pour genèse la formation d’Infirmière : puis, chaque trajectoire s’élabore à sa
manière, avec son histoire, sa personnalité, ses rencontres… Aujourd’hui, toutes
exercent leurs compétences dans le domaine de la santé publique : elles y
défendent des convictions et des valeurs fondées sur une certaine vision de
l’homme dans un système de santé où la prise en compte de l’intéraction sociale
doit être centrale.
Merci à ces personnes et merci à tous ceux qui, de part et d’autre de
l’Atlantique, ont contribué à mettre « leur grain de sel » à ce numéro pour lui
apporter toute sa saveur intellectuelle afin d’alimenter de stimulantes réflexions
sur les évolutions des pratiques de santé.
(1) Société française de Santé publique, 2, av. du Doyen Jacques-Parisot, BP 7, 54501 Vandœuvre-
lès-Nancy cedex.
Santé publique 2004, volume 16, no2, pp. 341-342
Infirmière… puis responsable
d’enseignement en santé
publique
Nurse… a professional also responsible
for teaching public health
D. Billot (1)
Infirmière diplômée d’Etat : 1993
DESS Santé Publique : 1997
Missions humanitaires : 2001
DESS Formation des professionnels de santé : 2003
Fonction actuelle : Coordinatrice du Diplôme Universitaire de Santé Publique
depuis août 2002
(1) Ecole de santé publique, faculté de médecine de Nancy, avenue de la Forêt de Haye, BP 184,
54505 Vandœuvre-lès-Nancy cedex.
LETTRES
DU TERRAIN
Vous êtes Coordinatrice du
Diplôme Universitaire de Santé
Publique, en enseignement à dis-
tance à l’Ecole de Santé Publique
de Nancy, quelle est votre mission ?
J’ai pour mission d’assurer la coor-
dination pédagogique de la formation
et la mise en place d’une réforme
visant à mettre en ligne les enseigne-
ments. Dans ce cadre, je réalise
actuellement avec l’accompagnement
de l’équipe du Labset (Université de
Liège), la transformation du module
éducation pour la santé qui sera
accessible en ligne à la rentrée 2004.
Comment en êtes-vous arrivée là ?
Ma trajectoire professionnelle n’a
pas suivi les voies classiques et le
chemin qui m’a conduit d’un Diplôme
d’Etat d’Infirmière obtenu en 1993 à la
Santé Publique puis à la formation
s’est construit au fil du temps, des
rencontres, des expériences et des
événements de la vie.
C’est guidée par un esprit de
découverte et animée par la volonté
d’évoluer que j’ai cheminé tout au long
de ce parcours. Mes nombreux
voyages, en particulier en Afrique ont
contribué à me donner une ouverture
sur le monde. Mes valeurs, m’ont
conduit à me situer souvent à l’articu-
lation du sanitaire et du social.
Vous avez été soignante, puis
vous avez repris un parcours de for-
mation universitaire ?
Oui, soignante pendant 4 ans, j’ai
exercé en milieu hospitalier puis rapi-
D. BILLOT
dement j’ai pris un poste au Samu
Social de Paris. Parallèlement j’ai
poursuivi des études universitaires en
sciences humaines : DEUG de Psy-
chologie, licence et maîtrise d’Ethno-
logie obtenues à l’université Paris XIII
en 1995. Pour développer la conjonc-
tion de ces expériences de terrain et
de cette formation universitaire je me
suis naturellement orientée vers la
santé publique. Après un DESS de
Santé Publique obtenu à Paris VII en
1997, j’ai exercé 4 ans dans le
domaine de la prévention, d’abord
comme coordinatrice santé dans le
cadre d’un contrat de ville puis
comme responsable adjointe d’un
service prévention santé d’une ville de
banlieue parisienne.
Vous vous êtes orientée vers la
dimension formatrice de la santé
publique…
En effet, je me suis ensuite intéres-
sée au champ de la formation, d’abord
par des interventions ponctuelles, puis
par une mission humanitaire de 6 mois
au Congo Brazzaville dont l’objectif a
été de relancer les activités d’une
école d’infirmière. Forte de ces
diverses expériences j’ai souhaité
approfondir le domaine de la forma-
tion. Ainsi au retour du Congo, j’ai
suivi à Paris XIII le DESS de « Forma-
tion en santé : stratégie et développe-
ment de formations en santé ». Dans le
même temps j’ai exercé la fonction de
formatrice dans un Institut de Forma-
tion en Soins Infirmiers. Ce DESS,
obtenu en 2003, m’a permis, grâce à
la qualité des enseignements et de
l’accompagnement proposé par
l’équipe pédagogique de Bobigny en
particulier, le professeur Rémy
Gagnayre, de confirmer mon attrait
pour la pédagogie.
Ces 10 années d’expérience profes-
sionnelle, enrichies par diverses for-
mations m’ont permis de découvrir
différents univers, d’exercer différents
métiers et d’acquérir des compé-
tences dans le champ de la santé. Du
soin à l’éducation pour la santé, du
terrain à la conception de projet : des
choix parfois difficiles à arbitrer mais
des liens riches de sens.
Et puis maintenant à Nancy… des
rencontres avec des étudiants d’ori-
gines culturelles et professionnelles
diverses…, un nouveau projet, une
nouvelle aventure…
Propos recueillis par Laurence Fond-Harmant
342
Santé publique 2004, volume 16, no2, pp. 343-345
La formation… mais aussi
la confrontation avec le terrain
Training… but moreover, confrontation
with the field
M. Hette (1)
Infirmière diplômé d’Etat : 1980
DU santé publique : 1989
Certificat cadre infirmier en santé publique : 1991
Maîtrise en sciences sanitaires et sociales : 1994
Formation IASS à ENSP : 2002/2003…
(1) DRASS Lorraine Immeuble Thiers, 4, rue Piroux, 54036 Nancy cedex.
LETTRES
DU TERRAIN
Quand êtes-vous entrée dans le
domaine de la santé publique ?
J’ai découvert la santé publique, en
1978, par la lorgnette des facteurs qui
influencent la santé de l’homme.
Aujourd’hui, après quelques forma-
tions et une expérience profession-
nelle très diversifiée, la santé publique
est avant tout, pour moi, une
démarche pratique qui a pour objet les
politiques de santé, une méthode de
travail qui permet une approche glo-
bale.
En 1978, je suis élève infirmière
dans une nouvelle école à Nancy, celle
du CHU de Brabois. Un programme
innovant intègre des cours de santé
publique, dispensés par le Professeur
Jean-Pierre Deschamps. En stage
dans un centre de soins de la Croix
Rouge Française, je dois faire des
injections intramusculaires à une
dame relativement jeune qui présente
des douleurs lombaires. En fait, je
découvre que son travail consiste à
laver les escaliers des 11 entrées de
deux immeubles de 13 étages… je me
suis beaucoup interrogée à l’époque
sur les répercussions des conditions
de travail de cette personne, sur sa
santé et sur l’utilité à long terme de
ces injections.
En sortant de l’école, je travaille
dans une clinique privée à but lucratif.
Je découvre que la santé peut « rap-
porter gros » et que soigner peut s’ac-
compagner d’un objectif de rentabilité
financière. Dès que cela est possible,
j’intègre pleine d’espoir, un centre
hospitalier de la région parisienne. En
secteur de médecine, je rencontre une
jeune fille maghrébine, qui a fait une
M. HETTE
tentative de suicide car elle ne sou-
haite pas retourner au pays pendant
l’été, de peur d’y être mariée sans son
consentement. Je me fais rappeler à
l’ordre par le médecin chef de service
qui m’explique que mon travail
consiste à faire des injections et que je
ne suis pas payée pour « bavarder »
avec les patients. Je découvre alors,
avec beaucoup d’amertume, que les
professionnels de la santé n’ont pas
tous la même approche et la même
conception de l’homme, de la santé.
Je décide de partir et de m’orienter
vers la « prévention ».
Ensuite vous travaillez dans le
champ de la santé scolaire ?
J’intègre en 1983, les services cen-
traux de l’Etat et j’exerce la profession
d’infirmière en santé scolaire à Paris.
Je « débarque », sans formation spéci-
fique et adaptée, dans un Lycée d’en-
seignement professionnel à proximité
de la Goutte d’Or. Trois jeunes filles de
15 ans sont enceintes et ne savent
pas par où va sortir l’enfant. Je tombe
des nues et constate que l’éducation
sexuelle mise en place en milieu sco-
laire a des limites. Je découvre égale-
ment que l’éducation pour la santé
nécessite des compétences en péda-
gogie ainsi qu’une bonne connais-
sance du public.
Ces expériences professionnelles
me questionnent et je suis plusieurs
formations entre 1989 et 1993 : di-
plôme universitaire de santé publique,
maîtrise en sciences sanitaires et
sociales et un certificat cadre infirmier
de santé publique qui n’existe plus
aujourd’hui.
Vous avez également œuvré au
Centre de Médecine Préventive de
Nancy, n’est-ce pas ?
A partir de 1988, je suis chargée de
mission au centre de médecine pré-
ventive de Vandœuvre-lès-Nancy
dans le cadre de la mise en place
d’examens de santé à destination de
jeunes en difficulté relevant du dispo-
sitif des missions locales ou à destina-
tion de personnes bénéficiaires du
RMI. Les modules du DU de santé
publique, notamment ceux de sociolo-
gie, d’anthropologie et d’ethnologie
de la santé me permettent de mieux
comprendre et de repérer les facteurs
psychoculturels, obstacles majeurs de
l’accès à la santé.
Votre parcours vous amène aussi
à côtoyer d’autres acteurs des poli-
tiques de santé ?
Oui, tout à fait, de 92 à 96, j’occupe
la fonction de directeur d’un service
municipal d’hygiène et de santé. Je
découvre la santé publique sous
l’angle de la « réglementation » avec
les vaccinations d’abord puis avec les
priorités nationales, régionales…
En participant aux rencontres du
réseau français des villes santé, je
côtoie d’autres écoles de santé
publique et prend conscience d’autres
approches plus épidémiologiques ou
plus sociales. Je travaille également
avec des géographes de la santé dans
le cadre du festival international de
géographie de Saint-Dié. Par ailleurs,
la démarche de développement local
me semble proche de la démarche
globale préconisée en santé publique.
A l’échelon d’un territoire, des
logiques de travail s’affrontent tout en
étant complémentaires : celles des
politiques, des professionnels de
santé libéraux ou hospitaliers, des tra-
vailleurs sociaux, de la population. La
connaissance de l’approche systé-
mique est nécessaire pour décrypter
les jeux d’acteurs et impulser une
dynamique territoriale. Par ailleurs,
j’utilise les outils méthodologiques de
la santé publique comme une straté-
gie pour « contre balancer » les jeux
politiques incompatibles avec les
règles éthiques de santé publique.
344
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !