Soucieux d’assurer la sécurité des travail-
leurs et le traitement respectueux de tous les patients, un éta-
blissement de soins de santé conçoit un programme de prise en
charge des patients obèses.
Il est impératif de faire preuve de compassion, de compré-
hension, de respect et de dignité lorsqu’on traite des patients
bariatriques (obèses)1. Si l’on ne dispose pas de l’équipement
ni de la formation appropriés, la prise en charge de ces patients
peut devenir source de frustration et d’embarras, tant pour
les travailleurs que pour les patients, et créer des risques pour
leur sécurité.
Au Centre des sciences de la santé (CSS) de Winnipeg, nous
avons compris qu’il fallait adopter des pratiques de travail
sécuritaires pour la prise en charge des patients bariatriques
après que deux infirmières auxiliaires se fuent blessées au dos
lors des manœuvres de transfert d’un patient pesant 242 kg
(534 lb). Cet accident s’est traduit par une perte de 258 jours
de travail et des coûts directs de 17 415 $ pour la Commission
des accidents du travail. En outre, les deux travailleuses souf-
frent d’une incapacité résiduelle qui les empêche d’accomplir
des travaux exigeants au plan physique. Ce n’était pas la pre-
mière fois que des blessures graves et coûteuses survenaient à
l’hôpital lors de la manipulation de patients de forte corpu-
lence. À l’évidence, un programme pour les patients baria-
triques s’avérait une nécessité.
Le CSS est un hôpital universitaire de soins tertiaires qui
compte 1 100 lits et où travaillent 6 000 employés. Depuis les
cinq dernières années, on y a admis une vingtaine de per-
sonnes considérées
comme des patients
bariatriques (c.-à-d.
pesant plus de 159 kg
[350 lb]), selon notre
définition, et ce nom-
bre est en hausse.
Dernièrement, sur une
période de 5 mois, l’équipe de prévention des blessures a été
consultée au sujet de 8 patients différents, pesant de 136 à
249 kg (300 à 550 lb).
L’équipe de prévention des blessures œuvre au sein du Ser-
vice de santé au travail et de médecine environnementale (le
Service de santé) du CSS. Elle se compose d’une infirmière en
santé au travail, d’un ingénieur en ergonomie et d’une physio-
thérapeute qui sont chargés de la prévention et de la gestion
des blessures chez le personnel hospitalier. On lui doit, entre
autres, la mise en place d’un programme de soulèvement
minimal (encadré) pour transférer les patients qui s’inspire
d’une recherche récente2.
L’équipe a également conçu un programme de prise en
charge des patients bariatriques qui vise
à réduire le risque potentiel de blessure
chez le personnel soignant. Notre défini-
tion de ce qu’est un patient bariatrique
n’a rien de restrictif : les travailleurs sont
invités à consulter le service de santé pour
tout soulèvement ou tout transfert qui
leur pose problème.
Revue documentaire
Il existe une foule de documents sur
les techniques de levage et de transfert
sécuritaires pour réduire les risques de
blessure, mais on trouve peu de choses
sur les techniques adaptées aux patients
de forte corpulence. Cette rareté a de quoi
étonner vu le nombre d’articles récents
qui font état d’une hausse des admissions
de patients obèses à l’hôpital3. L’obésité
serait, selon certains auteurs, la nouvelle
épidémie et l’on constate que la plus forte
prévalence de l’obésité chez les patients
admis à l’hôpital pose des défis au plan de
la sécurité du personnel et des patients4.
Malgré cette situation, les établisse-
ments de santé sont mal
conçus et mal équipés
pour prendre en charge
les patients bariatriques.
Les lits, les civières, les
fauteuils roulants et les
lève-personnes ordi-
naires ainsi que les au-
tres pièces d’équipement ne sont pas
conçus pour supporter le poids d’un pa-
tient bariatrique. Le manque d’équipement
adapté et de personnel contribue à rendre
les employés hésitants à s’occuper de ce
type de patient5.
Le programme pour
les patients corpulents
Léquipe de prévention des blessures du
Service de santé a compris qu’il était es-
sentiel de disposer de l’espace et de l’équi-
pement requis pour prendre soin des pa-
Réduire les risques liés à la manipulation
des patients bariatriques
1 4 OBJECTIF PRÉVENTION VOL. 30, NO 5, 2007
DOSSIER CLIENTÈLE OBÈSE
Le manque d’équipement adapté et
de personnel contribue à rendre les
employés hésitants à s’occuper de
ce type de patient.
Marylou Muir
Infirmière en santé
au travail
Département de
santé au travail et
de médecine
environnementale
Centre des sciences
de la santé, Office
régional de la santé
de Winnipeg
Susan Gerlach
Consultante et
physiothérapeute
Office régional de la
santé de Winnipeg
La version originale de cet arti-
cle a été publiée dans la revue
Canadian Nurse, vol. 99, no 8,
septembre 2003. Nous en re-
produisons une partie avec
l’autorisation de l’Association
des infirmières et infirmiers du
Canada. Les auteures présentent
une mise à jour de leur article
en encadré.
REMERCIEMENTS
Les auteures remercient le
Département d’enseignement
infirmier du Centre des sciences
de la santé de l’Office régional
de la santé de Winnipeg pour
l’aide reçue dans l’élaboration
et la mise en œuvre des poli-
tiques et des procédures de
prise en charge du patient
bariatrique.
TRADUCTION :
HÉLÈNE LAPLANTE
1 5 OBJECTIF PRÉVENTION VOL. 30, NO 5, 2007
tients bariatriques afin de protéger la santé et la sécurité de ces patients ainsi que celles
du personnel. Elle a donc conçu le Programme pour les patients corpulents du CSS.
L’initiative comporte trois volets : les politiques et procédures, l’identification et l’ac-
quisition de l’équipement adapté et l’accès à des outils éducatifs et à de la formation.
Politiques et procédures
Des lignes directrices pour la prise en charge des patients lourds sont en place depuis
1997. On a revu ces directives en 2002 pour y inclure de nouveaux équipements ainsi
que des procédures plus claires. Les lignes directrices font partie du manuel des soins
infirmiers qu’utilisent toutes les unités.
L’admission d’un patient bariatrique enclenche un processus en sept étapes. Tout
d’abord, les professionnels de la santé avisent le département d’accueil de l’arrivée
d’un patient lourd. Dans la mesure du possible, on préfère être mis au courant de la
situation avant l’admission. Puis, ils attribuent au patient une chambre privée, habi-
tuellement une ancienne
chambre à deux lits ; les dépla-
cements autour du lit unique
s’en trouveront facilités et l’on
disposera alors de suffisamment
d’espace pour ranger l’équipe-
ment. Troisièmement, les travailleurs de la santé demandent au dépôt de matériel de
livrer à l’unité un lit bariatrique. Quatrième étape, ils analysent les besoins du patient
au moyen du formulaire d’évaluation et des lignes directrices pour la manipulation
des patients. Ensuite, ils commandent toutes les autres fournitures requises auprès du
dépôt (ex. : marchette, chaise d’aisances, tabouret). On consulte alors l’équipe de
prévention des blessures du Service de santé. Enfin, le personnel soignant examine
l’équipement personnel du patient, comme sa marchette ou son fauteuil roulant, si le
patient a l’intention de s’en servir durant son séjour à l’hôpital.
Équipement
Avant la mise en place du Programme pour les patients corpulents, l’équipe de
prévention des blessures a examiné l’équipement du CSS pour voir ce qui manquait
et pour identifier les lacunes. L’absence d’équipement capable de supporter des poids
allant de 272 à 454 kg (600 à 1 000 lb) constituait le principal problème. Des fonds
ont été obtenus auprès des Directions des soins aux patients pour acheter
l’équipement nécessaire sur une période de deux ans, la location s’avérant difficile.
L’hôpital s’est procuré un lit avec très grand sommier, un trapèze, des marchettes,
des fauteuils roulants, des chaises d’aisances, un fauteuil inclinable, un petit banc,
une civre, des surfaces
de glissement pour dé-
placer le patient dans
le lit et un appareil de
levage complet qui peut
soulever en toute sécu-
rité jusqu’à 454 kg
(1 000 lb). On a égale-
ment mis à l’essai trois
autres lève-personnes
(capacité de 454 kg)
provenant de trois fa-
bricants différents,
mais ces appareils se
sont révélés insatisfai-
sants. Nous avons alors
décidé d’acheter un
lève-personne sur rail
au plafond d’une capa-
cité de 281 kg (620 lb)
pour l’unité des soins intensifs et un ap-
pareil mobile de 272 kg (600 lb) jusqu’à
ce que nous trouvions un engin plus puis-
sant. Selon notre expérience, cette capa-
cité de charge devrait répondre aux be-
soins de 95 % de nos patients. Nous
avons dépensé 60 550 $ en tout pour cet
équipement, mais c’est peu quand on
songe à ce qu’il en coûte pour réintégrer
une infirmière ou un préposé aux soins
ayant subi une blessure grave.
Éducation
Des affiches éducatives ont été conçues
et distribuées à toutes les unités de soins.
On y trouve une diversité d’information,
notamment des renseignements généraux
sur la manipulation des patients corpu-
lents, une liste d’équipements disponibles
au CSS, des nuros de téléphone internes
et d’autres ressources d’aide ou de conseil
offertes par le CSS ainsi que les techni-
ques de manipulation recommandées.
Une liste d’évaluation des patients
lourds a également été conçue. Celle-ci
doit être complétée par l’équipe de préven-
tion des blessures du Service de santé, de
concert avec les infirmières, les auxiliai-
res de l’unité et le personnel de la physio-
thérapie. Le formulaire renferme une
section réservée à l’identification du pa-
tient, y compris sa taille et son poids, une
case à cocher pour confirmer que le per-
sonnel a lu les lignes directrices sur la ma-
nipulation des patients corpulents, une
liste décrivant la capacité du patient à se
déplacer (sa capacité ambulatoire), une
liste de l’équipement requis, un liste des
tâches susceptibles d’être accomplies par
le personnel avec l’aide d’autrui (ex. :
tourner dans le lit), le nombre de person-
nes requises pour effectuer la manœuvre
en toute sécurité et une section de com-
mentaires. L’équipe de prévention des
blessures offre par la suite toute la for-
mation nécessaire sur les techniques de
manipulation sécuritaires pour ce patient.
Nous avons constaté que ces techniques
nécessitent un encadrement continu. La
technique la plus enseignée est l’utilisation
sécuritaire des dispositifs à faible friction
avec le produit en usage au CSS (Maxis-
lide Sheet XL et XXL, de Arjo Canada).
DOSSIER CLIENTÈLE OBÈSE
L’admission d’un patient bariatrique
enclenche un processus en sept étapes.
P H O T O : D A N I E L W E K L E R
Discussion
L’équipe de prévention des blessures du Service de santé évalue de façon continue
l’efficacité globale du programme pour les patients obèses, notamment le degré de
satisfaction des patients et des travailleurs, l’efficacité des coûts et la prévention des
blessures. Le programme est modifié en fonction des besoins. Par exemple, le pro-
gramme est actuellement limi-
té par le système de codage et
de suivi qui permet d’identifier
les patients admis et de relever
le nombre de blessures directe-
ment associées à la manipula-
tion de ces patients. On explore
actuellement des stragies pour
soudre ce problème de codage.
Nous avons également constaté
qu’il fallait définir un itinéraire de rechange pour les patients qui se présentent au
CSS sur un équipement extragrand, souvent trop encombrant pour les voies d’accès
habituelles.
Les défis actuels tournent autour du manque persistant d’équipement face au
nombre croissant d’admissions de pa-
tients corpulents. Pour l’instant, nous ne
disposons que d’un seul lit adapté alors
que deux ou davantage auraient été
nécessaires à l’occasion. L’achat d’un
second lit bariatrique plus mobile est à
l’ordre du jour. La prise en charge des
patients bariatriques décédés reste égale-
ment problématique, car les civières ac-
tuellement en usage à la morgue ne sup-
portent pas leur poids. Mais l’accueil des
patients bariatriques dans l’unité des
soins intensifs demeure l’enjeu le plus
important. L’usage des dispositifs de
levage y est souvent contre-indiqué en
raison des problèmes d’insuffisance car-
diaque et respiratoire des patients et de
leur incapacité à tolérer les harnais.
Notre équipe de prévention des bles-
sures ne ménage aucun effort pour rele-
ver ces défis à mesure qu’ils se présen-
tent. Malgré les problèmes qui persistent,
nous estimons que le CSS a fait des pas
de géant en vue de reconnaître les be-
soins particuliers du patient bariatrique
et d’y répondre.
RÉFÉRENCES
1. HAHIER, B., “Morbbid Obesity : a Nursing Care Challen-
ge”, Medsurg, 11(2), 2002, 85-90.
2 DAYNARD, D., A. YASSI, J.E., COOPER, et al. “Biome-
chanical Analysis of Peak and Cumulative Spinal Loads
during Simulated Patient-Handling Activities : a Substudy
of a Randomized Controlled Trial to Prevent Lift and
Transfer Injury of Health Care Workers”, Applied ergono-
mics, 32(3), 2001, 199-214; YASSI, A., J.E. COOPER, R.B.
TATE, et al. “A Randomized Controlled Trial to Prevent
Patient Lift and Transfer Injuries of Health Care Workers”,
Spine, 26(16), 2001, 1739-1746.
3. BARR, J., J. CUNNEEN. “Understanding the Bariatric
Client and Providing a Safe Hospital Environnement”,
Clinical Nurse Specialist, 15(5), 2001, 219-223; BEEBE,
R,. A.J. HEIGHTMAN. “Handle with Care, Specialized
Methods and Devices for Moving Morbidity Obese Patients”,
Journal of Emergency Medical Services, 27(1), 2002,
42-44, 98-99; DAVIDSON, J.E., C. CALLERY. “Care of the
Obesity Surgery Patient Requiring Immediate-Level Care
or Intensive Care”, Obesity Surgery, 11(1), 2001, 93-97;
HAHLER, 2002; ROTKOFF, N. “Care of the Morbidity Obese
Patient in a Long-Term Care Facility”, Geriatric Nursing,
20(6), 199, 309-313; RUNDLE, R. “Obesity’s Hidden Costs”,
Wall Street Journal, (Eastern Edition), New York, May 1,
2002, p. B1.
4. BARR and CUNNEEN, 2001.
5. HAHLER, 2002.
1 6 OBJECTIF PRÉVENTION VOL. 30, NO 5, 2007
DOSSIER CLIENTÈLE OBÈSE
L’accueil des patients bariatriques
dans l’unité des soins intensifs
demeure l’enjeu le plus important.
L’usage des dispositifs de levage y
est souvent contre-indiqué.
L
e Programme de prévention des blessures reliées à la manipulation des personnes obèses a beau-
coup évolué depuis que cet article a été publié en septembre 2003. Nous avons revu la politique,
fait l’achat d’autres équipements et adopté de nouvelles théories et techniques de manipulation sécuri-
taire des patients.
Même si les surfaces de glissement demeurent des outils essentiels dans la prise en charge du pa-
tient bariatrique, le repositionnement du patient alité se fait de plus en plus avec des supports de con-
ception spéciale, couplés à un lève-personne sur rail, qui peuvent être laissés sous le patient. D’autres
techniques servent à soulever efficacement l’abdomen du patient avec une toile tout en adoptant une
posture ergonomique ; nous continuons, en outre, à encourager l’emploi de toiles spéciales pour soulever
les membres lors des manœuvres d’habillage et de déshabillage.
Nos techniques de travail sécuritaires, le choix de nos équipements et le nombre de personnes requi-
ses lors des manœuvres sont dictés par les algorithmes de manipulation et de déplacement sécuritaires
des patients bariatriques qui ont été élaborés par l’infirmière et professeur Dr Audrey Nelson, du VISN 8
Patient Safety Centre de Tampa en Floride (www.visn8.med.va.gov/patientsafetycenter). Ce document
ainsi que d’autres outils concernant les clients bariatriques sont accessibles gratuitement par Internet.
Nos lignes directrices ont été adoptées à l’échelle régionale. On prévoit pourvoir un poste de spécialiste
des ressources cliniques pour les patients bariatriques qui sera chargé d’assurer l’éducation, la forma-
tion et l’appui aux établissements. Des fonds supplémentaires de 660 000 $ ont été dégagés pour
l’achat de l’équipement de base destiné aux hôpitaux et pour la création d’un parc de matériel régional
destiné aux patients de plus de 272 kg (600 lb). Le Service de planification de la région intègre actuelle-
ment des exigences en matière d’architecture et d’aménagement au devis visant les unités de soins de
santé et les nouvelles installations de soins de santé (salles d’urgence, centres d’accueil et cliniques de
traitement) afin de répondre aux besoins du patient bariatrique.
Notre démarche nous aura permis de constater que certaines pièces d’équipement ne sont pas bien
conçues pour les besoins de ces patients. Par exemple, un engin d’une capacité de charge de 363 kg
(800 lb) n’est pas adapté à la taille d’un patient de ce poids. Les morphologies différentes des patients
obèses rendent également difficile l’installation des toiles de transfert. Le fait qu’il n’existe pas d’espace,
d’unité ou d’établissement réservé à la prise en charge des patients bariatriques nous oblige à former le
personnel de chaque unité au moment des admissions. Le faible nombre d’admissions par unité rend
difficile le maintien des acquis. Voilà pourquoi nous avons recommandé de créer des unités de soins
réservées à ces patients.
Quoi de neuf depuis 2003 ?
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