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C L I E N T È L E
O B È S E
Réduire les risques liés à la manipulation
des patients bariatriques
Soucieux d’assurer la sécurité des travail-
Marylou Muir
Infirmière en santé
au travail
Département de
santé au travail et
de médecine
environnementale
Centre des sciences
de la santé, Office
régional de la santé
de Winnipeg
Susan Gerlach
Consultante et
physiothérapeute
Office régional de la
santé de Winnipeg
14 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 30, NO 5, 2007
TRADUCTION :
HÉLÈNE LAPLANTE
La version originale de cet article a été publiée dans la revue
Canadian Nurse, vol. 99, n o 8,
septembre 2003. Nous en reproduisons une partie avec
l’autorisation de l’Association
des infirmières et infirmiers du
Canada. Les auteures présentent
une mise à jour de leur article
en encadré.
REMERCIEMENTS
Les auteures remercient le
Département d’enseignement
infirmier du Centre des sciences
de la santé de l’Office régional
de la santé de Winnipeg pour
l’aide reçue dans l’élaboration
et la mise en œuvre des politiques et des procédures de
prise en charge du patient
bariatrique.
leurs et le traitement respectueux de tous les patients, un établissement de soins de santé conçoit un programme de prise en
charge des patients obèses.
charge des patients bariatriques qui vise
Il est impératif de faire preuve de compassion, de compréà réduire le risque potentiel de blessure
hension, de respect et de dignité lorsqu’on traite des patients
chez le personnel soignant. Notre définibariatriques (obèses)1. Si l’on ne dispose pas de l’équipement
tion de ce qu’est un patient bariatrique
ni de la formation appropriés, la prise en charge de ces patients n’a rien de restrictif : les travailleurs sont
peut devenir source de frustration et d’embarras, tant pour
invités à consulter le service de santé pour
les travailleurs que pour les patients, et créer des risques pour tout soulèvement ou tout transfert qui
leur sécurité.
leur pose problème.
Au Centre des sciences de la santé (CSS) de Winnipeg, nous
avons compris qu’il fallait adopter des pratiques de travail
Revue documentaire
sécuritaires pour la prise en charge des patients bariatriques
Il existe une foule de documents sur
après que deux infirmières auxiliaires se fuent blessées au dos
les techniques de levage et de transfert
lors des manœuvres de transfert d’un patient pesant 242 kg
sécuritaires pour réduire les risques de
(534 lb). Cet accident s’est traduit par une perte de 258 jours blessure, mais on trouve peu de choses
de travail et des coûts directs de 17 415 $ pour la Commission sur les techniques adaptées aux patients
des accidents du travail. En outre, les deux travailleuses souf- de forte corpulence. Cette rareté a de quoi
frent d’une incapacité résiduelle qui les empêche d’accomplir
étonner vu le nombre d’articles récents
des travaux exigeants au plan physique. Ce n’était pas la prequi font état d’une hausse des admissions
mière fois que des blessures graves et coûteuses survenaient à
de patients obèses à l’hôpital3. L’obésité
l’hôpital lors de la manipulation de patients de forte corpuserait, selon certains auteurs, la nouvelle
lence. À l’évidence, un programme pour les patients bariaépidémie et l’on constate que la plus forte
triques s’avérait une nécessité.
prévalence de l’obésité chez les patients
Le CSS est un hôpital universitaire de soins tertiaires qui
admis à l’hôpital pose des défis au plan de
compte 1 100 lits et où travaillent 6 000 employés. Depuis les la sécurité du personnel et des patients4.
cinq dernières années, on y a admis une vingtaine de perMalgré cette situation, les établissesonnes considérées
ments de santé sont mal
comme des patients
conçus et mal équipés
bariatriques (c.-à-d.
pour prendre en charge
Le manque d’équipement adapté et
pesant plus de 159 kg
les patients bariatriques.
de personnel contribue à rendre les
[350 lb]), selon notre
Les lits, les civières, les
définition, et ce nomfauteuils roulants et les
employés hésitants à s’occuper de
bre est en hausse.
lève-personnes ordice type de patient.
Dernièrement, sur une
naires ainsi que les aupériode de 5 mois, l’équipe de prévention des blessures a été
tres pièces d’équipement ne sont pas
consultée au sujet de 8 patients différents, pesant de 136 à
conçus pour supporter le poids d’un pa249 kg (300 à 550 lb).
tient bariatrique. Le manque d’équipement
L’équipe de prévention des blessures œuvre au sein du Ser- adapté et de personnel contribue à rendre
vice de santé au travail et de médecine environnementale (le
les employés hésitants à s’occuper de ce
Service de santé) du CSS. Elle se compose d’une infirmière en type de patient5.
santé au travail, d’un ingénieur en ergonomie et d’une physiothérapeute qui sont chargés de la prévention et de la gestion
Le programme pour
des blessures chez le personnel hospitalier. On lui doit, entre
les patients corpulents
autres, la mise en place d’un programme de soulèvement
L’équipe de prévention des blessures du
minimal (encadré) pour transférer les patients qui s’inspire
Service de santé a compris qu’il était esd’une recherche récente2.
sentiel de disposer de l’espace et de l’équiL’équipe a également conçu un programme de prise en
pement requis pour prendre soin des pa-
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tients bariatriques afin de protéger la santé et la sécurité de ces patients ainsi que celles
du personnel. Elle a donc conçu le Programme pour les patients corpulents du CSS.
L’initiative comporte trois volets : les politiques et procédures, l’identification et l’acquisition de l’équipement adapté et l’accès à des outils éducatifs et à de la formation.
Politiques et procédures
Des lignes directrices pour la prise en charge des patients lourds sont en place depuis
1997. On a revu ces directives en 2002 pour y inclure de nouveaux équipements ainsi
que des procédures plus claires. Les lignes directrices font partie du manuel des soins
infirmiers qu’utilisent toutes les unités.
L’admission d’un patient bariatrique enclenche un processus en sept étapes. Tout
d’abord, les professionnels de la santé avisent le département d’accueil de l’arrivée
d’un patient lourd. Dans la mesure du possible, on préfère être mis au courant de la
situation avant l’admission. Puis, ils attribuent au patient une chambre privée, habituellement une ancienne
chambre à deux lits ; les déplacements autour du lit unique
L’admission d’un patient bariatrique
s’en trouveront facilités et l’on
disposera alors de suffisamment
enclenche un processus en sept étapes.
d’espace pour ranger l’équipement. Troisièmement, les travailleurs de la santé demandent au dépôt de matériel de
livrer à l’unité un lit bariatrique. Quatrième étape, ils analysent les besoins du patient
au moyen du formulaire d’évaluation et des lignes directrices pour la manipulation
des patients. Ensuite, ils commandent toutes les autres fournitures requises auprès du
dépôt (ex. : marchette, chaise d’aisances, tabouret). On consulte alors l’équipe de
prévention des blessures du Service de santé. Enfin, le personnel soignant examine
l’équipement personnel du patient, comme sa marchette ou son fauteuil roulant, si le
patient a l’intention de s’en servir durant son séjour à l’hôpital.
Équipement
Avant la mise en place du Programme pour les patients corpulents, l’équipe de
prévention des blessures a examiné l’équipement du CSS pour voir ce qui manquait
et pour identifier les lacunes. L’absence d’équipement capable de supporter des poids
allant de 272 à 454 kg (600 à 1 000 lb) constituait le principal problème. Des fonds
ont été obtenus auprès des Directions des soins aux patients pour acheter
l’équipement nécessaire sur une période de deux ans, la location s’avérant difficile.
L’hôpital s’est procuré un lit avec très grand sommier, un trapèze, des marchettes,
des fauteuils roulants, des chaises d’aisances, un fauteuil inclinable, un petit banc,
une civière, des surfaces
de glissement pour déplacer le patient dans
le lit et un appareil de
levage complet qui peut
soulever en toute sécurité jusqu’à 454 kg
(1 000 lb). On a également mis à l’essai trois
autres lève-personnes
(capacité de 454 kg)
provenant de trois fabricants différents,
mais ces appareils se
sont révélés insatisfaisants. Nous avons alors
décidé d’acheter un
lève-personne sur rail
au plafond d’une capacité de 281 kg (620 lb)
PHOTO : DANIEL WEKLER
pour l’unité des soins intensifs et un appareil mobile de 272 kg (600 lb) jusqu’à
ce que nous trouvions un engin plus puissant. Selon notre expérience, cette capacité de charge devrait répondre aux besoins de 95 % de nos patients. Nous
avons dépensé 60 550 $ en tout pour cet
équipement, mais c’est peu quand on
songe à ce qu’il en coûte pour réintégrer
une infirmière ou un préposé aux soins
ayant subi une blessure grave.
Éducation
Des affiches éducatives ont été conçues
et distribuées à toutes les unités de soins.
On y trouve une diversité d’information,
notamment des renseignements généraux
sur la manipulation des patients corpulents, une liste d’équipements disponibles
au CSS, des numéros de téléphone internes
et d’autres ressources d’aide ou de conseil
offertes par le CSS ainsi que les techniques de manipulation recommandées.
Une liste d’évaluation des patients
lourds a également été conçue. Celle-ci
doit être complétée par l’équipe de prévention des blessures du Service de santé, de
concert avec les infirmières, les auxiliaires de l’unité et le personnel de la physiothérapie. Le formulaire renferme une
section réservée à l’identification du patient, y compris sa taille et son poids, une
case à cocher pour confirmer que le personnel a lu les lignes directrices sur la manipulation des patients corpulents, une
liste décrivant la capacité du patient à se
déplacer (sa capacité ambulatoire), une
liste de l’équipement requis, un liste des
tâches susceptibles d’être accomplies par
le personnel avec l’aide d’autrui (ex. :
tourner dans le lit), le nombre de personnes requises pour effectuer la manœuvre
en toute sécurité et une section de commentaires. L’équipe de prévention des
blessures offre par la suite toute la formation nécessaire sur les techniques de
manipulation sécuritaires pour ce patient.
Nous avons constaté que ces techniques
nécessitent un encadrement continu. La
technique la plus enseignée est l’utilisation
sécuritaire des dispositifs à faible friction
avec le produit en usage au CSS (Maxislide Sheet XL et XXL, de Arjo Canada).
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Discussion
L’équipe de prévention des blessures du Service de santé évalue de façon continue
l’efficacité globale du programme pour les patients obèses, notamment le degré de
satisfaction des patients et des travailleurs, l’efficacité des coûts et la prévention des
blessures. Le programme est modifié en fonction des besoins. Par exemple, le programme est actuellement limité par le système de codage et
de suivi qui permet d’identifier
L’accueil des patients bariatriques
les patients admis et de relever
dans l’unité des soins intensifs
le nombre de blessures directement associées à la manipulademeure l’enjeu le plus important.
tion de ces patients. On explore
L’usage des dispositifs de levage y
actuellement des stratégies pour
est souvent contre-indiqué.
résoudre ce problème de codage.
Nous avons également constaté
qu’il fallait définir un itinéraire de rechange pour les patients qui se présentent au
CSS sur un équipement extragrand, souvent trop encombrant pour les voies d’accès
habituelles.
Les défis actuels tournent autour du manque persistant d’équipement face au
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L
Quoi de neuf depuis 2003 ?
e Programme de prévention des blessures reliées à la manipulation des personnes obèses a beaucoup évolué depuis que cet article a été publié en septembre 2003. Nous avons revu la politique,
fait l’achat d’autres équipements et adopté de nouvelles théories et techniques de manipulation sécuritaire des patients.
Même si les surfaces de glissement demeurent des outils essentiels dans la prise en charge du patient bariatrique, le repositionnement du patient alité se fait de plus en plus avec des supports de conception spéciale, couplés à un lève-personne sur rail, qui peuvent être laissés sous le patient. D’autres
techniques servent à soulever efficacement l’abdomen du patient avec une toile tout en adoptant une
posture ergonomique ; nous continuons, en outre, à encourager l’emploi de toiles spéciales pour soulever
les membres lors des manœuvres d’habillage et de déshabillage.
Nos techniques de travail sécuritaires, le choix de nos équipements et le nombre de personnes requises lors des manœuvres sont dictés par les algorithmes de manipulation et de déplacement sécuritaires
des patients bariatriques qui ont été élaborés par l’infirmière et professeur Dr Audrey Nelson, du VISN 8
Patient Safety Centre de Tampa en Floride (www.visn8.med.va.gov/patientsafetycenter). Ce document
ainsi que d’autres outils concernant les clients bariatriques sont accessibles gratuitement par Internet.
Nos lignes directrices ont été adoptées à l’échelle régionale. On prévoit pourvoir un poste de spécialiste
des ressources cliniques pour les patients bariatriques qui sera chargé d’assurer l’éducation, la formation et l’appui aux établissements. Des fonds supplémentaires de 660 000 $ ont été dégagés pour
l’achat de l’équipement de base destiné aux hôpitaux et pour la création d’un parc de matériel régional
destiné aux patients de plus de 272 kg (600 lb). Le Service de planification de la région intègre actuellement des exigences en matière d’architecture et d’aménagement au devis visant les unités de soins de
santé et les nouvelles installations de soins de santé (salles d’urgence, centres d’accueil et cliniques de
traitement) afin de répondre aux besoins du patient bariatrique.
Notre démarche nous aura permis de constater que certaines pièces d’équipement ne sont pas bien
conçues pour les besoins de ces patients. Par exemple, un engin d’une capacité de charge de 363 kg
(800 lb) n’est pas adapté à la taille d’un patient de ce poids. Les morphologies différentes des patients
obèses rendent également difficile l’installation des toiles de transfert. Le fait qu’il n’existe pas d’espace,
d’unité ou d’établissement réservé à la prise en charge des patients bariatriques nous oblige à former le
personnel de chaque unité au moment des admissions. Le faible nombre d’admissions par unité rend
difficile le maintien des acquis. Voilà pourquoi nous avons recommandé de créer des unités de soins
réservées à ces patients.
nombre croissant d’admissions de patients corpulents. Pour l’instant, nous ne
disposons que d’un seul lit adapté alors
que deux ou davantage auraient été
nécessaires à l’occasion. L’achat d’un
second lit bariatrique plus mobile est à
l’ordre du jour. La prise en charge des
patients bariatriques décédés reste également problématique, car les civières actuellement en usage à la morgue ne supportent pas leur poids. Mais l’accueil des
patients bariatriques dans l’unité des
soins intensifs demeure l’enjeu le plus
important. L’usage des dispositifs de
levage y est souvent contre-indiqué en
raison des problèmes d’insuffisance cardiaque et respiratoire des patients et de
leur incapacité à tolérer les harnais.
Notre équipe de prévention des blessures ne ménage aucun effort pour relever ces défis à mesure qu’ils se présentent. Malgré les problèmes qui persistent,
nous estimons que le CSS a fait des pas
de géant en vue de reconnaître les besoins particuliers du patient bariatrique
et d’y répondre.
•
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