POUR UN DIALOGUE SOCIAL APAISE EN FRANCE : PEUT-ON APPRENDRE DU MODÈLE SUÉDOIS?
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Gunnal Lund
Il convient de relativiser cette vision consensuelle de la culture politique suédoise,
qui laisserait entendre que le pays est vierge de tout conit. Au contraire, la Suède évolue dans
une démocratie très vive, marquée par des affrontements parfois durs entre les camps politiques.
Pour comprendre les traités saillants de notre culture politique et économique, il faut remonter
aux années 1930, en particulier à l’accord Saltsjöbaden de 1938 par lequel la social-démocratie
et le mouvement ouvrier ont trouvé un compromis avec les intérêts industriels, acceptant que
l’économie de marché constitue la base de la société. Ainsi la social-démocratie s’est-elle
inscrite dans une démarche réformiste et pragmatique, les acteurs économiques devant accepter
en contrepartie le renforcement de l’État-providence et de la protection sociale. Ce compromis
trouvé dans les années 1930 a rendu possible le climat qui a régné dans les décennies 1950 et
1960. Le programme Bad Godesberg élaboré en Allemagne dans les années 1950 s’est inscrit
dans la même logique.
Par la suite, la Suède a traversé une période éminemment difcile dans les décennies 1970 et
1980, débouchant sur une crise économique et nancière profonde au début des années 1990.
Cette crise a néanmoins été l’occasion de réformer, simplier et rationaliser l’État-providence.
C’est précisément cette renaissance du modèle suédois qui peut offrir des enseignements à la
France.
Un moment charnière pour la France
Laurent Guez
Jean-François Pilliard, la situation que traverse aujourd’hui la France pourrait-elle constituer
le terreau d’une rénovation du dialogue social, comme l’a permis en Suède la crise des années
1980 et 1990 ?
Jean-François Pilliard
Pour répondre à votre interrogation liminaire, je trouve rassurant et encourageant que la France
s’intéresse à des modèles étrangers plutôt que de céder à la tentation du repli sur soi que pourraient
susciter les temps difciles que nous connaissons.
Il existe d’incontestables similitudes entre les caractéristiques de notre économie et celles qui
prévalaient en Suède dans les années 1990, au premier titre desquelles un niveau de dépenses
publiques extrêmement élevé. La France y consacre aujourd’hui près de 57 % de son produit
intérieur brut (PIB). Ensuite, comme en Suède en son temps, les quatre branches qui constituent
notre système de protection sociale sont en faillite structurelle, à hauteur de 650 milliards
d’euros. Précisons qu’elles sont nancées à 73 % par des cotisations provenant des entreprises.
L’accord national interprofessionnel de janvier 2013 engage certes un progrès vers la logique de
exisécurité, mais celle-ci était encore honnie par de nombreux acteurs il y a peu. Et si la France
s’apprête, comme l’a fait son voisin suédois, à ouvrir une réforme des retraites, elle y a échoué à
de nombreuses reprises par le passé.
La Suède, quant à elle, a grandement progressé dans la résolution de ses problèmes. Elle afche
une croissance plutôt favorable (+0,6 % au premier trimestre 2013) et des comptes publics
excédentaires depuis 1998. Sa dette publique est passée de 72,8 % à 38,2 % du PIB, et son taux
de chômage est nettement inférieur à celui de la France.
Indéniablement, la France se trouve à un moment charnière. C’est peut-être l’occasion de lancer