@HOME “Nous travaillons volontairement sur une ville compacte recyclée” DIMENSION © Studio Dann Gilles Debrun & Marie Moignot - MDW Architecture 08 @HOME L ’histoire de MDW Architecture est une success story dont tous les jeunes bureaux pourraient rêver. En 2005, jeunes trentenaires, ils sont invités au bureau d’Yvan Mayeur, alors président du CPAS. Le regard perçant, celui-ci leur signale qu’il a pris des risques et qu’ils ont intérêt à ne pas lésiner sur leurs efforts. Motif de l’entretien: ils viennent de remporter le concours européen d’architecture pour la transformation de l’ancienne savonnerie Heymans en complexe de 42 logements sociaux économes en énergie avec crèche. “Un fameux défi pour un petit bureau récent”, avoue Marie Moignot, co-fondatrice du bureau avec Xavier De Wil. “Nous avons eu de la chance, car Yvan Mayeur voulait un projet-modèle, et il avait libéré les ressources nécessaires. Le concours était bien organisé, le jury professionnel incluait aussi des architectes expérimentés externes, et le cadre financier offrait un peu plus de possibilités que ce qui est habituel dans la construction de logements sociaux.” Le projet de reconversion sera mené à bien de la conception à la livraison par Gilles Debrun, qui rejoint le bureau en 2004 après avoir suivi, tout comme Marie et Xavier, une formation à Saint-Luc. Dès sa réalisation, la savonnerie Heymans fait beaucoup de bruit et attire des intéressés qui viennent de loin pour la découvrir. En 2011, un an avant la livraison, c’est la cerise sur le gâteau: le projet public de logement social est le tout premier de sa catégorie (immeubles résidentiels) à recevoir un prix au salon de l’immobilier MIPIM à Cannes. Il dame ainsi le pion au Burj Khalifa, entre autres - une véri- table lutte de David contre Goliath à tous les égards. Marie Moignot: “Comme le chantier n’était pas terminé, nous ne disposions pour notre présentation que de photos montrant des grues et un espace extérieur inachevé et enneigé. Nos concurrents, en revanche, ont montré une vidéo en accéléré où l’on voyait la tour s’ériger à toute allure.” Le prix a attiré l’attention des promoteurs sur le jeune bureau, mais il a également eu un revers. Gilles Debrun: “Du jour au lendemain, certains cercles vous collent l’étiquette de bureau commercial. C’est pourquoi notre nomination, la même année, pour le Mies van der Rohe Award, qui est à l’autre extrémité du débat architectural, m’a fait d’autant plus plaisir. L’adrénaline des concours DEn plus d’être un départ idéal, la savonnerie Heymans cadrait parfaitement avec la vision de MDW Architecture. Gilles Debrun: “Au lieu de viser le marché des maisons quatre façades, nous nous sommes d’emblée orientés délibérément vers les projets présentant une certaine ampleur et complexité, avec une dimension urbanistique et une utilisation correcte de l’espace. La savonnerie Heymans en est un parfait exemple. Le projet inclut rénovation, construction neuve, espace public et programme mixte. Cela nous a pour ainsi dire forcés à faire de la micro-urbanisation. Comment couler le programme dans une forme donnée? Comment répartir de manière adéquate les mètres cubes sur le site? Comment combiner volumes et vides? Nous travaillons ainsi volontairement sur une ville compacte recyclée. La savonnerie nous a donné l’occasion d’appliquer directement cette vision dans une réalisation concrète. “L’architecture demande tant d’efforts que ce serait dommage de l’utiliser pour produire quelque chose de médiocre.” Les deux architectes confirment que le projet a joué le rôle d’accélérateur pour leur bureau. Marie Moignot: “Auparavant, j’étais réticente vis-à-vis des concours, que je considérais surtout comme une affaire de copinage. Mais là, nous avions goûté à l’adrénaline, au plaisir et à l’intensité qui accompagnent un concours, et cela nous a convaincus. Pendant cette période, nous avons participé à plusieurs concours architecturaux. Quand le concours pour le Résidence Palace - futur siège du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne a été annoncé, j’ai absolument voulu participer. Comme nous n’avions pratiquement pas de références et principalement des chantiers en cours, une association s’imposait. J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai cherché le » DIMENSION 2016 s’annonce comme une année passionnante pour MCW Architecture. En association avec V+, ce bureau est en effet l’un des cinq candidats retenus pour Reyers 2020, le projet de réaménagement du site de la RTFB à Bruxelles. Avec les Atelier Jean Nouvel, CFE et Cofinimmo, il participe à NEO II, le futur centre international de congrès avec hôtel du Heysel. A La Hulpe, ils travaillent sur Les Berges de l’Argentine, un projet de quartier mixte (affaires et résidentiel) écologique dans un parc longeant la rivière Argentine. Au milieu de toute cette agitation, ils déménagent leur bureau, qui se trouve actuellement dans un immeuble anonyme non loin du Bois de la Cambre, vers une maison de maître avec ancien atelier de mode à Etterbeek. Autant de raisons de donner un éclat particulier à leur quinzième anniversaire. 09 © Filip Dujardin @HOME DIMENSION 10 © Filip Dujardin 01 01 © Filip Dujardin numéro de Jean Nouvel, je l’ai appelé et j’ai organisé un rendez-vous à Paris. Nous nous sommes immédiatement bien entendus et Jean a dit oui, par pure intuition. Nous avons passé l’étape des 25 sélectionnés, ce qui s’est traduit par un contact régulier et une candidature commune pour le commissariat de Charleroi et l’agrandissement de Charleroi Danses. Jean avait déjà fait une scénographie pour les décors de Charleroi Danses et éprouvait donc une certaine affinité avec l’organisation et la ville. Notre collaboration a donné naissance à la célèbre tour de la police, un projet qui a hissé notre bureau à un autre niveau et à une autre organisation.” Aujourd’hui, MDW Architecture emploie 30 personnes de diverses nationalités. Tous sont architectes, hormis une secrétaire, un office manager et Olivia Noël qui se charge du développement et de la communication. Gilles Debrun: “Les centres d’intérêt personnels, les thèses ou les formations complémentaires ont donné à certains collaborateurs des compétences spécifiques, par exemple en matière d’architecture paysagère et d’urbanisme. Mais nous ne nous lançons pas dans les projets purement urbanistiques ou les études paysagères spécialisées. A l’interne, nous répartissons les tâches entre un pool de concepteurs et les collaborateurs qui sont plus à l’aise dans les cahiers des charges et l’exécution. Avec la savonnerie Heymans, j’ai découvert que le suivi complet d’un projet d’une certaine ampleur vous vampirise littéralement. Le fait que les collaborateurs plus doués pour la conception soient indisponibles pendant des mois parce qu’ils suivent un chantier n’est pas non plus une bonne chose. En règle générale, nos cinq chefs de projets s’occupent du projet depuis les premiers entretiens jusqu’au dossier de demande de permis. Ils se réunissent toutes les semaines ou tous les 15 jours pour examiner et commenter leurs projets réciproques. Ils continuent ensuite à jouer un rôle de “directeur artistique” et suivent les réunions qui portent sur l’adjudication, les détails de l’exécution et le chantier, mais c’est un collègue qui reprend les rênes.” © Filip Dujardin 01 01 @HOME © Filip Dujardin Comment un bureau belge de taille relativement modeste se préserve-t-il face à un géant comme les Agences Jean Nouvel AJN? Marie Moignot: “Tout d’abord, une coopération, qu’elle concerne un bureau étranger ou belge, présume une complémentarité. A Charleroi, par exemple, il n’était pas question de commissariat passif. Nous avons proposé le concept grâce à notre expertise de l’économie énergétique et de la construction passive, car à terme, cela offrait de nombreux avantages à la ville. Jean nous a vraiment laissé la bride sur le cou pour © Filip Dujardin 02 03 ce type de complémentarité. Il mentionnera d’ailleurs toujours notre nom dans les publications internationales. Nous avions aussi rencontré un autre grand bureau français, mais il a voulu nous imposer son oukase: “Si nous travaillons ensemble, votre nom ne figurera nulle part et vous renoncerez à tous vos droits.” Travailler avec Jean Nouvel est une expérience unique. Pendant les réunions, il a l’attention de tout le monde et chacun, même le donneur d’ordre, prend des notes. Il s’exprime de manière très précise et très belle, mais en plus, sa vision est tellement évidente qu’on se dit: “Mais c’est bien sûr.” Lorsqu’il se rend sur un site, il voit des détails qui vous échappent de prime abord. Cette concentration et cette conviction presque obsessionnelle que quand on veut, on peut, sont des caractéristiques communes de nos deux pratiques, indépendamment de la différence de taille.” Gilles Debrun: “Tout comme AJN, nous ne nous laissons pas enfermer par ce qui est possible ou pas lors de la conception. Durant cette phase, notre mot d’ordre est “Think Harder”, peu importe la taille du projet. L’architecture n’étant pas une science exacte, cela demande aussi beaucoup d’efforts de la part de l’équipe de conception. C’est pourquoi je dis toujours à mes étudiants de Louvain-La-Neuve: “L’architecture demande trop d’efforts que pour produire un résultat médiocre.” Pour notre projet Les Courses, un immeuble mixte passif situé à Ixelles, Xavier a cherché jusqu’à ce qu’il trouve en Autriche les profilés fins pour le triple vitrage qu’il avait en tête. C’est pourquoi nous considérons la construction passive comme une opportunité plutôt qu’un handicap. Nous essayons toujours de répondre à ce critère de manière à créer d’autres avantages. A la savonnerie Heymans, nous avons traduit la demande de projet bioclimatique en une loggia qui crée également un confort au niveau de l’habitat et sépare l’espace public et privé. Quand nous avons une solution spécifique en tête, nous ne la rejetons pas d’emblée si elle ne semble pas réalisable à première vue. Pour le Cross House, la transformation d’un immeuble de bureaux semi-industriel en » 01. Avec la transformation de l’ancienne savonnerie Heymans en 42 logements sociaux extrêmement variés et économes en énergie, avec une crèche, pour le CPAS de Bruxelles, MDW Architecture s’est mis en exergue à l’échelle internationale. 02. Construction neuve passive mixte résidentielle/affaires: Les Courses (Ixelles) 03. La crèche passive Gaucheret à Schaerbeek peut accueillir 42 bambins. DIMENSION Associations complémentaires “Pour nous, la construction passive est non pas un handicap, mais une opportunité. Nous essayons toujours de répondre à ce critère de manière à créer d’autres avantages.” 11 @HOME appartements de luxe, nous avons fait fabriquer les profilés des fenêtres sur mesure; le vitrage y est collé face extérieure. Cette approche demande plus de temps, car on ne doit jamais se contenter de la première solution que l’on trouve sur le marché. Mais par contre, elle donne un bien meilleur résultat. Nous avons toujours envie d’innover, pas parce que nous sommes fans de technologie, mais parce que le concept global le demande. Nous choisissons nos combats, et nous n’avons pas peur de demander à un donneur d’ordre d’aller un peu plus loin que prévu.” © Julien Lanoo Acupuncture urbanistique © Séverin Malaud 04 © Filip Dujardin 05 DIMENSION 06 12 Le Delhaize de Liège, qui a été sélectionné pour le Prix belge d’Architecture 2015 dans la catégorie bâtiments publics, est un projet récent illustrant bien ce propos. Gilles Debrun: “La classification nous a mis face à des centres culturels et d’autres bâtiments publics qui avaient un programme et un budget incomparables. Mais le projet démontre qu’il est possible d’apporter une valeur ajoutée aux immeubles de la grande distribution sans tomber dans l’architecture cosmétique, en prêtant attention à la lumière naturelle, à la matérialisation et à l’énergie. Comme il s’agit d’un grand bloc résidentiel, nous avons mis l’implantation à profit pour donner au site, pendant les heures d’ouverture, une fonction publique de passage pour les piétons et les cyclistes. Nous avons aussi accordé beaucoup d’attention à la toiture verte, sur laquelle donnent tous les immeubles du bord de Meuse. Nous pratiquons ainsi l’acupuncture urbanistique en ajoutant au programme des dimensions qui n’y étaient pas à l’origine. De la même manière, il nous arrive de pousser un peu les développeurs privés de projets résidentiels, sur la base des connaissances que nous avons accumulées dans les projets de logements sociaux. Ce secteur dispose peut-être de plus de moyens pour des éléments comme une plaine de jeux ou un local commun.” “Le bouillon de culture cosmopolite international qu’est Bruxelles constitue jour après jour un riche terreau pour notre pratique architecturale.” Nos deux interlocuteurs admettent que pour les jeunes bureaux, il est de mois en moins évident de suivre le parcours de MDW architecture. “Dans les invitations à soumissionner, on voit de plus en plus souvent apparaître l’exigence de références récentes ou d’un chiffre d’affaires minimum, ce qui était moins fréquent jadis. Les donneurs d’ordre s’efforcent ainsi de limiter le risque. En principe, nous ne souscrivons pas aux invitations à soumissionner ouvertes, sauf si nous avons besoin de références neuves ou plus récentes. Nous ne participons aux concours que s’ils se déroulent en deux © Filip Dujardin © Filip Dujardin @HOME 07 phases, car dans le cas contraire, il est fort probable que nos efforts ne déboucheront sur rien de concret. Les dossiers DBFM sont un cas à part. La tour de la police de Charleroi faisait partie de cette catégorie, et c’est le plus grand projet que la ville ait mis sur pied. Nous avons tout fait pour qu’il se déroule le mieux possible. Notre partenaire CFE s’est chargé de la construction et de l’entretien, de sorte que la qualité était primordiale. Nous sommes restés sagement dans le budget, et nous avons même réussi à livrer le chantier deux mois plus tôt que prévu. Mais dans les formules DBFM, le volet architecture risque souvent d’être mis à mal. Il nous est arrivé à plusieurs reprises de revenir bredouilles parce que notre partenaire ne parvenait pas à chiffrer correctement le projet ou à boucler le financement en dépit d’excellents prix. Aujourd’hui, nous n’utilisons cette formule que quand c’est vraiment indiqué, comme pour NEO II. La phase d’étude dure tellement longtemps et l’input technique est tellement vaste qu’aucun bureau d’architectes ou d’études ne peut se permettre de poser sa candidature. Il faut un partenaire financier solide pour financer tout ce travail préparatoire.” (Par Colette Demil & Staf Bellens) www.mdw-architecture.com 04. Le projet “Le Lorrain” inclut la transformation d’un ancien atelier de ferrailleur en quatre appartements et trois maisons unifamiliales pour le logement social, avec une place commune pour relier le tout. (voir aussi photo couverture) 05. En collaboration avec H+G Architects, MDW Architecture a réalisé à Liège un nouveau Delhaize qui, pendant les heures d’ouverture, joue aussi le rôle de passage pour le trafic doux du quartier. 06. En partenariat avec les Ateliers Jean Nouvel, les bureaux de la Croix-Rouge à Ixelles qui occupaient un immeuble moderniste de 1930, ont été transformés en 20 appartements de luxe dans le respect de la structure existante. Les deux espaces vitrés qui s’élèvent au-dessus du “Cross House” sont protégés par des structures métalliques qui répondent aux toitures en pente du quartier. 07. En association avec les Ateliers Jean Nouvel, MDW Architecture a remporté le concours pour l’agrandissement de Charleroi Danses et le nouveau commissariat de Charleroi. La remarquable tour passive © MDW Architecture revêtue de brique bleue qui héberge désormais la police marque véritablement le paysage urbain. Les architectes ont également signé la 08 existant est intégré dans l’architecture paysagère. rénovation basse énergie de deux ailes des anciennes casernes. Le projet a catapulté le bureau bruxellois vers une autre échelle et une autre structure. 08. Sur le site du Moulin Blanc à Uccle, l’immeuble existant et ses an- DIMENSION nexes ont été transformés en appartements. Trois nouveaux immeubles 08 d’appartements et trois maisons à patio complètent le projet. L’étang 13