Nous travaillons volontairement sur une ville compacte

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© Studio Dann
Gilles Debrun & Marie Moignot - MDW Architecture
“Nous travaillons
volontairement sur
une ville compacte
recyclée”
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table lutte de David contre Goliath à tous les égards. Marie
Moignot: “Comme le chantier n’était pas terminé, nous ne
disposions pour notre présentation que de photos montrant
des grues et un espace extérieur inachevé et enneigé. Nos
concurrents, en revanche, ont montré une vidéo en accéléré
où l’on voyait la tour s’ériger à toute allure.”
Le prix a attiré l’attention des promoteurs sur le jeune bu-
reau, mais il a également eu un revers. Gilles Debrun: “Du
jour au lendemain, certains cercles vous collent l’étiquette
de bureau commercial. C’est pourquoi notre nomination, la
même année, pour le Mies van der Rohe Award, qui est à
l’autre extrémité du débat architectural, m’a fait d’autant
plus plaisir.
L’adrénaline des concours
DEn plus d’être un départ idéal, la savonnerie Heymans ca-
drait parfaitement avec la vision de MDW Architecture. Gilles
Debrun: “Au lieu de viser le marché des maisons quatre fa-
çades, nous nous sommes d’emblée orientés délibérément
vers les projets présentant une certaine ampleur et complexi-
té, avec une dimension urbanistique et une utilisation cor-
recte de l’espace. La savonnerie Heymans en est un parfait
exemple. Le projet inclut rénovation, construction neuve,
espace public et programme mixte. Cela nous a pour ainsi
dire forcés à faire de la micro-urbanisation. Comment cou-
ler le programme dans une forme donnée? Comment répartir
de manière adéquate les mètres cubes sur le site? Comment
combiner volumes et vides? Nous travaillons ainsi volontai-
rement sur une ville compacte recyclée. La savonnerie nous
a donné l’occasion d’appliquer directement cette vision dans
une réalisation concrète.
Les deux architectes confirment que le projet a joué le rôle
d’accélérateur pour leur bureau. Marie Moignot: “Aupara-
vant, j’étais réticente vis-à-vis des concours, que je considé-
rais surtout comme une affaire de copinage. Mais là, nous
avions goûté à l’adrénaline, au plaisir et à l’intensité qui
accompagnent un concours, et cela nous a convaincus. Pen-
dant cette période, nous avons participé à plusieurs concours
architecturaux. Quand le concours pour le Résidence Palace
- futur siège du Conseil européen et du Conseil de l’Union
européenne a été annoncé, j’ai absolument voulu participer.
Comme nous n’avions pratiquement pas de références et
principalement des chantiers en cours, une association s’im-
posait. J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai cherché le
2016 s’annonce comme une année passionnante
pour MCW Architecture. En association
avec V+, ce bureau est en effet l’un des cinq
candidats retenus pour Reyers 2020, le projet
de réaménagement du site de la RTFB à
Bruxelles. Avec les Atelier Jean Nouvel, CFE et
Cofinimmo, il participe à NEO II, le futur centre
international de congrès avec hôtel du Heysel.
A La Hulpe, ils travaillent sur Les Berges de
l’Argentine, un projet de quartier mixte (affaires
et résidentiel) écologique dans un parc longeant
la rivière Argentine. Au milieu de toute cette
agitation, ils déménagent leur bureau, qui se
trouve actuellement dans un immeuble anonyme
non loin du Bois de la Cambre, vers une
maison de maître avec ancien atelier de mode à
Etterbeek. Autant de raisons de donner un éclat
particulier à leur quinzième anniversaire.
»
L’histoire de MDW Architecture est une success sto-
ry dont tous les jeunes bureaux pourraient rêver. En
2005, jeunes trentenaires, ils sont invités au bureau
d’Yvan Mayeur, alors président du CPAS. Le regard perçant,
celui-ci leur signale qu’il a pris des risques et qu’ils ont inté-
rêt à ne pas lésiner sur leurs efforts. Motif de l’entretien: ils
viennent de remporter le concours européen d’architecture
pour la transformation de l’ancienne savonnerie Heymans en
complexe de 42 logements sociaux économes en énergie avec
crèche. “Un fameux défi pour un petit bureau récent”, avoue
Marie Moignot, co-fondatrice du bureau avec Xavier De Wil.
“Nous avons eu de la chance, car Yvan Mayeur voulait un
projet-modèle, et il avait libéré les ressources nécessaires.
Le concours était bien organisé, le jury professionnel incluait
aussi des architectes expérimentés externes, et le cadre fi-
nancier offrait un peu plus de possibilités que ce qui est habi-
tuel dans la construction de logements sociaux.”
Le projet de reconversion sera mené à bien de la conception
à la livraison par Gilles Debrun, qui rejoint le bureau en 2004
après avoir suivi, tout comme Marie et Xavier, une formation
à Saint-Luc. Dès sa réalisation, la savonnerie Heymans fait
beaucoup de bruit et attire des intéressés qui viennent de loin
pour la découvrir. En 2011, un an avant la livraison, c’est la
cerise sur le gâteau: le projet public de logement social est le
tout premier de sa catégorie (immeubles résidentiels) à re-
cevoir un prix au salon de l’immobilier MIPIM à Cannes. Il
dame ainsi le pion au Burj Khalifa, entre autres - une véri-
“L’architecture demande tant d’efforts que
ce serait dommage de l’utiliser pour produire
quelque chose de médiocre.”
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numéro de Jean Nouvel, je l’ai appelé et j’ai organisé un ren-
dez-vous à Paris. Nous nous sommes immédiatement bien en-
tendus et Jean a dit oui, par pure intuition. Nous avons passé
l’étape des 25 sélectionnés, ce qui s’est traduit par un contact
régulier et une candidature commune pour le commissariat
de Charleroi et l’agrandissement de Charleroi Danses. Jean
avait déjà fait une scénographie pour les décors de Charleroi
Danses et éprouvait donc une certaine affinité avec l’organi-
sation et la ville. Notre collaboration a donné naissance à la
célèbre tour de la police, un projet qui a hissé notre bureau à
un autre niveau et à une autre organisation.”
Aujourd’hui, MDW Architecture emploie 30 personnes de
diverses nationalités. Tous sont architectes, hormis une se-
crétaire, un office manager et Olivia Noël qui se charge du
développement et de la communication. Gilles Debrun: “Les
centres d’intérêt personnels, les thèses ou les formations
complémentaires ont donné à certains collaborateurs des
compétences spécifiques, par exemple en matière d’architec-
ture paysagère et d’urbanisme. Mais nous ne nous lançons
pas dans les projets purement urbanistiques ou les études
paysagères spécialisées. A l’interne, nous répartissons les
tâches entre un pool de concepteurs et les collaborateurs qui
sont plus à l’aise dans les cahiers des charges et l’exécution.
Avec la savonnerie Heymans, j’ai découvert que le suivi com-
plet d’un projet d’une certaine ampleur vous vampirise lit-
téralement. Le fait que les collaborateurs plus doués pour la
conception soient indisponibles pendant des mois parce qu’ils
suivent un chantier n’est pas non plus une bonne chose. En
règle générale, nos cinq chefs de projets s’occupent du projet
depuis les premiers entretiens jusqu’au dossier de demande
de permis. Ils se réunissent toutes les semaines ou tous les 15
jours pour examiner et commenter leurs projets réciproques.
Ils continuent ensuite à jouer un rôle de “directeur artistique”
et suivent les réunions qui portent sur l’adjudication, les dé-
tails de l’exécution et le chantier, mais c’est un collègue qui
reprend les rênes.”
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© Filip Dujardin
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© Filip Dujardin
© Filip Dujardin© Filip Dujardin
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Associations complémentaires
Comment un bureau belge de taille relativement modeste se
préserve-t-il face à un géant comme les Agences Jean Nouvel -
AJN? Marie Moignot: “Tout d’abord, une coopération, qu’elle
concerne un bureau étranger ou belge, présume une complé-
mentarité. A Charleroi, par exemple, il n’était pas question de
commissariat passif. Nous avons proposé le concept grâce à
notre expertise de l’économie énergétique et de la construc-
tion passive, car à terme, cela offrait de nombreux avantages
à la ville. Jean nous a vraiment laissé la bride sur le cou pour
»
ce type de complémentarité. Il mentionnera d’ailleurs tou-
jours notre nom dans les publications internationales. Nous
avions aussi rencontré un autre grand bureau français, mais
il a voulu nous imposer son oukase: “Si nous travaillons en-
semble, votre nom ne figurera nulle part et vous renoncerez
à tous vos droits.” Travailler avec Jean Nouvel est une expé-
rience unique. Pendant les réunions, il a l’attention de tout
le monde et chacun, même le donneur d’ordre, prend des
notes. Il s’exprime de manière très précise et très belle, mais
en plus, sa vision est tellement évidente qu’on se dit: “Mais
c’est bien sûr.” Lorsqu’il se rend sur un site, il voit des détails
qui vous échappent de prime abord. Cette concentration et
cette conviction presque obsessionnelle que quand on veut,
on peut, sont des caractéristiques communes de nos deux
pratiques, indépendamment de la différence de taille.”
Gilles Debrun: “Tout comme AJN, nous ne nous laissons pas
enfermer par ce qui est possible ou pas lors de la conception.
Durant cette phase, notre mot d’ordre est “Think Harder”,
peu importe la taille du projet. L’architecture n’étant pas
une science exacte, cela demande aussi beaucoup d’efforts
de la part de l’équipe de conception. C’est pourquoi je dis
toujours à mes étudiants de Louvain-La-Neuve: “L’architec-
ture demande trop d’efforts que pour produire un résultat
médiocre.” Pour notre projet Les Courses, un immeuble mixte
passif situé à Ixelles, Xavier a cherché jusqu’à ce qu’il trouve
en Autriche les profilés fins pour le triple vitrage qu’il avait
en tête. C’est pourquoi nous considérons la construction pas-
sive comme une opportunité plutôt qu’un handicap. Nous es-
sayons toujours de répondre à ce critère de manière à créer
d’autres avantages. A la savonnerie Heymans, nous avons
traduit la demande de projet bioclimatique en une loggia qui
crée également un confort au niveau de l’habitat et sépare
l’espace public et privé. Quand nous avons une solution spé-
cifique en tête, nous ne la rejetons pas d’emblée si elle ne
semble pas réalisable à première vue. Pour le Cross House, la
transformation d’un immeuble de bureaux semi-industriel en
01. Avec la transformation de l’ancienne savonnerie Heymans en 42
logements sociaux extrêmement variés et économes en énergie, avec
une crèche, pour le CPAS de Bruxelles, MDW Architecture s’est mis en
exergue à l’échelle internationale.
02. Construction neuve passive mixte résidentielle/affaires: Les Courses
(Ixelles)
03. La crèche passive Gaucheret à Schaerbeek peut accueillir 42 bambins.
“Pour nous, la construction passive est non
pas un handicap, mais une opportunité. Nous
essayons toujours de répondre à ce critère de
manière à créer d’autres avantages.”
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© Filip Dujardin© Filip Dujardin
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appartements de luxe, nous avons fait fabriquer les profilés
des fenêtres sur mesure; le vitrage y est collé face extérieure.
Cette approche demande plus de temps, car on ne doit jamais
se contenter de la première solution que l’on trouve sur le
marché. Mais par contre, elle donne un bien meilleur résul-
tat. Nous avons toujours envie d’innover, pas parce que nous
sommes fans de technologie, mais parce que le concept global
le demande. Nous choisissons nos combats, et nous n’avons
pas peur de demander à un donneur d’ordre d’aller un peu
plus loin que prévu.”
Acupuncture urbanistique
Le Delhaize de Liège, qui a été sélectionné pour le Prix belge
d’Architecture 2015 dans la catégorie bâtiments publics, est
un projet récent illustrant bien ce propos. Gilles Debrun: “La
classification nous a mis face à des centres culturels et d’autres
bâtiments publics qui avaient un programme et un budget
incomparables. Mais le projet démontre qu’il est possible
d’apporter une valeur ajoutée aux immeubles de la grande
distribution sans tomber dans l’architecture cosmétique, en
prêtant attention à la lumière naturelle, à la matérialisation et
à l’énergie. Comme il s’agit d’un grand bloc résidentiel, nous
avons mis l’implantation à profit pour donner au site, pendant
les heures d’ouverture, une fonction publique de passage pour
les piétons et les cyclistes. Nous avons aussi accordé beaucoup
d’attention à la toiture verte, sur laquelle donnent tous les im-
meubles du bord de Meuse. Nous pratiquons ainsi l’acupunc-
ture urbanistique en ajoutant au programme des dimensions
qui n’y étaient pas à l’origine. De la même manière, il nous
arrive de pousser un peu les développeurs privés de projets
résidentiels, sur la base des connaissances que nous avons
accumulées dans les projets de logements sociaux. Ce sec-
teur dispose peut-être de plus de moyens pour des éléments
comme une plaine de jeux ou un local commun.”
Nos deux interlocuteurs admettent que pour les jeunes bu-
reaux, il est de mois en moins évident de suivre le parcours
de MDW architecture. “Dans les invitations à soumissionner,
on voit de plus en plus souvent apparaître l’exigence de ré-
férences récentes ou d’un chiffre d’affaires minimum, ce qui
était moins fréquent jadis. Les donneurs d’ordre s’efforcent
ainsi de limiter le risque. En principe, nous ne souscrivons
pas aux invitations à soumissionner ouvertes, sauf si nous
avons besoin de références neuves ou plus récentes. Nous
ne participons aux concours que s’ils se déroulent en deux
“Le bouillon de culture cosmopolite international
qu’est Bruxelles constitue jour après jour un riche
terreau pour notre pratique architecturale.”
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© Julien Lanoo© Séverin Malaud© Filip Dujardin
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