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celle du bien-être s’explique très simplement : d’une part la relation entre le PIB par habitant
et la consommation par habitant est très étroite et d’autre part la consommation par habitant
constitue, dans la théorie standard du bien-être, une mesure adéquate de l’utilité de l’activité
économique pour les citoyens – consommateurs. La répartition de la consommation entre les
habitants importe évidemment (voir Fleurbaey, 2003). Mais comme la variation de la
répartition du revenu, et donc de la consommation, est relativement limitée et lente, on peut
considérer que le bien-être social varie comme le PIB par habitant. La prise en compte de la
répartition des revenus est sans doute importante dans le cas des comparaisons entre pays ou
pour des évaluations de la croissance sur très longue période, mais il est vraisemblable qu’une
première approximation, convenable, est procurée par la comparaison des PIB par habitant
(correctement déflatés par des indices de prix adéquats, notamment en cas de comparaisons
internationales).
On peut contester cette manière de voir en faisant remarquer que le bien-être met en jeu
beaucoup d’autres éléments des conditions de la vie des individus, que la seule consommation
de biens et de services économiques. Mais il est difficile de dresser une liste finie des
éléments dont il faudrait tenir compte. D’autre part on peut limiter l’ambition à la seule
mesure du bien-être matériel et exclure a priori les éléments qui séparent la mesure du bien-
être matériel de la mesure du bonheur. Cette restriction est assez naturelle et ne demande pas
de justification approfondie. Dès lors on peut admettre l’hypothèse de base qui fait de la
consommation la seule variable utile à la mesure du bien-être au sens purement matériel du
terme. À cet égard, si le PIB, n’est pas la variable la mieux adaptée, il constitue sans doute
une proxy acceptable. Les imperfections de la mesure peuvent justifier des travaux statistiques
supplémentaires pour étendre le champ des biens et des services pris en compte. Un concept
de consommation nette pourrait également utilement être introduit pour mesurer les flux de
désutilité liés à la dégradation des conditions environnementales. Mais ces perfectionnements,
utiles, ne remettraient pas en cause l’usage d’un indicateur agrégé de consommation, ou de
production, moyenne, pour mesurer le bien-être matériel.
Toutefois, l’utilisation sans restriction du PIB comme variable centrale de la mesure du bien-
être ne permet pas de comprendre les raisons qui conduisent les individus à ne pas percevoir
les progrès du bien être associés à l’augmentation de leur consommation. Or tous les travaux
empiriques sur le sentiment de bien-être mettent en évidence la faible sensibilité des individus
à la croissance de leur revenus et donc de leur consommation. Précisément, il apparaît que le
bien-être ressenti par les individus dépend beaucoup plus de leur situation matrimoniale (les
couples mariés ont un niveau de bien être supérieur à celui des célibataires), de leur sexe (les
femmes sont moins « heureuses » que les hommes), de leur appartenance ethnique (aux États-
Unis, les noirs ont un niveau de bien-être inférieur à celui des blancs) et de leur âge (les
jeunes et les vieux ressentent un bien-être plus élevé), que de leurs revenus, même si cette
variable joue bien de façon attendue (Banchflower, David G. et Andrew J Oswald, 2004).
Précisément, les enquêtes d’opinion révèlent la stabilité des « très heureux », « plutôt
heureux », « pas très heureux », dans la population. Mais elles montrent aussi qu’en général
les individus déclarent que leur situation passée était moins bonne et que leur situation future
devrait être meilleure. Easterlin propose d’expliquer ce paradoxe par la dépendance entre les
« aspirations » des individus et leurs revenus. La hausse des revenus entraînerait celle des
aspirations ce qui expliquerait la stabilité du bien-être défini dès lors à « taux de frustration »
plus ou moins constant. On peut retenir toutefois, que si le revenu ne détermine que très
partiellement le niveau de bien-être ressenti, son augmentation passée et les perspectives de
hausses futures sont bien perçues positivement.
Le bien-être ressenti, mesuré par les enquêtes d’opinion, ne correspond pas à la définition
limitée, et normative, du bien-être matériel. On ne peut donc pas, de toute façon, inférer de