3ème mois). De même, pour l’audition, qui se développe avant
la vue et qui est capable de discrimination (le bébé préfère les
sons composés, tels que ceux d’un cliquetis), c’est la voix
humaine qui constitue le stimulus privilégié, notamment celle
de sa mère, peut-être en fonction de l’imprégnation prénatale
qu’on a évoquée. On a remarqué que l’enfant suce plus
activement le mamelon lorsqu’il entend cette voix. Ses
capacités olfactives lui permettent, dès le troisième jour, de
distinguer l’odeur du sein maternel de l’odeur émanant du sein
d’une autre femme (H.Montagner, 1982).
Le nouveau-né dépense une activité motrice considérable
(sursauts, mouvements des pieds) ; il concentre son attention
sur un objet à sucer. L’analyse d’enregistrements
cinématographiques montre que, une heure après sa naissance,
il est capable d’effectuer un mouvement d’agrippement dans la
direction d’un objet apparaissant dans son champ visuel
(C.Trevarthen, P.Hubley, L.Sheeran, 1975). Ainsi, la
coordination de la main et de la vue résulterait d’une
programmation innée et non du seul apprentissage. Ce type
d’observation permet donc de reconnaître très précocement les
sources de l’intelligence, qui se situent, comme l’a montré Jean
Piaget, au niveau des premières coordinations sensori-motrices.
Il importe de retenir, de l’ensemble de ces données et des
moyens modernes d’évaluation des « compétences » du
nouveau-né, que celui-ci dispose d’un potentiel inné de
communication infraverbale, qui lui permet de transmettre à
l’adulte attentif ses intentions, ses besoins et une certaine
forme de son vécu. Il réagit à l’approche de la personne
maternante dès les premières semaines de sa vie, avant même
de pouvoir vraiment sourire, par des gesticulations et par des
mouvements des bras, des mains et des lèvres. La mère joue
un rôle très important dans le développement des capacités de
relation de son enfant, dont elle parvient progressivement à
comprendre, au-delà des simples besoins physiologiques, les
gestes et les mimiques. Elle y répond (à un niveau où joue
l’inconscient, c’est-à-dire, en particulier, la trace de ses
expériences affectives datant de sa propre enfance ou
dépendant de sa relation avec le père de l’enfant) par le ton de
sa voix, par son regard, par les nuances de son ajustement
postural, par son attention. Un véritable dialogue s’organise
ainsi entre les deux partenaires, bien avant que le bébé n’arrive
à l’âge de la représentation par le mot et de l’utilisation des
symboles verbaux.
4. Le psychisme postnatal
Schématiquement, les 2 années qui suivent la naissance sont
marquées, la première, par le processus de personnalisation, la
suivante, par l’émergence de la communication verbale. Le
psychisme, durant cette période, se développe à un rythme très
rapide, de même que l’organisme. Le poids du cerveau du bébé
passe d’environ 340 grammes à la naissance à 1 150 grammes
à l’âge de deux ans (pour atteindre 1 400 grammes à vingt
ans). Si l’équipement en neurones (environ 10 milliards) est fixé
à la naissance, le câblage cérébral se poursuit bien au-delà,
surtout durant les deux premières années, au fur et à mesure
des progrès de la myélinisation (N.Baumann et coll., INSERM).
Chaque neurone peut avoir jusqu’à 100 000 contacts avec les
neurones voisins. Le cervelet, qui à la naissance n’est qu’une
ébauche, achève sa croissance au douzième mois. Des travaux
neurochimiques ont montré que le cerveau est particulièrement
vulnérable à la malnutrition durant cette période (Elie
A.Shneour, 1975), comme d’ailleurs pendant la vie intra-
utérine. Cependant, la croissance ne dépend pas seulement des
déterminismes génétiques et biophysiologiques. Pour une
grande part, elle est soumise, durant les deux premières
années, à l’influence des stimulations émanant de
l’environnement, comme en témoignent les études, évoquées
plus haut, sur la plasticité du système nerveux. Mais, pour que
ces stimulations soient appropriées et bénéfiques, il faut
qu’elles surviennent au milieu de relations qui nourrissent
l’affectivité de l’enfant. On ne peut concevoir, en effet, les
acquisitions cognitives initiales comme séparées de la vie
émotionnelle, d’autant moins que ces deux aspects du
psychisme sont inséparables du vécu corporel.
Aussi est-il préférable d’envisager celui-là selon une perspective
unitaire et d’abandonner la tripartition classique qui distingue :
le développement psychomoteur conçu selon le modèle
béhavioriste d’Arnold Gesell ; les étapes du développement
cognitif délimitées par la psychologie génétique de Jean Piaget ;
les stades du développement libidinal et affectif déterminés à
partir de la théorie psychanalytique de l’étayage pulsionnel.
« Cette chose qu’on appelle nourrisson n’existe pas », s’écriait
le pédiatre et psychanalyste DW.Winnicott 1940, voulant
souligner ainsi l’unité fondamentale qui lie le bébé et sa mère,
avant que le premier ne passe de l’initiale dépendance totale
(
Hilflosigkeit
) à l’indépendance relative de la fin de la deuxième
année. La complémentarité relationnelle et le système de
communication circulaire qui s’installent entre le nourrisson et
sa mère ont été décrits par RA.Spitz, à partir des années
cinquante, sous le nom de « dyade », terme déjà utilisé en
1908 par le sociologue G.Simmel. Depuis lors, des études
inspirées, séparément ou conjointement, par les méthodes de
la psychologie expérimentale et de la psychanalyse ont mis en
évidence des « patterns » d’interactions spécifiques entre
mères et bébés (Myriam David, 1966), ainsi que l’existence de
cycles inter relationnels. Par exemple, grâce à l’enregistrement
simultané, par l’image et par le son, de séquences de
communication entre des mères et des nourrissons, on a
remarqué que le taux d’activité de ceux-ci variait de manière
synchrone avec le rythme des paroles de leurs mères
(WS.Condon et LW.Sander, 1974). Daniel Stern, aux États-Unis,
en utilisant l’observation directe, ainsi que des films réalisés au
domicile familial, a développé la notion de « concordance »
affective (
attunement
) entre la mère et le bébé.
Les recherches sur la communication au sein de la dyade
tendent donc à prouver que la nourrisson joue un rôle actif et
présente une prédisposition innée à la relation. On peut alors se
demander si certains concepts classiques servant à caractériser
les débuts de la vie psychique ne méritent pas d’être révisés
(du moins en ce qui concerne le bébé dit normal), tels ceux de
narcissisme primaire (S.Freud), de stade anobjectal (RA.Spitz),
d’autisme normal (M.Mahler ; F.Tustin). Certes, dans les
premiers jours qui suivent la naissance, l’expérience du
nourrisson est fragmentaire, discontinue et entrecoupée de
longues périodes de sommeil. Cependant, très vite, un certain
nombre de perceptions vont, par leur répétition et grâce au
climat affectif dans lesquelles il les vit, prendre sens pour lui.
Le moment de la tétée est particulièrement riche à cet égard ; il
donne lieu à des formes primordiales d’intégration psychique. À
la satisfaction du besoin vital de la nutrition s’associent le plaisir
– lié à l’excitation – de la zone érogène orale, celui de la
succion, celui de la déglutition, celui de la réplétion, mais aussi
bien d’autres sensations qui sont en rapport avec la présence
maternelle et qui laissent, dans la psyché du tout-petit, leur
trace mnésique. Simultanément, celui-ci, tandis qu’il s’efforce
de saisir et de tenir le sein, fait l’expérience de sa motricité en
mobilisant l’ensemble de la zone érogène buccale en rapport
avec la main et le bras (la « cavité primitive », RA.Spitz, 1959),
expérience fort chargée émotionnellement, d’où émergera
progressivement la pensée, et grâce à la répétition de laquelle
(pourvu qu’elle se déroule dans un bon climat affectif) le
nourrisson en vient peu à peu, lorsque renaît le besoin, à
« halluciner » le sein en l’absence de celui-ci. DW.Winnicott
décrit ainsi ce moment d’une première ébauche de la pensée :
« Le petit enfant, dans un certain environnement fourni par la
mère, est capable de concevoir l’idée de quelque chose qui
rencontrerait le besoin croissant suscité par la tension
instinctuelle » (1971). Cependant, pour que le bébé puisse
« concevoir » subjectivement le sein, et anticiper dans une
certaine mesure le nourrissage, il faut que la mère ait su, au
préalable et en de nombreuses occasions, placer « le sein réel
juste là où l’enfant est prêt à le créer et au bon moment ».
DW.Winnicott soulignait l’importance, chez la mère, d’une