évitent tout contact entre des sangs d’ori-
gine différente [28]. Les anthropologues
ont rapporté l’importance du tabou san-
guin dans les croyances chez la plupart
des peuples chasseurs-cueilleurs du
monde, des Eskimos aux Tasmans
d’Australie. Cependant, cette interdiction
concerne plus particulièrement les fem-
mes parce qu’elles sont en contact avec
leur sang, qu’elles doivent aussi être
séparées des armes, du fait que les armes
sont en contact avec le sang [28]. Ainsi
chez ces populations, seul l’homme chas-
seur est en contact avec les blessures et le
sang frais du gibier, les femmes et les
enfants se consacrant aux tâches de
cueillette et d’entretien des campements.
En Afrique noire, ces populations origi-
naires de la forêt vivaient de façon assez
disséminée, leur mode de subsistance ne
s’accordant pas avec celui des popula-
tions sédentaires ou ayant un fort poten-
tiel démographique. Le transfert viral du
SIV-VIH du singe à homme a pu être une
des conséquences de cette forte pénétra-
tion humaine d’un autre peuple n’ayant
pas les mêmes tabous d’exclusion san-
guine que les chasseurs-cueilleurs. Par
ailleurs, du fait de son comportement
plus sédentaire lié à l’agriculture et de sa
démographie, ce nouvel hôte s’est trouvé
en densité suffisante pour que de nou-
veaux agents infectieux perdurent chez
lui [25-27]. Le risque de contamination a
pu être amplifié par l’introduction des
armes à feu durant la colonisation, bien
que la chasse avec des lances et des
flèches soit tout aussi (sinon plus) res-
ponsable de contacts sang-sang, mais
aussi par l’intensification des modifica-
tions du milieu avec la dégradation du
bloc forestier et la demande accrue en
viande rouge.
Émergence de la syphilis
Il est évident que les populations noires
ont été en contact avec les peuples médi-
terranéens d’Afrique du Nord (et peut-
être du Proche-Orient) depuis des siècles.
On sait que le monde musulman a prati-
qué la traite des esclaves durant 1200 ans
et particulièrement du vii
e
au xvi
e
siècle ;
pour cela des itinéraires nord-sud exis-
taient à travers ou par les côtés du Sahara.
À cette même époque, des routes com-
merciales empruntaient les mêmes itiné-
raires, en particulier pour des échanges
contre de l’or : ainsi la route du sel, entre
les sultanats du Maroc et le royaume du
Ghana (qui appartient à la Côte de l’Or), a
été très active pendant des siècles [29]. Il
est probable que des Africains originaires
du golfe de Guinée (esclaves, mercenai-
res) aient pu atteindre Gibraltar bien
avant la découverte de ces côtes d’Afri-
que équatoriale par la voie maritime. Ces
contacts nord-sud de populations peu-
vent expliquer que le tréponème origi-
naire d’Afrique noire ait pu atteindre le
pourtour méditerranéen et c’est en pro-
gressant dans les populations vêtues des
zones tempérées que cette infection cuta-
née bénigne se serait transformée en
syphilis vénérienne beaucoup plus grave.
Selon les latitudes et les longitudes, dans
les régions chaudes, tempérées ou froi-
des, les peuples n’ont pas les mêmes
comportements et les mêmes tabous du
fait de leur histoire et selon leur civilisa-
tion. Que ce soit les conquistadors en
Amérique centrale ou les colonisateurs en
Afrique noire, dans les deux cas, sur ces
deux continents, ces conquérants ont
trouvé des comportements et des rela-
tions sociales différentes. Cependant,
dans les régions équatoriales ou chaudes,
même si les populations sont peu ou
absolument pas vêtues, les interdits
sociaux et les permissions sexuelles exis-
tent, mais ils sont différents. Le fait de
souligner, dans les récits de Colomb, que
les femmes amérindiennes montaient
entièrement nues sur les navires montre
bien que l’apparence du « bon sauvage
dénudé » a fait croire qu’il n’existait pas
d’interdits et les conquérants se sont par-
fois crus tout permis. Cela explique la
soi-disant découverte d’une nouvelle
sexualité dans l’histoire de la conquête de
ces « nouveaux mondes », du fait que les
gens vivaient sans couvert individuel.
C’est ainsi que ce transfert infectieux
entre continents a pu apparaître comme
le résultat d’échanges sans tabou dans ces
pays lointains et très différents de la civili-
sation européenne occidentale.
Infections
et coévolutions
Les infections virales
chez les primates d’Afrique
Toutes les viroses simiennes transmissi-
bles à l’homme n’ont pas la même capa-
cité d’épidémisation. En Afrique équato-
riale, l’exemple type est celui du monkey-
pox, infection causée par le poxvirus
chez les primates anthropoïdes, en parti-
culier les chimpanzés. Cette virose provo-
que quelques explosions de cas qui sont,
semble-t-il, induites par la dynamique
démographique chez les primates tandis
que l’on n’a jamais observé d’épizootie
foudroyante dans la population simienne
[30]. Le poxvirus est connu depuis 1958,
sa pathologie chez l’homme a été décrite
en 1970 ; il infecte sporadiquement les
humains qui entrent en contact avec les
singes avec une létalité de 1,5 %. L’arrêt
de la vaccination antivariolique suite à la
campagne mondiale d’éradication au
début des années 1980 avait fait craindre
en Afrique équatoriale un passage du
monkey-pox chez l’homme car les anti-
corps antimorbilleux protègent contre
cette virose [30]. Contre toute attente, il ne
s’est pas produit de processus d’épidémi-
sation chez l’homme de cette virose
simienne. Lors de la surveillance de la
poxvirose simienne chez l’homme, on a
décrit au Kenya, en 1971, et ensuite au
Zaïre, une maladie d’origine simienne,
causée par le virus Tanapox. Cette infec-
tion provoque des épizooties chez les
primates, provoque chez l’homme
(même vacciné contre la variole) un épi-
sode fébrile associé à des lésions cuta-
nées nodulaires [31]. La contamination de
cette virose bénigne régressant spontané-
ment provient du contact avec des singes
infectés ; cependant, il ne s’agit pas d’une
infection « nouvelle » car, pour les popula-
tions de ces régions, cette pathologie a
probablement toujours existé.
Comme le VIH1, le VIH2 est à l’origine
purement africain et il serait depuis plu-
sieurs générations un hôte familier des
populations africaines. Il est également
d’origine simienne et son transfert s’est
effectué à partir du singe Cercocebus atys
(ou mangabey enfumé) qui n’est pas un
primate anthropoïde. Son émergence a
été située en Afrique de l’Ouest où les
singes sont infectés par le SIVsm [32].
L’infection par ce virus ne représente pas
un problème majeur de santé publique
comme l’infection par le VIH1, puis-
qu’elle est assez stable chez l’homme du
fait d’un pouvoir infectieux différent.
Comme pour le VIH1, la dynamique géo-
graphique récente du VIH2 est surtout
liée aux mouvements de populations [32].
L’infection causée par le virus herpès
simien (rhadinovirus) se retrouve chez les
primates d’Amérique et d’Afrique. L’un
d’eux, le HVSK, est associé au sarcome de
Kaposi et cette pathologie est fortement
endémique en Afrique centrale. Jusqu’à
présent, les rhadinovirus n’étaient pas
retrouvés chez les primates anthropoïdes.
Cependant, trois nouveaux virus ont été
isolés chez les chimpanzés et chez les
Cahiers Santé vol. 16, n° 4, octobre-novembre-décembre 2006
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