initiale : le bûcheron est « pauvre », l’adjectif correspondant à une situation sociale mais
tout aussi bien à une situation morale (lié à la fatigue des ans). La première phrase est
composée de deux propositions indépendantes coordonnées par « et » (verbe 1 :
« marchait » ; verbe 2 : « tâchait). La première proposition (vers 1 à 3) accumule les
groupes antéposés (c’est-à-dire placés avant le verbe) : « tout couvert de ramée », « Sous
le faix du fagot aussi bien que des ans », « Gémissant et courbé » avant de préciser l’action
principale (« marchait à pas pesant ») Ce déséquilibre rythmique suggère l’effort physique
par cet effet d’accumulation des circonstances pénibles (avec un renchérissement au vers
2 : « aussi bien que »). On note également, pour le même effet d’écrasement, l’assonance
en « en » (« ans » ; « Gémissant » ; « pesants ») ainsi que l’accentuation, dans les
alexandrins, sur la sixième et la douzième syllabes et sur les termes les plus symboliques :
« fagots » ; « ans » ; « gémissant » ; « courbé » ; « pesants ». Tous ces éléments soulignent
les difficultés de la marche. La deuxième proposition indépendante coordonnée : « Et
tâchait de gagner sa chaumine enfumée. » met en valeur la forme verbale « tâchait de »
pour donner à l’action un caractère hypothétique. L’imparfait, à valeur durative, renforce
d’ailleurs le caractère aléatoire de l’action.
Intervenant au vers 13, la Mort, quant à elle, n’est pas décrite. Le contraste n’en est que
plus grand avec le personnage du bûcheron. L’entrée en scène de la figure allégorique est
brutale : « Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder. » : rapprochement immédiat, au sein
du même vers, entre l’appel et l’arrivée, alors que la description du bûcheron, sur plusieurs
vers, évoquait la marche difficile de l’homme dans la vie. En même temps, l’absence de
description évite en quelque sorte le recours au pittoresque : la mort reste une abstraction
ambiguë ; présente, immédiate, comme pressée de faire son œuvre, et pourtant
indescriptible, presque indicible.
B. Un récit sobre et efficace
L’évocation frappante de la misère paysanne et le recours à l’allégorie s’inscrivent dans un
récit sobre et efficace. Pour le montrer, il faut observer la composition d’ensemble de la
fable :
Vers 1 à 4 : mise en scène du paysan en action.
Vers 5 à 6 : transition par la mention d’une pause introduite par « Enfin », le
passage au présent de narration et l’emploi du verbe « songer » qui prépare le
passage suivant en discours indirect libre. A noter que le dernier mot du vers 6,
« malheur », résume ce qui a été décrit jusque-là et, en même temps, constitue le
titre programme de ce qui va suivre.
Vers 7 à 12 : le monologue intérieur du bûcheron qui se conclut par une nouvelle
formulation récapitulative : « d'un malheureux la peinture achevée. »
Vers 13 et 16 : l’entrée en scène de la mort, appelée par le paysan en conclusion de
sa méditation. A noter que le vers 1é est un alexandrin, le vers 13 un octosyllabe :
il s’agit d’un effet de resserrement dramatique. La vie n’est plus qu’une peau de
chagrin qui s’amenuise. Elle ne tient plus qu’à un fil. La juxtaposition des
indépendantes et l’ellipse du sujet renforcent l’effet : « Il appelle la Mort, elle vient
sans tarder, / Lui demande ce qu'il faut faire »
Du vers 17 au vers 20 : L’apologue se termine alors sur une réplique du bûcheron,
en réponse au discours narrativisé du vers 14 (« Lui demande ce qu'il faut faire. »)
La parole reste en suspens, ce que souligne le blanc typographique séparant le
récit de la morale. L’absence de réponse vaut réponse. « Tu ne tarderas guère »
est évidemment une litote qui met en exergue la mort irrévocable.