Le commerce équitable comme générateur de responsabilité sociale au sein des
échanges commerciaux Nord-Sud
Benjamin HUYBRECHTS
Doctorant en Sciences de Gestion
Centre d'Economie Sociale
Université de Liège
Sart Tilman B33 Boîte 4
4000 LIEGE - BELGIQUE
Tel: 00 32 4 366 31 35
Fax: 00 32 4 366 28 51
Le commerce équitable comme générateur de responsabilité sociale au sein des
échanges commerciaux Nord-Sud
Introduction
Depuis plusieurs décennies, le commerce équitable constitue un phénomène économique et
social dont la notoriété et le succès commercial sont croissants, bien que le poids
économique de cette filière reste encore marginal (Moore, 2004 ; Poncelet et al, 2005 ;
Socías Salvá et Doblas, 2005 ;…). Initiée par des associations et des coopératives
pionnières en vue de rendre le commerce international plus éthique, le commerce équitable
s’est progressivement ouvert à des entreprises à but de profit, qui y voient une opportunité
unique pour afficher leur responsabilité sociale tout en tirant bénéfice d’une niche de
consommation en pleine expansion (Renard, 2003 ; Gendron, 2004)
Le développement de la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE) constitue
assurément une cause majeure de la participation des entreprises classiques au commerce
équitable, accroissant la diversité organisationnelle au sein de la filière et donc également
l’hétérogénéité dans les pratiques des acteurs. Ce faisant, le commerce équitable apparaît
comme un générateur de responsabilité sociale, non seulement à travers le cadre normatif
qu’il propose, mais aussi grâce à la multitude de partenariats entre des entreprises
commerciales classiques et des organisations associatives et coopératives (Huybrechts,
Mertens et Xhauflair, à paraître). Ces dernières organisations, dont l’activité économique
est formellement subordonnée à la poursuite d’une finalisociale envers les membres ou
envers la collectivité, peuvent être regroupées sous le vocable d’ « économie sociale »
(Defourny et Develtere, 1999).
Le but de cette communication est d’étudier, de manière critique, dans quelle mesure les
partenariats entre acteurs sont susceptibles de générer une dynamique de responsabilité
sociale pour les différents protagonistes du commerce équitable. Pour ce faire, nous
commençons par analyser ce en quoi le concept de commerce équitable est potentiellement
porteur de responsabilité sociale. Ensuite, nous nous penchons sur les différents types
d’acteurs de terrain et sur leurs capacités théoriques respectives en termes de responsabilité
sociale. A cette fin, nous revisitons l’évolution des configurations organisationnelles au
sein du commerce équitable et nous redéfinissons le rôle, les atouts et les limites des
différents types d’organisations par rapport aux objectifs de la filière équitable. Enfin, nous
étudions les différentes modalités d’interactions entre les organisations et les influences
réciproques qu’elles exercent l’une sur l’autre, afin de tenter de percevoir dans quelle
mesure ces diverses formes d’interrelations génèrent une RSE crédible et effective.
1. Responsabilité sociale inhérente au concept de commerce équitable
Tout d’abord, nous interrogeons le concept du commerce équitable quant à ses apports en
termes de responsabilité sociale. Si cet apport est parfois considéré comme évident par les
acteurs de terrain, il nous semble qu’il n’est pas inutile d’en étudier les contours, la teneur
ainsi que les limites. Etant donné que le concept de RSE recouvre une grande hétérogénéité
de notions et de pratiques (Pailot, 2005), il est nécessaire de le clarifier : nous envisagerons
la RSE comme l’ensemble des démarches volontaires dans lesquelles des entreprises
s'engagent afin de respecter, au-delà de leur objectif de rentabilité économique, des
exigences sociales et environnementales, et d’améliorer les relations avec toutes les parties
concernées par leurs activités (Bender et Pigeyre, 2003). Parmi les différentes approches
théoriques de la RSE, nous nous centrerons donc sur les pratiques concrètes des acteurs par
rapport à leurs différentes parties prenantes internes et externes, conformément aux
principes de la Stakeholder Theory (Carroll et Buchholtz, 2000 ; Donaldson, 2002).
Toutefois, il faut bien garder à l’esprit que, même pour l’étude d’un même secteur comme
le commerce équitable, nous ne disposons pas d’une définition précise de la RSE.
Deux éléments caractérisent la démarche de RSE proposée dans le cadre du commerce
équitable. Premièrement, la participation au commerce équitable ne constitue pas une
démarche auto-proclamée de responsabilité sociale, dans le sens les entreprises qui s’y
intéressent acceptent de se soumettre à un cahier des charges émis et contrôlé par une
instance extérieure. Pour la production alimentaire, cette soumission prend la forme d’une
labellisation par un organisme membre de la coupole internationale FLO. En ce qui
concerne les produits artisanaux, s’il n’y a pas de système de labellisation obligatoire, on
peut considérer que la revendication de commerce équitable est implicitement conditionnée
par l’affiliation à des réseaux internationaux tels que l’IFAT. Toutefois, les moteurs de
cette démarche de RSE peuvent être de différentes natures selon les entreprises. A la suite
de Gond (2006), nous pouvons en effet distinguer les initiatives volontaristes
(« spontanées ») de dynamiques plus utilitaristes, ces dernières étant vues comme un besoin
d’adaptation ou une réponse à un stimulus externe (par exemple la dénonciation de
pratiques par des organisations d’économie sociale).
Ensuite, si l’on analyse la responsabilité sociale au regard des relations avec les différentes
parties prenantes, il apparaît que le commerce équitable ne formule un cadre normatif que
pour le lien avec les producteurs. S’il y a dans les critères toute une série d’exigences
organisationnelles concernant les organisations de producteurs au Sud, ce n’est
effectivement pas le cas pour les organisations d’importation, de transformation et/ou de
distribution au Nord.
Au niveau du contenu et des outils spécifiques du commerce équitable, les techniques
comme le prix juste et stable, le préfinancement, la relation à long terme et certains critères
de partenariat semblent porteuses de responsabilité sociale, non seulement entre les
organisations du Nord et du Sud, mais également à l’intérieur même de ces dernières. Il
convient toutefois de souligner que les partenariats sont extrêmement variés et que les
impacts sur les producteurs dépendent non seulement du degré d’investissement des
importateurs, mais également du projet de l’organisation de producteurs même (Ronchi,
2000). Le degré de responsabilité sociale générée dépend donc de l’ensemble des acteurs
de la filière.
En résumé, on peut considérer que le commerce équitable induit une responsabilité sociale
dont le degré peut fortement varier d’un cas à l’autre. Au minimum, l’importateur consent à
une relation commerciale dotée d’outils potentiellement bénéfiques pour les producteurs,
mais sans que le suivi de ce bénéfice soit assuré, si ce n’est par les instances de
certification. Au mieux, l’organisation de commerce équitable s’investit pleinement dans le
partenariat avec les producteurs et étend cette marche de responsabilité sociale,
initialement réservée à une catégorie déterminée d’acteurs, à l’ensemble des parties
prenantes.
2. Responsabilité sociale des différents acteurs
2.1 Explications de la diversité organisationnelle
L’attitude de l’organisation active dans le commerce équitable en termes de responsabilité
sociale dépend tout d’abord de sa configuration organisationnelle. Au départ, le commerce
équitable a été initié par des entreprises « de l’économie sociale », c'est-à-dire des
associations, des fondations et des coopératives dont l’objectif premier n’est pas la
recherche du profit (Defourny et Develtere, 1999). Le commerce équitable a donc
longtemps été un projet spécifique à l’économie sociale, dont il partage la mission : la
poursuite de l’activité économique comme moyen pour réaliser des objectifs sociaux
(Lévesque, 2004).
C’est sans conteste le développement de la labellisation qui a transformé ce mouvement en
profondeur. En effet, la labellisation a permis à toute entreprise de proposer des produits
issus du commerce équitable, dans la mesure c’est le produit qui est certifié et non
l’organisation. En permettant d’externaliser la garantie de confiance au sein du produit en
lui-même, la labellisation a permis d’ouvrir la filière à des entreprises commerciales
« classiques », dont la structure organisationnelle ne comporte pas a priori de capital de
confiance. Outre la labellisation qui a rendu possible la participation d’entreprises
classiques, d’autres facteurs permettent d’expliquer l’intérêt de celles-ci. Il paraît évident
que le développement de la notion de RSE a poussé certaines entreprises à s’intéresser au
commerce équitable. Parmi d’autres facteurs, nous postulons que la force d’interpellation
des acteurs de l’économie sociale par rapport aux injustices du commerce international
traditionnel constitue un facteur exogène ayant contribué à placer les préoccupations
éthiques au sein des considérations de certaines entreprises (Rorive, 2003 ; Marsden, 2003 ;
Huybrechts, Mertens et Xhauflair, forthcoming).
2.2 Implications en termes de responsabilité sociale
Quelles sont, dès lors, les implications de cette différenciation organisationnelle sur les
pratiques de RSE ? Sans prétendre appréhender l’ensemble des cas de figure, nous
proposons ici quelques pistes de réflexion à partir des spécificités théoriques de chaque
type d’organisation.
Acteurs de l’économie sociale
A l’origine du concept, les acteurs associatifs et coopératifs semblent être les garants de la
qualité et de la crédibilité du commerce équitable en termes de responsabilité sociale, dans
le sens leurs structures mêmes sont contraignantes à cet égard. En effet, les associations
sont soumises à la contrainte de non distribution des profits, ce qui les oblige à réinvestir
leur éventuel excédent dans la poursuite de la finalité sociale. Pour ce qui est des
coopératives, si elles peuvent redistribuer le profit aux membres, cette redistribution est
limitée et rentre dans l’objet social, globalement là l’amélioration des conditions de vie
des membres. Par conséquent, les organisations d’économie sociale poursuivent
théoriquement un objectif de service aux membres et à la collectivité et non de profit.
Au niveau des pratiques de gestion, s’il est difficile d’émettre des généralités, on peut
néanmoins pointer quelques spécificités. En ce qui concerne la gestion des ressources
humaines, les organisations d’économie sociale actives dans le commerce équitable
peuvent mettre en œuvre des pratiques cohérentes avec leur finalisociale (minimisation
des écarts de salaire, dialogue avec les syndicats, investissement dans la formation,
insertion de personnes peu qualifiées ou régulièrement discriminées,…). Toutefois, que ce
soit pour les coopératives (Davis, 2004) ou pour les NPO pures (Pynes, 1997), la littérature
montre que, si les incitants qu’ont ces organisations à motiver leur personnel par rapport à
la mission sociale sont nombreux, la concurrence peut également menacer ces pratiques
spécifiques de gestion des ressources humaines.
En termes de marketing, les associations et les coopératives de commerce équitable veillent
généralement à privilégier la sensibilisation de manière générale à la promotion agressive
de tel ou tel produit. Outre cette considération, il est toutefois difficile de déceler des
différences fondamentales par rapport aux entreprises classiques : les organisations
d’économie sociale peuvent mettre en œuvre des campagnes de marketing relativement
similaires à celles des FPO.
Enfin, au niveau de la gouvernance, les relations avec les différentes parties prenantes sont
souvent prises en considération à travers une représentation de celles-ci dans les instances
mêmes de décision de l’organisation (Ben-Ner et Van Hoomissen, 1991), malgré les
difficultés que cela peut engendrer (Cornforth, 2004). Enfin, il n’est pas rare d’observer des
initiatives très innovantes par rapport au respect de l’environnement (emballages réduits au
minimum, bâtiments écologiques, papier recyclé,…). En conclusion, de nombreuses
organisations d’économie sociale actives dans le commerce équitable essayent d’étendre
les critères de qualité prévalant dans les rapports avec les producteurs à l’ensemble des
parties prenantes.
Toutefois, il s’agit à nouveau de la théorie, et il serait incorrect de dire que les
spécificités organisationnelles des structures d’économie sociale sont automatiquement
génératrices de responsabilité sociale. Nous voyons anmoins que ces structures sont
naturellement orientées vers le service de l’intérêt général, ce qui facilite l’adoption de
comportements socialement responsables.
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