Sémiologie des troubles psychomoteurs
J.-M. Henry, C. Védie, T. Witjas, J.-P. Azulay, F. Poinso
Le terme de comportement psychomoteur est complexe et ambigu. Née avec la séparation des maladies
de l’âme de celles du cerveau, la psychomotricité suggère d’emblée une réunification de l’homme dans sa
complexité somatopsychique et vise l’intégration des fonctions cognitives, affectives et motrices tout en
considérant les contraintes environnementales. Le développement psychomoteur de l’enfant manifeste
cette intrication entre développement moteur et cognitif : l’exploration sensorimotrice du contexte,
l’organisation praxique et spatiale, favorisent les capacités de symbolisations qui permettent en retour
une meilleure efficience des comportements. Cette aliénation corporelle de l’homme met les atteintes
psychomotrices au sein de toute la pathologie psychique. Face à une telle ambition du terme, notre
propos ne saurait qu’être provisoire et partiel. Il s’agit ici d’examiner les comportements moteurs
anormaux qui ne relèvent pas d’une atteinte neurologique manifeste mais demeurent effectivement en
prise avec des déterminants émotionnels, affectifs ou cognitifs. Dans une visée didactique, la sémiologie
des troubles psychomoteurs est envisagée à la lumière de la littérature récente en suivant les axes de
l’hypokinésie (inhibition, ralentissement, catatonie, cataplexie), de l’hyperkinésie (agitation, impulsion)
et des dyskinésies (tics, maniérisme, rituels et compulsions). Une place particulière est faite à la sémiologie
des troubles conversifs qui posent spécifiquement le problème du diagnostic différentiel des troubles
neurologiques. Les troubles des conduites, dans lesquels il n’existe pas d’altération de la motricité elle-
même mais une perturbation des buts poursuivis, sont volontairement ignorés.
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Mots clés : Catatonie ; Cataplexie ; Catalepsie ; Inhibition ; Agitation ; Impulsion ; Dyskinésie ; Maniérisme ;
Conversion ; Tics
Plan
Introduction 1
Hypokinésies 1
Inhibition et ralentissement 1
Catatonie 2
Cataplexie 3
Narcolepsie 3
Hyperkinésies 3
Agitation 3
Impulsions 4
Parakinésies et dyskinésies 5
Maniérisme 5
Tics 5
Rituels et compulsions 6
Dyskinésies 6
Troubles conversifs 7
Situation du problème 7
Manifestations cliniques 7
Conclusion 8
Introduction
La notion de trouble psychomoteur, quoique vague, recouvre
une utilité pratique certaine. Ces manifestations constituent en
effet un cortège symptomatique souvent bruyant, immédiate-
ment perceptible par le médecin et organisant fortement la
réflexion diagnostique. Il ne faut pas voir dans le préfixe
« psycho » la suggestion d’une étiologie exclusivement psycho-
gène à ces troubles moteurs mais bien la marque d’une relation
étroite avec des facteurs émotionnels, affectifs et volitionnels.
De Ajuriaguerra a montré le rôle de l’évolution du tonus chez
le nourrisson, dans la construction de la relation mère-bébé, le
« dialogue tonique » dans ce cadre prenant le sens d’un modèle
relationnel plus général. Variables dans le temps, les troubles
psychomoteurs ne possèdent habituellement pas la fixité
habituelle des troubles moteurs neurologiques. Ils demeurent
donc essentiellement des troubles fonctionnels, ne s’accompa-
gnant d’aucune modification structurelle ou morphologique. Il
faut encore les différencier des troubles des conduites dans
lesquels la motricité est intègre, mais semble servir un but
pathologique (troubles des conduites alimentaires, automutila-
tions, conduites d’évitement, conduites à risques...).
Hypokinésies
Inhibition et ralentissement
Le ralentissement psychomoteur comporte une lenteur
gestuelle (bradykinésie) et psychique (bradypsychie). L’initiation
du geste et de la parole témoigne d’une phase de latence entre
décision et réalisation de l’acte. La mimique est appauvrie,
l’économie gestuelle manifeste, les propos laconiques sont
rarement spontanés, la diminution du débit verbal rend la
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1Psychiatrie
situation d’entretien pénible. Au maximum, toute activité
motrice est suspendue (akinésie) et le patient est immobile, figé
dans son lit : c’est la stupeur.
Symptômes cardinaux des dépressions endogènes
[1]
, l’inhibi-
tion psychomotrice et le ralentissement sont très largement
représentés dans des troubles psychiques ou somatiques divers.
Les formes déficitaires de schizophrénie se caractérisent par des
troubles de l’initiation de l’action volontaire qui se manifestent
par de l’apragmatisme et de la clinophilie (prédilection pour la
position allongée). Les différences sémiologiques entre un
ralentissement dépressif et schizophrénique sont parfois bien
minces. Le ralentissement dépressif est souvent douloureuse-
ment vécu par le déprimé qui se plaint fréquemment de son
incapacité psychomotrice alors que le patient schizophrène est
plus volontiers indifférent à son inhibition psychomotrice et à
son apragmatisme. Toutes les pathologies somatiques asthé-
niantes sont susceptibles de se traduire par un ralentissement.
Nous pourrions citer sans prétendre à l’exhaustivité certaines
endocrinopathies (hypothyroïdie, insuffisance surrénalienne),
les troubles neurologiques affectant les noyaux gris centraux
(Parkinson, chorée de Huntington, paralysie supranucléaire
progressive) ou le cortex frontal, les séquelles d’encéphalopa-
thie, le ralentissement idéomoteur de certains épileptiques
(glischroïdie).
Catatonie
Décrite initialement en 1874 par Kahlbaum, en association
avec de sévères perturbations thymiques, reprise 25 ans plus
tard par Kraeplin qui, négligeant les aspects thymiques, en fit
une forme évolutive quasi exclusive de la démence précoce, la
catatonie a eu des contours sémiologiques variables mais centrés
sur un noyau comportemental et moteur
[2]
. La position
dominante actuelle tend à donner un statut syndromique
autonome à la catatonie dont l’étiologie peut aussi bien être
d’origine schizophrénique, affective, organique ou iatrogène.
Peralta et al. se sont attachés à retenir les manifestations
psychocomportementales les plus discriminantes pour établir un
diagnostic de catatonie. Ils proposent 11 symptômes parmi les
40 qui ont pu être décrits et évaluent leur pouvoir prédictif
individuel et lorsqu’ils s’associent
[3, 4]
(Tableaux 1 et 2):
immobilité/stupeur : le patient n’adapte pas sa posture
pendant l’entretien, reste figé, immobile, passif. Au maxi-
mum, la stupeur correspond à une absence totale d’activité
motrice ;
mutisme : le patient ne s’exprime pas verbalement que ce soit
spontanément ou sur sollicitation. Le mutisme peut être
permanent ou survenir par accès ;
négativisme : il s’agit ici d’un refus actif du contact verbal et
non verbal. Le patient évite le regard, refuse la main tendue
ou s’oppose aux consignes délivrées ;
oppositionisme : c’est l’augmentation du tonus des muscles
antagonistes au mouvement lors de la mobilisation par
l’examinateur d’un segment de membre. Il s’agit donc d’une
forme purement musculaire du négativisme. Ce symptôme
s’appelle aussi paratonie ;
maintien postural : l’immobilité du patient n’est pas simple-
ment une immobilité de repos. Il peut se figer en des postures
plus ou moins expressives : attitudes extatiques, en flexion,
en hyperlordose. Le signe de l’oreiller est une manifestation
extrême de ce maintien postural : la tête reste décollée du
plan du lit après le retrait de l’oreiller par l’examinateur ;
catalepsie : c’est le maintien des attitudes imposées par
l’examinateur lors de la mobilisation passive des membres.
Ceci évoque la flexibilité cireuse ou celle du tuyau de plomb :
après une résistance initiale, l’attitude est maintenue pendant
quelques secondes. On parle aussi de plasticité paradoxale qui
tranche avec le négativisme et l’oppositionisme du patient.
obéissance automatique ou compliance excessive : le patient
coopère de façon paradoxale et exagérée, amplifiant le geste
initié ou demandé par l’examinateur ;
phénomènes d’écho : il s’agit là de la répétition du geste de
l’examinateur (échopraxie), de sa mimique (échomimie) ou
de ses paroles (écholalie) ;
rigidité : c’est l’augmentation du tonus de base ;
verbigération : répétition sans but de mots ou de bribes de
phrases ;
retrait/refus alimentaire : c’est ce refus alimentaire et des
boissons qui peut constituer l’urgence vitale de la catatonie.
L’association de trois ou quatre de ces symptômes, selon que
l’on souhaite favoriser la sensibilité ou la spécificité, permet
d’établir le diagnostic avec une bonne fiabilité (Tableau 1).
La catatonie ainsi définie ne saurait être limitée à la schi-
zophrénie. Les troubles de l’humeur qu’ils soient dépressifs
mélancoliques ou maniaques pourraient même constituer le
cadre nosographique le plus fréquent des syndromes catatoni-
ques
[5]
. Les causes organiques constituent de 10 % à 65 % des
étiologies suivant les séries, en fonction des modalités de
recrutement des patients catatoniques (service de psychiatrie ou
de neurologie). Dans le cas des catatonies organiques, devant
l’inflation des causes possibles, trois cadres étiologiques peuvent
être retenus : les troubles neurologiques (épilepsie, tumeurs,
traumatismes, infections), les troubles métaboliques et les
troubles toxiques ou iatrogènes
[2]
. Il faut encore citer la
catatonie létale, forme clinique de la catatonie. Elle se caracté-
rise par une obnubilation de la conscience, une agitation
psychomotrice intense, diurne et nocturne, une insomnie totale
Tableau 1.
Signification des symptômes catatoniques
[4]
.
Symptôme Sensibilité Spécificité Pouvoir prédictif positif Pouvoir prédictif négatif
Immobilité/stupeur 0,91 0,84 0,55 0,98
Mutisme 0,84 0,95 0,77 0,97
Négativisme 0,69 0,97 0,81 0,94
Oppositionisme 0,43 1,00 1,00 0,89
Maintien postural 0,16 0,99 0,83 0,85
Catalepsie 0,31 1,00 1,00 0,87
Obéissance automatique 0,21 0,97 0,64 0,86
Phénomènes d’écho 0,47 0,98 0,83 0,90
Rigidité 0,75 0,96 0,80 0,95
Verbigération 0,19 0,98 0,67 0,85
Retrait/refus alimentaire 0,47 0,97 0,79 0,90
Tableau 2.
Nombre de symptômes catatoniques et aptitude au diagnostic de
catatonie
[4]
.
Nombre de
symptômes
Sensibilité Spécificité
1 1,00 0,75
2 1,00 0,88
3 1,00 0,99
4 0,87 1,00
5 0,56 1,00
6 0,44 1,00
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Sémiologie des troubles psychomoteurs
2Psychiatrie
et des perturbations somatiques (tachycardie, tachypnée, labilité
de la pression sanguine artérielle, sueurs profuses). L’élévation
de la température corporelle précède un état d’épuisement
stuporeux avec rigidité musculaire. La mortalité avoisine
toujours les 16 %.
Catatonie et syndrome malin
La proximité clinique avec le syndrome malin des neurolepti-
ques fait discuter une communauté pathophysiologique de ces
deux troubles
[6]
. En effet, le diagnostic de syndrome malin des
neuroleptiques repose sur une association symptomatique
s’organisant globalement autour de cinq catégories : la fièvre, la
rigidité extrapyramidale, les manifestations catatoniques, les
perturbations végétatives (instabilité pression sanguine artérielle,
polypnée, sueurs) et les troubles de la conscience. Il existe
toujours des discussions vives concernant le nombre de symptô-
mes nécessaires au diagnostic, sachant qu’il n’y a aucune mani-
festation pathognomonique du syndrome malin des
neuroleptiques
[7]
. Un seul signe n’est jamais suffisant alors même
que deux peuvent parfois l’être. Quant aux désordres biologiques
(augmentation des créatines phosphokinases [CPK] et hyperleu-
cocytose) s’ils sont évocateurs, ils ne sont pas indispensables au
diagnostic. Cette difficulté à établir un diagnostic clinique au
contour variable tend à favoriser l’usage d’échelles de symptômes.
La plus récente (Neuroleptic Malignant Syndrome Rating Scale
[8]
,
Tableau 3) affecte les symptômes suivants d’un poids en
fonction de leur intensité : température, manifestations
extrapyramidales (rigidité, dysphagie, tremblement), signes
végétatifs (élévation pression artérielle systolique, élévation
pression sanguine artérielle diastolique, tachycardie, sueurs,
incontinence fécale ou urinaire, tachypnée), troubles de la
conscience, catatonie (maintien de la posture, pauvreté du
discours, mutisme, mouvements choréiformes, dystonie) et
anomalies biologiques (élévation CPK, hyperleucocytose).
D’après Sachdev
[8]
, un score entre 0 et 4 exclut le diagnostic de
syndrome malin des neuroleptiques, alors qu’il s’agit d’un
diagnostic probable si les scores sont entre 4 et 8, et qu’au-delà
de 8 le diagnostic doit être retenu. Dans cette série, le score
moyen des patients porteurs de syndrome malin est de 13,3. Il
est donc tout à fait nécessaire devant un tableau catatonique
survenant dans un contexte de prise de neuroleptiques d’évo-
quer le diagnostic de syndrome malin des neuroleptiques et de
le retenir par excès plutôt que par défaut. En effet, l’arrêt
immédiat des neuroleptiques, la prévention des complications
de décubitus, la réanimation symptomatique et la prescription
de traitements plus spécifiques (dantrolène) sont des mesures de
nature à prévenir une issue fatale. La responsabilité du prescrip-
teur impose à cet égard une vigilance toute particulière.
Cataplexie
Cataplexie et « drop-attacks »
La cataplexie désigne une perte soudaine du tonus muscu-
laire, pouvant affecter l’ensemble de la musculature striée ou
seulement certains groupes (muscles du cou ou des membres
inférieurs). Il en résulte fréquemment une chute qui peut être
vulnérante (drop-attack). Le début est brutal, sans prodrome.
L’émotion est un facteur déclenchant fréquent (colère, surprise)
et le rire est le déclencheur le plus souvent retrouvé
[9]
. Pendant
l’attaque, la conscience demeure intacte et le patient continue
de pouvoir bouger les yeux intentionnellement. Ce dernier peut
donc rapporter après la crise le vécu de celle-ci et l’impact
éventuel sur les témoins. La durée varie de quelques secondes à
quelques minutes.
Narcolepsie
L’association de la cataplexie à des épisodes irrépressibles de
sommeil diurne ainsi qu’à d’autres troubles du sommeil para-
doxal définit la narcolepsie (syndrome de Gélineau). Les
épisodes de sommeil diurne y sont surprenants en tant qu’ils
peuvent apparaître en pleine période d’activité, alors que le
sujet parle, mange ou se déplace. Ils durent environ une demi-
heure et peuvent prendre fin par un stimulus externe (bruit).
Les troubles du sommeil paradoxal comportent des hallucina-
tions hypnagogiques (endormissement) ou moins fréquemment
hypnopompiques (réveil). Celles-ci peuvent être polysensorielles
et déclencher des réactions de peur intense. Il existe également
des paralysies de sommeil qui correspondent à une impossibilité
de bouger lors des phases d’endormissement ou du réveil alors
même que le sujet est mentalement réveillé. Ces manifestations
sont dues à une contamination des phases de réveil par des
phases de sommeil paradoxal, caractérisées par des phénomènes
d’atonie musculaire et de rêve. C’est également la survenue
diurne brutale de ces manifestations de sommeil paradoxal qui
est à l’origine de la cataplexie
[10, 11]
.
Hyperkinésies
Agitation
L’agitation psychomotrice est souvent comprise comme un
état de tension et d’hyperactivité physique et psychique.
Suivant les auteurs, l’accent est mis sur la dimension compor-
tementale du trouble ou sur la disposition affective et émotion-
nelle à l’origine du comportement
[12]
.
Le sujet agité ne tient pas en place, la situation d’examen lui
est difficile du fait de cette impatience. Les gestes sont volon-
tiers répétitifs, voire stéréotypés (tapotement des doigts sur le
bureau, ou du pied sur le sol), sans utilité ni but apparent. Les
mains saisissent ce qui se présente à elles, en un vain compor-
tement d’exploration (cheveux, habits, objets...). La tension
psychique est perceptible dans les propos qui traduisent souvent
inconfort et impatience. Les cris de détresse ou les vociférations
ne sont pas rares. Une irritabilité initiale peut se transformer en
une véritable hostilité avec attitudes belliqueuses ou comporte-
ments de fuite. Dans ce contexte, hétéro- et autoagressivité sont
des issues à redouter. Le contenu émotionnel est très souvent
empreint d’angoisse, de désespoir, de peur ou de terreur. Parfois,
le patient est d’humeur badine, joueuse et multiplie les pitreries.
Mais gare à qui s’oppose : cette euphorie maniaque ou cette
exaltation extatique peut rapidement se retourner en une
humeur massacrante, voire en une véritable fureur maniaque
assortie d’une crise clastique.
Si l’agitation comprend généralement un volet comporte-
mental immédiatement perceptible, certaines situations clini-
ques peuvent témoigner d’« agitation intérieure » isolée. Ainsi,
l’anxiété, vécue comme hyperactivité douloureuse de la pensée
ne s’accompagne pas forcément d’une agitation physique
(sidération anxieuse). De même, certains états maniaques
peuvent s’accompagner d’une sidération comportementale avec
fuite idéique (stupeur maniaque). Les états d’agitation motrice
sans excitation de la pensée sont à l’inverse des curiosités
cliniques dont l’existence douteuse doit faire suspecter une
origine organique (crises comitiales partielles complexes).
L’agitation est à distinguer de l’hyperactivité où la motricité est
orientée vers un but. Elle est également à différencier de l’akathi-
sie qui correspond à une difficulté à rester assis et peut se traduire
par une nécessité compulsive de se déplacer et par un mouve-
ment incessant des jambes. Il est en effet souvent problématique
de différencier un état d’agitation directement lié à la maladie
d’une akathisie induite par les neuroleptiques. Agitation et
akathisie comportent toutes deux une dimension subjective et
une composante comportementale. Ces deux troubles se tradui-
sent par un sentiment d’impatience motrice. Néanmoins, cette
sensation prédomine dans les membres inférieurs et tend à
s’aggraver à la marche dans l’akathisie iatrogène. À l’inverse, les
impatiences motrices anxieuses prédominent dans les membres
supérieurs, les mains et sont maximales au repos
[13, 14]
.
Les étiologies de l’agitation sont innombrables, preuve sans
doute que celle-ci est une réaction très archaïque dont la
persistance laisse supposer quelques vertus adaptatives. Il ne
nous appartient pas dans ce chapitre de sémiologie d’en donner
le catalogue. Rappelons cependant qu’aux urgences
[15]
, l’agita-
tion est sous-tendue dans 59 % des cas par une intoxication
éthylique et dans 3,5 % des cas par une cause organique
(hypoglycémie, accident vasculaire cérébral, infarctus du
Sémiologie des troubles psychomoteurs
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3Psychiatrie
myocarde, insuffisance respiratoire aiguë, hypoxie, hypercapnie,
épilepsie, hémorragie méningée, tumeur cérébrale...). L’examen
de l’agité ne doit donc pas se limiter à un interrogatoire orienté
vers les troubles psychiatriques, mais doit être complété par un
examen somatique pour asseoir le diagnostic étiologique.
Les examens complémentaires (scanner cérébral, électro-
encéphalogramme) doivent être réalisés au moindre doute.
Impulsions
La notion d’impulsivité recouvre une grande variété de
comportements qui sont peu élaborés psychiquement - c’est-à-
dire échappant largement à toute planification - prématurément
exprimés, souvent risqués, généralement peu adéquats à la
situation et riches de conséquences indésirables. L’impulsion
Tableau 3.
Échelle d’évaluation du syndrome malin des neuroleptiques d’après Sachdev
[8]
.
Item Score Sous-total
Température orale 0123456
Symptômes extrapyramidaux
Rigidité 0123
Dysphagie 0 1
Tremblement de repos 0 1 2
Symptômes dysautonomiques
TA systolique 0 1
TA diastolique 0 1
Tachycardie 0 1
Sueurs 0 1
Incontinence 0 1
Tachypnée 0 1
Troubles de la conscience 0123456
Catatonie
Maintien postural 0 1
Pauvreté du langage 0 1
Mutisme 0 1 2
Mouvements choréiques 0 1
Dystonies 0 1
Biologie
CPK 01234
Leucocytes 0 1 2
Score total /36
Règles de cotation de l’échelle d’évaluation des syndromes malins des neuroleptiques de Sachdev
L’échelle est construite pour être utilisée devant une suspicion de syndrome malin des neuroleptiques. Les items sont évalués sur les 24 heures écoulées.
Il n’existe pas de version validée de cette échelle en langue française.
1 °) Température orale : coter (0) si une cause évidente d’hyperthermie existe (par exemple syndrome infectieux). Pour une évaluation de la température orale,
rajouter 0,2 °C à la température axillaire et soustraire 0,5 °C à la température rectale : (0) T °<37, (1) 37< T °<37,4, (2) 37,5< T °<37,9, (3) 38< T °<38,9, (4)
39< T °<39,9, (5) 40< T °<41,9, (6) T °>42.
2 °) Symptômes extrapyramidaux :
Rigidité : (0) absent, (1) léger, (2) net mais sans limitation des mouvements passifs, (3) sévère avec limitation des mouvements passifs.
Dysphagie : (0) absente, (1) rapportée par le patient ou observée directement.
Tremblement de repos : (0) pas de tremblement, (1) tremblements intermittents ou unilatéraux, (2) tremblements importants bilatéraux.
3 °) Instabilité végétative :
Pression sanguine systolique : coter (1) en cas d’élévation de 30 mm au-dessus de la ligne de base et en l’absence de celle-ci si la TAS>150 mm.
Pression sanguine diastolique : coter (1) en cas d’élévation de 20 mm au-dessus de la ligne de base et en l’absence de celle-ci si la TAD>100 mm.
Tachycardie : coter (1) si élévation de la fréquence cardiaque supérieure à 30/min (ou fréquence cardiaque supérieure à 100/min en l’absence de ligne
de base).
Sueurs : coter (1) si sueurs profuses non expliquées par la température ambiante ou par l’administration d’antipyrétiques.
Incontinence : fécale ou urinaire, indépendamment de l’incontinence en rapport avec la catatonie ou des troubles de la conscience.
Tachypnée : coter (1) si élévation de la fréquence respiratoire supérieure à 20/min (ou fréquence respiratoire supérieure à 40/min en l’absence de ligne
de base).
4 °) Troubles de la conscience : (0) pas d’altération, (1) perplexité mais bonne orientation, (2) légère désorientation dans le temps ou l’espace, (3) niveau
de conscience fluctuant dans la journée, (4) état confuso-délirant, (5) état stuporeux avec réponse nociceptive, (6) coma aréactif.
5 °) Catatonie : certains items peuvent faire partie intégrante des troubles psychotiques du patient. Coter (0) si les symptômes préexistaient à la prise
de neuroleptiques. Pour le mutisme, coter (1) s’il est intermittent et (2) s’il est continu.
6 °) Investigations biologiques :
Taux de CPK : (0) <200, (1) 200< CPK<400 mais coter (0) en cas d’injection intramusculaire dans les précédentes 24 heures, (2) 400< CPK<1000 mais coter
1 en cas d’injection IM dans les précédentes 24 heures, (3) 1 000< CPK<10 000, (4) CPK>10 000.
Leucocytose : (0) leucocytes<15 000, (1) 15 000< leucocytes<30 000, (2) leucocytes>30 000.
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Sémiologie des troubles psychomoteurs
4Psychiatrie
désigne le comportement lui-même et l’impulsivité la suscepti-
bilité individuelle de leur surgissement. L’impulsivité est un
symptôme peu localisateur puisqu’il traverse la nosographie
psychiatrique
[16]
: les troubles du contrôle pulsionnel (jeu
pathologique, trouble explosif intermittent, pyromanie, klepto-
manie, trichotillomanie), certains troubles de la personnalité
(borderline, antisociale, histrionique, narcissique), les troubles
bipolaires particulièrement en phase maniaque et mixte, les
troubles des conduites alimentaires, l’hyperactivité avec déficit
attentionnel, l’abus de substance ou certains troubles neurolo-
giques à l’origine d’une désinhibition.
La recherche de sensations fortes, les prises de risque et les
conduites addictives sont des manifestations fréquentes de cette
impulsivité.
Il semblerait que l’impulsivité ne soit pas un ensemble
symptomatique homogène mais qu’elle s’organise autour de
deux pôles, mis en évidence par plusieurs analyses factorielles
des échelles d’impulsivité
[17]
. Il est ainsi possible d’isoler d’un
côté des traits impulsifs liés à une hypersensibilité à la récom-
pense et qui s’associerait préférentiellement à la recherche de
sensation et à la prise de toxique. D’un autre côté, existerait une
tendance à l’engagement spontané de comportement sans
considération pour leurs conséquences. Ces deux ensembles
symptomatiques pourraient être sous-tendus par des mécanis-
mes neurobiologiques différents : d’un côté des systèmes à
médiation dopaminergique des zones mésolimbiques et du
noyau accumbens impliqués dans la recherche de récompense,
de l’autre une altération de certains circuits inhibiteurs
orbitofrontaux.
Il faut différencier une impulsivité-trait, présente de façon
permanente pour un individu (par exemple personnalité limite),
d’une impulsivité-état, variable, contemporaine par exemple
d’un état dépressif, maniaque ou d’une intoxication éthylique.
Parakinésies et dyskinésies
Maniérisme
Reboul-Lachaux définissait dans sa thèse le maniérisme
comme les manifestations motrices traduisant l’affectation (cité
par Tatossian
[18]
,Phénoménologie des psychoses, page 30). Être
maniéré, c’est avant tout paraître ce que l’on n’est pas. Cette
affectation peut être décidée par le sujet qui veut paraître tel
qu’il n’est pas (maniérisme « normal ») ou subie par celui-ci
(maniérisme pathologique ou schizophrénique). Binswanger fait
du maniérisme plus qu’un symptôme, une forme d’existence. Il
considère l’existence maniérée comme l’une des trois formes de
la présence manquée du schizophrène aux côtés de la présomp-
tion et de la distorsion
[19]
. Comme le souligne Tatossian
[18]
,
pour comprendre le geste maniéré mieux vaut se référer au
synonyme français « guinder » ou « se guinder ». Guinder, c’est
hisser sa voile au prix d’un effort d’élévation qui porte aussi sur
soi (se guinder) et à l’aide d’un instrument (le guindeau). C’est
cette action d’élévation de soi, artificielle et instrumentale, qui
caractérise l’existence maniérée du schizophrène. Il ne s’agit pas
ici de faire bonne impression mais bien de trouver le sol d’un
impossible déploiement de soi chez autre que soi (en emprun-
tant par exemple le masque de la distinction sociale ou plus
généralement la forme d’existence inauthentique de l’Être-On
Heideggerrien).
Tics
Les tics sont définis comme une production verbale ou
motrice involontaire, stéréotypée, d’apparition soudaine et qui
implique un nombre restreint de muscles. Les tics peuvent
s’envisager avec quelque utilité comme des fragments normaux
d’activité motrice ou verbale mais surgissant hors de propos et
dénués d’une finalité qui pourrait leur donner sens. C’est cette
singularité qui confère au tic son caractère éminemment
imitable, ce que repèrent très vite les enfants.
Il est d’usage de caractériser les tics moteurs par leur situation
anatomique, leur fréquence, leur intensité et leur complexité
(clignement d’yeux ou geste obscène élaboré). De façon simi-
laire, les tics verbaux sont identifiés par leur fréquence, leur
volume, leur durée et leur complexité (bruits, syllabes, mots,
phrases). La répétition immédiate de mots ou de phrases
complètes est classique chez certains patients : que ces propos
émanent d’eux-mêmes (palilalie) ou d’un tiers (écholalie). Les
raclements de gorges, grognements, aboiements et reniflements
sont généralement considérés comme des tics phoniques. Les
tics vocaux complexes s’accompagnent très systématiquement
de phénomènes phoniques ou moteurs plus élémentaires
[20]
.
Les tics doivent être différenciés de mouvements anormaux, tels
que les mouvements athétosiques, choréiformes, les tremble-
ments cérébelleux, les myoclonies, les spasmes.
Les patients les plus sévèrement atteints peuvent associer
simultanément tics phoniques et moteurs ou produire des
séquences stéréotypées de tics différents. Les manifestations les
plus invalidantes peuvent comporter des actes d’automutilations
(coups, morsures), des paroles ordurières (coprolalie), insultantes
ou des gestes obscènes.
Si les tics correspondent à des mouvements involontaires,
leur apparition peut être réprimée au prix d’un effort de
concentration forcément transitoire. Cet effort, générateur de
tension psychique, se solde généralement par une augmentation
des tics après la période de répression. La mobilisation des
ressources attentionnelles sur une tâche complexe, diminue
également les tics. Ils disparaissent généralement pendant le
sommeil.
Le caractère suggestible des tics est également un trait
sémiologique. Ainsi, il n’est pas rare d’observer une augmenta-
tion des tics lorsque l’on invite la personne à les décrire.
Certaines situations sensorielles, très variables d’un individu à
l’autre mais stéréotypées pour une personne, sont susceptibles
d’activer le tic (toux, mot, forme visuelle...). L’état émotionnel
module également la survenue des tics. Ainsi, l’anxiété et la
peur sont des facteurs aggravants.
Les patients rapportent également des phénomènes sensoriels
qui précèdent le surgissement du tic. Il peut s’agir d’un senti-
ment d’urgence à faire tel ou tel geste et qui précède sa
réalisation. Le sujet peut tenter de réprimer ce sentiment. Cette
lutte s’avère plus épuisante que le tic lui-même. Ce dernier trait
n’est pas sans rappeler la disposition subjective de certains
patients atteints de troubles obsessionnels à l’égard de leurs
compulsions. Cette proximité sémiologique et la comorbidité
fréquente de ces deux troubles laissent supposer une certaine
communauté pathogénique
[21-23]
.
Les tics moteurs commencent généralement entre 3 et 8 ans
par des mouvements faciaux. Les tics phoniques apparaissent la
plupart du temps plusieurs années après. Néanmoins, les formes
les plus sévères s’installent souvent à l’âge adulte.
Chez les enfants, la survenue de tics faciaux simples transi-
toires (de quelques semaines à quelques mois) est fréquente. Ils
sont souvent contemporains de périodes de tension, mais ils
évoluent aussi en fonction du contexte psychologique et
familial, selon l’intolérance ou l’inquiétude parentale. Plus
rarement, lorsqu’ils ont tendance à s’enrichir ou à se fixer, ils
peuvent faire redouter la survenue d’une maladie de Gilles de
la Tourette.
La maladie de Gilles de la Tourette associe tics vocaux et
moteurs
[24]
. L’âge moyen d’apparition se situe vers 7 à 8 ans, il
s’agit souvent au début d’un tic facial isolé, puis d’autres tics
moteurs et des tics vocaux (souvent raclements de gorge)
apparaissent. C’est la « maladie des tics » parfois spectaculaire
mais cependant d’intensité et d’évolution variable. Il y a
environ trois garçons atteints pour une fille. La coprolalie est
l’élément le plus connu de cette maladie et le plus caractéristi-
que. Elle n’est cependant pas systématique (4 % à 60 % selon
les études et selon les cultures). Une association avec le trouble
déficit attentionnel-hyperactivité est souvent notée. De 30 à
40 % des sujets atteints de ce syndrome présentent aussi un
trouble obsessionnel compulsif.
Ce syndrome répond vraisemblablement à une étiologie
complexe : prédisposition génétique, substratum neurobiologi-
que avec l’altération possible des ganglions de la base et du
corps calleux, rôle des systèmes dopaminergiques, intrication à
Sémiologie des troubles psychomoteurs
37-117-A-10
5Psychiatrie
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