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1. CITATIONS, EXTRAITS
« … la vie moderne commence avec l’esclavage (…). Du point de vue d’une femme, affrontant
les problèmes du positionnement actuel du monde, les femmes noires ont été confrontées à des problèmes
postmodernes dès le XIXe siècle et même auparavant. Ces questions ont été abordées par les Noirs il y a
bien longtemps : certains genres de dissolution, la perte de certains types de stabilité et le besoin de
reconstruire. Certains genres de folie, de folie volontaire pour, comme le dit l’un des personnages du
livres « que tu ne perdes pas la tête ». Ces stratégies de survie ont constitué l’individu vraiment moderne.
Ils représentent une réponse aux phénomènes prédateurs de l’Occident. Vous pouvez appeler ça de
l’idéologie ou de l’économie c’est en fait une pathologie. L’esclavage a coupé le monde en deux, il l’a
brisé sur tous les plans. Il a cassé l’Europe. Il a transformé les Européens, il en a fait des maîtres
d’esclaves, il les a rendus fous. Vous ne pouvez pas faire ça pendant des centaines d’années sans que rien
ne se passe. Ils ont dû se déshumaniser, et je ne parle pas seulement des esclaves eux-mêmes. Ils ont dû
tout reconstruire pour que ce système ait l’air vrai. C’est ce qui a rendu possible tout ce qui s’est passé
pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est ce qui a rendu la Première Guerre mondiale nécessaire. Le
racisme est le mot que nous employons pour recouvrir toutes ces expériences »,
Toni Morrison, Beloved, cité par Gilroy P., L’Atlantique noir. Modernité et double conscience
(l’esclavage et ses conséquences), Paris, Kargo, p, 289.
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« … il n’y a pas de « question de l’immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite
là où il a grandi ? Qui travaille là où il habite ? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont-ils, les
enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c’est que nous avons été arrachés en
masse à tout appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu’il résulte de cela, en même
temps qu’une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance. Notre histoire est celle des
colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est
l’histoire de tout ce qui fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille.
Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos
chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat ».
Comité invisible, L’insurrection qui vient, Paris, éd. La Fabrique, 2007, p 19-20 (le salariat globalisé).
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L’exilé.e un.e a-topos (hors-lieu)
“Avec Abdelmalek SAYAD (sociologue algérien), le sociologue se fait écrivain public. Il donne
la parole à ceux qui en sont le plus cruellement dépossédés, les aidant parfois, autant par ses silences que
par ses questions, à trouver leurs mots, à retrouver, pour dire une expérience qui la contredit en tout, les
dires et les dictons de la sagesse ancestrale, les “mots de la tribu” qui décrivent leur exil, alghorba,
comme un occident, une chute dans les ténèbres, un désastre obscur.
(…)
Les principes de l’épistémologie et les préceptes de la méthode sont de peu de secours, en ce cas
(pour témoigner de ce que nous avons vu et entendu), s’ils ne peuvent s’appuyer sur des dispositions plus
profondes, liées, pour une part, à une expérience et à une trajectoire sociale. (…) Dans un article paru
dans Actes de la recherche dès 1975, c’est-à-dire bien avant l’entrée de “l’immigration” dans le débat
public, Abdelmalek Sayad déchire le voile d’illusion qui dissimulait la condition des “immigrés”, et
révoque le mythe rassurant du travailleur importé qui, une fois nanti d’un pécule, repartirait au pays pour
laisser place à un autre. Mais surtout, en regardant de près les détails les plus infimes et les plus intimes
de la condition des “immigrés”, en nous introduisant par exemple au plus secret des souffrances liées à la
séparation à travers une description des moyens qu’ils emploient pour communiquer avec le pays, ou en
nous menant au cours de la contradiction constitutive d’une vie impossible et inévitable au travers une
évocation des mensonges innocents par qui se reproduisent les illusions à propos de la terre d’exil, il
dessine à petites touches un portrait saisissant de ces “personnes déplacées”, dépourvues de place
appropriée dans l’espace social et de lieu assigné dans les classements sociaux. Comme Socrate,
l’immigré est atopos sans lieu, déplacé, inclassable. Rapprochement qui n’est pas là seulement pour
ennoblir, par la vertu de la référence. Ni citoyen ni étranger, ni vraiment du côté du Même, ni totalement
du côté de l’Autre, “l’immigré” se situe en ce lieu “bâtard” dont parle aussi Platon, la frontière de l’être et
du non-être social. Déplacé au sens d’incongru et d’importun, il suscite l’embarras; et la difficulté que
l’on éprouve à le penser – jusque dans la science, qui reprend souvent, sans le savoir, les présupposés ou