
La Newsletter de l'AFFEP : Mars 2017
SPLIT, M. Night Shyamalan, 2017
« split » : « divisé », « scindé en deux » en français,
est probablement le qualificatif le plus fréquemment
attribué par le grand public à une personne souffrant
de schizophrénie. Le cinéma a largement contribué à
entretenir la confusion entre cette maladie et une
division de la personnalité, en nommant
schizophrénie (dans les films ou dans les
commentaires faits des films dans la presse) des
personnages mémorables au double souvent
maléfique (Fight Club, Psycho, Sybil ou encore la
récente série Mr Robot).
Le dernier film du toujours très styliste réalisateur
américain M. Night Shyamalan (6ème sens, Le village,
Incassable…) explore à la croisée de plusieurs genres
la question du trouble de personnalités multiples (Dissociative Identity Disorder), qui reste encore bien
controversé dans la communauté psychiatrique et dont on dit souvent avec humour que seulement 3 ou
4 psychiatres américains l’ont vu. Cette entité nosographique encore présente dans les classifications est
fascinante par bien des aspects, à la fois car l’idée de voir plusieurs personnalités cohabiter dans un
même corps a un côté fantastique non négligeable, et car il s’agit finalement d’une « maladie » (?) plus
fréquemment côtoyée face à un écran de cinéma que dans un cabinet de psychiatre. La composante
« culturelle » du trouble est d’ailleurs prise en compte dans les classifications qui en revendiquent
l’existence. Dans la 10ème révision de la classification internationale des maladies de l’OMS ce trouble est
désigné comme « trouble de personnalités multiples » dans la catégorie des troubles dissociatifs. Le DSM
5 définit le trouble dissociatif de l’identité comme « la présence de deux ou plusieurs identités ou « états
de personnalité » distincts qui prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet,
s'accompagnant d'une incapacité à évoquer des souvenirs personnels ». Le DID est le trouble
psychiatrique par excellence du 7ème Art. Plus attrayant dramatiquement que la schizophrénie, il permet
des twists narratifs qui s’accommodent de tous les genres, que ce soient la comédie (Fou d’Irène, The
Mask), le thriller (Psycho), la science-fiction (K-Pax) …
Comme à son habitude, Shyamalan flirte avec plusieurs genres cinématographiques. Jouant des codes du
thriller et du film d’horreur (avec une course-poursuite en sous-sol mémorable et quelques plans
séquences dont il a le secret), il nous embarque dans le calvaire de trois jeunes filles prises en otage à la
première séquence par un inquiétant personnage, dont le corps sans âge et sans particularité habite 23
personnalités distinctes (offrant à James McAvoy un rôle de composition en or). L’essentiel de l’action se
déroule sur deux unités de lieu : le sous-sol où sont séquestrées les 3 victimes et le cabinet de la
psychiatre (Dr Fletcher, en hommage à l’intuitive psychiatre du faux documentaire de Woody Allen,
« Zelig », où le personnage changeait d’identité en fonction de ses affects et des situations).
Sans en dévoiler le dénouement car il serait dommage de gâcher un suspense finement ciselé, on peut
dire de Split qu’il a l’immense qualité de ne pas prétendre parler de schizophrénie. Il met en avant les
controverses réelles autour du trouble de personnalités multiples, et montre de manière assumée que ce
trouble psychiatrique très hollywoodien est du pain béni pour les réalisateurs plutôt qu’une réalité des
patients. On retiendra la scène finale de Split, extraordinaire pied de nez à ce Hollywood et ses
spectateurs qui veulent du spectaculaire à l’écran plutôt que des troubles mentaux dans leur réalité. C’est
brillant, tant dans la réalisation toujours impeccable de Shyamalan que dans le message délivré. On lui
reprochera par contre comme à beaucoup d’autres productions une nouvelle association entre violence
et folie, mais dans une réalité transcendée qui pousse tellement le stéréotype (jusqu’au registre
fantastique) qu’elle commence à le déconstruire. On notera quand même que l’histoire écrite par
Shyamalan est inspirée de celle de Billy Milligan, qui fut le premier Américain acquitté dans les années 70
pour avoir été déclaré non responsable de ses actes…
Sophie CERVELLO, interne en psychiatrie à Saint-Etienne