Jeux de mots sur écologie et économie:
opposées, complémentaires ou successives ?
Il nest pas rare de voircertainsauteurs ouorateurs rechercherce qu’économie etécologie ont
en commun, ce qui lesoppose, etconclure, généralement,qu’ellesne sontpasincompatibles.
Ce débatna dintérêt que pour autant qu’on sache de quoi on parle.De léconomie au sens
moderne du terme oude son avataroccidental qu’est “léconomie de marché, cest-à-dire l’une
desformesdorganisation de la société lesplus théoriséesparla science économique?De la
science écologie, oude lidéologie quis’y rattache etdemande que laction politiquesoit
respectueuse desconnaissancesapportéesparla toute jeune science desmilieux etdesinter-
relationsentretous lesêtres vivants ?
Prenonsle tempsd’un détour danslétymologie de cesdeux mots(1) .
L
oïkos
, en grec classique, cest (I)la maison, lhabitation en général, maisaussi(II)le train de
maison dansle sensdesbiens, de la proprté, de lavoirouencore de la famille (cellule fami-
liale). Un descontrairesde l
oïkos
est la
polis
, lespace de la cité.
Le
logos
en grec classique, cest (I)la parole, le récit, le discours, en particulierle discours
savant. Puisle sensde ce mot va évoluerpour signer, dèslépoque de Platon, (II)la raison,
le bon sens, puisle discours réglé, le raisonnement,source de la pensée.
Le
nomos
, cest (I)l’usage, la coutume, etpar suite(II)la règle de juste conduite, l’usage oula
coutume ayantforce de loi, la loi, la convention, la tradition, lordre.
Létymologie noppose donc nullementle discours sur la maison, lécologie, etlart dadminis-
trer son domaine qu’est, pour Xénophon (auteur de
Léconomique
),léconomie”. L’un des sens
dumotéconomie noté par un dictionnaire françaisest dailleurs, en matre de morale, «
activité
dujugementde prudence (au sensde la vertu) qui consiste à administrerconvenablementles
biensd’une maison soitpour lesépargner soitpour lesdépenser
».
À la lumière de cette approche, notre économie moderne ne pourrait-elle pasêtre comprise
comme lart de gérernotre maison (àtoutesleséchelles, de la maison à lécosphère), en
fonction de ce que la raison nous ditde cette maison, etde la place que doitoccuperlêtre
humain comme personne dans son environnement?
La réflexion en matre déconomie de lenvironnementnest-elle paspiégée parle sensmoderne,
etle plus courant, dumotéconomie, qui ne signifie plus que laccumulation préventive, ou que
lépargne précautionneuse, autresensnoté parle même dictionnaire.Sanscompter, bien sûr, les
fréquentesconfusionsentre économie et sciencesfinancières.
Rev. For. Fr. LVII - 1-200595
LIBRE EXPRESSION
(1)Leslecteurs nayantpasplus de notionsde grec classiqueque lauteur de cetarticle pourront sereporter utilementàl
Encyclo-
paedia universalis
, notammentaux articles«
Grèce antique – Une civilisation de la parole politique
», «
logos
» et«
physis
», ouà
labrégé dudictionnaire grec-français (Bailly, 1901).
Il est amusantde noteraupassage que, dansla philosophie grecque, en particulierchezles
sophistes, le
nomos
, la convention oula loi, s’oppose fortementà la
physis
, la nature, avant que
Platon ne tente de les réconcilierdans une volonté dhumaniserla nature parla loi.Quelle
modernité dansnosdébats actuels!
Osons, nous aussi, à linstardesphilosophesgrecsclassiques, affirmer qu’écologie etéconomie
ne sontprobablementpasirréconciliableslorsqu’elles s’intéressentbien à la même maison, celle
de lHomme, et que la première fournitlesinformationsetle raisonnement scientifique pour
éclairerla seconde qui doitdonc luisuccéder. Cest en ce senschronologiqueque nous pensons
qu’ellesne sontpasopposéesmaisdoiventêtresuccessivespour que la raison (
logos
)éclaire
l’usage (
nomos
)lors dupassage dudiscours (
logos
)à lacte.
Nous nous garderonsbien ici de nous intéresserà la capacité de lécologie etde léconomie à
se combattre lorsque l’une s’en tientà la stricte mesure de ce qui peut être exprimé en termes
monétaires, et que lautre déborde largementle champ de la science pour investirle débatpoli-
tique.Il yauraitlà matre à bien plus qu’un article.
Nous termineronsplutôtcette note linguistique en proposant unvocable réconciliant,qui na, à
notre connaissance, pasencore étéutilisé:celui décosophie, qui pourraitsignerle savoir sur,
la science de la maison.Le motgrec
sophia
signe en effet (I)lhabileté manuelle, (II)le savoir,
la science(2) et (III)la sagesse pratique. Cevocable quirenvoie à lartisanat, à son habileté
manuelle etàsasagesse, plutôt qu’à la techniquequi prétend s’imposeraunom dudiscours,
du raisonnementetde la science, nous partporteur d’une sagesse, d’une modération, d’un
senspratiquequi manquent souventdanslesdébats et, parfoismême danslesdécisions,
concernantlesmilieux naturels.
96 Rev. For. Fr. LVII - 1-2005
B RUNO C INOTTI
BIBLIOGRAPHIE
BAILLY (M.A.). Abrégé dudictionnaire grec-français. — Paris: Hachette, 1901.— 1012p.
Bruno CINOTTI
DIRECTION RÉGIONALE ET DÉPARTEMENTALE
DE LAGRICULTURE ET DE LA FORÊT
ALSACE BAS-RHIN
BP 1003/F
F-67070 STRASBOURG CEDEX
(bruno.cinotti@agriculture.gouv.fr)
(2) Contrairementà ce qu’on peut lire assezfréquemment, cest plutôtle mot«
sophia
»quisignifie la science (avec conscience
puisque avec sagesse)etnon le mot
logos
.Précisons que le français«science » vientdulatin «
scientia
»(du verbe
scio
,
scis
,
scire
:
savoir) tandis que le motgrec «
epistémè
» a donné épistémologie (de
épistémè
=science etde
logos
= discours). En revanche,
«
sophia
»(la sagesse)est àrelieraulatin «
sapere
»=avoirdugoût, de la saveur, de la pénétration, du savoir. Dansle suffixe
«sophie », il ya donc une idée dexrience vitale, de conduite existentielle qui apporteun goût à lexistence etnon unsavoir
livresque etpurement rationnel.
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