Vincent Koen, Laurence Boone, Alain de Serres et Nicola Fuchs

Économie internationale 88 (2001), p. 77-106.
L’
INSOUTENABLE LÉG
È
RETÉ DE L
EURO
Vincent Koen, Laurence Boone, Alain de Serres
et Nicola Fuchs-Schündeln1
Date de réception de l’article : 20 septembre 2001
Date d’acceptation pour publication : 31 juillet 2002
RÉSUMÉ.
Pendant les premières années de l’union monétaire, la faiblesse de l’euro a surpris
la plupart des observateurs. Les explications se sont multipliées allant de fondamentaux tels
que les différentiels de croissance anticipés aux facteurs psychologiques tels que les compor-
tements grégaires, mais aucune ne rend compte pleinement à elle seule de la trajectoire du
taux de change. Partant d’une approche éclectique, cet article propose une analyse empi-
rique montrant que les termes de l’échange et les comportements d’épargne/investissement
ont apparemment sous-tendu l’évolution du taux de change à moyen et plus long terme.
Même si des estimations de ce type doivent être interprétées avec précaution, elles confor-
tent le sentiment que l’euro a connu peu après son lancement une période de sous-évalua-
tion.
Classification JEL : E42, E44, E52, E58, E65, F31, F32, F47.
Mots-clefs : Euro ; taux de change ; Banque Centrale Européenne ;
interventions ; flux de capitaux.
ABSTRACT.
During the first years of monetary union, the euro’s weakness surprised most
observers. Explanations proliferated ranging from fundamentals such as differences in
growth prospects to psychological factors such as herd behaviour, but no single story fully
accounts for the observed exchange rate path. Based on an eclectic approach, this paper
offers an empirical analysis showing that terms-of-trade and saving/investment behaviour
seem to have driven the euro exchange rate over the medium and longer run. While such
econometric estimates ought to be interpreted with care, they support the view that shortly
after its launch the euro experienced a spell of undervaluation.
JEL Classification: E42, E44, E52, E58, E65, F31, F32, F47.
Keywords: Euro; Exchange Rates; Overshooting; European Central Bank;
Intervention; Capital Flows.
1. Auteur correspondant : Laurence B
OONE
, économiste à l’Organisation de Coopération et de Développement Écono-
miques (OCDE) ([email protected]).
Vincent K
OEN
et Alain de S
ERRES
, économistes à l’OCDE ; Nicola F
UCHS
-S
CHÜNDELN
, étudiante en PhD à l’Université de
Yale et stagiaire à l’OCDE durant l’été 2000.
L’ÉTONNANTE FAIBLESSE DE LEURO
À la veille de son lancement en janvier 1999, la plupart des analystes et des opérateurs de
marché anticipaient une appréciation de l’euro. On craignait même qu’un euro excessive-
ment fort n’accentue le ralentissement que traversait alors la zone euro. En réalité, la nou-
velle devise s’est dépréciée, de manière quasi ininterrompue, en 1999 et 2000, donnant un
coup de fouet aux exportations et contribuant à faire de l’année 2000 le meilleur cru pour la
croissance en une décennie (OCDE, 2001). Pendant un temps, la dépréciation fut saluée
comme un ajustement cyclique bienvenu, mais sa persistance en 2000 commença à alimenter
des inquiétudes quant aux perspectives d’inflation. Le sentiment s’installa progressivement
que le taux de change s’était déconnecté des fondamentaux, au point que, à l’automne
2000, les autorités monétaires intervinrent pour soutenir l’euro.
La présente étude explore la question d’un éventuel mésalignement de l’euro. Sa trajectoire
anticipée et effective sur le marché des changes est d’abord rappelée, et fait apparaître une
“déception” récurrente. Le cheminement concomitant des taux d’intérêt, reflétant les déci-
sions de politique monétaire et les anticipations du marché, est lui aussi brièvement résumé.
Dans ce contexte, l’efficacité des interventions sur le marché des changes est évaluée.
L’étude passe ensuite en revue les multiples explications avancées pour comprendre la fai-
blesse de l’euro et note qu’aucune d’entre elles n’apparaît pleinement convaincante à elle
seule. Certains travaux économétriques prenant en compte simultanément plusieurs facteurs
explicatifs potentiels rendent mieux compte de la trajectoire de l’euro, même si la plupart
conduisent à penser que l’euro est entré peu après sa naissance dans une phase de sous-éva-
luation. Ce constat est aussi celui auquel aboutit l’analyse économétrique d’inspiration éclec-
tique menée dans la dernière partie de cette étude, qui se concentre sur la période
1999-2000.
ÉVOLUTION ANTICIPÉE ET OBSERVÉE DU CHANGE
La faiblesse de l’euro en 1999 n’avait généralement pas été escomptée, même si ex post il
fut reconnu que l’euro avait peut-être démarré à un niveau relativement élevé. La poursuite
de la dépréciation en 2000 (
GRAPHIQUE
1) a surpris davantage encore. La prévision moyenne
fin 1999 était une appréciation sensible par rapport au dollar des États-Unis, de 4 % à un
horizon de 3 mois, de 11 % sur 12 mois et de 13 % à fin 2001 (selon les données de
Consensus Economics). Tout au long de 2000, on a continué de s’attendre à un rebond, mais
cette attente s’est systématiquement révélée trop optimiste (
GRAPHIQUE
2). En définitive, le
taux de change bilatéral de l’euro a terminé l’année à 0,93 $, c’est-à-dire environ 7 % au-
dessous du niveau de fin 1999 et quelque 21 % au-dessous du niveau de départ deux ans
auparavant, nonobstant un gain de 13 % par rapport au point bas de fin octobre 2000. La
dépréciation par rapport au yen a été elle aussi très marquée en 1999-2000, totalisant 19 %
malgré une remontée de 20 % de l’euro durant les deux derniers mois de 2000. Au cours de
78 Koen, Boone, de Serres et Fuchs-Schündeln / Économie internationale 88 (2001), p. 77-106.
la même période, l’euro a perdu 12 % vis-à-vis de la livre britannique, malgré un rebond fin
2000. En 2001, l’euro s’est stabilisé, fluctuant dans des marges relativement étroites autour
de 0,90 $, 109 yen et 0,62 livre en moyenne.
79
Koen, Boone, de Serres et Fuchs-Schündeln / Économie internationale 88 (2001), p. 77-106.
0,85
0,90
0,95
1,00
1,05
1,10
1,15
1,20
j/99
m/99
m/99
j/99
s/99
n/99
j/00
m/00
m/00
j/00
s/00
n/00
j/01
m/01
m/01
j/01
s/01
n/01
j/02
m/02
m/02
US$/O
£/O
¥/O
95
90
100
105
110
115
120
125
130
135
j/99
a/99
j/99
o/99
j/00
a/00
j/00
o/00
j/01
a/01
j/01
o/01
j/02
m/02
0,56
0,58
0,60
0,62
0,64
0,66
0,68
0,70
0,72
j/99
a/99
j/99
o/99
j/00
a/00
j/00
o/00
j/01
a/01
j/01
o/01
j/02
m/02
Note : Données mensuelles.
Source : Banque centrale européenne.
Graphique 1 - Principaux taux de change bilatéraux
Sur le plan multilatéral et en termes nominaux, l’euro s’est moins déprécié que par rapport
au seul dollar, mais son érosion durant ses deux premières années d’existence a néanmoins
atteint entre 13 et 17 %, selon les pays retenus pour la comparaison (la dépréciation étant
moins marquée par rapport à un ensemble plus large de partenaires commerciaux). Cela s’est
traduit par une dépréciation sensible, elle aussi, du taux de change effectif réel (
GRAPHIQUE
3).
80 Koen, Boone, de Serres et Fuchs-Schündeln / Économie internationale 88 (2001), p. 77-106.
1,25
1,20
1,15
1,10
1,05
1,00
0,95
0,90
0,85
0,80
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1
1,25
1,20
1,15
1,10
1,05
1,00
0,95
0,90
0,85
0,80
Réalisations contre anticipations
Taux de change
au comptant
fin de mois
Attendu 3 mois
plus tôt
Attendu 1 an plus tôt
1999 2000 2001
1,25
1,20
1,15
1,10
1,05
1,00
0,95
0,90
0,85
0,80
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1
1,25
1,20
1,15
1,10
1,05
1,00
0,95
0,90
0,85
0,80
Taux de change au comptant et taux de change anticipé
Taux de change
au comptant
milieu de mois
Attendu
dans 1 an
Attendu
dans 3 mois
1999 2000 2001
Attendu
dans 2 ans
Sources : Consensus Economics et Banque centrale européenne.
Graphique 2 - Dans l’attente du rebond
Sur la base des prix à la consommation, celui-ci s’est déprécié de 16 % environ. L’amplitude
de cette dépréciation n’a été que légèrement inférieure dans l’optique des prix à la produc-
tion ou des coûts unitaires de main-d’œuvre. Par conséquent, même en comparaison avec les
fortes fluctuations des taux de change réels observées dans le passé, cette dépréciation a été
très substantielle. Dès lors, la compétitivité-coûts de la zone euro était devenue plus favo-
rable fin 2000 qu’elle ne l’avait jamais été dans les années quatre-vingt-dix.
LAPOLITIQUE MONÉTAIRE ET LES TAUX DINTÉRÊT
L’Eurosystème n’ayant pas d’objectif de taux de change, les taux d’intérêt directeurs n’ont
pas été fixés directement en fonction de la trajectoire de l’euro sur le marché des changes
mais d’abord et avant tout avec le souci de maintenir la stabilité des prix, définie comme une
inflation de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) pour l’ensemble de la zone
contenue en dessous de 2 % sur le moyen terme. Toutefois, dans la mesure où les fluctua-
tions du taux de change influencent l’inflation
2
, les décisions de taux d’intérêt ont pu être
affectées par ces mouvements. De fait, les autorités monétaires sont même intervenues assez
spectaculairement sur le marché des changes pour tenter d’enrayer un effritement du taux
de change (E
NCADRÉ
1). Le bilan de l’Eurosystème pour ce qui est du contrôle de l’inflation a
été dressé ailleurs (OCDE, 2001). Mais il est important de rappeler l’évolution des taux d’inté-
rêt, compte tenu de leur importance pour le comportement du taux de change.
81
Koen, Boone, de Serres et Fuchs-Schündeln / Économie internationale 88 (2001), p. 77-106.
80
85
90
95
100
105
110
115 BCE, groupe large
BCE, groupe restreint
jan/93
juil/93
jan/94
juil/94
jan/95
juil/95
jan/96
juil/96
jan/97
juil/97
jan/98
juil/98
jan/99
juil/99
jan/00
juil/00
jan/01
juil/01
janl/02
2. Des simulations menées à l’aide du modèle Interlink de l’OCDE montrent que, à PIB et taux d’intérêt réels
constants, une dépréciation durable de 10 % du taux de change effectif nominal de l’euro majore l’inflation en zone
euro d’environ un demi point de pourcentage pendant plusieurs années (Dalsgaard et al., 2001).
Graphique 3 - Deux mesures du taux de change effectif réel
Note : Le déflateur est l’indice des prix à la consommation.
Source : Banque centrale européenne.
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