Première Rencontre internationale des entreprises d’insertion des pays francophones MONTRÉAL • DU 18 AU 22 OCTOBRE 2004 REMERCIEMENTS Un tel événement requiert des fonds importants et nous tenons à souligner la collaboration de nos partenaires financiers sans qui un tel événement n’aurait pu avoir lieu : Pour le financement de la rencontre : • Ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille ; • Emploi-Québec ; • Ministère du Développement économique régional et de la Recherche ; • Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration ; • Ministère des Relations internationales ; • Ministère des Affaires municipales, du Sport et du Loisir ; • Fonds jeunesse Québec ; • Secrétariat à la Jeunesse - Bureau du Premier ministre du Québec ; • Agence Québec Wallonie Bruxelles pour la Jeunesse ; • Fondation Lucie et André Chagnon ; • Communauté française et de la Région Wallonne de Belgique ; • Délégation Wallonie-Bruxelles au Québec Pour le financement de la recherche comparative : • Programme d’aide technique en développement économique communautaire (PATDEC) • Chaire pour l’insertion socio-économique des personnes sans emploi (INSÉ) • Alliance recherche université communauté (ARUC) Pour la publication des actes : • Caisse d'économie solidaire Desjardins • Réseau d’investissement social du Québec • Filaction, • Fonds de financement coopératif (FFC) • Fondaction • Investissement-Québec DES REMERCIEMENTS À CEUX ET CELLES QUI ONT FAIT DE CET ÉVÉNEMENT UN SUCCÈS. Les membres du comité organisateur • Chantal Aznavourian, Collectif des entreprises d’insertion du Québec • Jacques Bertrand, La Relance Outaouais • Natalie Larose, Restaurant le Piolet • Claudine Lefebvre, Collectif des entreprises d’insertion du Québec • Darllie Pierre-Louis, Buffet Accès Emploi • André Trudel, D-Trois-Pierres • Isabelle Vallée, Petites-Mains Les partenaires européens • Christophe Dunand, Réalise (Suisse), • Joël Gillaux, Daniel Térasse, Interfédération des organismes de formation et d’insertion Wallonie-Bruxelles (Belgique), • Gabriel Maissain, Fédération bruxelloise des opérateurs d’insertion socioprofessionnelle (Belgique), • Brigitte Ogée, Comité national des entreprises d’insertion (France), • Jean-Claude Pittet, Association du Relais (Suisse) • Salvatore Vetro, Réseau des entreprises sociales (Belgique) Rencontre internationale des entreprises d’insertion MONTRÉAL • DU 18 AU 22 OCTOBRE 2004 Annick Van Campenhout, Barbara Rufo et Pierre Montreuil de la coopérative de travail Interface ont préparé ce document à partir des différents documents fournis par les conférenciers et les animateurs d’ateliers. Lorsque les documents écrits n’étaient pas disponibles, nous nous sommes référés aux enregistrements sonores fournis par C.A.F.É. Paradoxe. Afin d’alléger la lecture du document, l’utilisation du masculin englobe le féminin. Photos © Michael Hogan Présentations des actes Du 18 au 22 octobre 2004, s'est tenue, à Montréal, la première Rencontre internationale des entreprises d’insertion. L’événement visait à ce que des hommes et des femmes qui œuvrent à la réinsertion sociale et professionnelle des populations marginalisées aient la possibilité d’échanger sur leurs pratiques, leurs valeurs, leurs spécificités et leurs convergences. Quelques mois plus tard, force est d’admettre que rencontre il y a eu. Les personnes présentes qui, pour l’immense majorité, ne se connaissaient pas, ont profité de l’opportunité pour créer des liens, pour se parler et peut-être même, l’avenir nous le dira, pour jeter les bases d'un réseau international des entreprises d’insertion. Le présent document se veut la mémoire de cette rencontre et de la volonté de ces milliers de personnes qui, à travers la francophonie, livrent un combat quotidien à l’exclusion sociale et économique de leurs concitoyens. D’ailleurs, par delà la symbolique du geste, la Déclaration de Montréal, adoptée au terme de la Rencontre internationale, se veut un rappel de ce combat et de cet engagement. J’adresse mes remerciements les plus chaleureux à tous ceux et celles qui ont contribué au succès de cette première Rencontre internationale : les membres du Comité organisateur, les organismes financeurs ainsi que la quarantaine de personnes qui ont bénévolement accepté d’animer les ateliers. J’ai cru remarquer tout au long de cette Rencontre internationale que, si certains éprouvent des inquiétudes et de la colère face aux réalités économiques, sociales et politiques qui sont de plus en plus excluantes, l’humour et la notion de plaisir semblent, encore et toujours, être des outils à la fois sains et indispensables à la lutte contre les exclusions. Le succès de la première Rencontre internationale permet d’affirmer qu’il y en aura une deuxième. Nous avons déjà choisi l’endroit, la Belgique, et le moment, le printemps 2007. C’est avec plaisir que nous passons le flambeau à nos camarades belges pour l’organisation de la deuxième Rencontre internationale des entreprises d’insertion des pays francophones. Bonne lecture et on se revoit tous en Belgique ! André Trudel Président, Collectif des entreprises d’insertion du Québec Les commanditaires La production des Actes de la première Rencontre internationale des entreprises d’insertion des pays francophones a été rendue possible grâce à la généreuse contribution des organismes suivants : « Faire ensemble, Faire autrement » Fondée en 1971, La Caisse d’économie Desjardins des Travailleuses et des Travailleurs (Québec) porte depuis le 1er octobre 2004 un nouveau nom : Caisse d’économie solidaire Desjardins. Elle est une institution financière opérant dans le cadre québécois des coopératives de services financiers. Offrant une gamme complète de produits et de services financiers tant aux personnes qu’aux organisations et entreprises collectives, la Caisse se distingue par sa mission et l’accompagnement de ses membres. Elle fait de la banque avec le souci d’introduire de la solidarité dans l’économie par une participation au développement des communautés et de leur capacité d’innover et d’entreprendre ensemble. Au critère de la viabilité économique, elle ajoute la rentabilité sociale et le dynamisme des collectivités. La Caisse propose de renouveler les rapports avec l’argent en conjuguant une pluralité de valeurs dans une perspective de développement solidaire et durable. Elle présente des produits innovateurs comme l’épargne solidaire, le capital solidaire, le prêt solidarité et un programme de soutien pour les coopératives d’habitation. Reconnue comme l’institution financière de l’économie sociale et solidaire au Québec, elle œuvre particulièrement au sein des réseaux coopératif, communautaire, culturel et syndical. Elle constitue un outil privilégié pour celles et ceux qui veulent gérer leurs besoins financiers de manière socialement responsable. Avec une équipe de près de 80 personnes, réparties sur 3 centres de services (Québec, Montréal et Joliette), la Caisse intervient sur tout le territoire du Québec. Au 31 mars 2003, elle accompagnait plus de 2 800 associations et entreprises collectives et plus de 7 300 personnes. Son actif s’établissait à 337 millions $. Le Fonds de financement coopératif est le fruit d’un partenariat entre Fondaction CSN et le Réseau d’investissement social du Québec. Il vient s'ajouter à un ensemble d'outils de financement socialement responsables, afin de développer l'économie du Québec à l'image de nos valeurs et de nos besoins. Le Fonds de financement coopératif investit exclusivement dans des entreprises collectives dont la gestion collective, les principes démocratiques et les finalités sociales respectent le cadre exposé dans le manifeste du Conseil de la coopération du Québec, (États généraux de la coopération du 1er mai 1992), pour ce qui est particulier aux coopératives, et à la définition d'une entreprise d'économie sociale telle que définie par le Chantier de l'économie sociale du Québec (Sommet sur l’économie et l’emploi, octobre 1996, rapport «Osons la solidarité»). Il couvre les besoins de financement en capitalisation des entreprises d'économie sociale pour des montants se situant entre 100 000 $ et 250 000 $, et plus en cas de réinvestissement. C'est FILACTION qui est chargé d'en assurer la gestion. « Tout un monde à bâtir » Créé en 1996, FONDACTION, le Fonds de développement de la CSN pour la coopération et l’emploi, fait partie d’un réseau d’institutions mis sur pied à l’initiative de la Confédération des syndicats nationaux (CSN). La cueillette d’épargne-retraite et l’investissement en constituent les deux grands volets d’activité. En plus de veiller à la rentabilité et à la sécurité de l’épargne qui lui est confiée, FONDACTION participe au maintien et à la création d’emplois au Québec. Il concourt également au développement de pratiques financières plus responsables en intégrant des critères éthiques, sociaux et environnementaux à ses choix d’investissement. Partenaire de l’économie sociale, FONDACTION favorise les entreprises inscrites dans un processus de gestion participative, les OBNL, les coopératives et celles dont les décisions ou les activités contribuent à la protection ou à l’amélioration de la qualité de l’environnement. FONDACTION privilégie les investissements se situant entre 1 et 3 millions de dollars et peut continuer à accompagner les entreprises dans leurs phases de financement ultérieures. Le Fonds peut aussi intervenir à compter de 250 000 $. Afin d’encourager les entreprises d’économie sociale dont les besoins sont inférieurs à ceux auxquels il peut répondre directement, FONDACTION a participé à la création de deux fonds partenaires, FILACTION et le Fonds de financement coopératif. « Du capital de développement à valeur ajoutée sociale » FILACTION s’est donné pour mission de contribuer à préserver et maintenir des emplois de qualité dans la société québécoise. FILACTION apporte aux entreprises et aux fonds de micro-crédit du Québec une partie de la capitalisation requise pour l’atteinte de leurs objectifs de développement économique et social. FILACTION est le fruit d’un double partenariat avec FONDACTION. Ses capitaux investis proviennent d’un financement de FONDACTION. Ce sont donc indirectement les épargnes des travailleuses et des travailleurs qui lui permettent de mener à bien sa mission. Il est également responsable de la gestion du Fonds de financement coopératif dédié aux entreprises d’économie sociale du Québec dont FONDACTION est le principal commanditaire. Il appuie plus particulièrement : • les entreprises qui encouragent la participation des travailleurs aux décisions qui les concernent, quelle que soit leur forme juridique. • les entreprises de l’économie sociale et solidaire. • les fonds de développement local, qui donnent accès à du micro-crédit et apportent conseils et soutien à des personnes et des groupes, en vue de favoriser leur autonomie économique. Le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) a été fondé en 1997 suite à un engagement du milieu des affaires et du Chantier de l’économie sociale. Ensemble, nous avons choisi de relever le défi d’entreprendre autrement. Le RISQ est un organisme privé, à but non lucratif, dont la mission est de rendre accessible un financement adapté à la réalité des entreprises d’économie sociale. Il vise le soutien au développement des collectivités en favorisant l’essor des entreprises collectives par l’injection de capital de connivence ou via une aide technique contribuant à la réalisation de projets créateurs d’emplois durables et de qualité. Le RISQ a également pour objet de : • favoriser le développement d’un modèle québécois d’économie sociale, qui se mesure par la rentabilité sociale qu’elle engendre et qui contribue à une augmentation nette de la richesse collective ; • favoriser la concertation des intervenants financiers à l’égard des projets des entreprises d’économie sociale ; • développer et diffuser des méthodes d’analyse financière adaptées aux réalités des entreprises d’économie sociale ; • favoriser la reconnaissance des pratiques de gestion originales et efficaces de ces entreprises, notamment auprès des intervenants financiers. À ce jour, le RISQ a investi plus de 680 000 $ dans 21 projets d’entreprises d’insertion permettant ainsi des investissements totaux de près de 9 M$. « Soutenir les entreprises à tous les stades de développement » Quels que soient leur nature ou leur stade de développement, Investissement Québec aide les entreprises à réaliser leurs projets en leur offrant des produits financiers adaptés à leurs besoins. La Vice-présidence aux coopératives et autres entreprises de l’économie sociale est spécialement mandatée pour offrir les services d’Investissement Québec aux entreprises coopératives et à but non lucratif. Elles peuvent ainsi avoir un meilleur accès au financement offert par les institutions financières ou même améliorer leur équité de façon à présenter une structure financière plus équilibrée. Au 31 mars 2003, Investissement Québec était en relation d’affaires avec près de 500 entreprises de l’économie sociale pour des engagements financiers de l’ordre de 230 millions de dollars. Active auprès des entreprises de l’économie sociale depuis plus de 25 ans, Investissement Québec est en mesure de contribuer à leur développement en élaborant, en partenariat avec les institutions financières, des solutions financières adaptées à leurs besoins. Table des matières Présentations des actes Les commanditaires Historique de la Rencontre internationale Convergences et différences 9 11 Ouverture de la Rencontre internationale des entreprises d’insertion Objectifs et enjeux Discours d’ouverture Présentation de la recherche comparative 13 13 17 24 Conférence : les rapports avec les acteurs du milieu Présentation de Monsieur Jean-Paul Héliot, France Présentation de Madame Chantal Aznavourian, Québec Présentation de Monsieur Gabriel Maissin, Belgique Présentation de Madame Esther Widmer, Suisse Synthèse des interventions des participant et discussions 35 35 38 41 45 47 Les ateliers Le développement social et professionnel des participants La vie démocratique La formation du personnel Le portrait des problématiques des participants 49 50 54 58 61 Conférence : La naissance et le développement des entreprises d’insertion Présentation de Monsieur Salvatore Vetro, Belgique Présentation de Monsieur Christian Jacquot, France. Présentation de Monsieur Jacques Bertrand, Québec Présentation de Monsieur Christophe Dunand, Suisse Synthèse de Monsieur Frédéric Lesemann, Synthèse des intervention des participants et discussions Conclusions et perspectives 65 65 68 72 76 83 86 89 Annexes Annexe I : Annexe II : Annexe III : La déclaration de Montréal Liste des participants Liste et coordonnées des associations nationales Historique de la Rencontre internationale des entreprises d’insertion L’idée d’organiser une Rencontre internationale des entreprises d’insertion a germé dans la tête de quelques personnes en 2002. Charles Fillion, qui assumait à l’époque la fonction de directeur général du Collectif des entreprises d’insertion du Québec, en fut l’un des principaux promoteurs. C’est le 13 mars 2002, 30 mois avant l’événement, qu’il est fait mention pour la première fois d’une rencontre dans un procès-verbal du conseil d’administration du Collectif. Quelques mois plus tard, le conseil autorise l’engagement d’une personne, Madame Sophie Gélinas, qui sera plus tard remplacée par Madame Claudine Lefebvre, pour voir à l’organisation de cette rencontre. Monsieur Fillion quitte ses fonctions en juillet 2003 et est remplacé par Madame Chantal Aznavourian qui a avait fait sa marque dans le milieu des entreprises d’insertion au Québec alors qu’elle assurait la direction du Resto-Plateau. En préparation à cette rencontre, trois missions ont eu lieu : deux fois les Québécois sont allés en Europe, une fois les Belges sont venus au Québec. Mission en Wallonie-Bruxelles (du 26 avril au 10 mai 2003) Concrètement, cette mission a permis d’observer sur le terrain, en Wallonie-Bruxelles, ce qui se fait en matière d’insertion par l’économique, de rencontrer des travailleurs permanents et en formation, de voir les produits et services offerts par les entreprises. Ainsi, les personnes envoyées en mission ont consolidé les contacts existants avec les partenaires et en ont créé de nouveaux. Des partenariats ont été établis entre le Collectif et des regroupements de la Wallonie et de Bruxelles afin de réaliser la Rencontre internationale. Les enjeux reliés à l’élaboration des chantiers de discussions, le financement, les objectifs, les résultats, le public visé par la Rencontre internationale ont été discutés. Accueil d’une mission de Bruxelles (du 24 au 28 novembre 2003) Le comité organisateur avait programmé des sessions de travail avec les représentants de l’Interfédération (regroupement de cinq fédérations d’entreprises en insertion socioprofessionnelle) et les représentants du FOREM. Cette mission a permis de préparer la Rencontre internationale, mais aussi de comprendre de manière approfondie les mécanismes de l’insertion sociale et professionnelle dans les deux sociétés. Des visites d’entreprises d’insertion du Québec étaient à l’horaire. Historique Cette mission a été possible grâce au soutien de l’Agence Québec Wallonie Bruxelles pour la Jeunesse et la Commission mixte permanente Québec Wallonie-Bruxelles et a atteint ses objectifs soit d’établir des contacts privilégiés, d’obtenir des engagements et des partenariats clairs et de constater les ressemblances et les différences par rapport aux entreprises d’insertion québécoises. Ces observations enrichiront la partie contenu de la rencontre. 9 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Mission en Belgique, en France et en Suisse (Du 18 au 24 avril 2004) Des membres du comité scientifique de la Rencontre internationale sont allés valider les données de la recherche comparative auprès des partenaires européens. Cette visite leur a permis d’échanger sur différentes réalités dans le but d’enrichir la partie « contenu » de l’événement, de visiter des entreprises d’insertion et de consolider les contacts déjà existants. Les monographies de chaque pays ont été présentées aux partenaires afin qu’ils puissent donner leurs commentaires sur la recherche. Cette visite a fait en sorte d’enrichir la recherche comparative intitulée « Un portrait des initiatives de formation par le travail et d’insertion socioprofessionnelle dans la francophonie belge » réalisée dans le cadre de la Rencontre internationale par le Collectif et des chercheurs de la Chaire sur l’insertion socio-économique des personnes sans emploi (Insé) de l’UQAM. Cette mission a été soutenue en partie par la Chaire Insé et le PATDEC. Téléconférences Plusieurs téléconférences ont eu lieu avec le comité international qui a été mis en place dans le cadre de l’organisation de la Rencontre internationale. Ces téléconférences ont réuni des représentants de la Belgique, de la France, de la Suisse et du Québec. Elles ont permis d’établir un contact solide, de s’entendre sur le type d’événement, d’élaborer les chantiers de discussions et de parler des différentes étapes à suivre dans la réalisation de la Rencontre internationale. Du renfort En janvier 2004, le Collectif des entreprises d’insertion retient les services d’une entreprise d’économie sociale de consultants, la Coopérative de travail Interface, dont les responsabilité seront de voir à l’élaboration et la gestion des contenus, de fournir le soutien logistique que requiert l’organisation d’un tel événement et d’assurer la production des Actes. Historique La première Rencontre internationale des entreprises d’insertion des pays francophones s’est déroulé du 18 au 22 octobre 2004, à l’Hôtel Crowne Plazza, en plein cœur de Montréal. 10 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Convergences et différences Entreprises d’insertion d’ici et d’ailleurs Entreprise d’insertion : une contradiction ? Un paradoxe ? Depuis de nombreuses années, en Belgique, en France, au Québec ou en Suisse, les entreprises d’insertion non seulement endossent, mais revendiquent, comme étant la base de leur identité propre, cette étrangeté qui ressemble à une antinomie. Derrière cette apparente incompatibilité se trouve le fondement même de cette intervention atypique et originale : mettre l’économique au service du social. Le choix des mots Par-delà ce modèle théorique fondateur, on trouve, en fonction des réalités locales, régionales ou nationales, des structures un peu différentes. En effet, les entreprises d’insertion sont, avant tout, le reflet de leur milieu et, en cela, elles sont teintées de l’Histoire de leur territoire. Histoire et histoires qui donnent à la réalité des entreprises d’insertion des couleurs très différentes : • histoire des institutions (rôle de l’État, des financeurs, des politiques…) ; • histoires économiques et sociales (rapport au travail, législations, représentations de l’entrepreunariat, place du travail social…) ; • histoires locales et singulières (partenariats, jeux d’acteurs, parcours de vie…). Il va de soi que ces différences recouvrent des pratiques linguistiques qui témoignent de localismes ou de l’évolution du français, mais ne sont-elles pas, également, révélatrices d’une certaine hétérogénéité des structures ? Ainsi, pour revenir aux termes employés pour désigner les personnes en difficulté d’insertion sociale et professionnelle : on peut émettre l’hypothèse que les variétés d’usages révèlent des pratiques et des réalités différentes. Ainsi, l’emploi du mot stagiaire indique, en l’occurrence, que la personne ne bénéficie pas d’un salaire, le terme de participant témoigne de traces anciennes d’un système lié à des programmes, et le terme de salarié en insertion distingue les salariés « de passage » dans l’entreprise des permanents. Dans la même logique, les termes qui désignent le personnel permanent sont des indicateurs des modes d’intervention des entreprises d’insertion. En effet, en fonction des pays, mais également, parfois à l’intérieur d’une même réalité nationale, l’usage des différents termes indique tantôt une prépondérance de l’économique sur le social, tantôt l’inverse, ou encore, par exemple, une vision de l’intervention où la formation technique prédomine sur l’accompagnement social. Convergences et différences La variété des termes utilisés pour décrire une même réalité constitue notre première différence Ainsi, pour désigner les personnes accueillies en entreprise d’insertion, on parle tour à tour de public, de clientèle, de participant, de salarié en insertion, de bénéficiaire, de stagiaire… Il en est de même pour le personnel permanent nommé, selon les lieux et circonstances tantôt encadrant, formateur, accompagnateur, intervenant technique, travailleur social, intervenant psychosocial, tuteur, conseiller… 11 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 De la pratique aux valeurs On notera d’abord des différences liées aux statuts des entreprises d’insertion (structures à but non lucratif ou pas) qui influent sur le type de gestion et sur les formes de démocratie interne adoptées. La participation des bailleurs de fonds au système de l’insertion par l’activité économique dans son ensemble est aussi très variable. Ici on rencontre des accords pluriannuels alors, qu’ailleurs, seules des ententes à l’année sont signées, sans parler du taux de financement pour les postes d’insertion sur l’ensemble du budget des structures. Les stratégies d’intervention auprès des clientèles, dont il est impossible de faire ici la nomenclature, sont riches, variées, prometteuses et révélatrices de leur milieu. Mais, au-delà des pratiques, on retrouve des valeurs communes à tous les pays. La première serait celle qui, malgré la diversité des modèles théoriques, centrerait toutes les préoccupations autour de la personne. C’est l’individu au prise avec des difficultés d’insertion sociale et professionnelle et la prise en compte de ses besoins qui donne sens, partout, à tous les modes d’intervention. Par ailleurs, certaines valeurs sont également partagées : celles de l’engagement, du déploiement de toutes les énergies au service d’une cause commune, la volonté de comprendre, le désir de partager des expériences et expertises, la croyance en un système « en mouvement » qui nécessite des adaptations permanentes… Vers un langage commun La Rencontre internationale aura permis de constater qu’il y a des écarts, parfois importants, dans la façon de nommer les réalités, mais que, pour l’essentiel, Européens et Québécois se comprennent très bien. Convergences et différences Un lexique a été préparé par les chercheurs qui ont réalisé la recherche comparative. Il permet de situer le langage utilisé dans les différents pays en fonction des niveaux et des types d’intervention et d’intervenants. 12 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Ouverture de la Rencontre internationale des entreprises d’insertion 18 octobre 2004 Objectifs et enjeux Extraits de la présentation de Madame Madeleine Poulin, journaliste, Maître de cérémonie de la Rencontre internationale LES OBJECTIFS • Confronter nos pratiques respectives pour améliorer nos services auprès des personnes éprouvant des difficultés d’intégration au marché du travail ; • « Réseauter » le personnel des entreprises d’insertion des pays francophones et établir des contacts solides afin de poursuivre les échanges après la rencontre ; • Identifier des pistes d’actions et des actions mobilisatrices sur la scène internationale portant sur l’exclusion économique et sociale des personnes, la lutte à la pauvreté et l’économie sociale ; • Créer un observatoire des pays francophones sur les entreprises d’insertion où des lieux de discussions poutront être créés, des ressources mises en commun et des recherches effectuées ; • Produire un texte portant sur chacun des enjeux de la Rencontre internationale et en assurer le suivi s’il y a lieu ; • Publier une analyse comparative sur les situations en matière d’insertion et sur la question de l’évaluation des entreprises d’insertion en Belgique, au Québec, en France et en Suisse suite aux recherches effectuées par le Comité scientifique de la Rencontre internationale, composé de chercheurs issus des pays participants. LES ENJEUX Les enjeux de la Rencontre internationale sont à 3 niveaux : Donc une rencontre… Pour qui ? Pour ceux et celles qui interviennent, travaillent, administrent, dirigent des entreprises d’insertion ainsi que ceux et celles qui collaborent avec elles. Pour y faire quoi ? ÉCHANGER, SE CONNAITRE, PARTAGER. À quel sujet ? • notre vécu, • nos expériences, • nos analyses, • nos visions. Objectifs et enjeux Le premier niveau est lié à la nature de l’événement : une rencontre : pas un colloque, pas un forum, pas un séminaire, pas un congrès, pas un symposium, pas une conférence ; une rencontre. L’appellation « rencontre » n’est pas innocente. Parmi les définitions du mot « rencontre » que suggère Le Petit Larousse, il y a celle-ci : « entrevue, conversation organisée entre deux ou plusieurs personnes. » 13 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Le deuxième niveau d’enjeux réfère au sens même de la démarche d’insertion. Dans la mesure où, comme le disait Maître Pierre Marois, « la pauvreté est un déni de droit », le travail de l’entreprise d’insertion est un acte de rétablissement des droits de ceux et celles qui vivent des situations d’exclusion économique et sociale. L’entreprise d’insertion est au travail ce que l’enseignement public est à l’éducation : un exercice de démocratisation, un exercice qui vise une meilleure égalité des chances et une meilleure répartition des richesses collectives. Les valeurs de l’entreprise d’insertion sont en porte-à-faux de celles qui dominent actuellement la société occidentale. À beauté, force, productivité et profit (presque à tout prix), les entreprises d’insertion opposent lutte à l’exclusion des moins beaux, des moins forts, des moins productifs et des moins profitables. Maintenir ce cap en dépit des efforts déployés pour restreindre l’intervention de l’État, est un soi un enjeu. Dans chacun des pays, des entreprises vouées à l’insertion sociale et professionnelle ont développé une approche et une expertise, un savoir-faire et un savoir-être. Ces entreprises sont aux prises avec des problématiques de plus en plus complexes qui exigent davantage des expertises nouvelles, des savoir-faire nouveaux. À maints égards, il faut continuellement réinventer la roue pour maintenir le cap. Cet état de fait permet de formuler deux enjeux qui mettent en lien la démarche d’insertion et la Rencontre internationale : • Offrir l’opportunité à des personnes partageant des horizons professionnels communs, dans un contexte géographique très différent, d’échanger sur leur façon de faire, de voir, de penser, bref de jeter les bases de ce qui pourraient devenir un réseau international des entreprises d’insertion ; • Situer un cadre de réflexion social, économique et politique qui permettra de positionner la problématique d’intégration sociale et professionnelle des personnes marginalisées dans un contexte de mondialisation des marchés et surtout des solidarités et de dégager des perspectives d’avenir. Enfin, le troisième niveau d’enjeux réfère aux thèmes que l’on soumet à votre réflexion dans le cadre de cette rencontre. Si l’appellation « rencontre » n’est pas anodine, le choix des thèmes ne l’est guère moins. Les plénières Deux thèmes seront abordés en plénière : les rapports avec le acteurs du milieu et la naissance et le développement des entreprises d’insertion. Objectifs et enjeux LES RAPPORTS AVEC LES ACTEURS DU MILIEU Dans leur milieu respectif, les entreprises d’insertion (EI) entretiennent des rapports de différentes natures avec les acteurs socio-économiques que sont les entreprises privées, la société civile et les organismes communautaires. En raison de leur activité économique, elles se reconnaissent comme partie prenante des réseaux de l’économie sociale et solidaire. Leur mission d’insertion sociale et professionnelle interpelle, de façon différente mais non moins tangible, plusieurs instances gouvernementales et les syndicats. Le même interlocuteur peut selon les circonstances être un partenaire, un client, un fournisseur ou un mandataire. Plusieurs EI tirent leur origine du travail d’organismes communautaires préoccupés par les situations d’exclusion sociale et professionnelle. Ces préoccupations témoignent d’une vision plus large du développement local qui s’oppose au néolibéralisme, producteur d’exclusion, essentiellement centré sur la performance économique. Les enjeux liés à ce thème sont : • l’implication de la société civile à la réalisation de la mission de EI ; • le rôle de l’État, partenaire ou bailleur de fonds ; • la consolidation des rapports des EI avec les milieux d’affaires . 14 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 LA NAISSANCE ET LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES D’INSERTION Par leur mission, les EI doivent arriver à marier deux dimensions habituellement étanches : l’une sociale et l’autre économique. Elles doivent conserver un équilibre entre l’insertion et le marchand. Tout en satisfaisant aux exigences du marché, elles doivent réaliser leur mission de reconduire des personnes loin du marché du travail dans des emplois conventionnels. Le développement des EI doit passer par une reconnaissance de leur apport au marché du travail, d’une évaluation adéquate de leur action et du rôle de régulation qu’elles jouent dans une perspective de raréfaction annoncée de main-d’œuvre. Cette évaluation passe par la définition de critères adaptés aux deux dimensions économique et sociale. Les enjeux liés à ce thème sont : • les facteurs guidant les choix sociaux de l’entreprise ; • l’évaluation de la pertinence des choix sociaux ; • la rentabilité comme étant le seul facteur guidant les choix économiques ; • l’évaluation de la performance économique en lien avec sa mission sociale. Les ateliers Il est important d’abord de rappeler les objectifs poursuivis en atelier : les discussions en atelier permettront de distinguer ce qui est commun de ce qui est spécifique et ce en fonction de trois dimensions • un partage sur les pratiques (le comment et le quoi) ; • les fondements idéologiques que sous-tendent ces pratiques (le pour qui et le pourquoi) ; • les perspectives, la vision à long terme (le vers quoi). LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET PROFESSIONNEL DES PARTICIPANTeS Le développement social et professionnel des participantEs est centré sur les besoins des individus. Il lie autant les aspects personnels et sociaux que professionnels. Il est intégré au parcours d’insertion et vise l’amélioration du savoir-faire technique, du savoir-être au travail et dans la société. Ainsi, les aptitudes et les attitudes acquises permettent d’exercer pleinement sa citoyenneté et de favoriser l’affirmation de soi. • la compréhension des réalités vécues par les participantEs en fonction des milieux (en l’occurrence vos dynamiques nationales) ; • le processus de reconnaissance ; • l’identification des obstacles rencontrés et les pièges à éviter . LA VIE DÉMOCRATIQUE En faisant en sorte que les populations les plus marginalisées d’une collectivité donnée développent les compétences personnelles et les habiletés professionnelles leur permettant d’occuper un emploi, comme n’importe quel autre citoyen, l’EI contribue à la démocratisation du travail, donc de la richesse. L’EI exprime la volonté d’un milieu, qu’il soit géographique (ville ou quartier) ou d’intérêts (jeunes, immigrants, etc.) de venir en aide aux populations les plus démunies en leur donnant l’occasion d’occuper un emploi valorisant qui permet de « gagner sa vie ». Objectifs et enjeux La formation globale est d’une grande importance pour obtenir une insertion durable et ainsi répondre à la mission des entreprises d’insertion. La formation est relativement facile à réaliser lorsqu’il s’agit du domaine technique, tant du côté des éléments à transférer que de l’intérêt des personnes en insertion. Par contre, elle est plus complexe lorsqu’il s’agit d’aborder la dimension personnelle. Les enjeux liés à ce thème sont : 15 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 L’assemblée générale et le conseil d’administration sont les porteurs de cette volonté ; l’assemblée générale parce qu’elle est le chien de garde des orientations et du choix des administrateurs, le conseil d’administration parce qu’il porte la responsabilité politique de la philosophie de gestion de l’EI, du plan d’action et de sa mise en œuvre. L’EI se doit d’être arrimée aux préoccupations sociales du milieu dont elle est issue. Les enjeux liés à ce thème sont : • la responsabilité des EI en regard à l’éducation des participants à la vie démocratique, donc à l’exercice d’une citoyenneté responsable ; • la gestion participative : une piste de travail ou une utopie ; • le caractère démocratique des entreprises comme point d’ancrage des relations qu’elles entretiennent entre elles. LA FORMATION DU PERSONNEL PERMANENT La formation du personnel permanent est un enjeu d’adaptation continue des entreprises à leur environnement (qui est de plus en plus changeant), et donc de développement. Les entreprises d’insertion sont encore plus confrontées à cette réalité du fait de leur mission d’insertion. Cette autre dimension doit être prise en compte car elle soulève bien des défis humains et impose, notamment, au personnel technique d’avoir un minimum de compétences complémentaires dans le domaine psychosocial (développement humain, développement social, développement des compétences techniques et transversales). Par ailleurs, les valeurs humanistes portées par les EI amènent des principes de gestion participative, de démocratie au travail, de partenariats. Ces principes ont besoin d’être outillés car ils ne sont pas universellement enseignés et le personnel des entreprises d’insertion provient de différents mondes professionnels, parfois très éloignés des valeurs véhiculées dans les EI. Les enjeux liés à ce thème sont : • les types de formation utilisés ; • l’identification des pratiques gagnantes ; • la formation par les pairs comme une piste à explorer. L’AGGRAVATION DES PROBLÉMATIQUES DES PARTICIPANTeS Objectifs et enjeux Les EI constatent depuis quelques années que les clientèles qui leur sont référées ou qui font appel à leurs services présentent des problématiques de plus en plus complexes : problèmes de santé mentale, problèmes de comportement, toxicomanie, sans domicile, déficience intellectuelle, etc. Non seulement les problématiques sont-elles plus complexes, mais il est de plus en plus fréquent de voir arriver des individus qui présentent des problématiques cumulées qui sont l’émergence de difficultés personnelles, sociales et économiques particulièrement importantes, voire envahissantes. Les enjeux liés à ce thème sont : • aggravation ou manque de ressources des EI ; • la (ou les) responsabilitéS des EI en regard de cette réalité ; • la place de la pré-insertion dans le processus de développement des compétences personnelles et sociales. 16 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Discours d’ouverture Extraits de l’allocution prononcée par Maître Pierre Marois, Président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Québec) à l’occasion de l’ouverture de la Rencontre internationale Vous me permettrez, en premier lieu, de vous féliciter pour l’à-propos et la pertinence de cette Rencontre internationale des entreprises d’insertion. En premier lieu, parce que ce que vous accomplissez notamment, en France, en Belgique, en Suisse, au Québec et ailleurs, mérite, et je dirais même, doit être davantage su et connu partout. En second lieu, parce que, vous aussi, durant ces journées de Rencontre internationale, désirez tenter d’identifier des pistes de solution et des actions mobilisatrices portant sur « l’exclusion économique et sociale des personnes et la lutte à la pauvreté ». Partout dans le monde, les Protecteurs des Citoyens, les Ombudsmans, les Médiateurs de la République et les Commissions nationales des droits de la personne, en lien avec les ONG, travaillons à accompagner les mêmes clientèles de citoyens, et faisons les mêmes constats que vous. C’est pourquoi je vous le dis très clairement, tant à titre de Président de la Commission québécoise des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qu’à titre de Vice-président de l’Association francophone des Commissions nationales des droits de l’Homme (un des réseaux de l’Organisation internationale de la Francophonie), il nous faut toutes et tous tisser entre nous des liens constants, un réseau « tricoté serré ». Et je souhaite que ma présence ici – et je tiens à vous en remercier très chaleureusement – en soit le début. Dès lors, nous ne pouvons plus, vous le savez bien, traiter la problématique de l’INSERTION sans aborder celle, plus large, plus englobante de la PAUVRETÉ et de L’EXCLUSION SOCIALE qui explique, notamment, la nécessité de nos actions complémentaires. À cet égard, j’entends simplement saisir l’opportunité qui m’est offerte, sans prétendre et surtout, sans vouloir faire acte d’autorité, joindre ma voix à celles, Dieu merci de plus en plus nombreuses, de celles et ceux qui nous interpellent partout à travers le monde et ce, presque tous les jours (grâce notamment aux moyens modernes et rapides de communication), celles des « SANS VOIX » et de toutes celles et ceux qui cherchent à leur en donner une. Et d’entrée de jeu, j’ajoute qu’à mon avis nous devons TOUTES ET TOUS HAUSSER LE TON. (…) Le trait frappant de notre civilisation, mondialisée autour d’une ambition de prospérité sans précédent, est la persistance, et même l’aggravation, de la pauvreté. C’est un fait massif : il frappe environ une personne sur deux. C’est une réalité qui s’étend : l’immense majorité des 2 à 3 milliards d’êtres humains qui s’ajouteront à la population mondiale avant la fin du siècle y sera exposée. C’est une réalité qui pèse sur l’environnement et les équilibres du globe d’une manière dont beaucoup s’inquiètent. Ainsi, la communauté internationale s’est-elle fixée comme premier objectif, dit « du millénaire » (Millennium Development Goals, MDG), de réduire de moitié en quinze ans le nombre de personnes vivant en situation d’extrême pauvreté. Cette approche, extrêmement louable en elle-même, n’épuise pas la question. D’une part, le but fixé ne sera pas facilement atteint. D’autre part, le serait-il qu’il laisserait entier le problème initial : peut-on tolérer la persistance de la pauvreté (…) (…) Tant qu’on abordera la pauvreté comme un déficit quantitatif naturel, voire qualitatif, à combler, la volonté politique de la réduire ne sera pas galvanisée. Le paupérisme ne cessera que du jour OÙ LA PAUVRETÉ AURA ÉTÉ RECONNUE COMME UNE VIOLATION DES DROITS HUMAINS ET, À CE TITRE, ABOLIE… (nos soulignés). Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Discours d’ouverture Dans un texte percutant, paru dans le journal Le Monde (sélection hebdomadaire du 19 octobre 2002), M. Pierre Sané, Sous-directeur pour les Sciences sociales et humaines de l’UNESCO, nous invite, s’agissant de la PAUVRETÉ, à « UN CHANGEMENT D’APPROCHE RADICAL ». 17 (…) Ce qui caractérise à la racine la pauvreté n’est pas un niveau de revenu ni même certaines conditions de vie, c’est le déni de tout ou partie des droits humains dont elle est à la fois cause et effet. Des cinq familles de droits humains fondamentaux, droits civils, politiques, culturels, économiques et sociaux, proclamés par la Déclaration universelle des droits de l’homme comme inhérents à la personne humaine, la pauvreté viole toujours la dernière, généralement l’avantdernière, souvent la troisième, parfois la deuxième, voire la première. Réciproquement, la violation systématique de l’un quelconque de ces droits dégénère rapidement en pauvreté. Comme l’a reconnu la Conférence internationale de Vienne sur les droits de l’homme en 1993, il y a un lien organique entre la pauvreté et la violation des droits humains. Or ces droits sont imprescriptibles et indissociables. Leur violation est une atteinte fondamentale à la dignité humaine dans son ensemble, et non un inconvénient regrettable. Elle doit donc cesser, et cet impératif prend une forme simple : LA PAUVRETÉ DOIT ÊTRE ABOLIE. (nos soulignés). Je sais bien moi aussi qu’une (…) telle formule prête à sourire, comme naïve. Cette ironie serait une erreur de forme et de fond. De forme, que la matière ne prête pas du tout à sourire : les détresses, la misère, la déréliction, la mort qui font cortège au paupérisme devraient bien plutôt nous faire honte. Mais surtout de fond, que l’abolition de la pauvreté est, en vérité, l’unique point d’appui possible du levier sans lequel le paupérisme ne sera jamais vaincu. Ce levier, ce sont les investissements, les réformes, les actions requises pour résorber les manques de toute sorte qui forment le cadre de la pauvreté. Par bonheur, l’humanité dispose aujourd’hui des moyens nécessaires pour ce faire. Mais, faute de point d’appui solide, ces forces ne fonctionnent pas comme le levier qu’il faudrait. Discours d’ouverture Arrêtons-nous un instant quant à l’aspect strictement monétaire de ces « moyens nécessaires dont nous disposons ». Selon James Wolfensohn, Président de la Banque Mondiale, il y a un « déséquilibre fondamental » entre les 900 milliards de dollars dépensés dans le monde pour la défense, les 325 milliards de dollars utilisés pour des subsides agricoles et seulement 60 milliards de dollars consacrés à l’aide. En 2002, les livraisons d’armes à l’Asie, au Moyen-Orient, à l’Amérique latine et à l’Afrique constituaient 66,7 % de la valeur de toutes les armes livrées dans le monde, avec une valeur de près de 17 milliards de dollars ; les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies étaient responsables de 90 % de ces livraisons. Au même moment, les pays en développement de ces régions luttent pour atteindre leurs Objectifs du Millénaire pour le Développement : - plus d’un milliard de personnes luttaient pour survivre avec moins d’un dollar par jour ; - un enfant sur cinq n’a pas terminé l’école primaire ; - plus de 14 millions d’enfants ont perdu un de leurs parents ou les deux suites du Sida en 2001 ; - plus de 800 millions de personnes souffraient de malnutrition chronique ; - un demi-million de femmes sont mortes en couches ou durant leur grossesse.1 Si, au contraire, enchaîne Pierre Sané, la pauvreté était proclamée abolie, comme elle doit l’être en tant qu’elle est une violation systématique et continue des droits de l’homme, sa persistance passerait du statut de séquelle déplorable de l’ordre des choses à celui de déni de justice. La charge de la preuve s’inverserait. Les pauvres, reconnus lésés, deviendraient détenteurs d’un droit à réparation, dont les gouvernements, la communauté internationale et, en définitive, chaque citoyen deviendraient aussitôt solidairement comptables… (…) Créditant les pauvres de droits, l’abolition de la pauvreté ne ferait évidemment pas disparaître la pauvreté par un coup de baguette magique, mais elle créerait les conditions d’une érection de cette cause au rang de toute première priorité, en tant qu’intérêt commun de tous – et non plus en tant que souci subsidiaire d’esprits éclairés ou simplement charitables. 18 1 Extrait de « Armer ou développer ? » Résumé du Rapport, Campagne Control Arms, juin 2004 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Le principe de justice ainsi mis en œuvre et la contrainte du droit mobilisé à son service sont d’une extrême puissance. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’il a été mis fin à l’esclavage, au colonialisme et à l’apartheid. Mais alors qu’esclavage et apartheid étaient rejetés et combattus, la pauvreté déshumanise la moitié des habitants de notre planète dans la plus totale indifférence. En fin de compte, le choix est simple. Il n’est pas entre une approche « pragmatique », fondée sur l’aide consentie par les riches aux pauvres, et l’approche proposée ici. Il est entre cette dernière et la seule autre manière de créditer les pauvres de droits, qui consiste pour eux à les prendre au moyen de révoltes. Or on sait que cette dernière solution a souvent eu pour résultat d’aggraver la misère. C’est pourtant celle qui deviendra, au fil du temps, la plus probable si l’on ne fait rien, ou trop peu, comme c’est le cas avec la première approche, si méritoire qu’elle soit. La double alternative se réduit donc à un seul et unique choix, seul conforme à l’impératif catégorique de respect des droits humains : abolir la pauvreté et tirer de ce principe toutes les conséquences sous la contrainte librement consentie qui en découle. Aucun grand programme ne procurera l’éradication de la pauvreté. C’est son abolition proclamée qui, en créant des droits et des devoirs, mobilisera les véritables forces capables de rectifier l’état d’un monde en proie au paupérisme. Par le simple fait de fixer une priorité effective et contraignante, elle change la donne et concourt à façonner un monde différent. Donner un visage humain à la mondialisation est à ce prix et constitue au surplus la plus grande chance de développement durable à notre portée. La nouvelle Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Me Louise Arbour, lançait récemment le même type de message et d’appel. Elle a insisté sur « l’importance de travailler sur la relation existant entre pauvreté extrême et droits de l’homme ». Elle a, le 27 juillet 2004, abordé plusieurs questions clés touchant la « lutte contre l’extrême pauvreté ». Elle s’est dite convaincue de la nécessité de traiter les difficultés chroniques auxquelles sont confrontées des milliers de personnes, en particulier celles qui vivent dans les zones isolées ou dans les communautés rurales. Se référant aux nombreuses violations des droits de l’homme qui alimentent l’actualité, le terrorisme et les conflits ainsi qu’à la pauvreté, l’inégalité, la discrimination, la violence contre les femmes, les enfants, le trafic d’êtres humains, les personnes déplacées, l’injustice et l’impunité, elle a affirmé qu’il n’était pas possible de « rester indifférent face à ces violations ». (nos soulignés). Aux États-Unis, pays pourtant privilégié sur le plan économique mondial, on considère que déjà 15 % d'Américains vivent en dessous du seuil de la pauvreté et que le tiers des Américains ont un revenu inférieur à ce qu'il était en 1966. On calcule que, présentement, à l'échelle mondiale, le nombre de pauvres s'accroît au rythme effarant de 2 % annuellement, ce qui équivaut pratiquement à l'augmentation démographique du globe. À ce rythme, le nombre de pauvres devrait doubler en 30 ans. Les annuaires des Nations unies nous apprennent de plus qu'un milliard et demi d'êtres humains se situent à peine au seuil de la survie, et ce, malgré le fait qu'à peine 20 % des habitants de la planète se partagent convivialement entre eux plus de 80 % du PIB mondial ! Chez nous, au Québec, les chiffres ne sont guère plus encourageants ; ceux-ci nous apprennent que 16,5 % des Québécois vivent au seuil de la pauvreté... Les plus âgés vivent dans un sentiment mélangé de peur et de totale impuissance. Mais c'est, disons-le, définitivement chez les « nouveaux Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Discours d’ouverture Mais parlant des « EXCLUS », de quoi et de qui concrètement parlons-nous ? Dans un texte publié dans le journal Le Devoir (édition du 1er août 2000), le professeur Pierre Desjardins nous en jette la réalité en plein visage : Depuis les 30 dernières années, la situation de la pauvreté en Amérique n'a jamais été aussi étendue qu'actuellement. Il faut en effet remonter aussi loin qu'en 1962 pour retrouver une année où la situation a été similaire. 19 pauvres » issus de la classe moyenne et broyés par les progrès technologiques que la situation est plus difficile à vivre. Alors qu'à la fin des années 70, la pauvreté avait presque disparu en Occident, elle revient en force aujourd'hui (…) Au passage, je vous signale qu’au Canada, selon Statistiques Canada, 13,8 % des enfants de moins de 18 ans en 1998 vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, soit nettement plus qu’en 1989. Pour l’ensemble des familles canadiennes, le revenu, avant impôts et transferts, du quintile supérieur était 14,5 fois plus élevé que celui du quintile inférieur en 1998 contre seulement 11,4 fois plus élevé en 1989. Les deux tiers des personnes qui s’adressent à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour déposer une plainte, sont sans emploi et 50 % d’entre eux vivent de la sécurité du revenu. Écoutons encore le professeur Desjardins : En Grande-Bretagne, les pauvres sont passés de cinq millions, en 1979, à 14 millions, en 1992. Alors que 10 % des plus riches de la planète ont, dans l'ensemble, vu leur revenu monter de 62 %, les pauvres ont vu le leur baisser de 17 %. De plus en plus, dans les pays occidentaux, s'installe donc une « underclass » où le chômage, la drogue et la criminalité règnent. Selon les dernières statistiques, quatre à cinq millions d'Américains vivraient présentement dans la rue. Cela commence à faire pas mal de sans-abri... Discours d’ouverture Si le pauvre peut encore éventuellement posséder une utilité quelconque pour ce système, ne serait-ce que comme main-d’œuvre bon marché occasionnelle, on ne voit pas trop bien qu'elle pourrait être celle du sans-abri. On ne sait plus trop quoi en faire. Et encore, disent certains dirigeants, faut-il les nourrir ! On pourrait, par ailleurs, se demander si la classe de pauvres, de chômeurs et d'exclus, sans cesse grandissante dans nos sociétés, ne pourrait pas en venir à un moment donné à exercer un certain pouvoir politique. N'était-ce pas la révolte des pauvres et des exploités qui, en Russie lors de l'époque du marxisme-léninisme, avait provoqué la révolution ? Mais, disons-le loin de se regrouper ou de s'unir, les pauvres ont plutôt tendance à suivre la grande vague individualiste promue par le système économique. Ainsi optent-ils plutôt pour la formule opportuniste du « sauve-qui-peut » : non solidaires des autres, chacun d'entre eux tente de survivre du mieux qu'il peut et comme il le peut. La lutte des classes est, de nos jours, complètement obsolète. Le système du libéralisme économique, par son fulgurant pouvoir de persuasion auprès des masses, réussit facilement à endiguer toute révolte. Le clivage social qu'opèrent les différences de classes, bien qu'il soit de plus en plus marqué, n'a donc plus les effets révolutionnaires d'antan. Dispersées de par le monde, les différences sociales deviennent de moins en moins perceptibles et visibles, c'est-à-dire aussi de moins en moins repérables et attaquables. Car ce clivage entre les classes ne se situe plus comme autrefois au niveau national mais bien au niveau international : d'une part, il existe à l'échelle de la planète une classe d'élites reliées entre elles par de puissants réseaux de communication et qui, grâce à un système d'alliances économiques, gardent le contrôle sur l'économie et, d'autre part, il y a la masse de citoyens, « dressés » par les médias de masse à vouloir consommer toujours plus et perdus dans un monde dont le sens leur échappe complètement. Par ailleurs, plusieurs sociologues et notamment Bernard Laffargue et Thierry Godefroy établissent un lien entre récession économique et inflation carcérale. Loïc Wacquant considère que nous passons « de l'État social à l'État carcéral ». Écoutons des extraits d’un texte de Raphaël Meyssan intitulé : « L’emprisonnement des exclus » ; en premier, nous le verrons, il interroge : Dans les dictatures, on enferme les opposants politiques. Dans nos démocraties, enferme-t-on les exclus, ceux qui ne profitent pas du système ? Au départ de l'étude évoquée de Bernard Laffargue et Thierry Godefroy, un constat : les prisons sont principalement peuplées par des personnes pauvres. 20 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Puis ils enchaînent en nous disant : « La plupart des personnes arrêtées et condamnées à l'emprisonnement pour des infractions "traditionnelles" (vols, violences, et maintenant stupéfiants) sont issues des milieux touchés par la pauvreté et le chômage. Les détenus se distinguent nettement de l'ensemble de la population par leur situation socio-économique et leur place sur le marché du travail (chômeur ou sans profession définie). » Les deux chercheurs ont réalisé un parallèle entre le taux de criminalité et celui d'incarcération. Ils ont observé que l'augmentation du nombre des détenus est sans relation avec le nombre de crimes commis. Ils ont alors introduit une autre donnée : le taux de chômage. « La relation chômage-incarcération est vérifiée indépendamment des niveaux de criminalité enregistrée », expliquent-ils. Loïc Wacquant, professeur à l'université de Berkeley en Californie, ne se contente pas de constater le lien entre une situation économique médiocre et l'expansion des prisons. Il souligne aussi le rôle majeur de la politique : « L'État a choisi, dit-il, de se désengager de son rôle social et de privilégier le système carcéral… (…) En Californie, leader national, il y a peu en matière d'éducation et de santé publique, reconverti depuis dans le tout pénal, le nombre de détenus consignés dans les seules prisons d'État est passé de 17 300 en 1975 à 48 000 en 1985, avant de franchir le cap des 130 000, dix ans plus tard." (1995). En période de pénurie fiscale, l'augmentation des budgets et des personnels consacrés à l'emprisonnement n'a été possible qu'en amputant les sommes vouées aux aides sociales, à la santé et à l'éducation. Les États-Unis ont, de facto, choisi de construire pour leurs pauvres des maisons d'arrêt et de peine plutôt que des dispensaires, des garderies et des écoles. » Le professeur observe que le système pénal s'exerce : « (…) prioritairement sur les familles et les quartiers déshérités, et particulièrement sur les enclaves noires des métropoles. En témoigne [cette] tendance maîtresse de l'évolution carcérale des États-Unis : un "noircissement" continu de la population détenue qui fait que, depuis 1989 et pour la première fois de l'histoire, les Afro-Américains sont majoritaires au sein des établissements de détention, bien qu'ils ne pèsent guère que 12 % de la population du pays. Ainsi, un homme noir a presque une "chance" sur trois de purger au moins un an de prison, et un hispanophone une chance sur dix, contre une chance sur vingt-trois pour un Blanc. » Le 22 juillet 2003, le membre du Congrès des États-Unis, Directeur du Comité du Congrès sur les Droits Humains, Frank Wolf de la Virginie, a écrit dans sa déclaration de soutien au Rallie de Washington, DC, que : « L’Amérique doit être un pays qui défend la décence fondamentale et les droits humains. L’Amérique doit parler franchement pour ceux qui ne peuvent parler pour eux-mêmes – hommes et femmes qui sont persécutés pour leurs croyances religieuses ou politiques. Notre politique étrangère doit être une politique qui aide à promouvoir les droits humains et la liberté. Pas une politique qui se range du côté des dictateurs qui oppriment leurs propres citoyens dans le but d’améliorer notre prospérité commerciale. » Il a terminé sa déclaration avec une citation du discours d’acceptation d’Elie Weisel2, en 1986, lorsqu’il a reçu le Prix Nobel de la Paix : Discours d’ouverture Bernard Laffargue et Thierry Godefroy font le même constat en France : « On peut parler de "population cible" de la justice dans son circuit le plus répressif : un sousprolétariat et la population la plus fragile sur le marché du travail (jeunes et étrangers). » 21 2 NDLR Écrivain juif rescapé des camps nazis Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 « Le monde savait et il est resté silencieux (…) Nous devons toujours choisir. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté (…) partout où les hommes et les femmes sont persécutés à cause de leur race, religion ou points de vue politiques, l’endroit doit, à ce moment devenir, le centre de l’univers. » Pour le sociologue français Alain Touraine il est impossible de parler d’un phénomène de société – l’urbanisation croissante dans son cas – sans le replacer dans un contexte plus large, celui de la globalisation de l’économie qui est le moteur de notre époque transformant la planète en un seul monde (« one world »). La distinction Nord-Sud est dépassée. Il y a le Tiers-Monde dans les pays du Nord – « New York est une ville du Tiers-Monde » – dit-il – et des « Premiers Mondes » dans certaines villes du Sud (ou pays). Cette économie globalisante crée partout, de fait, une dualisation des sociétés. Et pour lutter pour l’éradication de la pauvreté, il nous faudra contribuer à abattre un autre paradigme bien décrit par Pierre Fortin, Andrew Sharpe et France St-Hilaire3, dans un texte publié dans le journal La Presse du 24 janvier 2001. « Jusqu’à récemment, bien des gens étaient encore d’avis que les inégalités de revenu favorisaient la croissance et qu’il existait un conflit entre la croissance économique et la recherche de l’équité. Selon ce point de vue, la relance de la croissance passait obligatoirement par la réduction des impôts pour les contribuables à revenu élevé. On considérait que cela était nécessaire pour les encourager à travailler, à investir et à demeurer au Canada. Mais la recherche récente a montré que les choses ne sont pas si simples. En fait, les inégalités peuvent avoir des conséquences négatives sur la productivité, et la mise en œuvre de politiques propres à réduire ces inégalités est de nature à favoriser la croissance. Contrairement à autrefois, on pense aujourd’hui qu’efficacité et équité vont de pair. Discours d’ouverture On reconnaît généralement que la richesse de notre société repose en grande partie sur le talent de ses membres et que le développement des ressources humaines est la clé de notre croissance économique. Mais les inégalités gênent ce développement : comparées aux personnes qui jouissent de revenus élevés, les personnes à faible revenu ont évidemment moins de moyens financiers, un accès plus limité au crédit et, par conséquent, moins de chances d’atteindre un niveau élevé de scolarisation. Une répartition moins inégale du revenu pourrait donc faciliter l’accumulation de capital humain chez les moins nantis et avoir un effet positif sur la croissance. On reconnaît même que le rendement économique d’un investissement accru en éducation est plus élevé pour les groupes moins fortunés que pour les plus instruits. 22 Les inégalités peuvent également être néfastes à la cohésion sociale. Au sein d’une société, l’existence d’écarts importants sur le plan du revenu, de la richesse et des chances de réussite peut être source de ressentiment chez les moins nantis et saper leur volonté de participer à la vie économique et sociale. À l’inverse, la réduction des inégalités peut développer la solidarité et la cohésion sociales, accroître la motivation de tous et favoriser la croissance. » Le professeur Philippe Aghion, économiste de l’Université Harvard, l’un des chefs de file dans les nouvelles recherches sur l’inégalité et la croissance, a récemment déclaré à ce sujet : « Au total, l’inégalité s’avère souvent néfaste pour la croissance. La redistribution, au contraire, favorise la croissance en donnant à chacun sa chance, en motivant les emprunteurs, en réduisant l’instabilité économique ou en faisant tout cela à la fois. Dans de telles circonstances, il n’y a pas contradiction entre les objectifs d’équité et d’efficacité. Les politiques conçues pour améliorer l’une ont alors un effet positif sur l’autre. (…) » 3 Pierre Fortin est professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Andrew Sharpe est directeur général du Centre d’études sur le niveau de vie (CENV) et France St-Hilaire est vice-présidente à la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 (…) Pour revenir aux propos de Pierre Sané, la Commission québécoise des droits de la personne et des droits de la jeunesse ne cesse de redire que la PAUVRETÉ constitue un déni des droits fondamentaux contenus dans la Charte québécoise des droits et libertés, loi prépondérante sur toutes les autres lois. L’heure est venue de : • donner aux droits économiques et sociaux la même prépondérance que celle dont jouissent déjà les autres droits, de sorte que le « contenu essentiel » des ces droits devra être respecté, et • de les renforcer (droit au logement, à l’éducation, à la santé, au travail, c’est-à-dire, le droit d’avoir accès à un ensemble de mesures et de programmes favorisant le plus haut niveau d’emploi, l’accès à l’emploi et la réinsertion professionnelle…). Il s’agit là de recommandations contenues dans le Bilan des 25 ans de la Charte québécoise, rendu public le 20 novembre 2003, recommandations remises à tous les membres de l’Assemblée nationale du Québec. En début d’exposé, je vous disais qu’à mon avis, il NOUS FAUDRA HAUSSER LE TON. Oui, il nous faudra OSER en ayant en tête cette terrible parole de Camus : « Je les méprisais, car, alors qu’ils pouvaient tant, ils ont osé si peu. » Il est utile de rappeler ces mots d’Eleanor Roosevelt, cette grande dame américaine qui a tant fait pour l’obtention de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Où commencent les droits de la personne ? Tout près de nous, en des lieux si près et si petits qu’ils ne figurent sur aucune carte du monde. Pourtant, c’est le monde d’une personne : le quartier où elle vit, l’école qu’elle fréquente, l’usine, la ferme ou le bureau où elle travaille. Là où tout homme, toute femme et tout enfant cherche la justice, des chances égales, une dignité universelle sans discrimination. Si ces droits ne veulent rien dire dans ces lieux, ils ne veulent rien dire nulle part. Sans une action des citoyens pour les préserver près de nous, nous chercherons en vain le progrès sur la planète. ». Je terminerai par cette citation de Michel Blum, représentant des ONG lors du 40e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui nous appelle à l’action et à un engagement renouvelé : « Il y a 40 ans, en ces lieux, fut proclamée la Déclaration universelle des droits de l’homme. Désormais, il faut choisir son camp. Être dans le droit des hommes ou bien choisir de s’en exclure. Les délégués des Nations Unies furent de grands esprits mais aussi des hommes à qui les siècles ont enseigné à se méfier d’eux-mêmes. Et la Déclaration universelle proclamée « idéal commun » sera à compléter par des pactes et des conventions. Progressivement seraient mis en place comités de surveillance et tribunaux supranationaux. (…) Ne sentons-nous pas que justice, solidarité, partage sont les conditions de la survie collective et que maintenant le temps presse. Les droits de l’homme…ou ne pas être. Utopie que tout cela : n’en croyez pas un mot. (…) Nous avons un devoir d’optimisme lucide. Écoutez ce proverbe chilien : « On entend le bruit du mur qui s’écroule mais jamais le bruit du blé qui pousse. » Discours d’ouverture Nous y pouvons tous quelque chose. Gardons en mémoire cette parole de l’anthropologue américaine, Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et déterminés puisse changer le monde ; en fait, c’est de cette seule façon qu’on a jamais pu le changer. » 23 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Présentation de la recherche comparative Un portrait des initiatives de formation par le travail et d’insertion socioprofessionnelle dans la francophonie Extraits du document présenté par Messieurs Jean-Marc Fontan, Gérald Larose, Marco Sylvestro et Yanick Noiseux (…) L’OBJET DE LA RECHERCHE L’objet de cette recherche est l’action sociale/l’action communautaire qui prend la forme particulière de l’insertion (ou de la réinsertion) socioprofessionnelle des personnes marginalisées, par une formation qui s’insère dans la pratique d’une activité économique réelle. En d’autres mots, elle concerne les initiatives de formation par l’exercice d’un métier ou d’une activité en entreprise commerciale (c’est-à-dire qui produit des biens et/ou des services, lesquels sont le plus souvent commercialisés). Ainsi, la monographie s’intéresse surtout aux initiatives d’insertion par l’activité économique ancrées dans le secteur marchand de l’économie. Les mots-clés pour comprendre ces initiatives sont donc les suivants : • Personnes marginalisées – Personnes exclues du marché du travail. • Insertion (ou réinsertion) socioprofessionnelle – Insertion économique • Formation par l’activité économique – Formation par le travail. Présentation de la recherche comparative Il convient d’introduire immédiatement des précisions quant à ces mots-clés qui balisent le champ d’intervention des associations/organismes/entreprises : • Les personnes marginalisées ou exclues du marché de l’emploi sont des citoyens qui, pour de multiples raisons, ne possèdent que de faibles compétences qui leur permettraient de s’insérer de façon autonome sur le marché de l’emploi. Elles traînent souvent une biographie difficile qui se caractérise par des échecs scolaires répétés, des difficultés sur le plan familial, des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, un déficit d’insertion dû à une immigration récente, peu ou pas de formation et d’expérience professionnelle, etc. • L’insertion ou la réinsertion socioprofessionnelle (insertion économique au Québec) consiste à faire en sorte que ces personnes puissent devenir autonomes d’abord sur le plan social, c’est-à-dire quant à leurs droits et devoirs de citoyen et quant à leurs relations sociales. Ensuite, sur le plan professionnel, c’est-à-dire quant à l’obtention et à la conservation d’un emploi qui leur permet de vivre dans des conditions décentes. En ce sens, les organismes qui dispensent une formation à ces personnes agissent selon une philosophie qui pose comme complémentaires les aspects professionnels et sociaux. De même, le projet pédagogique est un mélange d’apprentissages collectifs et de suivi individuel. • La formation par le travail ou formation par l’activité économique consiste à placer les stagiaires en situation réelle de travail (production de biens ou de services) afin de faire alterner les aspects pratiques de l’emploi (techniques de production, relations de travail, vie en entreprise) et les aspects plus théoriques assurés en classe. Les stages en entreprises sont aussi privilégiés dans ce projet pédagogique. 24 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE Les objectifs de cette recherche-action sont d’offrir un portrait comparatif des initiatives d’insertion socioprofessionnelle par l’activité économique dans quatre pays de la francophonie (Belgique, France, Québec, Suisse) en vue d’une meilleure compréhension du secteur et d’une Rencontre internationale des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle par l’activité économique (IAE). Plus précisément, la recherche poursuit les objectifs suivants : • Définir le concept de « système national d’insertion par l’économique ». • Présenter le champ sémantique de l’insertion par l’économique dans les quatre lieux de la francophonie (établir un glossaire, établir les équivalences et les nuances entre les différents termes utilisés). • Documenter les contextes d’intervention de l’insertion par l’économique en fonction des enjeux majeurs pour l’action des organismes, tels que définis par le CEIQ et ses partenaires internationaux. • Identifier les éléments innovants (mécanismes, mesures, politiques, pratiques, etc.) pouvant être l’objet de modalités de transfert d’un contexte national à un autre. • Analyser les données collectées, dégager des constats et des pistes d’action en vue de stimuler les activités de recherche et développement, de veille, de formation et de transfert en matière d’insertion par l’économique. La recherche a été réalisée sur une période d’une année et demie par l’analyse de documents pertinents. Les textes de loi, les politiques relatives à l’insertion par l’activité économique, les documents des institutions nationales, de même que ceux des acteurs impliqués dans l’insertion par l’activité économique ont été utilisés. Beaucoup d’information provient de sites Internet. Afin d’aller chercher des informations complémentaires et de valider notre interprétation des données recueillies, une correspondance par courriel a été entretenue avec des chercheurs et des acteurs des quatre pays concernés. De plus, un processus de validation des résultats de la recherche a été effectué au Québec et lors d’une mission réalisée en Belgique, France et Suisse au printemps 2004. Cette mission a permis de compléter les informations à notre disposition. La recherche que nous avons réalisée est donc limitée sur le plan des résultats et de l’analyse. À titre indicatif, les dynamiques concrètes présentes dans le secteur de l’insertion sociale et professionnelle n’ont pu être abordées, de même qu’un portrait fin et détaillé des modalités d’intervention pratiquées par les intervenants de l’insertion des quatre pays étudiés n’a pas été réalisé. Il est bien évident que les moyens limités de cette recherche n’ont pas permis la tenue d’entrevues avec des représentants de chacune des composantes du système d’intervention en insertion socioprofessionnelle. Seule une recherche plus approfondie pourrait nous renseigner sur les rapports concrets qu’entretiennent les acteurs entre eux ou sur les méthodes d’intervention mises en oeuvre. Cependant, comme l’objet de la recherche est de décrire le cadre institutionnel de l’insertion par l’activité économique, la méthodologie privilégiée permet d’atteindre l’objectif général que nous nous étions fixé. Au plan de l’analyse, les limites tiennent principalement au fait que l’équipe de recherche vient tout juste de compléter la phase de collecte et de validation des données. Le travail d’éditique a été réalisé de façon sommaire de façon à rendre les documents disponibles pour la tenue du Forum et la correction linguistique sur plus de 600 pages a été faite très rapidement pour les besoins de la cause. Enfin, tout un travail d’analyse des données reste à accomplir, tant en ce qui a trait aux informations concernant chaque espace national qu’à la nécessité de conduire une analyse comparative. Lorsque nous avons lancé le projet de recherche, il y a un peu moins de deux années, nous croyions pouvoir réaliser rapidement le portrait pour chacun des espaces nationaux, c’était sans compter sur la complexité de l’objet étudié et surtout sans prendre en considération l’ensemble de difficultés qui découlent d’une recherche disposant de peu de ressources et devant à la fois tenir compte du cadre universitaire et d’une situation de recherche tributaire de données et d’informations demandant la coopération de répondants internationaux très occupés par leurs activités professionnelles. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Présentation de la recherche comparative MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 25 Après coup, nous sommes conscients qu’une telle aventure demande une mobilisation plus grande de ressources, mais aussi un consensus et une implication plus forte sur l’objet même de la recherche de la part des parties prenantes nationales concernées. Somme toute, nous sommes non seulement convaincus de la pertinence de conduire une telle opération de recherche pan nationale sur l’insertion par l’activité économique, mais aussi de l’importance qu’il y a d’élargir le champ des observations à d’autres dimensions, dont celle de l’intervention en considérant le point de vue d’autres acteurs, tant les représentants des législateurs que les bénéficiaires ou les gens d’affaires, et d’élargir aussi le travail de présentation de situations nationales en répertoriant les dispositifs présents dans d’autres pays non seulement européens (Grande-Bretagne, Italie, pays scandinaves, pays d’Europe de l’Est, Espagne, Grèce, etc.), mais aussi des Amériques (Canada hors Québec et États-Unis) et surtout de pays ayant des traditions d’intervention en la matière très différentes, nous pensons plus particulièrement aux pays de l’hémisphère Sud (Amérique latine et Afrique). LA SYNTHÈSE – UN SURVOL Le présent document reprend deux éléments des quatre monographies produites, à savoir le texte introductif au contexte national et les enjeux identifiés par les acteurs nationaux. Présentation de la recherche comparative Le texte introductif au contexte national est reproduit intégralement. Par contre, les enjeux sont présentés sous le format de points de forme résumant les idées centrales qui se dégagent des propos des acteurs de l’intervention ou de documents officiels. Ces propos sont principalement ceux des intervenants directs de l’activité d'insertion. Les enjeux dégagés pourraient varier considérablement si nous avions tenu compte des points de vue des législateurs, des gens du milieu des affaires, d’autres organisations de la société civile et, bien entendu, des bénéficiaires ou des usagers qui fréquentent les dispositifs « insertifs » considérés dans cette recherche. Le présent document contient deux sections. Une première fait un bref survol des contextes nationaux de la Belgique, de la France, du Québec et de la Suisse. Une deuxième partie présente les principaux enjeux en matière d’insertion par l’activité économique tels qu’ils se dégagent pour chacun des espaces nationaux décrits. Contextes nationaux en matière d’insertion par l’activité économique LA BELGIQUE : une fédération décentralisée à la configuration institutionnelle unique Le découpage politique et administratif de la Belgique est le suivant : le pays est une monarchie constitutionnelle qui est passée, en 1970, d’État unitaire à État fédératif, et qui a amorcé un processus de décentralisation échelonné sur plusieurs années (1970, 1980, 1988-89, 1993). Il en résulte aujourd’hui, en plus du pouvoir fédéral exercé par le roi et le Parlement fédéral, d’une part, trois Communautés culturelles et langagières : la communauté francophone qui se retrouve en Wallonie et à Bruxelles, la communauté néerlandophone qui habite la Flandre et enfin une petite communauté germanophone qui se regroupe surtout au sud-est du pays. D’autre part, trois régions : la Wallonie, la Flandre et Bruxelles-Capitale. Les compétences en matière d’insertion socioprofessionnelle et de formation des adultes sont surtout le fait des trois régions. La monographie produite sur la Belgique se concentre sur la communauté francophone, soit sur les régions wallonne et bruxelloise. À l’intérieur de ce découpage géographique, les instances politiques et les administrations publiques pertinentes sont celles de la Région Wallonne, du Collège de la Commission communautaire française de Bruxelles-Capitale (Cocof) et, dans une moindre mesure, celles de la Communauté française de Belgique et de l’État fédéral. L’étude réalisée a surtout concerné les actions des membres de trois grands réseaux : l’Interfédération des EFT et OISP de Wallonie (l’Interfédération), la Fédération bruxelloise des opérateurs de l’insertion socioprofessionnelle (FéBISP) et le Réseau d’économie sociale (RES) (ce dernier n’étant 26 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 qu’un des multiples réseaux qui regroupent des entreprises d’insertion). Ces trois réseaux regroupent plus de 220 organismes qui s’occupent d’insertion et de réinsertion socioprofessionnelle et de création d’emplois pour les personnes les plus éloignées du marché de l’emploi. De tous ces acteurs locaux, près de 70 sont des entreprises de formation par le travail (EFT) ou des ateliers de formation par le travail (AFT) à Bruxelles. La monographie sur la Belgique se décline en quatre parties. Comme la compétence en matière d’insertion socioprofessionnelle est dévolue aux régions, nous avons constaté qu’il était plus simple de présenter alternativement la situation dans les deux régions qui nous intéressent. La première partie concerne la région wallonne. Elle débute par un historique des actions locales et une définition de l’insertion socioprofessionnelle. On présente ensuite le cadre de reconnaissance des organismes. En troisième lieu, on fait le tour des institutions publiques pertinentes pour ensuite se pencher sur le dispositif d’insertion. La première partie se termine par la présentation détaillée des caractéristiques des acteurs locaux que sont les EFT, OISP et EI. C’est alors l’occasion de se pencher sur leur nombre et sur leurs filières d’activités, sur leur projet pédagogique ainsi que sur leurs organes fédératifs. La seconde partie concerne la région de Bruxelles et elle se divise comme la première (historique, cadre de reconnaissance, institutions, parcours d’insertion, acteurs locaux). La troisième partie se penche sur les caractéristiques des stagiaires qui utilisent les services des organismes d’insertion socioprofessionnelle. La clientèle des organismes d’insertion socioprofessionnelle en est une qui cumule souvent plusieurs déficits sociaux. La dernière partie expose les enjeux actuels pour le secteur de l’insertion socioprofessionnelle en Belgique. La France est un État unitaire qui a amorcé au début des années 1980 un processus de déconcentration des pouvoirs publics et de décentralisation des administrations publiques (prenant la forme des « services déconcentrés » de l’État). En substance, cela signifie que les politiques sont encore définies à l’échelon national, mais que les pouvoirs départementaux et locaux ont de plus en plus de marge de manœuvre dans leur mise en œuvre locale. En ce qui concerne l’insertion par l’activité économique, son orientation générale est donnée par la Loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. C’est le ministère du Travail qui est responsable de son application. À l’échelon national, ce sont plus spécifiquement la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la Direction générale de l’action sanitaire et sociale (DGASS) qui sont responsables de l’application de la Loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. L’ensemble du dispositif relatif à l’insertion par l’activité économique en France est administré par le Service public de l’emploi (SPE). Le Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE), sous la tutelle du ministère du Travail, a un rôle consultatif auprès des décideurs, notamment concernant le conventionnement des structures d’IAE (insertion par l'activité économique). Le CNIAE réunit des élus, des administrateurs et des représentants des différents réseaux de l’IAE en France. À l’échelon régional, la Direction générale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) est responsable de la mise en œuvre des mesures de formation professionnelle des chômeurs (à l’exception des mesures destinées aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) dont la responsabilité incombe aux administrations départementales), notamment ceux intégrant une structure d’insertion par l’activité économique. Le Conseil régional est responsable du développement économique, de la formation professionnelle et, depuis 2003, des missions locales pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. À l’échelon départemental, ce sont la Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS) et la préfecture qui sont responsables du conventionnement des acteurs de l’insertion par l’activité économique. Les Conseils départementaux de l’insertion par l’activité économique (CDIAE), qui rassemblent les acteurs locaux concernés, tiennent un rôle consultatif. À l’échelon local (communes), les maires et les autres acteurs peuvent être rassemblés dans des « Plans Locaux pour l'insertion et l'emploi » (PLIE). Présentation de la recherche comparative LA FRANCE : un État unitaire en décentralisation administrative 27 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Fin 2002, on dénombrait en France 948 (980 en 2001) associations intermédiaires (AI), 856 (869 en 2001) entreprises d’insertion (EI) et 263 (279 en 2001) entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI). Ainsi, plus de 2 067 structures ont été conventionnées par les préfets (Dares, 2003). Ces différentes structures — AI, EI et ETTI — ont employé 227 700 salariés au cours de l'année 2001, soit environ 38 000 emplois en équivalents temps plein (Céalis, 2002). Ces trois types de structures se situent dans le secteur marchand de l’insertion par l’activité économique, toutes trois s’inscrivent dans l’économie de marché tout en mettant de l’avant un projet social d’insertion de personnes marginalisées. Ces entreprises et associations se sont regroupées en fédérations régionales et nationales. Le Comité national des entreprises d’insertion (CNEI) est la fédération des Unions régionales d’entreprises d’insertion (UREI) et des Unions régionales des structures d’insertion par l’économique (URSIE). Le CNEI représente plus de 550 acteurs locaux (SIAE). Une autre fédération, la Fédération COORACE représente aussi près de 500 membres, dont plus du tiers des AI conventionnées. COORACE représente autant des structures d’IAE du secteur marchand que du secteur des travaux d’utilité publique. Présentation de la recherche comparative Cette recherche est donc limitée sur le plan des dynamiques concrètes, microsociologiques, qui régissent le secteur de l’insertion socioprofessionnelle. Seuls des entretiens approfondis pourraient nous renseigner sur les rapports concrets qu’entretiennent les acteurs entre eux. Cependant, l’objet de la recherche est de décrire le cadre institutionnel de l’insertion par l’activité économique et la méthodologie privilégiée permet d’atteindre les objectifs fixés. 28 La monographie sur la France est divisée en quatre parties. La première balise le secteur de l’IAE en France. On y présente d’abord son historique, puis les définitions qu’on lui a données, à travers l’environnement législatif et le cadre institutionnel mis en place par l’État français et, enfin, les principales aides et les subventions disponibles. La seconde partie présente les acteurs locaux (EI, ETTI, AI, chantiers-écoles), les regroupements d’acteurs (CNEI, UREI, COORACE, FNARS, CNLRQ, chantiers-écoles), les institutions publiques liées à l’IAE (DGEFP, DRTEFP, DDTEFP, Préfecture, ANPE, ALE) et les différentes instances de concertation (CNIAE, CDIAE, PLIE). La troisième partie concerne les « parcours d’insertion » ainsi que les caractéristiques socio-économiques des publics qui utilisent les structures de l’insertion par l’activité économique. On y expose, entre autres, certaines statistiques sur les activités des différentes structures d’insertion (EI, AI, ETTI). Enfin, la quatrième partie concerne les enjeux politiques actuels de l’insertion par l’activité économique en France. LE QUÉBEC : L’insertion par l’activité économique au Québec, gestion provinciale et financement fédéral Le Québec est l’une des dix provinces de la fédération canadienne. Au Canada, les politiques concernant l’assurance-chômage, devenue assurance-emploi, relèvent du gouvernement fédéral alors que le secteur de l’éducation est de compétence provinciale. Ainsi, en vertu de l'entente Canada-Québec relative au marché du travail, intervenue en avril 1997 et entrée en vigueur le 1er janvier 1998, le Québec est responsable des mesures actives d'emploi dont bénéficient les participants de l'assurance-emploi ainsi que de certaines fonctions du Service national de placement auxquelles peuvent avoir recours les usagers de l'assuranceemploi. Ces mesures et fonctions sont financées par le Compte d'assurance-emploi dont le Canada est responsable. Au Québec, c’est donc Emploi-Québec, agence (unité autonome) au sein du ministère de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille du gouvernement du Québec (MESSF), qui est responsable de gérer la politique liée à l’insertion par l’activité économique. Cette agence est née de la fusion, en 1998, de différents services d'emploi et de main-d'œuvre. La fusion avait alors comme objectif de faire converger l'ensemble des efforts et des ressources en cette matière vers les grands objectifs du Québec. Ce sont les instances régionales d’Emploi-Québec qui sont aujourd’hui responsables de l’accréditation et du financement des entreprises d’insertion. En mai 2003, Emploi-Québec avait accrédité 29 entreprises d’insertion. Pour leur part, les Centres locaux d’emploi (CLE) administrent les « ententes de service » entre les entreprises d’insertion et Emploi-Québec. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 En mars 1998, le Cadre de reconnaissance et de financement des entreprises d’insertion est signé par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Ce cadre décrit les modalités opérationnelles menant à l'établissement de la reconnaissance des entreprises d’insertion dont la grande majorité est regroupée au sein du Collectif des entreprises d’insertion du Québec (CEIQ). Le CEIQ est le seul regroupement provincial d’entreprises d’insertion au Québec. Il n’a pas d’antenne régionale. Le CEIQ regroupe 42 des 51 entreprises d’insertion au Québec (38 en 2001). Celles-ci sont présentes dans 11 régions administratives différentes. C’est à Montréal que l’on en retrouve le plus grand nombre — dix-neuf —, soit près de la moitié. Plus de 66 activités d’apprentissage distinctes sont offertes à travers le réseau des EI. Le réseau a accueilli plus de 2 600 participants-travailleurs en 2002. Près de 600 personnes sont employées de façon permanente dans les EI (responsables de l’accompagnement, de la production, directeur, personnel administratif, etc.). La vente de produits et services par ces entreprises génère plus de 20 millions de dollars dans l’économie québécoise. La monographie sur le Québec est divisée en quatre parties. La première balise le secteur de l’insertion par l’activité économique au Québec. On y présente d’abord l’historique de l’IAE, puis les définitions qu’on lui a données, l’environnement législatif et le cadre institutionnel mis en place par le gouvernement du Québec ainsi que les principales aides et le financement disponible. La seconde partie présente en détail les différents acteurs locaux (EI), le regroupement d’acteurs (CEIQ), les institutions publiques liées à l’IAE (MSSS, EmploiQuébec, CLE, etc.) et les différentes instances de concertation (Comité du suivi du cadre de reconnaissance et de financement, Comité consultatif régional-Accréditation des entreprises d’insertion, etc.). La troisième partie concerne les « parcours d’insertion » ainsi que les caractéristiques socio-économiques des participants-travailleurs qui travaillent dans les structures de l’insertion par l’activité économique. Enfin, la quatrième partie concerne les enjeux politiques actuels de l’insertion par l’activité économique au Québec. LA SUISSE ROMANDE : L’insertion par l’activité économique, un secteur d’intervention en émergence La Suisse est une nation multiculturelle et multiconfessionnelle régie par une constitution fédérale. Le terme Confédération désigne l’état fédéral en Suisse et ses compétences sont fixées par la constitution. La Confédération est notamment compétente en matière de politique étrangère, de politique de sécurité, de douanes, de monnaie et de la législation de la Confédération; lorsque celle-ci s'applique à tout le territoire national. Elle est généralement compétente dans tous les domaines qui touchent à l'intérêt général. Les tâches qui ne relèvent pas expressément de sa compétence sont du ressort des cantons ou des communes. Le territoire suisse est divisé en 23 cantons. Le canton le plus récent, le Jura, a été créé en 1978. Les cantons sont des États qui se sont réunis petit à petit dès 1291 pour donner naissance à la Confédération (1848) en lui transférant ainsi une partie de leur souveraineté. Chaque canton ou demi-canton a sa propre Présentation de la recherche comparative L’activité des entreprises d’insertion au Québec se situe dans le secteur marchand de l’économie. Toutes s’inscrivent dans l’économie de marché tout en mettant de l’avant un projet social d’insertion de personnes marginalisées. Dans le cadre de cette monographie, comme il a été stipulé par les directives de recherche, nous limiterons notre analyse de l’IAE au Québec aux entreprises d’insertion membres du CEIQ. Cependant, étant donné les relations étroites qu’entretiennent les acteurs du secteur de l’insertion par l’activité économique avec d’autres organismes dont la mission se situe en périphérie de l’IEA, ces derniers seront aussi mentionnés à l’occasion. En amont des initiatives d’insertion par l’économique qui prennent la forme d’une « entreprise d’insertion » se trouvent, par exemple, des organismes qui proposent des services d’accueil, de « counselling » (organismes communautaires, les CDEC, etc.) ou encore des services de francisation (éducation aux adultes dans le réseau public, organismes communautaires, etc.). D’autre part, en aval, s’adressant à des personnes en fin de parcours, il y aussi des organismes qui offrent des services de référence auprès des employeurs, des services de placement, du « suivi en emploi » ou encore un soutien à la création d’entreprises ou au travail autonome. Soulignons enfin qu’à l’intérieur même de l’entreprise d’insertion, ce type de service est bien souvent rendu disponible. 29 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 constitution, son parlement, son gouvernement et ses tribunaux. Les parlements cantonaux comptent de 58 à 200 sièges, et les gouvernements cantonaux cinq, sept ou neuf personnes. En ce qui a trait aux « portes d’entrée » de l’IAE en Suisse, soulignons que les personnes bénéficiant de l’assurance-chômage ou de l’aide sociale peuvent consulter les Offices d’Orientation et Formation Professionnelle (OOFT) (dans les cantons), qui, dans certains cas, ont développé des prestations dans l’évaluation des acquis, des portfolios voire de certification. D’autre part, les Offices régionaux de placement (ORP) gèrent les mesures actives et le placement des chômeurs. Dans ce dernier cas, c’est le gouvernement fédéral qui finance la prestation des services qui, par ailleurs, sont gérés au niveau cantonal. Cette courte présentation de l’organisation politique de la Suisse met en relief les structures différenciées ainsi que les fortes variations en ce qui concerne les champs de compétences entre les paliers fédéral, cantonal et communal. Il semble que ce type d’organisation rend difficile l’établissement d’une ou des définitions gouvernementales de l’insertion par l’activité économique. Ainsi, on constatera qu’en Suisse, contrairement aux cas français, belge et québécois, les entreprises sociales d’insertion par l’économique ne correspondent à aucune définition précise. Pour plusieurs, cette absence de définition constitue un frein au développement des structures d’IAE. De plus, ceci constitue également un frein à l'organisation en fédération ou en réseau. Présentation de la recherche comparative Il semble d’ailleurs que cette absence de définition se répercute sur l’organisation en association professionnelle nationale des entreprises sociales d’insertion par l’économique qui demeure encore très partielle en Suisse. Certains réseaux, parfois éphémères, se sont constitués, notamment le réseau genevois Réinsertion où va-t-on. Ce réseau informel comprenait plusieurs entreprises sociales d’insertion, notamment : Réalise (Genève), l’Orangerie (Genève), SOS Femmes (Genève), La Thune (Valais), Emploi et Solidarité (Fribourg) et Caritas-Jura (Jura). Bien que le réseau « Réinsertion où va-t-on » n'existe plus, ce fut le premier pas vers la constitution du RÉSOL. Pour cette raison, il nous a paru important d’en relever l’existence, bien qu’elle fut éphémère. 30 Ainsi, au niveau régional, le RÉSOL, Réseau alémanique économie solidaire/entreprises sociales, a été constitué récemment et a pour ambition de fédérer des organisations de l'économie sociale (et pas seulement des ESIE). Face aux difficultés de fédérer les organisations de l'économie sociale directement au niveau romand, il a été décidé que le RÉSOL deviendrait un groupe de travail francophone de l'AOMAS. Dans le canton de Genève, l'association APRES a été créée fin 2003, pour réseauter au niveau de la région genevoise les organisations de l'économie sociale et solidaire, dont les ESIE. Dans le cadre de cette monographie, comme il a été stipulé par les directives de recherche, l’analyse de l’IAE en Suisse portera surtout sur les entreprises sociales d’insertion relevant du secteur marchand. Cependant, les relations étroites qu’entretiennent les acteurs du secteur de l’insertion par l’activité économique font en sorte que les activités en périphérie de l’IAE seront aussi mentionnées à l’occasion. En Suisse, l’absence de définition institutionnelle de l’insertion par l’activité économique fait en sorte que les entreprises sociales d’insertion par l’économique ne sont pas circonscrites à un secteur précis de l’économie. Ainsi, parmi les entreprises se qualifiant d’entreprises sociales d’insertion, on trouvera, à la fois, des entreprises opérant dans le secteur marchand de l’économique et dans le secteur qu’on a appelé le secteur de l’utilité publique. De plus, dans le cas suisse, la distinction entre les entreprises s’adressant à des personnes exclues du marché du travail et celles employant des « personnes handicapées » au sens de la loi sur l’assurance-invalidité n’est pas aussi tranchée que dans les cas français, québécois ou belge. Cette précision étant faite, il faut aussi souligner qu’il existe différents types de structures et de services se situant en amont des initiatives d’insertion par l’économique qui prennent la forme d’une « entreprise sociale d’insertion », notamment les ateliers pour personnes handicapées (bénéficiaires de l'AI), qui font de « l'économique », mais sans perspective de réinsertion (ou de manière très partielle). D’autre part, en aval de l’IAE, notamment pour des personnes ayant complété leurs parcours en ESIE (mais non exclusivement, car les services sont généralement ouverts à tous), de nombreux services ont été mis en place. Certains cantons ont prévu des mesures d’accompagnement pour les personnes bénéficiant de l’aide Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 sociale ou des mesures de type revenu minimum pour retrouver un emploi. Les cantons peuvent ainsi financer aussi certaines institutions qui offrent du travail avec des rémunérations minimums. D’autre part, la LACI (Loi fédérale sur l'Assurance-Chômage et Insolvabilité) prévoit des « aide au démarrage d’entreprise » aux personnes ayant droit aux indemnités chômage et voulant exercer une activité à titre de travailleur indépendant. Dans l’ensemble, ces services se situent à la périphérie de l’IAE, ils ne seront pas abordés directement dans la monographie. Comme il a été stipulé par les directives de recherche, l’analyse de l’IAE en Suisse porte sur les entreprises sociales d’insertion (ESIE) relevant du secteur marchand. Cependant, les relations étroites qu’entretiennent les acteurs du secteur de l’insertion par l’activité économique font en sorte que les activités en périphérie de l’IAE seront aussi mentionnées à l’occasion. Quant à eux, les « entreprises sociales d’insertion par l’économique » (ESIE) produisent des biens et/ou des services, tout en mettant de l’avant un projet social d’insertion de personnes marginalisées, ce qui correspond à la définition de l’IAE utilisée dans le cadre de la recherche. En terminant, soulignons qu’il n’existe pas de recensement national ou cantonal des ESIE en Suisse qui nous permettrait d’en présenter un portrait global (nombre d’ESIE, leur taille, nombre d’accompagnateurs, nombre de collaborateurs, etc.). Les défis et enjeux politiques actuels BELGIQUE Enjeux perçus en Belgique (FéBISP) : • Défi de la consolidation, • Application de l’accord non-marchand, • Vers une meilleure définition du partenariat associatif, • Défi de l’évolution, • Face au marché de l’emploi et à son évolution, • Penser en termes de parcours d’insertion dits de socialisation, • Développer une formation qualifiante, • Défi d’une intervention citoyenne : l’insertion comme un des maillons de l’intervention sociale. Enjeux perçus en Belgique (RES) : • Une position de renforcement de la dynamique de croissance du secteur des entreprises sociales, • Des actions pour faciliter les interventions auprès des demandeurs d’emploi particulièrement difficile à placer, • Développer des « ressourceries » et des « serviceries », • Développer un chantier SFS, • Mettre en place des cellules d’économie sociale au niveau régional. Présentation de la recherche comparative La monographie sur la Suisse est divisée en trois parties. La première balise le secteur de l’insertion par l’activité économique en Suisse. On y présente d’abord l’historique de l’IAE, puis les définitions qu’on lui a données, l’environnement législatif et le cadre institutionnel mis en place par les différents paliers de gouvernements ainsi que les principales aides et les subventions disponibles. La seconde partie présente en détail les différents acteurs locaux (ESI), le regroupement d’acteurs (Réinsertion où va-t-on, RÉSOL, APRES, AOMAS), les institutions publiques liées à l’IAE (SECO, ORP, OOFP, cantons et communes) et la seule instance de concertation (Conférence suisse des institutions d’actions sociales). Enfin, la troisième partie concerne les enjeux politiques actuels de l’insertion par l’activité économique en Suisse. 31 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 FRANCE Enjeux perçus par le CNEI • Enjeux concernant le public : dans une situation de multiplication des dispositifs, il s’agit de contrer la distanciation et la perte de confiance entre les publics et les professionnels ; • Les rapports de l’IAE aux politiques publiques et aux acteurs locaux : inscrire l’IAE comme une démarche de développement local, ce qui implique des partenariats et des alliances ; • Enjeu de la communication pour bien dégager la spécificité et l’identité des IAE ; • Les enjeux de la reconnaissance et du rapprochement entre réseaux au niveau européen ; • Enjeux liés au Contrat d’insertion revenu minimum d’activité (CI-RMA) ; • Une certaine levée de boucliers contre une mesure qui favorise une intégration forcée et précarisée des publics de l’insertion dans le marché du travail. Présentation de la recherche comparative QUÉBEC • Le défi de l’aggravation des problématiques des participants : des populations plus lourdement affectées que par le passé ; • L’enjeu de la formation globale : favoriser une reconnaissance du modèle de formation et d’apprentissage réalisé en cours d’insertion par le ou la participant(e); • Le défi de la vie démocratique : l’entreprise d’insertion est un espace démocratique à développer et à protéger contre certaines tentatives externes visant à amoindrir la vie démocratique qu’on y rencontre ; • La question du développement des entreprises d’insertion par l’adoption de critères d’évaluation et de productivité sociale et économique adaptés à leur spécificité ; • Les rapports avec le milieu : des développements sont à faire en fonction des différents types d’acteurs avec lesquels les EI du Québec interagissent : - le milieu communautaire, - le secteur privé, - la société civile, - l’État, - les syndicats. SUISSE • • • Une situation spécifique d’un secteur en émergence : tout est en démarrage, dès lors : - la question de la reconnaissance, - carence au plan de formes juridiques adaptées, - problèmes généraux d’intervention spécifiques à l’insertion par l’économique dans un contexte faiblement institutionnalisé. Des enjeux politiques particuliers en termes : - de manque de cohérence dans les politiques publiques ; - d’absence de mesures actives. Les débats liés à la substitution d’emploi : l’insertion qui substitue des emplois qui relevaient du secteur public ou qui colonisent le domaine du marché. 32 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 CONCLUSION La réalisation de cette recherche nous a permis de dégager quelques constats. Premièrement, force est de constater que les contextes politiques, économiques, associatifs ou civiques de chaque entité nationale pèsent lourdement sur la nature et la structuration des dispositifs en matière d’insertion par l’activité économique. S’il y a une convergence dans la problématisation de la question sociale de l’exclusion et un consensus sur la mise à l’écart de certaines populations, les façons d’agir pour répondre à cette question se teintent d’une culturalité qui permet certes d’identifier des racines communes ou une parenté d’action, mais aussi une diversité de pratiques. Au-delà d’une certaine langue commune, nous sommes confrontés à la présence de quatre dialectes bien distincts. D’où l’importance du travail que nous avons fait pour dégager les champs sémantiques et les réalités institutionnelles propres à ces quatre univers. Sans cette compréhension, il devient difficile d’établir des échanges et de s’inspirer réciproquement en favorisant des activités de transfert et de mise en proximité. Troisièmement, les contextes institutionnels sur l’insertion par l’activité économique nous ont révélé une forte imbrication entre les dispositifs associatifs (Europe) et communautaire (Québec) et l’appareil public. En fait, les quatre monographies mettent en scène deux acteurs fortement liés et dépendants l’un de l’autre, mais pas avec le même type de dépendance et de pouvoir. Ce constat nous renvoit au cadre fordiste et keynésien de structuration du devenir sociétal à un moment où ce cadre perd de son acuité pour expliquer et mobiliser les acteurs sociaux. En d’autres mots, le cadre relationnel de l’insertion par l’activité économique donne l’impression d’être resté figé dans un mode de gestion fordiste et keynésien des rapports sociaux. Cette situation fait en sorte que les cadres d’intervention se définissent principalement en fonction de paramètres nationaux, sans tenir compte de la mondialisation, de l’évolution des situations économiques, des transformations identitaires. Ceci nous amène à formuler un questionnement sur le renouvellement de la capacité d’innovation sociale et économique des structures ou des dispositifs d’insertion par l’activité économique. En étant trop collé par rapport à chaque réalité nationale, tant sous son l’angle des politiques publiques que de la configuration du marché du travail, la capacité d’innovation des acteurs sociaux de l’insertion ne se trouve-t-elle pas « cadenassée » par une certaine rationalité de gestion en douceur d’une forme de marginalité socio-économique ? En étant centré sur des réponses très adaptées à des spécificités nationales, est-on en mesure de réfléchir et d’agir plus politiquement sur les causes et la remise en question des processus producteurs d’exclusion socio-économique ? N’en arrive-t-on pas à faire une bonne ou une très bonne intervention professionnelle et paradoxalement à réaliser une faible intervention citoyenne ? N’en arrive-t-on pas à agir uniquement en amont du marché du travail pour préparer une population à ce dernier sans responsabiliser les gens d’affaires et les syndicats sur leurs responsabilités eu égard à l’adaptation de l’entreprise à une main-d’œuvre « culturellement » diversifiée dans sa prédisposition à entrer dans le moule d’un « bon type de comportement au travail » ? Ce questionnement, nous pouvons le retrouver en filigrane dans les enjeux identifiés par les acteurs de l’insertion par l’activité économique. Il propose de questionner les politiques publiques et le marché du travail (Suisse), de ne pas s’asseoir sur les acquis d’une reconnaissance publique et de se commettre par rapport à de nouveaux enjeux (France), de travailler à faire reconnaître l’expertise formatrice des entreprises d’insertion (Québec), de penser l’insertion comme un maillon de l’intervention sociale (Belgique). Présentation de la recherche comparative Deuxièmement, nous avions l’intention d’identifier et de caractériser les systèmes d’acteurs. Les résultats de cette recherche permettent de déceler des systèmes d’acteurs. Elle permet moins de définir les cadres d’intervention spécifiques relevant d’acteurs autres que ceux de l’insertion ou des agences publiques. Cette recherche dit peu de chose sur l’acteur privé, sur l’acteur syndical et sur les populations en situation d’insertion. Nous avons abordé ce qui est au centre apparent, reste à identifier ce qui relève d’une autre « centralisé », à savoir les populations visées, les bénéficiaires ou les usagers, et surtout les populations silencieuses, les gens d’affaires, sans qui il est difficile d’avoir une action intégrée en matière d’insertion. Ces acteurs occupent une fonction clé tant en ce qui concerne les causes de l’exclusion que les résultats de l’intégration au marché du travail. 33 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 En fait, on décèle une volonté de renouer avec la capacité innovante du mouvement social que représente l’insertion par l’activité économique, mais aussi une difficulté à sortir du moule confortant découlant des gains ou des acquis en termes de reconnaissance publique. Lorsqu’il est question de réfléchir à la grande question de la démocratisation de l’activité socio-économique par et dans l’activité insertive (Québec) ; de dénouer le problème de l’intervention auprès des demandeurs d’emploi difficile à placer (Belgique) ; de se rapprocher des publics en court-circuitant l’effet de distanciation découlant d’une professionnalisation de l’intervention (France) ; de trouver des formes juridiques appropriées aux besoins portés par les organisations insertives (Suisse). Présentation de la recherche comparative Si les enjeux sont variés, ils portent faiblement sur la production d’outils collectifs au niveau national. Est-ce à dire que les dispositifs sont bien nantis ? Qu’il n’y a plus de besoins à cet effet ? Nous lançons la question. Nous y joignons aussi une autre question ; est-il nécessaire de développer des outils collectifs à l’échelle internationale de façon à faciliter les transferts, les échanges, les mises en proximité et des actions conjointes auprès des législateurs et des grands acteurs économiques ? 34 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence : les rapports avec les acteurs du milieu 19 octobre 2004 Quatre conférenciers ont tenté de cerner les enjeux à la fois très complexes et variés du rapport des entreprises d’insertion avec leur milieu respectif. Ce sont Jean-Paul Héliot de France, Gabriel Maissin de Belgique, Esther Widmer de la Suisse et Chantal Aznavourian du Québec. Leurs présentations se sont inscrites dans la continuité des conférences prononcées la veille par les chercheurs de l’Insé. Le positionnement des entreprises d’insertion : un mode d’action sociale développé au cœur de l’économie marchande concurrentielle Allocution de monsieur Jean-Paul Héliot, Président du Comité national des entreprises d’insertion RAPPEL HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION DU POSITIONNEMENT DES ENTREPRISES D’INSERTION Nées dans la fin des années 70 des initiatives de travailleurs sociaux, les entreprises d’insertion constituent une des importantes innovations de l’action sociale des 25 dernières années. Dans leur sillage se développeront progressivement d’autres formes d’interventions recourant à l’activité économique comme moyen d’action destiné à favoriser l’insertion sociale et professionnelle de personnes cumulant des difficultés particulières d’emploi. Les entreprises d’insertion trouvent leur premier appui réglementaire dans la circulaire du 10 septembre 1979, dite circulaire 44, qui pose les premières bases de « l’insertion dans la vie économique pour les personnes en difficulté ». Cette circulaire prend acte des expériences développées visant à sortir des pratiques institutionnelles et individuelles de l’assistanat, inverser les flux économiques, activer les dépenses sociales passives en abondant la création de plus value générée par la production. Aujourd’hui, les entreprises d’insertion ce sont, 950 entreprises de production, 240 entreprises de travail temporaire, environ 35 000 salariés, plus de 30 métiers développés au service de l’insertion. En 25 ans, les initiatives individuelles de travailleurs sociaux ont installé au cœur du champ économique marchand concurrentiel un outil d’action sociale qui a modifié de fait les rapports traditionnels avec les décideurs politiques et la puissance publique, le monde de l’entreprise et des organisations professionnelles et le champ de l’action sociale lui-même. Cette démarche des entreprises d’insertion est en permanence active et en tension sur trois enjeux majeurs qui conditionnent leur réussite et leur pérennisation. Conférence Elles intègrent peu à peu les textes législatifs, le Code du travail, les politiques publiques de l’action sociale, de l’emploi, de la lutte contre les exclusions puis de la cohésion sociale. C’est la Loi de lutte contre les exclusions de Martine Aubry, en 1998, qui définit un nouveau cadre juridique et organisationnel à l’Insertion par l’activité économique, renforce l’accompagnement financier et la territorialisation dans le cadre de la lutte contre les exclusions. 35 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 UN ENJEU POLITIQUE : Créer de la valeur ajoutée humaine en s’appuyant sur l’espace de l’entreprise. L’énoncé peut-être un peu provocateur si l’on considère qu’en terme économique, la valeur ajoutée est la différence entre la valeur de production et la valeur des consommations intermédiaires nécessitées par cette production. Il s’est donc agi de démontrer comment les entreprises d’insertion créent cette richesse, en plaçant l’homme au centre de leur démarche entrepreneuriale, comment elles garantissent l’insertion sociale et professionnelle des personnes en situation d’exclusion et comment elles effectuent les arbitrages au niveau organisationnel, de gestion, y compris financière, en matière de fonctionnement d’entreprise. Partant du postulat que nul n’est à priori inemployable, bâties dès le départ sur la mise en œuvre et la promotion du contrat de travail salarié de droit commun, les entreprises d’insertion se sont placées dans une culture de l’exigence, de l’engagement réciproque fourni par le contrat de travail d’échange, de la reconnaissance. Cette pédagogie développée dans les entreprises d’insertion n’a cessé de se renforcer au fil des années et s’appuie aujourd’hui sur deux piliers : le centre de formation spécialisé du CNEI, destiné aux permanents des entreprises adhérentes, la démarche Qualité mise en place à travers le Label QUALIREI, le Label Qualité des pratiques sociales mises en œuvres. Peut-on parler alors d’une véritable fonction sociétale à travers les entreprises d’insertion ? Certainement, les voies mêmes modestes qu’elles ouvrent, montrent qu’on peut être performant avec des personnes réputées « sans compétences ». L’intensification des contacts avec les syndicats salariés et employeurs, les partenaires sociaux en général, objectif et enjeu d’importance, montre bien que dans le débat essentiel qui se situe au niveau des instruments de régulation de la société, (…) les entreprises d’insertion contribuent très fortement à y participer. UN ENJEU D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE : l’inscription dans les marchés concurrentiels Partant du postulat qu’elles ne sont insérantes que lorsque leur propre insertion est réussie au sein des entreprises et du champ économique, les entreprises d’insertion font face aux mêmes défis que rencontrent quotidiennement les autres entreprises. Inscrites dans un marché concurrentiel, elles sont dans l’obligation d’être à la fois professionnelles, modernes, attractives et performantes, de se situer avec pertinence et en autonomie sur leurs métiers et dans leur filière. Une position qui place les entrepreneurs d’insertion devant nombre de responsabilités : être des manageurs professionnels compétents, novateurs et solidaires, développant une haute qualité technique et sociale. Conférence Dans quelle mesure le marché, environnement naturel des entreprises d’insertion, peut-il optimiser leur finalité ? Autrement dit, cette exposition aux contraintes de la logique économique et aux exigences du marché constitue-t-elle un frein, représente-t-elle un atout ou tout simplement une condition de la mise en œuvre du projet social ? 36 On peut penser que le fait d’embaucher un public éloigné de l’emploi représente un frein dans le cadre de la concurrence. L’évaluation du coût de la mise en œuvre du projet social et sa prise en compte par la collectivité, deviennent indispensables pour éviter la mise en péril de l’entreprise. Une des priorités du CNEI a (…) été d’obtenir des négociations avec la puissance publique, un mode et un niveau de financement concordant avec les engagements sociaux de l’entreprise d’insertion et ses contraintes économiques. L’équilibre fragile sur lequel repose l’alchimie de l’EI n’apparaît pas immédiatement comme un atout au sein du marché au sens d’avantage concurrentiel. À l’inverse, le marché ne peut se résumer en un milieu hostile, antinomique au concept d’entreprise d’insertion. Entreprendre autrement est un défi et un stimulant, un challenge qui la tire vers le haut, la pousse à se professionnaliser, à tenter le pari de l’excellence, du double impératif qui est le sien. C’est en définissant des procédures de fonctionnement que l’EI va trouver le moyen de répondre à l’exigence de son double métier. C’est vrai pour la mise en œuvre de la prestation sociale, c’est vrai pour les règles du marché. J’évoquais tout à l’heure la démarche QUALIREI. On constate désormais que de plus en plus d’entreprises d’insertion sont engagées ou certifiées dans les normes ISO. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Suspectés autrefois de concurrence déloyale, les entrepreneurs d’insertion sont désormais acteurs de coopérations partenariales avec des entreprises, des organisations et des syndicats professionnels, se concertent et contractent des alliances avec les partenaires sociaux. Je citerai deux exemples emblématiques conclus l’un, avec le Syndicat des entreprises de travail temporaire, l’autre avec la Fédération des entreprises de la récupération, qui illustrent des coopérations économiques et sociales. Ces deux accords prennent acte des complémentarités réciproques, organisent la cohérence de la représentation et établissent les passerelles nécessaires entre l’insertion et la profession en perspective des besoins et des évolutions de la branche professionnelle. Je citerai encore la démarche de lobbying en direction des pouvoirs publics menée récemment avec la confédération CFDT et les grandes organisations sociales et caritatives pour faire évoluer le cadre législatif du projet de loi de cohésion sociale. UN ENJEU ÉTHIQUE : des investissements citoyens porteurs d’avenir La notion d’investissement productif est le plus souvent assimilée à un apport de moyens, essentiellement financiers, qui vont eux-mêmes générer de la richesse, du retour sur investissement. D’une manière usuelle, au sens large des politiques sociales, cette approche s’arrête le plus souvent à l’inventaire des coûts, à la principale correspondance entre les budgets alloués et consommés et le niveau des dépenses publiques. La règle admise est de collecter une partie des richesses produites pour les affecter, par redistribution, à des missions d’aides. Dans ce cas, c’est d’avantage le niveau que le principe qui est débattu. Quand on connaît les conséquences destructrices de l’exclusion sous toutes ses formes, pour la personne qui la subit, comme pour la collectivité, n’est-il pas probant, à contrario, que les moyens mis en œuvre constituent l’une et l’autre un investissement productif, dans ses dimensions sociales et économiques ? Combien cela rapporte-t-il (actuellement NDLR) et combien cela coûterait-il si ce n’était pas fait ? Former un salarié doté de savoir-faire et de qualifications, qui redevient autonome financièrement et qui prétend ensuite au marché concurrentiel, signifie que nous avons concouru au développement économique d’une branche professionnelle. Dans un contexte où beaucoup d’acteurs dans le champ de l’économie solidaire se réfèrent désormais à cette notion d’investissement productif, on assimile souvent les entreprises d’insertion à une alternative à l’économie de marché, mais il est plus juste de considérer qu’elles revendiquent une place à part entière dans cette même économie de marché. La crédibilité des entreprises d’insertion tient, entre autres, au fait qu’elles ont choisi le marché avec toutes ses contraintes pour exercer leur mission sociale. Ce qui ne veut pas dire qu’elles oublient que c’est en partie lui qui exclut et qu’il soit le seul à pouvoir résoudre la crise ; en revanche, c’est bien le moyen le plus productif de faire de l’insertion. La forme entrepreneuriale est la condition pour mettre pleinement en œuvre ce motif qu’est le projet d’insertion. Sur les questions sociales, de la lutte contre les exclusions à la gestion prévisionnelle de l’emploi, les investisseurs privés ou institutionnels peuvent trouver ici une des formes concrètes du développement durable. Sur cet enjeu essentiel, les contractualisations qui se développent fortement avec des opérateurs publics et privés, révèlent un véritable mouvement dynamique dans ce sens, précurseur d’une montée en puissance capable de soutenir et d’accompagner les entreprises d’insertion dans leur développement. Encore faut-il que des entrepreneurs de plus en plus nombreux s’investissent sur ces enjeux. C’est bien sûr en tout premier lieu de la responsabilité de notre Fédération que de leur en donner envie et quelques clés de leur réussite. Conférence Alors peut-on parler de « capital-risqueurs » de l’humain ? Un capital risque qui prendrait ici deux dimensions : l’une, d’avantage immatérielle, qui se traduit au figuré par l’initiative d’entrepreneurs sociaux qui s’investissent, avec des risques humains, professionnels, sociaux dans des entreprises dont l’objet sera d’apporter des réponses à des personnes et à la collectivité ; l’autre matérialisée par des apports, notamment financiers, qui formalisent un engagement dans la durée, auprès et avec les entreprises d’insertion. 37 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Dans quel environnement les entreprises d’insertion du Québec ont pris naissance et se sont développées Extrait de la présentation de Madame Chantal Aznavourian, Directrice générale du Collectif des entreprises d’insertion Suite à la crise économique des années 70 (déstructuration, faillites, relocalisations industrielles et coup d’envoi de la mondialisation de la pauvreté = restructuration du capital), le monde occidental a vu apparaître de nouvelles formes de pauvreté et de précarité : chômage, faibles salaires, travail temporaire et intérimaire… Alors que les gouvernements abandonnent l’État providence, tendent à miser sur la responsabilité individuelle et mettent en place des programmes d’employabilité pour adapter la main-d’œuvre au besoin du marché du travail, les milieux s’organisent afin d’offrir de nouveaux services, contrer le chômage et la perte de qualification, combler les besoins de formation, mais aussi en allant plus loin, en développant l’éducation populaire. Ainsi, au début des années 80, face à la décomposition du tissu social et de l’économie, de nouvelles stratégies de développement se mettent en place sous différentes formes, en Europe, comme en Amérique du Nord. Ces stratégies prennent ancrage dans ce que l’on va appeler revitalisation économique et sociale des territoires, développement local et développement économique communautaire. Des initiatives économiques à caractère social et communautaire voient le jour misant, elles, sur la responsabilité collective et la concertation des acteurs locaux. Afin d’harmoniser les interventions, des pratiques partenariales se développent sur le terrain. Les premières expériences d’entreprises d’insertion voient le jour au milieu des années 80. Par la suite au début des années 90, c’est de déploiement de l’insertion par l’économique qui donne naissance à la plupart des entreprises d’insertion d’aujourd’hui. Bien que certains voient à ce moment là une nouvelle forme d’exploitation appelée « cheap labor » soit « main-d’œuvre bon marché », les entreprises d’insertion du Québec se structurent, se donnent sept critères de définition et s’organisent autour du Collectif. Elles démontrent que les dispositifs qu’elles mettent en place, les structures d’encadrement et les modes d’interventions qu’elles développent, mettent le travailleur en formation au cœur de leur mission. Elles travaillent au développement des personnes dans un objectif de lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion. Elles utilisent l’économique comme un outil d’intervention. Dans le courant des années 90, de nombreuses entreprises d’insertion voient le jour. Elles sont généralement le fruit d’un partenariat et d’une volonté collective qui cherche à trouver des solutions durables à la précarité, à la pauvreté et à l’exclusion. Pour nombre d’entre elles, notamment dans la région de Montréal, leur développement se fait en concertation avec les Corporations de développement économique communautaire et, dans d’autres régions, avec les Corporations de développement communautaire. Conférence En 1998, avec l’adoption du Cadre de reconnaissance et de financement, elles font désormais pleinement partie de l’infrastructure sociale que le Québec s’est donné en matière d’insertion sociale et professionnelle. De plus, leurs activités économiques (sans cesse grandissante) et les emplois permanents qu’elles génèrent en font un partenaire de choix de l’économie sociale. Actuellement il y a 51 entreprises d’insertion au Québec. Trente-neuf (39) sont membres du Collectif. Elles œuvrent dans 12 régions du Québec. Quarante pour-cent (40 %) sont situées dans la région de Montréal. La participation d’Emploi Québec est d’environ 33 000 000 $. Elles accueillent près 2 500 personnes par année, génèrent cette année près de 25 000 000 $ de revenus par la vente de produits et services et créent 600 emplois permanents directs. On dénombre 66 domaines d’apprentissage différents. 38 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 LES LIENS AVEC L’ENVIRONNEMENT À cause de leur mission, des problématiques rencontrées par les travailleurs en formation, des secteurs d’apprentissage, (…), les entreprises d’insertion entretiennent avec leur environnement des liens de différentes natures selon : • l’historique de création de l’entreprise, • la région et/ou le territoire dans lequel elles prennent ancrage, • le secteur d’activité de l’entreprise, • l’organisation et les processus qu’elles mettent en place ; par exemple, leur capacité à mettre en place des stratégies de communication construites en fonction des acteurs à qui elles s’adressent. Quels sont ces liens ? • Liens avec la société civile: il s’agit des personnes constituant les conseils d’administration, de bénévoles, de donateurs, de la population en général… • Liens de proximité : les organismes communautaires du milieu avec lesquels l’entreprise développe des partenariats qui vont du recrutement jusqu’à la référence des travailleurs en formation. C’est aussi des liens de collaboration autour d’une problématique particulière ou des clientèles. • Liens d’affaires : fournisseurs, clients, institutions financières… • Liens institutionnels et gouvernementaux : financement, ententes de services avec différentes institutions : Emploi Québec, évidemment, mais aussi le monde de l’éducation, de la santé et des services sociaux, du juridique… • Liens stratégiques : tables de concertation locales, regroupements locaux, régionaux, provincial et national, concertations sectorielles, groupes sociaux… • Lien de solidarité : avec d’autres causes, par exemple, au niveau international. LES LIENS TRANSVERSAUX Mais la construction de liens transversaux, c'est-à-dire des alliances ou des solidarités est complexe et fragile. Elle évolue dans un contexte néolibéral où l’État providence a rendu l’âme. Il préfère partager la responsabilité sociale du bien-être des personnes jouant le rôle d’État partenaire, accompagnateur et animateur tout en décidant, en vase clos, des coupures budgétaires et des priorités en ce qui concerne les politiques sociales. On ne parle plus que d’efficacité et d’efficience, de reddition des comptes et règles de conformité, laissant une société civile perplexe qui se questionne sur sa place et son droit de cité. L’État passe le relais au niveau régional et local. Mais sur le terrain, de fait, les patineurs sont nombreux et la patinoire fait peau de chagrin. Comme dirait Monsieur Parazelli, « à défaut de ressources nécessaires le partenariat pourrait devenir le « déversoir »du trop plein de problèmes sociaux que l’État ne pourrait traiter. » Ainsi les alliances stratégiques et les solidarités risquent de se traduire ou de se réduire à une simple gestion des pots cassés. Par ailleurs, force est de constater que les partenaires n’ont pas tous les mêmes intérêts et les mêmes objectifs. Ils ne sont pas tous organisés de la même façon et ne disposent pas toujours des outils organisationnels et financiers nécessaires pour s’investir pleinement. De plus, dans la lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion, les entreprises d’insertion ne sont évidemment pas les seuls acteurs. Et les partenaires font des choix stratégiques, eux aussi. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence Collée à sa réalité, aucune entreprise ne peut faire l’impasse sur l’un de ces liens. En effet, l’existence des entreprises d’insertion au Québec présuppose une légitimité et une crédibilité de l’entreprise sur le territoire. Le défi est donc de créer et de maintenir autour et dans l’entreprise non seulement des liens de partenariats, mais une alliance d’acteurs qui contribuent collectivement à la mission d’insertion sociale et professionnelle. Fortes de ces alliances, les entreprises pourraient augmenter l’efficacité de leur structure mise au service des personnes et des collectivités. Tout en sachant, bien sûr, qu’en amont, pendant ou en aval du parcours, chacun des partenaires a sa place. 39 Ceci dit, il reste encore des stratégies transversales gagnantes et l’exemple du Comité d’harmonisation de Montréal illustre bien mon propos. Réunis par Emploi Québec, différents partenaires impliqués, de près ou de loin, dans l’action des entreprises d’insertion et les entreprises d’insertion elles-mêmes ont entrepris de travailler ensemble faisant de l’insertion un enjeu commun. Les résultats de cette mise en commun sont fort intéressants et ont permis de mettre en interaction des acteurs qui, jusqu’à maintenant, intervenaient de façon cloisonnée. (Ex : projet intégration, recherche sur le cumul des problématiques, reconnaissance des formations, formation des gestionnaires). Conférence Malheureusement le comité d’harmonisation, prévu dans le Cadre de reconnaissance et de financement, n’existe encore que pour la région de Montréal. Notre défi, au Québec, est de le transporter dans toutes les régions où il y a des entreprises d’insertion. 40 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 De la longue marche du secteur de l’économie sociale d’insertion pour sa reconnaissance… et de quelques pièges qui lui sont tendus ! Extraits de l’allocution de Monsieur Gabriel Maissin, administrateur délégué de la Fédération bruxelloise de l’insertion socioprofessionnelle. (…) Le Royaume de Belgique est un état fédéral. Cette caractéristique n’a rien d’original, puisque de nombreux pays la partage de par le monde. Dans le cas belge, ce fédéralisme - ou ce confédéralisme - est encore dans une phase instable, évolutive, le système étant loin d’avoir achevé sa mutation. Certaines matières comme l’enseignement, la formation professionnelle, sont réparties sur une base « communautaire » c’est-à-dire sur la langue parlée4, d’autres matières comme l’emploi, l’économie le sont sur une base « territoriale »5. Ce système engendre une complexité d’institutions et de dispositifs qui, pour un pays de dix millions d’habitants et de 34 000 km2, laissent parfois pantois les politologues et constitutionnalistes les plus aguerris. Je choisirai délibérément de laisser cet aspect de côté aujourd’hui, bien qu’il y ait beaucoup à dire sur les implications de cette architecture institutionnelle pour l’économie sociale et l’insertion socioprofessionnelle… Je me focaliserai davantage sur un autre aspect de la réalité belge en rapport avec le sujet de cette table ronde : « les rapports avec les acteurs du milieu ». On attend de nous, en effet, que nous examinions les rapports du secteur de l’économie sociale d’insertion et les acteurs politiques, économiques et sociaux. Pour se faire, il convient d’abord de situer les rapports particuliers – assez originaux – qu’entretiennent ceux que l’on appelle chez nous « les partenaires sociaux6 », d’une part, et la « puissance publique », d’autre part. On peut dire que, depuis la seconde guerre mondiale, fonctionne chez nous un système de concertation sociale tout à fait particulier, basé sur des négociations et des accords sociaux à différents niveaux entre représentants des employeurs réunis dans la très efficace Fédération des entreprises de Belgique7 et des travailleurs organisés dans deux puissants syndicats (FGTB et CSC)8. Ces accords, une fois transformés en conventions collectives de travail (CCT), constituent une véritable source de droit, dans la mesure où ils acquièrent force de loi et sont donc applicables à l’ensemble du pays, à un secteur économique ou à certaines entreprises ou institutions. De cet accord entre « acteurs privés » découle une très grande partie des dispositions législatives et réglementaires qui régissent aussi bien les relations de travail que la santé, la sécurité sociale, les normes de qualifications, etc. Dans ce mécanisme, l’état joue tantôt le rôle d’un simple notaire entérinant les conventions, tantôt un rôle d’arbitre en cas de désaccord persistant9. 4 Les Communautés flamande, française et allemande. 5 Les Régions : Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale. 6 Certains milieux syndicaux préfèrent le terme moins consensuel « d’interlocuteurs sociaux ». 7 À laquelle il faut ajouter les représentants des « Classes moyennes », c’est-à-dire les petites entreprises artisanales, commerciales et les professions libérales. 8 Fédération générale du travail de Belgique (socialiste), un million de membres et la Confédération des syndicats chrétiens, 1,3 millions de membres. Il existe aussi un syndicat libéral représentant 10 % des effectifs. La Belgique est un pays à haut taux de syndicalisation de l’ordre de 75 %. Que se soit chez les ouvriers, employés ou fonctionnaires. 9 Dans des situations de crises aiguës, il est arrivé que le gouvernement décide de légiférer directement ou d’imposer un cadre contraignant aux partenaires sociaux. Ces épisodes – assez rares - sont toujours des moments de tensions sociales et politiques importants. 10 Que l’on désigne en Belgique par le terme « parastatal » Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence Ce système particulier a une autre caractéristique importante pour le thème de ce matin. La concertation sociale systématique est aussi une gestion paritaire systématique. En effet, de nombreux organes d’avis, mais aussi de gestion, sont composés par ce binôme « employeurs-travailleurs ». De grandes institutions10 41 dans le domaine de l’emploi, de la formation, de la sécurité sociale, … sont gérées paritairement. Tout un système d’avis et de recommandations est mis en place, allant du Conseil national du travail et du Comité économique et social au plan fédéral aux très influents Conseils économiques et sociaux des régions11. Si je me permets d’attirer votre attention sur ce système de gestion paritaire, c’est pour montrer l’importance qu’il revêt dans les matières qui nous intéressent : celles de l’économie sociale et de l’insertion. En effet, exemple emblématique, c’est bien le Conseil économique et social de la région wallonne (CESRW) qui a produit la définition de l’économie sociale, largement admise aujourd’hui12. Où est le problème, me direz-vous ? C’est simple, les acteurs de l’économie sociale d’insertion ne siégeaient pas dans ce conseil au moment où le dossier a été traité. Depuis, la fédération des entreprises du non marchand a obtenu un siège d’observateur, mais l’ensemble des employeurs associatifs et du non marchand n’est toujours pas membre à part entière de ce type d’institution. Voici donc une caractéristique clef des relations entre « acteurs du milieu » : l’absence ou la faible représentation dans les organes de décision ou d’avis des employeurs non marchands et associatifs en général et de l’économie sociale en particulier. Évidemment, je suis entré par la grande porte, par les vénérables institutions de notre système, et je suis donc un peu injuste. Il est vrai qu’il existe de nombreuses instances où nous sommes présents en tant que porte-parole des acteurs de l’économie sociale d’insertion. Il existe aussi de nombreuses commissions consultatives thématiques où il est tout à fait possible de faire entendre son point de vue. Sans oublier notre capacité, plus ou moins grande, à être entendus par des gestionnaires ou responsables politiques. Le lobbying (pardon pour l’anglicisme) ne nous est pas inconnu… Mais il s’agit d’un système distinct du système général de concertation sociale à la belge. Quelles sont les raisons de cette situation ? Outre le fait que notre secteur et celui de l’ensemble du non marchand en général sont encore en voie de structuration et commence seulement depuis quelques années à fonctionner avec des fédérations professionnelles et des regroupements d’employeurs, les raisons lourdes sont à chercher du côté du positionnement des partenaires les plus anciens et fondateurs du système. Les employeurs (privés) estiment que notre secteur et nos associations, dans la mesure où ils sont subventionnés et agissent souvent dans des créneaux réservés jusqu’ici aux services publics, s’apparentent à des entreprises quasi-publiques. Dans le cas de l’économie sociale – en particulier – s’y ajoute la suspicion de concurrence « déloyale ». Les représentants des travailleurs estiment, pour leur part, que non seulement ils parlent et agissent au nom de leurs affiliés, mais qu’étant donné l’ampleur de la syndicalisation et sa structuration interprofessionnelle, ils sont tout à fait aptes à représenter une part majoritaire de la population. À ce titre, ils ont vocation à prendre position sur les matières qui nous concernent. Conférence Étant donné l’extension constante du secteur non marchand, cette situation est intenable à terme et elle appelle une transformation du système. Il est trop tôt pour dire quel en sera l’aboutissement. Une adjonction d’une troisième composante « non marchande » au système de concertation sociale « à la belge » n’est sans doute pas pour demain, ce serait trop simple… Mais les choses bougent. 42 11 Sauf pour Bruxelles, où cette instance n’est pas encore parvenue à s’imposer réellement. 12 D’après le CESRW, « l’économie sociale regroupe les activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives des mutualités et des associations dont l’éthique se traduit par les principes suivants : - Finalité de services aux membres ou à la collectivité plutôt que le profit ; - Autonomie de gestion ; - Processus de décision démocratique ; - Primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus. » Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Identifions quelques peu ces modifications : • D’abord dans le champ des entreprises et des associations de l’économie sociale, la volonté de se structurer et la disposition à s’exprimer collectivement sur des enjeux aussi bien sociétaux, transversaux que sectoriels progressent13. Ce mouvement touche tous les secteurs du non-marchand (à titre d’exemple, la création toute récente de l’Union bruxelloise des entreprises du non-marchand). • Ensuite, la nécessité face à une croissance de nos secteurs qui nous impose de nous organiser en tant qu’employeurs et donc de nous situer dans des relations sociales avec les syndicats. Cette confrontation aboutit à créer un terrain commun qui modifie les représentations des uns et des autres et clarifie les enjeux (exemple : les accords sociaux du non marchand de 2000-2001). • La modification du rôle de l’État, depuis une vingtaine d’années, et une privatisation croissante pousse celui-ci à redéfinir plus clairement la place qu’il veut assigner aux associations non marchandes et les missions qu’il veut (ou doit) leur confier. Une forme particulière de cette relation – que l’on qualifiera de « partenariale » est en train de naître (exemple : la « gestion mixte » du marché du travail à Bruxelles). • Les entrepreneurs privés, eux-mêmes, infléchissent progressivement leurs attitudes. Intéressés par les questions liées au développement durable, à la cohésion sociale, au développement local, … et avec leur logique commerciale, ils cherchent (de manière tout à fait limitée bien sûr) des formes de collaboration ou de partenariat (exemple : les agences de travail intérimaires et l’insertion socioprofessionnelle). On pourrait poursuivre le diagnostic, mais, faute de temps, contentons-nous d’acter que ces lentes modifications aboutiront immanquablement à des modifications structurelles. D’autant plus, qu’au mouvement propre du secteur non marchand et associatif, s’ajoutent les contradictions inhérentes à notre système de concertation sociale, qui donne, lui aussi, des signes de fatigue dans un contexte dominé par des tendances lourdes comme : • Les nouvelles normes européennes de l’Union européenne (la question de l’Europe sociale reste à ce stade la grande faiblesse et la grande inconnue de ce processus politique, économique et culturel gigantesque) ; • La mondialisation, qui avance essentiellement sous son trait néolibéral et qui façonne « les cœurs et les esprits ». N’oublions pas l’AGCS… Dans un dossier de la revue Politique14, nous avons essayé de dresser une typologie de ces relations en pleine évolution. De manière schématique, il nous semble qu’il faut s’éloigner autant que faire se peut d’une simple logique « sociale-étatiste » qui ne fonctionne que dans une logique de « sous-traitance » entre l’État et les associations et repousser la tentation « néolibérale » où les associations deviennent un simple vecteur de la privatisation. Le modèle « partenarial », qui a notre faveur, est effectivement très exigeant tant pour les pouvoirs publics que pour les entrepreneurs associatifs15. Nous pourrons y revenir plus avant dans le débat. 13 La consultation des sites des fédérations et réseaux est instructive à ce niveau. Au départ du site www.febisp.be, vous pourrez avoir un aperçu de cette structuration et de ces ramifications. 14 G. Maissin, La nouvelle frontière de l’action associative, in « État - associations : thérapie de couple » Revue Politique n° 32/décembre 2003. Texte disponible sur www.politique.eu.org 15 Voir G. Vincent, Responsabilités associatives et espace public, in « Une seule solution, l’association », Paris, La Découverte, 1998. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence Je voudrais, pour terminer, évoquer une autre dimension qui est de l’ordre du culturel. En effet, par quelque bout qu’on prenne cette question de nos « rapports avec les acteurs du milieu », nous aboutissons toujours à une question : quel est le modèle culturel qui est véhiculé par cet engagement de la part des entrepreneurs associatifs et d’économie sociale et par les professionnels du secteur ? Et comment ce modèle se réfractet-il au travers des publics concernés ? 43 En effet, dans le domaine plus spécifique qui est le nôtre, celui de l’insertion socioprofessionnelle et de l’économie sociale d’insertion, une tendance lourde (presque une mutation de paradigme culturel) est à l’œuvre depuis quelques années. L’ancienne logique d’insertion des demandeurs d’emplois (disons grosso modo celle qui a survécu aux trente glorieuses et s’est prolongée jusqu’au début des années nonante, chez nous) était basée sur une combinaison étroite entre émancipation individuelle et transformation sociale. Elle n’était pas sans rappeler celle du mouvement ouvrier social-démocrate. En tout cas, nous étions dans un modèle de type « action collective ». La nouvelle logique, celle de l’activation propre à l’État social actif (cher à Antony Giddens) induit des effets particuliers. Poussant jusqu’au bout la logique du « projet individuel », les nouvelles politiques de l’action sociale visent à rendre le demandeur d’emploi responsable de son implication dans des dispositifs davantage conditionnés. Progressivement, certaines allocations, certains droits, sont soumis à des obligations de type contractuel en matière de formation ou de recherche d’emploi. La logique individuelle est ainsi couronnée par cette obligation supplémentaire de se prendre en charge, voire d’accepter telle formation, tel stage ou emploi... Ce modèle de l’activation n’est pas sans poser de redoutables questions à nos associations. Par exemple, les politiques d’activation des chômeurs et des jeunes en parcours d’insertion incitent les opérateurs à rechercher, de plus en plus, des méthodes et des objectifs de formation susceptibles de répondre à des critères de performance venant du monde économique et de l’entreprise. Au détriment des aspects liés à une réflexion et à une formation qui valorisent la dimension citoyenne, l’appréhension critique de la société de ses structures et de sa culture. C’est la fameuse « employabilité ». Certes, les dispositifs d’insertion plus que d’autres (comme l’école par exemple) sont orientés vers la mise à l’emploi. Mais on ne peut les réduire à cette dimension, ni leur faire supporter le poids de l’échec final que constitue la persistance d’un chômage massif, avec dans certains endroits des niveaux intolérables. Or, le monde de l’entreprise privée est - sauf exception - insensible à ce qui se passe hors de ses murs, ce n’est pas son problème ! Et le monde politique et syndical manifestent régulièrement une méfiance à l’égard de ces aspects. D’où une difficulté à nouer de véritables partenariats et à accepter que soient incluses, dans les formations, les dimensions sociales et culturelles que ces publics n’ont pas acquises par les voies de l’enseignement ou de l’activité sociale et professionnelle. La conséquence de cette évolution peut aboutir, dans certains cas, à un véritable retournement de situation. Afin de garantir un taux maximum de mise à l’emploi en fin de cycle, des opérateurs sont tentés par la suppression pure et simple de tous ces moments d’éducation permanente et par une forme larvée de discrimination à l’entrée en formation qui consiste à n’engager que des stagiaires dont le profil offre le maximum de chances de succès. Conférence Par contre, certaines évolutions poussent à renforcer cette logique d’éducation permanente en la rendant nécessaire, voire irremplaçable. Épinglons (…) la multiculturalité et la dimension de genre. Au départ, il s’agit de prendre à bras le corps les phénomènes de discriminations raciales ou sexuelles et d’offrir des outils d’insertion spécifiques. Mais, peu à peu, ces thématiques, déclinées au sein de certaines associations comme partie intégrante de leur processus de formation, interpellent l’ensemble des acteurs associatifs par leur dimension transversale. 44 L’insertion socioprofessionnelle, pas plus que d’autres secteurs de l’action sociale, ne peuvent échapper à l’influence des mouvements sociaux et des évolutions culturelles en cours. La seule question est de savoir si ce secteur, à la croisée du social, de l’économique et du culturel, est capable de s’en saisir. Constater que les évolutions des modes d’action qui nous sont proposées sont marquées par le moment « culturel » présent, devrait nous pousser à ne pas accepter d’emblée les discours et justifications qui accompagnent les inflexions et les nouvelles orientations politiques, à les resituer dans leur contexte et à prendre position. Certes, notre secteur, pas moins que d’autres qui remplissent des missions d’utilité publique, se doit de répondre aux injonctions du politique et d’accomplir les missions pour lesquelles il est subventionné. C’est la règle démocratique. Mais cette dernière comporte un autre versant qui est le droit d’agir en tant qu’acteurs sociaux et de faire valoir l’expérience acquise en termes de propositions, de revendications et de changement. Bref, de faire vivre la tension persistante entre conformité sociale et innovation. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Les mesures de réinsertion professionnelle en Suisse Compte rendu de l’allocution de Madame Esther Widmer, Cheffe des mesures de formation, Secrétariat d’État à l’économie, Suisse Alors qu’avant l’approche helvétique en matière de soutien aux chômeurs se limitait au versement de prestations, l’année 1996 a vu apparaître les Mesures du marché du travail, une approche active visant la réintégration professionnelle. Cette nouvelle approche de soutien aux chômeurs comporte la formulation d’attentes précises à leur endroit : ils doivent s’inscrire et participer activement aux mesures qui leur sont proposées. Ces mesures sont de plusieurs ordres. • Elles comprennent des formations collectives et individualisées qui permettent de répondre à certaines exigences du marché du travail tels l’informatique, la connaissance des langues, les techniques de recherche d’emploi. Les formations individuelles permettent de répondre aux besoins des individus en fonction de leur profil et de leurs intérêts professionnels. • Des formules telles les emplois temporaires pour une durée maximale de 6 mois, les stages en entreprises et les entreprises d’entraînement (une quarantaine d’unités) permettent aux chômeurs de bénéficier des conditions d’expérimentation afin de tester leur capacité à occuper un emploi compétitif sur le marché régulier du travail. • Une mesure, l’allocation de formation, donne des résultats particulièrement intéressants. Cette mesure permet, destinée aux chômeurs de plus de 30 ans sans formation professionnelle, de faire un apprentissage et d’acquérir un diplôme. L’assurance-chômage défraie une partie du salaire. • L’allocation d’initiation au travail est une mesure destinée aux employeurs qui permet de financer une partie du salaire d’une personne qui n’est pas compétitive pendant une période qui lui permet de développer les habilités qui lui manquent pour le devenir. • Enfin, il y a une mesure qui permet aux chômeurs d’acquérir le statut d’indépendant. En 2000, nous avons apporté une modification en profondeur dans la façon de mesurer la portée de ces différentes mesures. Alors que dans les années 90 nous évaluions l’effort de réinsertion par le nombre de mesures effectivement actives, depuis 2000 nous sommes davantage préoccupés par la qualité des interventions. Ainsi, la convention conclue entre la fédération et les cantons, responsables de l’exécution de la loi sur l’assurance-chômage, prévoit qu’on évalue les effets des mesures ciblées (durée moyenne des périodes de chômage) et non plus le nombre de mesures actives. Pour les programmes d’emploi temporaire, la loi postule une clause de non concurrence qui stipule que les programmes ne doivent pas concurrencer le secteur privé. Près de 130 000 des 147 000 chômeurs que compte la Suisse sont inscrits dans une ou plusieurs mesures visant leur réinsertion professionnelle. Le financement de ces mesures, près de 600 000 000 francs suisses en 2004, provient du fonds de l’assurance-chômage. Les modifications apportées à la législation sur l’assurance-chômage ont introduit la notion de Collaboration inter-institutionnelle appelée CII. L’instauration de ce concept fait suite au constat que les différents systèmes mis en place pour soutenir les populations démunies fonctionnent en parallèle, ils ne sont pas assez coordonnés. Il est important de souligner que ces différents systèmes ont chacun leur cadre législatif et réglementaire, ils ont aussi leur culture organisationnelle. Les principaux acteurs de cette collaboration inter-institutionnelle sont l’assurance-chômage, l’assurance invalidité et l’aide sociale, mais de nombreux autres joueurs sont appelés à s’y impliquer activement. L’objectif poursuivi est de favoriser l’échange de données entre les différents systèmes, permettre la consultation des dossiers, harmoniser les lois et définir les meilleures stratégies d’intégration. Conférence LA COLLABORATION INTER-INSTITUTIONNELLE 45 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Les travaux menés à date ont permis de faire les constats suivants : • 10 % de la population active recourt aux services de l’assurance-chômage, de l’assurance-invalidité et de l’aide sociale ; • la demande d’emploi surpasse l’offre de façon significative ce qui défavorise les chercheurs d’emplois ; • les exigences du marché du travail sont à la hausse, ce qui le rend encore plus compétitif et laisse présager des problèmes durables de réinsertion professionnelle ; • les systèmes ne sont pas assez coordonnés. Conférence Les solutions envisagées s’orientent vers le dépistage précoce des populations les plus à risque de façon à mettre en place des interventions préventives et l’accroissement de la coopération inter-institutionnelle impliquant les employeurs. À long terme, on vise une prise en charge globale qui prendra en considération les dimensions sociales, médicales et celles liées à l’employabilité. On s’oriente donc vers des modèles d’intervention de type « case management » que l’on gèrera à partir de « guichets uniques ». 46 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Synthèse des interventions des participants et discussions Au terme de ces présentations, plusieurs participants se sont ouvertement interrogés sur la place qu’occupent les entreprises d’insertion sur l’échiquier économique dominé par un capitalisme débridé qui exige impérativement une rentabilité et qui exclut les plus faibles. Les clauses de non-concurrence auxquelles sont contraintes les entreprises d’insertion dans certains pays, l’indifférence des entreprises privées à l’endroit de ceux qui, en fin de parcours, sont à la recherche d’un emploi (que dire de l’attitude de ces mêmes entreprises à l’égard de ceux qui ont des difficultés et qui ne transitent pas par une entreprise d’insertion), la quasi impossibilité de responsabiliser socialement les entreprises pour qu’elles assument une part plus importante des charges liées à l’insertion professionnelle des publics marginalisés, autant de constats qui ont animé le débat. La mondialisation des économies, et les exigences de productivité qui en découlent, ont une telle incidence sur les phénomènes d’exclusion et de marginalisation que certains se sont demandés si le rôle des entreprises d’insertion ne serait pas aussi de défendre les droits de ceux que ce système économique repousse et appauvrit. En contrepartie, certains se sont positionnés comme le modèle que les entreprises dites traditionnelles auraient avantage à plagier : ainsi sont suggérés les concepts d’« entrepreneuriat différent » et d’« entreprise à valeur sociale ajoutée ». Autres préoccupations que teintent certaines réalités nationales : la place de l’entreprise d’insertion dans la famille de l’économie sociale et solidaire et, de là, les nécessaires distinctions entre le marchand et le non-marchand, le solvable et le non-solvable, l’occupationnel - au mieux il est formateur - et l’activité économique d’insertion. Au final, les participants sont donc interpellés à affirmer haut et fort leur identité. Synthèse des interventions des participants et discussions Et dans ce contexte plutôt précaire, sur quelle base peut-on affirmer d’un parcours d’insertion qu’il est réussi ? Ne doit-on pas considérer que le simple fait de s’inscrire dans un parcours d’insertion constitue en soi une victoire sur un système, dont l’un des nombreux dommages collatéraux est de produire de l’exclusion, et ce, même si ledit parcours d’insertion ne mène à aucune insertion socioprofessionnelle. Les attentes à l’endroit de tous les offreurs d’emplois, qu’ils soient privés ou publics, sont très élevées. 47 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Les ateliers Les ateliers ont été organisés sous forme de « tables rondes » de 8 à 12 personnes. À chaque table, les échanges étaient structurés autour d’une grille, conduite par un animateur, dont l’objectif majeur était de faire dialoguer les participants, en veillant à ce qu’une prise de parole soit possible par tous. L’écueil essentiel que les organisateurs ont souhaité éviter était celui de « la liste d’épicerie » que chaque entreprise d’insertion, en fonction de son pays d’appartenance, aurait pu dresser aboutissant, au final, plus à une superposition de pratiques qu’à un échange réel. C’est pourquoi, pour chaque atelier, des affirmations étaient proposées, autour desquelles les débats s’articulaient et une certaine hétérogénéité était recherchée à chaque table: représentation des quatre pays francophones, participation d’entreprises d’insertion ainsi que de structures partenaires (institutionnels, bailleurs de fonds, autres organismes…). Cette démarche a permis une certaine harmonisation de tous les ateliers et de toutes les tables dans chaque atelier. Les synthèses des quatre ateliers ont été effectuées parfois dans le respect de cette logique et ont parfois répondu à une logique propre au déroulement de l’atelier. Les deux éléments qui ont fait l’objet d’une vigilance particulière sont : • la fidélité aux propos tenus par les participants lors de la Rencontre internationale, • la facilité de lecture des actes. Ateliers Enfin, les synthèses ne sont pas exhaustives et elles n’ont pas fait l’objet d’une recherche systématique du consensus. Au contraire, la diversité des opinions et des propos a été retenue comme un critère de richesse des échanges. Cependant, elle peut faire apparaître, parfois, des contradictions, résultat des débats ayant eu lieu aux différentes tables. 49 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 19 octobre 2004 Le développement social et professionnel des participants Rédaction de la synthèse des discussions en atelier : Barbara Rufo Le texte qui suit s’articule autour de trois questionnements essentiels : quel est le rôle de la formation dans le processus global d’insertion sociale et professionnelle ? Quelle est la spécificité propre aux entreprises d’insertion ? Et comment s’accommodent-elles des différentes pressions de l’environnement ? ENTREPRISE D’INSERTION ET FORMATION Le rôle de l’entreprise d’insertion est, avant tout, d’amener des personnes, exclues du marché du travail, vers l’emploi durable. Placer le salarié dans une position favorable (statutairement et financièrement) à son adaptation à l’emploi serait la mission prioritaire des entreprises d’insertion. S’il est important de garder ce cap, plusieurs questions se posent en matière d’intégration professionnelle et d’acquisitions de savoir. Entre autres : • comment et faut-il « réparer » les nombreux échecs scolaires ? • comment évaluer l’acquisition de savoir-faire et de savoir être ? • qu’est-ce qu’un parcours réussi ? L’entreprise d’insertion est née de la conviction que les modes d’apprentissage classiques et le travail social traditionnel ne fonctionnaient pas avec toutes les clientèles. Cependant, de ce constat commun, d’un bord et de l’autre de l’Atlantique les positions divergent : les Européens ont majoritairement tendance à penser que la formation n’est pas l’affaire des entreprises d’insertion alors que les Québécois parlent de formation globale et insistent sur cette fonction. Les différentes constructions des systèmes scolaires et de formation professionnelle viennent, d’évidence, impacter ces prises de position. Si tous sont d’accord qu’on ne forme pas à un métier mais bien au travail lui-même, reste entière la question de la reconnaissance des acquis et de la validation de ces derniers. En effet, à l’issu du parcours de formation, le jeune ou l’adulte, a acquis un certain nombre de techniques, de savoir-faire et de savoir-être qui mériteraient, peut-être, de faire l’objet d’une reconnaissance. Cette reconnaissance aurait plusieurs fonctions : valoriser le salarié-participant, permettre à un futur employeur d’avoir un état précis des acquis de la personne, utiliser le parcours en entreprise d’insertion comme base et tremplin pour un retour aux études (accords avec les commission scolaires, l’éducation nationale…), faciliter des accords de branche ou de filière et du coup, pour certains métiers (cuisine, bâtiment, horticulture…), faciliter le rôle de passerelle entre l’entreprise d’insertion et l’entreprise dite classique, etc. Ateliers Dans tous les cas, cela pose la question de l’évaluation en entreprise d’insertion: évaluer quoi? (les techniques, le comportement) ; Pour qui (l’estime du salarié-participant, l’encadrant, le financeur, le futur employeur) ? Comment, selon quels critères ? Peut-être l’entreprise d’insertion éprouve-t-elle le besoin de participer à un certain travail de réparation, on part du postulat que les personnes en insertion ont déjà vécu de nombreux échecs scolaires et on se demande comment faire pour que leur parcours n’aboutisse pas à rien. Bien sûr, chacun sait que le vécu, d’un coté, et l’emploi en fin de parcours, de l’autre, sont des éléments marquants, mais l’attestation, le certificat, le module… ne sont-ils pas des marques de réussite dont le salarié en insertion pourrait bénéficier ? Mais ne risque-t-on pas, pour ceux qui n’auront rien obtenu, de perpétuer un système excluant ? Il semblerait qu’un consensus se fasse autour des points suivants : les entreprises d’insertion peuvent inventer un système de reconnaissance qui ait une fonction essentiellement tournée vers le bien-être du salariéparticipant. Dans ce contexte le rôle de l’entreprise d’insertion est d’équiper et d’outiller au mieux les clientèles pour qu’elles trouvent un travail et qu’elles aient acquis les savoir-faire et savoir-être nécessaires pour le conserver. Au-delà, on préconise plutôt la lettre de référence qui s’adresse à un employeur en 50 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 particulier et qui donne tout son sens à l’entreprise d’insertion et puisqu’on ne peut (ou ne veut) véritablement parler de formation qualifiante. La perspective d’une réflexion sur la validation d’acquis d’expérience est un chantier ou tout reste à construire. OCCUPER UN EMPLOI OU... DEVENIR CITOYEN RESPONSABLE Certains aimeraient pousser plus loin la mission de l’entreprise d’insertion et positionner cette dernière dans un rôle de lutte contre les exclusions. On parle souvent de la notion de passerelle pour évoquer le passage du monde de l’exclusion à celui de l’entreprise classique, mais ne peut-on aussi utiliser cette expression dans son sens métaphorique pour évoquer le passage de l’échec à celui de « petites réussites » qui serait un des savoir-faire important de l’entreprise d’insertion ? Si l’on regarde l’entreprise d’insertion dans sa fonction quotidienne d’accueil de personnes en situation de précarité, les exemples ne manquent pas pour illustrer le fait que la formation globale va bien au-delà de l’acquisition des aptitudes et attitudes requises pour occuper un emploi. L’entreprise d’insertion tente de donner ou de redonner le goût d’apprendre, elle facilite un travail de projection dans l’avenir, elle est tantôt garante vis-à-vis d’un banquier, porte-parole en matière de justice, lieu de domiciliation, elle met en place des processus permettant la prise en charge, l’autonomie, la responsabilisation individuelle… Et, dans ce contexte, les entreprises d’insertion, confrontées à des règles administratives parfois rigides, souhaiteraient pouvoir adapter les parcours, prendre plus de temps pour être centrées sur les besoins de la personne et aborder, justement, des aspects beaucoup plus personnels que professionnels. DIS MOI D’OÙ TU VIENS, JE TE DIRAI QUELLE ENTREPRISE D’INSERTION TU ES… S’il semble, donc, se dégager un consensus sur la notion de socialisation et de responsabilisation, des différences apparaissent sur la notion même de citoyenneté. En effet, au delà de prises de positions personnelles (opinion, histoires singulières, idéologie…) une partie des différences exprimées se comprennent par l’Histoire même des pays dans lesquels évoluent les entreprises d’insertion. Ici, être citoyen c’est lire le journal ou participer aux activités scolaires du petit dernier, là c’est voter ou défendre ses droits, ailleurs encore c’est se sensibiliser à l’environnement ou se préoccuper de la vie de son quartier… De fait, les entreprises d’insertion sont marquées par l’histoire des institutions : quel impact l’Histoire a-t-elle sur la notion d’intervention sociale, quel influence le syndicalisme a-t-il sur les relations de travail, et la notion de salariat recouvre-t-elle les mêmes réalités en Belgique, en France, au Québec ou en Suisse ? C’est sans compter sur l’histoire des entreprises d’insertion, elles-mêmes, dans chaque pays : leur origine, leur ancienneté, leur statut (à but non lucratif ou pas), celui des personnes en insertion (salariées ou non) sont autant de facteurs qui viennent encore influer les variantes sur la notion de citoyenneté et sur la façon de se l’approprier. Une part, donc, du travail effectué par l’entreprise d’insertion est l’autonomisation du salarié-participant, mais, en fonction des continents, cette autonomie se décline de façon différente. Des deux cotés de l’Atlantique, qu’il s’agisse de lutter contre le chômage ou contre l’exclusion, les entreprises d’insertion sont là, avant tout, pour outiller, accompagner, voire sensibiliser les salariés-participants mais une double vigilance doit, en permanence, s’opérer : • ne pas se substituer aux clients, publics, salariés ou participants qui doivent, en bout de ligne, défendre eux-mêmes leurs droits ; • effectuer un travail de sensibilisation également vers « le milieu » : les partenaires financiers, l’entreprise classique, la société civile et les politiques, grâce auxquels, par des maillages et constructions de partenariats locaux, une prise en charge globale de la personne est possible. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Ateliers Former des travailleurs responsables serait, pour tous, offrir de bonnes conditions de travail et une image de l’entreprise qui permette, secondairement, au participant de prendre conscience de son état de travailleur, puis de citoyen. Enfin, certains voudraient, qu’au-delà des individus, les entreprises d’insertion, elles-mêmes, soient citoyennes. Diriger autrement, être un lieu d’expérimentation d’un mode de travail transformé… seraient autant de défis de l’entreprise d’insertion qui, marquée du sceau d’un entrepreunariat différent, permettrait aux salariés-participants de prendre d’abord des initiatives, puis, toute leur place. 51 JE TRAVAILLE, TU « CITOYENNES », NOUS INSÉRONS… ELLES SE REGROUPENT. Ainsi, la mission des entreprises d’insertion est bien de former à l’emploi par l’emploi et de veiller, dans un premier temps, à ce que les besoins primaires soient couverts. Dans un deuxième temps, il s’agit d’apprendre à conjuguer rentabilité avec dignité et production avec socialisation. Dans tous les cas, le rôle de l’entreprise d’insertion prend pleinement son sens, dans la notion de regroupement. Travailler en partenariat, être actif en matière de développement local, mais également acteur sur la scène politique. En effet, on attend des entreprises d’insertion qu’elles agissent également en tant que regroupement (Collectif, Comité, Fédérations…) auprès des instances décisionnelles et politiques. Le devoir des entreprises d’insertion est de faire connaître la réalité de ces structures et des personnes qui la composent et c’est là que la notion de citoyenneté prend le plus de sens : lutter pour les changements de politiques sociales, négocier des améliorations dans les conditions de travail, faire avancer les droits des personnes en difficulté, sensibiliser à une autre économie, résister à la normalisation par le bas… Bien sûr, un peu partout les entreprises d’insertion ont acquis une certaine notoriété et sont, de fait, consultées, mais ne sont-elles pas, finalement, assez souvent mises sur le fait accompli et ne servent-elles pas, parfois de caution aux politiques, qu’elles soient nationales, régionales ou locales ? Une des difficultés relationnelles évoquée, notamment avec les bailleurs de fonds c’est que les entreprises d’insertion sont parfois tributaires de la personnalité de tel ou tel fonctionnaire. Cela est vécu à la fois comme un élément positif (souplesse de l’interprétation individuelle) mais parfois cela donne des blocages importants (entêtement, résistances, jeux de pouvoir). Dans le cadre de la décentralisation, aussi bien en Europe qu’au Québec, ce phénomène s’accentue car il surcharge les administrations locales qui font « comme elles peuvent » pour pallier au déficit de ressources. L’entreprise d’insertion doit effectuer un travail de veille, en permanence, pour éviter ou freiner les phénomènes bureaucratiques. Elle doit participer à l’évolution des textes législatifs et impulser de véritables politiques empreintes à la fois de rigueur mais aussi de souplesse. C’est seulement collectivement que les entreprises d’insertion pourront faire pression et veiller à ce que toutes les structures, quelle que soit leur implantation, aient les mêmes traitements et que tous les individus, où qu’ils habitent, aient les mêmes droits. L’importance des échanges, y compris au niveau international (ENSIE en Europe, la Rencontre internationale des entreprises d’insertion au Québec..), est de plus en plus évidente et tous espèrent que ces initiatives perdurent et se renouvèlent. VOUS AVEZ DIT « AGENT DE RÉGULATION » ? Nous l’avons vu, les entreprises d’insertion jouent un rôle à l’égard des personnes en difficulté mais également vis-à vis des politiques, qu’en est-il d’une fonction de régulation sociale que ces dernières auraient, bon gré mal gré, dans un système de productivité et de consommation de plus en plus excluant ? Ateliers L’entreprise d’insertion subit toutes sortes de pressions : la première d’entre elle pourrait venir de sa structuration même qui fait qu’elle est tiraillée, en permanence, entre des objectifs de production et une mission sociale. Même si cela constitue son identité propre, des questionnements réguliers la traverse dans les choix qu’elle opère : comment sélectionner sans écrémer ou exclure ? Comment recruter des individus aux prises avec de réelles difficultés sociales et professionnelles tout en atteignant des objectifs de productivité ? L’insertion se conjugue-t-elle prioritairement avec l’économique, le social ou le professionnel ? Le deuxième type de pression découle de la relation aux bailleurs de fonds. En effet, ces derniers ont tendance à produire des ententes normées qui ne tiennent pas compte des cheminements individuels, directement ou indirectement ils menacent de coupures ceux qui n’intègreraient pas l’entreprise d’insertion. Ils ont, de plus en plus, tendance à s’inscrire dans un double langage : d’un coté, ils souhaitent que les entreprises d’insertion prennent en charge des clientèles qui ont des problématiques importantes dans une perspective d’intégration sociale au sens large, et de l’autre ils mettent en place des systèmes d’évaluation qui sont essentiellement basés sur la question du placement en emploi. 52 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Si tout le monde reconnaît la légitimité de la reddition de compte, on s’inquiète des procédures administratives qui s’alourdissent, des ententes pluriannuelles qui restent d’éternelles promesses, et on s’interroge sur la notion de partenariat avec les financeurs. En effet, la relation entre les acteurs de terrain que sont les entreprises d’insertion et les administrations pourrait être qualifiée de duale. Tantôt, il existe un objectif partagé : l’insertion sociale et professionnelles de personnes en situations d’exclusion et tantôt l’entreprise d’insertion devient un instrument, qui n’a d’autre choix que de se plier à la courbe croissante des exigences (en qualité et quantité) et à celle, proportionnellement descendante, des financements. Aussi, les entreprises d’insertion souhaiteraient que le partenariat s’harmonise et que soit, également, pris en compte des éléments constitutifs de l’entreprise d’insertion : besoin de parcours réellement personnalisés pour accueillir une clientèle diversifiée, prise en considération du cheminement de l’individu dans les critères de réussite de l’entreprise, facilité d’accès à des dérogations sur la durée des parcours, financement pluriannuel… Si les bailleurs de fonds sont considérés comme l’outil technique des politiques, c’est probablement dans le cadre de ces dernières que la pression majeure s’exerce sur l’entreprise d’insertion : volonté croissante de diminuer les chiffres du chômage (toutes prestations et aides confondues), employeurs qui cherchent à faire des bénéfices grandissants dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, conflits mondiaux et globalisation qui entraînent de nombreux déplacements de populations, facteur aggravant d’appauvrissement… Dans ce contexte de triple pression, on a conscience de jouer une fonction de régulateur (économique et social) de l’État tout en s’inscrivant dans une relation d’aide. Certains se demandent, dans quelle mesure lutter réellement contre l’exclusion ne serait pas de laisser éclater le système plutôt que de le contenir ? Ateliers En conclusion, les entreprises d’insertion ne forment pas à un métier mais bien au travail lui-même. Elles sont suffisamment souples pour adapter la question l’insertion sociale en fonction des réalités individuelles, locales, régionales ou nationales. Elles aspirent, diversement, à être des agents de changement, mais sont encore, probablement, des agents de régulation. Enfin, si elles ont des contradictions (endogènes ou exogènes), elles auraient tendance à considérer que c’est une force de les assumer et une originalité de les revendiquer comme une spécificité. 53 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 La vie démocratique Rédaction de la synthèse des discussions en atelier : Annick Van Campenhout Ce thème abordé sous forme d’atelier de discussion est, comme les autres sujets, organisé autour de trois affirmations. Le compte-rendu que voici considère l’ensemble du contenu des échanges autour des énoncés et des questions sous tendues. Avant d’aborder les échanges proprement dits, une précision est apportée quant à la notion « d’acteur du milieu ». Les discussions ont permis de dissocier, sans les désunir, deux groupes d’acteurs : A. Le groupe des acteurs « participants » à un programme d’insertion (client, bénéficiaire, jeune en formation, etc.) ; B. Le groupe « des autres » soit les gestionnaires (administrateurs et directions), les partenaires (bailleurs de fonds, gouvernements, etc.), les employés permanents. PREMIER ÉNONCÉ : Les administrateurs sont le reflet de leur milieu. La vie démocratique des entreprises d’insertion ne prend son sens que dans la mesure où les administrateurs ont les marges de manœuvre nécessaires pour définir les orientations de l’EI et prendre les décisions en conséquence (autonomie de gestion et imputabilité). Cet énoncé a suscité les débats au regard du groupe « des autres », les gestionnaires et les partenaires. Ce groupe est définitivement au premier niveau du processus organisationnel et décisionnel dans les pays présents (à ce stade, il est important de noter que l’envergure des EI, calculée en nombre d’employés permanents, est souvent plus importante en Europe et que cela aura une influence sur l’approche ou plutôt sur la pratique démocratique). Il faut savoir que, pour la majorité, les EI ont été mises sur pied par « des militants », des acteurs de terrain soucieux de répondre aux besoins d’une communauté locale. Ceci n’est pas une grande nouvelle en soit, mais peut évidemment avoir une incidence dans le processus de relève des administrateurs et donc sur la pérennité de la mission. D’ailleurs, plusieurs échanges se font autour de la définition des mots «vie démocratique» ou «démocratie». Tous s’accordent à dire que la démocratie et la vie démocratique en EI comprennent inévitablement une aire de discussion, une zone de «libre échange», un processus de consultation où chacun peut exprimer, revendiquer et verbaliser son opinion, ses idées. Tous sont également d’accord pour charger les administrateurs et les instances décisionnelles de la garantie d’un processus démocratique au sein de EI. C’est ce qui nous distingue et ce qui nous anime même. Mais ne devrait-on pas parler de « pratiques humanistes » plutôt que de « vie démocratique » ? Nous suggère un débatteur… Ateliers Là où les avis divergent, c’est dans la dimension, dans la proportion et dans l’application surtout que doit prendre le processus, compte tenu de tous les facteurs qui nous différencient d’une entreprise «traditionnelle». Car n’oublions pas que les attentes des bailleurs de fonds en terme de résultats sont généralement plus quantitatifs que qualitatifs. Cependant qu’un collègue suisse signalait notre devoir de vigilance par rapport aux EI, « sparadrap d’une société néo-libéraliste », soutenu dans son propos par un « échangiste » français qui ajoute que notre rôle ne doit en aucun cas être un « palliatif » pour la bonne conscience sociale voire gouvernementale. Dès lors, il est facile de comprendre que les « rencontristes » ont souhaité dissocier, dans la vie démocratique, le pouvoir participatif donc consultatif et l’éducation à la citoyenneté responsable, du pouvoir décisionnel. Car si le pouvoir participatif et l’éducation à la citoyenneté accommode tout le monde dans la motivation de trouver des moyens et des solutions, il n’en va pas de même pour le pouvoir décisionnel. Il est donc internationalement reconnu qu’en matière de vie démocratique : 54 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 • la vie démocratique dans les entreprises d’insertion est colorée par les instances de premier niveau ; • gérer n’est pas administrer ; • le partage réel du pouvoir est codifié par les lois respectives ; • il faut distinguer la gestion politique et la gestion comptable entre-autre gestion ; • il faut envisager le pouvoir avec des échanges constructifs et non comme un rapport de force ; • la vie démocratique sera aussi teintée par l’équilibre fragile de la durée des parcours et par la réalité financière de l’EI ; • il ne faut pas se satisfaire d’un rôle de fournisseur de main-d’œuvre « bon marché » mais revendiquer notre incontournable responsabilité de passerelle, de tremplin social ; • il faut prioriser la participation des participants en formation plutôt que celle des bailleurs de fonds… Ce qui amène naturellement les échanges vers la composition des conseils d’administration. Car nos entreprises – du moins celles qui ont une structure avec conseil d’administration - ont besoin d’une représentation équilibrée (représentant du secteur marchand, du secteur communautaire, etc.) qui passe indéniablement par la recherche d’experts ou à tout le moins de compétences particulières (juristes, fiscalistes, etc.). Idéalement, en plus, il faudrait que « équilibré et expert » ait également un réseau de contacts exhaustifs. Alors évidemment, cela pose le problème de la convergence dans les décisions (absence de vision partagée parfois) et même de la solidarité entre les acteurs, de la disponibilité aussi. Force est de constater que les besoins sont criants et l’offre timide. Car il y a de plus en plus de désintérêt pour ces postes hautement imputables et à statut bénévole de surcroît. Désintérêt qui peut être engendré aussi par le manque de temps et l’essoufflement. Ajoutez à cela une relative autonomie de gestion dépendant des relations partenariales parfois difficiles avec les bailleurs de fonds. Dans ce groupe d’acteurs est également souligné, consensuellement, la difficulté de l’équilibre et de la compréhension des pouvoirs entre la direction et les administrateurs. En effet, beaucoup ont soulevé la place « d’interface » qu’occupe la direction dans les entreprises. Alors, comme le disait un collègue suisse : « s’il est facile de bien partager ce qui est bien défini encore faut-il que la compréhension de la définition soit unanime et que l’application du partage soit respectée ». Il faut terminer ce groupe d’acteurs en soulignant qu’il n’y a pas uniformité dans l’application du transfert de savoirs pour préparer la relève et que les enjeux de la présence des syndicats dans nos entreprises n’ont pas vraiment été débattus. DEUXIÈME ÉNONCÉ : La conciliation des impératifs économiques et de la mission sociale d’entreprises d’économie sociale, dont font partie les EI, constitue un enjeu démocratique majeur. Les « affaires » sont souvent questions d’opportunités, de capacité à les saisir et de rapidité d’intervention. Il arrive parfois que cet opportunisme semble mal s’accommoder des processus décisionnels basés sur la consultation. Il est difficile de sortir le débat propre à cette affirmation tant elle est teintée, inévitablement, par les deux autres. Cependant, quelques réflexions colorent cet énoncé. • Force est de constater que plus la contrainte économique est forte, plus il est difficile de promouvoir ou d’organiser la vie démocratique dans nos entreprises. À ce moment des débats, certaines références à la présence des syndicats comme garant de la vie démocratique sont faites par les Européens. • Les problèmes de roulement de personnel sont discutés. Tant au niveau du personnel permanent qu’au niveau des clientèles. Assurer la pérennité d’un processus démocratique avec un délai aussi court que 6 mois (pour le Québec) semble une tâche plus ardue. Ateliers - • L’opportunité des affaires peut être conjuguée avec participation aux résultats… Encore faut-il connaître et reconnaître ses limites et bien penser la participation. 55 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 • La Suisse cite l’exemple d’un projet sous l’enseigne de « groupe de progrès » qui par une méthode de concertation organise une gestion « par la base ». • La relation avec les partenaires d’affaires est aussi soulignée. Les milieux associatifs et les milieux privés sont autant de joueurs qui peuvent aussi bien servir que détraquer nos entreprises. TROISIÈME ÉNONCÉ : En lien avec leur mission, les entreprises d’insertion mettent en place des pratiques démocratiques qui font une place aux participants : le style de gestion, un processus de consultation des participants, un siège au conseil d’administration, etc. Pour cette affirmation, c’est le groupe des « participants » qui est plus particulièrement au centre des débats dont le résumé donne ceci : • Il y a une limite au pouvoir décisionnel à donner cependant qu’aucune barrière, ou presque, n’est envisageable dans le pouvoir participatif. • Il y a des impératifs à l’inclusion : - Temporelles : réalistement, même si la volonté est là, avons-nous le temps ? - Financiers : réalistement, avons-nous les moyens ? - D’incidence sur le capital humain : un processus mal adapté peut avoir un impact dévastateur sur les individus. • Il y a un passage obligé par la formation, l’information et l’apprentissage du processus démocratique. De plus, il est impératif que ce mouvement soit effectué sur une base volontaire de la part des participants. • Il faut organiser la vie démocratique par niveau et par champs de compétence. • Il faut préparer les personnes à penser par elles-mêmes en brisant la dimension individuelle par l’éveil du sens critique positif. • Il faut penser le processus démocratique en deux temps : le temps réactif et le temps réflexif (recul). • Il faut surtout se rappeler que nous avons un devoir d’exemple dans notre mission et éviter de tomber dans le piège de l’illusion et du reflet d’un miroir déformant la réalité du marché du travail. Ateliers Pour compléter ces affirmations généralement consensuelles, les avis sont extrêmement partagés sur les faits suivants : 56 • En logeant un processus démocratique au sein de nos entreprises, reflétons-nous vraiment le marché du travail ? Dans quelle mesure ne risquons-nous pas de biaiser la perception de nos participants sur une fausse image de l’entreprise ? N’y a-t-il pas un danger pour nos « clientèles » ? Ce à quoi, il est répondu : oui, mais nous pouvons être les initiateurs d’un mouvement. Si nous, comme EI, n’agissons pas comme précurseurs, qui d’autre dans ce créneau partira le feu ? On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ! • En logeant un processus démocratique au sein de nos entreprises, n’y a-t-il pas danger de glissement vers un militantisme surplombant ? Ce à quoi il est répondu : toutes nouvelles pratiques présentent un danger de déraillement. D’où l’importance d’un partage bien défini dans un projet concret, pensé et revisité en cours d’application. D’où le besoin de réfléchir sur les pouvoirs (participatifs, décisionnels…). • En logeant un processus démocratique au sein de nos entreprises par une participation d’un « client ou bénéficiaire » au conseil d’administration, ne risquons-nous pas un déséquilibre de connaissances pouvant affecter l’élan du participant en démarche de changement ? Ce à quoi il est répondu : il y a définitivement danger, mais notre fer de lance n’est-il pas la formation par le travail et dans le travail ? L’EI est aussi un lieu d’apprentissage social, un milieu de conciliation des savoirs et de conscientisation, un endroit où le participant apprend à identifier sa place comme citoyen responsable pour une intégration juste dans la société civile. Indéniablement, pour palier aux problèmes possibles, il faut passer par la formation ! Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Ajoutons qu’on a soulevé le problème de l’imputabilité. S’il est possible d’envisager un processus démocratique dans une perspective « gagnant-gagnant », il n’en reste pas moins que nous savons tous combien l’état de « survie » à laquelle se trouve confronté notre participant n’induit pas pour lui une assistance accrue au sein d’un conseil d’administration. • En logeant un processus démocratique au sein de nos entreprises, pouvons-nous rester rentable financièrement ? Ne risquons-nous pas le déséquilibre ? - Ce à quoi il est répondu : oui manque de temps, oui manque de moyens, oui problèmes logistiques importants, etc., mais enfin, minimalement, il faut une induction vers une conscience sociale dans nos entreprises ! En résumé, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour un travail à tous les étages de la pyramide si l’on considère qu’il y a pyramide… (Il n’y a pas eu consensus sur ce point, au contraire). Toutefois, il est important de continuer à prôner la consultation et le débat au sein de nos entreprises; il est essentiel de ne pas brûler les étapes du processus démocratique mais de l’envisager comme un processus d’installation à long terme. Ateliers Nous avons tous des pas à faire, mais rappelons-nous cette réflexion d’une collaboratrice autour de la table : « dans toute notre réflexion et notre planification demandons-nous à chaque instant si les arguments que nous invoquons ne sont pas l’excuse qui sert à endiguer un processus démocratique qui pourrait nous déranger… ». 57 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 20 octobre 2004 La formation du personnel Rédaction de la synthèse des discussions en atelier : Barbara Rufo L’ART DU RECRUTEMENT Lorsqu’on évoque la question de la formation du personnel permanent des entreprises d’insertion, la question du profil de ce dernier et du recrutement en général apparaît en premier lieu. En effet, l’entreprise d’insertion, caractérisée par un mélange original entre le technique et le social a besoin, pour fonctionner, de « moutons à 5 pattes » qui soient à la fois des professionnels techniques mais sensibilisés aux questions sociales. Par ailleurs, en matière d’accompagnement social, les salaires proposés par les entreprises d’insertion ne concurrencent pas toujours ceux d’autres type de structures, ce qui entraîne les travailleurs sociaux ou autres intervenants psychosociaux éventuellement vers d’autres employeurs. Souvent, les curriculum vitae du personnel encadrant des entreprises d’insertion révèlent des parcours atypiques et lorsque ces professionnels intègrent les entreprises d’insertion, ces dernières sont dans un tel besoin de ressources humaines, qu’il arrive que les étapes d’accueil et de formation nécessaires à une bonne intégration en emploi soient trop rapidement effectuées. La question de la formation du personnel permanent est donc, d’emblée, associée à des difficultés de recrutement (conciliation de tous les critères) mais également à des questions de disponibilités du personnel, aux prises entre nécessité de production, d’une part, et un encadrement technique, personnel et social important, d’autre part. LA FORMATION OU LES FORMATIONS Toutes les entreprises d’insertion perçoivent la formation du personnel permanent comme étant indispensable, lieu de répit et de ressourcement, outil de fidélisation du personnel. On entend par formation, aussi bien les formations techniques (menuiserie, plomberie, cuisine…) qui permettent aux encadrants d’être en phase avec les évolutions du métier, que les formations dites sociales (estime de soi, budget, gestion des conflits…) qui permettent aux intervenants d’utiliser de nouvelles méthodes d’accompagnement. On pense également à la formation du personnel administratif, à celle des dirigeants. Dans tous les cas, on évoque les formations dites classiques mais également le management, le coaching, la supervision, la consultation, les séminaires, les colloques, les rencontres… D’un coté à l’autre de l’Atlantique, les réalités sont très différentes, notamment pour des raisons qui se situent au carrefour de l’historique, du social et du législatif. Deux tendances globales se dessinent, ce qui n’exclue pas les exceptions : au Québec, il y a peu de culture de la formation (aussi bien dans les entreprises d’insertion que dans les entreprises classiques), par contre, quand on en fait, on a tendance à procéder à l’interne et de façon informelle. De plus, le personnel des entreprises d’insertion est confronté à un roulement assez important. En Europe, la formation est plus structurée, voire obligatoire, mais... pas toujours respectée ni appliquée. Par contre, elle est plus généralement externalisée. Ateliers Dans plusieurs pays il existe des lois sur la formation professionnelle qui rendent obligatoire ce processus, mais qui sont appliquées de façons très diverses : en France, les cotisations sont gérées par un fonds d’assurance formation, en Belgique également, au Québec il y a une loi de 1% pour la formation, mais qui n’est pas appliquée partout ni généralisée. Quant à la Suisse, elle n’a pas de norme sur la question de la formation. De façon opérationnelle, les entreprises d’insertion mettent rarement en place des systèmes d’évaluation des besoins en formation (il faut dire que, sauf dans les grosses structures, il y a rarement de personnel dédié à la gestion des ressources humaines). On a plutôt tendance à procéder « à la demande » ou « au cas par cas » et à gérer au quotidien. 58 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 LA FORMATION « C’EST BIEN MAIS… » Évoquer la formation du personnel permanent en entreprise d’insertion, c’est faire apparaître le spectre de la si difficile conciliation entre formation et production. Le sentiment qui domine est celui de structures qui semblent débordées en permanence et pas assez bien organisées pour pouvoir mettre la formation du personnel en place. Ensuite, viennent les arguments monétaires comme frein à la formation : non seulement ces dernières coûtent cher, mais il faut pouvoir remplacer le personnel dans sa fonction à la fois technique et sociale (et on retourne en quelque sorte à la « case départ » du recrutement). Par ailleurs, si les besoins se font de plus en plus ressentir pour la mise en place de formation permettant d’appréhender les problématiques spécifiques des salariés-participants et surtout aussi de les traiter, en ce qui concerne la formation du personnel technique il semble que, plus souvent, les techniciens considèrent cela comme une perte de temps pour l’entreprise et ont l’impression que cela détourne l’entreprise de sa mission première qui est de s’occuper des personnes en insertion. Un autre phénomène apparaît également : le personnel qui ne reconnaît pas ses besoins et qui résiste à l’idée d’aller en formation. C’est alors une multiplicité de facteurs qui vient freiner le départ éventuel d’un salarié en formation. Lorsque des formations s’organisent, on tente de mettre en place des systèmes de transfert du savoir pour que le plus de personnes possible puissent profiter des contenus transmis. En Europe, c’est souvent pendant le rendez-vous annuel d’évaluation du personnel que la question de la formation est traitée. C’est l’occasion de faire le point sur les compétences et les faiblesses et de laisser s’exprimer le personnel sur d’éventuels besoins et envies de formation. C’est aussi lors de cette rencontre que se discute la mise en adéquation entre les formulations du salarié et celles de sa hiérarchie. Mais au Québec, les entreprises d’insertion sont peu nombreuses à effectuer des évaluations régulières et formalisées de leur personnel. Enfin, on constate que, parfois, la question de la formation sert de révélateur à un problème de structure et permet de mettre en lumière des dysfonctionnements organisationnels ou des désaccords du personnel permanent face aux directions. FORMATION INTERNE OU FORMATION EXTERNE UN CHANTIER EN CONSTRUCTION Le rapport des entreprises d’insertion avec la formation du personnel permanent est, pour beaucoup, encore à ses balbutiements. Cependant, de nombreuses initiatives sont aux prises et donnent l’image d’une capacité à inventer ou trouver des méthodes « sur mesure » importante. Ateliers Le plus souvent, dans tous les pays représentés, ce sont les regroupements des entreprises d’insertion qui ont pris en charge la question de la formation du personnel permanent. On fonctionne avec des questionnaires ou par une analyse ponctuelle de besoins et les fédérations proposent des formations à la carte qui correspondent aux besoins exprimés. L’avantage de cette méthode est qu’elle est au plus proche de la réalité et des besoins des entreprises d’insertion. Le défaut majeur de ce type de formation est double : les entreprises restent en vase clos et ont des échanges uniquement à l’interne sans aller chercher du ressourcement extérieur. Par ailleurs, cela représente une contrainte organisationnelle car tout le monde part en formation en même temps sans tenir compte des spécificités de chaque entreprise. En France, particulièrement, on témoigne du rôle du réseau des entreprises d’insertion dans la mise en place de formation de chefs d’équipe, système récent mais qui donne satisfaction. La notion de formation du personnel est, parfois, cantonnée aux échanges en équipe : de la discussion à l’étude de cas, on évoque les problèmes particuliers des uns et des autres. Tous mettent de l’avant les notions d’échanges réguliers, considérés comme indispensables, entre formateurs, encadrants techniques et intervenants psychosociaux. Différentes méthodes sont citées : analyse de pratique, régulation, supervision, lac à l’épaule… autant de formules qui font appel, ou pas, à un professionnel externe, qui se déroulent ou pas dans les locaux habituels de travail et dans lesquelles on se retrouve. 59 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Ainsi, l’idée de la formation à distance est considérée comme pouvant résoudre une partie des freins évoqués. D’aucun estime que les bailleurs de fonds devraient aussi proposer des formations, et des propositions apparaissent pour que des formations communes s’organisent entre intervenants de différentes structures (y compris les structures qui réfèrent la clientèle) mais ce point ne semble pas partagé. Finalement, on constate que le plus souvent, on répond aux besoins de formation dans l’urgence, que les formateurs techniques profitent moins de formation que les intervenants sociaux, qui eux-mêmes, bénéficient moins de moments privilégiés que les Directions et que la formation du personnel « colle » souvent de très près aux difficultés des salariés-participants. Par ailleurs, le modèle classique et traditionnel de la formation est très critiqué, car considéré comme étant peu adapté au modèle des entreprises d’insertion. Par contre il apparaît urgent de développer une culture de l’importance de la formation du personnel permanent à l’intérieur des entreprises d’insertion. Les entreprises d’insertion soulignent leur devoir d’excellence dans leur branche professionnelle et indiquent qu’elles devraient, plus encore que dans l’entreprise classique, mettre en œuvre des formations pour le personnel encadrant. Elles posent la question d’une forme de reconnaissance spécifique au personnel permanent des entreprises d’insertion et elles mettent en exergue le rôle des regroupements comme d’importants pourvoyeurs de formation (recherche des besoins, formations appropriées). Ateliers En conclusion, tout le monde s’accorde à dire que : le ressourcement est essentiel, la formation un droit pour tous, voire un devoir, le partage des connaissances est fondamental et le développement des compétences primordial. Mais, en réalité, on s’accorde également à penser que le temps, l’argent et les moyens humains manquent. Si de nombreuses entreprises d’insertion mettent, effectivement, des formations en place, se pourrait-il qu’elles opèrent une priorisation en matière de ressources humaines qui voudrait que, parce que les salariés en insertion sont en grande précarité, le personnel permanent devient secondaire ? Enfin, comme s’interrogent certains participants, au-delà des réalités quotidiennes, la formation du personnel permanent ferait-elle l’objet d’une résistance ou serait-elle le talon d’Achille des entreprises d’insertion ? 60 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Le portrait des problématiques des participants Rédaction de la synthèse des discussions en atelier : Annick Van Campenhout Avant d’élaborer autour des affirmations, constatons l’effet suivant. Comme on pouvait s’en douter, les dispositifs administratifs (le financement et le recrutement par exemple) et les dispositifs d’accompagnement (l’intervention psychosociale et la durée du parcours par exemple) sont différents dans chaque pays présent. Les échanges seront teintés par ces éléments d’autant que la majorité des protagonistes autour des tables n’étaient pas au fait des pratiques dans l’ensemble des pays présents. Car, même si les chercheurs ont abordé, dans leur étude comparative, les problématiques des participants dans chaque pays, tous n’avaient pas pu prendre connaissance des textes. Alors, malgré ces différences, il faut souligner que l’ensemble des interventions permet de dégager une philosophie, un fil conducteur commun à tous les intervenants des entreprises d’insertion à savoir un souci permanent du développement global du participant dans un esprit d’individualisation de l’intervention. PREMIER ÉNONCÉ : L’entreprise d’insertion est la ressource de dernier recours en insertion au travail pour des personnes qui rencontrent des difficultés importantes d’intégration sociale et professionnelle. Cet énoncé a conduit les débats vers des comparaisons de problématiques. Il suggère aussi, un positionnement de l’EI comme ressource. La première constatation évidente affirme consensuellement un problème nommé « alourdissement des problématiques par cumul de celles-ci ». Ainsi, on constate chez la population plus jeune, une rupture avec le système scolaire qui ne répond plus ou mal aux attentes et aux besoins des individus et qui, souligne-t-on, ne satisfait plus aux besoins de main-d’œuvre du marché du travail, engendrant ainsi le décrochage scolaire. Conséquemment, ajouter à cela l’éclatement des familles, la rupture d’un parcours de vie linéaire (école – travail – famille – retraite), la perte de repères qui génère une dissolution des valeurs et un phénomène intergénérationnel qui s’est enclenché par reproduction du modèle parental. Chez les personnes plus âgées (à partir de 35 ans), la France et le Québec soulignent de concert, un taux d’analphabétisme/illettrisme exorbitant pour ces pays. Mais sans aller jusque là, l’ensemble des nations présentes accusent un taux élevé de sous scolarisation dans la population. Ce problème se retrouve, évidemment, dans les milieux défavorisés (« poches » de pauvreté) et, principalement, chez les femmes de ces milieux. Il est également regrettable de constater le désespoir de vivre et l’associalisation chez les jeunes, particulièrement chez les populations immigrantes, se traduisant par une violence comportementale ou par une abnégation manifestée par une autodestruction de l’individu. Bien entendu, s’ajoute à cela la mouvance sur le marché du travail générée par les nouvelles technologies et la mondialisation, entre autres, ainsi que par les structures (administratives notamment) surchargées. Il est à noter l’intervention d’un « échangiste » français qui souligne aussi, la présence, dans les EI, d’une clientèle de classe moyenne, donc relativement instruite mais peu intégrée (intelligence sociale faible) ou socialement dysfonctionnelle. Ici, les discussions s’animent ! L’un de dire : « …les EI ne sont pas le dernier recours, mais un outil méthodologique particulier répondant très bien à des personnes qui ont une motivation pour l’emploi et pas d’attente de formation. C’est une alternative pour des personnes qui ont connu des échecs répétitifs et qui permet de construire un premier succès », L’autre d’exprimer : « …non, pas dernier recours, mais dernier espoir pour intégrer le marché du travail parce que notre mission, par l’expérience d’une réussite positive (la première parfois), consiste à rendre l’espoir, l’espérance, la foi ! » Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Ateliers En résumé, nous parlons de problèmes de santé mentale, de dépendance (alcool, drogue, affect, etc.), d’adaptation culturelle, de déséquilibre social qui engendrent des interventions tellement spécialisées, parfois, que l’EI ne peut les résoudre seule. Cela amène naturellement les échanges sur la représentation que les protagonistes présents se font de l’EI comme ressource. 61 Cependant qu’un tronc commun se dégage : il y a un préalable fondamental à l’insertion à l’emploi soit la prise de conscience de son problème par l’individu. La motivation intrinsèque de la personne est cruciale. La participation à un programme d’insertion en emploi doit émerger d’un choix et non d’une obligation financière ou administrative. L’EI, en tant que ressource, doit : • favoriser le développement de compétences ; • accueillir la personne dans sa globalité, mais être consciente de ses limites d’intervention ; • croire foncièrement au potentiel de la personne. L’EI ne peut répondre à tous les besoins des individus. Elle doit donc définir le niveau d’intervention qui est le sien en fonction des besoins du milieu. Ce qui amène les débats vers la deuxième affirmation. DEUXIÈME ÉNONCÉ : Dans une perspective de continuum de services, les EI doivent s’impliquer auprès des organismes et institutions de leur milieu qui oeuvrent dans le champ de la pré-insertion de telle sorte qu’elles se donnent des moyens d’influer sur les références. Cet énoncé pose la question du choix de l’intervention psychosociale : externalisation ou internalisation ? Rappelons-nous, avant tout, qu’outre les différences « culturelles » autour des tables, la représentation professionnelle est également très diversifiée : représentants des bailleurs de fond et des instances gouvernementales, directions d’EI et employés des EI, notamment des intervenants psychosociaux (surtout du Québec). Ainsi, se dessinent deux grandes tendances (externalisation ou internalisation) cependant qu’il est difficile de discerner si ces deux pôles sont le résultat de la diversité culturelle ou de la pluralité professionnelle. Parions qu’il y a un peu des deux ! Tous insistent, généralement, sur l’importance d’un point d’ancrage, d’un « référent », d’une personne ressource pour bâtir la confiance. Au Québec, la tendance, certainement influencée par la pratique, favorise ce point d’ancrage à l’interne. À l’inverse, les Européens vont généralement privilégier une personne ressource indépendante de l’EI. La Suisse se positionnant entre les deux pratiques. Et, pour étayer leur pratique, les Européens émettent l’argument suivant : il faut dissocier ou différencier l’emploi/le travail et par le fait même l’apprentissage d’une profession, de l’intervention sociale ou psychosociale qui n’induit pas les mêmes personnes et pas les mêmes lieux. Une autre illustration de leur pratique suggère d’aller chercher à l’externe toutes les compétences spécialisées nécessaire à la réduction de problématiques pointues. Les EI du Québec, dans une philosophie de décloisonnement des mesures et des pratiques, vont conduire leur fonctionnement de façon à prendre à l’interne la responsabilité minimum de « référent » voire de créer une telle relation de confiance, dépassant souvent le cadre des besoins professionnels, qu’elle crée un lieu d’appartenance, de référence, « un cordon ombilical » qui perdure bien après la durée du parcours (plus courte, rappelons-le). Ateliers Les arguments avancés par le Québec indiquent un souci du danger que pourrait représenter l’exportation du transfert de l’intervention psychosociale illustrée par l’expression « … Ils (sous entendu les participants) pourraient tomber dans les craques du plancher », c’est à dire se perdre dans un dédale de démarches, dans un labyrinthe de ressources pour finir par se décourager et abandonner. Mais plus que ces considérations territoriales, on se rappelle mutuellement que nous faisons partie d’un processus ; nous reconnaissant ainsi comme un tremplin, une passerelle. Toutefois, quelle que soit notre option (externaliser ou internaliser), il est important pour l’EI, avant de faire un choix, de reconnaître les valeurs fondamentales qui lui sont chères afin de définir ses champs de compétences et ses pratiques. De savoir qu’il existe plusieurs niveaux vers l’insertion allant de l’occupationnel à la rentabilité en passant par la production. Il est important également de connaître et de reconnaître les réseaux « frères et sœurs » qui possèdent les compétences qui pourraient soutenir nos interventions. 62 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Le choix, en plus de dépendre de nos valeurs, sera également orienté par l’environnement (quartier, ville, pays), les besoins de la population, le financement et le tissu l’industrie. Ces éléments étant fondamentaux pour définir la « sélection » de nos participants. Gardons cependant, en toile de fond, un urgent besoin d’enrayer un phénomène intergénérationnel et donc de ne pas préparer une nouvelle génération d’exclus. Le dernier élément au moulin de cet énoncé concerne la reconnaissance du résultat de notre travail, non pas en terme de financement ou de reddition de compte, mais sur le plan humain, pour l’individu qui a évolué, changé. S’il est entendu que notre lien d’appartenance n’est pas au ministère de l’Éducation, ne pourrions-nous pas obtenir une certification (voire un diplôme) pour souligner les efforts consentis par le participant pour son développement, comme un étudiant dans le cadre d’une reconnaissance des acquis. Mais, sur ce sujet, les avis divergent vraiment. Les uns argumentant l’inutilité de cette reconnaissance ; les autres préconisant une reconnaissance « maison » ; les troisièmes complètement investis par cette idée et les derniers réfutant même le concept. TROISIÈME ÉNONCÉ : Les EI doivent-elles développer les ressources humaines et financières qui leur permettent de répondre adéquatement aux besoins spécifiques des participants ou alors faut-il développer des liens avec des organismes et des institutions qui sont en mesure de répondre à ces besoins. Nous sommes ici à discuter sur les besoins de mutualisation, formelle ou informelle, des forces de l’EI avec celles de partenaires fussent-ils gouvernemental, privé, communautaire ou autre. Bien entendu, la première épingle dans ce principe de mutualisation est le financement et nous ne pouvons pas éviter la discussion sur ce sujet. Considérant que le contrôle des bailleurs de fonds est différent selon les pays, il reste qu’« on nous demande de faire du « sur mesure » et on nous paie pour du « prêt-à-porter » ». Alors, l’obligation de rentabilité amène nécessairement un resserrement des critères de sélection et une recherche de clientèle plus productive. Mais dans une optique de mise en commun de nos expertises, les instances gouvernementales sont citées comme non-exemple : « …il faut que les ministères se parlent… » • le réseautage, avec les travailleurs de rue par exemple, pour le recrutement et la référence des clientèles difficiles à rejoindre (très éloignées du marché du travail) ; • le réseautage pour les suivis post parcours et le maillage avec les acteurs pour les étapes subséquentes au parcours afin d’assurer des résultats durables ; • le réseautage pour tenter d’inclure les familles dans le processus ; idéalement, la famille devrait être partie prenante du réseau autour du participant ; • le réseautage aussi, mais de façon plus abstraite et à plus long terme, pour intégrer l’aspect social des interventions de façon qualitative dans la reddition de compte pour faire ressortir les bénéfices sociétaux d’une intervention mutualisée ; • le réseautage comme clé du succès dans la mesure ou il y a une réduction de la rigidité des structures, une intelligence territoriale tenue en compte et une réelle intégration (par la fonctionnalité) des services dans la communauté. Cette intégration des services passe par une multitude d’actions qui peuvent commencer déjà par un réseautage à l’intérieur de nos entreprises. Ainsi, plusieurs citent l’exemple du compagnonnage en milieu de travail qui peut se faire sur la base du modèle maître d’apprentissage : l’individu possédant la connaissance vers celui qui apprend; mais également en terme de pairage : deux participants à des étapes différentes du parcours travaillent ensemble et échangent leurs connaissances mutuelles. C’est l’exercice du modèle à imiter. Ateliers Pourtant, une énumération des raisons et des avantages du réseautage, sans forcément aller jusqu’à une structure administrative de « mutuelle », permet de détacher une série d’arguments : 63 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Dans la pratique quotidienne, plusieurs obstacles au réseautage sont soulevés : • les problèmes de surcharge des structures mais surtout de débordement chez les intervenants à qui on demande d’individualiser un parcours sans pour autant leur offrir les moyens et la formation nécessaire (débat d’un autre atelier) à l’exercice de leur fonction; • les problèmes d’adaptation des méthodes de travail du personnel d’encadrement; • la nécessité, pour réseauter, de bien connaître son milieu pour savoir bien référer et ensuite accompagner l’individu dans ses démarches. Ateliers Mais pour envisager le réseautage, il faut défaire la dualité entre les entreprises sociales et les entreprises privées et il faut endiguer la croissance de l’élitisme. Afin de compléter fidèlement ce compte rendu, citons cette réflexion : « … ne nous basons jamais sur nos acquis, visons toujours le meilleur pour nos participants… ». 64 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence : La naissance et le développement des entreprises d’insertion 20 octobre 2004 Ce thème, initialement intitulé « Le développement des entreprises d’insertion » a fait l’objet d’un quiproquo. Certains ont compris le développement passé (comment l’entreprise s’est-elle développée), d’autres le développement à venir (comment se développera-t-elle dans le futur). Les présentations du Belge Salvatore Vetro, du Français Christian Jacquot, du Québécois Jacques Bertrand et du Suisse Chistophe Dunand n’étaient donc pas toutes au diapason. Du coup, la synthèse demandée au Québécois d’adoption Frédéric Lesemann s’est transformée en une présentation à part entière. Les mesures d’insertion prévues en Wallonie et à Bruxelles Extraits de la présentation de Monsieur Salvatore Vetro, Président et administrateur délégué, Réseau d’entreprises sociales, Belgique (…) D’emblée nous remarquons que les pouvoirs publics (P.P.) se soucient du problème posé par l’exclusion et des initiatives institutionnelles existent déjà dans ces régions de Belgique. Ainsi un dispositif intégré d’insertion est en place mettant en relation des initiatives parastatales telles que les Missions régionales, en Wallonie, et les Missions locales, à Bruxelles, les organismes pour l’emploi et la formation et les Centres publics d’actions sociales et les initiatives issues de la société civile. Ce dispositif se concrétise par un « Contrat crédit insertion » qui garantit au bénéficiaire : primes, avantages, suivi et soutien à l’insertion et donne un cadre légal au « parcours d’insertion ». Les Missions régionales/locales dépendent de P.P. et elles ont la particularité de s’adapter à la demande des entreprises. Elles visent l’adéquation entre la demande et l’offre via des séquences d’ajustement. Des dizaines de milliers de personnes sont aiguillées par ces institutions chaque année et des projets de formation sont organisés dans des activités telles que câblage, rénovation de quartier, rénovation de façade… La structure qui ressemble le plus à ce qui se fait au Québec s’appelle chez nous EFT en Wallonie et AFT à Bruxelles. (Entreprise/Atelier de formation par le travail). Ces associations prodiguent une formation par le travail dans leurs propres infrastructures de production ou de service. Immergés dans un milieu de travail réel, les bénéficiaires alterneront les formations qualifiantes, théoriques et de resocialisation. Les stages sont rémunérés à 1 €/h plus les frais de déplacement. Ici, le critère caractérisant le public cible est la très faible qualification puisqu’il ne doit pas avoir obtenu un diplôme d’humanités inférieures (3 ans après les primaires). Près de 2 500 stagiaires bénéficient chaque année de cette mesure. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence (…) Les Organismes d’Insertion Socio-Profesionnelle (OISP) ont une action formative et participative sur base d’objectifs individualisés et visant l’accompagnement psychosocial et l’évaluation continue. Le public cible est caractérisé par la faible qualification, pas de diplôme d’humanité supérieure et suivant la durée d’inoccupation. Les bénéficiaires ont un statut de stagiaire percevant un défraiement de 1 €/heure. La durée de la formation dépend des cours individualisés organisés par l’OISP ou de l’opérateur vers lequel la personne aura été orientée. Sur les deux régions, près de 30 000 personnes sont orientées dont moins de 10 000 participent chaque année à des formations. 65 Ce que nous appelons les Entreprises d’Insertion (EI) chez nous, sont en fait des Sociétés commerciales à finalité sociale (SFS), agréées par les régions respectives. Le statut de SFS existe en Belgique depuis 1995. (...) Ils doivent contenir 9 articles supplémentaires définissant les objectifs sociaux de l’entreprise, les conditions permettant aux travailleurs d’obtenir la qualité d’associé (…), les limites de distribution du profit, la manière dont sera réparti le résultat économique etc. L’agrément comme EI est d’abord octroyé pour deux ans, réévalué et reconduit d’abord 2 ans et puis 4 ans. Le public cible est défini par sa très faible qualification, pas de diplôme d’humanités inférieures, et par la durée d’inoccupation (1 an). Les subsides varieront selon ces deux critères et seront dégressifs sur 4 ans. Un quota de 50 % de ce public doit être atteint sur 4 ans. Ils doivent être engagés avec un contrat à durée indéterminée (CDI). Les entreprises d’insertion visent une réinsertion pérenne principalement dans l’entreprise elle-même, mais le parcours vers une entreprise conventionnelle n’est pas exclu et une mesure adaptée permet aux EI de financer un temps partiel pour un « accompagnateur social » destiné à suivre les personnes en interne et, si elles le désirent, les accompagner vers un emploi dans l’économie conventionnelle. Cette mesure récente concerne actuellement près de 500 travailleurs en Wallonie – Bruxelles. Je dois également mentionner les associations d’insertion qui n’ont pas la possibilité d’intégrer ce dispositif et qui actuellement n’ont qu’une reconnaissance provisoire fédérale et qui attendent un décret/ordonnance régional afin d’avoir une existence légale définitive. Cela s’appellera ILDE (Initiative locale pour le développement et l’emploi) à Bruxelles et devrait s’appeler « ressourcerie » en Wallonie. Ces associations ont inséré près de 1000 travailleurs sous CDI dans des emplois pérennes. Le public cible est caractérisé par un cumul de conditions les fragilisant sur le marché de l’emploi : famille monoparentale, travailleurs âgés, dépendances, handicap, faible qualification… Les formations sont prodiguées « sur le tas » en favorisant le tutorat. Plus de 50 % du personnel est composé de public cible. Les entreprises de travail adapté (ETA) sont organisées sous statut d’association et sont spécifiques au monde du Handicap. Le public cible est composé à 80 % du personnel et est engagé sous contrat à durée indéterminée (CDI). Contrairement aux entreprises d’insertion, ces entreprises émargent à une Commission Paritaire qui leur est propre et spécifique à la mission d’insertion socioprofessionnelle de personnes moins valides. Ces entreprises regroupent 5300 travailleurs en Wallonie. Ces deux derniers types d’entreprises s’avèrent être d’importants promoteurs de nouvelles structures d’insertion. (…) LES OPPORTUNITÉS ET LES FREINS DANS LA CRÉATION ET LE DÉVELOPPEMENT DES EI (…) Chez nous, le manque flagrant d’entrepreneurs est principalement dû à une culture du salariat induite par le passé industriel de notre région. Nos pères, ouvriers d’usine, ne nous ont pas appris le goût d’entreprendre. L’éducation et la sensibilisation vers ce genre de culture sont nécessaires. Nous devons soigner nos relations avec les écoles et les universités et y apporter notre expérience de terrain, notre enthousiasme, nos satisfactions. Nous remarquons, en Belgique que le taux de réussite des entreprises sociales d’insertion est bien plus élevé que les entreprises conventionnelles : 80 % au lieu de 50 %. Conférence Nous remarquons aussi que le rôle des structures porteuses est prépondérant. (…) L’avantage de ces structures porteuses est évident : matelas financier au départ, carnet de commande à disposition de la nouvelle structure d’insertion, jeunes employés qui peu à peu ont pris le « goût » de l’entreprise et qui désirent prendre des responsabilités, vivier d’expériences pour jeunes étudiants stagiaires, et pour activités innovantes… 66 Une autre méthode émergente s’appelle « coopérative d’activité ». Il s’agit de structures proposant un contrat de salarié au candidat entrepreneur et mettant à sa disposition : logistique, comptables, analystes, locaux… Une partie de son salaire vient, bien sûr, de son activité naissante et le complément vient d’un subside destiné à lui assurer un revenu minimum, le temps de se constituer un carnet de commandes suffisamment fourni. Lorsqu’il est prêt, il constitue sa société et devient indépendant. En Belgique, nous avons la chance que les différents ministres qui veulent tester une idée, lancent des projets pilotes qu’ils soutiennent financièrement. Ces appels à projets réguliers permettent de faire des essais réels sur de nombreux secteurs émergeants. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Il y a aussi des opportunités qui « boostent » le développement de nouvelles activités. Ainsi, les titres services en Belgique sont en train de provoquer la naissance de nombreuses entreprises d’insertion. Ces titres achetés 6,70 € et qui en valent 21 € permettent d’offrir des services d’aide ménagère au même prix que l’économie informelle. Dans les EI les personnes obtiennent un vrai statut de salarié. L’obligation de reprise des déchets, selon les règlements européens, permet maintenant de financer de nombreuses activités de recyclage. Voilà une niche à ne pas laisser échapper. Malheureusement on remarque souvent que lorsqu’un marché « marginal » devient solvable, le fantasme de la concurrence déloyale réapparaît et il n’est pas toujours possible de se maintenir face aux monstres industriels qui apparaissent. Pour finir, je mentionnerai trois pièges à éviter : 1) Nous ne sommes pas le sparadrap de la société et nous n’avons pas à nous substituer aux pouvoirs publics. L’économie sociale vise aussi à entreprendre autrement, favoriser une nouvelle forme de démocratie économique. 2) Nous ne devons pas nous cantonner dans des marchés à « surplus marginaux ». (…) 3) Le grand écart permanent que nous faisons pour concilier social et économique n’est pas nécessairement une faiblesse. Il peut être une force. Conférence Nous développons de nouvelles formes de gestion, mettant l’être humain à la première place. Cette logique de non-éviction du plus faible nous oblige à mettre au point des méthodes innovantes de gestion des conflits, d’affectation de résultat, de participation et de motivation du personnel. Méthodes différentes certes, mais qui s’avèrent souvent efficaces. 67 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Une histoire et un contexte Extraits de l’allocution de Monsieur Christian Jacquot, Directeur de l'association "GARE-BTT" (60 ETP d'insertion) Gérant de l'ETTI "BTTi" (22 ETP d'insertion) ; Président de l'UREI et Vice-Président du CNEI et, à ce titre, Président d'ENSIE, réseau Européen. Pour mieux appréhender ce qu’il y a de commun (ou de comparable) dans nos pratiques et dans nos réflexions, il est nécessaire de tenir compte de l’histoire particulière de leur développement et des caractéristiques d’environnement social, économique et, bien sûr législatif, de chacun de nos pays. En termes de contexte, il y a au moins un élément qui nous est commun pour la majorité d’entre nous, c’est que nous vivons dans des pays qui fonctionnent selon des modèles économiques, sociaux et culturels dominants très proches les uns des autres et qui tendent, d’ailleurs de façon inquiétante, à se standardiser. Pour tenir compte de ces observations, je donnerais quelques indications synthétiques sur le développement des entreprises d’insertion en France et sur l’environnement dans lequel elles évoluent. Il y a, aujourd’hui, près de 900 entreprises d’insertion, en France, qui génèrent environ 20 000 postes d’insertion et 35 000 postes de travail en totalité. L’entreprise d’insertion, comme toute entreprise, réalise son activité dans le cadre du marché concurrentiel et dans les domaines les plus divers : bâtiment, sous-traitance industrielle, blanchisserie, restauration collective, intérim, etc. En se développant au bénéfice exclusif d’une population en situation de rupture et de rejet, cumulant difficultés personnelles et sociales, elle constitue une réponse d’insertion à part entière qui utilise, comme support de sa pédagogie singulière, une activité économique de production de biens ou de services. Pour ma part, je travaille dans une entreprise d’insertion depuis 25 ans. Psychosociologue de formation, je fais partie de ces acteurs du secteur social qui cherchaient à inventer des alternatives à une action sociale traditionnelle trop enfermante et trop assistancielle. Au fur et à mesure des années, le développement de la précarité, la radicalisation de l’exclusion ont fait surgir d’autres défis et ont poussé d’autres acteurs, issus d’horizons professionnels les plus divers, à s’investir dans le développement de l’insertion par l’économique et ainsi rejoindre militants associatifs et professionnels du social dans la longue construction de notre mouvement. En créant la fédération CNEI16, les entreprises d’insertion françaises se sont données les moyens de mutualiser leurs expériences, de professionnaliser leur démarche, de multiplier les coopérations avec le monde économique et politique. Elles ont acquis une reconnaissance et une légitimité évidente, mais qui est cependant à rediscuter et à consolider en permanence. Notre entreprenariat demeure une forme particulièrement périlleuse d’entreprenariat qui doit bien sûr garantir une réelle performance économique, mais sans jamais rien renier de son projet social qui est sa raison d’être. Conférence Il y a 20 ans, on s’occupait de gens qui s’étaient éloignés du monde du travail, aujourd’hui nous sommes confrontés à des gens qui ne s’en sont jamais approchés. Voilà le type de défi à partir duquel nous devons penser notre développement et envisager l’avenir des entreprises d’insertion dans une société où précarité et exclusion se radicalisent, et même pire, se banalisent. Je me suis efforcé de réagir aux questions proposées plus que d’y répondre, en veillant à organiser une réflexion en fonction de deux préoccupations plus générales : « Où en sommes nous, pour aller où ? » LES FACTEURS GUIDANT LES CHOIX SOCIAUX DE L’ENTREPRISE ET LA PERTINENCE DE CES CHOIX Je me permets de citer (et ainsi je n’engage que moi !) un court passage d’article que j’ai écrit en 1997 et intitulé « L’entreprise l’insertion : un outil "atypique" de l’action sociale ». « Ce parti pris d’articulation d’une activité d’insertion et d’une activité économique pour mieux prendre en compte la réalité des attentes d’une population en rupture, déstabilisée par un cumul de handicaps d’existence, constitue, précisément, le moteur de la pédagogie "atypique" mise en œuvre par l’entreprise d’insertion ». 68 16 Comité national des entreprises d’insertion. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 L’utilisation de l’entreprise comme outil de cette pédagogie particulière impose que le fonctionnement d’une entreprise soit mis en œuvre de façon effective dans tous ses aspects : technicité, commercialisation, gestion, droit du travail et dialogue social, et bien sûr développement… Et pourquoi pas bénéfice. En même temps, cet entreprenariat est entièrement conçu et mobilisé au bénéfice exclusif d’une population précarisée, mise à l’écart et stigmatisée socialement. S’il y a un élément qui détermine l’entreprise dans ses choix de marché, d’organisation et de structuration ainsi que de partenariat, c’est cette nécessité de garantir cette capacité de développement de son activité en direction exclusive des populations fragilisées, hors du monde du travail et hors d’un monde où l’on travaille. Un entreprenariat au service de l’Homme, certes, mais, en plus, au service des femmes et des hommes qui n’intéressent pas l’entreprise et qui souvent lui rendent bien !!! Cette question du public ciblé est cruciale et tout découle de la capacité de chaque entreprise à relever ce défi et à respecter cet engagement. Le défi de l’entreprise d’insertion n’est donc pas tellement de trouver le bon équilibre entre l’insertion et le marchand, mais plutôt d’inventer une démarche (et de la maintenir en permanence) qui permet à des dimensions complètement antagonistes de se conjuguer positivement pour générer un développement économique fiable, accessible à un public qui ne l’est pas (ou considéré comme ne l’étant pas) ! Au sein du réseau européen ENSIE, nous avons retenu trois «fondamentaux identitaires» de cet entreprenariat contre l’exclusion et pour l’intégration : 1) des entreprises dont le projet social est l’intégration sociale et la citoyenneté (la finalité) ; 2) des entreprises positionnées au cœur du système économique (l’outil) ; 3) des entreprises à forte dimension pédagogique (la méthode et la démarche). L’enjeu de l’entreprise d’insertion est d’élaborer une démarche et des méthodes qui fassent fonctionner l’outil ou le support au service de la réalisation de la finalité. L’enjeu déterminant c’est, bien sûr, que l’entreprise d’insertion parvienne à vendre, à « son juste prix », le service d’insertion rendu à l’État, aux collectivités locales ou, pour nous, à l’Europe. Le financement public de l’entreprise d’insertion doit, en effet, être appréhendé comme la rémunération d’un service rendu à la collectivité. RENTABILITÉ, PERFORMANCE ÉCONOMIQUE ET PERFORMANCE DES ENTREPRISES D’INSERTION Tout en garantissant sa rentabilité, à condition bien sûr que le service rendu à la collectivité soit justement rémunéré, donc bien rendu, le défi et l’obligation pour l’entreprise d’insertion peuvent se résumer de la façon suivante : la valeur ajoutée économique qu’elle produit est toujours le moyen de produire de la « valeur ajoutée humaine ». En développant des postes de travail pour une population mise à l’écart socialement, dans le cadre d’une activité pleinement inscrite sur le marché, l’entreprise d’insertion rend un service directement à la population en question, mais aussi, de façon économiquement chiffrable, à l’ensemble du territoire et à la collectivité. Si je me base sur la réalité française, quand la collectivité investit 5 € dans une entreprise d’insertion, elle crée au moins 10 €, et souvent plus. Comme ces entreprises assument l’ensemble des obligations d’une entreprise, elles génèrent, par leur activité, de l’impôt, de la taxe professionnelle, du financement des caisses Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence En ce qui concerne les facteurs guidant les choix économiques, à l’évidence et en fonction du développement précédent, ils ne se limitent pas à un critère de rentabilité, qui demeure cependant un critère indispensable. L’exemple le plus parlant est le choix de l’activité. L’entreprise d’insertion doit choisir un secteur d’activité solvable, mais aussi accessible, sans trop de pré-requis, à la population qu’elle veut embaucher. L’entreprise doit donc choisir une activité génératrice de main-d’œuvre, qui ne suppose pas de formation (ou trop de formation préalable) mais qui permette de véritables expérimentations, apprentissages et acquisitions. Elle doit également choisir et organiser (c'est-à-dire professionnaliser) son activité (et donc son positionnement sur le marché) pour qu’elle ait une dimension valorisante pour la personne vis-à-vis d’elle-même et de son environnement : solvabiliser, professionnaliser, construire une image positive d’entreprise sur le secteur géographique et économique pour valoriser le parcours d’insertion et apporter les meilleures chances d’intégration. 69 de solidarité et de l’achat de matière pour les fournisseurs du bassin économique local. Ces résultats s’ajoutent au fait, qu’en même temps, elles font vivre des familles qui paient leur loyer, consomment pour leur existence, etc. Mais surtout elles le font avec des populations qui, jusque là, constituaient un coût pour la collectivité (par exemple le RMI17 en France) et qui, par leur embauche en entreprise d’insertion, participent de façon concrète (et significative) aux financements des dépenses publiques, des caisses de solidarité et du développement local. Cette dimension d’activation des dépenses passives c'est-à-dire cette justification de notre action par la dignité retrouvée des personnes qui peuvent se revendiquer d’une existence de citoyens à part entière, voilà une performance singulière de l’entreprise d’insertion. Mais, une nouvelle fois, elle ne peut atteindre (et afficher) cette performance que s’il y a cohérence entre son positionnement social et son positionnement économique, et qu’elle réalise l’ensemble de ses engagements sur ces deux fronts d’intervention. Ces conditions étant garanties, l’entreprise d’insertion est donc une expérience d’entrepreneuriat qui génère de la richesse avec une population à laquelle il est reproché de surtout créer de la dépense et, de plus en plus souvent, de vivre en parasite. Ce retour sur investissement pour la collectivité et les pouvoirs publics, cette participation concrète au financement de la solidarité et du développement local constitue un des éléments décisifs de détermination et de négociation de la rémunération « au juste prix » du service rendu. Ensuite, il devient plus facile de faire appréhender et prendre en compte les « coûts évités », en termes d’hospitalisation, d’incarcération, d’aides sociales diverses etc. Il y a beaucoup à dire sur ce thème, mais je ne cherche pas à être complet, seulement à mettre en évidence la nécessité de produire une évaluation globale de l’entreprise d’insertion, qui, non seulement, ne sépare pas l’appréciation des performances sociales et économiques, mais en révèlent la cohérence et la complémentarité. INTÉGRATION PAR LE TRAVAIL ET TRAVAIL D’INTÉGRATION Conférence L’évolution de la démographie des actifs va créer, dans nos sociétés, un besoin conséquent de main-d’œuvre et donc, a priori, considérablement améliorer le marché de l’emploi. Nous avons connu entre 1998 et 2001, en France, une embellie économique qui a permis, évidemment, de faire embaucher plus de personnes mais qui nous a conduit à deux observations principales : • tout d’abord ce n’est pas l’insertion par l’économique qui crée l’offre d’emploi et donc pour qu’il y ait accès à l’emploi encore faut-il qu’il y ait des emplois disponibles ; • par ailleurs, cette situation nous a confirmé que, lorsque le marché de l’emploi se dégrade, ce sont les populations que nous prenons en charge qui sont les premières concernées et que lorsqu’il s’améliore, elles sont les dernières à en profiter. Si on tient compte de ces observations, les cinq années à venir nous conduisent, dès aujourd’hui, à réfléchir à la fonction passerelle des entreprises d’insertion et au modèle d’intégration pour lequel elles se mobilisent. En particulier, réfléchir à la fonction passerelle des entreprises d’insertion dans un contexte où le monde de l’entreprise aura de nombreux besoins qu’il voudra satisfaire à ses conditions. Ainsi se développe, de la part des entreprises une conception « intégriste » de l’employabilité qui s’appelle le « prêt à l’emploi ». Cette attitude est d’ailleurs directement une conséquence d’une période où, le taux de chômage étant élevé, l’entreprise avait l’embarras du choix et a pris l’habitude de se séparer des gens au gré de la moindre fluctuation de sa rentabilité propre. Entre temps, elle s’est éloignée de son rôle d’intégration, de formation et offre de moins en moins de réelles perspectives d’évolution à la personne. À ce mode de traitement, les salariés ont répondu par le « nomadisme », n’hésitant pas à passer d’une entreprise à l’autre pour aller vers le plus offrant (en fonction de leur conception du plus offrant). L’ensemble de ces évolutions doit être pris en compte parce que si l’entreprise d’insertion préserve cette fonction passerelle, ce ne peut-être en étant l’instrument d’un monde de l’entreprise qui ne reconsidère pas ses pratiques d’intégrations et ses responsabilités sociales. Comment agir et réagir à ces types d’évolution ? Faut-il remettre en cause cette logique de passerelle ? Il y a un certain nombre de pays européens qui développent déjà de façon systématique de l’emploi durable (Belgique) ou qui mixe emploi durable et emploi passerelle (Italie). Il n’y a 70 17 Revenu minimum d’insertion. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 pas de réponse toute faite hors de celle que peut nous aider à inventer notre capacité collective à réfléchir en nous appuyant sur ce que nous avons déjà expérimenté. Mais nous devrons faire évoluer notre positionnement et notre démarche en prenant en compte ces transformations sans s’y soumettre ! Notre mouvement doit conserver, absolument, un regard critique sur les transformations sociales et économiques en cours et construire, en permanence, une véritable capacité d’influence pour ne pas subir ou se laisser instrumenter. RESTONS GROUPÉS ET OUVERTS ! Conférence Cette capacité de mutualisation et de formalisation des acquis, cette force d’influence et de proposition, nous ne pouvons la développer que si nous sommes impliqués dans une logique de réseaux nationaux et transnationaux. « Entreprendre contre les exclusions, réalité et utopie au cœur de l’économie », était le thème du dernier congrès du CNEI. Je pourrais ajouter « réalité et utopie au cœur de la société »… Notre responsabilité, aujourd’hui, est d’affirmer la pertinence de notre entreprenariat et de ce qu’il produit, tout en gardant la force d’un mouvement social critique qui mobilise une réelle volonté d’influence et se dote des moyens de la rendre efficace. Je reste convaincu que nous n’avons pas à aider les personnes à s’intégrer dans la société telle qu’elle est, mais telle qu’on la rêve. Nous devons continuer de partager et de faire reconnaître notre réalité et nos rêves… Et de le faire collectivement. 71 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 De l’importance de la marge et de la marginalité Extrait de l’allocution de Monsieur Jacques Bertrand, directeur général de La Relance Outaouais Inc., membre du conseil d’administration du Collectif des entreprises d’insertion du Québec (…) Depuis leur existence, les entreprises d’insertion se sont développées pour des marginaux, bien souvent par des marginaux et il n’est donc pas étonnant que leur façon de faire soit également un peu marginale. Il ne faut pas se méprendre sur le mot « marginal » car, pour moi, il a plutôt une signification hautement positive, plus proche « d’original ». Il y a quelques années, lors d’une rencontre similaire à celle-ci, au Mans (en France)18, j’ai assisté à une allocution qui a laissé en moi une très belle image des « marginaux »19. Je vous la résume ici en quelques mots. Notre société se comparait à un livre. Notre Histoire, nos coutumes, nos normes s’écrivent, un peu à la manière d’une histoire, sur les pages d’un livre. Nos lois, nos règlements, nos institutions y sont aussi inscrites, de même que notre économie, nos entreprises, etc. En fait, le livre devient le reflet de notre société. Tout ce qui ne fait pas partie de ce que je viens de nommer se situe pour ainsi dire en marge ou à la marge. Ce qui est merveilleux c’est que c’est grâce aux marges et paragraphes que le texte devient plus clair, plus cohérent, plus accessible et plus aéré. Par ailleurs, un livre comporte plusieurs pages et, encore une fois, c’est grâce à la marge que l’on peut les relier ensemble, et que l’histoire peut suivre son cours et évoluer. Voilà donc notre métaphore : en est-il de même avec les marginaux et n’est-ce pas grâce à eux que notre société se tient ensemble et évolue ? Aujourd’hui je voudrais vous entretenir : • d’une vision transversale du développement des entreprises d’insertion, surtout avant 1995, et des différentes tendances qui subsistent actuellement ; • sept critères québécois des entreprises d’insertion (depuis 1996) et de leurs impacts sur l’équilibre toujours fragile entre l’économique et le social ; • quelques éléments dits de « normalisation » qui sont propres à l’organisation que je dirige. Conférence Rappelons que les entreprises d’insertion sont nées et se sont développées suite au besoin d’insérer, sur le plan social et professionnel, des personnes qui étaient « exclues » du système. Exclues par qui ? Par l’éducation, par l’entreprise marchande traditionnelle, par le système social, voire par la communauté. Comme si un mur s’était construit entre le social et l’économique. Anciennement, il ne serait venu à l’idée de personne que, par exemple sur une ferme, alors que tout le monde travaille, le fils de 22 ans reste à la maison, sous prétexte que les tâches sont déjà réparties. Il aurait, d’une façon ou d’une autre, certainement apporté sa contribution à l’ensemble des travaux de la ferme. De même, dans une communauté, dès qu’une personne était disponible ou en âge de travailler, on lui trouvait une fonction : chez le boulanger, à l’usine ou autre. À ce moment-là, on devenait apprenti ou bien l’entreprise nous formait à un poste et selon nos capacités, et ainsi on assurait une fonction dans la société. Il y avait une perspective à moyen et à long terme. « L’immédiateté » des besoins de la communauté ou de l’entreprise, en plus d’un nombre considérable de personnes disponibles en même temps, a fait en sorte que l’entreprise veut maintenant du « prêt-à-porter ». Donc des gens déjà prêts à remplir immédiatement leur fonction. Il n’y a plus d’apprentissage ou d’insertion. 72 Au Québec, hormis les différentes initiatives socio-économiques qui ont précédé les années 80, il existe des entreprises d’insertion depuis 1982. Jusqu’en 1995, des entreprises d’insertion sont nées ou se sont développées bien souvent selon les propres tendances ou approches de leurs concepteurs ou selon tel ou tel programme financier. Ainsi, on peut facilement reconnaître 4 types de tendances. Chaque tendance a une dominante mais non exclusive des autres. 18 Je crois que c’était en 1998. 19 Malheureusement, je ne me souviens plus du nom de l’intervenant. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 1. La tendance psychologique A priori, c’est l’individu qui est dysfonctionnel. La personne est au centre de l’intervention et l’entreprise est l’outil servant au développement de cette personne. Les entreprises d’insertion de cette première tendance mettent l’accent sur la mission, sur l’accompagnement individualisé, sur la formation globale, sur le statut des salariés, sur les participants les plus démunis (vous reconnaîtrez, plus tard, certains critères de reconnaissance). La tendance psychologique cherche à développer une meilleure estime de soi, une meilleure confiance en soi, des attitudes et habitudes de travail saines. Cette tendance est donc très axée sur l’individu. 2. La tendance sociale A priori, ce sont les structures qui dysfonctionnent. On met donc le groupe au centre de l’intervention. L’entreprise d’insertion de cette deuxième tendance aborde sa mission avec une lunette plus sociale. Il est donc important que l’entreprise d’insertion provienne de sa communauté, qu’elle agisse en partenariat, qu’elle s’inscrive dans la dynamique du milieu. Les interventions de groupe sont plus nombreuses. Le groupe est important comme élément intégrateur. On y parle d’identité mais aussi de citoyenneté. 3. La tendance éducationnelle A priori, c’est le système éducatif qui est défaillant. On met l’accent sur la formation. Les entreprises d’insertion de cette troisième tendance recouvrent, bien entendu, les éléments des deux autres tendances, mais ici, on met davantage l’accent sur l’insertion « professionnelle » que sociale. On y introduit des éléments « qualitatifs », des formations plus techniques, de l’alphabétisation. On parle quelque fois de « diplômation ». On cherche parfois des reconnaissances formelles de l’institutionnel. 4. La tendance économique A priori, c’est le système économique, lui-même, qui n’est plus apte à intégrer les personnes telles qu’elles sont. Dans les années 1991-93, l’État québécois met donc sur pied des corporations intermédiaires de travail20. Ces nouvelles structures mettent beaucoup l’accent sur l’entreprise elle-même. C’est de « l’économie sociale », mais le psychosocial est peu présent. On rêve de l’insertion par l’économique seul. Si on revient à notre mur, où il y a d’une part l’économie marchande, productive et immédiate, et de l’autre les types d’interventions, la place des entreprises d’insertion, avec ses 4 tendances d’origine, se situe donc comme passerelle entre ces deux mondes. En quelque sorte, ce sont ces quatre tendances qui donnèrent naissance aux 7 critères de reconnaissance des entreprises d’insertion. LES 7 CRITÈRES DE RECONNAISSANCE DES ENTREPRISES D’INSERTION 1) La mission. Principalement tournée vers l’insertion, la finalité même de l’entreprise n’est pas l’économique mais d’abord la fonction de passerelle. 2) Les participants (ou travailleurs en insertion) sont fortement défavorisés sur le plan de l’emploi et bien souvent en situation d’exclusion. 3) Une entreprise authentique, qui commercialise des biens et services et qui vit avec les contraintes du marché. Conférence Les 7 critères, sous-jacents aux 4 tendances, sont, en quelque sorte, les éléments rassembleurs qui ont permis à chacun de se reconnaître dans le Collectif des entreprises d'insertion. À partir de 1996, une grande mise à niveau des entreprises d’insertion s’est opérée sur la base de ces critères. Certaines étaient conformes à l’ensemble des 7 critères, mais la majorité, compte tenu de leur origine, avaient à s’approprier l’un, l’autre ou plusieurs d’entre eux. 73 20 Les quelques entreprises d’insertion existantes d’alors étaient largement financées par les fonds fédéraux Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 4) Un statut de salarié, comme tout autre employé régulier et, a minima, selon les normes du travail en vigueur. 5) Un accompagnement personnalisé à chaque participant, selon ses besoins propres, autour d’une intervention concertée et planifiée. 6) Une formation globale qui tient compte de plusieurs aspects de la personne, tant personnel, social, professionnel qu’économique. 7) Et enfin le partenariat, aujourd’hui on parlerait de réseautage, qui permet à l’entreprise de s’inscrire dans la dynamique de son milieu. La question essentielle autour de ces 7 critères est « comment maintenir l’équilibre au sein de l’entreprise d’insertion » ? Pour la majorité des dirigeants et des salariés permanents, le travail se compare souvent à celui d’un funambule : toujours sur la corde raide entre le social et l’économique, entre la rentabilité financière et la rentabilité humaine, en regardant toujours au loin avec le cap sur la mission. Ainsi, lorsqu’on reprend quelques-uns des critères et leur influence sur l’équilibre global de l’entreprise, on s’aperçoit très vite que : • La mission ne doit pas être un enjeu. Elle est plutôt le point éloigné qui permet de garder cet équilibre, un peu à l’exemple du funambule. C’est lorsqu’on perd de vue ce point d’horizon et que l’on regarde d’un côté (le social) ou de l’autre (l’économique) que l’on risque de perdre l’équilibre. • Le choix des participants suppose d’abord de bien connaître son entreprise, de sorte qu’elle puisse permettre à un participant donné de faire un saut qualitatif sur le plan de son insertion entre son entrée et sa sortie. Productif certes, mais ni trop compétitif (alors que se poserait la question du besoin réel d’une telle structure), ni trop peu compétitif (ne permettant pas d’envisager une insertion réussie). Dans ce cas, l’échec pourrait même être néfaste sur le plan individuel et personnel. • Parallèlement l’entreprise d’insertion veillera à trouver une autre forme d’équilibre : au sein du groupe de participants (qui est en constante évolution) en mêlant des personnes plus productives avec des individus marqués par des problématiques personnelles et sociales plus importantes. L’hétérogénéité devient donc une forme de garantie de l’équilibre au sein même des salariés participants. • Quant au choix du type d’entreprise, il doit être en lien direct avec les besoins d’insertion des participants et s’inscrire dans la dynamique de son milieu. Par ailleurs, l’équilibre est encore ici recherché entre une rentabilité suffisante couplée à des choix positifs pour les participants. Par exemple, se doter d’un lave-auto manuel plutôt qu’un lave-auto mécanisé. La rentabilité économique n’est pas uniquement souhaitée pour la santé financière de l’entreprise mais aussi pour exercer une pression positive, attractive, chez le participant. Conférence Pour conclure, dans ma propre organisation, d’autres éléments se juxtaposent aux 7 critères de reconnaissance de l’entreprise d’insertion qui participent à l’équilibre recherché. En voici quelques-uns : • Il y a dissociation physique entre la localisation de l’entreprise et le lieu de l’intervention psychosociale. En effet, quoique l’intervention soit globale et reliée aux autres aspects de l’entreprise, les intervenants psychosociaux sont situés à l’extérieur de l’entreprise marchande, afin de respecter l’authenticité de cette dernière, tout en faisant partie de la même organisation. • Des employés authentiques qui ne sont, ni professeurs, ni travailleurs sociaux, mais simplement des professionnels du métier qu’ils pratiquent et qui exercent une fonction « normalisante » pour l’employé-participant. Ils favorisent un modèle d’identification accessible pour le participant. • La « non-identification » de l’entreprise comme entreprise d’insertion : cette dernière porte donc un nom distinctif de celui de l’entreprise propriétaire tout en lui appartenant. Elle n’utilise jamais comme élément de commercialisation le fait qu’elle soit une entreprise d’insertion. • L’employé-participant n’est pas identifié, dans l’entreprise, vis-à-vis du public comme étant un « participant » et, même après son passage, sur son curriculum vitae, on pourra lire qu’il a travaillé dans l’une ou l’autre des entreprises, mais il ne sera nullement fait mention de son passage à La 74 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Relance Outaouais (l’entreprise d’insertion). On cherche à tout prix à éviter la stigmatisation de la clientèle en n’ajoutant pas une étiquette au jeune, qui en a, par ailleurs, déjà plusieurs. • L’entrée continue dans le programme permet d’éviter une déstabilisation de l’entreprise par l’arrivée massive de nouveaux employés (ce qui se fait rarement dans l’entreprise régulière), et prévient également la formation de sous-groupes à l’intérieur de l’entreprise. • Un ratio ne dépassant jamais le un pour un : il y a toujours plus d’employés « normalisant » que d’employés « participants » dans l’entreprise. • Finalement, l’application d’horaires de travail similaires à ceux des entreprises classiques du même secteur permet de tester l’adaptation de la personne à son environnement, à mesure des aléas de son emploi du temps. Ainsi l’employé-participant peut travailler le jour, le soir ou les fins de semaine (à l’image de son futur emploi) et faire face immédiatement aux problématiques rencontrées. Conférence En conclusion, à l’heure où le monde économique pèse d’un poids toujours plus lourd (mondialisation des marchés, main-d’œuvre étrangère sans protection législative, expatriation d’emplois peu qualifiés) et qu’en découle une exclusion de plus en plus massive d’un pan entier de la population, il est urgent de maintenir l’équilibre. Et de renouveler la question, toujours collective, d’un développement qui pourrait être autre : durable et toujours citoyen. À nous de veiller à ce que « insertion » ne rime jamais avec « illusion » et de sans cesse adapter, réinventer et… oser toujours la « marginalité ». 75 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Les entreprises d'insertion en Suisse romande : des expériences nombreuses, un dispositif complexe dans un système politique fédéraliste décentralisé Extraits de l’allocution de Christophe Dunand ; Ingénieur ETS, diplômé de l’Institut Universitaire d’Études du Développement (Iuéd), Directeur de l'association Réalise, chargé d’enseignement à l’Iuéd, Président de l’Association pour le Développement de l’économie sociale et solidaire (…) Depuis le début des années 80, de nombreuses initiatives d'insertion par l'économique ont vu le jour dans cette région, sans coordination, avec peu de liens entre elles, ou des liens sectoriels (social, handicap, formation notamment). Le nombre d'organisations varie selon la définition retenue, toutefois, selon notre perception de la situation dans les autres pays, le nombre de places d'insertion par l'économique rapporté à la population est élevé. Les premières entreprises d'insertion ont précédé la croissance du chômage, qui a touché tardivement notre pays, en comparaison avec l'Europe de l'ouest et l'Amérique du nord. Ce n'est que depuis les années 90 que l'insertion, ou la réinsertion, est devenue un enjeu national et le dispositif, très complexe, que nous allons tenter de décrire dans les lignes qui suivent doit être considéré comme « jeune » et confronté à un besoin flagrant de réformes. L'insertion par l'économique est une pratique répandue, pourtant elle ne fait pas ou peu partie, à ce jour, du discours des décideurs et n'apparaît qu’implicitement dans différentes bases légales. (…) INSERTION/RÉINSERTION PAR L’ÉCONOMIQUE, ENTREPRISE D’INSERTION : DE QUOI PARLE-T-ON ? (…) Les entreprises d’insertion, institutions qui pratiquent l’insertion par l’économique, sont reconnues pour leurs prestations, mais généralement pas comme entreprises. Plusieurs ont adopté l’appellation : « entreprise d’insertion », « entreprise sociale » ou « entreprise sociale d’insertion ». Certaines mettent en avant leur fonction de réinsertion, sans mettre en avant leur démarche entrepreneuriale dans leur nom. Conférence Sur le terrain, on parle plus souvent de « réinsertion » que « d’insertion », terme plutôt réservé aux programmes d'appui à l'insertion des (…) demandeurs d'emploi. Hormis les dispositions de l’assurance invalidité (financement d’ateliers d’occupation et de mesures de réadaptation), l’insertion par l’économique, n’est pas un dispositif structuré à partir de politiques publiques précises en Suisse. Il s’agit d’un ensemble divers de pratiques de terrain, mises en place par des acteurs associatifs (ou des fondations) au niveau local, de manière autonome, qui emploient des concepts divers pour qualifier leur action, mais recouvrant des buts et des méthodes de travail qui ont en commun : • une finalité sociale de réinsertion de demandeurs d'emploi, généralement en priorité des personnes en difficulté ; • des activités de production de biens ou de services générateurs de revenus ; • une autonomie vis-à-vis de l’État. Par souci de cohérence avec les concepts utilisés dans le programme des rencontres, nous utiliserons dans ce texte le concept d’entreprise d’insertion (EI) pour recouvrir l’ensemble des pratiques qui ont en commun, au minimum, ces trois caractéristiques. Comme nous le verrons, le niveau d’activité économique est très variable d’une institution à une autre, pour des raisons d’objectifs institutionnels (priorité à la formation par exemple) comme pour des raisons de limites légales liées aux financements publics. 76 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 RÉINSERTION PAR L'ÉCONOMIQUE, DES PRATIQUES DANS UN SYSTÈME LÉGAL TRÈS COMPLEXE Le dispositif d'aide à l'emploi et d’aide sociale suisse est complexe, peu cohérent et inégalitaire selon la commune de résidence et le statut administratif. Il ne peut être compris sans rappeler l’importance de l’organisation fédérale du pays et le principe de subsidiarité. Ce principe mène à une gouvernance très décentralisée, dans un pays dominé depuis sa constitution par des valeurs libérales. L'autonomie des communes et des cantons en matière d'aide sociale est très large. Les bases légales qui concernent les bénéficiaires d’une aide au retour à l’emploi ont été conçues séquentiellement dans le temps et sans coordination formelle entre le niveau communal, cantonal et fédéral. (…) Au niveau communal et cantonal, les soutiens financiers à l'insertion sont dispensés par des départements (« ministères » cantonaux) différents selon le public cible. Les institutions cantonales sont organisées de manière spécifique : (…) • le Département de l’Instruction publique soutient les mesures pour les jeunes ; • le Département de l’Action sociale et de la Santé soutient les mesures pour les adultes qui n'ont plus droit au chômage et les personnes ayant eu des problèmes de toxicomanie, d'alcool ou de santé ; • le Département de Justice et Police soutient les mesures pour les ex-détenus ; (…) • le Département de l’Économie soutient les mesures pour les chômeurs. Les collaborations entre ces départements d'un même canton sont souvent limitées et le système institutionnel est très cloisonné. On constate des différences importantes entre les politiques publiques cantonales et communales en matière d’aide sociale et de lutte contre le chômage. Certaines communes et certains cantons ont mis en place des dispositifs étendus pour compléter les prestations prévues par les lois fédérales. D'autres n'ont rien fait. Les inégalités sont importantes, mais, d'une manière générale, en particulier en milieu urbain, les ressources financières n'ont pas manqué pour soutenir les projets sociaux les plus divers, dont l'insertion par l'économique. La complexité du dispositif légal et institutionnel induit une vision fragmentée des individus en fonction de leur statut administratif. Elle représente un frein considérable à l’organisation et au suivi des trajectoires de réinsertion sur le terrain et à l’émergence d’une vision et de politiques structurées d’insertion. Les demandeurs d'emploi, comme les professionnels attachés aux multiples institutions qui dépendent de ces bases légales, peinent notablement à s'y retrouver. Une réforme d'ensemble est devenue nécessaire pour favoriser la réinsertion des demandeurs d'emploi ainsi que pour augmenter l'efficience d'un système dont les coûts de fonctionnement sont très élevés. • les ateliers pour personnes handicapées (nommés le plus souvent : ateliers protégés) ; ces ateliers, soutenus financièrement dans le cadre de la loi fédérale sur l’assurance invalidité (AI), mènent des activités marchandes dans des secteurs les plus divers ; ils représentent en Suisse des milliers de places de travail ; (…) • les entreprises sociales d'insertion (ou de réinsertion), qui se sont créées avec des financements cantonaux ou communaux et qui offrent des opportunités de remise au travail et de réinsertion à des personnes bénéficiant de l‘aide sociale ou d’un revenu minimum cantonal ; (…) • les programmes d'emploi temporaire collectifs fédéraux pour chômeurs, mesures actives prévues par la loi fédérale sur le chômage, qui permettent à une organisation à but non lucratif ou à une commune d’organiser des activités de production, mais non concurrentielles avec l‘économie privée, pour développer les compétences des chômeurs et favoriser leur réinsertion. (…) Conférence De manière schématique, il nous semble possible de définir trois catégories d’institutions ou de programmes d’insertion par l’économique en Suisse romande : 77 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Une vision large de l’insertion par l’économique (économie marchande et non-marchande) mène à englober en Suisse 1) des institutions pour personnes handicapées ayant des perspectives de réinsertion ; 2) des entreprises d’insertion à proprement parler ; 3) différentes mesures actives pour les chômeurs. Les entreprises d'insertion par l'économique s'adressent à des jeunes demandeurs d'emploi en rupture, à des adultes en difficulté face au marché de l'emploi (réinsertion) et à des personnes sortant de prison (réinsertion). D'une manière générale des institutions spécifiques s'adressent à ces trois catégories de public et collaborent peu entre elles. Pour tenter de limiter notre analyse à la définition générale des EI proposées par les organisateurs de ces rencontres, nous allons considérer comme EI l'ensemble des organisations qui : • poursuivent un but d’insertion et de réinsertion (but d’intérêt collectif) ; • mènent des activités de production, même si le côté marchand des activités est parfois limité (ont donc une démarche entrepreneuriale). (…) Il n'existe pas de recensement officiel des EI de Suisse romande. Au sein des ateliers protégés pour personnes handicapées, seule une partie des places peut être considérée dans une perspective d'insertion comme abordé plus haut, ce qui ne facilite pas leur décompte. Ce n’est que par les subventions qu’il est possible de repérer les EI au niveau cantonal, mais toutes n'ont pas des subventions cantonales. Elles émargent à différents budgets cantonaux (social, instructions publiques, justice, etc.) et, en général, ne sont pas distinguées des autres associations et fondations à but social qui sont subventionnées. DES RELATIONS DIVERSES AVEC L'ÉTAT Le type de relation entre les bailleurs de fonds publics (commune, canton et confédération) et les IE est très divers. Sur le terrain on observe des relations allant d'un partenariat bien négocié à des relations de soustraitance, dans une perspective étatiste ou libérale, pour reprendre la typologie élaborée par le Conseil économique et social. Conférence À titre d'exemple, à Genève le Département de l'Action sociale et de la Santé a une longue tradition de collaboration avec le secteur associatif, en particulier autour du domaine du handicap. À l'opposé, le Département de l'Économie et des Affaires Extérieures, n'avait pas une telle tradition au moment de l'explosion du chômage dans les années 90. Avec la croissance du nombre de demandeurs d'emploi et compte tenu des dispositions légales qui prévoient la possibilité pour des organisations privées (avec ou sans but lucratif) d'offrir des mesures de formation ou de réinsertion, ce Département a dû collaborer avec des tiers. Mais ce manque de tradition et de vision dans la répartition des rôles entre l'État et le secteur privé associatif a mené à des relations difficiles, en particulier les premières années. 78 La nouvelle gestion publique, dont la logique continue à s'étendre même si le concept a été retiré du discours, influence de manière décisive la nature des relations entre les EI et l'État depuis le début des années 90. Elle se traduit en particulier par la volonté de contractualiser ces relations (contrats de prestations), ce qui pose de très nombreux problèmes de principes et de méthodes. Nous constatons, sur le terrain, la mise en place progressive de contrats, dont les noms varient (contrat de prestation ou contrat de partenariat) autant que l'esprit qui guide leur élaboration. A l'image du dispositif morcelé décrit plus haut, chaque bailleur met en place un type de contrat pour son financement, avec des exigences diverses et parfois incohérentes avec les exigences des autres bailleurs (les exigences comptables en sont un exemple). Dans de nombreux cas, au niveau cantonal les subventions ont été accordées au départ sur la base du projet présenté par une organisation, en laissant une grande latitude quant aux méthodes de travail et à l'organisation des prestations. La mise en place de programmes d’insertion dans le cadre des mesures actives de la loi fédérale sur le chômage s’est d’entrée faite de manière structurée avec la mise en place systématique de contrats de prestations. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 L’observation du terrain montre des différences considérables tant dans la latitude laissée aux opérateurs par les bailleurs dans l'affectation des ressources publiques qu’en ce qui concerne les revenus des activités économiques. La tendance générale est toutefois à une formalisation des relations et à une diminution de la marge de manœuvre des EI. C’est un des enjeux centraux pour l'avenir. Une clarification des relations entre les services publics et les EI est nécessaire. Cependant le maintien de l’autonomie, nécessaire aux activités économiques (production, innovation), comme aux activités de réinsertion (proximité, souplesse, évolutivité), est primordiale. La transformation des opérateurs associatifs en services publics serait, à cet égard, catastrophique. DES BÉNÉFICIAIRES AUX PROFILS DIVERS Les premières entreprises d'insertion, créées avant la crise économique des années 90, s'adressaient principalement à des personnes exclues du marché de l'emploi depuis plusieurs années et aux bénéficiaires de l'aide sociale. En général, leur éloignement du marché de l'emploi était lié à des problèmes sociosanitaires (toxicomanies, problèmes familiaux, santé physique et mentale, problème de logement, endettement, etc.). Elles étaient non qualifiées dans leur majorité, certaines avaient une formation devenue obsolète. Une nouvelle catégorie de personnes est apparue nécessitant une aide pour leur réinsertion avec le développement du chômage. Ces dernières, majoritairement peu ou pas qualifiées, souvent illettrées, sont démunies face à un problème de chômage qu’elles n’ont que rarement eu à gérer préalablement. Méconnaissance de leurs droits et devoirs, méconnaissance aussi de la jungle administrative qui en découle, des compétences très lacunaires pour rechercher un emploi, se greffent parfois à des fragilités préalables. Santé déficiente, consommation d’alcool déjà excessive, réseau social faible, diminution de revenu qui devient critique, logement précaire, situation familiale difficile, sont quelques-uns des facteurs qui, parfois en agissant de manière cumulative, rendent nécessaire une activité professionnelle encadrée pour soutenir un processus de retour à l’emploi ou tout au moins la prévention de leur marginalisation. Toutefois, durant les premières années de chômage, ces personnes avaient en général des compétences professionnelles supérieures à celles exclues de longue date (première catégorie), du fait de leur éloignement récent du marché de l’emploi. Aujourd'hui ces deux catégories schématiques se confondent, en particulier du fait de la rotation des personnes dans le dispositif. Retour à l’emploi, chômage, accès au revenu minimum, retour à l’emploi, font qu’il devient difficile de savoir, dans certains cas, si les difficultés qui rendent nécessaires une aide au retour à l’emploi sont la cause ou l’effet de l’exclusion du marché de l’emploi. Même si de nombreux chômeurs retrouvent un emploi et même si les études manquent, sur le terrain on observe que la réinsertion est de moins en moins durable et que de nombreuses personnes s’éloignent progressivement du marché de l’emploi. (…) Ces dernières années, une tendance relevée par plusieurs professionnels est la croissance du nombre de jeunes adultes et des personnes âgées de plus de 55 ans. Les premiers posent des problèmes de prise en charge. Leur manque de motivation et de connaissance des exigences du marché de l’emploi débouche sur des ruptures fréquentes. Des méthodes pédagogiques spécifiques semblent nécessaires. Pour les seconds, le problème est que les perspectives de retour à l’emploi sont souvent limitées et les stages de réinsertion pas prévus pour les mener jusqu’à la retraite (durée limitée). Conférence Bien que des études systématiques manquent aussi en Suisse sur l’évolution des profils et des besoins des personnes qui s’adressent aux EI, les professionnels s’entendent pour dire que les problématiques se sont complexifiées. Le marché de l’emploi, à l’opposé, est devenu de plus en plus exigeant et rien ne laisse à penser que cette évolution pourrait changer. La croissance des problèmes de santé, en particulier mentale, de violence, d’accès à un logement, et d’endettement est particulièrement marquée. Le nombre de personnes qui font appel à l’assurance invalidité est en train d’exploser, faisant jouer à cette assurance le rôle d’allocation minimale qui n’existe pas en Suisse pour les personnes durablement exclues du marché de l’emploi. 79 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 (…) LES AMBITIONS INITIALES : COMBLER UNE LACUNE DU DISPOSITIF SOCIAL L'ambition initiale des IE n'était point de développer des entreprises alternatives aux entreprises capitalistes ou aux services publics. Le débat sur ce thème n'avait d'ailleurs pas encore vraiment dépassé, dans les années 80, la critique écologique du modèle industriel. La fin du modèle salarial des « trente glorieuses » (qui ont duré quarante ans en Suisse), discuté dans les années 90, n’a eu que peu d’échos au sein des EI. Il s'est agi, beaucoup plus modestement, de mettre en place des opportunités de travail adapté, en complément aux services d'appui existants pour les exclus (services sociaux publics principalement). À cette époque, la loi fédérale sur le chômage n'avait pas encore été révisée et les mesures actives étaient limitées. Les personnes exclues de longue date n'y avaient d'ailleurs pas droit. Les EI, comme la majorité des autres associations à but social, ont ainsi eu à l'origine une ambition essentiellement « palliative ». Il s'agissait de combler les lacunes du dispositif d'aide sociale local qui manquait (et qui manque toujours) de « ponts » vers le marché de l'emploi. Elles sont nées de constats faits sur le terrain, par des professionnels de l’action sociale, montrant l’impossibilité de pouvoir passer de l'assistance publique à un emploi, sans période de « réentraînement » au travail. L'ambition sociétale des entreprises d'insertion, comme celle de nombreuses organisations de l’économie sociale et solidaire, a été limitée. L'urgence gestionnaire à laquelle elles ont eu à faire face dès leur création, a laissé peu de place à la réflexion critique, en général, et sur les limites de leur action palliative en particulier. DES ENTREPRISES D'INSERTION PEU ORGANISÉES : La multiplicité des bases légales, les spécificités politiques publiques de réinsertion des cantons et des communes, parfois simplement inexistantes, et l'absence d’un réseau associatif à la fois intersectoriel et inter-cantonal, ont été des freins à la structuration du champ de l'insertion par l'économique. D'une manière générale, on constate que le mode de financement est l'élément structurant prépondérant en Suisse dans le champ de l'insertion. Les EI se regroupent pour défendre leurs intérêts par rapport à un bailleur sectoriel. Seules certaines organisations émargent à plusieurs financements, ce qui favorise une vision plus large de la problématique et un regroupement thématique. Les organisations qui ne sont soutenues qu'au niveau cantonal ou communal sont plus particulièrement absentes des réseaux et des regroupements. En ce qui concerne la Suisse romande, les enjeux restent assez différents d'un canton à un autre et ces particularités limitent une vision commune des enjeux à moyen terme. Enfin, la coopération active est généralement plutôt le produit de la nécessité. Il faut peut-être interpréter le peu d’organisation des EI en Suisse romande par le simple fait que jusqu'à présent chacune n'a pas vraiment eu besoin des autres. Conférence Cependant, pour le moment, ce mouvement d'expansion en direction d'une position d'organisation professionnelle nationale pour la réinsertion par l'économique et la formation (de publics en réinsertion) est resté limité. Les manières de voir entre les Suisses romands et les Suisses allemands sont notablement distinctes, problème certainement proche des clivages entre wallons et flamands et entre québécois et canadiens anglophones. Cette dynamique, qui part du terrain local (bottom's up), est aussi très ancrée dans la tradition subsidiaire suisse. 80 UN BUT SOCIAL, UN FONCTIONNEMENT D'ENTREPRISE ET UNE EXIGENCE D'AUTOFINANCEMENT Dans les années 80 les premières EI étaient des projets pilotes très innovants par rapport aux méthodes de travail social. En ce qui concerne l'État, il n'existait aucune disposition pour financer des projets répondant à des besoins sociaux qui n'étaient pas encore reconnus. En même temps, il était évident que pour proposer un travail adapté, le plus proche possible des exigences du marché de l'emploi, il s'agissait de fonctionner sur la base de règles et d'une organisation proche de celles qui sont rencontrées au sein d'une entreprise commerciale (ou d'un service public). Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 C'est ainsi que la double contrainte qu'a représentée l'importance d'un « vrai travail » et la nécessité d'atteindre un taux d'autofinancement élevé, compte tenu d'appuis financiers publics limités, a mené au développement de prestations pour le marché (clients privés, collectivités ou entreprises commerciales). Dès leur création, les EI ont dû mettre en place une gestion de PME en parallèle aux outils et procédures de travail nécessaires à l'encadrement et au suivi des travailleurs en réinsertion. Il fallait rétrospectivement une bonne dose d'inconscience et un grand esprit d'entreprise pour relever le défi que représentait (et représente toujours d'ailleurs) le fait de vouloir fournir des prestations de qualité, avec des employés peu qualifiés confrontés à des problèmes sociosanitaires, pour un marché très concurrentiel. Le management de ces organisations s'est révélé plus complexe que celui d'une PME à but commercial. Il s'agit en effet de pouvoir rendre compte aux bailleurs publics du bénéfice retiré par les personnes en réinsertion qui passent par une EI. Le taux de réinsertion sur le marché de l'emploi est un indicateur synthétique relativement simple. Toutefois, il ne reflète pas ou peu le développement des compétences des personnes en réinsertion. Le marché de l'emploi et la situation économique en général a une influence nettement plus importante sur le taux de réinsertion que la qualité de la prise en charge au sein d'une EI. La mesure des compétences (sociales, techniques), est préférable mais nettement plus complexe. Elle intègre des paramètres très divers constitutifs des compétences sociales comme des compétences techniques. Pour cela un système d'évaluation élaboré doit être développé pour mieux cerner les acquis des bénéficiaires et la performance globale des EI. Une question centrale au sein des EI est celle du taux d'autofinancement optimum. En Suisse tout au moins, il semble très difficile de pouvoir imaginer générer des revenus suffisants pour autofinancer ces entreprises. Il faudrait pour cela trouver une niche économique très rentable et accessible à des employés peu ou pas qualifiés ou en difficulté, ce qui ressemble nettement à une gageure. Ce taux d'autofinancement est non seulement lié à la capacité de production de biens et de services, il dépend aussi de la demande et des compétences des chômeurs qui viennent en stage de réinsertion. Ces deux paramètres évoluent, en toute logique, en fonction de la situation économique, mais de manière opposée. Dans une période de haute conjoncture, seuls les chômeurs les moins employables restent sans emploi, et inversement. Ainsi la capacité de production des EI baisse en période de haute conjoncture. Le pilotage des résultats socioprofessionnels et financiers exige, comme cela a déjà été relevé, un système de management plus complexe que pour une PME commerciale. Pourtant, en Suisse comme dans de nombreux pays, ce sont des personnes d'abord motivées par la finalité sociale de l'action qui ont créé les entreprises sociales. Les difficultés importantes et les échecs retentissants que nous avons pu observer dans plusieurs pays, au nord comme au sud, au sein d'associations et d’ONG qui ont eu l'ambition de développer des activités économiques, a certainement à voir avec cette réalité. • Leur rôle spécifique dans le développement des compétences et l’appui à la recherche d’emploi, en particulier pour les publics en difficulté. Les EI sont un maillon clef du dispositif, mais trop peu d'acteurs en ont conscience. • Leur rôle de passerelle avec le marché de l’emploi, (entreprises capitalistes et les services publics), fonction qui doit cependant être renforcée. • La dimension économique des EI, autant par leur poids économique actuel que par l’innovation et la créativité en leur sein, largement sous-estimée. • Des fonctions sociétales, elles aussi largement sous estimées, quand elles ne sont simplement pas ignorées. Maintien du lien social, prévention de la marginalisation, production de biens et services utiles à la collectivité en représentent quelques éléments saillants. Il convient de rappeler que travailler reste à la fois la demande de la majorité des demandeurs d'emploi et le processus d'intégration dominant en Suisse. De plus, rien ne laisse penser qu’une autre forme d’intégration que le travail puisse émerger à moyen terme. Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conférence Quel avenir pour les entreprises d'insertion en Suisse romande ? L'avenir des EI en Suisse dépend, à notre avis, de leur capacité à montrer et faire reconnaître : 81 • Leur capacité d'autofinancement, comme contribution à la limitation des dépenses publiques, pour autant que la question de la concurrence déloyale soit réglée. • Leur contribution à la mise en évidence d’autres modes de production de biens et de services dans lesquels produire et inclure ne sont pas incompatibles. • Que les EI et le second marché de l'emploi en général ne sont pas une manière d'habituer les chômeurs à des bas salaires dans des « productions et services bas de gamme, remplaçant des emplois publics par des sous emplois ». Cela implique que les EI retrouvent l’ambition de répondre à des besoins urgents à court terme et l'ambition à plus long terme, de construire une économie aux services des femmes et des hommes. Les difficultés et les oppositions ne manqueront toutefois pas. La diminution croissante de l’emploi manuel peu qualifié et les délocalisations menacent les EI engagées dans la sous-traitance industrielle. La concurrence sera aussi croissante avec de la main-d’œuvre européenne qui peut dorénavant venir en Suisse travailler. (…) POUR CONCLURE : Cette synthèse n'est qu’une étape dans un processus qui doit mener à une plus grande visibilité du rôle des EI en Suisse et des liens plus étroits, pour défendre ensemble des pratiques et une éthique. Les années à venir vont être de plus en plus difficiles avec la crise des finances publiques, dont rien ne permet de penser qu’elle ne sera que passagère. La remise en question des prestations sociales, dispensées par les services publics comme par les organisations subventionnées, bat déjà son plein. Dans une perspective de développement durable, les EI et le tiers secteur sont souvent exemplaires, par leur capacité à produire et inclure, en intégrant souvent une préoccupation environnementale. Au moment où des choix devront être faits entre des prestations à maintenir et des prestations à supprimer, il s’agira que les élus et les décideurs en général en prennent conscience, par une communication active et un lobbying structuré. Conférence Le constat du faible niveau d’organisation des EI entre elles, le peu de liens avec les universités et partant le peu de recherches qui portent sur leur action, augurent mal de l'avenir. Mais la participation de plusieurs acteurs de l’insertion par l’économique à ces rencontres est, il faut l’espérer, le signe que les choses changent. Nos collègues du Québec, de France et de Belgique sont riches d’expériences qui devraient permettre aux EI de Suisse romande d’éviter quelques écueils et de combler rapidement ces déficits. 82 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Synthèse Compte-rendu de la présentation de Frédéric Lesemann, Professeur, Institut national de la recherche scientifique, Université du Québec Puisque nous sommes dans le cadre d’un colloque international francophone, il est particulièrement important de préciser à partir de quel « lieu » on parle : je suis d’origine suisse, j’ai été formé en France, j’y travaille régulièrement, et je vis depuis 36 ans au Québec où je suis chercheur à l’INRS21. Je m’intéresse particulièrement aux transformations du travail, à tout ce qui n’est pas le travail industriel classique, à temps plein. Je dirige un centre de recherche sur ce thème (www.transpol.org). Je ferai brièvement trois commentaires : - sur la transformation du travail et son rôle comme facteur d’insertion ; - sur l’intérêt et la portée des échanges internationaux ; - sur le rôle du partenariat dans le développement des entreprises d’insertion. Au Québec, deux tiers des personnes, grosso modo, se retrouvent dans l’emploi dit « régulier », de production ou de services, privés ou publics (à temps plein, à durée indéterminée, qui procure un certain nombre de protections sociales) et un tiers exercent un emploi «atypique» (travail à temps partiel, à durée limitée, travail indépendant…). On a l’habitude de définir l’emploi « régulier » comme étant la norme et on associe bien souvent l’emploi « atypique » à la précarité et aux groupes « à risque ». En effet, quand on est dans la «normalité», on a tendance à définir tout ce qui ne l’est pas par la négative, par le manque, par le « risque ». Les planificateurs sociaux, les concepteurs de politiques autant que les chercheurs, qui tous sont mobilisés par le souci de la cohésion sociale, imaginent des programmes, des stratégies et des recherches visant l’insertion sociale et économique des individus et des groupes «à risque». Si on s’intéresse à ce tiers de la population qui échappe à l’emploi traditionnel, on doit constater la très grande hétérogénéité des trajectoires des personnes qui exercent un emploi «atypique», à la fois en ce qui a trait à la diversité des formes d’emplois atypiques, à la diversité des positions sociales et des revenus des personnes de cette vaste «catégorie», à la diversité des appréciations subjectives de ces personnes quant à leur statut : certaines le recherchent et l’apprécient, d’autres le subissent et le déplorent. On est loin de la représentation (souvent dominante) de «victimes de la crise de l’emploi», ou d’individus qui, en fonction de «déficits» divers (à combler) ne parviendraient pas à s’insérer dans l’emploi « régulier ». Certes, il y a beaucoup de personnes qui sont des victimes des restructurations ou des délocalisations industrielles et/ou qui doivent faire face à des déficits de qualifications professionnelles ou de compétences sociales, mais on doit absolument considérer aussi qu’une majorité de ce tiers de la population est porteuse de nouvelles formes de travail et de nouvelles formes d’activités économiques et sociales et y sont activement insérées. Mais une telle rencontre est exigeante si l’on veut vraiment parvenir à comprendre les pratiques des autres pays. Ainsi, par exemple, on va dire rapidement que la raison d’être des entreprises d’insertion est de travailler avec des populations qui, pour des raisons diverses, n’ont pas accès à l’emploi, mais qui souhaitent s’en donner les moyens, pour s’insérer, si possible, dans l’emploi «régulier». Très bien, tous les participants semblent s’entendre, partager un « terrain en commun ». Ils ont l’impression de parler de la même chose. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, qu’on commence à échanger sérieusement, on découvre que sous les mêmes termes, on évoque des réalités extrêmement différentes, et c’est là que la complexité surgit qui seule Conférence On sort ainsi d’une représentation en termes de problèmes et de déficits pour entrer dans une représentation en termes d’innovations, tant sociales qu’économiques. On peut penser alors qu’on est en train de voir se dessiner les phénomènes de demain et les caractéristiques d’une nouvelle société en émergence. C’est un peu l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide : je regarde apparemment la même réalité, mais je change mon regard, en fonction d’un autre cadre d’analyse, autant que d’un autre état d’esprit. C’est à ça que sert une rencontre comme celle-ci : à aiguiser son regard pour réfléchir de manière différente, grâce à la dynamique de la rencontre internationale, aux réalités qui sont les siennes. 83 21 Institut national de recherche scientifique Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 est garante d’un véritable apprentissage mutuel. Un seul exemple : cette notion prise pour acquise de « travail ». Elle peut être très différente en fonction du lieu, du pays à partir duquel on parle, elle ne fait pas vibrer les mêmes sensibilités quand on est en France, en Suisse ou au Québec, parce que ces lieux, ces pays ont une histoire, des instituions, une « culture » nationale qui contribue à qualifier de manière spécifique cette notion. En Suisse, le travail est essentiellement une obligation morale. Récemment, les Suisses, par votation, ont refusé de réduire leur nombre d’heures hebdomadaires de travail. Ça paraît inimaginable ailleurs, complètement en dehors de nos représentations. En France, pays structuré par le droit du travail et les grands accords négociés par les « partenaires sociaux », on est dans un système lourd et corporatisé, mais auquel la majorité des Français adhèrent. Il y a quelques années, par exemple, il y a eu une grande grève des transports en commun et les Parisiens sont allés au travail, à pied, pendant 4 semaines… sans chialer ! Là aussi c’est inimaginable et en dehors de nos représentations. Au Québec, « la job » est très importante mais elle est généralement considérée essentiellement comme une source de revenu ; les gens n’en font pas une institution centrale de la société, constitutive d’une identité individuelle et collective, sinon que chacun-e a conscience qu’il-elle doit être autonome de revenu et qu’il lui faut bien trouver une façon de fonctionner dans ce monde-là. Il y a donc derrière la notion de travail, des structurations historiques différentes, et dans ces structurations historiques, le rôle des États, du droit, des politiques publiques, le fonctionnement de la société, ses valeurs sont radicalement différents. Si on veut échanger et se comprendre, on doit se donner un objet de travail et des objets précis de comparaison. On peut, et c’est important, se solidariser, mais plus on va se comprendre et se connaître, plus on va découvrir ses différences et plus on va aussi s’enrichir mutuellement et pouvoir apprendre les uns des autres. Conférence Dans le même ordre d’idée, un des collègues suisses a manifesté, tout à l’heure, un certain pessimisme au sujet des entreprises d’insertion, du travail en général, voire de la situation dans son pays. Au Québec, nous ne sommes pas, me semble-t-il, dans une situation pessimiste, on ne pense pas que, structurellement, « ça va mal ». Bien sûr, ici et là plusieurs pensent qu’on est dans une situation momentanée délicate et que ça ira mieux après les prochaines élections, mais, fondamentalement, on partage plutôt un relatif optimisme, une relative confiance. C’est peut-être un état d’esprit qui pèche par «inconscience» et cela doit surprendre les Européens pour qui cela fait vingt ans qu’on baigne dans une culture de «la crise». Partout où vous allez (Suisse, France, Italie…) le discours des intellectuels, donc des producteurs d’idées, des producteurs des représentations sociales, est marqué par la notion emblématique de « crise ». Certains disent que cela a commencé en 1970 avec la crise du pétrole, d’autres en 1981 ou bien encore avec la montée de l’extrêmedroite… On assiste à un pessimisme collectif qui cherche à se nommer. Au Canada, en revanche, il ne me semble pas qu’on soit dans une culture de la crise, mais plutôt dans une culture du fonctionnement (ce qui peut paraître extrêmement « plate » à nos collègues français, champions de l’analyse critique). On est dans une culture du pragmatisme : si ça marche, c’est qu’il doit y avoir au moins un petit quelque chose de bon ! Alors que dans plusieurs pays européens, on a l’impression que les positions politiques et idéologiques doivent précéder l’appréhension de la réalité. Le jugement critique semble précéder l’action. 84 Les entreprises d’insertion intervenant au Québec ont acquis, au cours des dix dernières années, la conviction que leur raison d’être, leur survie, leur avenir, est dans leur façon de participer à un projet collectif de partenariat entre leurs « clientèles », les responsables d’entreprises d’insertion, les milieux d’affaires de leur secteur d’activité et les représentants gouvernementaux. En général, quand on est dans le social, on est plutôt « à gauche » et on a tendance à s’inscrire dans une logique d’opposition. Depuis 1997, une transformation s’est opérée progressivement de la représentation que cette gauche sociale avait de ses relations avec les milieux d’affaires et avec les gouvernements qui la soutiennent financièrement. Il se trouve qu’à l’époque, nous avions un gouvernement social-démocrate avec des fonctionnaires et des ministres très qualifiés, partageant à tous les niveaux d’action une culture partenariale fondamentale de solidarité. Une proximité s’est établie, concrètement, entre technocrates planificateurs et gestionnaires, intervenants et, dans bien des cas, entrepreneurs. Ces derniers font souvent partie des conseils d’administration des entreprises Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 d’insertion, au même titre que les syndicats, qui sont eux aussi partie prenante des entreprises d’insertion puisqu’ils offrent parfois des capitaux et de l’aide au développement, via les Fonds d’investissement qu’ils gèrent. Tous participent d’une culture partenariale qui les amène à découvrir les besoins spécifiques des personnes formées dans les entreprises d’insertion et, partant, leurs responsabilités sociales propres. Conférence Tous les Québécois côtoient, dans leur famille ou dans leur entourage immédiat, une personne au chômage ou bénéficiaire de l’aide sociale. Les classes moyennes, au Québec, occupent une place considérable, on peut dire qu’elles sont au pouvoir et il n’existe pas une distance culturelle, sociale ou financière considérable entre la population, les intervenants sociaux et les élites au pouvoir qui gèrent les programmes. On constate même plutôt une convergence de vues. Il y a en effet une conscience répandue, au Québec, de faire partie d’une même société, ce qui renforce, de fait, les solidarités. La question de l’identité nationale francophone explique sans doute une partie de ce phénomène, mais aussi la proximité repoussante du géant américain qui contribue à faire apprécier par la population le régime de santé et le régime de retraites, la sécurité et la qualité de vie dont elle bénéficie, et donc à conforter son adhésion à cet État social-démocrate. 85 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Synthèse des intervention des participants et discussions Synthèse des interventions des participants et discussions Après les interventions des panélistes et la synthèse de Monsieur Lesemann, plusieurs questions ou interventions de la salle ont eu lieu et ont mis en avant : • l’importance des échanges informels lors de ce type de rencontre qui permettent de faire le constat que, malgré des modèles théoriques très différents, nos pratiques sont centrées autour de la même préoccupation : celle de mettre les individus (et leurs besoins) au centre des entreprises d’insertion. • La difficulté à parler véritablement du développement des entreprises d’insertion : les interventions ont davantage mis l’accent sur les fondements des entreprises d’insertion et sur leur évolution. • Différents exemples ou questionnements en matière de développement : - La création (en Belgique) d’une cellule de fonctionnaires autour de l’économie sociale permettant d’éviter le roulement de personnel à tout changement politique. - L’existence d’un fonds public d’investissement en économie sociale, sous forme de bons d’État garantis. - L’importance de conscientiser les gens autour de la création d’entreprise. - La place pour les travailleurs en insertion sur la question du développement ou comment la gestion participative, l’éducation citoyenne, les syndicats participent à ce développement ? - Le besoin de mettre en œuvre des projets pilotes permettant, à terme, la création d’entreprises d’insertion. Le débat se poursuit sur : • Les liens que les entreprises d’insertion entretiennent avec le monde économique. L’idée est de trouver un juste milieu entre « se prendre pour ce que nous ne sommes pas en croyant que nous dictons nos règles au monde économique » et accepter l’idée que le monde économique est plus « plastique qu’on le pense, quand ses besoins de production doivent être satisfaits ». • L’enjeu de ce positionnement dans le monde économique : on ne fait pas le poids pour s’affronter face-à-face avec le monde économique, mais on doit développer une stratégie de vigilance permanente qui nous permet d’être dans le marché, parmi les autres de ce monde économique tout en restant parfaitement différents. • La satisfaction au regard de la qualité des apports : il existe des différences fondamentales dans nos pratiques qui sont liées à notre Histoire et à nos cultures. Par exemple sur la question de la démocratie interne : on remarque qu’en France la démocratie serait le respect des formes légales issues des rapports de forces et des rapports sociaux alors que dans un modèle plus anglo-saxon le Québec décline la démocratie interne dans les entreprises d’insertion plutôt sous forme jurisprudentielle : on essaie, on crée… et on applique localement. • Une certaine frustration car la question du « pourquoi se développer ? » à été évitée. Est-ce parce que « on est mieux que les autres » ? Parce que nous sommes des « entreprises propres » dans une « économie sale » ? Il semble que la raison qui nous oblige à relever le défi du développement des entreprises d’insertion : c’est que nous sommes inscrits dans un système qui produit de la marginalité. Quelques remarques sous forme d’appel à la vigilance : • Éviter que les entreprises d’insertion deviennent un outil d’« insensibilisation » des politiques néolibérales. • Veiller à ne pas simplifier le concept des entreprises d’insertion et faire des « effets de manches » qui risqueraient de nous cantonner à une image réductrice voire caricaturale de l’insertion par l’économique. • Permettre à nos différences d’être source d’un enrichissement permanent malgré un certain risque d’incompréhension mutuelle. 86 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 • Faute d’atteindre des performances satisfaisantes en matière de placement en emploi, les entreprises d’insertion devraient être plus ambitieuses pour éviter la marginalisation, et peut-être plus encore dans les pays où le fait de ne pas avoir d’emploi est vécu plus dramatiquement encore qu’ailleurs (comme en Suisse par exemple). Synthèse des interventions des participants et discussions Ce qui semble déterminant, c’est le partage d’une même conviction (malgré toutes les différences évoquées) : celle de l’indignation contre l’exclusion. Enfin, on rappelle qu’on peut rire en étant grave mais qu’on ne doit jamais oublier, en riant… la gravité de la situation. 87 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Conclusions et perspectives 21 octobre 2004 Conclusions et perspectives Extraits de la présentation de Chantal Aznavourian, directrice générale du Collectif des entreprises d’insertion du Québec à l’occasion de la plénière de clôture de la Rencontre internationale (…) De façon générale, on ne s’étendra pas sur les besoins que nous avons eu d’arrimer nos langages afin de bien distinguer ce qui étaient des différences d’ordre sémantique de ce qui étaient de réels écarts ou différences d’approches ou de points de vue. Par ailleurs, nous avons tous compris que les entreprises d’insertion se distinguent par : • leur mode d’organisation, • les rapports qu’elles entretiennent avec leur environnement, • leur développement, selon les contextes social, culturel, économique et politique dans lesquels elles ont été créées et dans lesquels elles ont évolué. Les synthèses sont toujours un peu frustrantes car elles ne rendent pas compte de toute la richesse des échanges. Après notre présentation, nous vous demanderons de bonifier les constats. C’est dans les actes du colloque que vous retrouverez des contenus plus élaborés. • Nous sommes tous engagés, d’une façon ou d’une autre, dans la lutte contre la pauvreté et contre l’exclusion dans des structures qui utilisent l’activité économique comme un outil au service du développement personnel et social des individus. • Nous constatons qu’il y a une intensification du cumul des problématiques rencontrées par les participants et que ce cumul entraîne une délimitation des champs de compétences du personnel encadrant, à l’interne, et des réseaux, à l’externe. • Faire valoir le juste prix de l’intervention afin d’avoir des financements publics récurrents et adaptés aux besoins des entreprises d’insertion. • On s’entend que le maintien de la vie démocratique dans les organisations est un enjeu majeur et qu’il réside sur une clarification constante permettant l’équilibre des pouvoirs. • Nous sommes tous convaincus que les entreprises d’insertion doivent avoir un ancrage territorial et s’inscrire comme des partenaires incontournables du développement des collectivités (puisqu’elles le font déjà). • Nous convenons que les entreprises d’insertion ne sont pas des concurrentes déloyales de l’entreprise privée et toute clause à cet effet doit être abolie. • Nous constatons que leur nécessaire légitimité, si elle est acquise, reste fragile. Pour d’autres, que cette légitimité reste à construire. Dans tous les cas, elle ne pourra perdurer ou s’acquérir qu’en regroupant nos forces, en partageant nos expériences, nos savoirs et nos projets. • Nous croyons qu’il est important de se donner des systèmes de représentation qui nous permettent de ne pas être relégués à de simples opérateurs de la régulation sociale, mais d’être des acteurs reconnus, porteur d’un projet social pouvant influer sur les politiques publiques. Conclusions et perspectives Nos convergences : • Nous dénonçons collectivement les politiques néo-libérales qui produisent de l’exclusion à l’échelle mondiale et sommes prêts à construire des solidarités internationales pour y répondre. 89 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Il reste cependant beaucoup de choses à comprendre, clarifier ou tout simplement que nous avons à peine effleurées. Sans en faire un inventaire exhaustif voici quelques points : • la place des entreprises d’insertion dans le champ de l’économique et la compréhension commune de l’économie sociale que l’on appelle tantôt tiers secteur, secteur non marchand, économie solidaire… • la notion de réussite d’un parcours et son évaluation (qui rejoint bien sûr la question des objectifs notamment la question de la place de l’éducation citoyenne) ; • la place des participants dans la vie démocratique de l’entreprise ; • la formation du personnel permanent ; • la reconnaissance des acquis (compétences professionnelles, compétences génériques, acquis personnels… par qui, comment, pourquoi ?) • les différentes pratiques et mode d’intervention, par exemple : - la longueur des parcours, - les contrats à durée indéterminée versus l’entreprise passerelle, - le choix des activités économiques qui soulève toute la question de la formation professionnelle et de la place qu’elle occupe dans l’entreprise d’insertion (formation au métier versus la formation au travail). • le développement des entreprises : pour qui, pourquoi, comment et les risques de fuite en avant vers l’économique pour palier au manque de financement ? • la place des travailleurs en formation dans le développement des entreprises d’insertion. Conclusions et perspectives Autant de questions, autant de thèmes pour, j’espère, les prochaines rencontres internationales. 90 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe I : La déclaration de Montréal La déclaration de Montréal Réunies à Montréal à l’occasion de la Première rencontre internationale francophone, les entreprises d’insertion de Belgique, de France, de Suisse et du Québec, ainsi que leurs regroupements nationaux, sont d’avis que • considérant l’exclusion comme l’une des principales causes de pauvreté, elle constitue un déni de droit ; • considérant que la personne est la première richesse de toute société ; • considérant la mise en valeur des compétences de la personne par l’insertion comme un investissement hautement rentable ; • considérant que le néo-libéralisme engendre de plus en plus d’exclusion, niant ainsi le droit au travail d’un nombre grandissant de personnes ; • considérant que, dans de nombreux pays, notamment ceux dont sont issus les soussignés, la société civile s’est donnée des outils de lutte contre l’exclusion. elles déclarent que : • les hommes et les femmes qui vivent des situations d’exclusion, quelles qu’en soient les causes, ont un droit inaliénable à un travail rémunérateur et intégrateur ; • les entreprises d’insertion participent de façon significative à la démocratisation du travail et, à ce titre, elles contribuent à la lutte contre l’exclusion et à l’exercice d’une citoyenneté responsable ; • dans cette lutte contre l’exclusion, l’outil économique est au service de l’insertion sociale et professionnell e; • l’activité d’insertion sociale par le travail se doit d’être reconnue et cette reconnaissance passe par la mise en oeuvre des moyens adéquats ; • les entreprises d’insertion reconnaissent la nécessité de porter leur action en collaboration avec leurs partenaires que sont les acteurs de leur environnement politique et administratif, leurs collaborateurs économiques et sociaux ainsi que ceux de la société civile ; • face à la mondialisation néo-libérale des marchés, les entreprises d’insertion veulent promouvoir une solidarité internationale ; et de ce fait, • comme première manifestation tangible de cette solidarité, les signataires s’engagent à soumettre à leurs instances respectives la création de nouvelles catégories de membres internationaux constitués des regroupements et réseaux nationaux de pays partenaires ; • les signataires affirment enfin leur volonté de mettre en réseau leurs entreprises membres et de poursuivre les échanges internationaux qui enrichissent leurs pratiques d’insertion. Gabriel Maissin Jean-Claude Pittet Jean-Paul Héliot Administrateur délégué, Fédération bruxelloise de l’insertion socioprofessionnelle, Belgique Directeur, Association du Relais, Suisse Président, Comité national des entreprises d’insertion, France Salvatore Vetro Daniel Thérasse André Trudel Président et administrateur délégué, Réseau des entreprises sociales, Belgique Administrateur, Interfédération des organismes de formation et d’insertion Wallonie-Bruxelles asbl, Belgique Président, Collectif des entreprises d’insertion du Québec, Canada Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe I Montréal, le 21 octobre 2004 93 Annexe II : Liste des participants Abdelaoui Salem Ménage Services France Aboumansour Nahid Petites-Mains Canada Agostini Barbara Service d’entretien Pro-Prêt Inc. Canada Antoine Cécile Le Forem Belgique Arbic Jocelyne Centre Régional de Récupération et de Recyclage Laval Canada Archambault Annette Jute & Cie Canada Aspirot Rachel Recyclage Vanier Canada Aubin Guylaine CDC de Bellechasse Canada Aznavourian Chantal Collectif des entreprises d’insertion du Québec Canada Babin André Technobois Canada Baillargeon Jacques Les Distributions l’Escalier Canada Beaudoin Jean Cuisine-Atout Canada Beaudoin Diane Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille Canada Beaulieu Agnès Insertech Angus Canada Bélanger Alain-Denis Les Plateaux d’insertion de Bellechasse Canada Belhassen Amel Université du Québec à Montréal Canada Bellemare Anne Jute & Cie Canada Belley Dany Les Buffets Insères -Jeunes Canada Belzile Alphonse Entreprise d’insertion Godefroy-Laviolette Canada Benchekroun Anissa Office Régional bruxellois de l’emploi Belgique Berg Claude RES (La Lorraine) Belgique Berger Jean-Claude École d’Études Sociales et Pédagogiques Suisse Bernard Michel Commission Scolaire De Montréal Canada Bernard Patrick Ville de Tourcoing France Bernier Jacques Recyclage Vanier Canada Bernon Françoise Comité National des Entreprises d’Insertion France Berotonazzi Henry STEP France Bertrand Jacques La Relance Outaouais Canada Besancon Pierre GARE / BTT France Besancon Marie Ange GARE / BTT France Bigourdan Bruno SILOE Conseil France Annexe II Liste des participants 97 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe II Bitbol Élie RES Belgique Borduas Christine Renaissance Canada Branchaud Nicole Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille/ Emploi-Québec Canada Brideau Francine Atelier du chômeur du Bas-Richelieu Canada Brunet Lise Centraide Canada Bureau Marthe Part du Chef Canada Bussi Patrizia ENSIE Belgique Bussières Denis ARUC-ÉS Canada Caron Pascale Caisse d’économie solidaire Desjardins Canada Challand Alain Service public de l’emploi Suisse Charpentier Céline Comité Sectoriel Main-d’Oeuvre - ESAC Canada Chicoine Céline Insertech Angus Canada Chouinard Carole Ville de Montréal Canada Chuard Willy Les Oliviers Suisse Claveau Jean-Marie Emploi-Québec Canada Coler Thierry Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique France Comte Laurent Centrale Suisse des Entreprises d’Entraînement Suisse Côté Johanne D-Trois-Pierres Canada Coulon Gérard IDE Franche-Comté France Cousineau Paul Service d’entretien Pro-Prêt Inc. Canada Daoust Marcel École-Entreprise Surbois Canada Davy Jean-Michel INSERIM France de Philip Alain PLIE MPM Ouest France Delorme Robert Qualification des Jeunes Canada des Ligneris Hélène EIPF France Detroyat Jean-Marc ADIPH EV France Devleeshouwer Pierre FIJ asbl Belgique Didier Stéphanie Resto Plateau Canada Doré Jeanne Le Boulot vers... Canada Du Pasquier Anne-Lise Résol Suisse Dubé Andrée CREP (Commission Scolaire De Montréal) Canada Duclos Serge Recyclage Vanier Canada Dunand Christophe Association Réalise Suisse Duquenne Laurent Le Forem Belgique 98 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Durupt Bernard LeTransit France Duthoit Patrice Association Tourquennoise pour une Économie Solidaire France Ecoeur Yves OSEO Valais Suisse Emmenegger Steeves PRO, Entreprise Sociale Privée Suisse Faivre Charles Unité de formation du Centre IMC Suisse Fillion Charles Foguenne François RES (Aurélie) Belgique Forget-Bashonga Nicole Cuisine collective Hochelaga-Maisonneuve Canada Fortin Lise Le tournant 3F inc. Canada Fougeres Olivier Clic’n Puces France Fournier Mélanie Les Distributions l’Escalier Canada Gareau Pierre-Paul MCE Conseils Canada Garnier Dominique ESI Midi-Pyrénées France Gauvin Mario Entreprise d’insertion Godefroy-Laviolette Canada Glauser Alain CIP / Centre d’intégration professionnelle Suisse Gosselin Geneviève Insertech Angus Canada Goussault Alain Abbei France Gravel Richard Resto Plateau Canada Groguhé Sadia Mission locale du Havre France Grosset Pierre Juratri France Guilloux-Menard Valérie INSERIM France Hamel Serge Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille Canada Heliot Jean-Paul Comité National des Entreprises d’Insertion France Hoelscher Danny Les Centres de la Jeunesse et de la Famille Batshaw Canada Huybrecht Delphine FeBISP asbl Belgique Jacques Sylvie Insertech Angus Canada Jacquot Christian CNEI France Jean-Baptiste Marie Buffets Insères-Jeunes Canada Jetté Rachel D-Trois-Pierres Canada Joncas Patsy Les Bureaux d’Antoine Canada Kaci Paulette Imprime-Emploi Canada Küntz Raphaël Ferme Jeunes au Travail Canada Labrecque Martin Formétal Canada Lador Jean-Pierre Association Le Relais Suisse Laffely Willy Emploi & Solidarité Suisse Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe II Canada 99 Annexe II Lagarde Madeleine Les Buffets Insère-Jeunes Canada Lamarche Sophie D-Trois-Pierres Canada Landry Sébastien D-Trois-Pierres Canada Lapierre Ghislaine Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille-DGARES Canada Lapointe Isabelle Plate-Forme CPT Canada Larochelle Jacques Atelier du chômeur Canada Larocque Guy SOS Vélo Canada Larose Natalie Restaurant Le Piolet Canada Laurin Danielle PATDEC Canada Laveault Alain Prise Inc. Canada Lavigne Richard La Relance Outaouais Canada Lebailly Dominique ALTER France Lebon André Fondation Lucie et André Chagnon Canada Lechat Jacques APAJ asbl Belgique Leclair Gaston Coup de pouce Travail Canada Leclerc Chantal Atelier de Meubles et de Recyclage Ahunstic-Cartierville Canada Leduc Maude D-Trois-Pierres Canada Leduc Marcel Service d’entretien Pro-Prêt Inc. Canada Legault Pierre Renaissance Canada Leloup Anne-Marie Bruxelles Formation Belgique Léonard Mario Ministère du Développement Économique Régional et de la Recherche Canada Lepage Lucie Les Distributions l’Escalier Canada Lesemann Frédéric Institut National de Recherche Scientifique Canada Letendre Nathalie Part du Chef Canada Levasseur Maude D-Trois-Pierres Canada Lévesque Michelle-A. Ministère Développement Économique et Régional et de la Recherche Canada Lévesque Raymonde Y des femmes, Fringues & Cie Canada Lopez Quirland Christian OSEO Genève Suisse Louis-Therese Lucien Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique France Magniny Véronique Université Ouvrière de Genève Suisse Maissin Gabriel FeBISP asbl Belgique Malplat Michel EVI France 100 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Marcotte Pierre Emploi-Québec Canada Marois Pierre Commission des droits de la personne Canada Martel Donald Entreprises Godefroy-Laviolette Canada Martignano Philippe Association Copyrart Suisse Martin Jean-Philippe Mission locale de Saint-Gilles Belgique Matza Monique Ministère des Relations avec les Citoyens et de l’Immigration Canada McCabe Jacinthe École Entreprise Formétal Canada Melanson Joanne Cuisine collective Hochelaga-Maisonneuve Canada Moras Hervé RESEAU PLUS France Morin Daniel Atelier du Seigneur Masson Canada Mukarunamdwa Hamida Petites-Mains Canada Muller Chantal ASFED France Néron Rémi L’Escale du Lac Canada Ogée Brigitte Comité National des Entreprises d’Insertion France Ouellet Michel Centre de ressources éducatives et pédagogiques Canada Paquin Serge Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille/ Emploi-Québec Canada Pérusse Nathalie Paradoxe Canada Petitmengin Étienne ENVIE Franche-Comté France Petre Anne-Laure Interfédération EFT/OISP Belgique Pichard Roland Joker Service France Picotin Pauline Les Distributions l’Escalier Canada Pierre-Louis Darllie Buffet Accès Emploi Canada Piquard Jean-Claude IDE-INEO France Pittet Jean-Claude Association Le Relais Suisse Poirier Marquis Le Pignon Bleu Canada Ponce Morales Nadia Karina Ressources Humaines et Développement des Compétences Canada Potevin André L’Escale du Lac Canada Praster Jeanne-Marie UREI Rhône-Alpes France Pratte Paul Technobois Canada Reuter André Polygone s.à.r.l Luxembourg Rey Jean-Charles Haute École Santé - Social Valais 2 Suisse Rey-Baeriswyl Marie-Claire Haute École Frifourgeoise de travail social Suisse Ringuette Louise Jute & Cie Canada Annexe II Rongé Danièle CF 2000 Belgique 101 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe II Ross Sébastien Insertech Angus Canada Roy Mélissa Y des femmes, Fringues & Cie Canada Ruelland Isabelle Imprime-Emploi Canada Ruz Juan Manuel Les Distributions l’Escalier Canada Sainte-Marie Roxanne Paradoxe Canada Saint-Georges Gérald Paradoxe Canada Saint-Venant Philippe Association Tourquennoise pour une Économie Solidaire France Samyn Hervé RES (BIP EXPRESS) Belgique Savard Reine Coderr-02 Canada Séguin Julie La Relance Outaouais Canada Sexauer Michel Batiscot France Simard Pierrette Fondation Lucie et André Chagnon Canada Simard Guylaine La Corbeille Canada Sirois Jacinthe Atelier du chômeur Canada Soula Françoise ESi Midi-Pyrénées France Springael Corinne Bruxelles Formation Belgique Tanguay Marlène Technobois Canada Tardy Philippe AVP Diffusion France Théberge Marlène Ministère Emploi Solidarité Sociale et Famille Canada Themens Michèle D-Trois-Pierres Canada Thérasse Daniel Interfédération EFT/OISP Belgique Théroux Dominique Renaissance Canada Thibeault Guy Cuisine-Atout Canada Tilly Jean Resto Plateau Canada Tremblay Gérald Coderr-02 Canada Trudeau Diane Centre Régional de Récupération et de Recyclage Laval Canada Trudel André D-Trois-Pierres Canada Valadou Christian Équilibres France Vallée Isabelle Petites-Mains Canada Vetro Salvatore RES Belgique Vidricaire André D-Trois-Pierres Canada Voyer Ginette Prise Inc. Canada Widmer Esther Secrétariat d’État à l’Économie Suisse 102 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 Annexe III : Liste et coordonnées des associations nationales Liste et coordonnées des associations nationales ASSOCIATION DU RELAIS Case postale 1110 Morges 1 Suisse Téléphone : (41) 21-801-88-11 http://www.relais.ch/ Monsieur Jean-Claude Pittet, Président COLLECTIF DES ENTREPRISES D’INSERTION DU QUÉBEC 7105, rue St-Hubert, bureau 206 Montréal (Québec) H2S 2N1 Canada Téléphone : (1-514) 270-4905 http://www.collectif.qc.ca Madame Chantal Aznavourian, Directrice générale COMITÉ NATIONAL DES ENTREPRISES D’INSERTION 18-20, Claude Tillier 75012 Paris France Téléphone : (33) 01-53-27-34-80 http://www.cnei.org Madame Brigitte Ogée, Secrétaire générale FÉDÉRATION BRUXELLOISE DE L’INSERTION SOCIOPROFESSIONNELLE 307, rue des Alliés 1190 Bruxelles Belgique Téléphone : (32) 25-37-72-04 http://www.febisp.be/ Monsieur Gabriel Maissain, Administrateur délégué DE RÉSEAU DES ENTREPRISES SOCIALES 52, rue de Keuture 5020 Vedrin Belgique Téléphone : (32) 42-40-58-47 http://www.resasbl.be Monsieur Salvatore Vetro, Président FORMATION ET D’INSERTION Annexe III INTERFÉDÉRATION DES ORGANISMES WALLONIE/BRUXELLES, ASBL 19/21, rue Marie-Henriette 5000 Namur Belgique Téléphone : (32) 81-74-32-00 Monsieur Daniel Thérasse, Administrateur délégué 105 Rencontre internationale des entreprises d’insertion / 18-22 octobre 2004 DES REMERCIEMENTS PARTICULIERS À CEUX ET CELLES QUI ONT, DE PAR LEUR IMPLICATION, FAIT DE CET ÉVÉNEMENT UN SUCCÈS : Les chercheurs • Jean-Marc Fontan • Gérald Larose • Yanick Noiseux • Marco Sylvestro Les animateurs de plénière • Agnès Beaulieu • Madeleine Poulin La responsables de la logistique • Annabel Wyckhuys, Coopérative de travail Interface À • • • l’accueil et au soutien technique Danièle Archambault, Collectif des entreprises d’insertion du Québec Manon Cossette, Collectif des entreprises d’insertion du Québec Lisabelle Sabourin-Mallette, Coopérative de travail Interface Les maîtres d’ateliers • Lucie Chagnon, Coopérative de travail Interface • Patrice Rodriguez • Barbara Rufo, Coopérative de travail Interface • Annick Van Campenhout À la direction technique • Claudine Lefebvre, Collectif des entreprises d’insertion du Québec • Pierre Montreuil, Coopérative de travail Interface À la coordination de l’événement • Chantal Aznavourian, Collectif des entreprises d’insertion du Québec • Lucie Chagnon, Coopérative de travail Interface Nos salutations et remerciements à Maître Pierre Marois, Président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, pour nous avoir honoré de sa présence, et pour ce discours dont le moins que l’on puisse dire est qu’il aura donné « le ton » à cette rencontre. Nos remerciements à Jacques Bernier, Paulette Kaci et Natalie Larose pour l’animation de l’activité sur le réseautage. Nos remerciements à tous les animateurs d’ateliers en provenance, entre autres, de Corporations de développement économique communautaire (CDEC), de Centres locaux de développement (CLD) de Montréal, de Centres locaux de services communautaires de Montréal, Laval et Longueuil, d’entreprises d’insertion du Québec, ainsi que plusieurs autres personnes qui ont gracieusement accepté d’animer l’un des quarante (40) ateliers de travail. Nos remerciements à toutes les entreprises d’insertion qui ont fourni les souvenirs remis aux conférenciers et aux participants. Merci et bravo à l’équipe de C.A.F.É. Paradoxe, pour une technique sans faille, et à RestoPlateau pour la qualité du service lors du cocktail dînatoire. Merci enfin à Petites Mains pour les sacs de colloque et à Imprime-Emploi pour l'impression de certains documents.