Marché monétaire et politique monétaire dans la crise du SMI de

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Marché monétaire et politique monétaire dans la crise du SMI de Bretton Woods
Projet financé par The European Society for History of Economic Thought (l’ESHET ) et la Banque
centrale européenne (BCE)
Objectifs
•
I/ Le projet présenté est un élément du programme « Marché monétaire et politique monétaire »
que nous développons depuis deux ans dans le cadre d’un atelier où interviennent historiens de la
pensée économique et historiens économistes. Cet atelier a rassemblé les contributions de N.
Barbaroux, P. Blancheton, J. De Boyer, E. Le Héron, S. Ugolini, A. Rosselli, R. Gomez Betancourt, E.
Monnet, M. Flandreau, P. Nogues-Marco, G. Deleplace, A. Straus, L. Quennouelle-Corre, D.
Diatkine, S.Diatkine, L. Brillant, O. Feiertag, P. Verley. Il doit déboucher sur des journées d’études
organisées dans le cadre du Campus Condorcet en septembre 2015. Ce projet en constitue le
prolongement.
Le marché monétaire est conçu ici comme un lieu de « production » de liquidité ; la politique
monétaire cherchant à contrôler cette liquidité. Si les débats fondateurs du XVIIIème au début du
XXème siècle prenaient en compte le lien entre marché monétaire et politique monétaire, la
théorie de la politique monétaire s’est ensuite focalisée sur le marché de la monnaie (offre et
demande de monnaie de la part d’agents non financiers) et a longtemps considéré le système
bancaire comme unifié et donné. Ce n’est que dans une période récente que le rôle du système
bancaire dans la transmission des effets de la politique monétaire a été de nouveau l’objet
d’études.
Ainsi, on relève le souci des auteurs actuels de vouloir fournir une nouvelle analyse théorique de la
politique monétaire et de contribuer à faire coïncider la politique des banques centrales avec la
théorie, critiquant l’éloignement de la théorie « standard » de la politique monétaire des pratiques
courantes des banques centrales. Woodford, (2003) veut « réconcilier la compréhension par les
banquiers centraux de ce qu’ils font avec la façon dont la politique monétaire est conçue par les
théoriciens de l’économie monétaire » .
Or c’est sur le marché monétaire que la politique monétaire détermine le taux d’intérêt. Cette
détermination tient compte de deux éléments souvent contradictoires. En effet, d’un côté elle doit
agir sur l’offre de crédit bancaire liée aux anticipations des agents, d’un autre côté cette
détermination dépend du marché des changes. Ainsi la banque centrale peut difficilement se
désintéresser de la valeur externe de la monnaie. C’est le débat qui est repris avec la crise et la fin
du système de Bretton Woods que nous voulons étudier.
II/ Nous allons étudier comment sont pensées les articulations entre politiques monétaires et
marchés monétaires nationaux et internationaux dans un contexte historique déterminé, celui de la
fin du Système monétaire international de Bretton Woods.Ce travail tiendra compte de deux types
d’intervenants :
•
Les économistes académiques. Les banquiers centraux et les gouvernements ; les
entreprises et les banquiers.
Nous allons donc étudier deux corpus et comparer deux discours : les textes des économistes
d’une part, et les textes des banquiers centraux (procès-verbaux de réunion, auditions devant
les commissions parlementaires…), des experts consultés par les gouvernements (rapports)
et les positions des banquiers ou entrepreneurs (d’autre part).
Nous souhaitons tenter de répondre aux questions suivantes : dans quelles mesures ces deux
corpus s’influencent mutuellement ? Existe-t-il un discours économique pratique argumenté
face à des théories économiques ?
•
A/ Les économistes.
Les débats ont été peu étudiés en histoire de la pensée économique (à l’exception notable de
travaux d’I. Maes (2013) sur l’œuvre de Triffin). Si l’histoire du système et ses perspectives
ont été décrites par Bordo et Eichengreen (1993), il s’agira ici de la compléter du point de
vue de l’histoire de la pensée économique.
Nous nous proposons d’étudier deux questions centrales.
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La question de l’étalon international.
En premier lieu la question posée est celle de la théorie des taux de change. Dès qu’une monnaie
était définie en rapport à une quantité d’un (ou de plusieurs) étalon(s) déterminée par les autorités
émettrices de la monnaie, il s’ensuivait évidemment que le régime des taux de change fixes était
alors en vigueur. C’est pourquoi les thèses de Friedman, émises dès 1953, en faveur des taux de
change flexibles purent apparaitre paradoxales. Elles seront étudiées et replacées dans leur contexte
tant théorique qu’historique. Elles seront complétées notamment par celles de Johnson (1969) et
discutées par les keynésiens (Kaldor, Davidson, Galbraith) mais aussi indirectement par des auteurs
comme Dornbush (1976).
En second lieu, Il faudra étudier de la même façon les thèses des critiques du système de Bretton
Woods comme Triffin ou Kindleberger (1969), qui mettent l’accent sur la dissymétrie
constitutionnelle du système sans oublier les propositions des partisans d’un retour pur et simple à
l’étalon-or tels que Rueff.
•
La question des liquidités internationales.
Par ailleurs une attention toute particulière, compte tenu de notre projet général, sera apportée à la
question de la formation d’un marché monétaire international dans les années soixante. Cette
question est celle de l’approvisionnement en liquidités internationales et de leur régulation par les
institutions. Ce second point est le complément nécessaire du premier : les critiques du système de
Bretton Woods mettent l’accent sur l’incapacité, et même le refus fondamental, des partisans de ce
système à permettre la mise en place d’un prêteur en dernier ressort international. C’est exactement
ici que se noue un des liens essentiel entre politique monétaire et marché monétaire. Ces débats
théoriques soulèvent à nouveau des questions récurrentes de l’histoire des théories monétaires
B/ La position des banques centrales et des gouvernements ; des entreprises et des banquiers.
Nous nous proposons d’étudier les positions prises par les banques centrales ou la BRI (groupe des
10) à propos des questions évoquées ci-dessus lors de la crise du système de Bretton Woods. Seront
donc étudiés une sélection des documents publiés (ou archivés, dans la mesure du possible) par les
banques centrales et par les services gouvernementaux. Dans quelle mesure et pourquoi reflètentelles les positions académiques ? Dans quelle mesure et pourquoi s’en écartent-elles ?
Il s’agira notamment d’étudier plus précisément la question suivante (qui était posée bien avant la
création du système de Bretton Woods) : la coordination (la concertation) des banquiers centraux
peut-elle se substituer au prêteur international en dernier ressort ?
La position des entreprises serait très difficile à étudier si nous ne disposions d’un fond sans doute
représentatif.
Quelques mots sont peut être nécessaires pour situer le cadre dont sont issus les documents que
nous nous proposons d’étudier concernant les problèmes soulevés par la fin du système de Breton
Woods.
Après la guerre, une partie du patronat français, emmenée par Georges Villiers, le président du
CNPF juge nécessaire de réfléchir aux mutations économiques et sociales qui s’opèrent, d’une
manière indépendante des institutions publiques. C’est dans ce contexte que naît en 1953 le CERC,
Centre de Recherches et d’Etudes des Chefs d’entreprises. Georges Villiers réussit à convaincre son
état-major du CNP de l’intérêt pour les chefs d’entreprises de s’ouvrir à la réflexion, à la recherche
et à la formation aux problèmes contemporains dans le cadre de structures indépendantes des
organisations professionnelles. Les principes fondateurs du CRC entraînent une implication forte
des participants, répartis en différentes commissions de travail. Chaque commission rédige un
rapport qui peut être publié par les Cahiers du CERC. Les sujets reflètent les préoccupations de
l’époque comme « L’équilibre économique agriculture-industrie » (1957), « Facteurs humains de la
croissance économique » (1964), « Les sociétés multinationales face aux Etats-nations » (1974).
Au départ, le CERC était essentiellement composé d’industriels, puis la situation se modifia peu à
peu et plusieurs banquiers devinrent membres du CERC.
Désireux d’une vase ouverture internationale, le CRC avait créé en son sein un Groupe
International. C’est dans ce Groupe que s’est formée en 1973 une équipe spécialisée pour étudier et
présenter des réflexions concernant les aspects monétaires de la situation internationale. Cette
équipe s’est réunie sous la présidence de Robert Jablon (directeur et administrateur de la Banque
Rothschild).
Le travail de ce groupe constitué aux lendemains de la parution et pour y répondre à un rapport
rédigé par le Committee for Economic development, principal organisme de réflexion patronal aux
Etats-Unis se traduisit par un rapport de synthèse publié en octobre 1974 sous le titre « Réflexions
sur les problèmes monétaires internationaux ».Nous disposons donc à travers les archives de Robert
Jablon, d’une vingtaine d’exposés émanant de chefs
d’entreprises mais aussi d’autres acteurs importants de la sphère monétaire, et des discussions que
ces rapports suscitèrent.
Le groupe se réunit à nouveau à partir de février 1976, avec d’autres intervenants. Cette seconde
série de réunions, où intervinrent par exemple Jacques Calvet, Thierry de Montbrial, Jean Denizet,
Pierre Bartholin, donna lieu à un second rapport intitulé « Evolution des problèmes monétaires et
financiers internationaux » publié en 1976.
Les travaux de ce groupe sont donc naturellement structurés autour des deux questions qui
intéressent les économistes.
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La question des liquidités internationales.
La particularité des travaux de ce groupe est que sans négliger les aspects macroéconomiques de la
crise du système monétaire international, celle-ci est envisagée essentiellement du point de vue de
l’entreprise, qu’il s’agisse du problème des changes, de celui de la nécessité d’une maitrise de la
croissance du volume des liquidités internationales lorsqu’au marché de eurodollars sont venus
s’ajouter une masse considérable de liquidités flottantes, issues des bouleversements de l’économie
pétrolière mondiale ou encore de l’inflation. Pour la plupart des intervenants, le système de Bretton
Woods n’avait pas été conçu pour assurer lui-même sa propre régulation et sa propre survie mais
avait été au contraire rendu dépendant de sa conformité avec les objectifs de la politique des ÉtatsUnis
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La question de l’étalon international.
L’accent est porté par le groupe de travail sur la nécessité d’un retour aux changes fixes, de la
définition d’un étalon monétaire international et de ses rapports à l’or, de la régulation du marché
monétaire international qui passe par l’élaboration d’une politique monétaire commune. Plus que de
recettes techniques, c’est plus d’une élaboration politique qu’ont besoin la croissance économique
et la poursuite des échanges internationaux.
Tels sont donc les deux corpus que nous nous proposons de confronter. De cette confrontation
devrait émerger des pistes permettant de comprendre l’origine véritable de la crise des années 1970.
L’équipe de recherche :
Daniel DIATKINE
Sylvie DIATKINE
Laure QUENNOUELLE-CORRE
André STRAUS
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