La femme
nue
Quand les fesses de
Myriam prennent l'allure d'un grand
événement culturel...
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• Elle est sympa. Elle est d'aujourd'hui. A dix-
neuf ans, elle a déjà passé trois belles années
dans une
communauté des Pyrénées. Elle est
même belle et pas idiote. A Noél dernier, elle a
rejoint Paris. Elle s'est faite mannequin. Une
photo par-ci, une photo par-là, ça laisse du
temps libre et c'est rigolo d'aller gagner plein de
sous aux Bahamas, en compagnie de Jean-
François Jonvelle, bon photographe réputé
« gentil » auprès des mannequins.
Vlan ! Le 2 septembre, Myriam est devenue
célèbre en montrant ses fesses, qui sont sympas.
Elle a posé nue et tout Paris en parle. Cet été,
ces péquenots de Parisiens ont fait du nu inté-
gral sur les plages de France et de Navarre
mais l'image d'elle à poil — sans poils d'ail-
leurs, puisque vue de dos — devient un sujet de
conversation... Pis : un motif de procès !
Bizarre, en 1981. Myriam, en toute innocence,
explique à la presse qu'elle n'en revient pas.
On en aura entendu causer, parce que c'est de
la publicité. La majorité des citoyens en a ri :
mais les milieux bien informés de la capitale ont
tous leur mot à dire sur un gag publicitaire.
Certains prétendent que c'est «
formidable ».
D'autres clament que c'est «
indigne ».
L'agence C.L.M.-B.B.D.O. (Vittel : «
Buvez et
pissez »)
a inventé cette campagne en trois
temps. Sur les murs, le 31 août, c'est le
fameux : «
Le 2 septembre, j'enlève le haut »
de
Myriam. Neuf cents affiches en grand format,
quatre mètres sur douze, dans Paris et six villes
de province de plus de cinq cent mille habi-
tants : et, le 2 septembre, on a vu les beaux
nénés de Myriam. Elle a dit alors : «
Le 4 sep-
tembre, j'enlève le bas. »'
En publicité, c'est ce
qu'on appelle un
teaser.
Un titilleur. On cha-
touille le public, on l'agace. On met du suspense
dans l'air.
Hurler au loup
Pour qui, tout ce bruit ? Pour une entreprise
d'affichage, Avenir-Publicité, qui est une filiale
de Havas. Pour quelle cible ? Les quatre mille
cinq cents publicitaires français et leurs annon-
ceurs. L'affichage, la pub, la consommation, ça
ne va pas fort : Avenir-Publicité a donc profité
de la crise pour occuper ses panneaux et démon-
trer l'excellence de l'affiche comme média. En
payant ses emplacements, la campagne aurait
coûté un million, avec les frais techniques. Elle
a si bien débordé sa cible qu'elle a déjà rapporté
quelque deux millions de publicité rédactionnelle
à l'entreprise.
En 1953, un collectif de publicitaires avait fait
l'affiche Garap. Un drôle de bonhomme de
Savignac disait «
Garàp ». «
Garap » qui ?
« Garap » quoi ? Les gens se sont cassé la tête
pendant deux semaines. «
Gare à la publicité »,
bande d'idiots ! Les publicitaires en ont gardé
un souvenir amer. La publicité venait de démon-
trer qu'elle pouvait vendre «
du vent »,
selon le
terme employé dans les dix plus grandes agences
de Paris. Le
teasing est un «
art délicat ».
Zen,
Myriam,
-
dix-neuf ans, mannequin
Du suspense dans
l'air
une marque de cigarettes japonaises, en a fait
les frais il y a quelques années : si tout le monde
a apprécié la beauté de son idéogramme, elle a
fait faillite.
Trois affiches, une seule semaine d'affichage
ce n'est pas une grosse campagne à la « Suivez
le bœuf » (Publicis, 1960-1965), ou à la « Shell
que j'aime » (Publicis, 1955-1973). Ce n'est pas
non phis ce que Claude Bonange, directeur de
T.B.W.A., nomme musicalement un «
moment
publicitaire ».
L'affiche d'Einstein, «
Il avait les
cheveux longs »
(Hautefeuille, 1969). Les cin-
quante paires de fesses blanches et noires d'Air-
borne (Hautefeuille, 1970). Le bras d'honneur
de Gutenberg à McLuhan (F.C.A., 1972). La
poire de F'ublicis pour la Renault 14 (1977). Le
verre de whisky qui se brise à la télé, au bruit de
l'accident de voiture. La musique ,de Dim. Les
moutons d'André François pour « le Nouvel
Observateur » (Delpire, 1972).
Myriam est un coup, comme l'homme nu de
Selimaille (Publicis, 1967), comme celui de Pol-
nareff qui montra son derrière joufflu en 1973.
Il fait hurler au loup. Même chez Ogilvy and
Mather (quatrième agence mondiale), Michel
BouChardot, le président de l'A.A.C.P. (Asso-
ciation des Agences Conseils en Publicité), prin-
cipal syndicat de publicitaires français, en est
marri : «
On ne parle de la publicité que
lorsqu'il y a scandale. »
Mais enfin, cette image de Jean-François Jon-
velle n'est pas plus agressive que la femme-
phallus de Marina Reik pour Lancaster (Haute-
feuille, 1976): Et elle n'est pas obscène dans
l'intention comme celle de Helmut Newton qui
sert actuellement de pub à Gini : au bord d'une
piscine, une femme, une bouteille et un homme.
.1E1, la Mère Denis ?
N'empêche, l'association Du côté des femmes
a déposé plainte à Lille : « Outrage aux bonnes
moeurs », « atteinte à la dignité des femmes » et
« incitation au voyeurisme ». La publicité, dit le
Petit Larousse, est l'«
ensemble des moyens
employés pour faire connaître une entreprise,
pour inciter à l'achat d'un produit, etc. »
C'est
justement cèt « etc. » qui est remis en question.
Dare-dare, le 5 septembre, au nom des articles
283 et 290 du Code pénal, le tribunal de Lille a
condamné l'afficheur à recouvrir «
partiellement
ou totalement » ce
cul de Myriam qui est
devenu un événement culturel.
Myriam a disparu de Lille. Les passants
avaient arraché les carrés bleus posés par
l'annonceur. Mais, à Paris, Gisèle Halimi réci-
dive. Son association Choisir lui demande de
saisir l'Assemblée nationale de la nécessité d'une
loi antisexiste... à laquelle travaillent les services
d'Yvette Roudy. Le M.L.F. n'a pas vu là de
quoi pousser de si grands cris. Il dira lui aussi
ce qu'il en pense dans son journal, « Femmes en
mouvements-hebdo », mais il a déclaré à
Antenne 2 n'être pas prêt à jouer les «
dames
patronnesses ».
Femme-objet. Et la Mère Denis (Bazaine
1972),
tiens
donc ? «
Nous sommes toutes des
Mères Denis »,
nous sommes
toutes
des
femmes-objets. On peut dire beaucoup de l'utili-
sation de la femme dans la publicité. Mais pour-
quoi s'en prendre à cette image plus qu'à une
autre ? Le 7 septembre, Claude-Raymond Haas,
délégué général au B.V.P. (Bureau de Vérifica-
tion de la Publicité), Conseil de l'Ordre des
Publicitaires, a tancé son confrère Jean Casa-
nova, président d'Avenir-Publicité, par une let-
tre de « désapprobation ».
Cette «
blessante et
déshonorante manifestation de sexisme »,
dit-il,
serait «
impensable aux Etats-Unis ».
Prière
donc de se reporter au paragraphe trois de la
recommandation du B.V.P. du 18 mars 1975 sur
l'utilisation de la femme. Sec.
Casanova a de la plume. «
Dans votre recom-
mandation, vous auriez dû préciser votre notion
de femme-objet. »
Et il termine : «
Cette cam-
pagne [...], je regrette que vous ayez, pour la
juger, endossé la cape du Grand Inquisiteur.
Elle ne méritait ni cet excès d'honneur ni cette
indignité. »
KATIA
D. KAUPP
62 'Samedi
12 septembre 1981
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