ainsi susciter des résistances. Mais cela repose sur un présupposé : que le simple soit du
simplifié ainsi que le dit expressément Bachelard [11] ce qui signifie d’ailleurs deux choses.
Sur un plan ontologique, cela signifie que le simple est un résultat et non un donné mais c’est
aussi dire, et cela sur le plan axiologique, que ce résultat est caricatural. De ce point de vue il
est clair qu’il y a une certaine parenté entre Bachelard et un auteur comme Feyerabend qui ne
se cache d’ailleurs pas de l’avoir lu. Pour que le non de la « méthode non cartésienne » soit
une contraction et non une contradiction, il faut bien que la méthode cartésienne ait une
certaine pertinence, bref qu’elle ait été adéquate avant d’être périmée. Il paraît donc difficile
d’affirmer que ceci vaille à partir de n’importe quel point. Cette inversion du simple et du
complexe qui est certainement l’un des points les plus importants de la pensée de Bachelard et
la pierre angulaire de toute sa réflexion aurait là encore sans doute mérité d’être davantage
discutée. [12] Mais Bontems se contente de la mentionner et passe à une autre différence avec
Descartes : l’un comme l’autre constatent que nous avons des opinions fausses, mais alors que
pour le philosophe du doute hyperbolique, il fallait entreprendre sérieusement au moins une
fois en sa vie de se défaire de toutes les opinions que l’on a reçues, l’épistémologue objecte
qu’il y a quand et de quoi douter. Bref, là où Descartes envisage un doute initial absolu
surmonté une fois pour toutes et permettant ainsi d’obtenir une certitude absolue, Bachelard
préfère un doute potentiel et récurrent.
B : Critique de la philosophie
Dans le deuxième chapitre intitulé « La relativité philosophique », Bontems passe à une
perspective plus large en examinant la critique à laquelle se livre Bachelard à l’encontre de la
philosophie. Car si Bachelard refuse que la philosophie prescrive ses tâches à la science, il
considère en revanche que la philosophie devrait apprendre de la science, de ses remises en
cause permanentes, de son adaptabilité qui passe par son absence de systématicité et sa
tendance moindre à hypostasier. Et c’est pourquoi il en appelle à une philosophie qui ne soit
plus une philosophie de la substance mais de la relation. La raison pour laquelle la science est
plus à même que la philosophie de s’affranchir de la notion de substance tient au caractère
constitutif des mathématiques, science des relations, qui s’opposent au langage qui, lui, tend à
la substantialisation. A juste titre, Bontems insiste tout particulièrement sur cet aspect majeur
de la pensée de Bachelard. On comprend que la relativité philosophique dont il est ici
question n’a rien à voir avec le relativisme. Bontems en montre les différences en quelques
pages qui lui font utiliser le terme de relativation pour éviter toute confusion. Le point décisif
est que cette nouvelle philosophie passe par un rationalisme ouvert ou surrationalisme qui ne
prétende pas à l’éternité. Bontems consacre quelques pages très éclairantes à ce rationalisme "
turbulent " de Bachelard qu’il présente à la fois comme un transrationalisme et comme se
diffractant en rationalisme régionaux.
Le troisième chapitre intitulé « Au rythme des nuits » aborde à la fois la partie poétique de
l’œuvre de Bachelard et pose la question des deux versants de son œuvre. La partie consacrée
à l’œuvre poétique de Bachelard est plus descriptive encore que le reste de l’ouvrage et le
chapitre donne parfois un peu l’impression d’un vaste fourre-tout comprenant une analyse
métaphysique aussi bien que l’exaltation bachelardienne de la maison natale et du vin auquel
Bontems consacre de longues et nombreuses pages. L’intitulé du chapitre vient de Bachelard
lui-même qui distinguait entre la partie diurne de son œuvre consacrée à la philosophie des
sciences et la partie nocturne consacrée à l’imaginaire et la poétique. La question de l’unité de
ces deux versants n’a cessé de se poser et Bachelard lui-même a parfois semblé hésiter faisant
parfois de la culture littéraire un domaine plus proche de l’intuition sensible dont les images
constituent des obstacles [13], affirmant d’autres fois que la poétique va à rebours de
l’épistémologie [14] ou, toujours par crainte de l’esprit de système, mettant en garde contre
toute tentative d’unification de son œuvre. Bontems note fort judicieusement que « le jour et
la nuit est une expression qui s’entend métaphoriquement comme l’opposition radicale d’une