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Dans son article de 1943, Pigou objecte à Keynes que l’apparition de chômage
doit entraîner une baisse des salaires et des prix. En conséquence, la valeur réelle des
encaisses détenues par les ménages croît jusqu’à ce que leur désir d’épargne soit
satisfait pour un taux d’intérêt positif et que l’intégralité du revenu net correspondant au
plein emploi soit consommée3.
A cette mise en cause de sa « théorie du chômage involontaire », Patinkin
répond deux arguments. Il commence par nier l’existence d’un tel effet en invoquant un
manque de preuve empirique4. Il ajoute ensuite que « même en admettant ses
hypothèses, l’argument de Pigou n’est pas suffisant pour écarter la possibilité
d’incohérence dans le système. » (1947, p. 73)
Patinkin soutient que l’effet Pigou pourrait posséder une intensité décroissante.
Dans ce cas, face à un excès d’épargne et compte tenu de l’effet Pigou, la baisse des
prix pourrait faire converger l’épargne correspondant au revenu de plein emploi et à un
taux d’intérêt nul vers un niveau limite, inférieur à l’investissement correspondant, de
sorte que l’équilibre ne serait pas rétabli. L’argument est illustré par la figure 2. La
droite S
1 correspond à la position initiale de la courbe d’épargne pour un revenu
correspondant au plein emploi. La baisse des prix est censée faire converger cette
courbe vers la position représentée par la droite S*. Le taux d’intérêt d’équilibre reste
négatif de sorte que l’équilibre serait toujours impossible5.
Les critiques adressées par Friedman et Henderson à cet argument théorique
conduisent Patinkin à approfondir sa réflexion. Tous les deux soulignent en particulier
le fait que Patinkin n’avance aucune justification économique à son argument. Une
lettre adressée à Henderson témoigne du caractère stimulant de leurs avis :
« I am enclosing in this letter a manuscript of an article which I have just
written on the whole question of the Pigou analysis. My running controversy
with you and Milton on these issues helped me formalize and rigorize my
own position on these matters. For this I am greatly indebted to both of you
(…). » (Lettre de Patinkin à Henderson, 5 novembre 1947)
3 En fait, Pigou accepte et justifie une thèse pour le moins douteuse. On comprend mal quels
motifs expliquent l’existence d’une épargne positive alors que le rendement du capital est nul et par
conséquent inférieur ou égal au taux de préférence pour le présent. Dans le modèle de Ramsey, sur lequel
s’appuient à l’évidence les deux auteurs, un résultat de ce type est impossible. Pigou justifie cette
possibilité en invoquant « le respect de la tradition ou de la coutume etcetera » (1943, p. 346) ou encore
« le désir de détenir de la richesse pour le plaisir de sa détention » (1947, p. 184). Mais ces arguments
sont ad hoc. Ajoutons que le problème envisagé par Keynes n’existe que parce que le taux d’inflation
anticipé est supposé nul. Dans ces conditions, le taux d’intérêt réel et le taux nominal se confondent, de
sorte que si le taux d’équilibre est négatif, il ne peut être atteint. Mais un taux d’intérêt réel négatif peut
être atteint pour un taux d’intérêt positif dès lors que le taux d’inflation est suffisamment élevé. Ainsi, la
solution naturelle au problème de Keynes consiste à élever le taux de croissance de la masse monétaire. Il
est étrange que Pigou n’ait pas envisagé cette solution alors qu’il insiste dans ses écrits précédents sur le
fait que le comportement de l’économie est conditionné par la politique monétaire :« Si on ne sait rien de
la politique bancaire, n’importe quoi peut se produire. » (1937, p. 408) L’attention que Pigou prête à la
thèse de Keynes, en 1943, est elle-même mystérieuse dans la mesure où, en 1936, dans son compte-rendu
de la Théorie générale pour Economica, il s’en moquait sans retenue.
4 « L’affirmation de Pigou au sujet de cette relation inverse entre l’épargne et la valeur réelle des
encaisses monétaires est fondée sur un raisonnement intuitif et a priori. Mais il faut admettre que les
preuves empiriques existantes, quelles qu’elles soient, apportent peu de soutien à son hypothèse. »
(Patinkin, 1947, p. 73)
5 Toujours en supposant que le taux d’inflation anticipé est nul.