SEQUENCE : La mort sur Scène

publicité
SEQUENCE : La mort sur Scène
Problématique : En quoi la mort sur Scène est sujette à des ruses et manipulation s
dans la représentation théâtrale
Objectif
-
Connaissances : le Tragique et la Tragédie
Les registres
Textes
Texte 1
-
CORNEILLE, Horace, Acte IV, Sc. 5, « La mort de Camille », 1640
Iconographie complémentaire : Jacques Louis DAVID, Le Serment des Horaces (1785)
Texte complémentaire : Abbé D’Aubignac + exercice de Dissertation
ou écrit d’invention répondre à l’abbé
o BAC : dissertation : la représentation de la mort sur scène
Texte 2
-
RACINE, Phèdre, Acte V, Sc. 6, « La mort d’Hyppolyte », 1677
Document complémentaire : Représentation scénique de la mort d’Hyppolyte
o https://www.youtube.com/watch?v=v6BshYrrkDg
o 01 :04 :30 -> 01 :10 :28
-
Boileau, l’Art poétique
Texte 3
-
-
RACINE, Phèdre , Acte V, Sc. 7, « La mort de Phèdre », 1677
Document complémentaire : Représentation scénique de la mort de Phèdre
https://www.youtube.com/watch?v=xZucC3k6AnA
1 :10 -> 4 :16
Texte complémentaire : Sénèque, Phèdre, 1er Siècle
Texte 4
-
MOLIERE, Dom Juan, Acte IV, Sc.6 et 7 (« La mort de Dom Juan »), 1665
Représentation scénique : Daniel Mesguiche
+ le registre tragique et comique (robert secondes p.103 )
Lecture analytique 1 :
CORNEILLE, Horace, Acte IV, Sc. 5, « La mort de Camille », 1640
Questions
La violence de l'affrontement
1. Quel est le registre littéraire dominant ? Justifiez votre réponse.
2. Montrez qu'Horace fait de l'attitude de sa sœur un crime contre Rome.
3. Comment s'exprime la haine de Camille à l'encontre de Rome ?
La démesure tragique
4. Quels sont les indices de la démesure dans les répliques de chacun des deux personnages ?
5. Pourquoi la tirade de Camille peut-elle être considérée comme une provocation et une incitation
au meurtre ?
La mort de Camille
6. Comment la mort de Camille est-elle mise en scène ? Pourquoi Corneille multiplie-t-il les
didascalies ?
7. Quels sont les reproches de l'abbé d'Aubignac ( texte écho, ci-dess ) ? À quelles règles se réfère-t-il
? Que pensez-vous de sa proposition de mise en scène ?
Synthèse
Corneille respecte-t-il la règle de bienséance ?
BAC : Vers la dissertation
Dans un paragraphe construit, nourri de références précises au texte de Corneille, justifiez les choix
du dramaturge en répondant aux objections de l'abbé d'Aubignac.
CORNEILLE, Horace, Acte IV, Sc. 5
Les Horaces (de Rome) et les Curiaces (d'Albe) se livrent une guerre fratricide Horace, victorieux, vient de
donner la mort à Curiace, l'amant de sa soeur Camille. I duel s'ouvre alors entre le frère et la soeur
puisqu'un abîme sépare maintenant deux personnages pourtant issus du même sang.
ACTE IV, SCÈNE 5 HORACE, CAMILLE
[...] HORACE. — Ô ciel! qui vit jamais une pareille rage!
Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage,
Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur?
Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,
Et préfère du moins au souvenir d'un homme
Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome.
CAMILLE. — Rome, l'unique objet de mon ressentiment!
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant!
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore!
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore!
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles!
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux!
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir!
HORACE (mettant la main à l'épée, et poursuivant sa sœur qui s'enfuit) . —
C'est trop, ma patience à la raison fait place;
Va dedans les enfers plaindre ton Curiace.
CAMILLE (blessée derrière le théâtre). — Ah! traître!
HORACE (revenant sur le théâtre). — Ainsi reçoive un
[châtiment soudain
Quiconque ose pleurer un ennemi romain!
L’Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre (1657)
La Pratique du théâtre est l'œuvre d'un homme, théoricien du théâtre, qui confronte les pratiques des
dramaturges de l'époque avec l'idéal classique qu'il voudrait voir parfaitement respecté.
La Scène ne donne point les choses comme elles ont été, mais comme elles doivent être, et le Poète
y doit rétablir dans le sujet tout ce qui ne s'accommodera pas aux règles de son Art, comme fait un
Peintre lorsqu'il travaille sur un modèle défectueux.
C'est pourquoi la mort de Camille par la main d'Horace son frère n'a pas été approuvée au Théâtre,
bien que ce soit une aventure véritable, et j'avais été d'avis, pour sauver en quelque sorte l'Histoire,
et tout ensemble la bienséance de la Scène, que cette fille désespérée, voyant son frère l'épée à la
main, se fût précipitée dessus : ainsi elle fût morte de la main d'Horace et lui eût été digne de
compassion comme un malheureux innocent. L'Histoire et le Théâtre auraient été d'accord.
Questions sur le Texte 1 : CORNEILLE, Horace, Acte IV, Sc. 5
1. Quel est le registre littéraire dominant ? Justifiez votre réponse.
2. Montrez qu'Horace fait de l'attitude de sa sœur un crime contre Rome.
3. Comment s'exprime la haine de Camille à l'encontre de Rome ?
4. Quels sont les indices de la démesure dans les répliques de chacun des deux personnages ?
5. Pourquoi la tirade de Camille peut-elle être considérée comme une provocation et une incitation
au meurtre ?
6. Comment la mort de Camille est-elle mise en scène ? Pourquoi Corneille multiplie-t-il les
didascalies ?
7. Quels sont les reproches de l'abbé d'Aubignac ? À quelles règles se réfère-t-il ? Que pensez-vous
de sa proposition de mise en scène ?
Texte 2 : Pierre Corneille, Horace, 1640
Texte écho : L’abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, 1657
INFORMATIONS
Horace est une pièce de théâtre tragique de Pierre Corneille inspirée du combat entre les Horace et les Curiace. Elle fut
jouée pour la première fois en mars 1640.
Présentation
La pièce, dédiée au cardinal de Richelieu, compte 1 782 vers (sans compter les quelques vers de la dernière scène que
Corneille avait lui-même retranchés en 1660) et fut le second grand succès de Pierre Corneille. Écrite en réponse aux
contradicteurs du Cid, la pièce met en scène un personnage encore plus audacieux que Rodrigue, Horace, qui affronte son
meilleur ami et tue sa sœur Camille. Espérant se ménager la bienveillance des critiques et des poètes de son époque, il en
fait une lecture chez Boisrobert avant la représentation mais refuse d'apporter les modifications préconisées par ses
confrères1.
Le sujet est emprunté à Tite-Live.
Argument
La pièce, dont l'action se situe à l'origine de Rome, débute dans une ambiance tragique : la famille romaine des Horace est
unie à la famille albaine des Curiace. Le jeune Horace est marié à Sabine, jeune fille albaine dont le frère Curiace est fiancé à
Camille, sœur d'Horace. La guerre fratricide qui éclate entre les deux villes rompt cette harmonie. Pour en finir, chaque ville
désigne trois champions qui se battront en combat singulier pour décider qui devra l'emporter. Contre toute attente, le sort
désigne les trois frères Horace pour Rome et les trois frères Curiace pour Albe. Horace, étonné, ne s'attendait pas à un si
grand honneur. Les amis se retrouvent ainsi face à face, avec des cas de conscience résolus différemment : alors qu'Horace
est emporté par son devoir patriotique, Curiace se lamente sur son destin si cruel...
Même le peuple est ému de voir ces six jeunes gens, pourtant étroitement liés, combattre pour le salut de leur patrie. Mais
le destin en a décidé ainsi. Lors du combat, deux Horace sont rapidement tués et le dernier, héros de la pièce, doit donc
affronter seul les trois Curiace blessés ; mêlant la ruse et l'audace, en faisant d'abord semblant de fuir pour éviter de les
affronter ensemble puis en les attaquant, il va pourtant les tuer un par un et remporter ainsi ce combat.
Après avoir reçu les félicitations de tout Rome, Horace tue sa sœur qui lui reprochait le meurtre de son bien-aimé. Le procès
qui suit donne lieu à un vibrant plaidoyer du vieil Horace, qui défend l'honneur (valeur très chère à Corneille) et donc
Horace contre la passion amoureuse représentée par Camille. Horace sera acquitté malgré le réquisitoire de Valère,
chevalier romain lui aussi amoureux de Camille, tout comme Curiace.
1 La violence de l’affrontement
Ce sont deux visions diamétralement opposées
L’échange entre Horace et Camille est placé sous le signe de la violence suscitant ainsi un dialogue
agonistique dans lequel domine le registre polémique.
L’extrait s’ouvre sur une réplique d’Horace qui tout en mentionnant la « rage » de sa sœur (v. 1)
multiplie les propos virulents à son encontre.
La ponctuation expressive vient souligner cette idée et la présence martelée des impératifs (v. 4 et
5) souligne l’exigence qui est celle d’Horace au moment où il demande à sa sœur de se soumettre
aux impératifs patriotiques.
Ainsi oppose-t-il « le souvenir d’un homme » (v. 5) aux « intérêts de Rome » (v. 6).
Camille enchaîne immédiatement en OPPOSITION en commençant sa réplique par la reprise du
terme « Rome » dont l’emploi en anaphore aux vers 7, 8, 9, 10 montre combien les ressentiments de
Camille se muent en haine contre une ville qui désigne, de manière métonymique, tout le peuple
romain et les impératifs patriotiques qui lui sont attachés.
Là encore la réplique est marquée par la virulence. On peut relever en particulier
-
les multiples points d’exclamation qui traduisent la hargne du personnage.
Son frère n’est plus vu que comme celui dont le « bras a immol*é+ *s+son amant » (v. 8).
Rome devient ainsi « l’unique objet de son ressentiment » (v. 7).
L’association, par la rime des termes « ressentiment » et « amant » souligne le motif de sa
haine est profond.
2. Un crime patriotique
Selon HORACE, les « intérêts de Rome » sont supérieurs.
En pleurant un « ennemi romain » (v. 28),
Camille commet un crime, un authentique « outrage » (v. 2) qui devient pour Horace « un mortel
déshonneur » (v. 3) dans la mesure où elle n’est autre que sa sœur.
Ainsi la « rage » de Camille est-elle un « outrage » (les rimes révélatrices du raisonnement qu’il suit)
doit être châtiée.
Plus grave CAMILLE ne se contente pas de pleurer Curiace, elle maudit Rome dans une série
d’imprécations évoquant les malheurs qu’elle souhaite à sa patrie…
3. La malédiction sur Rome
-
série des propositions au subjonctif (v. 14, 15, 17, 19) à valeur impérative donne à imaginer
la mort de Rome.
L’ensemble est soutenu par des allitérations en [r] et [p] dont la dureté accen-tue la
virulence du propos.
Les images et les pluriels convoqués jouent de l’hyperbole pour amplifier la vision
apocalyptique.
L’énumération et les enjambements (v.11-12 / 15-16 / 19-20) soulignent, quant à eux,
l’accumulation des maux souhaités.
Transition : Comme une vision délirante.
II. La démesure tragique
L’hybris (aussi écrit hubris, du grec ancien ὕϐρις / húbris) est une notion grecque que l'on peut
traduire par « démesure ». C'est un sentiment violent inspiré par les passions, et plus
particulièrement par l'orgueil. Les Grecs lui opposaient la tempérance, et la modération. Dans la
Grèce antique, l’hybris était considérée comme un crime.
Némésis (en grec ancien Νέμεσις / Némesis) est la déesse de la juste colère (des dieux) et de la
rétribution céleste dans la mythologie grecque. Elle est parfois assimilée à la vengeance et à
l'équilibre. Le nom de Némésis dérive du verbe grec νέμειν (némeïnn), signifiant « répartir
équitablement, distribuer ce qui est dû ». Dans la mythologie romaine Elle est aussi interprétée
comme étant un messager de mort envoyé par les dieux comme punition.
Le substantif « némésis » est employé par antonomase pour désigner la colère ou la vengeance
divine
Une antonomase est une figure de style ou un trope, dans lequel un nom propre ou bien une
périphrase énonçant sa qualité essentielle, est utilisé comme nom commun, ou inversement, quand
un nom commun est employé pour signifier un nom propre1,2. Certaines antonomases courantes
finissent par se lexicaliser et figurent dans les dictionnaires usuels (« une poubelle », « une
silhouette », « un don Juan », « un harpagon », « un bordeaux », « un roquefort », « le macadam »,
« un gavroche », « un tartuffe », etc.).
Tous deux sont en proie à l’hybris. Ils dépassent les limites et un tel comportement ne peut
qu’induire la némésis (destruction).
En jetant l’anathème sur Rome, Camille succombe à la fureur et se laisse emporter par cette rage
dont parle Horace.
Ses formulations sont volontairement hyperboliques et excessives. Plus qu’une destruction, c’est
une apocalypse que Camille accompagne de ses vœux :
« Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux » (v. 19-20).
une certaine jubilation qu’évoque l’emploi redondant du verbe « voir » des vers 21 à 23. Sa volonté
est soulignée par l’emploi des pronoms et adjectifs de première personne (« mes vœux » v. 19 ; «
Moi seule en être cause » v. 24)
La mort de Rome, évoquée par l’emploi du terme « soupir » est présentée comme source de «
plaisir»… ultime blasphème mis en valeur par la rime V.23 / 24
Blasphème promptement puni : Horace commet le meurtre de sa propre sœur.
2) Le meurtre
La décision est immédiate.
La didascalie mettant la main à l'épée, et poursuivant sa sœur qui s'enfuit
souligne que son geste suit rapidement la fin de la tirade de sa sœur. Lui-même parle d’un «
châtiment soudain » (v. 30) pour évoquer son geste qui constitue un impératif. Acte sauvage, absent
de toute modération.
On peut cependant considérer que cette absence répond aux provocations de Camille qui, en
rejetant les idéaux patriotiques de son frère met à mal son système de valeurs : elle devient
l’ennemie à abattre
3) La mort hors scène / hors champ de Camille
Corneille précise, par toute une série de didascalies, que la mort de Camille se produit hors scène.
CAMILLE (blessée derrière le théâtre). — Ah! traître!
HORACE (revenant sur le théâtre).
mise à mort sanglante, par l’épée, dont la représentation sur scène était proscrite à l’époque
classique. Elle se déroule donc dans les coulisses pour respecter la bienséance et Corneille prend soin
de souligner les déplacements pour signifier que le geste et la mort s’accomplissent bien hors de la
scène, à l’abri des regards.
Précisons que ces didascalies ne figuraient pas initialement dans le texte. Corneille les a rajoutées à
partir de 1660 ; les formulations initiales (coïn- cidant avec les premières représentations de la pièce
en 1640) étaient plus ambiguës et offraient une certaine latitude. Il s’agit sans doute d’une volonté
de Corneille de plier ses œuvres de jeunesse aux canons de l’esthétique classique pleinement
affirmée en 1660 quand elle n’était que balbutiante en 1640.
Le meurtre de la sœur par son propre frère est justi- fié par Horace dans l’ultime formule de cet
extrait. Camille était devenue un traître en pleurant un « ennemi romain » (v. 28). En outre, en
choisissant une telle issue pour le personnage, Corneille respecte la vérité historique.
Confrontation au texte échos de l’abbé d’Aubignac
Et c’est justement ce respect qui fait problème.
Pour l’abbé d’Aubignac, « la Scène ne donne point les choses comme elles ont été, mais comme elles
doivent être » (l. 1-2). Il convoque ici la vraisemblance pour remettre en cause le choix de Corneille.
Qu’un héros tel qu’Horace tue sa propre sœur est invraisemblable car il se mue alors en monstre
inhumain. Pour l’abbé d’Aubignac, la vérité historique constitue, dans ce cas précis, un « modèle
défectueux (l. 3-4) que l’art doit pallier.
Ainsi, pour sauver vraisemblance et « bienséance de la scène » (l. 7) le théoricien propose une
réécriture de l’épisode et suggère le suicide de « cette fille désespérée » (l. 8).
Non seulement le suicide « n’est nullement traité de la même façon que le meurtre par les
bienséances classiques […] c’est le seul acte sanglant qui soit permis à un héros classique »
(Scherer, La Dramaturgie classique en France, Nizet, p. 418) mais il permet en outre de préserver la
gloire d’Horace ainsi « digne de compassion comme un malheureux innocent » (l. 9-10).
Mais si l’on analyse plus précisément cette proposition de réécriture, on ne peut que se trouver
confronté aux limites mêmes de la suggestion de l’abbé d’Aubignac qui, en remplaçant le
meurtre par le suicide, touche à l’essence même du sujet tragique choisi – au-delà même du
respect de l’Histoire – car ce geste démesuré qui répond à la démesure même de Camille participe
du sens tra- gique de la pièce et des interrogations qui animent tout l’acte suivant.
Sujet d’exposé possible
À quel autre débat impliquant Corneille cette « querelle d’Horace » fait- elle penser ? Montrez que
dans les deux cas, vraisemblance et bienséance sont au cœur des enjeux.
Vers la dissertation
Commentez ce jugement de George Forestier : « Du suicide *imaginé par l’abbé d’Aubignac] au
meurtre, il y a toute la différence entre une violence attendue et « normale », donc vraisemblable, et
une violence imprévue et hors norme. Bref, la différence entre la beauté régulière et le sublime. »
(Corneille à l’œuvre. Essai de génétique théâtrale, Paris, Klinksieck, 1996, pp. 281-282)
Jacques-Louis David - Le Serment des Horaces
Le Serment des Horaces
Artiste
Date
Jacques-Louis David
1784-1785
Commanditaire Louis XVI
Type
Technique
Peinture d'histoire
Peinture à l'huile
Lieu de création Rome
Dimensions (H × L) 330 × 425 cm
Mouvement
néo-classicisme
Localisation
Musée du Louvre, Paris
Le Serment des Horaces est un tableau du peintre français Jacques-Louis David, achevé en 1785. Ce tableau est
considéré comme un des chefs-d’œuvre du néoclassicisme tant dans son style que dans sa description austère
du devoir. Le tableau est de grande taille : 330 centimètres de hauteur et 425 centimètres de largeur. Il est
conservé au Musée du Louvre.
Il représente un grand sujet de l’histoire légendaire de la Rome Antique, où les frères Horaces défendent en
combats singuliers la cité de Rome face aux Curiaces champions de la ville d'Albe. Liés par mariage à leurs
sœurs respectives, le sacrifice des Horaces et des Curiaces exalte les vertus patriotiques. Le seul survivant du
combat fut l'ainé des Horaces, qui à son retour fut maudit par sa sœur Camille pour la mort de son mari. Les
frères Horaces jurent à leur père par ce serment de vaincre ou de mourir dans cette guerre qui les oppose aux
Curiaces d'Albe, champions des Albains, cité rivale et voisine. Si le combat apparaît bien dans plusieurs sources
1
littéraires (le livre I de l'Histoire romaine de Tite-Live, la vie de Tullus Hostilius par Aurelius Victor ), le serment
lui est une invention de David. Il est possible que David qui était franc-maçon ait été inspiré par les procédures
de serment utilisant les épées de ceux-ci. Le serment des Horaces est une invention de David qui traduit l'idée
de courage et de fierté. Dans ce tableau, David brise les règles habituelles de composition en décentrant les
sujets principaux. Il ne tient pas non plus compte des principes de l’Académie en traitant ses couleurs et reliefs
de manière relativement plate.
Historique
Dessin préparatoire (Palais des beaux-arts de Lille).
Exposé d’abord à Rome dans l'atelier du peintre, il fut ramené à Paris et exposé au Salon de 1785. Il eut un
énorme succès et permit à David d’éclipser ses rivaux dont Pierre Peyron. Dans les années qui suivirent, le
tableau devint le symbole de la Révolution française, mais il est peu probable que David l'ait conçu comme un
appel à la révolution.
Composition
1. Trinité
L'unité jusque dans chaque frère Horace
Le chiffre trois est omniprésent dans la composition du Serment des Horaces. En effet, il a toujours été
considéré comme un symbole de perfection et de stabilité. Il faut, par exemple, seulement trois points pour
définir un plan, ce sont aussi trois points que forment la triangulation qui renforce le squelette. Dans bon
nombre de mythologies, le chiffre trois renvoie à l'idéal et à la symbiose divine : les trois entités chrétiennes
(Père, Fils et Saint-Esprit), les trois Moires (divinités du Destin. Elles sont assimilées aux Parques dans la
mythologie romaine) et les trois Charites grecques (assimilées aux Grâces par les Romains, sont des déesses
personnifiant la vie dans toute sa plénitude, et plus spécifiquement la séduction, la beauté, la nature, la
créativité humaine et la fécondité) ... Mais aussi ici les trois Horaces, les trois Curiaces et leurs sœurs
respectives.
Dans Le Serment des Horaces, toute la composition est basée sur le chiffre trois : on compte trois groupes de
personnages, chacun inscrit dans une des trois arches présentes en arrière-plan.
La règle des tiers ici respectée : La règle propose que l'image soit imaginée comme divisée en neuf parties
égales par deux lignes horizontales équidistantes et deux lignes verticales équidistantes, les éléments
importants de la composition devant être placés le long de ces lignes ou de leurs intersections
La première association est composée des trois Horaces : les frères adoptent une position qui suggère la figure
géométrique du triangle. Ils évoquent la force, la stabilité et l'unité de leur groupe, mais aussi celles qui
règnent dans chacun d'eux. Le père des trois combattants, constituant la deuxième partie, porte aussi en lui le
chiffre « trois » : les trois épées qu’il s’apprête à confier à ses trois fils. Enfin, au niveau du troisième groupe,
les femmes sont au nombre de trois : en les représentant toutes trois, David a sans doute voulu mettre en
valeur leur union dans le malheur et leur soutien solidaire. On pourrait croire qu’en recul se trouve une épouse,
mais la femme en noir est en réalité la mère des Horaces. En réconfortant ses petits-enfants au nombre de
deux, le petit groupe compte lui aussi trois membres : l’artiste a pu vouloir représenter le lien
intergénérationnel qui unit la famille.
On observe que la règle des tiers a été parfaitement appliquée et centre ainsi le regard du spectateur sur le
« tiers central » : les mains tendues des Horaces vers les glaives détenus par le père ; l’accent est mis sur le
serment prêté.
2. Stabilité des lignes
Lignes droites pour les hommes, courbes pour les femmes au-dessous de la médiane
Le tableau montre une dichotomie caractéristique du néoclassicisme : on remarque d’emblée la présence de
deux groupes dans la composition de David : les hommes, à gauche, et les femmes, à droite. Cette division est
surtout menée par la différence qui prédomine entre les lignes directrices : elles sont droites pour les
hommes, courbées pour les femmes.
-
Hommes, droits, aux bras tendus : détermination, force et de patriotisme
Femmes éplorées : sentiments
Cette distinction est aussi établie par la position des personnages de part et d’autre de la ligne médiane :
élévation des hommes / abaissement des femmes
3. Une perspective épurée
Convergence des lignes vers la main maintenant les épées.
Les lignes de construction ont ici pour rôle la stabilisation de la scène : l’architecture, ses colonnes, ses arches
et ses pavés ne pouvant être ceux d’une modeste habitation. Ce sont justement ces éléments qui assurent le
parfait équilibre du tout.
Ceci est d’abord dû à l’opposition de la verticalité des colonnes à l’horizontalité du parterre. Ensuite, comme
indiqué dans la partie trinité, les arches sont au nombre de trois et correspondent à chaque groupe de
personnage. Ces derniers sont comme « appuyés » par l’architecture même et il en va donc pareillement pour
le serment proclamé.
Le pavement régulier constitue un pilier important de la régularité et de l’équilibre qui règne au cœur de la
composition. En prolongeant les lignes du sol, celles des murs et des chapiteaux (parallèles dans la réalité), il
est possible de retrouver le point de fuite de la composition : il se situe sur la main gauche du père qui
détient les trois épées, attirant le regard vers cette zone du tableau et soulignant le rôle essentiel et central du
serment prêté par les Horaces.
4. Chronologie
Au-delà de la présentation en frise de la scène du serment (qui intensifie elle aussi son aspect dramatique), on
peut déceler une dimension temporelle en lisant l’image de gauche à droite : les trois héros tendent le bras
en signe de leur promesse faite de se battre pour Rome, le père leur tend les armes ce qui a pour conséquence
le désespoir les femmes
5. Jeux de regards et position des personnages
Alignement des regards sur la ligne d'horizon
Des trois Horaces, le premier est sans cesse mis en avant par rapport à ses frères :



il est au premier plan, ce qui attire d’emblée sur lui le regard du spectateur. Sa position est différente
de celle de ses deux frères, il tend le bras droit et tourne le dos au spectateur, lorsque les autres
tendent le bras gauche et font face à l'observateur.
alors que les deux autres tendent les mains en direction de leur père et des épées (signe, peut-être, de
leur fougue), la sienne reste parallèle à la ligne d’horizon comme pour attendre que son arme lui soit
offerte (il ne la réclame pas et paraît plus mature que les autres, son bras est droit et stable, la force
représentée par son bras servira sans faillir sa patrie)
le détail le plus révélateur réside dans l’alignement de son regard avec le point de fuite et l’œil de
son père : cette droite est de surcroît la ligne d’horizon. À nouveau une forme de « trinité » unit le
premier fils à son père et à la cité. Il prête serment à l’autorité paternelle qui détient entre ses doigts
le symbole de la cité.
Dans la légende, seul un des trois Horaces survit : il se peut que ce soit lui.
6. Lumière et couleurs
Les couleurs apportent une nouvelle division au sein du tableau : amorcée par la manipulation des lignes, la
dichotomie est confirmée grâce aux couleurs utilisées par David. Elles semblent emprisonnées dans les formes
et établissent une division nette : alors que les hommes sont vêtus de couleurs vives à nouveau symboles de
leur force, de leur énergie, de leur détermination, les femmes portent des parures ternes qui évoquent leur
langueur, leur tristesse et leur incapacité d’action. Pareillement aux lignes, les couleurs sont choisies pour
exprimer les différences fondamentales qui existent entre les deux sexes.
7. Signification et portée du tableau
La couleur la plus visible au niveau du groupe des hommes est le rouge : elle exprime force, virilité, puissance,
action et courage. Rien de plus significatif donc, pour des soldats, que d’être vêtus de rouge. Le blanc est
davantage un symbole divin et de pureté, il peut renvoyer à l’idée d’une mission confiée par un père, une cité,
mais aussi par des Dieux. Quant au bleu, il renvoie à la sagesse, à la vertu, à la foi et à la paix. L’Horace du
premier plan concentre ces trois couleurs, il est donc à nouveau présenté comme le plus important des trois
frères.
Bien que le drapeau français tel que nous le connaissons n’ait été mis en place que lors de la Révolution
française, les gardes françaises étaient, elles, vêtues de bleu, de blanc et de rouge depuis le règne de Henri IV.
Le premier des frères, qui par son rôle constitue déjà un symbole important de patriotisme (envers sa cité),
peut ainsi être interprété comme un « messager » du nationalisme français. La Fayette ayant établi les couleurs
de la cocarde tricolore comme nouvelles « couleurs nationales », on comprend maintenant plus aisément
pourquoi le Serment des Horaces a été considéré comme un symbole phare de la Révolution française à cette
époque.
8. Peintres et œuvres ayant influencé Le Serment des Horaces
Caravage
Clair obscur dans L'incrédulité de Saint-Thomas du Caravage
La lumière employée par David met en place un effet hautement dramatique. Elle est dite caravagesque et
e
reprend l’orientation utilisée par Le Caravage (peintre du XVII siècle dont l’œuvre a révolutionné la peinture
par l’invention de la technique du « clair-obscur »). Cette dernière est violente, contrastée et instaure de fait un
effet théâtral aux scènes peintes : on peut la comparer à un projecteur braqué vers les personnages mis en
valeur. De plus, cette technique étant surtout utilisée dans des œuvres à sujets religieux, elle confère au
Serment des Horaces une dimension plus « sacrée » : celle du serment solennel à la cité et aux Dieux. David
utilise cette méthode pour rehausser la portée de son message civique.
Lecture analytique 2 :
RACINE, Phèdre, Acte V, Sc. 6, « La mort d’Hyppolyte », 1677
PREMIERE LECTURE
Quelles émotions propres à la tragédie sont suscitées par la lecture de ce récit ?
Pourquoi la mort d'Hippolyte est-elle racontée au lieu d'être représentée sur scène ? Quelles règles
de la tragédie classique sont ainsi respectées ?
LECTURE ANALYTIQUE
Un récit dramatique
1. Quelles sont les trois étapes de ce récit ? Quelle progression est ainsi ménagée ?
2. Qu'est-ce qui fait de cette scène le dénouement de la pièce ?
3. Quel temps domine dans ce récit ? Y a-t-il beaucoup de verbes d'action ? Quel est l'effet recherché
?
4. Relevez et commentez les figures de style utilisées pour suggérer l'horreur : hyperboles,
métaphores, personnifications, etc.
Un récit épique et tragique
5. En quoi le monstre décrit n'est-il pas réaliste ? Montre2 qu'il est composé de différents animaux
eux-mêmes effrayants. À qui peut renvoyer le dieu évoqué au vers 34 ?
6. Relevez le lexique du combat et de la démesure. Expliquez pourquoi l'attitude d'Hippolyte est
héroïque.
7. Quelles sont les réactions des différents spectateurs de la scène ? Commentez les vers 15-16, et
repérez les deux moments où Théramène nous fait part de ses sentiments Quel est l'effet produit ?
Un dénouement tragique (pages 86-87)
Jean racine, Phèdre (1677)
Résumé
Acte I (5 scènes)
Hippolyte, fils de Thésée qui a disparu et dont on est sans nouvelles depuis six mois, annonce à son confident,
Théramène, son intention de partir à la recherche de son père. Il quitte Trézène pour fuir son amour pour
Aricie, sœur des Pallantides, un clan ennemi. Phèdre, seconde épouse de Thésée, avoue à Œnone, sa nourrice
et confidente, la passion coupable qu’elle ressent pour son beau-fils Hippolyte. On annonce la mort de
Thésée…
Acte II (6 scènes)
Hippolyte propose à Aricie de lui rendre le trône d'Attique, laissé vacant par la mort de Thésée, et lui avoue son
amour. Leur entretien est interrompu par Phèdre, venue prier Hippolyte de prendre soin de son fils mais qui
finit par lui révéler son amour. À la réaction horrifiée d'Hyppolyte, elle comprend son erreur et prend l'épée
d'Hippolyte pour en finir avec la vie mais Œnone l’arrête. Théramène annonce que le fils de Phèdre est choisi
comme roi par Athènes mais signale qu’on a peut-être vu Thésée.
Acte III (6 scènes)
Phèdre, malgré les honneurs dont elle est entourée, se lamente sur son sort et décide de proposer la couronne
à Hippolyte. Thésée, qui n’est pas mort, arrive à Trézène et s’étonne de recevoir un accueil si froid : Hippolyte,
qui envisage d’avouer à Thésée son amour pour Aricie, évite sa belle-mère, Phèdre, qui est submergée par la
culpabilité.
Acte IV (6 scènes)
Œnone, qui craint que sa maîtresse ne se donne la mort, a déclaré à Thésée qu’Hippolyte a tenté de séduire
Phèdre en la menaçant, donnant pour preuve l'épée qu'elle a conservée. Thésée bannit Hippolyte et prie
Neptune, dieu de la mer, de le venger. Phèdre veut le faire changer d’avis mais elle apprend qu’Hippolyte aime
Aricie. Furieuse d’avoir une rivale, elle renonce à le défendre.
Acte V (7 scènes)
Hippolyte part après avoir promis à Aricie de l’épouser hors de la ville. Thésée commence à avoir des doutes
sur la culpabilité de son fils, mais la nouvelle de sa mort, causée par un monstre marin, survient. Après avoir
chassé Œnone qui, de désespoir, s’est jetée dans les flots, Phèdre révèle la vérité à Thésée ; ayant pris
auparavant du poison, elle meurt.
➔ Objectif : comprendre comment l’hypotypose renforce la dimension tragique du dénouement.
➔ Ressources
-
Representation de la scène
➔ Réponses aux questions
Un récit dramatique
1. Les étapes du récit
-
Vers 1 à 10, théramène décrit les signes effrayants qui annoncent l’arrivée du monstre,
créant ainsi un effet d’attente haletant.
-
vers 11 à 28, description du monstre envoyé par neptune et sa mise à mort par
Hippolyte.
-
vers 29 à 44 racontent l’accident qui cause la perte du héros.
Par cette composition, racine dramatise le récit pour susciter l’attente du lecteur, puis sa
surprise, lors du renversement de situation qui provoque la mort inattendue d’Hippolyte,
pourtant victorieux du monstre.
2. Le dénouement
Cette scène constitue le dénouement de la pièce car l’objet de l’amour incestueux de Phèdre
n’existe plus, neptune ayant accompli la volonté de thésée, trompé par son épouse.
3. L’hyptypose : mettre sous les yeux
Théramène emploie principalement le présent de narration, pour dramatiser le récit. il s’agit d’une
hypotypose, fig u r e consistant à raconter sur scène de manière frappante des événements qui
ne peuvent y être représentés, au point de donner au lecteur le sentiment de vivre la scène en
direct.
-
Les verbes d’action sont très nombreux, contribuant à cette dramatisation :
« s’élever » (v. 8), « approcher », « se briser », « vomir » (v. 9), « se recourber » (v. 14), « faire
trembler » (v. 15), « reculer » (v. 18), « fuir » (v. 19), « arrêter », « saisir » (v. 22), « pousser » (v.
23), « bondir » (v. 25), « tomber » (v. 26 et 38), « se rouler » (v. 27), « courir » (v. 44).
4. Un récit imagé
On peut relever des hyperboles, employées pour accentuer l’aspect effrayant et extraordinaire du cri
qui annonce l’arrivée du monster vers 15 à 17 :
-
« un effroyable cri »,
-
« une voix formidable »,
-
« ce cri redoutable ».
Des metaphores antithétique permettent à théramène d’opposer la tranquillité de la mer avant
l’arrivée du monstre
-
« plaine liquide ») à la hauteur de la vague causée par le monstre
-
« montagne humide »).
L’eau est personnifiée, comme si la nature était contrôlée par une force surnaturelle :
« L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux /
Parmi des flots d’écume un monstre furieux. »
Les autres éléments sont également personnifiés, le narrateur leur confère des émotions humaines
:
« Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage, /
La terre s’en émeut, l’air est infecté, /
Le flot, qui l’apporta, recule épouvanté. »
TOUTE La nature elle-même est horrifiée par ce spectacle contre nature.
Autant de figures que renforce l’abondance du lexique des perceptions auditives
« effroyable cri»,
« voix formidable »
« gémissant »
« cri redoutable »
« longs mugissements »
« en mugissant », etc ;
visuelles
-
« à nos yeux »
-
« écailles jaunissantes »,
-
« replis tortueux »,
-
« le ciel voit »,
-
« ils rougissent le mord »…
ou encore olfactives
« l’air en est infecté »,
conférant au récit de cette scène en hypotypose une réalité presque palpable.
Un récit épique et tragique
1. Le monstre proétiforme, fantastique
La description du monstre n’est pas réaliste.
Aussi grand qu’une montagne (v. 8) et relève du bovin et du reptile :
« Son front large est armé de cornes menaçantes ; /
tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes » (v. 11-12).
L’aspect monstrueux de la créature est exprimé par les métaphores qui empêchent de se
représenter sa véritable apparence :
« indomptable taureau, dragon impétueux, /
Sa croupe se recourbe en replis tortueux » (v. 13-14).
Le dieu qui pique les chevaux pour les agiter est certainement neptune, sollicité par thésée.
2. Héroisme d’Hyppolyte
Hippolyte est courageux : contrairement aux autres, qui fuient et se réfugient dans un
temple, il s’oppose « seul » (v. 21) au gigantesque monstre.
Le combat est rapide, comme le montre l’énumération des verbes d’action aux vers 22 à 24 : «
arrête », « saisit », « pousse », « fait ».
La « large blessure » (v. 24) qu’il inflige à la créature suffit à tuer la bête, exploit que tous
pensaient impossible.
3. La terreur / la pitié
Les éléments naturels sont effrayés par le monstre surgi des eaux :
« Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage, /
La terre s’en émeut, l’air en est infecté » (v. 16-17).
De même, le sang de théramène se glace lorsqu’il entend le cri de la créature (v. 5). enfin, aux vers
39-40, le gouverneur d’Hippolyte expose sa « douleur ».
Ainsi, le spectateur est invité à partager ces sentiments de crainte et de pitié, nécessaires à la
catharsis.
BAC
Paragraphe de commentaire compose :
Idée directrice : “Comment Corneille donne-t-il à voir ce qu’il ne peut montrer ?”
Lecture analytique 3 :
RACINE, Phèdre, Acte V, Sc. 7, « La mort de Phèdre », 1677
Sous Louis XIV, le « meurtre de soi-même» est considéré comme une violation des lois divines
et constitue un crime. Pourtant, le théâtre fait du suicide le seul acte sanglant digne d'un
héros classique qui succombe à un désespoir présenté comme « noble ». Cet extrait scelle le
dénouement de la tragédie Ï3 14. Dans la scène précédente, Théramène fait le récit détaillé de
la mort d'Hippolyte déchiqueté par un monstre marin. Quant à Phèdre, elle vient prononcer
ses derniers mots.
QUESTIONS
L'ultime aveu
1. Quel est l'enjeu de l'ultime réplique de Phèdre ? Appuyez-vous, en particulier, sur le lexique employé
par Phèdre pour montrer que sa déclaration peut susciter la pitié du spectateur.
2. Phèdre assume-t-elle cependant pleinement la responsabilité des événements tragiques qui se sont
succédé ?
Agonie de Phèdre
3. Comment Phèdre choisit-elle de mourir? Quels vers justifient ce choix? Comment contribuent-ils à
accroître le pathétique et le tragique de la scène ?
4. Comment le récit que Phèdre fait de sa propre agonie suscite-t-il terreur et pitié ? Justifiez votre
réponse.
5. Quelle fonction donnez-vous à la réplique de Panope qui clôture l'extrait?
Synthèse
Rédigez un paragraphe dans lequel vous montrerez comment Racine opère une authentique
dramatisation de la mort de Phèdre.
Texte 3 : Jean Racine, Phèdre, Acte V, scène 7 (1677)
1 L’ultime aveu
Ultime prise de parole, volonté d’obtenir de se délivrer du poids de sa culpabilité tout en délivrant le
monde de ce qu’elle conçoit comme une souillure :
« Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté. »
Ainsi lave-t-elle, par sa disparition, « l’outrage » (v. 26) que sa présence constitue.
Le terme choisi est révélateur de la manière dont Phèdre se conçoit et conçoit son crime. Le terme «
outrage » vient du latin ultra, signifiant « au-delà », il implique l’idée d’un dépassement des limites
qui renvoie ici à l’hybris du personnage qui se doit d’être châtié pour purifier le monde. HONNEUR
Ainsi ses « remords » (v. 19) ne peuvent-ils que la conduire chez les « morts » (v. 20) comme l’indique
l’association des termes à la rime.
2. Le pathétique
« Le froid inconnu » (v. 24) qui se répand dans son corps abolit le feu présent dans ses «
brûlantes veines » (v. 21). La douleur qu’elle s’inflige et par les paroles, et par le choix du poison ne
peut que susciter la pitié du spectateur et ce même si Phèdre ne semble pas assumer pleinement sa
responsabilité.
Certes, dès le début de sa tirade, elle précise :
« C’est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux,/
Osai jeter un œil profane, incestueux » (v. 7 et 8)
se faisant le sujet de l’action. CHIASME -> rôle essentiel du regard dans la tragédie racinienne
La noirceur de son désir est soulignée par le parallélisme de construction qui met en valeur les
adjectifs antonymes (en particulier « respectueux » et « incestueux » qui doivent en outre être
prononcés en diérèse).
Mais immédiatement après, elle se place en position d’objet subissant cette passion :
« Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste » (v. 9) -> fatalité tragique : victime passive de Vénus
puis blâme la « détestable Œnone » qui « a conduit tout le reste » (v. 10).
Sa nourrice devient ainsi « la perfide » qui a « abus[é] de la « faiblesse extrême » de Phèdre. Le
suicide d’Œnone, qui s’est jetée dans les flots (mort non noble) est même qualifié de « supplice trop
doux » (v. 16) et présenté comme une conséquence du « courroux » de Phèdre dont le spectateur
a eu un aperçu à l’acte IV, scène 6 mais qui intervient bien tardivement dans la dynamique de la
pièce.
Elle se présente donc ici comme bien plus innocente que coupable en éludant quelque peu sa part de
responsabilité.
2 L’agonie de Phèdre
Cet ultime arrangement avec la réalité passe presque inaperçu tant le texte travaille à mettre en
relief l’agonie du personnage qui a fait le choix de la mort.
En effet, Phèdre choisit de se donner la mort comme le révèlent les vers 19 à 22. Elle a renoncé au «
fer » (métonymie désignant l’épée au vers 17) pour privilégier le poison (vers 21-22).
L’héroïne de la pièce d’Euripide se pendait,
celle de la tragédie de Sénèque se transperçait le cœur à l’aide d’une épée.
Le parti pris de Racine est donc différent et se doit d’être doublement justifié.
D’une part, il faut souligner que la représentation d’une mort sanglante sur scène est alors proscrite.
Seules sont tolérées les morts par poison. Racine suit donc l’évolution du goût des spectateurs et se
conforme à la bienséance qui domine la dramaturgie classique.
D’autre part, le poison qui permet le maintien sur scène du personnage lui donne l’occasion de livrer
une ultime parole, ce que n’aurait pas permis une mort violente. Phèdre justifie d’ailleurs son choix
par la volonté de ne pas laisser « gémir la vertu soupçonnée » (v. 18). En outre, le poison est celui
que « Médée apporta dans Athènes » (v. 22). Phèdre se lie ainsi, symboliquement, à une autre figure
féminine maudite.
La parole ultime de Phèdre est donc une réhabilitation d’Hippolyte, seule propre à mener à sa
propre réhabilitation, en plaçant Thésée dans le rôle de confesseur (« devant vous exposant mes
remords »), ce qui justifie également le fait que Phèdre, contrevenant à la règle classique des
bienséances, vienne mourir sur scène. Mais l’on notera qu’Hippolyte n’est nommé que par une
périphrase (« je laissais gémir la vertu soupçonnée »), comme si, jusqu’au bout, Phèdre redoutait, en
prononçant son nom, de redonner à la passion une force qui l’empêche de poursuivre
Le fait qu’elle ait ingéré ce poison avant de livrer son ultime parole n’est pas anodin.
Le caractère irréversible de la situation décuple le pathétique et le tragique de la scène d’autant que
le texte travaille à la puissance du récit que le personnage fait de sa propre mort non seulement par
les détails qu’elle donne sur les différentes phases du processus mais aussi et surtout par le travail
rythmique et mélodique qui laisse entendre une voix soupirante, expirante dont l’élocution devient
de plus en plus délicate. On peut relever les décalages de césure qui disent la difficulté de
progression de la parole (v. 19, 21, 27) en multipliant les pauses marquées avant la fin du premier
hémistiche provo- quant, pour ainsi dire, un effacement de la césure attendue.
La réplique de Panope (qui clôture l’extrait mais pas la pièce, puisqu’intervient encore Thésée)
s’apparente à une litote… il s’agit bien de « dire le moins » (« expirer ») pour « signifier le plus » («
mourir »). Il ne faut pas considérer cette réplique comme un commentaire venant purement et
simplement se surajouter à l’agonie représentée, dite. C’est un souffle de Panope, prise d’effroi
devant ce spectacle et qui interpelle Thésée mais pour mieux interpeller le spectateur.
http://cotentinghislaine.unblog.fr/2009/12/07/lecture-analytique-phedre-acte-v-scene-7-lultimeaveu-de-lheroine/
BAC Ecrit d’invention :
Vous êtes metteur en scène. Vous devez mettre en scène Phèdre de Racine et vous vous interrogez sur
le pertinence du respect des règles des bienséances dans la cadre de votre représentation dans un
article de la revue « Théâtre aujourd’hui » et faies référence aux différentes versions de Phèdre que
vous connaissez
Vous êtes metteur en scène. Vous devez mettre en scène Phèdre de Racine. Dans un dialogue qui vous
confronte à l’actrice du rôle titre vous niez la nécessité pour un « théatre moderne » d’ensanglanter la
scène…
Rédiger un article de journal faisant le blâme ou l’éloge de la représentation de la mort de Phèdre mis
en scène par Patrice Chéreau
SENEQUE, Phèdre (Ier siècle), Acte V, Sc. 1
Résumé de l'abbé De Marolles (1664)
Acte I
Le jeune Hippolyte distribue à chacun de ses gens la charge et les emplois qu'ils doivent avoir pour la chasse,
leur marque les lieux où ils doivent aller, et invoque le secours de Diane déesse des chasseurs. Phèdre déclare à
sa Nourrice qu'elle brûle d'amour pour Hippolyte, dont la Nourrice tâche vainement de la détourner. Le chœur
maintient que toutes choses cèdent à l'amour, les hommes de quelque pays, de quelque âge et de quelque
condition qu'ils soient, et les Dieux mêmes du Ciel et des Enfers, aussi bien que toutes sortes d'animaux.
Acte II
La Nourrice se plaint des mauvaises suites de l’Amour, de la maladie et de l’impatience que donne cette
violente passion. Puis tout d’un coup Phèdre paraît, travestie en habit d’amazone ou de chasseresse pour plaire
à Hippolyte. La Nourrice s’efforce adroitement de fléchir l’esprit d’Hippolyte, pour le faire consentir aux délices
de l’amour et aux douceurs de la vie civile : mais Hippolyte ne veut point changer d’humeur, et préfère de bien
loin ses inclinations pour la vie champêtre à tous les plaisirs de la société humaine dont la Nourrice l’a
entretenu. Phèdre et sa Nourrice attaquent par toutes sortes d’artifices la pudicité du jeune homme, mais elles
ne la peuvent surmonter. C’est pourquoi elles ont recours à la calomnie. Le chœur prie les Dieux, que la beauté
soit aussi avantageuse à Hippolyte qu’elle a été pernicieuse et fatale à d'autres ;il annonce le retour de Thésée.
Acte III
Thésée, de retour des Enfers, demande à la Nourrice, la cause du deuil de sa maison : elle lui annonce que
Phèdre a pris la résolution de mourir. Phèdre déclare qu’elle aime mieux mourir que de déclarer à Thésée la
violence qu’elle a subie. Comme Thésée menace la Nourrice afin de connaître la vérité, elle lui montre l’épée
d'Hippolyte. Thésée reconnaît l’épée, et souhaite que son fils meure. Le chœur se plaint de l'injustice dont les
dieux font preuve : les gens de bien sont persécutés et les méchants sont récompensés.
Acte IV
Un messager raconte à Thésée comment Hippolyte a été mis en pièces par ses propres chevaux,épouvantés par
un taureau marin envoyé par Neptune conformément au souhait de Thésée. Le chœur fait un récit de
l’inconstance des grandes fortunes et des périls où elles sont exposées, recommande la sûreté des petites et
déplore la mort d’Hippolyte.
Acte V
Phèdre innocente Hippolyte, avoue son crime, et se tue. Thésée regrette la mort de son fils, lui accorde une
sépulture et la refuse à celle qui fut sa femme.
1. L’arme de l’expiation
L’arme est mentionnée à deux reprises au cœur de la réplique (« j’enfoncerai le glaive » l. 16) et à la
fin (« Cette épée fera justice » l. 30). C’est une manière d’insister sur la mort violente et sanglante
qu’elle a choisie et à laquelle elle est résolue comme l’indique l’emploi systématique du futur (à valeur
de certitude) en association avec la référence à l’arme.
2. L’offrande faite à Hyppolite
Or ce choix est présenté comme une véritable offrande à Hippolyte, comme un acte éthique. Il s’agit
donc d’un acte à haute valeur morale puisqu’elle s’inflige à elle-même cette punition pour laver son
crime :
-
« j’enfoncerai le glaive dans mon sein coupable »,
dressant le portrait d’une « amante insensée » (l. 17),
d’une « femme infidèle » l. 21),
d’une « perfide épouse » (l. 26).
Elle s’offre comme une victime expiatoire à « l’ombre » qu’est devenu Hippolyte en travaillant
à souligner cette résolution en la présentant comme la seule issue, comme « la seule consolation qui
[lui] reste dans la perte de [son] honneur. » (l. 24).
Le stoïcisme est un courant philosophique occidental issu de l'école du Portique (du grec ancien στοά, « stoa ») fondée en 301 à Athènes, par Zénon de Cition. Le stoïcisme a par la suite traversé les siècles, subi des transformations (notamment avec
Chrysippe de Soles en Grèce et à Rome avec Cicéron, Sénèque, Épictète, Marc Aurèle), puis exercé diverses influences,
allant de la période classique en Europe (en particulier au XVIIe siècle, chez René Descartes) jusqu'à nos jours. Un des points
qui distingue le stoïcisme des autres courants philosophiques issus de l'époque hellénistique est sa psychologie qui est à la
base des thérapies cognitivo-comportementales modernes1,2.
Le stoïcisme s'appuie sur la distinction centrale entre d'un côté les choses qui dépendent de nous et sur lesquelles nous
pouvons agir et d'un autre côté les choses qui ne dépendent pas de nous et sur lesquelles nous n'avons aucune influence. Pour
vivre heureux et libre, selon les stoïciens, il ne faut pas lutter en vain contre ce qui ne dépend pas de nous, mais au contraire
l'accepter et nous abstenir des vices et passions qui nous y exposent. Le stoïcisme est donc un eudémonisme basé sur la
tempérance et le détachement qui part du postulat que « Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses mais les
opinions qu'ils en ont. »3. Il convient donc d'agir sur ces dernières.
À cette fin, le stoïcisme exhorte à la pratique d'exercices de préparation aux difficultés (praemeditatio malorum) et de
méditation conduisant à vivre en accord avec la nature grâce à la raison (assimilée à la connaissance scientifique4,5).
L'objectif est de parvenir à l'ataraxie (« absence de troubles ») grâce à l'apatheia (« absence de passions »), conditions de la
sagesse et du bonheur.
3. Vision stoïcienne de la mort
On retrouve ici la vision toute stoïcienne qui est celle de Sénèque. Quand la Phèdre d’Euripide mourait
discrètement – son suicide étant rapporté par une servante –, celle de Sénèque revendique l’issue
choisie en accord avec la conception stoïcienne de l’honneur et non sans mettre en relief la valeur
même de cet acte comme le souligne la clôture de l’extrait : « apprends d’elle à mourir ».
On peut ainsi dire avec Essam Safty que : « Chez les Grecs, le suicide traduisait simplement un
mouvement muet de désordre émotif, alors que, chez Sénèque, il s’agissait d’une thèse de philosophie
où étaient exposées et défendues les vertus de l’acte…» (« La question du suicide dans les tragédies du
philosophe Sénèque », in Cahiers des études anciennes, n° XLIII, 2006).
Cette résolution qui est celle de Phèdre s’accompagne cependant aussi d’une certaine agitation
que traduisent les adresses à différents destinataires – le principal étant Hippolyte, divinisé – toutes
marquées par le recours à une ponctuation expressive qui renforce la représentation que l’on peut se
faire d’un personnage en mouvement, se déplaçant en fonction des destinataires, levant les yeux au
ciel quand il s’agit d’une invocation (l. 1, l. 24).
En outre, les figures qu’elle convoque dans les lignes 5 à 13 (« les monstres de la mer », « Sinis »,«
Procruste », « Minotaure ») sont le reflet de sa propre monstruosité et le « monstre mugissant
dans la prison bâtie par Dédale », fruit des amours coupables de sa propre mère (1) n’est autre que le
reflet qu’elle offre d’elle-même dans cette tirade.
C’est elle le monstre qui a provoqué la mort d’Hippolyte
(1) Dans la mythologie grecque, Pasiphaé (en grec ancien Πασιυάη / Pasipháê, « celle qui brille pour tous », une épithète
classique de la déesse Lune), fille d'Hélios et de Persée, est l'épouse de Minos (roi de Crète), et la mère notamment du
Minotaure.
Dom Juan, acte 5 scènes 5 et 6
Résumé :
La fable
Arrivé en ville après avoir abandonné Done Elvire, qu’il avait faire sortir d’un couvent pour l’épouser,
Dom Juan Tenorio y aperçoit une jeune fille à la veille de se marier et projette de l’enlever tandis
qu’elle fera avec son fiancé une promenade en mer. Le projet ayant échoué et son embarcation ayant
chaviré, il se retrouve avec ses gens dans un village de paysans, d’où, averti que ses beaux-frères Dom
Carlos et Dom Alonse le poursuivent, il s’enfuit par la forêt avec son valet Sganarelle. Le hasard
l’amène à sauver la vie de Dom Carlos, qui lui laisse en retour la vie sauve, à condition qu’il reprenne
la vie commune avec Done Elvire. Sur le chemin qui les ramène à la maison, le maître et le valet
passent devant le mausolée d’un commandeur que Dom Juan a tué l’année précédente et dont il
invite la statue à dîner pour le soir même. De retour chez lui, il voit le moment de dîner repoussé trois
fois de suite par les visites inopinées d’un créancier, de son père et de son épouse à présent retournée
à la vie religieuse. La statue du Commandeur, arrivée en dernier, refuse de partager son repas, mais
l’invite à son tour à dîner le lendemain. Le jour lendemain en fin d’après-midi, Dom Juan apprend à
son père éperdu de joie qu’il a décidé de revenir à la religion, puis il confie à Sganarelle que ce
revirement subit n’est qu’un stratagème destiné à le mettre à l’abri de tous les désagréments qui
pourraient lui arriver. La statue du Commandeur, apparaissant et prenant acte de son refus de se
repentir, lui saisit la main et le fait s’abîmer dans les entrailles de la terre.
I. introduction
1. amorce / Mise en situation
Après l’interdiction de représentation de sa pièce Tartuffe, en 1664, Molière se retrouve dans
l’obligation de monter rapidement une autre pièce pour faire vivre ses comédiens. Il écrit alors Dom
Juan ou Le Festin de pierre, selon un sujet à la mode à l’époque : Tirso de Molina avait déjà écrit en
1624 une pièce sur le même thème, qui se terminait de la même façon.
Ce dénouement de Dom Juan a été annoncé un peu plus tôt dans l’acte III scène 2 par la rencontre
avec le pauvre, personnage emblématique et représentant de Dieu : il est temps pour Dom Juan
d’affronter son destin et de subir le châtiment divin dans un ultime combat contre Dieu.
2. Problématiques
Questions possibles à l’oral de français:
◆
En quoi ce dénouement de Dom Juan est-il ambigu ?
◆
Quelle est la morale de cette scène de dénouement ?
◆
Quels problèmes ce dénouement pose-t-il à un metteur en scène ?
◆
Qu’est-ce qui fait l’originalité de ce dénouement ?
3. Annonce du plan
-
Nous étudierons tout d’abord ce qui fait de ces scènes 5 et 6 de l’acte V le dénouement de la
pièce (I),
avant de nous interroger sur le genre littéraire de Dom Juan, pièce qui oscille sans cesse
entre comédie et tragédie (II).
Enfin, nous nous demanderons quel est le sens à tirer de cette scène de fin ambiguë (III).
QUESTIONS
I. 1. Ce dénouement est-il logique, attendu ? (se référer au résumé de l’œuvre pour répondre)
I. 2. En quoi peut-on parler de deus ex machina et de gradation dans cette représentation ?
I. 3. En quoi peut-on parler de dénouement dramtique ?
II.1. Est-ce tragique ?
II.2. Est-ce comique ?
II.3. Est-ce conforme à l’esthétique classique ?
III.1. Dom Juan est-il une figure héroique ?
III.2. Ce dénouement est-il moral ?
I
– La fin de Dom Juan et la fin de Dom Juan
A – Un dénouement logique
-
-
Ce dénouement guère surprenant : similaire à celui de Tirso de Molina (l'un des grands
auteurs de théâtre du Siècle d'or espagnol), et Molière sait bien que les spectateurs le
connaissent déjà.
Il ne peut en être autrement : Dom Juan, qui a fait semblant de se repentir dans les scènes
précédentes, a vécu une vie trop contraire à la morale (sociale et religieuse) pour ne pas être
puni. S’il ne se repent pas sincèrement, comme lui propose le spectre, sa mort est la seule
issue possible.
-
Le combat est dès le début inégal, et par conséquent voué à l’échec ; Dom Juan, être de
chair, tente de lutter contre un fantôme, être immatériel et donc hors d’atteinte, comme
l’illustre la didascalie : « (Le Spectre s’envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.) ».
La dernière réplique de Sganarelle, qui clôture la pièce, sert également de récapitulatif et de bilan
en listant les torts de Dom Juan :
◆
Le « Ciel offensé » correspond à l’impiété de Dom Juan, qui a sorti Elvire du couvent, tenté
de faire jurer le pauvre et fait semblant de se convertir ;
◆
Les « lois violées » sont le meurtre du Commandeur, mais aussi le non-respect de la morale
sociale et religieuse ;
◆
Les « filles séduites » font sans nul doute référence à Elvire, Charlotte et Mathurine;
◆
Les « Familles déshonorées, parents outragés » sont les frères d’Elvire qui pourchassent
Dom Juan et le propre père de Dom Juan;
◆
Elvire est l’une des « femmes mises à mal », qu’il a déshonorée;
◆
Pierrot est l’un de ces « maris poussés à bout ».
B – Une fin à machine : le « deus ex machina »
Deus ex machina *deusˈɛks makiˈna+ est une locution latine signifiant « Dieu issu de la machine ».
Étymologie
Issue du latin, cette expression tient son origine du vocabulaire théâtral pour désigner la machinerie
faisant entrer en scène, en le descendant des cintres, un dieu dénouant de manière impromptue une
situation désespérée
La fin en forme de « deus ex machina » (intervention divine, souvent figurée sur scène par une
machinerie) était également déjà présente dans la version de Tirso de Molina, ce qui ne l’empêche
pas d’être ici spectaculaire avec une abondance d’artifices visuels et auditifs (« Le tonnerre tombe
avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s’ouvre et l’abîme ; et il sort de grands
feux de l’endroit où il est tombé. »)
Pour commencer, l’intervention divine prend ici plusieurs formes, de plus en plus effrayantes
GRADATION:
◆
Il y a d’abord le « spectre, en femme voilée », qui représente toutes les femmes bafouées
par Dom Juan au cours de la pièce.
Dom Juan affirme d’ailleurs : « Je crois connaître cette voix », qui laisse penser que c’est une femme
qu’il a déjà croisée ; Elvire peut-être ?
◆
La deuxième forme est « le temps avec sa faux à la main ».
Le message est clair : la faux, instrument emblématique, représente la mort imminente de Dom Juan.
Cette figure symbolise également l’inconstance du héros, qui ne vit que dans le présent, comme si
ses actions n’avaient aucune conséquence.
◆
Enfin arrive la statue du Commandeur, qui avait donné rendez-vous à Dom Juan. Ce
personnage de pierre, lourd et froid, représente l’obstacle divin qui s’oppose à Dom Juan et
l’entraîne dans l’abîme.
C – Un dénouement intense
C’est donc un dénouement en forme d’affrontement intensément dramatique : les figures de
l’éternité viennent s’opposer à Dom Juan, homme mortel et inconstant.
Note : Le mot drame signifie une histoire. Il vient du latin drama qui, en réalité, signifie « histoire », un
drame n'est pas quelque chose de grave, horrible… mais est une histoire. Aujourd'hui, nous l'utilisons sous
une fausse définition voulant dire quelque chose de grave
Toute cette fin, où se joue pourtant la mort du héros, est rapide (son sort est réglé en deux courtes
scènes) ; la succession de répliques brèves contribue au rythme rapide de cette clôture :
« Oui. Où faut-il aller ? /
Donnez-moi la main. /
La voilà. ».
Une fois la sentence prononcée par la statue, c’est la fin de Dom Juan : sa mort se joue dans un
paroxysme d’effets spéciaux, avant que Sganarelle ne fasse retomber la tension avec sa dernière
réplique.
Transition : Cette scène clôture donc la pièce de la manière la moins équivoque qui soit : dans ce
dénouement attendu par le spectateur, le héros meurt, laissant son valet dans le désarroi.
Il y a donc bien une tonalité tragique, et pourtant la dernière réplique, qui sort de la bouche de
Sganarelle, est destinée à faire rire…
II
– Dom Juan : Comédie ou tragédie ?
A – Un dénouement tragique
La mort du héros suffirait à rendre cette fin tragique : annoncée par la scène du pauvre, par le
rendez-vous pris avec un mort et par le spectre qui adopte la figure du temps, elle est inévitable.
Il y a bien dans la pièce une forme de destin, typique des tragédies : Dom Juan court à sa perte
courageusement – et ce, malgré les diverses chances de se repentir qui lui sont offertes (« Dom Juan
n’a plus qu’un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel »), ce qui rend son entêtement
d’autant plus impardonnable.
Mais il est libre, contrairement au héros de tragédie : il choisit son sort en toute connaissance de
cause.
Il refuse jusqu’au bout de reconnaître son impuissance face aux forces supérieures, et oppose aux
événements surnaturels la force de sa raison : « je veux voir ce que c’est ».
B – Sganarelle, contrepoint comique
Après la mort grandiose de Dom Juan, la réplique du valet vient terminer la pièce par le rire.
Elle paraît totalement déplacée : Sganarelle est cupide (« Mes gages ! » répété deux fois au début et
trois à la fin), égocentrique (« Il n’y a que moi seul de malheureux ») et peureux (il n’intervient
qu’une fois le danger passé).
C’est pourtant lui qui tire la moralité de la pièce : « tout le monde est content ».
Sa liste des victimes de Dom Juan, qui trahit son goût des énumérations, devient ridicule en se
terminant par un élément farcesque : les maris
« poussés à bout », c’est-à-dire cocus.
C – Le mélange des genres : une esthétique baroque
Ce mélange de registres (tragique/comique) rend la pièce difficile à classer.
Ce qui est certain, c’est qu’elle ne suit pas les règles de la tragédie classique :
◆
Les 3 unités ne sont pas observées (la pièce dure plusieurs jours, se passe dans divers lieux et
plusieurs intrigues se déroulent en même temps) ;
◆
La vraisemblance n’est pas respectée (la statue du Commandeur qui bouge et parle en est un
exemple flagrant)
◆
La bienséance est totalement bafouée à partir du moment où Dom Juan meurt sur scène.
Aux registres tragiques et comiques vient s’ajouter le registre fantastique et le surnaturel, avec le
spectre qui change de forme (« Le Spectre change de figure ») dans la scène 5 et le Commandeur tué
par Dom Juan qui semble revenir dans le monde des vivants.
On bascule ainsi dans le monde du rêve et de l’illusion, du changement et du spectaculaire, qui sont
caractéristiques de l’esthétique baroque.
De même, les thèmes de la mort, du temps (représenté sur scène, presque incarné) et de l’éphémère
(rappel que l’homme est mortel contrairement au divin), ainsi que le déroulement rapide des
événements et l’association des contraires (tragédie/comédie), sont des traits emblématiques du
mouvement baroque.
Transition : Le genre de la pièce est donc ambigu, mélangeant les registres et les influences. Plus
ambiguë encore, l’interprétation de cette scène de clôture reste aujourd’hui ouverte.
III
– Un dénouement à l’interprétation ouverte
A – L’héroïsme de Dom Juan
DJ fait preuve d’une constance extraordinaire en refusant obstinément de se repentir : tout comme
le pauvre refusait de blasphémer, Dom Juan reste fidèle à ses idées : « il ne sera pas dit, quoi qu’il
arrive, que je sois capable de me repentir. »
Face au surnaturel qui terrifie son valet, Dom Juan essaie de s’en tenir à la raison et à son expérience
sensible (« je veux voir », « je veux éprouver »). : une lucidité qui rappelle / annonce les Lumières
Il emploie des formules brèves, fermes et absolues : « Non, non », « quoi qu’il arrive », s’opposant
ainsi aux figures de la superstition qui viennent le mener à mort.
La répétition de la négation montre son obstination à revendiquer sa liberté.
Lorsqu’il finit par mourir, c’est en tendant la main sans aucune hésitation vers la figure qui va
l’achever (« Donnez-moi la main. / La voilà. »).
Même lorsque le feu le dévore, il ne demande pas le pardon pour ses péchés ; il se contente de
décrire ses sensations : « que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps
devient un brasier ardent. ».
La description des souffrances physiques ne va pas de pair avec un repentir moral : dans cette scène
6 de l’acte V, jusque dans la mort, Dom Juan défie Dieu.
B – Un châtiment divin spectaculaire mais décrédibilisé
On l’a dit : cette punition divine était prévisible et attendue des spectateurs.
La première lecture du dénouement serait de voir dans cet affrontement la victoire divine sur l’impie
: une fois mort, il ne peut plus rien et n’a pas pu se soustraire à son destin.
On assiste là à une sorte de renversement du « deus ex machina » : d’ordinaire, l’intervention divine
sauve le héros de la pièce.
Cette mort a clairement une dimension cathartique (purgation à visée morale) : Dom Juan meurt
par le feu, élément purificateur, et on peut voir dans la sentence du Commandeur («
l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l’on renvoie ouvrent un
chemin à sa foudre. ») un rappel à valeur générale, qui vaut aussi pour les spectateurs : il est
nécessaire de mener une vie vertueuse pour ne pas se retrouver en enfer.
C – Quelle morale pour cette pièce ?
A bien des égards, le « deus ex machina » mis en place par Molière n’est guère crédible, car trop gros
: les effets spéciaux et la force de ce châtiment sont exagérés, surtout pour une fin si rapide.
On peut par ailleurs se demander si Dom Juan est réellement puni par Dieu ou plutôt par des
éléments de la superstition : le « spectre », la statue… Même si Molière fait appel à une imagerie
chrétienne, avec une représentation de l’Enfer traditionnelle (« un brasier ardent », « de grands feux
», « la terre s’ouvre »), la « foudre et les éclairs » font penser à la mythologie grecque ou romaine
(Zeus ou Jupiter).
Pour autant, la réplique de Sganarelle, qui termine la pièce, vient tourner en ridicule le châtiment
spectaculaire auquel le public vient d’assister. C’est le personnage qui tire la morale de la pièce et il
est pourtant complètement décrédibilisé par ses propos et son rôle de bouffon.
Dom Juan, acte 5 scènes 5 et 6 : conclusion
C’est réellement un dénouement en demi-teintes que nous propose Molière dans les scènes 5 et 6
de l’acte V, à la fois inattendue et prévisible, comique et tragique, conformiste et subversive : le
héros est bel et bien châtié pour son impiété, mais il a vécu une vie libre, loin des canons religieux,
qu’il n’a jamais reniée.
On ne peut aujourd’hui savoir quelle était la position de Molière, et les éléments textuels tirent
l’interprétation dans les deux sens.
Face à tant d’incertitudes, il ne reste que la mise en scène pour trancher : faut-il présenter Dom Juan
en héros, fidèle jusqu’au bout à ses convictions ou en un être orgueilleux, qui s’obstine dans le déni
et qui en paie le prix ? C’est cette ambiguïté qui rend la pièce si fascinante à lire et à monter en scène
encore aujourd’hui.
Téléchargement